Paragraphes

Page

Introduction

1–5

4

Alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 : question déjà examinée

6–32

4

Introduction

6–10

4

Identité de l’auteur

11–16

6

Le fond de l’affaire et la champ d’application des dispositions dans d’autres traités relatifs aux droits de l’homme

17–22

8

Enquêtes de nature différente

23–25

10

Requêtes déjà examinées

26–30

11

Faits nouveaux

31–32

12

Alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 : autre procédure d’enqête ou de règlement international

33–40

13

Alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 : recevavilité ratione temporis

41–55

16

Paragraphe 3 de l’article 7 : voies de recours recommandées par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme

56–104

21

Introduction

56–62

21

Suggestions et recommandations

63–69

23

Accès aux instances judiciaires

70–81

25

Rétablissement

82–86

28

Indemnisation

87–91

30

Réhabilitation

92–93

31

Mesures de caractère général visant à éviter des violations à l’avenir

94–101

32

Principe du non-refoulement

102

34

Divers

103-105

35

Paragraphes 4 et 5 de l’article 7 : mesures prises par les États parties en réponse aux observations du Comité

106–115

35

Responsabilité des États parties quant aux actes d’acteurs non étatiques

116–138

39

Annexe

Dispositions comparables

57

Liste des abréviations

CIDH

Commission interaméricaine des droits de l’homme

OIT

Organisation internationale du Travail

UNESCO

Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la scienceet la culture

HCR

Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés

I.Introduction

À sa vingt-septième session, le Comité a recommandé à la Division de la promotion de la femme d’établir un document de travail sur diverses dispositions du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Ce document a été présenté au Groupe de travail des communications créé en vertu du Protocole facultatif, à sa deuxième session. Le présent document constitue la version finale demandée par le Comité. Il a été établi par Mme Ineke Boerefin du Netherlands Institute of Human Rights.

Il contient un aperçu général et une analyse de l’interprétation de dispositions d’autres traités relatifs aux droits de l’homme qui sont identiques ou analogues aux dispositions du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La jurisprudence du Comité des droits de l’homme, du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, du Comité contre la torture, de la Commission européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que de la Commission interaméricaine et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme y est passée en revue.

Le présent document porte en premier lieu sur un certain nombre de critères de recevabilité énoncés à l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le premier point étudié concerne le critère selon lequel le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes déclare irrecevable toute communication ayant trait à une question qu’il a déjà examinée ou qui a déjà fait ou fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement internationale. On cherchera à établir ce que recouvrent exactement les expressions « question déjà examinée » et « autre procédure ». Le second point concerne la recevabilité ratione temporis aux termes de laquelle le Comité ne peut examiner une communication portant sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la Convention, à moins que ces faits ne persistent après cette date.

Un certain nombre de points ayant trait à l’article 7 du Protocole facultatif sont ensuite abordés, en particulier la question des recommandations faites aux États parties à l’issue de l’examen d’une communication ainsi que la suite donnée par les États parties aux constatations faites par le Comité.

La question de la responsabilité des États parties pour la conduite d’intervenants non étatiques est ensuite examinée. Cette question est visée à l’article 2 du Protocole, qui dispose que les particuliers doivent affirmer être victimes d’une violation « par l’État partie ».

II.Alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 : question déjà examinée

A.Introduction

L’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention dispose que :

« Le Comité déclare irrecevable toute communication :

a)Ayant trait à une question qu’il a déjà examinée ou qui a déjà fait l’objet ou qui fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement internationale; ».

L’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’alinéa a) du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 35 (anciennement article 27) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le paragraphe d) de l’article 47 de la Convention interaméricaine relative aux des droits de l’homme comportent tous des dispositions analogues, qui consacrent elles aussi le principe de la res judicata (« chose jugée ») dans le contexte des critères de recevabilité. Selon ce principe, l’examen d’une communication qui est en cours d’examen ou a déjà été examinée par un organe de surveillance international ne peut être imposé à aucun État. Il a pour but d’éviter la recherche par les particuliers de la juridiction la plus avantageuse.

La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ne comporte pas de disposition analogue à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Il en découle que rien ne s’oppose à l’examen par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale d’une communication qui est ou a déjà été examinée dans le cadre d’une autre procédure. Dans une affaire où l’État partie faisait objection à la recevabilité de la communication le concernant au motif que la Cour européenne des droits de l’homme avait été saisie d’une affaire similaire, le Comité a indiqué que « l’auteur de la présente communication n’avait pas, quant à elle, saisi la Cour européenne et que, même si elle l’avait fait, ni la Convention ni le règlement intérieur n’empêchaient le Comité d’examiner une affaire qui était également examinée par une autre instance internationale ».

Dans son énoncé, le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques se démarque en disposant clairement que le Comité des droits de l’homme est le seul organe compétent pour examiner les communications ayant déjà été examinées par une autre instance internationale. Un certain nombre d’États parties à ce protocole ont fait des réserves à cette disposition, ce qui a eu pour effet de rendre impossible l’examen par le Comité des droits de l’homme des communications ayant déjà été examinées par une autre instance.

Dans le cas du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ce motif d’irrecevabilité constitue une restriction de caractère suspensif, qui implique que le Comité des droits de l’homme peut poursuivre l’examen de la communication si le motif d’irrecevabilité a cessé d’exister du fait du retrait de la communication ou de l’achèvement de l’examen. Dans le cadre des autres traités, ce motif d’irrecevabilité est définitif et sans appel.

Pour décider si une communication soumise concerne « la même question » (ou « question déjà examinée »), il convient de prendre en compte l’identité de l’auteur de la communication (sect. 2.2), les faits ayant motivé la plainte et le champ d’application de la disposition invoquée (sect. 2.3), la nature de l’examen par une autre instance internationale (sect. 2.4) et la signification exacte de l’expression « a été examinée » (sect. 2.5). La possibilité pour la Cour européenne des droits de l’homme de réexaminer des demandes contenant de nouveaux éléments d’information est étudiée à la section 2.6. La signification exacte de l’expression « une autre procédure d’enquête ou de règlement internationale » ayant également son importance, elle est étudiée à la section 3.

B.Identité de l’auteur

Dans l’affaire Fanali c. Italie, le Gouvernement italien a contesté la recevabilité de la communication au motif que, de son point de vue, la même question avait été soumise à la Commission européenne des droits de l’homme par les anciens codéfendeurs de M. Fanali, qui se plaignaient des mêmes violations présumées liées à la procédure, à la compétence et à la décision de la Cour constitutionnelle italienne. L’État partie a avancé que l’élément déterminant devrait être le fond de l’affaire, à savoir la « question » soumise à l’instance internationale, et non le particulier auteur de la plainte. Le Comité des droits de l’homme a contredit l’État partie, déclarant que :

« au sens de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, l’expression “la même question” devait s’entendre notamment de la même demande concernant le même individu, présentée par lui ou quelqu’un d’autre habilité à agir en son nom devant l’autre instance internationale ».

Si la communication a été soumise à une autre instance internationale par un parent proche, cette instance doit être dessaisie de l’affaire pour que le Comité des droits de l’homme puisse l’examiner. Toutefois, il n’est pas interdit que le Comité des droits de l’homme examine une communication lorsque la même question a été soumise à une autre instance internationale par une tierce personne sans lien de parenté avec l’auteur. Le Comité des droits de l’homme a noté que l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif :

« ne saurait signifier qu’une personne étrangère à l’auteur, agissant à l’insu et sans l’aveu de celui-ci, peut l’empêcher de saisir le Comité des droits de l’homme. C’est pourquoi il a conclu que le fait que l’affaire ait été portée devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme par une personne étrangère à la victime présumée ne l’empêchait pas d’examiner la communication dont il avait été saisi et que la communication adressée à la Commission interaméricaine des droits de l’homme ne constituait pas “la même question”, au sens de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 ».

Cette constatation est analogue à la procédure énoncée à l’article 33 du Règlement intérieur de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, qui prévoit que la Commission ne s’abstiendra pas d’examiner une pétition lorsque l’auteur de la pétition soumise à la Commission ou un membre de sa famille est la victime de la violation présumée, et le pétitionnaire devant l’autre organisation ou organisme est une tierce personne ou une entité non gouvernementale qui n’a pas reçu de mandat de la victime ou d’un membre de sa famille. Cependant, lorsque la Commission elle-même a déjà examiné la même question soumise par une personne n’ayant aucun lien de parenté, elle ne peut examiner la plainte lorsqu’elle est ensuite soumise par un membre de la famille. Elle a, par exemple, rejeté une demande soumise au nom de la veuve d’une victime, au motif qu’elle avait déjà examiné la question après soumission d’une demande par un autre particulier, sans lien de parenté. Les requérants ont fait valoir que la première affaire avait été portée devant la Commission sans que la famille de la victime n’en soit informée ni y consente, et que le rapport établi par la Commission ne comportait pas d’exposé complet des questions de fait et de droit à l’appui. La Commission a mis en avant le caractère général du libellé de l’article 44 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, qui dispose que toute personne ou tout groupe de personnes, toute entité non gouvernementale légalement reconnue dans un ou plusieurs États Membres de l’Organisation peuvent soumettre à la Commission des pétitions contenant des dénonciations ou plaintes relatives à une violation de la Convention par un État partie. Elle a déclaré que la Convention opérait une distinction entre le requérant et la victime. Cette disposition implique, notamment, qu’absolument aucun lien entre la victime et le requérant n’est requis et que, par conséquent, le consentement de la victime n’est pas non plus obligatoire.

Dans l’affaire Conseil des syndicats de services publics et al., la Commission européenne des droits de l’homme était saisie d’un dossier analogue à un autre soumis au Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du Travail (OIT). La Commission européenne a estimé que les requérants étaient différents, les plaintes déposées auprès de l’OIT l’ayant été par le Trade Union Congress (Congrès des syndicats), par l’intermédiaire de son Secrétaire général, en son nom propre. Elle a établi que les six particuliers requérants ayant saisi la Commission n’auraient pas été en mesure de déposer ces plaintes, le Comité de la liberté syndicale ayant été établi pour examiner les plaintes émanant d’organisations de salariés et d’employés, et non de particuliers. Le fait que le Conseil des syndicats de services publics ait été membre du Trade Union Congress ne faisait pas obstacle à la recevabilité. Dans une autre affaire, relativement analogue, la Commission a déclaré une requête irrecevable du fait qu’elle avait déjà été portée devant l’OIT par la Fédération mondiale des travailleurs de l’industrie; quatre sections syndicales se sont associées à la requête concernant le licenciement des employés concernés. La Commission européenne a fait la constatation que les 23 particuliers requérants n’étaient pas les plaignants qui avaient comparu devant les organes de l’OIT, mais la plainte était en substance soumise par les mêmes plaignants. Elle a donc déclaré la communication irrecevable en application de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 27 (devenu l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 35).

Dans la jurisprudence ultérieure, la Commission a réaffirmé sa position initiale, déclarant que, si les requérants qui saisissent la Commission européenne et ceux qui saisissent, par exemple, le Comité des droits de l’homme ne sont pas les mêmes, la plainte ne peut être considérée comme fondamentalement identique. Elle a déclaré qu’une requête ayant le même objet qu’une requête faite précédemment dans le cadre d’une autre procédure d’enquête internationale mais étant le fait d’un autre requérant ne peut être considérée comme véritablement identique à la question soumise à cette autre procédure internationale.

En cas de décès de la personne ayant introduit une requête, les héritiers sont considérés comme étant les successeurs légaux du requérant et, en tant que tels, comme ayant la même identité que le requérant décédé. Si ces derniers souhaitent présenter à nouveau les requêtes qui avaient été soumises précédemment par le requérant, ils doivent donc présenter de nouveaux éléments d’information pour que leur requête soit recevable.

C.Le fond de l’affaire et le champ d’application des dispositions dans d’autres traités relatifs aux droits de l’homme

Le point suivant qui doit être pris en compte est la question du fond de l’affaire et de la mesure dans laquelle les dispositions des traités relatifs aux droits de l’homme pertinents offrent un niveau de protection équivalent.

Dans un certain nombre d’affaires, le Comité des droits de l’homme a dû se pencher sur le fond de la communication pour décider si elle traitait de la « même question » qu’une affaire ayant été traitée par une autre instance internationale. C’est ce qu’elle a dû faire en particulier dans les affaires dans lesquelles l’État partie invoquait la réserve faite à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui empêche le Comité des droits de l’homme d’examiner une communication lorsque « la même question » a déjà été examinée dans le cadre d’une autre procédure internationale. Lorsqu’une communication ne concerne pas « la même question » dans l’acception établie à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole, le Comité des droits de l’homme peut poursuivre l’examen de cette communication, même si une autre instance a examiné auparavant la plainte déposée. Pour déterminer si une communication concerne effectivement « la même question », le Comité étudie les faits et les exposés de l’affaire, ainsi que le texte et le champ d’application des dispositions pertinentes des traités. Dans certains cas, ce sont les faits déterminants qui ont joué dans la décision; dans d’autres, c’est le champ d’application des dispositions des traités.

