Nations Unies

CCPR/C/98/D/1623/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

11 mai 2010

Français

Original: espagnol

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Constatations

Communication no 1623/2007

Présentée par:

Jose Elías Guerra de la Espriella (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Colombie

Date de la communication:

23 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 novembre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

18 mars 2010

Objet :

Auteur condamné par un tribunal constitué de «juges sans visage»

Questions de procédure :

Abus du droit de présenter des communications; non-épuisement des recours internes

Questions de fond :

Droit à un procès équitable

Article du Pacte :

14

Articles du Protocole facultatif :

3 et 5 (par. 2 b))

Le 18 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1623/2007.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1623/2007 **

Présentée par:

Jose Elías Guerra de la Espriella (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Colombie

Date de la communication:

23 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1623/2007 présentée par Jose Elías Guerra de la Espriella en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, en date du 23 janvier 2007, est Jose Elías Guerra de la Espriella, de nationalité colombienne, né le 19 juin 1954. Il se déclare victime de violations par la Colombie de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits exposés par l’auteur

2.1L’auteur affirme que, le 3 mai 1995, la Cour suprême de justice a ordonné l’ouverture d’une enquête à son sujet, dans le cadre de l’information menée contre les frères Rodríguez Orejuela qui sont à la tête du trafic de stupéfiants dans la ville de Cali. Ni l’auteur ni ses avocats n’ont été officiellement informés de l’enquête en cours jusqu’à ce que l’instruction pénale ait été déclarée ouverte, le 23 mai 1995. Informé, hors du cadre procédural, de l’existence de cette instruction, l’auteur a sollicité l’autorisation de faire une déposition, déposition qu’il a faite le 12 juin 1995.

2.2Après qu’un grand nombre de preuves testimoniales, à l’établissement desquelles la défense n’a pas été autorisée à participer, eurent été versées au dossier, l’auteur a été associé à la procédure par le biais de la déclaration qu’il avait faite lors de sa comparution devant le magistrat instructeur le 21 juin 1996, et dans laquelle il avait nié toute relation avec les frères Orejuela. Le 9 juillet 1996, la Cour suprême a ordonné son placement en détention provisoire, pour les chefs d’enrichissement illicite (pour une somme de 10 000 pesos, soit environ 14 000 dollars) et de faux en écritures (en rapport avec les factures relatives à l’achat d’un véhicule) en qualité d’instigateur et d’escroc, pour avoir reçu des avantages en nature et en espèces provenant d’entreprises appartenant aux frères Rodríguez Orejuela.

2.3Étant donné qu’il était sénateur, la procédure devait se dérouler devant la Cour suprême en unique instance et l’auteur a donc décidé de renoncer à sa charge et, partant, au for. L’affaire était ainsi de la compétence d’un procureur de section, conformément à l’article 127 du Code de procédure pénale, et le procès comporterait une seconde instance, qui serait conduite par un procureur délégué auprès du Tribunal supérieur de la circonscription judiciaire de Bogota. Cependant, cette procédure n’a pas été suivie, la Cour ayant renvoyé l’affaire à la juridiction régionale (ou juridiction d’ordre public). Contrairement aux dispositions de la loi, le Directeur national du ministère public ayant conféré à cette affaire un statut spécial, la compétence pour en connaître est revenue au chef de l’Unité des procureurs délégués auprès de la Cour suprême. L’auteur a alors déposé un recours en révision et un recours en appel devant le Procureur général de la nation, lequel a confirmé la décision initiale.

