Nations Unies

CEDAW/C/51/D/28/2010

Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes

Distr. générale

13 avril 2012

Français

Original: anglais

Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes

Communication no 28/2010

Constatations adoptées par le Comité à sa cinquante et unième session, 13 février-2 mars 2012

Présentée par:

R. K. B. (représentée par un conseil, Ozge Yildiz Arslan)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Turquie

Date de la communication:

14 juillet 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Transmises à l’État partie le 28 octobre 2010 (non publiées sous forme de document)

Date de la décision:

24 février 2012

Annexe

Constatations du Comité pour l’éliminationde la discrimination à l’égard des femmes au titredu paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatifse rapportant à la Convention sur l’éliminationde toutes les formes de discrimination à l’égarddes femmes (cinquante et unième session)

concernant la

Communication no 28/2010 * , **

Présentée par:

R. K. B. (représentée par un conseil, Ozge Yildiz Arslan)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Turquie

Date de la communication:

14 juillet 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Transmises à l’État partie le 28 octobre 2010 (non publiées sous forme de document)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, créé en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 24 février 2012,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme R. K. B., ressortissante turque, née le 1er janvier 1969. Elle prétend être victime de violations par la Turquie de ses droits au titre: de l’article premier; des alinéas a et c de l’article 2; de l’alinéa a de l’article 5 et des alinéas a et d du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’auteur est représentée par un conseil, Mme Ozge Yildiz Arslan. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la Turquie le 19 janvier 1986 et le 29 janvier 2003, respectivement.

Rappel des faits

2.1À partir de juin 2000, l’auteur a travaillé en qualité de caissière, comptable adjointe et maquilleuse au salon de coiffure unisexe à Kocaeli. Le 8 février 2006, son contrat a été résilié au motif qu’un client aurait formulé une plainte à son sujet. Elle n’a reçu aucune autre information quant aux motifs de son licenciement. Dans sa lettre initiale au Comité, l’auteur évoque le témoignage de Mme G. D., confirmant que, avant que l’auteur ne quitte le salon de coiffure, l’un des gérants aurait essayé de lui faire signer un document attestant qu’elle avait pu exercer tous ses droits. Selon le même témoignage, il l’aurait menacée, si elle ne le signait pas, de «répandre des rumeurs au sujet de sa relation avec d’autres hommes». Bien que l’auteur, qui est mariée, ait eu «très peur» que cela ne lui nuise, elle a refusé de signer le document en question.

2.2Le 10 février 2006, l’auteur a engagé une première action devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli, pour réclamer des indemnités de licenciement et des dommages-intérêts, son contrat de travail ayant été résilié sans cause valable. L’auteur fait valoir que, selon l’article 19 de la loi relative au travail, l’employeur doit clairement indiquer les raisons pour lesquelles il est mis fin au contrat d’un employé. L’auteur a demandé au tribunal du travail no 3 de Kocaeli de lui octroyer une indemnisation de 1 750 livres turques. Par la voie d’une requête de modification, elle a relevé ce montant à 19 424,14 livres turques.

2.3Le 1er mai 2006, dans sa défense, l’employeur de l’auteur a soumis au tribunal du travail no 3 de Kocaeli une lettre de réponse et, à une date non précisée, une copie de la déclaration de résiliation de contrat datée du 8 février 2006, indiquant que l’auteur aurait été oralement mise en garde à plusieurs reprises au sujet de son comportement, qui était contraire à la déontologie professionnelle, et qu’elle n’aurait pas fourni d’explications. Dans ces documents, l’employeur soutenait que le comportement de l’auteur avait suscité des rumeurs car elle affichait des relations qui, allant au-delà d’une simple amitié, «semblaient être de nature sexuelle, avec des personnes du sexe opposé sur le lieu de travail». L’employeur a fait valoir devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli que, dans son secteur d’activité, il était impératif que les employés s’abstiennent de toute atteinte, fût-elle la plus légère, à la moralité, et a donc demandé que la demande de l’auteur soit rejetée. Il a également fait valoir que l’auteur n’avait pas le droit de réclamer des indemnités de licenciement et de rupture anticipée de contrat, que ses indemnités salariales lui avaient été intégralement versées, que le délai concernant toutes les plaintes était écoulé, que l’auteur avait signé des feuilles de paie sans présenter d’objection et que le salaire du mois de février 2006 lui avait été payé par virement postal.

2.4Au cours de la procédure judiciaire, le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a entendu les témoins des deux parties. Le mari de l’auteur a témoigné devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli de l’intégrité morale de son épouse et a donné des renseignements d’où il ressortait que M. D. U., collègue de l’auteur avec lequel, selon les rumeurs, celle-ci avait eu une relation, n’était qu’un ami de la famille. Le mari de l’auteur a également précisé que la plupart des hommes mariés qui travaillaient dans le même salon de coiffure que l’auteur avaient des relations extraconjugales, et que sa femme avait quelquefois dit son aversion pour une telle situation. L’ex-collègue de l’auteur, Mme G. D., a témoigné, confirmant la version de l’auteur aux termes de laquelle, après le départ de l’auteur, M. D. U. lui avait demandé d’abandonner l’affaire, sinon son employeur soutiendrait qu’elle avait eu une liaison avec un homme appelé M. M. Y. Mme G. D. a également confirmé que l’auteur n’avait eu aucune relation avec M. D. U. et dit que, selon elle, les problèmes de l’auteur avaient commencé lorsqu’elle avait refusé de donner les clefs de sa maison au second gérant du salon de coiffure, M. M. A., qui voulait y rencontrer sa petite amie, alors qu’il était marié.

2.5Le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a également entendu les témoins de l’employeur. S’agissant des raisons alléguées pour le licenciement de l’auteur, un témoin en faveur de l’employeur, M. H. U., a déclaré qu’un client s’était plaint d’elle. L’un des autres témoins en faveur de l’employeur, à savoir le gérant du salon de coiffure, M. M. A., a soutenu que l’auteur avait une relation avec l’un des gérants, M. D. U. Il a ajouté que l’auteur et M. D. U. avaient déjà eu une relation lorsqu’ils étaient célibataires et que la relation s’était poursuivie après qu’ils se soient mariés chacun de leur côté quelque deux ou trois ans avant le renvoi de l’auteur. M. M. A. a également déclaré que la relation que l’auteur entretenait avec M. D. U. avait une incidence sur son travail. En particulier, lorsque M. D. U. s’occupait de clientes, l’auteur réagissait en montrant des signes de jalousie, ce qui mettait mal à l’aise les collègues et les clients. Il a ajouté que l’auteur et M. D. U. avaient coutume de se promener et prendre leurs repas ensemble en dehors du salon, que l’auteur se servait de sa relation avec M. D. U. et qu’il lui arrivait parfois d’arriver en retard au travail. Au cours des cinq années précédentes, elle n’avait pas maquillé les clientes qui lui déplaisaient, mais son attitude était tolérée. M. M. A. a aussi déclaré que, peu de temps avant le licenciement de l’auteur, une cliente, Mme A. A., s’était plainte au propriétaire du salon, M. A. G., que l’auteur «avait une liaison indiscrète» avec un collègue. Selon M. M. A., l’auteur a été priée de s’expliquer mais, comme elle refusait, elle a été licenciée. M. M. A. a également indiqué que le fait qu’il demande à d’autres collègues les clefs de leur domicile (voir le paragraphe 2.4 ci-dessus) était exclusivement lié à sa vie privée et n’avait rien à voir avec l’auteur.