Dans l’affaire V. Ø. c. Norvège, un père a dénoncé le déni d’examen équitable dans une affaire de garde d’enfant, affirmant qu’il avait été victime de violations de son droit à un procès équitable, de son droit à une vie de famille et de son droit d’être protégé contre toute discrimination. L’État partie a contesté la recevabilité au motif que la même question avait été examinée par la Commission européenne. La Commission européenne a, quant à elle, déclaré la plainte irrecevable car manifestement non fondée. L’auteur de la communication a fait valoir notamment que les dispositions pertinentes de la Convention européenne des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques différaient. Dans ses constatations, le Comité des droits de l’homme a réaffirmé que l’expression « la même question » signifiait que les parties, les plaintes déposées avancées et les faits invoqués à leur appui étaient identiques. Dans cette affaire, le Comité a estimé que la question dont il était saisi était bel et bien identique à celle qui avait été examinée par la Commission européenne, sans entrer dans le détail du champ d’application des diverses dispositions invoquées.

Dans une affaire dans laquelle l’Autriche a invoqué la réserve qu’elle avait faite à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques au motif que la communication avait déjà été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme, le Comité des droits de l’homme a conclu que l’auteur avançait des allégations ponctuelles de discrimination et de violation du principe de l’égalité devant la loi, qui n’avaient pas été, et n’auraient d’ailleurs pas pu être, formulées devant les instances européennes. Il a donc considéré que la réserve de l’État partie au Protocole facultatif ne l’empêchait pas d’examiner la communication. Toutefois, dans une affaire portant sur le droit à un procès équitable, le Comité des droits de l’homme a estimé que, même si les organes directeurs n’étaient pas toujours d’accord sur l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le texte et le champ d’application de leurs dispositions ne donnaient généralement pas lieu à polémique. L’État partie concerné, à savoir l’Autriche, avait invoqué la réserve qu’il avait faite à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et, du fait d’une grande similarité entre les deux dispositions, le Comité des droits de l’homme a décidé que la communication était irrecevable, déclarant qu’il était empêché de réexaminer une conclusion de la Cour européenne concernant l’applicabilité du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne en lui substituant sa jurisprudence concernant le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Selon le Comité des droits de l’homme, une affaire ayant été présentée devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme avant l’entrée en vigueur pour l’État partie du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de son Protocole facultatif ne saurait concerner la même question. La Cour européenne a fait la même constatation : lorsqu’une affaire couvre une période autre que celle couverte par une décision précédente, la requête ne peut alors être déclarée irrecevable. De plus, on ne peut dire d’une référence de deux lignes à l’auteur d’une communication présentée à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, dressant de façon identique la liste de centaines de particuliers présumés détenus en Uruguay, qu’il s’agit de « la même question » que la description détaillée faite par l’auteur dans la communication qu’il a présentée au Comité des droits de l’homme.

Dans l’affaire Blaine c. Jamaïque, la Commission interaméricaine des droits de l’homme s’est demandée si elle pouvait prendre en considération une requête dont elle était saisie et qui avait été examinée par le Comité des droits de l’homme. Elle a déclaré que le fait qu’une communication porte sur une personne ayant déjà été concernée par une requête présentée précédemment ne constituait qu’un élément de réitération et qu’il fallait également tenir compte de la nature des requêtes déposées et des faits invoqués à leur appui. Selon la Commission, la présentation de faits nouveaux ou d’une requête suffisamment différente de la précédente concernant la même personne pouvait, dans certaines circonstances, déboucher sur l’examen de cette requête. Elle a ajouté que, dès lors qu’une deuxième présentation de requête concernait des droits non couverts par la compétence ratione materiae de l’instance qui avait été saisie de la première requête, la question ne devait pas, en principe, être considérée comme faisant double emploi. La Commission interaméricaine a ensuite fait part de son interprétation de l’expression « la même en substance », énoncée à l’alinéa d) de l’article 47 comme suit :

« dans les cas de réitération proscrits, on retrouve, en principe, le même particulier, les mêmes allégations et garanties juridiques, et les mêmes faits avancés à leur appui. Cela implique essentiellement qu’un requérant ne peut déposer une requête devant le Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies pour dénoncer la violation d’un ou de plusieurs droits protégés en la fondant sur certains faits, puis présenter une requête devant la présente Commission concernant des droits et des faits identiques ou en relation directe ayant été, ou susceptibles d’avoir été, portés devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU. »

D.Enquêtes de nature différente

Dans un certain nombre d’affaires, le Comité des droits de l’homme a décidé que les investigations dans le domaine des droits de l’homme au sens large ne constituaient pas un examen de « la même question » qu’une requête faite par un particulier telle que définie à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans l’affaire Baboeram et al. c. Suriname, le Comité a fait observer que :

« (...) une étude menée par une organisation intergouvernementale de la situation des droits de l’homme dans un pays donné (par exemple, celle menée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des États américains concernant le Suriname) ou une étude de la situation des droits syndicaux dans un pays donné (comme celle ayant trait au Suriname réalisée par le Comité de la liberté syndicale de l’OIT) ou une étude relative à un problème d’un caractère plus général touchant les droits de l’homme (par exemple, celle du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur les exécutions sommaires ou arbitraires), ne pouvait être considérée comme étant de même nature que l’examen des communications émanant de particuliers au sens de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif (...) »

S’agissant de l’affaire Zelaya Blanco c. Nicaragua, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif qu’elle était déjà examinée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Amnesty International, la Commission internationale de juristes et la section nicaraguayenne du Comité international de la Croix-Rouge. Dans cette affaire, le Comité des droits de l’homme a fait une constatation plus générale, déclarant que « l’enquête de caractère général à laquelle se livrent des organisations régionales et intergouvernementales au sujet de situations préjudiciables à certains particuliers, notamment l’auteur d’une communication soumise en vertu du Protocole facultatif, ne constitue pas “la même affaire” au sens où l’entend l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 ». Dans l’affaire Broeks c. Pays-Bas, le Comité a fait remarquer que l’examen des rapports d’un État partie dans le cadre de la procédure de présentation de rapports en application des traités relatifs aux droits de l’homme ne constituait pas un examen de « la même question » qu’une requête présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. De l’avis du Comité des droits de l’homme, la procédure adoptée en vertu de la résolution 1503 (XLVIII) du Conseil économique et social, en date du 27 mai 1970, qui traite de l’examen de situations qui semblent révéler l’existence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques, dont on a des preuves dignes de foi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut être assimilée à un examen de « la même question », au sens de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en tant que requête présentée par un particulier au titre du Protocole.

Le Comité des droits de l’homme n’a pas encore tranché pour ce qui est du Groupe de travail sur la détention arbitraire. Dans une affaire dont étaient saisis à la fois le Comité et le Groupe de travail, le Comité s’est abstenu de décider si la question tombait sous le coup de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, après avoir été informé par le Groupe de travail que ce dernier avait appris l’existence de cette communication et saisissait le Comité de l’affaire sans lui faire part de ses constatations.

E.Requêtes déjà examinées

La question qui se pose ensuite est celle de savoir si une autre instance internationale a effectivement « examiné » une requête. Comme indiqué précédemment, les textes du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques diffèrent à cet égard. En application de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5, le Comité des droits de l’homme examine si une affaire est en cours d’examen par une instance internationale. Si tel est le cas, l’auteur doit retirer sa plainte devant l’autre instance, ou attendre que cette instance en ait achevé l’examen, pour que le Comité puisse l’examiner à son tour. Le fait qu’une communication a déjà été présentée à une autre instance ne fait pas obstacle à sa recevabilité. Toutefois, de nombreux États parties ayant fait des réserves à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, aux termes desquelles les communications qui ont été examinées par une autre instance ne peuvent être examinées par le Comité des droits de l’homme, ce dernier a également dû arrêter la signification exacte de l’expression « a été examiné ».

Pour déterminer si une requête a été examinée, il convient de faire la distinction entre les plaintes qui ont été déclarées irrecevables uniquement pour des motifs de procédure et celles auxquelles il a été donné suite sur le fond par une autre instance internationale. On ne peut considérer une affaire qui n’avait même pas été enregistrée par le Secrétariat de la Commission européenne des droits de l’homme, du fait qu’elle avait été présentée après expiration du délai maximal de six mois, comme ayant été examinée. Une communication qui avait été déclarée irrecevable par la Commission européenne des droits de l’homme en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 27 de la Convention européenne des droits de l’homme a été considérée comme n’ayant pas été « examinée » en raison du fait qu’elle avait été déclarée irrecevable pour des motifs de procédure. La même conclusion a été tirée pour une demande qui avait été déclarée irrecevable, la Commission ayant refusé d’être saisie par lui d’une plainte au nom de sa fille. Le Comité des droits de l’homme a conclu que cette caractéristique de la requête n’avait pas été examinée par la Commission européenne.

Lorsque l’autre instance internationale a déclaré une communication irrecevable à l’issue d’un examen du fond de la requête, le Comité des droits de l’homme ne peut examiner cette requête. Selon le Comité, le cas s’est présenté lorsque la Cour européenne des droits de l’homme, allant plus loin qu’une simple décision technique ou procédurale concernant la recevabilité, a procédé à une appréciation des faits de la cause. Dans le cas d’espèce, la Cour européenne a « examiné » l’affaire. Lorsqu’une requête a été déclarée irrecevable par la Commission européenne des droits de l’homme au motif qu’elle ne révélait aucune violation apparente des droits et des libertés exposés dans la Convention européenne des droits de l’homme ou ses Protocoles additionnels, le Comité des droits de l’homme a décidé qu’il était dans l’impossibilité d’examiner la communication du fait que l’État partie avait fait une réserve à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. De plus, lorsqu’une requête avait été déclarée « manifestement non fondée » et, par conséquent, irrecevable par la Commission, le Comité des droits de l’homme a considéré que cela impliquait que la requête avait été « examinée » et qu’il devait donc la déclarer irrecevable. Cependant, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté une affaire en arguant que le respect des droits de l’homme ne justifiait pas la poursuite de l’examen de l’affaire après retrait de la plainte, le Comité des droits de l’homme a conclu qu’il n’était pas empêché d’examiner la communication. Il a déclaré qu’en l’absence d’une véritable appréciation du fond de la requête, celle-ci ne pouvait être considérée comme ayant été « examinée » par la Cour européenne.

Lorsque les dispositions pertinentes diffèrent notablement, les communications peuvent être déclarées recevables. Dans une affaire concernant le droit à la liberté d’expression, qui avait été déclarée irrecevable ratione materiae par la Commission européenne des droits de l’homme, le Comité des droits de l’homme a considéré que :

« comme les droits que proclame la Convention européenne différaient, sur le fond comme au regard des procédures d’application, des droits proclamés par le Pacte, une affaire qui avait été déclarée irrecevable ratione materiae n’avait pas, au sens de la réserve, été “examinée” d’une façon qui excluait que le Comité l’examine à son tour. »

Pour déterminer si la même question a été « examinée », le Comité des droits de l’homme prend en compte les dispositions énoncées dans les traités pertinents, ainsi que la façon dont elles sont interprétées par les organes de surveillance. Il a déclaré que :

« En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel les dispositions de la Convention européenne sont différentes de celles du Pacte invoquées dans le cas d’espèce, le fait qu’il existe des différences de formulation entre les dispositions n’est pas suffisant à lui seul pour permettre de conclure qu’une question qui est soulevée au titre d’un droit protégé par le Pacte n’a pas été “examinée” par la Commission européenne des droits de l’homme. La preuve d’une différence substantielle entre les dispositions applicables dans le cas d’espèce doit être apportée. Dans l’affaire en cause, les dispositions des articles 6, 8 et 14 de la Convention européenne telles qu’elles ont été interprétées par la Commission sont suffisamment proches des dispositions des articles 14 et 17 du Pacte invoquées dans la communication à l’examen pour que l’on considère que les questions pertinentes ont été “examinées”. Cette conclusion n’est pas modifiée par l’invocation de l’article 23 du Pacte devant le Comité car toutes les questions relevant de cet article ont été traitées en substance dans la décision susmentionnée de la Commission. »

F.Faits nouveaux

Il existe une différence notable entre le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui prévoit à l’alinéa b) du paragraphe 2 de son article 35 la possibilité d’étudier une requête qui a déjà été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme ou une autre instance internationale, si elle contient des faits nouveaux. Cette disposition permet au demandeur de réintroduire sa requête. Il faut cependant noter que la Commission européenne des droits de l’homme a une interprétation étroite de l’expression « faits nouveaux », puisque ceux-ci doivent ajouter quelque chose à la première plainte sur le fond. Un approfondissement du raisonnement juridique présenté à l’origine pour démontrer que la Commission n’a pas répondu correctement à la requête ne saurait constituer un « fait nouveau ». Si un requérant présente une plainte d’une nature totalement différente de celle qu’il a soumise au départ, cela ne constitue pas un fait nouveau et ne saurait donc motiver une réouverture du dossier. Par ailleurs, la Commission européenne refuse de réexaminer une plainte sur la base de renseignements, d’éléments supplémentaires ou d’une modification du libellé que le requérant avait tout loisir d’utiliser au moment de la première présentation de sa requête. Le caractère erroné des faits établis par la Commission peut en revanche constituer un fait nouveau. La Commission a notamment ainsi établi à tort dans une affaire que le requérant appartenait à une catégorie spécifique de détenus. Dans la mesure où les conditions d’incarcération ne sont pas les mêmes pour les différentes catégories de détenus, cela a été considéré comme un fait nouveau recevable.

On peut parler de faits nouveaux lorsqu’une affaire est jugée irrecevable pour non-épuisement des recours internes et que tous ces recours sont par la suite épuisés. Il en est de même lorsque des procédures encore en cours au moment de la première requête ont depuis été achevées. Il faut cependant que la fin de la procédure en question constitue un élément « pertinent » de l’affaire. Ainsi, dans une affaire où l’utilisation d’un test acide désoxyribonucléique avait fait l’objet d’un appel, il a été jugé que l’information obtenue ne constituait pas un « fait nouveau » dans la mesure où la requête ne portait pas sur l’élément de preuve en question.