2.4Pendant toute l’instruction par le procureur, l’auteur a été interrogé dans des pièces plongées dans la pénombre, comportant des miroirs à travers lesquels il ne pouvait pas voir les personnes qui l’interrogeaient; la voix de celles-ci était déformée et provenait d’un haut-parleur, et l’auteur devait répondre dans un microphone. Par une ordonnance du 6 mars 1997, l’acte d’accusation a été établi sur la base des charges mentionnées. Pour ce qui est du chef d’enrichissement illicite, aux faits déjà imputés (acquisition d’un véhicule pour la moitié de sa valeur), on a ajouté le fait que le patrimoine de l’auteur aurait augmenté de 20 000 pesos (28 000 dollars environ), cette somme provenant d’activités liées au trafic de drogues, pour mener des campagnes électorales. L’auteur nie toutes les charges retenues contre lui et affirme qu’il a présenté pour sa défense des preuves irréfutables, mais celles-ci n’ont pas été prises en considération. L’auteur a tenté d’attaquer l’acte d’accusation en formant un recours en appel, mais celui-ci n’a cependant pas été possible en raison de l’absence de supérieur hiérarchique. Il a alors formé un recours en révision dans lequel il faisait valoir, entre autres choses, qu’il y avait prescription. Le recours a été rejeté le 9 avril 1997.

2.5Selon l’auteur, tant au cours de l’instruction que du procès, le principal élément de preuve utilisé a été la déclaration d’un témoin, aux États-Unis, qui l’a accusé d’avoir reçu de l’argent des frères Rodríguez Orejuela. Le témoin se trouvant hors du pays, l’auteur n’a pas été en mesure de réfuter son témoignage. En outre, l’étape du jugement a été conduite par un juge régional de Bogota «sans visage», que l’auteur n’a pu voir à aucun moment du procès, et il n’y a pas eu d’audience publique. En vertu du jugement du 17 avril 1998, il a été condamné à quatre-vingt-dix mois d’emprisonnement, à une amende de 30 050 000 pesos et à l’interdiction d’exercer ses droits et fonctions publics tant que durerait la privation de liberté, au motif qu’il était responsable des délits d’enrichissement illicite, de faux et d’usage de faux et d’escroquerie. Il a également été condamné à payer 6 862 860 pesos en faveur du Sénat au titre de dommages matériels.

2.6L’auteur a interjeté appel devant le Tribunal national, composé de huit magistrats «sans visage». Au cours de cette phase il n’y a pas eu non plus d’audience publique. En date du 30 décembre 1998, le Tribunal a confirmé le jugement rendu en première instance, mais a ramené la peine à soixante-douze mois d’emprisonnement. L’auteur affirme qu’il ne s’est pas pourvu en cassation en raison du manque d’impartialité des membres de la chambre de cassation pénale de la Cour suprême, dans la mesure où c’étaient ceux-là même qui avaient initialement ordonné son placement en détention provisoire, sans possibilité de libération sous caution. L’auteur a également engagé une action en protection devant la Cour constitutionnelle, estimant que le Tribunal régional et le Tribunal national avaient porté atteinte à ses droits fondamentaux à un procès équitable, à la défense, à la présomption d’innocence et à la liberté. Le recours a été rejeté, le Tribunal national considérant que les griefs de l’auteur auraient pu être présentés par un recours en cassation devant le Tribunal suprême.