2.6L’auteur déclare que c’est par la lettre de réponse de l’employeur et la déclaration de résiliation de contrat soumise dans le cadre de la procédure judiciaire qu’elle avait «appris pour la première fois» qu’il avait été mis un terme à son contrat au motif qu’elle «affichait des relations manifestement d’ordre sexuel avec des personnes du sexe opposé». Le 6 juin 2007, l’auteur a engagé une nouvelle action pour licenciement injustifié. Elle a déclaré que, puisque l’employeur avait soutenu que ce licenciement était la conséquence de sa relation avec M. D. U., et que M. D. U. avait continué à travailler au salon, un tel comportement de l’employeur témoignait d’une discrimination dans le domaine du travail fondée sur le sexe, en vertu de l’article 5 de la loi relative au travail. Elle a donc demandé au tribunal de lui accorder 4 446 livres turques (soit quatre mois de salaire brut), conformément audit article. Le 5 juillet 2007, le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a procédé à la jonction des deux instances concernant: a) les indemnités de licenciement et l’indemnisation de chômage; et b) les dommages-intérêts pour discrimination fondée sur le sexe.

2.7Le 14 septembre 2007, le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a conclu que la résiliation du contrat n’avait pas reposé sur un motif valable. Après avoir examiné la déclaration de résiliation de contrat, datée du 8 février 2006, et les déclarations des témoins des parties, le tribunal a estimé que l’employeur n’avait présenté aucun élément de preuve concret quant au fait que l’auteur avait des «relations à caractère sexuel avec des personnes du sexe opposé». Le tribunal a admis l’argument de l’auteur selon lequel il n’était pas possible d’affirmer que certains de ses comportements, comme le fait de «manger et arriver et partir» avec M. D. U., violaient la déontologie professionnelle, entraînant la résiliation immédiate du contrat de travail. S’agissant de la teneur de la plainte formulée par une cliente, Mme A. A., au sujet de l’auteur, le tribunal a considéré que les témoins avaient fourni des déclarations contradictoires. Il a donc conclu que, étant donné la période de cessation d’emploi de l’auteur, la résiliation du contrat était injustifiée. L’employeur a été condamné à verser des indemnités de licenciement et l’indemnité de préavis à l’auteur, qui se sont élevées à 15 295,04 livres turques, conformément à l’évaluation par l’expert du paiement des primes, calculées selon les pratiques commerciales en vigueur.

2.8S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle son contrat de travail avait été résilié en raison d’une discrimination fondée sur le sexe, et qu’elle devait par conséquent être indemnisée conformément à l’article 5 de la loi relative au travail, le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a conclu à l’impossibilité d’affirmer que l’auteur avait été licenciée en s’appuyant simplement sur le fait qu’elle était une «femme». Le fait que M. D. U. était toujours employé dans le salon de coiffure n’était pas un élément suffisant pour établir une discrimination fondée sur le sexe. De même, il n’était pas possible de conclure que l’employeur avait agi en violation de l’obligation d’égalité de traitement, pour ce qui concernait la «relation passionnelle» de l’auteur avec M. D. U. Quant au fait que cette relation avait constitué la raison du licenciement, il n’avait été ni prouvé par l’employeur ni accepté par l’auteur. Alors que l’auteur pouvait demander une indemnisation en se fondant sur un motif légal différent, compte tenu de la défense susmentionnée de l’employeur, l’attitude de l’employeur ne pouvait être considérée comme contraire au principe d’égalité prévu à l’article 5 de la loi relative au travail. Le tribunal du travail no 3 de Kocaeli est parvenu à cette conclusion après avoir examiné les éléments suivants: la façon dont l’auteur avait été licenciée; les événements qui s’étaient produits avant son licenciement; les déclarations des témoins des parties; l’emploi du pluriel dans le membre de phrase «avec des personnes du sexe opposé» dans la déclaration, demandant à l’auteur de fournir des explications; la référence à la plainte d’un client comme raison du licenciement; le fait que l’auteur ait nié avoir eu une relation «passionnelle et immorale» avec M. D. U.; et le fait que le salon de coiffure employait essentiellement des femmes.

2.9Le 14 juillet 2006, l’auteur a également engagé des poursuites pénales pour diffamation contre le gérant du salon de coiffure, M. M. A., et deux autres employés, qui avaient rédigé la déclaration de résiliation de contrat en indiquant que le comportement de l’auteur n’était pas conforme à la déontologie professionnelle parce qu’elle avait des relations à caractère sexuel avec des personnes du sexe opposé sur le lieu de travail. Le 5 septembre 2007, le Procureur général de Kocaeli a émis un acte d’accusation pour diffamation à l’encontre du gérant du salon de coiffure, M. M. A., et deux autres employés, qui avaient établi la déclaration de résiliation de contrat. L’acte d’accusation a été présenté par l’auteur au tribunal du travail no 3 de Kocaeli comme élément de preuve. Dans son jugement du 1er avril 2008, le tribunal d’instance no 1 de Kocaeli a déclaré que le gérant du salon de coiffure, M. M. A., et un autre employé étaient coupables de diffamation, concluant que la déposition faite au sujet de la déclaration de résiliation de contrat du 8 février 2006 concernait exclusivement la vie privée de l’auteur.

2.10L’auteur a engagé un recours contre la décision du tribunal du travail no 3 de Kocaeli devant la Cour de cassation, indiquant que ladite décision était contraire non seulement au principe de l’égalité de traitement inscrit dans la loi relative au travail mais aussi aux obligations de la Turquie au titre de la Convention. Dans son recours, l’auteur soutenait que les raisons de son licenciement constituaient une discrimination fondée sur le sexe, et elle a demandé l’annulation du jugement du tribunal du travail no 3 de Kocaeli. Le 2 avril 2009, la Cour de cassation a rejeté le recours, sans faire référence aux revendications de l’auteur quant à une discrimination fondée sur le sexe au sens de la Convention.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur prétend être victime d’une violation de l’alinéa a de l’article 2 de la Convention. Bien que le principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes soit garanti par l’article 5 de la loi relative au travail, ni le tribunal du travail no 3 de Kocaeli ni la Cour de cassation ne l’ont appliqué. L’auteur ajoute qu’elle a spécifiquement fait valoir devant les tribunaux internes que la Turquie était un État partie à la Convention et que, en application de l’article 90 de sa Constitution, la Convention faisait partie du droit interne et devait être appliquée par les tribunaux. Ils n’auraient toutefois pas tenu compte des arguments de l’auteur et auraient ignoré les éléments de preuve par elle fournis au sujet de sa plainte pour discrimination fondée sur le sexe. En outre, la Cour de cassation se serait abstenue de justifier ou d’expliquer les raisons pour lesquelles elle a rejeté son recours.

3.2L’auteur soutient en outre qu’elle a été victime d’une violation de l’alinéa cde l’article 2 de la Convention, dans la mesure où l’État partie ne l’a pas protégée contre la discrimination fondée sur le sexe, et ce, malgré l’existence du principe d’égalité entre les sexes énoncé à l’article 5 de la loi relative au travail.