III.Alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 : autre procédure d’enquête ou de règlement international

Sur ce point, l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques diffèrent sensiblement dans la mesure où le Comité des droits de l’homme peut connaître d’une communication concernant une affaire qu’il a déjà examinée, alors que le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ne le peut pas. Le Comité des droits de l’homme a eu à plusieurs reprises l’occasion d’examiner des communications de ce type. La présente partie a pour objectif de définir ce qu’on doit entendre par « autre procédure ».

Les plaintes individuelles déposées en vertu des instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme ou des instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme font de toute évidence partie des procédures visées à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ainsi, le Comité des droits de l’homme a jugé irrecevables un certain nombre de communications en cours d’examen par la Commission européenne des droits de l’homme et la Commission interaméricaine des droits de l’homme. À ce jour, le Comité n’a jamais été saisi d’une communication examinée par la Commission africaine des droits de l’homme, mais on peut penser que cette procédure entre également dans le cadre de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole. La procédure prévue à l’article 26 de la Constitution de l’OIT et la procédure spéciale qui peut être engagée auprès du Comité de la liberté syndicale de l’OIT conformément à la résolution 277 (X) du Conseil économique et social relèvent également probablement de cette catégorie. La Commission européenne des droits de l’homme a de fait posé qu’une procédure engagée devant le Comité de la liberté syndicale de l’OIT constituait une « autre procédure » au sens de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 27 (devenu l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 35).

Dans la section D du chapitre II du présent document, on a cherché à savoir si les procédures prévoyant un autre type d’enquête concernaient « la même question ». Les procédures que le Comité des droits de l’homme a considérées comme ne traitant pas des mêmes questions ont été recensées. Le Comité estime que les enquêtes de caractère général ne portent pas sur « la même question » que les affaires présentées au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est arrivé à cette conclusion pour un certain nombre de procédures, notamment les études menées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme dans certains pays, les études de la situation dans un pays donné du point de vue des droits syndicaux effectuées par le Comité de la liberté syndicale de l’OIT, les études des rapporteurs spéciaux thématiques, les procédures d’examen des rapports présentés par les États parties au titre des différents instruments relatifs aux droits de l’homme, les procédures engagées en vertu de la résolution 1503 (XLVIII) du Conseil économique et social et les études menées par des organisations non gouvernementales dans les pays. Si des situations individuelles sont étudiées dans le cadre des enquêtes ouvertes au titre desdites procédures, cela ne fait pas obstacle à l’étude d’une communication individuelle par le Comité, dans la mesure où cette procédure est d’une nature entièrement différente et, fait tout aussi important, le résultat des procédures en question n’est pas du tout comparable à celui d’une procédure de plainte.

Dans d’autres affaires, le Comité des droits de l’homme s’est exprimé plus explicitement sur les procédures que sur les questions de savoir si les organes concernés traitaient de la même question que lui. Ainsi, dans une affaire de violations des droits de l’homme alléguées qui avait été soumise à l’UNESCO, le Comité a considéré que cette organisation ne disposait pas pour l’heure d’une procédure d’enquête ou de règlement international, comme prévu à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, pertinent en l’espèce. De même, les procédures établies par les organisations non gouvernementales (comme Amnesty International, la Commission internationale de juristes ou le Comité international de la Croix-Rouge) ne constituent pas des procédures d’enquête ou de règlement international au sens de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Dans l’affaire Laureano c. Pérou, le Comité a fait observer que :

« […] les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil économique et social et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde ne relevaient pas, comme l’État partie devrait le savoir, d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité a rappelé que l’étude des problèmes relatifs aux droits de l’homme d’un caractère plus général, encore qu’elle puisse renvoyer à des informations concernant des individus ou en tirer parti, ne saurait être assimilée à l’examen de cas individuels au sens de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. »

En réponse à une objection relative à la recevabilité d’une plainte au motif que le HCR avait déjà examiné l’affaire et déterminé que l’expulsion de ses auteurs était compatible avec les obligations incombant à l’État partie en vertu du paragraphe 2 de l’article 33 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, le Comité contre la torture a relevé que ni la Convention sur les réfugiés ni le Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ne prévoyaient la mise en place d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement. Il a estimé qu’« une opinion ou un avis écrit rendu par une instance régionale ou internationale sur un problème d’interprétation du droit international en rapport avec une affaire particulière ne signifie pas que cette affaire a fait l’objet d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement ».

Conformément à l’article 33 du Règlement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, la Commission ne peut examiner une affaire si « la procédure suivie devant l’autre organisation ou organisme se limite à un examen général de la situation des droits humains dans l’État en question et qu’aucune décision n’a été prononcée sur les faits spécifiques qui font l’objet de la pétition dont a été saisie la Commission, ou que la décision adoptée n’a pas pu y apporter effectivement une solution ». D’après la Commission, ceci implique :

« l’existence d’un mécanisme permettant de parvenir à une solution entre le requérant et les autorités de l’État s’agissant de la violation incriminée, ou que la procédure engagée débouche sur l’adoption d’une décision qui règle le litige et/ou donne compétence à d’autres organes à ce sujet. »

La Commission interaméricaine des droits de l’homme a également estimé que « la procédure en question doit être comparable à celle prévue pour le traitement des pétitions individuelles dans le système interaméricain . » Elle a déterminé que les examens menés par l’Organisation des Nations Unies dans le cadre de son système de procédures spéciales ne constituaient pas d’autres procédures d’enquête et de règlement international, mais avaient pour objectif d’appeler l’attention de la communauté internationale sur des cas spécifiques de non-respect des droits fondamentaux.

Selon la Commission européenne des droits de l’homme, l’expression « autre procédure » au sens de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 35 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales renvoie aux instances judiciaires ou quasi judiciaires similaires à celles visées dans la Convention, et la qualification « internationale d’enquête ou de règlement » fait référence aux institutions et procédures créées par les États, ce qui exclut donc les organes non gouvernementaux comme l’Union interparlementaire.

IV.Alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 : recevabilité ratione temporis

L’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 se lit comme suit :

« Le Comité déclare irrecevable toute communication :

[...]

e)Portant sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur du présent Protocole à l’égard de l’État partie intéressé, à moins que ces faits ne persistent après cette date.  »

On peut voir dans cette disposition une expression de la règle générale de droit international selon laquelle un instrument ne s’applique pas à des faits qui se sont déroulés ou terminés avant son entrée en vigueur pour l’État intéressé. Les autres instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme et les conventions régionales de défense des droits de l’homme ne contiennent pas de référence explicite à cette condition de recevabilité. Dans la pratique, néanmoins, tous les organes de surveillance observent cette règle connue sous le nom de « recevabilité ratione temporis ». Le Comité des droits de l’homme étudie généralement cette question au titre de l’article 3 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui dispose que la communication ne doit pas être incompatible avec le Pacte, ou au titre de l’article premier, en vertu duquel seules les communications qui concernent un État partie à l’instrument pertinent peuvent être reçues.

Il est indiqué sans ambiguïté possible dans le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes que c’est la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif qui fait foi s’agissant de la recevabilité des communications. Ainsi, tout débat sur la recevabilité des communications portant sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif mais postérieurs à l’entrée en vigueur de la Convention est exclu. Il n’en est pas de même pour le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et la jurisprudence du Comité des droits de l’homme en la matière manque de clarté. Certains États parties au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont formulé des réserves et fait des déclarations lors de leur ratification du Protocole facultatif, pour limiter la compétence du Comité des droits de l’homme aux seules communications portant sur des faits postérieurs à son entrée en vigueur. À l’heure actuelle, le Comité a pour pratique de ne recevoir que les communications faisant état de violations postérieures à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif; il procède ainsi pour tous les États parties, qu’ils aient ou non formulé une réserve ou fait une déclaration à ce sujet. L’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes codifie un important aspect développé par le Comité des droits de l’homme dans sa pratique, en spécifiant que le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes peut juger une communication recevable si les faits ont persisté après la date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Cette règle est également suivie par la Commission interaméricaine des droits de l’homme qui a explicitement aligné sa pratique sur celle du Comité des droits de l’homme et de la Commission européenne en déclarant :

« ... la doctrine selon laquelle la Commission européenne et le Comité des droits de l’homme institué par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont compétence pour connaître des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la Convention pour un État donné, dans la mesure où ces faits peuvent avoir entraîné une violation continue de la Convention après cette date, est applicable au système interaméricain. »

L’affaire Lovelace c. Canada a joué un rôle important dans l’évolution de la jurisprudence du Comité des droits de l’homme sur ce point. Sandra Lovelace avait perdu son statut d’Indienne Maliseet après avoir épousé un non-Indien en 1970. La loi appliquée établissait une distinction de jure se fondant sur le sexe. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur au Canada le 19 août 1976, de sorte que le Comité des droits de l’homme n’était pas compétent pour s’exprimer sur la cause initiale de cette perte de statut. Il est cependant parvenu à la conclusion suivante :

« en substance, la plainte considérée découle de l’effet persistant de la loi sur les Indiens, en vertu de laquelle Sandra Lovelace se voit dénier le statut légal d’Indienne, et de ce fait ne peut revendiquer le droit de résider là où elle le désire, c’est-à-dire dans la réserve Tobique. C’est là un fait constant depuis que le Pacte est entré en vigueur et dont il convient d’examiner les conséquences, indépendamment de sa cause initiale. [...] »

Dans cette affaire, le Comité des droits de l’homme a clairement établi que des faits survenus à une période où l’État concerné n’était partie ni au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ni au Protocole facultatif qui s’y rapporte peuvent cependant être examinés et permettre de conclure à une violation. La persistance des effets des faits incriminés après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif constitue le facteur décisif dans ce domaine. Le Comité des droits de l’homme a dû souvent prendre des décisions sur la recevabilité ratione temporis de communications relatives à des détentions arbitraires présumées qui ont débuté avant la date d’entrée en vigueur mais se sont poursuivies après. Le Comité s’est estimé compétent pour examiner ces allégations . Il a également conclu que les débats d’un tribunal et les limitations imposées à la liberté de circulation ont des effets persistants. Il a par ailleurs jugé que tout manquement à l’obligation de contrôle judiciaire au début de la détention d’un individu constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (consacrant le droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge) qui persiste tant qu’il n’y a pas été remédié. En 1994, le Comité a donné une définition claire de ce qu’on doit entendre par l’expression « effets qui persistent » :

« une violation persistante s’entend de la prolongation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie. »

On trouvera ci-après un bref aperçu de la jurisprudence du Comité des droits de l’homme sur la question des effets persistants. L’auteur d’une communication avait été condamné avant l’entrée en vigueur du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Protocole facultatif s’y rapportant, mais les recours qu’il avait formés avaient été examinés après cette date. Le Comité a considéré que les violations alléguées (des articles 18 et 19 du Pacte) avaient continué après l’entrée en vigueur et qu’il n’existait donc aucun obstacle ratione temporis à l’examen de la communication. Il a de fait conclu à une violation de l’article 19 (consacrant le droit à la liberté d’expression). Dans l’affaire Kim c. République de Corée, l’auteur de la communication avait été arrêté en vertu de la loi sur la sécurité nationale. L’État partie avait objecté que la plainte n’était pas recevable car elle portait sur des faits survenus avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif s’y rapportant. Le Comité a jugé qu’il n’avait pas à se référer à sa jurisprudence en la matière, puisque la violation dont l’auteur se déclarait victime était constituée par sa condamnation en vertu de la loi sur la sécurité nationale, qui avait été prononcée après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif (le Comité a donné raison à l’auteur, qui s’estimait victime d’une violation de l’article 19). Dans une affaire dans laquelle l’État partie contestait la recevabilité de la communication parce que, de son point de vue, elle portait sur une confiscation survenue dans les années 40, le Comité a fait observer que l’auteur avait clairement indiqué que sa demande concernait les décisions prises par les tribunaux en 1995 et 1996 et déclaré la communication recevable. L’affaire Somers c. Hongrie a également démontré à quel point il est important que les auteurs définissent clairement l’objet de leur plainte. La communication avait trait à une expropriation décidée par le Gouvernement communiste hongrois en 1951, mais les auteurs ont porté plainte devant le Comité en raison du caractère discriminatoire de la législation relative à l’indemnisation des victimes de cette expropriation. La législation incriminée avait été adoptée en 1991 et 1992, soit après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le Comité a donc décidé que la communication n’était pas irrecevable sur cette base.

Il est important que l’objet de la plainte soit clairement défini pour pouvoir déterminer quels sont les « faits » qui, dans l’affaire examinée, sont intervenus avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il peut s’agir soit des faits qui ont été à la base d’une procédure engagée devant les tribunaux nationaux, soit de la décision de justice elle-même. Si la décision judiciaire qui est à l’origine de la plainte a été adoptée après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, les événements en jeu ont pu quant à eux se produire avant la date considérée.