2.7Enfin, l’auteur a présenté un recours en révision extraordinaire devant la Cour suprême, fondé sur l’existence d’une nouvelle preuve consistant en un jugement ultérieur du Tribunal national, qui innocentait de l’accusation de prête-nom en rapport avec les frères Rodríguez Orejuela la personne qui, selon le jugement de condamnation de l’auteur, aurait permis son enrichissement illicite. Ce recours a été rejeté le 4 septembre 2003. D’après l’arrêt, joint par l’auteur, la Cour a exempté l’intéressé de responsabilité pénale pour certaines charges mais non pour celles qui avaient un lien avec les faits attribués à l’auteur. L’arrêt en question ne pouvait donc pas être considéré comme une nouvelle preuve aux fins du recours en révision. L’auteur affirme que la décision relative à ce recours a été signée par les magistrats de la Cour qui avaient ordonné sa détention provisoire, ce qui constitue selon lui une violation du principe d’impartialité.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme qu’il a été victime de violations du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, parce que le droit d’être entendu publiquement et de bénéficier des garanties de procédure n’a pas été respecté. Il fait valoir également une violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 d) et e) de l’article 14, dans la mesure où il a été condamné en première instance, à l’issue d’un procès qui a été instruit sans que lui-même ou son avocat soit présent, sans audience publique, sans possibilité de contredire et d’interroger le témoin à charge, ni de réfuter les preuves retenues contre lui, et sans que des réponses satisfaisantes ou raisonnables aient été apportées aux inquiétudes, interprétations et interrogations de la défense. L’auteur n’a jamais eu de contact personnel avec le procureur qui l’a accusé, ni avec les juges qui l’ont condamné en première puis en seconde instance. Les juges qui l’ont condamné ne l’ont jamais entendu, ni en privé ni en public. En seconde instance, il n’y a pas eu non plus d’audience publique, et l’auteur n’était pas présent au moment du prononcé du jugement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par une note verbale du 20 février 2008, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il indique que, si l’auteur estimait, à l’époque, que les arrêts rendus en première et en seconde instance constituaient une violation de son droit à un procès équitable, il pouvait former un recours extraordinaire en cassation, procédure qui aurait permis de réparer les violations présumées dénoncées devant le Comité. Il s’agissait là d’un recours utile et efficace, qui aurait permis de rétablir directement les droits que l’auteur affirmait avoir été violés. Selon l’article 219 du Code de procédure pénale, ce recours «a pour objectifs essentiels l’effectivité du droit matériel et des garanties dues aux personnes qui interviennent dans la procédure pénale, la réparation des préjudices causés aux parties par le jugement attaqué et l’unification de la jurisprudence nationale».

4.2L’État partie affirme également que l’auteur aurait pu récuser les magistrats de la Cour suprême qui, selon lui, n’allaient pas être impartiaux. De plus, on ne voit pas clairement pourquoi l’auteur a invoqué des doutes quant à l’impartialité de la Cour suprême pour décider de ne pas se pourvoir en cassation, mais n’a pas eu de doutes quand il a formé l’action en révision devant cette même cour. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité qui considère que de simples doutes quant à l’efficacité de recours internes ne sauraient dispenser l’auteur d’épuiser ces recours. Il en conclut que la communication doit être déclarée irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.3L’État partie affirme également que la communication doit être considérée irrecevable en ce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications, compte tenu du laps de temps écoulé entre le moment où les faits se sont produits et la présentation de la communication. Le dernier jugement pénal a été rendu le 30 décembre 1998 et la communication a été présentée au Comité le 23 janvier 2007, soit huit ans et vingt-trois jours plus tard. Compte tenu des principes de certitude et de sécurité juridique auxquels doivent obéir les décisions adoptées au niveau interne, et étant donné que l’auteur ne donne aucune explication convaincante susceptible de justifier un tel retard, l’État partie estime que la communication doit être déclarée irrecevable.

Commentaires de l’auteur concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Dans ses commentaires datés du 5 mars 2008, l’auteur réitère qu’il n’a pas été informé de l’ouverture de l’enquête préalable, ce qui est contraire au paragraphe 3 de l’article 324 du Code de procédure pénale. Par une ordonnance du 24 juillet 1995, la Cour a refusé de s’abstenir d’ouvrir une enquête pénale et a ordonné la poursuite de l’enquête préalable; à cette fin, des mesures d’instruction d’office ont été menées sans le concours de l’auteur ou de son défenseur, alors qu’ils avaient été notifiés de la décision, ce qui démontre que la procédure restait entre les mains du magistrat instructeur. L’auteur réitère ses allégations initiales. Il affirme que, compte tenu de la composition de la Cour suprême, il aurait été inutile de se pourvoir en cassation et il rappelle que le rapporteur de la décision dans le recours en révision était l’un des magistrats qui avaient auparavant ordonné le placement en détention provisoire. Il affirme également que le pourvoi en cassation est un recours extraordinaire et, partant, non obligatoire. Le recours en révision est également un recours extraordinaire, qui aurait pu être efficace puisqu’une preuve nouvelle non connue durant le procès avait été présentée. Dans ces circonstances, l’épuisement des recours internes doit être accepté.