3.3L’auteur affirme également que l’alinéa a de l’article 5 de la Convention a été violé. En effet, malgré l’article 5 de la loi relative au travail, les décisions des tribunaux internes restent généralement fondées sur les modèles du passé. La plainte de l’auteur pour discrimination fondée sur le sexe a été ignorée, les tribunaux ont fait preuve de préjugés sociaux et n’ont pas critiqué le fait que la moralité et la vie privée de l’auteur aient été mises en cause par son employeur de sexe masculin parce qu’elle était une femme, alors que le comportement des employés de sexe masculin n’avait jamais été examiné à l’aune de la moralité. En outre, alors que les actes illégitimes de l’employé de sexe masculin ont été ignorés, les actes prétendument illégitimes de l’auteur ont été considérés comme une raison valable pour la licencier, puisque le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a conclu que le licenciement était illicite uniquement parce que l’employeur n’avait soumis aucun élément de preuve concret quant au fait que l’auteur aurait eu des relations à caractère sexuel avec des personnes du sexe opposé.

3.4L’auteur soutient qu’elle est victime d’une violation des alinéas a et d du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention. Son employeur a tenté de la contraindre à signer un document déclarant qu’elle avait joui de tous ses droits, ce qui ne lui aurait pas permis de le poursuivre. Il l’a menacée, si elle ne signait pas ce document, de répandre des rumeurs indiquant qu’elle avait une relation avec d’autres hommes. Elle a ainsi été exposée à une discrimination fondée sur le sexe − harcèlement − de la part de l’employeur, et les tribunaux ne l’ont pas indemnisée de ce chef. Le principe de l’égalité de traitement n’a pas été respecté non plus: une employée a été renvoyée en raison d’une prétendue aventure extraconjugale au travail.

3.5Enfin, l’auteur affirme que l’article premier de la Convention a été violé. En tolérant la violation de plusieurs dispositions de la Convention, l’État partie ne se serait pas acquitté des obligations qui lui incombent au titre de l’article premier de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans sa lettre du 28 avril 2011, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au titre des alinéas b et c du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention. En ce qui concerne les faits, l’État partie soutient que, selon l’employeur, l’auteur arrivait souvent en retard au travail et se montrait réticente à accomplir certaines tâches. L’employeur a néanmoins toléré la situation jusqu’à ce que l’une de ses clientes se plaigne. L’auteur a été priée de fournir des explications à ce sujet, mais elle a refusé de le faire et décidé de ne pas venir travailler les jours suivants.

4.2L’État partie fait valoir que le grief de violation de l’alinéa a de l’article 2 de la Convention est incompatible avec les dispositions de la Convention, manifestement mal fondé et insuffisamment étayé, dans la mesure où, dans sa communication, l’auteur n’a évoqué aucune insuffisance sur le plan législatif, et où l’État partie a adopté, depuis la fin des années 1990, d’importantes lois sur les droits des femmes et l’égalité des sexes. L’État partie fait expressément référence à l’intégration de l’article 2 de la Convention dans l’article 10 de sa Constitution en 2004. L’État partie ajoute qu’il a accepté l’obligation non seulement de s’abstenir de toute discrimination fondée sur le sexe, mais également de prendre toutes les mesures et d’adopter les politiques nécessaires pour que les hommes et les femmes aient des droits égaux et les moyens de les exercer.

4.3L’État partie soutient également que le grief de violation de l’alinéa a de l’article 5 de la Convention est incompatible avec les dispositions de la Convention, manifestement mal fondé et insuffisamment étayé, dans la mesure où l’auteur n’évoque aucun modèle de comportement socioculturel que l’État partie n’aurait pas modifié en s’abstenant de prendre des mesures appropriées. Il n’y a donc aucun lien patent entre le licenciement de l’auteur et un modèle socioculturel.

4.4L’État partie affirme également que le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention est manifestement mal fondé et insuffisamment étayé. Il considère que l’auteur n’a pas fourni d’informations substantielles suffisantes concernant tout lien éventuel entre son licenciement et sa relation présumée avec M. D. U., ou une quelconque discrimination entre M. D. U. et elle-même. L’État partie considère que l’auteur a été licenciée au motif qu’elle ne venait pas régulièrement travailler et qu’elle n’a pas respecté la déontologie professionnelle, tandis que M. D. U. venait travailler régulièrement et qu’aucun client ne s’était plaint à son sujet.

4.5En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie renvoie à la décision du tribunal du travail no 3 de Kocaeli, dans laquelle il a affirmé que «le contrat de travail de la plaignante a été résilié sans cause valable par le défendeur», et ordonné à celui-ci de lui verser une indemnisation de 15 000 livres turques environ. Ledit tribunal a également estimé que «le fait que M. D. U. n’ait pas été licencié par l’employeur [n’était] pas suffisant pour établir qu’il y avait eu une discrimination fondée sur le sexe … et qu’il n’y avait donc pas de fondement à une quelconque indemnisation complémentaire». L’État partie fait valoir que, conformément à la décision du tribunal du travail no 3 de Kocaeli rendue sur la base de l’article 5 de la loi relative au travail, et contrairement à ce que soutient l’auteur, celle-ci n’a pas été licenciée en raison de sa relation avec M. D. U., mais parce qu’elle ne venait pas régulièrement travailler et n’a pas respecté la déontologie professionnelle. L’État partie conclut donc que la requête de l’auteur ne présente pas d’élément nouveau susceptible de donner lieu à une décision différente de celle rendue par le tribunal du travail no 3 de Kocaeli.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans sa lettre du 3 juin 2011, l’auteur soutient que l’État partie a mal interprété les griefs qu’elle a soumis au Comité et les décisions des juridictions nationales. L’auteur reconnaît que l’État partie a introduit un certain nombre de changements novateurs et importants dans la législation et la Constitution en matière d’égalité des sexes. Toutefois, selon elle, ces nouvelles dispositions ne sont pas appliquées dans la pratique. Elle n’affirme donc pas que la législation est insuffisante mais invoque plutôt un manque de mise en œuvre concrète du principe de l’égalité des sexes.

5.2S’agissant de la violation alléguée de l’alinéa d du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention, l’auteur soutient que l’État partie a mal interprété les prétentions de chaque partie à l’instance devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli. Elle réaffirme donc que, lorsqu’elle a été licenciée, l’employeur lui a dit que c’était en raison de la plainte d’une cliente, et il n’a donné aucune autre explication. L’auteur rappelle qu’un témoin en sa faveur, Mme G. D., a indiqué dans sa déposition que l’un des gérants avait essayé de la forcer à signer un document attestant qu’elle avait pu exercer tous ses droits, et l’a menacée de répandre la rumeur qu’elle avait une relation avec un client au cas où elle refuserait de le signer. L’auteur n’a pas signé le document en question et a décidé de porter plainte devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli, afin d’obtenir une indemnité de licenciement et des dommages-intérêts.