La jurisprudence récente du Comité des droits de l’homme montre bien à quel point le problème donne lieu à une véritable casuistique. Par exemple, l’affaire Love et al. c. Australie concernait le renvoi obligatoire des pilotes à l’âge de 60 ans. Les auteurs ont fait valoir qu’il s’agissait d’une discrimination fondée sur l’âge. Le Comité a jugé irrecevables les plaintes de plusieurs des auteurs au motif que leur licenciement était intervenu avant l’entrée en vigueur pour l’Australie du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Protocole facultatif s’y rapportant. Le Comité est arrivé à la conclusion suivante :

« les actes de discrimination présumée proprement dits se sont produits, une fois pour toutes, au moment des licenciements. Le Comité ne considère pas que les effets persistants de ces actes peuvent constituer en soi des violations du Pacte, ni que l’on puisse voir dans les refus ultérieurs d’engager des négociations de réembauche de nouveaux actes de discrimination indépendants des licenciements eux-mêmes. Par conséquent, les réclamations des trois auteurs [concernés] sont irrecevables ratione temporis. »

Dans une autre affaire de discrimination alléguée dans l’accès aux services publics, le Comité a jugé que les procédures mises en question avaient été achevées avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a rappelé qu’une violation persistante s’entend de la poursuite, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie. Il a fait observer que l’auteur avait été révoqué en application de la loi en vigueur à l’époque et que ses recours administratifs n’avaient pas eu l’effet escompté. L’auteur n’avait engagé de procédures juridiques qu’après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, mais le fait qu’il n’avait pas eu gain de cause ne constituait pas en soi une violation du Pacte. Le Comité a noté qu’il n’avait pas pu conclure à l’existence d’une violation antérieure à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie qui aurait persisté par la suite.

L’affaire Sarma c. Sri Lanka concernait une disparition survenue en 1990. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur en 1997 pour l’État partie; au moment de la ratification, Sri Lanka a fait une déclaration limitant la compétence du Comité des droits de l’homme aux événements postérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité est arrivé à la conclusion suivante :

« [...] même si l’enlèvement puis la disparition présumés du fils de l’auteur avaient eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, les violations du Pacte, si leur réalité était confirmée par l’examen au fond, avaient pu avoir lieu ou se poursuivre après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. »

Le Comité a de fait conclu à une violation des articles 7 et 9 du Pacte sur le fond.

La Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Commission européenne des droits de l’homme appliquent les mêmes critères que le Comité des droits de l’homme. La Commission interaméricaine a ainsi examiné une affaire dans laquelle la Convention de Belém do Pará avait notamment été invoquée. Il s’agissait d’une affaire de viol commis avant l’entrée en vigueur de la Convention, mais jugé après cette date. La Commission interaméricaine a considéré qu’elle était « compétente, ratione temporis, pour appliquer la Convention de Belém do Pará et connaître des faits survenus après la ratification de cette convention par la Bolivie, en rapport au déni de justice allégué ». Dans certaines circonstances, il peut s’avérer nécessaire de prendre en compte des faits antérieurs à l’entrée en vigueur. Lorsqu’un tribunal a prononcé un jugement après l’entrée en vigueur de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Commission européenne se juge compétente ratione temporis pour s’assurer que la procédure suivie pour aboutir à ce jugement est bien conforme à la Convention, puisque la décision finale ne peut que répercuter d’éventuels vices de procédure.

La jurisprudence du Comité des droits de l’homme en ce qui concerne le droit à un recours doit faire l’objet d’un examen séparé pour les violations antérieures à l’entrée en vigueur du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les violations antérieures à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif s’y rapportant. Le Comité a été saisi de plusieurs affaires dans lesquelles une législation d’amnistie, à savoir la Ley de Punto Final et la Ley de Obediencia Debida argentines, empêchait les parents de personnes disparues d’obtenir justice. D’après le Comité, l’article 2 du Pacte, qui consacre notamment le droit à un recours, ne peut être invoqué qu’en rapport aux autres articles du Pacte. Il a fait observer qu’aux termes de l’article 2, seule une violation établie d’un droit reconnu dans le Pacte ouvre droit à un recours. Dans les affaires dont il a été saisi, les événements qui auraient pu constituer des violations de plusieurs articles du Pacte et ouvrir droit à un recours s’étaient produits avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif qui s’y rapporte pour l’Argentine. Le Comité a donc conclu qu’il ne pouvait examiner la question du droit à un recours et déclaré les communications irrecevables ratione temporis . Il convient de noter qu’au mois de juillet 2003, le Comité a revu sa position en ce qui concerne la nécessité d’établir une violation du Pacte pour que l’article 2 s’applique. Il a ainsi déclaré :

« Cette disposition semble littéralement exiger qu’une violation de l’une des garanties du Pacte soit formellement établie car cela constitue une condition préalable à l’obtention de recours tel que la réparation ou la réhabilitation. Toutefois, l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 2 oblige les États parties à faire en sorte qu’une autorité judiciaire, administrative ou législative compétente se prononce sur le droit à un tel recours, garantie qui serait caduque si elle n’était pas disponible avant que l’existence d’une violation n’ait été établie. Certes, il ne peut être raisonnablement exigé d’un État partie, en application de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention, de s’assurer que de telles procédures sont disponibles même pour les plaintes les moins fondées, mais l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 2 accorde une protection aux victimes présumées si leurs plaintes sont suffisamment bien fondées pour être défendables en vertu du Pacte. »

Le système interaméricain est à part. Les États membres de l’Organisation des États américains qui ne sont pas encore parties à la Convention de Belém do Pará sont liés par la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme qui prévoit des normes applicables aux examens de la Commission. De nombreux articles de la Déclaration sont également protégés par la Convention. Une fois ratifiée, la Convention devient le principal instrument contraignant et les droits et obligations qui y sont énoncés sont applicables. Ainsi, la Commission est compétente ratione temporis pour examiner les plaintes ayant trait aux obligations découlant de la Convention.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne contient pas de référence explicite au principe de la recevabilité ratione temporis. La Commission européenne des droits de l’homme a cependant invoqué à plusieurs reprises dans sa pratique ce principe de droit international généralement accepté et a indiqué dans de nombreuses affaires qu’elle n’était pas compétente pour examiner des requêtes portant sur des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la Convention. Elle a ainsi jugé que conformément aux règles du droit international généralement reconnues, ladite convention ne gouverne, pour chaque partie contractante, que les faits postérieurs à son entrée en vigueur pour cette partie. Comme les autres organes, la Commission voit dans le concept de « situation persistante », qu’elle définit comme « une situation impliquant de la part de l’État des activités continues », une exception à la règle générale. Dans l’affaire De Becker c. Belgique, un national belge avait porté plainte pour avoir été condamné pour trahison par un tribunal belge pendant la Seconde Guerre mondiale. Le verdict avait été prononcé avant la ratification de la Convention par la Belgique, mais l’objet de la plainte n’était pas la validité ou le bien-fondé du jugement, mais le fait que le requérant avait été déchu de ses droits, ce qui constituait une limitation du droit à la liberté d’expression qui avait persisté après l’entrée en vigueur de la Convention pour la Belgique. La Commission européenne est arrivée à la conclusion suivante :

« en ce qui concerne la recevabilité ratione temporis de la requête, le requérant se trouvait dans une situation persistante qui avait sans aucun doute débuté avant l’entrée en vigueur de la Convention pour la Belgique (14 juin 1955), mais qui s’était poursuivie après cette date, puisque le requérant avait été déchu de ses droits “à vie”. »

Dans une affaire dans laquelle les procédures engagées au titre d’une demande d’indemnisation avaient été suspendues avant l’entrée en vigueur de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme a observé que, « par suite de cette décision, les procédures sont restées en suspens et n’ont jamais été terminées » et que « les tribunaux nationaux n’ont jamais pu depuis examiner la demande d’indemnisation du requérant ». Elle a donc estimé qu’elle était compétente ratione temporis dans la mesure où le requérant se trouvait placé dans une situation qui persistait.

Les organes siégeant à Strasbourg ont établi une différence entre les actes aux conséquences instantanées et les actes à effets continus. Dans une affaire de saisie de documents par la police, qui avait ensuite refusé de les retourner, la Cour a décidé que « la recherche et la saisie des documents en question étaient des actes aux conséquences instantanées qui, malgré leurs effets, ne donnaient pas lieu en eux-mêmes à une éventuelle violation continue de l’article 8 de la Convention ».

V.Paragraphe 3 de l’article 7 : voies de recours recommandéespar les organes créés en vertu d’instruments internationauxrelatifs aux droits de l’homme

A.Introduction

Le paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes est rédigé comme suit :

« Après avoir examiné une communication, le Comité transmet ses constatations à son sujet, éventuellement accompagnées de ses recommandations, aux parties concernées. »

Le droit à un recours des victimes de violation des droits de l’homme est un droit fondamental consacré par maints instruments relatifs aux droits de l’homme (voir le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, les articles 13 et 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et l’article 25 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme). Le paragraphe 2 de l’article 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que les États parties garantissent que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, sans préciser la forme qui devrait être donnée à ce recours. L’article 25 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme reprend les mêmes termes. L’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale fait obligation aux États parties d’assurer à toute personne une voie de recours effective et le droit de demander satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d’actes de discrimination raciale. Il est disposé à l’article 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants que les États parties feront en sorte que les allégations de torture soient examinées immédiatement et impartialement et, à l’article 14, que les États parties garantiront à la victime d’un acte de torture le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. Il convient de noter que, d’après l’article 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, des deux articles 13 et 14, seul le premier s’applique aux actes constitutifs de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le « droit à un recours » n’est pas explicitement mentionné dans la Convention, bien qu’aux termes de l’alinéa d) de son article 2, les États parties doivent garantir la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire.

La définition des principes fondamentaux du droit à un recours fait l’objet de discussions au sein même de la Commission des droits de l’homme. Ces principes peuvent guider le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes dans la formulation de recommandations concrètes, et c’est la raison pour laquelle ils figurent en bonne place dans le présent document.

Selon ces principes, les recours contre les violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme comprendraient le droit d’accès de la victime aux instances judiciaires, son droit à réparation du préjudice subi et son droit d’accès à des informations factuelles concernant les violations.

La restitution devrait viser, chaque fois que possible, à rétablir la victime dans la situation originale qui existait avant que les violations du droit international humanitaire ou des droits de l’homme ne se soient produites. Elle impliquerait : la restauration de la liberté, des droits juridiques, du statut social, de la vie de famille et de la citoyenneté; le retour de la victime sur son lieu de résidence et la restitution de son emploi et de ses biens.

Il est également proposé d’établir qu’une indemnisation devrait être prévue pour tout dommage résultant de violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme qui se prête à une estimation financière, tel que : préjudice physique ou moral, y compris douleur, souffrances et chocs émotionnels; possibilités manquées, y compris en ce qui concerne l’éducation; dommages matériels et pertes de revenus, notamment des revenus potentiels; atteinte à la réputation ou à la dignité; dépenses encourues au titre de l’assistance juridique ou des expertises, des médicaments et des services médicaux ainsi que des services psychologiques et sociaux. La réadaptation devrait comprendre aussi bien les soins médicaux et l’aide psychologique que les services juridiques et sociaux.

La réparation morale et la garantie du non-renouvellement devraient comprendre, entre autres mesures : la cessation des violations, une déclaration officielle ou une décision de justice rétablissant la victime et les personnes qui ont un lien étroit avec elle, dans leur dignité, leur réputation et leurs droits juridiques et sociaux; et des sanctions judiciaires ou administratives à l’encontre des personnes responsables des violations. Par ailleurs, pour empêcher que les violations ne se reproduisent, les États devraient notamment : soumettre les forces armées et les forces de sécurité au contrôle de l’autorité civile; renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire; assurer et renforcer, à titre prioritaire et de façon suivie, la formation aux droits de l’homme de tous les secteurs de la société, en particulier des forces armées et de sécurité et du personnel chargé de l’application des lois; veiller au respect des codes de conduite et des normes éthiques, y compris des normes internationales, par les fonctionnaires, y compris les agents chargés de l’application des lois, le personnel de l’administration pénitentiaire, des médias, des services médicaux, psychologiques et sociaux, les militaires, ainsi que le personnel des entreprises économiques.

B.Suggestions et recommandations

À la grande différence du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dispose que le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes transmet ses constatations et ses recommandations aux parties concernées. Aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 7 de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale est habilité à transmettre constatations et recommandations aux parties. L’article 41 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ancien article 50) autorise la Cour européenne des droits de l’homme à accorder à la partie lésée une satisfaction équitable. La Convention américaine relative aux droits de l’homme dispose, au paragraphe 3 de son article 50, qu’en présentant son rapport, la Commission interaméricaine des droits de l’homme pourra formuler les propositions et recommandations qu’elle aura jugées appropriées, et au paragraphe 1 de son article 63, que la Cour interaméricaine des droits de l’homme ordonnera que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté enfreints et, le cas échéant, la réparation des conséquences de la mesure ou de la situation à laquelle a donné lieu la violation de ces droits et le paiement d’une juste indemnité à la partie lésée.