5.2L’auteur insiste sur le fait que la preuve obtenue au cours de la phase préliminaire l’a été à l’insu de la défense. Bien que cette irrégularité ait été dénoncée, la Cour a avalisé cette preuve et l’a faite sienne. Les rares fois où la défense a été autorisée à intervenir c’était pour les preuves qui n’étaient pas importantes. L’auteur cite comme exemple le témoignage du comptable du cartel de Cali, témoignage qui a été recueilli aux États-Unis sans la présence de l’auteur ou de son avocat. Bien que la comparution de ce témoin qui avait été demandée afin qu’il puisse être soumis à un contre-interrogatoire ait été ordonnée, elle n’a pas eu lieu. Le paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte a donc manifestement été violé.

5.3L’auteur affirme que le droit à un procès équitable et à la défense a été violé dans la mesure où il a fait l’objet d’une enquête, il a été inculpé et condamné par un juge régional et le Tribunal national qui n’étaient pas compétents, au regard du Code de procédure pénale ou du décret no 2700 de 1991, pour les faits imputés, survenus à compter du 24 avril 1992. Les organes juridictionnels d’exception n’ont commencé à siéger qu’à partir du 1er juillet 1992. Cela constitue une violation des principes du juge naturel et de l’égalité de toutes les personnes devant les tribunaux, puisque ces organes ont administré une justice d’exception, parallèle à la justice de droit commun, et appliqué des normes d’exception, défavorables et restrictives. L’auteur cite en ce sens les constatations du Comité au sujet de la communication no 848/1999, du 23 juillet 2002. Le décret no 2790 de 1990 (loi pour la défense de la justice) a créé la juridiction d’ordre public, «sans visage» ou d’exception, compétente en matière de terrorisme, laquelle a été intégrée au Code de procédure pénale de 1991. Les dispositions relatives au déroulement secret du procès, sans audience publique, ont été abrogées par la loi no 504 de 1999.

5.4L’auteur réaffirme qu’il n’a pas bénéficié d’un jugement public, en audience publique, avec l’assistance obligatoire d’un défenseur et du ministère public, ce qui est contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

5.5L’auteur fait valoir que la décision relative au recours en révision a été rendue le 4 septembre 2003, soit trois années et quatre mois seulement avant qu’il présente sa communication au Comité. Au cours de cette période, il a effectué des enquêtes et a attendu le résultat de la communication no 1298/2004, présentée dans une affaire similaire, dans laquelle les faits sont très proches de ceux qui lui ont été imputés. Le fait que cette communication ait été déclarée recevable lui a donné confiance dans l’efficacité de la procédure.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note du 12 février 2009, l’État partie a réitéré ses arguments relatifs à l’irrecevabilité. En ce qui concerne la question de l’abus du droit de présenter des communications, il critique l’argument de l’auteur qui estime que le délai pour présenter la communication doit partir de la date de l’ordonnance rejetant le recours extraordinaire en révision. En revanche, pour ce qui est de l’épuisement du recours en cassation, l’auteur considère qu’il s’agit d’un recours extraordinaire qu’il n’est pas nécessaire d’avoir épuisé.

6.2L’État partie affirme que l’auteur a fait l’objet d’une enquête, a été jugé et condamné conformément aux normes de procédure en vigueur à l’époque et qu’il a dûment bénéficié des garanties de procédure. Le décret no 2700 de 1991 (modifié par la loi no 81 de 1993) garantissait l’exercice du principe du contradictoire durant toute la procédure et les démarches préalables. En application des dispositions de l’article 323 du Code de procédure pénale, les autorités étaient autorisées à rechercher et à réunir toutes les preuves indispensables à l’établissement des faits, la personne soumise à l’enquête pénale ayant la possibilité de solliciter leur présentation de façon à connaître la teneur et la portée des faits qui, bien qu’il s’agisse encore d’une phase préliminaire, étaient susceptibles de lui être imputés.