5.3Toutefois, durant la procédure, l’employeur a présenté au tribunal du travail no 3 de Kocaeli une lettre de réponse et une déclaration de résiliation de contrat, dans lesquelles il soutenait que l’auteur avait été licenciée parce qu’elle avait eu une relation avec un collègue du sexe masculin, qu’elle avait fait étalage de cette relation sexuelle, que son comportement n’était pas conforme à la déontologie de la profession et qu’elle avait fait courir des rumeurs sur le lieu de travail. Un témoin en faveur de l’employeur, M. M. A., a également témoigné que l’auteur avait une relation avec son collègue, M. D. U. L’auteur affirme donc que, contrairement à la déclaration de l’État partie, ces plaintes ont été formulées par l’employeur. Compte tenu de celles-ci, l’auteur a engagé une action supplémentaire pour discrimination fondée sur le sexe sur le lieu de travail devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli, lequel a joint les deux instances. L’auteur fait valoir que les allégations de l’employeur selon lesquelles il lui avait demandé de s’expliquer, qu’elle avait refusé de le faire, qu’elle ne venait pas travailler régulièrement et qu’elle n’avait pas respecté la déontologie professionnelle, n’avaient pas été acceptées par le tribunal du travail no 3 de Kocaeli. C’était précisément pour cette raison que ce tribunal avait ordonné à l’employeur de verser à l’auteur une indemnité de licenciement et des dommages-intérêts.

5.4En outre, l’auteur soutient que les juridictions de l’État partie auraient dû examiner ensemble l’allégation de l’employeur selon laquelle elle avait une relation avec son collègue, la déclaration de résiliation de contrat présentée par l’employeur et les dépositions des témoins. Pris conjointement, ces éléments démontrent que les règles appliquées aux employés varient en fonction de leur sexe et que les hommes et les femmes salariés ne sont pas traités sur un pied d’égalité, en particulier en ce qui concerne l’évaluation de leur travail. Qui plus est, les tribunaux de l’État partie n’ont pas pris en considération l’acte d’accusation établi par le Procureur général le 5 septembre 2007 et fourni par l’auteur en tant qu’élément de preuve (voir par. 2.9 ci-dessus). Le tribunal du travail no 3 de Kocaeli n’a pas pris ces éléments en considération dans sa décision se rapportant à la plainte de l’auteur pour discrimination fondée sur le sexe. En appel, la Cour de cassation s’est abstenue de motiver sa décision de confirmation du jugement du tribunal du travail no 3 de Kocaeli. Les juridictions ont donc violé le droit de l’auteur à l’égalité de traitement, consacré à l’alinéa d du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention.

5.5L’auteur invoque également une violation de l’alinéa a de l’article 2 de la Convention, étant donné que l’État partie n’a pas mis en œuvre l’article 5 de la loi relative au travail. Elle affirme aussi à cet égard que l’alinéa c de l’article 2 a été violé, dans la mesure où l’État partie n’a pas instauré de protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes ni garanti, par le truchement des tribunaux nationaux compétents, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire.

5.6S’agissant de la violation alléguée de l’alinéa a de l’article 5 de la Convention, l’auteur considère qu’elle a démontré que tant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli que la Cour de cassation avaient pris leurs décisions en se fondant sur d’anciennes pratiques et conventions. Elle réaffirme que bien qu’en vertu de l’article 5 de la loi relative au travail les tribunaux soient tenus de déterminer si un employeur pratique la discrimination fondée sur le sexe, dans son affaire les juridictions n’ont pas tenu compte des éléments de fait et de preuve qu’elle avait présentés en ce sens, et elles ont approuvé les rôles et les comportements stéréotypés de domination masculine à son égard. En outre, dans sa décision, le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a affirmé que l’établissement où travaille l’auteur emploie essentiellement des femmes, argument qui n’a pas été soulevé au cours de la procédure et qui ne correspond pas à la réalité. De l’avis de l’auteur, une affirmation de ce type est également assimilable à un préjugé.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 26 juillet 2011, l’État partie a réaffirmé ses observations antérieures quant à la recevabilité et au fond, présentées le 28 avril 2011. Quant au fond, l’État partie soutient que, contrairement à l’allégation de l’auteur, le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a pris sa décision en tenant compte du principe d’égalité prévu à l’article 5 de la loi relative au travail. L’auteur n’a pas été licenciée du fait de sa relation avec M. D. U., mais en raison de sa présence irrégulière au travail et du non-respect de la déontologie professionnelle.

6.2Le 25 octobre 2011, à la demande du Comité, l’État partie a fourni une copie des décisions du tribunal du travail no 3 de Kocaeli et de la Cour de cassation dans la langue originale et dans leur traduction en anglais.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Conformément à l’article 64 de son Règlement intérieur, le Comité décide si une communication est recevable ou non en vertu du Protocole facultatif.

7.2Compte tenu des informations dont il est saisi et en l’absence de toute objection de la part de l’État partie, le Comité considère que l’auteur a épuisé tous les recours internes utiles et que les conditions prévues au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ont été remplies.

7.3Conformément à l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que l’affaire n’avait pas déjà été examinée et n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.4Le Comité constate que l’État partie soutient que la communication devrait être considérée irrecevable, conformément aux alinéas b et c du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, au motif que les griefs de l’auteur relatifs à l’article 2, à l’article 5 et à l’article 11 de la Convention sont incompatibles avec les dispositions de ladite Convention, manifestement mal fondés et insuffisamment étayés. Le Comité constate également que l’État partie affirme que l’auteur, dans sa communication, n’a mentionné aucune insuffisance législative, qu’elle n’a évoqué aucun modèle socioculturel que l’État partie n’aurait pas modifié en s’abstenant de prendre les mesures appropriées à cette fin, et qu’elle n’a pas fourni suffisamment d’informations de fond concernant un lien possible entre son licenciement et la relation qu’elle aurait eu avec M. D. U., ou une quelconque discrimination entre M. D. U. et elle-même.

7.5Le Comité constate que, en réponse à ces arguments, l’auteur fait valoir que l’État partie a mal interprété les griefs qu’elle a présentés au Comité et les décisions des juridictions nationales. Elle ne soutient pas que la législation est insuffisante, mais plutôt que le principe de l’égalité entre les sexes n’a pas été concrètement mis en œuvre; et que l’État partie s’est abstenu de mettre en place une protection juridique des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et de garantir, par l’intermédiaire des tribunaux nationaux compétents, la protection effective des femmes contre tout acte de discrimination.

7.6À cet égard, le Comité constate que les griefs de l’auteur concernant la discrimination fondée sur le sexe reposent essentiellement sur le fait que «sa relation à caractère apparemment sexuel avec des personnes du sexe opposé sur le lieu de travail» a été invoquée en tant que moyen de défense par l’employeur et son ou ses représentant(s) au cours de la procédure; qu’un collègue de sexe masculin avec lequel elle aurait eu une relation a continué de travailler au salon de coiffure, alors que son propre contrat était résilié; et que de supposées relations extraconjugales des collègues de sexe masculin étaient tolérées par l’employeur et jamais envisagées sous l’angle de la moralité.

7.7Le Comité constate en outre que le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a conclu que la résiliation du contrat de l’auteur n’avait pas de raison valable, et il a ordonné à l’employeur de verser à l’auteur des indemnités de licenciement et des indemnités compensatrices de préavis. Le tribunal a toutefois estimé qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve suffisants pour conclure qu’il y avait eu discrimination fondée sur le sexe. Le Comité constate également que le tribunal d’instance no 1 de Kocaeli a jugé que le gérant du salon de coiffure, M. M. A., et un autre employé étaient coupables de diffamation parce qu’ils avaient abordé des affaires relevant exclusivement de la vie privée dans la déclaration de résiliation de contrat, en indiquant que le comportement de l’auteur n’avait pas été conforme à la déontologie professionnelle parce qu’elle avait eu des relations sexuelles avec des personnes du sexe opposé.