Depuis qu’il a commencé à remplir ses fonctions en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme ne s’est pas borné à constater les cas de violation de la Convention mais a aussi donné son avis sur les voies de recours que l’État partie pourrait offrir. On trouvera dans les rapports du Comité pour 2001 des précisions sur les recours qu’il recommande dans ses constatations. Le Comité est habilité, aux termes de l’article 2 du Pacte, à formuler des recommandations. Lorsqu’il constate qu’il y a eu violation, le Comité formule dans ses constatations l’observation ci-après :

« Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. »

Dans ses constatations, le Comité passe au crible les diverses dispositions en cause et conclut, pour chacune d’elles, s’il y a eu violation ou non. Il formule ensuite toutes ses recommandations dans un paragraphe distinct. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et le Comité contre la torture procèdent de la même façon. Le Comité des droits de l’homme et la Commission interaméricaine des droits de l’homme ont rencontré bien des cas où il y avait eu violation de plus d’une disposition et ont recommandé en l’occurrence tout un ensemble de mesures, qui pouvaient se ranger dans les diverses catégories susmentionnées. Tant le Comité que la Commission demandent toujours en conclusion à l’État partie de faire en sorte que ces violations ne se reproduisent pas à l’avenir. L’exemple décrit ci-après peut donner une idée de la pratique du Comité en la matière. Dans le cas d’une personne forcée à l’exil par des menaces de mort, le Comité des droits de l’homme, ayant conclu à la violation des dispositions du paragraphe 1 des articles 6 et 9 et des paragraphes 1 et 4 de l’article 12 du Pacte, a décrété que l’État partie avait l’obligation :

« d’assurer un recours utile, y compris une réparation pour le préjudice subi, et d’adopter des mesures efficaces pour protéger sa sécurité et sa vie d’une manière qui lui permette de retourner dans le pays. Le Comité a engagé l’État partie à mener à bien des enquêtes indépendantes pour faire la lumière sur l’attentat et à faire diligenter une action pénale engagée contre les responsables. L’État partie était également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. »

D’après cette décision, l’État partie était tenu de donner à la victime l’accès aux instances judiciaires et de le rétablir dans son droit à la libre circulation et à la réparation.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a estimé que la victime d’un préjudice occasionné par la violation d’une obligation internationale devait bénéficier, en réparation, d’une restitution intégrale (restitutio in integrum), c’est-à-dire être rétablie dans la situation qui existait avant que la violation ne se soit produite, être dédommagée pour les conséquences de la violation et recevoir une indemnité pour les préjudices patrimoniaux ou extrapatrimoniaux subis, y compris les traumatismes psychologiques.

La Cour européenne des droits de l’homme donne une interprétation restrictive à l’expression « satisfaction équitable ». S’il est impossible de procéder à une restitution intégrale, elle peut ordonner le paiement d’une indemnité en réparation des préjudices pécuniaires ou non pécuniaires. Elle a toutefois rappelé qu’elle n’avait pas compétence pour ordonner aux États de prendre certaines mesures, comme de mettre fin aux violations constatées ou de rembourser les dépenses encourues par la victime. Elle a rejeté de nombreuses requêtes tendant à ce qu’elle ordonne ou recommande aux États de prendre certaines mesures, en arguant que c’est à l’État concerné de choisir les moyens d’action compatibles avec son système juridique national pour mettre fin à la situation qui a donné lieu à la violation de la Convention.

En principe, les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme choisissent par consensus les voies de recours à recommander aux États parties. Rares ont été les opinions individuelles sur la question. Il convient de mentionner que, dans certains cas, le refus par l’État partie d’accorder le recours recommandé par le Comité dans ses constatations a valu à l’organe compétent d’être saisi d’une nouvelle communication pour violation du droit à un recours effectif.

On trouvera dans les sections ci-après une présentation générale des types de recours recommandés aux États.

C.Accès aux instances judiciaires

Pour que ses allégations soient examinées, la victime présumée de violations des droits de l’homme doit d’abord disposer de voies de recours. Le Comité des droits de l’homme a été saisi de nombreuses affaires dans lesquelles les victimes n’avaient pas accès à des recours effectifs. De nombreux exemples de violations des dispositions du paragraphe 3 de l’article 2 ont été relevés. Le Comité a constaté, dans certains cas, qu’aucune voie de recours effective n’était prévue dans le système de droit national et, dans d’autres, qu’il n’existait pas de tribunal qu’un requérant pourrait saisir.

Dans un cas où elle a conclu à la violation des articles 8 et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (les droits à une protection judiciaire effective et à un jugement équitable, respectivement) parce que le requérant n’avait pas eu la possibilité d’introduire un recours administratif pour contester son licenciement, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a recommandé à l’État partie d’autoriser le requérant « à introduire un recours administratif pour contester la légalité de l’acte administratif signifiant son licenciement ». Elle a en outre recommandé qu’une indemnité adéquate soit versée à la victime pour violation de ses droits à une protection judiciaire effective et à un jugement équitable.

Dans certaines circonstances, le déni d’assistance judiciaire dans un procès pénal peut constituer une violation des dispositions du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Pacte n’impose pas aux États parties l’obligation de fournir ce type d’assistance dans tous les cas, mais seulement lorsqu’il s’agit de déterminer le bien-fondé d’une accusation pénale dans l’intérêt de la justice (alinéa d) du paragraphe 3 de l’article 14). En ce qui concerne l’obligation faite aux États parties d’assurer des voies de recours utiles en cas de violation des droits consacrés par le Pacte, le déni d’assistance judiciaire, nécessaire à la présentation d’une requête constitutionnelle, peut constituer une violation de l’article 14 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Étant parvenue à la même conclusion, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a recommandé à l’État partie d’adopter « les mesures législatives ou autres qui conviennent pour donner effet en Jamaïque au droit de la défense à être entendue, consacré par le paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention, et au droit à la protection juridique, consacré par l’article  25 de la Convention, en relation avec l’introduction de requêtes constitutionnelles, conformément à l’analyse menée par la Commission et exposée dans le présent rapport ».

La non-exécution des ordonnances judiciaires peut également constituer une violation de l’article 2. Dans l’une des affaires dont il a été saisi, le Comité des droits de l’homme a estimé que les droits de l’auteur consacrés par l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de l’article 2, n’avaient pas été protégés d’une manière effective. Il a statué que l’État partie avait l’obligation de mettre à la disposition de l’auteur un recours utile, qui devrait comprendre des mesures propres à assurer l’exécution rapide des ordonnances judiciaires concernant les relations entre l’auteur et son fils.

Le Comité des droits de l’homme et les instances interaméricaines prêtent une attention particulière à la responsabilité qui incombe aux États parties d’enquêter sur les violations des droits de l’homme et d’en punir les responsables. Le Comité des droits de l’homme a pris fermement position contre l’impunité des auteurs de violations de ces droits. Il a rejeté les lois amnistiant les personnes coupables d’avoir, en violation flagrante des droits de l’homme, privé leurs victimes de l’accès à des voies de recours. De l’avis du Comité, l’adoption de telles lois excluait dans un certain nombre de cas la possibilité de mener une enquête sur les violations des droits de l’homme commises dans le passé et soustrayait par conséquent les États parties à la responsabilité qui leur incombait de fournir un recours utile aux victimes desdites violations. De surcroît, le Comité craignait qu’en adoptant ces lois d’amnistie, les États parties ne contribuent à créer un climat d’impunité qui pouvait nuire à l’ordre démocratique et donner lieu à d’autres violations graves des droits de l’homme. Il a en l’occurrence demandé instamment aux États parties d’ordonner une enquête officielle sur les allégations de torture, afin d’en découvrir les responsables et de permettre aux victimes d’obtenir réparation au civil. Il a souligné que le droit national ne pouvait dispenser les États parties de cette obligation :

« En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de mettre à la disposition de la victime et de l’auteur un recours utile. Le Comité prie instamment l’État partie d’ouvrir une enquête en bonne et due forme sur la disparition d’Ana Rosario Celis Laureano et le sort qui lui a été réservé, de verser une indemnité appropriée à la victime et à sa famille et de traduire en justice les responsables de sa disparition, nonobstant toute loi d’amnistie interne qui en disposerait autrement. »

La Commission interaméricaine des droits de l’homme a également pris clairement position contre l’impunité. Dans plusieurs cas, elle a adressé des reproches aux États qui avaient adopté des lois d’amnistie et, dans certains cas, a vivement engagé les États à abroger les lois qui soustrayaient les personnes responsables de violations des droits de l’homme aux enquêtes, aux poursuites et aux sanctions.

Le Comité des droits de l’homme a parfois insisté, dans ses décisions, sur le caractère utile des recours offerts. Il a estimé que « les procédures de caractère purement administratif et disciplinaire ne sauraient être considérées comme des recours utiles et suffisants au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte en cas de violation particulièrement grave des droits de l’homme et tout spécialement s’agissant du droit à la vie (...) ». Dans une affaire d’agression d’un opposant politique au gouvernement en place, le Comité a souligné la nécessité d’ordonner une enquête indépendante. Il a déclaré que l’État partie était tenu d’assurer à la victime :

« un recours utile et de prendre les mesures qui s’imposaient pour la protéger des menaces, quelles qu’elles soient, qui pesaient sur la sécurité de sa personne et sa vie. Le Comité a instamment prié l’État partie d’ordonner une enquête indépendante sur la fusillade et d’accélérer les procédures pénales intentées contre les responsables présumés. S’il s’avérait, à l’issue de la procédure pénale, que des personnes agissant à titre officiel étaient responsables de la fusillade et des blessures infligées à l’auteur, ce recours devrait consister en l’octroi de dommages-intérêts à M. Chongwe. L’État partie était tenu de faire en sorte que des violations du même ordre ne se reproduisent pas à l’avenir. »

Dans un certain nombre de cas, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a conclu à une violation de l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, touchant l’obligation faite aux États d’assurer une protection et une voie de recours effectives et le droit de demander satisfaction ou réparation adéquate. En outre, dans certains cas, bien qu’il ait déclaré la communication irrecevable ou n’ait pas constaté de violation, le Comité a quand même émis des recommandations sur cette disposition, ce qui montre l’importance qu’il y attache. Il a eu à traiter le cas d’une personne qui s’était vu refuser l’accès à un lieu public pour des motifs discriminatoires. Le responsable avait été traduit en justice et frappé d’une amende sans que la victime ait été indemnisée. De l’avis du Comité, la condamnation de l’auteur de l’acte criminel, la peine qui lui a été infligée et l’injonction de verser à la victime une réparation pécuniaire constituent des sanctions légales ayant des fonctions et un but différents. La victime n’a pas nécessairement droit à une autre forme de réparation que la sanction pénale infligée à l’auteur de l’acte dans toutes les circonstances. Toutefois, conformément à l’article 6 de la Convention, la demande de réparation doit être examinée dans chaque cas, y compris dans les cas où la victime n’a pas subi de dommages corporels mais a été l’objet d’une humiliation, de diffamation ou d’une autre sorte d’atteinte à sa réputation et à son amour-propre. Se voir refuser l’admission dans un lieu de service destiné au grand public au seul motif de son origine nationale ou ethnique est une expérience humiliante qui, de l’avis du Comité, peut justifier l’octroi d’une réparation financière et qui ne peut pas toujours être réparée à la satisfaction de l’intéressé simplement en infligeant une sanction pénale à l’auteur de l’acte. Tout en concluant que les faits tels qu’ils étaient décrits dans la communication ne révélaient pas de violation de l’article 6 de la Convention, le Comité a recommandé à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour garantir que les demandes de réparation juste et adéquate des victimes de discrimination raciale soient examinées compte dûment tenu des cas où la discrimination n’a pas entraîné de dommages corporels mais a provoqué une humiliation ou une souffrance de nature similaire. Dans un autre cas de déni du droit d’accès à un lieu public, le Comité a constaté qu’il y avait bien eu violation de l’alinéa f) de l’article 5. Il a recommandé à l’État partie « de compléter sa législation afin de garantir le droit d’accès aux lieux publics conformément à l’alinéa f) de l’article 5 de la Convention et de sanctionner tout déni du droit d’accès à de tels lieux fondé sur une discrimination raciale ». Il a également recommandé à l’État partie de faire en sorte que les procédures d’enquête sur de telles violations n’excèdent pas des délais raisonnables, en prenant les mesures nécessaires.

Dans un cas de violation de l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Comité a recommandé à l’État partie « de veiller à ce que la police et les procureurs généraux enquêtent de manière appropriée sur les accusations et plaintes concernant des actes de discrimination raciale qui devraient être punissables par la loi conformément à l’article 4 de la Convention », sans toutefois préciser la façon dont l’État partie devrait s’y prendre. Dans un cas de violation du sous-alinéa i) de l’alinéa d) de l’article 5, le Comité a recommandé à l’État partie de « prendre les mesures nécessaires afin de s’assurer que toutes les pratiques entravant le droit des Roms relevant de sa juridiction de circuler librement et de se choisir une résidence soient totalement et promptement éliminées ».

Dans un cas de violation du paragraphe 1 de l’article 16 et des articles 12 et 13, le Comité contre la torture a instamment invité l’État partie à procéder à une enquête en bonne et due forme sur les faits survenus, et à poursuivre et sanctionner les personnes qui en seraient reconnues coupables et à accorder une réparation appropriée au requérant, y compris une indemnisation équitable et adéquate.

En règle générale, la Commission interaméricaine des droits de l’homme souligne que l’enquête doit être menée avec sérieux, efficacité et impartialité. Elle a souvent recommandé à l’État partie concerné d’ordonner une enquête sérieuse, efficace et impartiale sur les faits dénoncés, afin d’en identifier les responsables et de les punir. Dans un cas de violation du droit à la vie et du droit à la protection judiciaire, elle a également recommandé que les personnes responsables des irrégularités de l’enquête menée par la police militaire, et que ceux qui avaient retardé sans raison valable l’enquête civile soient punis. Dans plusieurs cas, la Commission a souligné que les coupables devaient subir la peine prévue pour les violations graves. La Cour interaméricaine des droits de l’homme souligne elle aussi la nécessité d’ordonner une enquête afin de découvrir les personnes responsables de violations des droits de l’homme et de les punir; elle a ajouté que les États devaient également rendre publics les résultats de l’enquête menée.