6.3Dans le cas de l’auteur, la Cour suprême a décidé le 3 mai 1995 d’ouvrir une enquête préliminaire sur le fondement des pièces remises par la Direction régionale du ministère public de Bogota, et des mesures d’instruction ordonnées à Cali dans le procès dit «8000». Une fois ouverte l’enquête préliminaire, le 24 mai 1995, l’auteur a demandé à être entendu en «déclaration spontanée». Celle-ci a eu lieu le 12 juin 1995; l’auteur était assisté par son avocat et toutes les pièces réclamées lui avaient été communiquées.

6.4Par la suite, une extension de la «déclaration spontanée» a été ordonnée, qui s’est déroulée le 4 septembre 1995; au cours de celle-ci les éléments à charge ont été présentés, et l’auteur a été interrogé à leur sujet et de nouvelles copies de pièces lui ont été remises. Le 18 décembre, des copies des preuves obtenues dans le cadre des différentes enquêtes menées sur les relations économiques qu’auraient eues des hommes politiques avec des individus ou des entreprises appartenant au cartel de Cali ont été transmises à l’avocat. Le 15 janvier 1996, l’avocat de l’auteur a demandé que diverses mesures d’instruction soient effectuées, demande à laquelle la Cour suprême a fait droit le 6 février 1996. Des copies des dernières preuves reçues par la Cour ont été transmises à l’avocat de l’auteur le 12 janvier 1996. Suite à la déclaration d’ouverture officielle de l’instruction, le 23 mai 1996, l’avocat de l’auteur a participé à un grand nombre de dépositions testimoniales et d’inspections judiciaires, dont il a sollicité des copies, lesquelles lui ont toujours été remises. L’État partie considère que l’auteur ne démontre pas que les garanties de procédure ont été violées simplement en faisant des affirmations globales et générales, et qu’il ne peut prétendre les fonder sur des expressions abstraites qui ne reflètent pas la réalité du déroulement de l’enquête pénale.

6.5L’État partie affirme qu’au cours de la procédure, l’auteur a bénéficié de l’assistance d’un défenseur et qu’il a eu la possibilité d’être entendu en personne plusieurs fois pendant l’instruction. En outre, il a eu la possibilité de présenter des mémoires et des preuves devant la justice régionale, comme le prouve la communication du 6 juin 1997, dans laquelle il a présenté directement un résumé des faits qui matérialisaient l’accusation formulée à son encontre. Il est vrai qu’il n’a pas bénéficié d’une audience publique dans le cadre de la procédure pénale. Cela étant, la Cour constitutionnelle, dans un arrêt en constitutionnalité de 1996, a jugé conforme à la Constitution la norme qui prévoyait la suppression de l’audience publique pour les infractions relevant de la compétence de la justice régionale, et a relevé que son remplacement par une procédure spéciale était une mesure adéquate pour préserver l’intégrité des sujets intervenant dans ce type de procès. Dans un autre arrêt en constitutionnalité, de 1997, la Cour a rappelé que les garanties judiciaires étaient des droits susceptibles d’être limités pendant l’état d’exception, puisqu’ils ne figurent pas parmi les droits auxquels il ne peut pas être dérogé, énoncés à l’article 4 du Pacte. Le fait de ne pas prévoir que les audiences doivent être publiques pour ce type de procès n’invalide pas l’objet fondamental des procédures pénales. D’après la Cour, le Pacte consacre le droit d’être présent, ce qui implique le droit à la tenue d’une audience. Cependant, cet acte de procédure ne doit pas obligatoirement être public, et des mesures techniques adaptées pour protéger l’identité du juge et du procureur peuvent être prises.