7.8Compte tenu de ces éléments de fait spécifiques, le Comité est d’avis que les griefs de l’auteur ne peuvent être considérés comme manifestement mal fondés, mais que les questions de la recevabilité des griefs de l’auteur au titre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention et la mesure dans laquelle ils sont étayés dans la présente communication sont si étroitement liées au fond de l’affaire qu’il serait plus approprié de statuer sur ces points au stade de l’examen au fond. Le Comité considère par conséquent que les griefs de l’auteur au titre de l’article premier, des alinéas a et c de l’article 2, de l’alinéa a de l’article 5 et des alinéas a et d du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention sont suffisamment motivés aux fins de la recevabilité, et déclare donc la communication recevable.

Examen au fond

8.1Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie, conformément au paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

8.2En ce qui concerne la violation alléguée de l’obligation qui incombe à l’État partie en vertu des alinéas a et c de l’article 2 de la Convention d’instaurer une protection effective des femmes contre tout acte de discrimination, par voie de législation ou par le truchement des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, le Comité relève que l’État partie a souligné le fait que l’auteur n’avait fait valoir aucune faille législative, et il a affirmé que depuis la fin des années 1990, il a mis en place une législation importante sur les droits des femmes et l’égalité des sexes et que, en 2004, il a également incorporé l’article 2 de la Convention dans l’article 10 de sa Constitution. L’État partie a fait observer également que non seulement il a respecté son obligation de condamner la discrimination fondée sur le sexe mais il a également pris toutes les mesures nécessaires et adopté toutes les politiques requises pour que les femmes et les hommes aient des droits égaux et disposent d’instruments pour les exercer.

8.3Dans la présente communication, le Comité constate que, durant la procédure judiciaire devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli, le principal argument avancé par l’employeur dans sa lettre de réponse et dans sa déclaration de résiliation du contrat, pour justifier du renvoi de l’auteur, était l’allégation que l’auteur avait provoqué des rumeurs en faisant «étalage de relations à caractère apparemment sexuel avec des personnes du sexe opposé». Le gérant du salon de coiffure, M. M. A., a également témoigné que l’auteur entretenait une relation avec l’un des gérants, M. D. U., relation qui avait une incidence sur son travail et qui, selon lui, remontait au moment où ils étaient célibataires et s’était poursuivie après qu’ils se soient mariés chacun de leur côté. Par ailleurs, des témoins ont confirmé l’intégrité morale de l’auteur, et le fait que la plupart des hommes mariés du salon de coiffure avaient des relations extraconjugales et que l’auteur avait souvent dit ne pas être d’accord et contesté un tel état de fait. Le Comité constate également que l’auteur a fait valoir devant les tribunaux internes que les arguments sexistes invoqués par l’employeur pour se défendre violaient le principe de l’égalité de traitement inscrit à l’article 5 de la loi relative au travail. À cet égard, le Comité relève qu’en application de cet article, si l’employé démontre la forte probabilité d’une violation du principe de l’égalité de traitement, la charge de la preuve que la violation présumée n’a pas eu lieu repose sur l’employeur.

8.4Le Comité considère qu’il incombe aux tribunaux de l’État partie d’évaluer les faits et les preuves dans les affaires dont il est saisi et relève que, dans le cas présent, après avoir entendu et examiné les preuves, le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a déclaré que le licenciement de l’auteur était injustifié et illégal et a accordé à l’auteur des indemnités de licenciement. Le Comité relève également que le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas violation du principe de l’égalité de traitement au titre de l’article 5 de la loi relative au travail, qu’il ne pouvait être dit que l’auteur avait été licenciée parce qu’elle était une «femme» et que le fait que M. D. U., avec lequel l’auteur aurait eu une relation, était maintenu à son poste, n’était pas un élément suffisant pour établir une discrimination fondée sur le sexe. Le Comité relève que durant les procédures, l’employeur a prétendu que dans leur secteur d’activité, il était «impératif que les employés s’abstiennent de toute atteinte, fût-elle la plus légère, à la moralité». Le Comité relève en outre que l’argument de l’auteur selon lequel la plupart des hommes employés sur son lieu de travail avaient des relations extraconjugales, qu’elle avait souvent dit son dégoût pour cet état de fait et que M. D. U., gérant avec lequel elle était censée avoir une relation extraconjugale, était encore à son poste n’avait pas été contesté.

8.5En outre, durant le procès devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli, après un témoignage selon lequel les problèmes de l’auteur avec M. M. A. avaient débuté lorsqu’elle avait refusé de lui donner les clefs de chez elle pour qu’il y amène sa petite amie, ledit M. M. A., qui a contesté l’intégrité morale de l’auteur devant le tribunal, n’a pas contesté ce fait et a déclaré au tribunal qu’il n’avait demandé à d’autres collègues les clefs de leur appartement que dans l’optique de sa vie privée et que cela n’avait rien à voir avec l’auteur. Le Comité estime que, bien que le tribunal ait conclu à un licenciement abusif et ait accordé le versement d’indemnités de licenciement, il n’a pas tenu compte comme il le fallait du grief de discrimination fondée sur le sexe mentionné par l’auteur et des preuves présentées à l’appui de ce grief. Le Comité est d’avis que le tribunal a livré une interprétation très étroite du principe de l’égalité de traitement énoncé à l’article 5 de la loi relative au travail lorsqu’il a déclaré qu’il n’était pas possible d’affirmer que l’auteur avait été renvoyée uniquement au motif qu’elle était une femme et que le fait que M. D. U. était encore employé par le salon de coiffure ne suffisait pas à prouver la discrimination fondée sur le sexe. Le Comité a estimé que le tribunal du travail no 3 de Kocaeli n’a pas pris en considération le fait que l’affaire pour l’employeur reposait sur l’allégation de relation de l’auteur avec M. D. U., gérant, personne ayant autorité, qui a incontestablement le devoir d’afficher un comportement exemplaire et a également le devoir de «s’abstenir de toute atteinte, fût-elle la plus légère, à la moralité». Le Comité relève que le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a ignoré les preuves apportées par l’auteur pour étayer le fait que M. D. U. lui avait même demandé de retirer sa plainte contre l’employeur, sinon ce dernier l’accuserait d’avoir une liaison avec un autre homme, un certain M. M. Y.

8.6Le Comité estime que ni le tribunal du travail no 3 de Kocaeli ni la Cour de cassation n’ont tenu compte de la discrimination dont l’auteur faisait l’objet, conformément à l’article 5 de la loi relative au travail, et ont ainsi révélé leur insensibilité au sort des femmes. Les tribunaux n’ont pas accordé l’attention voulue à la claire indication de prime abord d’une atteinte à l’obligation d’égalité de traitement en matière d’emploi. Le Comité est particulièrement préoccupé par la façon dont la Cour de cassation a rejeté l’appel formé par l’auteur sans même motiver ses conclusions. La Cour a également ignoré le fait que M. M. A., principal témoin en faveur de l’employeur, et un autre employé avaient été déclarés coupables de diffamation et que le tribunal d’instance no 1 de Kocaeli avait conclu que les allégations figurant dans la déclaration de résiliation de contrat concernaient la vie privée de l’auteur. Le Comité rappelle les observations qu’il a formulées dans sa Recommandation générale no 28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, selon laquelle «conformément à l’alinéa c, les États parties doivent s’assurer que les tribunaux appliquent obligatoirement le principe d’égalité consacré dans la Convention et, dans toute la mesure possible, interprètent la loi conformément aux obligations que cet instrument impose». Dans ces conditions, le Comité estime que l’État partie n’a pas respecté ses obligations au titre des alinéas a et c de l’article 2, lus conjointement avec l’article premier de la Convention, en n’assurant pas l’application concrète du principe d’égalité de traitement prévu par la loi relative au travail et la protection effective des femmes contre tout acte de discrimination fondée sur le sexe.