En raison de l’interprétation restrictive qu’elle donne à l’article 41 (ancien article 50), la Cour européenne des droits de l’homme ne pourrait pas, dans les cas où elle constaterait que les allégations de violations n’avaient pas fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme, en ordonner une, même s’il y a eu violation de l’article 13 (droit à un recours effectif). Dans le cas d’une demande tendant à ce qu’elle ordonne une enquête, elle a rappelé que la constatation d’une infraction mettait l’État défendeur dans l’obligation de mettre fin à cette infraction et d’en rattraper les conséquences de façon à rétablir autant que possible la situation qui existait avant que l’infraction se soit produite (restitutio in integrum). Dans le cas où la restitution intégrale serait, dans la pratique, impossible, l’État défendeur est libre de choisir le moyen par lequel il entend déférer au jugement de la Cour; la Cour ne délivrera aucune ordonnance ni ne prononcera de jugement déclaratif sur la question. Elle a fait observer que le Comité des ministres était chargé de veiller à l’exécution des jugements rendus par elle.

D.Rétablissement

Le rétablissement ou la restitution ont été recommandés dans un certain nombre d’affaires, dont le résumé qui suit donne une illustration. Dans une affaire dans laquelle le Comité des droits de l’homme a estimé que le déni d’accès à un district constituait une violation de l’article 12 (liberté de mouvement et de résidence), il a recommandé de rétablir la liberté de mouvement. Dans une affaire dans laquelle la législation sur l’indemnisation et la restitution en cas de confiscation antérieure était considérée comme une infraction à l’article 26 (interdiction de toute discrimination), le Comité des droits de l’homme a recommandé que tout recours utile prenne la forme d’une restitution ou d’une indemnisation si les biens en question ne pouvaient pas être restitués. Constatant que la décision du tribunal du pays, qui condamnait les auteurs aux dépens, constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 14 (droit à un procès équitable), le Comité a estimé que l’État partie avait l’obligation de restituer aux auteurs la partie des frais qu’ils avaient déjà remboursée et de renoncer à exiger le versement du montant restant.

Dans de nombreuses affaires dans lesquelles la condamnation (souvent une condamnation à mort) résultait d’un procès au cours duquel les garanties prévues à l’article 14 n’avaient pas été respectées, le Comité des droits de l’homme a été d’avis que le recours devrait aboutir à la libération, en particulier lorsque la victime a passé de nombreuses années en prison, dont plusieurs dans le quartier des condamnés à mort, ou dans des conditions carcérales qui constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 10. Lorsque le Comité a constaté qu’il y avait eu seulement violation du droit d’être jugé sans retard, il a estimé que la commutation de la peine capitale en prison à vie constituait un recours approprié. Dans une affaire dans laquelle l’État partie avait commué la peine capitale en prison à vie avant l’adoption de ces considérations, le Comité a estimé que cela était insuffisant et que seule la libération constituait un recours approprié. Dans une affaire dans laquelle il avait constaté une violation du paragraphe 1 de l’article 14, du fait qu’un procès s’était déroulé en l’absence de la victime, ce qui est contraire aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme a recommandé que l’État partie offre à la victime « un recours utile, ce qui suppose sa remise en liberté immédiate ou la réouverture de son procès en sa présence ». La remise en liberté a également été recommandée lorsque le Comité a constaté qu’il y avait eu violation de l’article 9 et des articles 7 et 10 (par. 1).

La réintégration dans un emploi est un autre exemple de restitution qui a été recommandée, par exemple après la mise à pied d’un fonctionnaire et le refus par la suite de le réintégrer en violation du paragraphe c) de l’article 25 et de l’article 2 du Pacte considérés conjointement. Le Comité des droits de l’homme a considéré que l’auteur avait droit à un recours utile qui devait prendre la forme soit d’une réintégration effective dans la fonction publique, à son poste avec toutes les conséquences que cela impliquait ou, le cas échéant, à un poste similaire. Dans cette affaire, un recours utile comportait également le versement d’une indemnisation équivalant au paiement des arriérés de traitement et de la rémunération qu’il aurait perçue depuis la période où il n’a pas été réintégré dans ses fonctions, considérée à partir de septembre 1989 (c’est-à-dire la date à laquelle la réintégration du requérant avait été ordonnée par les autorités du pays, décision qui n’avait pas été appliquée). Au besoin, la réintégration devrait se faire au grade qui serait revenu à l’auteur, s’il n’avait pas été révoqué, ou à un poste similaire.

Dans une affaire dans laquelle le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a constaté une violation l’alinéa i) du paragraphe e) de l’article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (égalité devant la loi en ce qui concerne le droit au travail et la protection contre le chômage), le Comité a suggéré que « l’État partie tienne compte de cet avis et lui recommande de vérifier si Mme Yilmaz-Dogan a maintenant un emploi rémunéré et, dans la négative, de faire usage de ses bons offices pour assurer à Mme Yilmaz-Dogan un nouvel emploi et/ou pour lui faire obtenir telle autre réparation qu’il pourra juger équitable ».

Dans l’affaire Robles Espinoza et fils c. Pérou, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a conclu qu’en lui imposant une retraite forcée à titre de mesure disciplinaire, en engageant deux procédures pénales à son encontre et en lui adressant directement d’autres menaces, l’État péruvien avait soumis Robles Espinozaà une forme de harcèlement et d’intimidation pour le punir des révélations qu’il avait faites au sujet de violations des droits de l’homme commises par des membres des Forces armées péruviennes, et avait notamment commis une violation de l’obligation de respecter et de garantir l’honneur et la dignité du requérant qui est énoncée à l’article 11 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. La Commission a notamment recommandé que l’État partie adopte toutes les mesures de réparation nécessaires pour rétablir l’honneur et la réputation du requérant. Par ailleurs, elle a recommandé que l’État péruvien restitue immédiatement à Robles Espinozatous les droits, avantages, honneurs et autres privilèges qui lui revenaient en tant que membre des Forces armées péruviennes en service actif et qui avaient été arbitrairement suspendus ou annulés.

E.Indemnisation

Lorsque la restitution est impossible ou considérée comme un recours insuffisant, une indemnisation monétaire peut être recommandée à titre de remplacement ou à titre de recours supplémentaire. Le Comité des droits de l’homme a inclus une recommandation visant à verser une indemnisation aux victimes de violations des articles 6 (droit à la vie), 7 (interdiction de la torture et autres formes de mauvais traitements) et 9 (droit à la liberté de la personne) et du premier paragraphe de l’article 10 (droit de la personne à la dignité et à être traitée avec humanité). En cas de violation du droit à la vie, les familles de la victime devraient être indemnisées. Le terme « indemnisation » n’a pas été défini par le Comité des droits de l’homme, qui a toutefois fourni certaines indications à l’occasion en indiquant qu’il faudrait verser une indemnisation « pour préjudices subis », ou, dans une affaire de violation du droit à la liberté d’expression, « une indemnisation d’un montant au moins égal à celui de l’amende et des frais de justice encourus par l’auteur ». Il n’est pas précisé, par exemple, s’il y a lieu d’indemniser les dommages matériels aussi bien que les dommages immatériels. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a précisé que l’indemnisation à verser peut correspondre aux dommages physiques et autres, y compris la douleur et la souffrance.

Le Comité des droits de l’homme ne se prononce généralement pas quant au montant qui constituerait une indemnisation appropriée. Il a parfois fourni des indications. C’est ainsi que, dans une affaire dans laquelle il avait constaté une violation du droit à la liberté d’expression, il avait indiqué que l’État partie avait l’obligation d’offrir à la victime « une réparation utile, sous la forme d’une indemnisation d’un montant au moins égal à celui de l’amende et des frais de justice encourus par l’auteur. La constatation d’une violation du droit à la liberté de la personne (art. 9) est souvent, mais pas toujours, suivie d’une recommandation d’offre de réparation, bien que ce droit soit énoncé dans le Protocole [art. 9 5)]. Une indemnisation a également été recommandée lorsque des violations d’autres dispositions ont été constatées. Dans une affaire dans laquelle le droit à la sécurité avait été violé en raison du harcèlement des autorités, le Comité des droits de l’homme a recommandé d’accorder une indemnisation appropriée. Des retards dans la procédure pénale peuvent donner lieu à une recommandation d’indemnisation, au même titre qu’une condamnation pour l’exercice du droit à la liberté d’expression, des violations des paragraphes 1 et 2 de l’article 24 (droits de l’enfant) et une violation de l’interdiction de toute discrimination (art. 26). Lorsqu’il a constaté une violation de l’article 19 et du paragraphe c) de l’article 25 dans une affaire de licenciement de fonctionnaires du service public pour des motifs discriminatoires, le Comité des droits de l’homme a décidé que l’État partie était tenu de verser « une indemnisation calculée sur la base d’une somme équivalant à la rémunération qu’ils auraient perçue pendant la période où ils n’étaient pas réintégrés dans leurs fonctions, considérée à partir du 30 juin 1988 ».

Dans un petit nombre d’affaires seulement, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a recommandé de verser une indemnisation. Dans une affaire dans laquelle un prêt avait été refusé du fait que le requérant n’était pas un ressortissant de l’État partie, le Comité a estimé que le requérant n’avait pas eu droit à un recours utile au sens de l’article 6. Il a recommandé que l’État partie prenne des mesures pour faire obstacle à la discrimination raciale sur le marché des prêts et qu’il accorde réparation ou satisfaction au requérant dans la mesure du préjudice subi. Dans une affaire dans laquelle il avait conclu qu’une personne avait reçu des menaces de violence raciale, le Comité a recommandé à l’État partie de revoir d’une part sa politique et ses procédures, et d’autre part d’indemniser le requérant dans la mesure du préjudice moral qu’il avait subi.

Dans une affaire dans laquelle il avait constaté une violation du paragraphe 1 de l’article 16 et des articles 12 et 13, le Comité contre la torture a invité instamment l’État partie à accorder notamment une réparation appropriée aux requérants, y compris une indemnisation équitable et adéquate. Ce faisant, il a recommandé de verser une indemnisation, même si aucun acte de torture n’avait été commis.

Aussi bien la Cour européenne des droits de l’homme que la Commission interaméricaine des droits de l’homme peuvent décider que l’État partie dont on a constaté qu’il avait commis une violation a l’obligation de verser une indemnisation pour les dommages matériels et immatériels. L’une et l’autre instances peuvent préciser le montant de l’indemnisation à verser.

F.Réhabilitation

Dans un certain nombre d’affaires dans lesquelles le Comité des droits de l’homme a constaté des violations de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, il a indiqué que des soins médicaux et/ou psychiatriques constitueraient un recours utile, par exemple lorsque la santé mentale d’un prisonnier s’est gravement détériorée dans le quartier des condamnés à mort, ou lorsqu’un traitement médical recommandé par un médecin de la prison n’a pas été appliqué. Dans de nombreuses affaires mettant en cause l’Uruguay, des communications détaillées ont été présentées au sujet de la détérioration de l’état de santé de prisonniers détenus pendant le régime militaire. Dans ces affaires, le Comité a recommandé que l’État partie veille à ce que les victimes reçoivent sans tarder tous les soins médicaux nécessaires.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a ordonné de larges mesures de réhabilitation, comme par exemple l’octroi de bourses et de fonds destinés à couvrir d’autres dépenses connexes dans le cadre d’études supérieures ou universitaires dans un centre d’excellence reconnu, la publication du dispositif du jugement qu’elle avait rendu et la présentation d’excuses publiques, avec reconnaissance de la responsabilité de fournir un traitement médical et une psychothérapie, pour éviter que la chose ne se reproduise. Dans une autre affaire, la Cour a décidé que l’État partie devait constituer un fonds fiduciaire et rouvrir une école en la dotant de personnel enseignant et de personnel administratif et rendre opérationnel le dispensaire médical déjà en place.

G.Mesures de caractère général visant à éviter des violations à l’avenir

Le Comité des droits de l’homme et les organes interaméricains en particulier ont fait preuve d’esprit créatif en formulant des recommandations qui visaient à prévenir des violations à l’avenir. Lorsque le Comité des droits de l’homme constate que la législation nationale contredit les termes du Protocole relatif aux droits civils et politiques ou n’applique pas ses dispositions, il recommande de modifier la législation afin de l’harmoniser avec le Pacte. Dans une affaire dans laquelle le Comité a constaté que les lois sur l’immigration instituaient une discrimination à l’égard des femmes, il a indiqué que l’« État partie devrait adapter les dispositions de la loi de 1977 modifiant la loi sur l’émigration et de la loi de 1977 modifiant la loi sur les expulsions aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, et qu’il devrait prendre immédiatement des mesures de réparation en faveur des victimes des violations constatées ci-dessus ». Dans un certain nombre d’affaires d’expropriation en République tchèque, le Comité a constaté que la législation relative à la restitution des biens confisqués constituait une violation de l’article 26. Le Comité a ensuite indiqué que l’État partie « devrait revoir sa législation et ses pratiques administratives afin de s’assurer que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi ». Après avoir conclu que l’imposition de châtiments corporels constituait une violation de l’article 7 du Pacte relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme a indiqué que l’État partie était tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir en abrogeant les dispositions législatives autorisant les châtiments corporels ». Dans l’affaire Toonen c. Australie, le Comité a constaté que les lois qui pénalisent les actes homosexuels entre adultes consentants constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 2 pris conjointement. Le Comité a noté que cette conclusion appelait l’annulation de la loi incriminée. À certaines occasions, les recommandations visant à modifier la législation étaient assez précises. Dans une affaire dans laquelle le Comité avait constaté une violation du paragraphe 1 de l’article 10, en particulier par suite de la limitation du temps réservé à l’hygiène personnelle et à la récréation, le Comité a recommandé de « prévoir, conformément à la loi, un temps suffisant pour l’hygiène personnelle et l’exercice physique ».