6.6Selon l’État partie, il est faux de dire, comme le fait l’auteur, qu’il n’a pas eu de contact avec le procureur qui a établi l’acte d’accusation. L’enquête pénale n’a pas été conduite par le procureur régional, mais par le procureur délégué auprès de la Cour suprême, situation dont l’auteur a toujours eu connaissance. Le fait que le procès ait été conduit par la justice régionale ne constitue pas en soi une violation des garanties de procédure, dans la mesure où chaque mesure judiciaire qui a été adoptée avait un fondement juridique et s’accompagnait de recours qu’il était loisible à l’auteur de former afin d’obtenir qu’une autre autorité juridictionnelle procède à une nouvelle appréciation des faits et des preuves, sans qu’il soit pour cela indispensable de connaître l’identité du juge.

6.7L’État partie indique que, par l’intermédiaire de son avocat, l’auteur a eu la possibilité de solliciter, de connaître et de réfuter des preuves, ainsi que d’interroger des témoins, et il fournit une liste en ce sens. En ce qui concerne le refus de recevoir une nouvelle déposition du témoin qui se trouvait aux États-Unis, opposé par le ministère public, celui-ci a estimé que le fait que la défense n’ait pas assisté à cet acte de procédure n’était pas une raison suffisante pour recevoir une nouvelle déposition. Cela n’avait nullement porté atteinte aux droits de la défense, puisqu’à tout moment l’auteur avait eu la possibilité de solliciter des éléments de preuve et de les réfuter.

6.8L’État partie affirme que, tant en première qu’en seconde instance, les différentes requêtes formulées par la défense de l’auteur ont été étudiées et appréciées une par une, et il donne des précisions sur le contenu de ces requêtes et les réponses qui leur ont été apportées. Le fait que l’arrêt n’ait pas correspondu aux arguments exposés par l’auteur tient simplement à l’appréciation qu’ont faite les acteurs judiciaires des éléments présentés au procès. L’État partie conclut qu’aucun article du Pacte n’a été violé.

Commentaires de l’auteur au sujet des observations de l’État partie sur le fond

7.Dans une réponse du 24 mars 2009, l’auteur renouvelle ses allégations antérieures et insiste sur le fait qu’à aucun moment il n’a été fait droit à sa demande de complément de déposition du principal témoin à charge, qui se trouvait aux États-Unis, et qu’il n’a pas été informé de l’existence d’une enquête préalable aussitôt après qu’elle eut été ouverte. Il précise qu’il n’a pas eu la possibilité de réfuter les preuves administrées au début de la procédure, dans la mesure où elles provenaient en majorité d’un autre procès (appelé le «procès 8000»). Il affirme également que le témoin mentionné n’a pas été dûment identifié, ce qui aurait dû être suffisant pour exclure sa déclaration des moyens de preuve. Il indique que son procès a relevé plus de la politique que du droit et qu’il est donc évident que le respect par les organes judiciaires des principes d’une procédure équitable a été simplement formel et non effectif. Il précise en outre qu’il y a lieu de considérer la demande de révision comme un recours, qui doit être pris en considération par le Comité pour calculer le temps écoulé entre l’épuisement des recours internes et la présentation de la communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note des observations de l’État partie qui objecte que la communication doit être déclarée irrecevable en ce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications compte tenu du temps écoulé entre la date de la dernière décision pénale, rendue le 30 décembre 1998, et la présentation de la communication au Comité, le 23 janvier 2007. Le Comité prend également note des explications de l’auteur à ce sujet, en particulier le fait qu’il a présenté un recours en révision sur lequel il a été statué le 4 septembre 2003, et que ce recours portait non pas simplement sur des questions de forme, mais aussi sur des questions de fond directement liées aux faits pour lesquels l’auteur a été condamné. Le Comité réaffirme que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la présentation des communications, et que le laps de temps écoulé avant la présentation d’une communication ne constitue pas en soi, hormis dans des cas exceptionnels, un abus du droit de présenter une communication. Dans le cas d’espèce, le Comité ne considère pas qu’un délai de trois ans et cinq mois après la dernière décision judiciaire constitue un abus du droit de présenter une communication.