8.7S’agissant du grief de l’auteur relatif à une violation de l’alinéa a de l’article 5 de la Convention, le Comité note que le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a conclu que le licenciement de l’auteur était injustifié dans la mesure où l’employeur n’avait présenté aucun élément de preuve concret démontrant que l’auteur aurait eu des «relations à caractère sexuel avec des personnes du sexe opposé» et que des contradictions étaient relevées dans les dépositions des témoins. Le Comité note avec préoccupation qu’à aucun moment le tribunal du travail no 3 de Kocaeli n’a formulé de commentaires négatifs sur la nature sexiste et discriminatoire des éléments de preuve produits au nom de l’employeur. Au lieu de rejeter d’emblée la défense de l’employeur, qui constituait clairement une discrimination fondée sur le sexe à l’encontre de l’auteur en violation du principe d’égalité de traitement, le tribunal a examiné les éléments de preuve produits par l’employeur et ne s’est attaché qu’à l’intégrité morale de l’auteur, employée de sexe féminin, et non pas à celle des hommes employés, à savoir M. M. A. et M. D. U. Contrairement au tribunal d’instance no 1 de Kocaeli, à aucun moment le tribunal du travail no 3 de Kocaeli ou la Cour de cassation n’ont rejeté les éléments de preuve produits par l’employeur comme relevant «entièrement» de la «vie privée» de l’auteur. Le Comité rejette l’affirmation de l’État partie selon laquelle le grief de l’auteur est manifestement mal fondé et insuffisamment étayé dans la mesure où elle n’a évoqué aucun modèle de comportement socioculturel que l’État partie n’aurait pas modifié en s’abstenant de prendre des mesures appropriées. Le Comité estime que, dans le cas présent, les procédures reposaient sur la perception stéréotypée de la gravité des liaisons extraconjugales pour la femme, selon laquelle les relations extraconjugales étaient acceptables de la part des hommes et non de celle des femmes et seules les femmes avaient l’obligation de «s’abstenir de toute atteinte, fût-elle la plus légère, à la moralité».

8.8Le Comité souligne que la pleine application de la Convention impose aux États parties non seulement de prendre des mesures pour éliminer toute discrimination directe et indirecte et améliorer la condition féminine de fait, mais aussi de modifier et transformer les stéréotypes liés au genre et éliminer les stéréotypes sexuels erronés, cause profonde et conséquence de la discrimination à l’égard des femmes. Le Comité estime que les stéréotypes sexuels sont entretenus par divers moyens et diverses institutions, y compris les lois et les systèmes juridiques, et qu’ils peuvent être perpétués par les acteurs étatiques, dans tous les secteurs et à tous les niveaux de l’administration, et par les acteurs privés. Dans le cas présent, le Comité estime que le tribunal du travail no 3 de Kocaeli a clairement laissé son raisonnement reposant sur le droit et les faits subir l’influence des stéréotypes, et la Cour de cassation, en ne tenant pas compte de la dimension de genre, a perpétué les stéréotypes sexistes sur le rôle des femmes et des hommes selon lesquels il est admis que ces derniers aient des liaisons extraconjugales. Le Comité conclut donc que l’État partie a violé l’alinéa a de l’article 5 de la Convention.

8.9S’agissant des griefs de l’auteur concernant une violation par l’État partie de ses droits au titre des alinéas a et d du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention, le Comité prend note de ses arguments selon lesquels elle a quitté son lieu de travail, a été «harcelée» par un représentant de l’employeur, à savoir l’un des gérants du salon de coiffure, et pressée de signer un document attestant que toutes les sommes dues lui avaient été versées et qu’elle avait pu exercer tous ses droits, l’auteur étant menacée, si elle ne le signait pas, de répandre des rumeurs selon lesquelles elle avait des «relations extraconjugales avec d’autres hommes». Le Comité relève que si l’auteur avait signé le document en question, cédant aux pressions exercées sur elle, elle n’aurait pu ensuite engager de poursuites contre son employeur. Le Comité relève en outre que, bien que l’auteur n’ait pas signé le document, elle a déclaré qu’étant mariée, elle était effrayée par les menaces exercées contre elle. Le Comité estime que les pressions exercées contre l’auteur et la nature de la menace et du harcèlement sont liées au fait qu’elle est une femme, et une femme mariée, et constituent une violation du principe d’égalité de traitement. Le Comité estime en outre que l’obligation de l’employeur de se garder de toute discrimination fondée sur le sexe, y compris du harcèlement, ne prend pas fin avec la résiliation du contrat de travail. Dans le cas présent, le Comité constate que l’employeur avait non seulement menacé de propager des rumeurs quant à de prétendues liaisons extraconjugales de l’auteur mais qu’il avait également fait valoir devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli qu’elle faisait étalage de «relations manifestement d’ordre sexuel avec des personnes du sexe opposé, sur le lieu de travail». Il constate en outre que le gérant du salon de coiffure et un autre employé ont été reconnus coupables de diffamation par le tribunal d’instance no 1 de Kocaeli compte tenu du fait que, dans la déclaration de résiliation de contrat, ils ont indiqué que l’auteur avait un comportement contraire à la déontologie en ayant des relations sexuelles avec des personnes de sexe opposé. À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que le traitement réservé à l’auteur par son ancien employeur dans le contexte de la résiliation illégale de son contrat de travail en violant son droit au travail et à l’égalité de traitement constituait une discrimination fondée sur le sexe au titre des alinéas a et d du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention et, partant, que l’auteur avait subi une violation de ses droits au titre des dispositions y énoncées, dont les tribunaux de l’État partie n’ont pas tenu compte.

8.10Agissant en application du paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, et compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations qui lui incombent au titre des alinéas a et cde l’article 2, lus conjointement avec l’article premier, ainsi qu’en vertu de l’alinéa a de l’article 5 et des alinéas a et d du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention. En conséquence, il formule les recommandations ci-après à l’intention de l’État partie:

a) Concernant l ’ auteur de la communication :

Accorder à l’auteur des réparations proportionnées à la gravité de la violation de ses droits, y compris une indemnisation adéquate, conformément à l’article 5 de la loi relative au travail;

b) Concernant le contexte général :

i)Prendre des mesures pour veiller à ce que l’article 5 de la loi relative au travail et la Convention soient appliqués concrètement par les tribunaux nationaux pertinents et d’autres institutions publiques afin de garantir la protection effective des femmes contre tout acte de discrimination fondée sur le sexe dans le cadre de l’emploi;

ii)Assurer, sur une base régulière, la formation voulue sur la Convention, le Protocole facultatif s’y rapportant et les recommandations générales du Comité à l’intention des juges, des avocats et des responsables de l’application des lois, en l’abordant sous l’angle des considérations liées au genre, de façon à garantir que les préjugés et valeurs stéréotypés n’influent pas sur la prise de décisions.