La Commission interaméricaine des droits de l’homme a formulé des recommandations analogues. C’est ainsi que dans une affaire dans laquelle un individu avait été condamné à une peine de mort obligatoire, qui violait les paragraphes 1 et 6 de l’article 4, les paragraphes 1 et 2 de l’article 5 et le paragraphe 1 de l’article 8 selon ses constatations, elle a recommandé que l’État partie adopte les mesures législatives et autres qui pourraient être nécessaires pour garantir que la peine de mort ne soit pas imposée en violation des droits et libertés garantis par la Convention, y compris les articles 4, 5 et 8, et veiller en particulier à ce que personne ne soit condamné à mort en application d’une loi sur les peines obligatoires à Grenade. Dans la section V C), il était fait état d’un exemple dans lequel il avait été recommandé de réviser la législation afin de rendre possible un recours juridique. Dans une affaire mettant en cause les États-Unis d’Amérique, la Commission a recommandé que l’État révise ses lois, procédures et pratiques afin de garantir que les droits de propriété des autochtones soient déterminés conformément aux droits reconnus dans la Déclaration américaine, y compris dans les articles II, XVIII et XXIII de cette déclaration.

Il y a lieu de noter que dans un certain nombre d’affaires, le Comité des droits de l’homme a estimé que l’amendement de la loi constituait en soi un recours approprié. Dans une affaire dans laquelle il a constaté une violation du paragraphe 2 de l’article 19 dans la loi québécoise qui interdisait de faire de la publicité en anglais, le Comité a recommandé tout simplement de modifier la législation; il n’a pas recommandé d’indemniser les personnes concernées, bien que les plaignants avaient fait savoir qu’ils avaient subi des dommages matériels. Le Canada a en fait modifié sa législation. Dans une affaire examinée postérieurement à l’amendement, le Comité a explicitement déclaré que l’auteur avait eu droit à un recours utile.

En outre, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a recommandé d’harmoniser la législation avec les obligations énoncées dans la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Dans une affaire mettant en cause le Chili, elle a conclu qu’en instituant des sénateurs désignés et un sénateur à vie, le général Auguste Pinochet, en vertu de l’article 45 de la Constitution chilienne, et en chargeant les autorités de son application, l’État partie avait violé les droits politiques et le droit à l’égalité devant la loi (art. 23 et 24 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme); il s’était également soustrait à l’obligation d’adapter le régime juridique pour s’acquitter de ses obligations internationales afin de garantir les droits institués par la Convention, ainsi que le prévoit l’article 2. La Commission a recommandé au Chili d’adopter les mesures nécessaires pour aligner le régime juridique national sur les dispositions de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

Au nombre des autres mesures concrètes recommandées par le Comité des droits de l’homme pour éviter de nouvelles violations à l’avenir figurent l’amélioration des conditions générales de détention et la révision du régime de l’assistance judiciaire.

Ayant constaté une violation de l’article 6 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, du fait que l’État n’avait pas pris de mesures suffisantes pour faire face aux menaces de violence raciale, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a recommandé à l’État partie de revoir sa politique et ses procédures concernant la décision d’engager des poursuites dans les affaires alléguant la discrimination raciale, compte tenu de ses obligations en vertu de l’article 4 de la Convention.

La Commission interaméricaine des droits de l’homme a également formulé des recommandations de caractère général. Elle a étudié les cas de 111 personnes tuées et d’un nombre indéterminé de personnes blessées, qui étaient toutes en détention, lors de la répression de la révolte du 2 octobre 1992 dans la prison de Carandirú, par les membres de la police militaire de São Paulo. La Commission a recommandé à l’État brésilien d’élaborer des politiques et des stratégies afin de réduire la congestion dans les centres de détention, d’adopter des programmes de réhabilitation et d’intégration sociale conformes aux normes nationales et internationales et de prendre des mesures pour éviter des éruptions de violence dans ces établissements. Elle a également recommandé à l’État brésilien d’élaborer des politiques et des stratégies et d’assurer une formation spéciale aux employés des établissements pénitentiaires et des services de répression pour leur apprendre à négocier des règlements pacifiques aux conflits et à rétablir l’ordre par des méthodes qui permettent de réprimer les émeutes éventuelles avec un minimum de risque pour la vie et l’intégrité physique des prisonniers et des services de répression.

La formulation ci-après est un autre exemple de recommandation de caractère général. Ayant constaté une violation du droit à la vie, du droit à un procès équitable et du droit à la protection judiciaire, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a notamment recommandé que l’État partie adopte les mesures nécessaires pour exécuter des programmes à l’intention des autorités judiciaires compétentes chargées des enquêtes judiciaires et des procédures auxiliaires afin de leur permettre de mener des procédures pénales conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

H.Principe du non-refoulement

Le Comité contre la torture a examiné de nombreuses affaires dans lesquelles les intéressés invoquaient le principe du non-refoulement énoncé à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Lorsque le Comité observe qu’il existe « des motifs suffisants de penser que l’auteur risque d’être torturé s’il était expulsé, renvoyé ou extradé (...) selon le Comité, l’intéressé doit prouver qu’il se trouverait « personnellement et actuellement en danger ». Si tel est vraiment le cas, le Comité conclut que l’État partie a l’obligation de ne pas expulser, renvoyer ou extrader l’intéressé. Le Comité des droits de l’homme accepte lui aussi ce principe. À diverses occasions, il a constaté que les États parties sont tenus d’éviter de déporter l’intéressé dans un État où il serait traité d’une manière incompatible avec l’article 7 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Dans une affaire dans laquelle l’extradition était intervenue avant l’adoption des considérations, le Comité a recommandé que l’État partie prenne des mesures diplomatiques pour éviter que l’État vers lequel l’intéressé avait été extradé ne le condamne à la peine capitale. Dans une autre affaire, dans laquelle l’Autriche avait extradé un individu dans les États-Unis d’Amérique bien que le Comité des droits de l’homme lui ait demandé de ne pas le faire, le Comité a souligné que l’État partie avait l’obligation de « faire, auprès des autorités américaines, les démarches qui pourraient être nécessaires pour garantir que l’auteur ne subisse pas de violation des droits garantis par le Pacte du fait de son extradition effectuée en violation des obligations contractées par l’État partie en vertu du Pacte et du Protocole facultatif ».

I.Divers

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a fait preuve d’invention en trouvant d’autres formes de satisfaction. Dans l’affaire des enfants des rues, elle a décidé que l’État du Guatemala devait désigner un centre d’enseignement dont le nom ferait penser aux jeunes victimes de cette affaire et y apposer une plaque portant leurs noms. Dans un jugement dans lequel elle avait constaté une violation du droit à la propriété d’une communauté autochtone, elle a décidé que l’État devrait investir, à titre de réparation du préjudice moral, la somme globale de 50 000 dollars des États-Unis dans des travaux et des services publics destinés à servir l’intérêt général et celui de la collectivité.

Dans certaines affaires, le Comité des droits de l’homme a estimé que la constatation d’une violation était un recours suffisant. Dans une affaire dans laquelle la loi considérée comme contraire au Pacte avait été modifiée avant l’adoption des constatations, le Comité des droits de l’homme a noté ce fait avec satisfaction et a indiqué que « dans les circonstances de la présente affaire, le Comité considère que la constatation de l’existence d’une violation constitue pour l’auteur une réparation suffisante ». Dans une affaire dans laquelle elle avait constaté une violation du droit à la liberté d’expression, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a décidé que l’État partie devait aligner sa législation sur la Convention américaine relative aux droits de l’homme et a déclaré que s’agissant d’autres formes de réparation, elle estimait que ce jugement constituait en soi une forme de réparation et de satisfaction morale significative et importante pour les victimes.

Dans un assez grand nombre d’affaires, l’État partie a été libre de décider des mesures à prendre pour mettre en oeuvre les constatations du Comité des droits de l’homme ou du Comité contre la torture. À diverses occasions, le Comité des droits de l’homme a recommandé que l’État partie prévoie « un recours », « un recours utile », ou « un recours approprié », sans donner de précisions quant à la nature de ces recours. Le Comité contre la torture a également adopté des formules dans lesquelles il demandait par exemple de veiller à ce que « des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir ». Dans une affaire, le Comité contre la torture n’a recommandé aucun recours, mais après avoir constaté qu’il y avait eu violation des articles 12 et 13 de la Convention sur l’élimination de la torture, il a simplement déclaré qu’il souhaitait être informé de toutes les mesures pertinentes prises par l’État partie conformément aux constatations qu’il avait adoptées.

VI.Paragraphes 4 et 5 de l’article 7 : mesures prises par les États parties en réponse aux observationsdu Comité

Les paragraphes 4 et 5 de l’article 7 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes traitent de la suite donnée aux recommandations. Ces dispositions prévoient que :

« L’État Partie examine dûment les constatations et les éventuelles recommandations du Comité, auquel il soumet, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant notamment de toute action menée à la lumière de ces constatations et recommandations.

Le Comité peut inviter l’État Partie à lui soumettre de plus amples renseignements sur les mesures qu’il a prises en réponse à ses constatations et éventuelles recommandations, y compris, si le Comité le juge approprié, dans les rapports ultérieurs que l’État Partie doit lui présenter conformément à l’article 18 de la Convention. »

Les autres traités de l’ONU ayant trait aux droits de l’homme ne contenant pas de dispositions comparables, c’est en effet la première fois que les obligations des États parties dans ce domaine sont inscrites dans un instrument international ayant force obligatoire. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne prévoit pas de dispositif de suivi des constatations du Comité des droits de l’homme. Le Comité a donc lui-même pris diverses mesures visant à améliorer le suivi de ses constatations. Son autorité en la matière est fondée sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en particulier sur le paragraphe 3 de l’article 2, aux termes duquel les États parties au Pacte s’engagent à garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le Pacte auront été violés disposera d’un recours utile. Le Comité des droits de l’homme fait référence à cette disposition dans ses constatations. Il déclare que :

« Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. »

D’autres organes compétents ont confirmé que le Comité des droits de l’homme était habilité à vérifier la suite donnée à ses constatations. Dans un document soumis conjointement à la Conférence mondiale sur les droits de l’homme (Vienne, juin 1993), les organes créés en vertu d’instruments internationaux ont déclaré que la surveillance internationale du respect des obligations découlant des instruments internationaux visait à aider les États parties à s’acquitter des obligations qu’ils s’étaient volontairement engagés à assumer. D’après eux, cette surveillance était donc incomplète si elle ne s’accompagnait pas de mesures adéquates de suivi. Des mesures de suivi devaient être prises aussi bien par les organes créés en vertu d’instruments internationaux que par les États parties. La Déclaration de Vienne appuyait, en termes généraux, les mesures prises par les organes créés en vertu d’instruments internationaux pour améliorer l’efficacité des mécanismes de supervision. En outre, la Commission des droits de l’homme comme l’Assemblée générale ont appuyé de manière constante les mesures prises. Enfin, si, dans la pratique, l’application n’est pas complète, aucun État partie n’a remis en question l’autorité du Comité pour adopter des recommandations et vérifier la suite donnée à ses constatations par les États parties.

En 1990, le Comité des droits de l’homme, ayant décidé d’adopter des mesures visant à améliorer la prise en considération de ses constatations, a notamment nommé un Rapporteur spécial du suivi des constatations qui est, entre autres, chargé de recommander au Comité la suite à donner à toutes les plaintes reçues de particuliers; de communiquer avec les États parties au sujet des lettres de ce type; de s’efforcer d’obtenir des renseignements sur toutes mesures prises par les États parties et de soumettre au Comité des recommandations sur les moyens possibles de renforcer l’efficacité de la procédure de suivi. Après une évaluation en 1994 des résultats de ses activités, le Comité des droits de l’homme a décidé de mieux faire connaître ses activités de suivi. Il a estimé que ce serait là le moyen le plus approprié de renforcer l’efficacité de cette procédure. Une telle publicité serait non seulement dans l’intérêt des victimes de violations des dispositions du Pacte, mais pourrait également donner plus de poids aux constatations du Comité et inciter les États parties à leur donner suite. En consultation avec les représentants des États parties, le Rapporteur spécial s’informe de la mise en oeuvre des constatations du Comité et, le cas échéant, fournit des explications. De telles consultations sont, par exemple, menées lorsque des États parties contestent les constatations du Comité ou qu’aucune réponse concrète n’a été donnée. En raison du grand nombre de constatations visant la Jamaïque où des violations sont constatées, le Rapporteur spécial s’est rendu dans ce pays en juin 1995. Depuis 1996, le Comité des droits de l’homme a demandé que le financement d’au moins une mission de suivi par an soit prévu au budget du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Cette demande n’a cependant pas été satisfaite.

Dans bien des cas, le fait que les États ne donnent pas suite aux constatations du Comité des droits de l’homme est dû à l’absence d’une législation nationale adéquate. Le Comité a maintes fois invité les États parties à envisager l’adoption de lois particulières et, en attendant, à verser les indemnités à titre de faveur. Malgré les efforts du Comité, de nombreuses constatations n’ont pas été suivies d’effet. Dans deux affaires distinctes, les victimes de violations ont présenté au Comité une deuxième plainte faisant état, notamment, du fait que les recommandations du Comité n’avaient pas été mises en oeuvre.