8.4Le Comité prend note également des observations de l’État partie faisant valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il n’a pas déposé un recours en cassation concernant les griefs de violation du droit à un procès équitable par les tribunaux d’instance. L’État partie affirme également que l’auteur aurait pu récuser les magistrats de la Cour suprême qui d’après lui n’allaient pas être impartiaux. Il considère que les plaintes de l’auteur sont de deux types. Le premier concerne l’administration des preuves, la manière dont celles-ci ont été appréciées par les organes judiciaires et l’impartialité des magistrats de la Cour suprême. Le second porte sur le jugement de l’auteur par un juge et un tribunal «sans visage», dans des procès sans audience publique, auxquels ni lui-même ni son avocat n’ont assisté, et sur le fait qu’il n’a pas eu de contact personnel avec le procureur qui l’a accusé et avec les juges qui l’ont condamné, et que ces organes judiciaires ont agi comme une justice d’exception, créée à partir du 1er juillet 1992, c’est-à-dire après les faits qui lui étaient imputés.

8.5En ce qui concerne le premier groupe de griefs, le Comité observe que les plaintes ont fait l’objet d’une action en protection que la Cour constitutionnelle a rejetée estimant que les griefs auraient dû être soulevés dans un pourvoi en cassation. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que de simples doutes quant à l’efficacité d’un recours ne dispensent pas l’auteur de l’obligation de le former. Il considère par conséquent que les recours internes n’ont pas été épuisés et que cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.6En ce qui concerne le second groupe de griefs, relatifs au fonctionnement de la justice régionale, le Comité observe que la justice régionale a été créée par la loi de 1992 et que, selon les observations de l’État partie, la Cour constitutionnelle a confirmé sa constitutionnalité. Le Comité considère par conséquent que l’épuisement des recours internes ne peut pas être exigé en ce qui concerne ces griefs. En l’absence d’autres objections à leur recevabilité, le Comité les déclare recevables dans la mesure où elles soulèvent des questions au regard des paragraphes 1 et 3 d) et e) de l’article 14 du Pacte.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité prend note des griefs de l’auteur qui fait valoir qu’il a été jugé par un juge et un tribunal «sans visage», créés postérieurement aux faits qui lui étaient reprochés, dans un procès sans audience publique, auquel ni lui ni son avocat n’ont assisté; qu’il n’a pas eu de contact personnel avec le procureur qui l’a accusé et les juges qui l’ont condamné, et qu’il a été interrogé dans des pièces plongées dans la pénombre, comportant des miroirs à travers lesquels il ne pouvait pas voir les personnes qui l’interrogeaient et dont la voix était déformée. Le Comité prend également note des observations de l’État partie qui confirment l’absence d’audience publique dans les procès conduits par la justice régionale, mesure déclarée constitutionnelle par la Cour constitutionnelle en tant que mesure adéquate pour préserver l’intégrité des intervenants dans la procédure. L’État partie affirme également que l’auteur connaissait en fait l’identité du procureur et que la non-divulgation de l’identité des juges n’empêchait pas les accusés de produire des preuves et de former des recours contre les mesures qu’ils contestaient.

9.3Le Comité rappelle le paragraphe 23 de son Observation générale no 32, relative à l’article 14 du Pacte et relève que pour garantir les droits de la défense consacrés au paragraphe 3 de l’article 14, en particulier aux alinéas d et e, dans tout procès pénal il faut que la procédure soit orale permettant à l’accusé de comparaître en personne à l’audience ou d’être représenté par son avocat et au cours de laquelle il peut présenter des preuves et interroger les témoins. Étant donné que l’auteur n’a pas eu une telle audience pendant la procédure qui a abouti à sa condamnation et au prononcé de la peine, et vu la façon dont les interrogatoires se sont déroulés, sans que les garanties minimales soient respectées, le Comité conclut qu’il y a eu violation du droit à un procès équitable, garanti à l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14 du Pacte.

11.Conformément aux dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour que des violations similaires ne se reproduisent à l’avenir.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à toute personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]