8.11Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examinera dûment les constatations et les recommandations du Comité, auquel il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant notamment de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est en outre prié de rendre publiques les constatations et recommandations du Comité et de les faire traduire dans les langues nationales officielles ainsi que de les diffuser largement afin d’atteindre tous les secteurs concernés de la société.

[Adopté en anglais (version originale), en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe.]

Appendice

Opinion individuelle (concordante) de Mme Pramila Patten, membre du Comité

Bien que j’approuve l’opinion de la majorité des membres du Comité quant au fait que l’État partie n’a pas respecté ses obligations au titre des alinéas a et c de l’article 2, lus conjointement avec l’article premier de la Convention, je souhaite faire valoir un certain nombre d’éléments concernant son raisonnement. Premièrement, s’agissant de la violation de l’alinéa c de l’article 2, j’aimerais souligner que l’obligation de l’État partie de «garantir … la protection effective» des droits fondamentaux des femmes dans leur dispositif national est une obligation de résultat impérieuse. La protection «effective» au sens de l’alinéa c de l’article 2 vise à la fois l’offre d’un recours juridiquement contraignant ou utile en cas de violation des droits et une protection réellement disponible. En l’espèce, on peut difficilement dire que l’article 5 de la loi relative au travail a offert une protection effective à l’auteur.

Il convient également de souligner que, si la loi relative au travail en vigueur dans l’État partie renferme une disposition spécifique garantissant le principe de l’égalité de traitement, l’article 5 de cette loi ne prévoit qu’une indemnisation représentant au plus quatre mois de salaire et ne comporte aucune disposition concernant une éventuelle réintégration dans l’entreprise. Je relève par ailleurs que, dans la même disposition, la charge de la preuve quant à la violation incombe à l’employé; ce n’est que si l’employé est capable de démontrer la «forte probabilité qu’une telle violation a été commise» que la charge de la preuve repose alors sur l’employeur.

À maintes reprises le Comité a rappelé que l’existence de dispositions législatives ne suffit pas et que, dans la Convention, l’égalité est comprise non pas au sens de simple égalité en droit mais comme une égalité fondamentale. Conformément à l’alinéa c de l’article 2, les États parties doivent s’assurer que les tribunaux appliquent obligatoirement le principe d’égalité consacré dans la Convention et, dans toute la mesure possible, interprètent la loi conformément aux obligations que cet instrument leur impose.

Dans le cas présent, tout au long des procédures devant les tribunaux nationaux, l’auteur a fait valoir qu’elle avait souffert de discrimination fondée sur le sexe et que le principe de l’égalité de traitement avait été bafoué. Immédiatement après avoir pris connaissance des allégations dont elle faisait l’objet, comme indiqué dans la lettre de réponse et dans la déclaration de résiliation du contrat, l’auteur a engagé une action supplémentaire au titre de l’article 5 de la loi no 4857 (2003) relative au travail, qui dispose qu’aucun employeur ne peut opérer de discrimination, directement ou indirectement, contre un employé lors de la conclusion d’un contrat de travail, de la détermination des conditions y énoncées, de l’exécution du contrat et de la cessation de la relation d’emploi en se fondant sur le sexe de l’employé ou sur sa grossesse. Le tribunal ayant regroupé les deux plaintes déposées par l’auteur, l’affaire pour l’auteur a entièrement reposé sur la discrimination fondée sur le sexe dont elle a fait l’objet et sur son renvoi de son poste fondé sur le fait qu’elle est une femme. L’auteur a même engagé des poursuites pénales pour diffamation contre M. M. A. et deux autres employés qui avaient rédigé la déclaration de résiliation de contrat contenant les allégations à son endroit. Dans le cas présent, tant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli que la Cour de cassation n’ont pas dûment pris en compte la plainte de l’auteur pour discrimination fondée sur le sexe et les éléments de preuve accablants à son appui. Les tribunaux se sont livrés à une interprétation extrêmement étroite du principe d’«égalité de traitement» énoncé à l’article 5 de la loi relative au travail et ont rejeté la plainte de l’auteur au titre de l’article 5 de la loi relative au travail.

S’agissant du grief de violation de ses droits au titre de l’alinéa a de l’article 2, l’auteur ne s’est pas plainte de l’absence de textes législatifs mais plutôt de la non-application concrète du principe d’égalité des sexes. Selon moi, l’État partie a fait preuve d’un manque de compréhension manifeste de son obligation de garantir la réalisation concrète du principe d’égalité. Dans sa réponse au Comité, l’État partie a réaffirmé qu’il a mis en place une législation importante ayant trait aux droits des femmes et à l’égalité des sexes et qu’il s’est acquitté de son obligation de condamner la discrimination fondée sur le sexe, mais n’a pas prêté attention aux observations de l’auteur qui admettait que des changements novateurs et importants étaient intervenus dans la législation et la Constitution de l’État partie au sujet de l’égalité des sexes, tout en soulignant que ces nouvelles dispositions ne sont pas appliquées dans la pratique.

L’alinéa a de l’article 2 souligne l’importance de la jouissance des droits dans les faits ainsi que dans la législation, distinction que le Comité fait observer clairement et régulièrement. Dans ses directives concernant l’établissement des rapports qui lui sont destinés, le Comité demande même que les informations présentées dans les rapports des États parties soient plus analytiques sur les effets produits par la législation.

Dans ces conditions, j’estime que l’État partie n’a pas respecté ses obligations au titre des alinéas a et c de l’article 2, lus conjointement avec l’article premier de la Convention, en n’assurant pas la réalisation concrète du principe d’égalité de traitement consacré par la loi relative au travail et la protection effective des femmes contre tout acte de discrimination fondée sur le sexe.

Je souscris pleinement au raisonnement de la majorité des membres du Comité selon lequel, dans son raisonnement, le tribunal du travail no 3 de Kocaeli s’est laissé influencer par des stéréotypes au lieu de se fonder sur le droit et les faits, et selon lequel la Cour de cassation n’a pas annulé la décision du tribunal, a perpétué des stéréotypes sexistes quant au rôle des femmes et des hommes, ces derniers étant autorisés à avoir des liaisons extraconjugales. Je conclus, moi aussi, que l’État partie n’a pas respecté l’alinéa a de l’article 5 de la Convention.

Je partage l’opinion de la majorité des membres du Comité selon laquelle il y a eu violation par l’État partie des droits de l’auteur au titre des alinéas a et d de l’article 11. Toutefois, je n’approuve pas le raisonnement dont il est fait part dans cette opinion eu égard auxdites violations.

À l’appui de son grief de violation de ses droits au titre des alinéas a et d de l’article 11 de la Convention, l’auteur a affirmé que son employeur aurait tenté de la contraindre à signer un document attestant qu’elle avait pu exercer tous ses droits, la menaçant, si elle ne le signait pas, de propager des rumeurs quant à une liaison avec d’autres hommes. L’auteur a fait valoir en tant que tel qu’elle était soumise à une discrimination fondée sur le sexe − «harcèlement» − de la part de l’employeur et que les tribunaux n’avaient pas pris cela en compte et ne lui avaient pas accordé d’indemnisation pour ce fait. L’auteur a également fait valoir que le principe d’égalité de traitement a été violé du fait du renvoi d’une employée au motif d’une présumée liaison extraconjugale qu’elle avait au travail.

Je n’approuve pas l’argument de l’État partie selon lequel le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention est manifestement mal fondé et insuffisamment étayé et selon lequel l’auteur n’a pas fourni d’informations substantielles suffisantes concernant un lien éventuel entre son licenciement et sa relation présumée avec M. D. U. ou sur une quelconque discrimination entre M. D. U. et elle-même, et elle a été licenciée au motif qu’elle ne venait pas régulièrement travailler et n’a pas respecté la déontologie professionnelle, tandis que M. D. U. était assidu au travail et n’avait été visé par aucune plainte de la part de la clientèle.

J’approuve l’argument de l’auteur selon lequel l’État partie a mal interprété les prétentions de chaque partie à l’instance devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli. Dans sa déposition, elle a réaffirmé que durant la première procédure pour licenciement abusif, l’employeur a présenté au tribunal du travail no 3 de Kocaeli une lettre de réponse et une déclaration de résiliation de contrat, dans lesquelles il soutenait que l’auteur avait été licenciée parce qu’elle avait une liaison avec un collègue de sexe masculin, qu’elle a révélé cette relation sexuelle, que son comportement n’était pas conforme à la déontologie de la profession et qu’elle avait fait courir des rumeurs sur le lieu de travail. Un témoin en faveur de l’employeur, M. M. A., a même témoigné que l’auteur avait une relation avec son collègue, M. D. U. L’auteur a également affirmé que, contrairement à la déclaration de l’État partie, ces plaintes ont été formulées par l’employeur et ont constitué la base de l’affaire pour l’employeur. L’auteur a expliqué que c’était à la suite de telles allégations de l’employeur qu’elle avait engagé une action supplémentaire pour discrimination fondée sur le sexe sur le lieu de travail devant le tribunal du travail no 3 de Kocaeli, lequel a joint les deux instances. L’auteur a ajouté que les allégations de l’employeur selon lesquelles elle n’avait pas répondu à sa demande d’explications, ne venait pas travailler régulièrement et n’avait pas respecté la déontologie de la profession, ont toutes été rejetées par le tribunal du travail no 3 de Kocaeli, qui a déclaré la résiliation du contrat illégale et a ordonné à l’employeur de verser à l’auteur une indemnité de licenciement et des dommages-intérêts.

L’auteur fait valoir que, en vertu de l’article 5 de la loi no 4857 (2003) relative au travail, qui dispose qu’aucun employeur ne peut opérer de discrimination, directement ou indirectement, contre un employé lors de la conclusion d’un contrat de travail, de la détermination des conditions y énoncées, de l’exécution du contrat et de la cessation de la relation d’emploi en se fondant sur le sexe de l’employé ou sur sa grossesse, les tribunaux sont tenus de déterminer si un employeur se livre à la discrimination fondée sur le sexe, qu’elle soit directe ou indirecte. Le tribunal ayant joint les deux actions engagées par l’auteur, l’affaire a entièrement reposé sur la discrimination fondée sur le sexe dont l’auteur avait été victime et sur son licenciement lié au fait qu’elle était une femme. L’auteur fait valoir que les tribunaux ont ignoré tous les faits et preuves qu’elle a soumis au sujet de la discrimination fondée sur le sexe, y compris le harcèlement et les pressions dont elle a fait l’objet pour qu’elle signe un document concernant ses droits et avantages pécuniaires, étant menacée, si elle ne s’exécutait pas, de la propagation de rumeurs concernant une présumée liaison avec d’autres hommes. Le grief de l’auteur au titre de l’article 5 de la loi relative au travail a donc été rejeté et elle s’est vu refuser une indemnisation au titre des dispositions dudit article.

L’alinéa d du paragraphe 1 de l’article 11 concerne le droit à l’égalité de rémunération, y compris de prestations, à l’égalité de traitement pour un travail d’égale valeur aussi bien qu’à l’égalité de traitement en ce qui concerne l’évaluation de la qualité du travail. Le terme «rémunération» figurant à l’alinéa d du paragraphe 1 de l’article 11 englobe, comme convenu lors des travaux préparatoires, la définition élargie du salaire donnée dans la Convention no 100 de l’Organisation internationale du Travail, si bien que la rémunération inclut «le salaire ou traitement ordinaire, de base ou minimum, et tous autres avantages, payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier». Les paiements et avantages inclus dans une définition aussi vaste sont les indemnités pour perte d’emploi et l’indemnité de rupture de contrat abusive, notamment.

Je relève que, bien que le tribunal du travail no 3 de Kocaeli ait conclu que le renvoi de l’auteur était injustifié et illégal, il n’a été versé à l’auteur qu’une indemnité pour perte d’emploi et une indemnité compensatrice de préavis pour son licenciement abusif, et qu’elle a perdu son emploi après six années de service. Le tribunal du travail no 3 de Kocaeli et la Cour de cassation ont également rejeté le grief de l’auteur selon lequel elle avait été victime de discrimination fondée sur le sexe et, en tant que telle, n’avait pu obtenir d’indemnités au titre de l’article 5 de la loi relative au travail. Ni le tribunal du travail no 3 de Kocaeli ni la Cour de cassation ne se sont penchés sur la façon arbitraire dont l’auteur a été renvoyée et sur les conséquences pour la carrière de l’auteur des actes illicites de l’employeur et de la discrimination fondée sur le sexe dont elle a été l’objet. Pour une femme de 40 ans comme l’auteur, il a pu être difficile de retrouver un emploi à l’époque où elle a soumis la communication, en 2009.

La loi relative au travail en vigueur dans l’État partie ne contenant pas de disposition ayant trait à une éventuelle réadmission dans l’entreprise ou réintégration de l’auteur à son poste, j’aimerais souligner que le droit au travail est un droit humain fondamental, fortement ancré dans le droit international et profondément enraciné dans les fondements des droits de l’homme universels. L’article 11 de la Convention comporte la disposition la plus complète ayant trait au droit des femmes de travailler et, en ses paragraphes 1 à 3, il définit les éléments clefs du droit au travail, qui englobent le droit à la sécurité de l’emploi, le droit à l’égalité de prestation et à l’égalité de traitement dans l’évaluation de la qualité du travail. L’article 11 impose aux États parties de prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine de l’emploi, afin d’assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les mêmes droits, en particulier le droit au libre choix de la profession et de l’emploi, le droit à la promotion, à la stabilité de l’emploi et à toutes les prestations et conditions de travail. Si le Comité a souvent appelé l’attention sur la place centrale qu’occupe le travail dans la vie des femmes, l’auteur a perdu son emploi bien que le tribunal ait conclu que son licenciement était injustifié et illégal. Par conséquent, je conclus que l’État partie n’a pas garanti à l’auteur l’égalité réelle au travail, que les actes et agissements de l’employeur et de ses représentants ont abouti à un déni du droit de l’auteur à l’emploi ainsi qu’à un déni de la sécurité de l’emploi. Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’auteur a été victime d’une violation de ses droits au titre des alinéas a et d de l’article 11 de la Convention.

Je m’associe aux recommandations faites par la majorité des membres du Comité.

(Signé) Pramila Patten

[Fait en anglais (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]