Bien que le Comité des droits de l’homme ait indiqué que les réponses des États parties se prêtaient difficilement à un classement par catégories, il a estimé qu’environ 30 % des réponses reçues pouvaient être considérées satisfaisantes, dans la mesure où elles témoignaient de la volonté de l’État partie concerné de donner suite aux constatations du Comité ou d’accorder dûment réparation au plaignant. Néanmoins, de nombreuses réponses indiquaient que la victime n’avait pas déposé de demande de réparation dans les délais réglementaires et qu’aucune indemnité ne pouvait donc lui être versée. D’autres réponses n’étaient pas satisfaisantes car soit elles ne tenaient pas du tout compte des recommandations du Comité, soit elles n’en abordaient qu’un aspect. Dans d’autres réponses, l’État partie contestait ouvertement les constatations du Comité en invoquant des raisons de fait ou de droit, donnait des informations très tardives sur le fond de l’affaire, promettait d’ouvrir une enquête sur la question examinée ou indiquait qu’il ne donnerait pas suite aux recommandations du Comité. Dans de nombreux cas, le Comité a aussi été informé par l’auteur de la communication qu’il n’avait pas été donné suite aux constatations; à l’inverse, il est arrivé que l’auteur d’une communication informe le Comité que l’État partie avait donné suite à ses recommandations.

À sa vingt-huitième session, tenue du 29 avril au 17 mai 2002, le Comité contre la torture a révisé son règlement intérieur en ce qui concerne l’examen des communications individuelles. Il a ainsi adopté l’article 114, qui prévoit que :

a)Le Comité peut désigner un ou plusieurs rapporteurs chargé(s) du suivi des décisions adoptées au titre de l’article 22 de la Convention, afin de vérifier que les États parties ont pris des mesures pour donner effet à ses conclusions;

b)Le(s) rapporteur(s) chargé(s) du suivi peut/peuvent établir les contacts et prendre les mesures appropriées pour s’acquitter dûment de leur mandat et ils en rendent compte au Comité. Il(s) peut/peuvent recommander au Comité les mesures complémentaires éventuellement nécessaires;

c)Le(s) rapporteur(s) fait/font périodiquement rapport au Comité sur les activités de suivi;

d)Dans l’exercice de son/leur mandat, le(s) rapporteur(s) peut/peuvent, avec l’accord du Comité, effectuer les visites nécessaires auprès de l’État partie intéressé. »

Le Comité contre la torture a décidé que :

« le Rapporteur chargé du suivi des décisions prises au sujet des requêtes présentées en vertu de l’article 22 aurait notamment pour mandat de surveiller l’application des décisions du Comité, notamment en envoyant des notes verbales aux États parties pour s’informer des mesures prises comme suite aux décisions du Comité; de recommander au Comité les mesures qu’il convient de prendre comme suite aux réponses reçues des États parties, à l’absence de réponse et à toutes les lettres reçues ultérieurement des requérants à propos de la non-application des décisions du Comité; de rencontrer les représentants des missions permanentes des États parties pour encourager l’application des décisions du Comité et déterminer si la fourniture de services consultatifs ou d’une assistance technique par le Haut Commissariat aux droits de l’homme serait appropriée ou souhaitable; d’effectuer, avec l’approbation du Comité, des missions de suivi dans les États parties; d’établir périodiquement à l’intention du Comité des rapports sur ses activités. »

À sa vingt-huitième session, le Comité contre la torture a nommé un rapporteur et un corapporteur. Le rapporteur n’étant en fonctions que depuis un an, aucune information relative aux activités entreprises n’est encore disponible.

La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale prévoit, à l’alinéa b) du paragraphe 7 de son article 14, que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale adresse ses suggestions et recommandations éventuelles à l’État partie intéressé et au pétitionnaire. Elle ne contient pas de dispositions relatives au suivi de ses constatations. Dans son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie intéressé à l’informer en temps voulu des mesures qu’il prend conformément aux suggestions et recommandations du Comité. Le Comité n’a pas encore pris de mesures spécifiques pour améliorer le suivi de ses recommandations.

L’article 46 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que les États parties s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels ils sont parties. Le Comité des ministres surveille l’exécution des arrêts. Conformément à l’article 68 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, les États parties s’engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause. Le dispositif de l’arrêt accordant une indemnité pourra être exécuté dans le pays intéressé conformément à la procédure interne tracée pour l’exécution des jugements rendus contre l’État. La jurisprudence de la Cour montre qu’elle s’estime compétente pour superviser l’application de ses arrêts. Au vu des différences fondamentales qui existent entre le statut des arrêts des Cours et les constatations des organes créés en vertu d’instruments internationaux, les activités de suivi du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme ne sont pas abordées.

VII.Responsabilité des États parties quant aux actes d’acteurs non étatiques

L’article 2 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes prévoit que des communications peuvent être présentées par des particuliers ou au nom de particuliers relevant de la juridiction d’un État partie, qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie d’un des droits énoncés dans la Convention. Il va sans dire que les États parties sont responsables des actes de leurs organes, notamment les cours nationales, les municipalités, la police et d’autres agents de l’État. La question abordée dans la présente section concerne la responsabilité des États parties quant aux actes d’acteurs non étatiques.

L’arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Velasquez Rodríguez a fait date dans ce domaine; il est donc examiné en détail. Dans cet arrêt, la Cour a clairement établi l’étendue de la responsabilité des États quand des organes étatiques agissent en dehors des limites de leur autorité, ainsi que quant aux actes des particuliers. Il a défini la doctrine de « diligence voulue », qui a ensuite été évoquée dans des décisions d’autres organes internationaux, ainsi que, par exemple, dans la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a d’abord réaffirmé que chaque fois qu’un organe étatique, un fonctionnaire ou une entité publique violait l’un des droits garantis par la Convention américaine relative aux droits de l’homme, ceci constituait un manquement à l’obligation de respecter ces droits et libertés. Cette conclusion était indépendante du fait de savoir si l’organe ou le fonctionnaire avait contrevenu aux dispositions du droit interne ou outrepassé les limites de son pouvoir : en droit international, un État était responsable des faits de ses agents agissant en leur qualité officielle et de leurs omissions, même lorsque ces agents agissaient hors de la sphère de leur pouvoir ou violaient le droit interne.

La Cour a ensuite examiné dans quelle mesure un État pouvait être tenu responsable d’un acte illégal qui viole les droits de l’homme et qui, initialement, n’est pas directement imputable à un État (par exemple parce qu’il s’agit d’un acte commis par un particulier ou parce que l’auteur n’en a pas été identifié). Elle a jugé que la responsabilité internationale de l’État pouvait être engagée, « non en soi mais en raison de l’absence de diligence à prévenir la violation ou à y répondre comme le veut la Convention ». Il était indispensable de déterminer si une violation des droits reconnus par la Convention avait été commise avec l’appui ou l’assentiment du gouvernement ou si l’État avait autorisé la commission de l’acte sans prendre les mesures voulues pour l’éviter ou pour punir les responsables. La Cour a noté qu’elle devait déterminer si cette violation était le résultat de l’incapacité d’un État à remplir l’obligation qui lui incombait, au titre du paragraphe 1 de l’article premier de la Convention, de respecter et de garantir les droits de l’homme.

La Cour a fait observer que l’État avait le devoir juridique de prévenir, dans une mesure raisonnable, les violations des droits de l’homme et d’utiliser les moyens en son pouvoir pour mener une enquête minutieuse sur les violations commises sous sa juridiction, afin d’identifier les responsables, d’imposer les sanctions voulues et de s’assurer que la victime était dûment indemnisée. Elle a expliqué que le devoir de prévention recouvrait toutes les mesures d’ordre juridique, politique, administratif et culturel de nature à favoriser la sauvegarde des droits de l’homme et à garantir que les éventuelles violations de ces droits seraient effectivement considérées et traitées comme des faits illicites, susceptibles en tant que tels, d’être suivis de sanctions contre leurs auteurs et de l’obligation d’indemniser les victimes. L’État avait l’obligation d’enquêter sur chaque situation impliquant une violation des droits protégés par la Convention.

Selon la Cour, si l’appareil d’État agit de telle sorte qu’une violation demeure impunie et que la pleine réalisation des droits de la victime n’est pas restaurée dans les meilleurs délais, l’État a manqué à son devoir de garantir le libre et plein exercice de ces droits aux personnes placées sous sa juridiction. Il en va de même lorsque l’État autorise des particuliers ou des groupes de particuliers à agir librement et impunément au détriment des droits reconnus par la Convention.

La Cour a clairement dit que le simple fait que l’enquête ne donne pas un résultat satisfaisant ne constitue pas un manquement aux obligations d’enquête ou de prévention. Il faut mener l’enquête avec sérieux et non comme s’il s’agissait d’une simple formalité vouée d’avance à l’échec. Toute enquête doit avoir un objectif et être considérée par l’État concerné comme un devoir juridique et non comme une mesure prise par des intérêts privés dépendant de l’initiative de la victime ou de sa famille ou des éléments de preuve qu’elles apportent, sans que le gouvernement ne tente de rechercher la vérité. Ceci est vrai quel que soit l’agent auteur de la violation. Lorsque des actes commis par des particuliers violant la Convention ne font pas l’objet d’enquêtes sérieuses, l’État vient dans un certain sens à la rescousse de ces particuliers, ce qui fait qu’il devient responsable sur le plan international.

Le Comité des droits de l’homme a abordé à plusieurs reprises la question de la responsabilité des États quant aux actes d’acteurs non étatiques. Dans une affaire où un État a contesté la recevabilité de la plainte en avançant l’argument selon lequel l’acte faisant l’objet de la plainte n’avait pas été commis par un organisme de l’État, mais par une caisse d’assurance professionnelle sur les décisions de laquelle l’État partie ne pouvait influer, le Comité a fait observer que l’État partie ne s’était pas dégagé de ses obligations en vertu du Pacte en déléguant certaines de ses fonctions à d’autres organes autonomes. Le Comité a récemment réaffirmé cette constatation. Dans une affaire concernant le traitement de personnes détenues dans un établissement pénitentiaire administré par une société privée, il a déclaré que :

« le fait de confier au secteur privé des activités essentielles de l’État comportant le recours à la force et la détention de personnes ne dégageait pas l’État partie des obligations qu’il avait souscrites en vertu du Pacte, notamment celles qui découlaient des articles 7 et 10 et faisaient l’objet de la communication. Par conséquent, le Comité tenait l’État partie pour responsable en vertu du Pacte et du Protocole facultatif, du traitement réservé aux détenus de la prison de Port Philip, établissement pénitentiaire géré par le Group 4. »

De plus, lorsqu’un État partie autorise une organisation privée à assumer certaines fonctions, sa responsabilité peut être engagée en cas de violations. Dans l’affaire Gauthier c. Canada, l’État partie a autorisé un organisme privé à contrôler l’accès aux installations de presse du Parlement, sans ingérence. Le Comité des droits de l’homme a estimé que les activités de l’organisme en question constituaient une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte traitant du droit à la liberté d’expression et a tenu l’État partie responsable de cette violation.

Le Comité a également examiné une affaire dans laquelle un État partie estimait que la communication était irrecevable dans la mesure où elle concernait une allégation de discrimination dans le cadre d’un contrat de droit privé sur lequel l’État partie n’avait aucune autorité. Le Comité a fait observer qu’en vertu des articles 2 et 26 du Pacte, l’État partie était tenu de faire en sorte que tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence soient à l’abri de la discrimination; il s’ensuivait que les tribunaux des États parties étaient dans l’obligation de protéger les individus contre toute discrimination, que ce soit dans la sphère publique ou entre particuliers dans le secteur semi-public de l’emploi, par exemple. De surcroît, le Comité a relevé qu’en l’espèce, la convention collective était réglementée par la loi et n’entrait en vigueur qu’une fois confirmée par le ministère compétent. Le Comité a noté en outre que cette convention collective s’appliquait au personnel de la Caisse d’assurance sociale, établissement de droit public qui mettait en oeuvre une politique publique. Il a par conséquent conclu que la communication n’était pas irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

Dans une affaire où l’ex-épouse de l’auteur de la plainte lui interdisait de voir son fils, en dépit de plusieurs décisions de justice et amendes, le Comité a jugé que l’État partie devait prendre d’autres mesures pour obliger la mère à se conformer aux décisions de justice. Il a fait observer que « bien que les tribunaux aient maintes fois condamné l’épouse de l’auteur à une amende pour ne pas avoir respecté les ordonnances préliminaires accordant à l’auteur le droit de voir son fils, les amendes imposées n’ont été ni pleinement mises à exécution ni remplacées par d’autres mesures destinées à garantir les droits de l’auteur. Dans ces circonstances, le Comité était d’avis que les droits de l’auteur consacrés par l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de l’article 2, n’avaient pas été protégés d’une manière effective. Il a indiqué que l’État partie avait l’obligation de mettre à la disposition de l’auteur un recours utile, qui devait comprendre des mesures propres à assurer l’exécution rapide des ordonnances judiciaires concernant les relations entre l’auteur et son fils. »

Dans un certain nombre d’affaires, les auteurs se sont plaints des actes de leurs avocats ou du fait qu’ils n’avaient pas pris les mesures voulues. Selon le Comité des droits de l’homme, l’État partie ne peut pas être tenu pour responsable de prétendues erreurs commises par un avocat privé, à moins qu’il ne soit manifeste, pour le juge ou l’autorité judiciaire, que le comportement de l’avocat est incompatible avec les intérêts de la justice.

À cet égard, il convient de prendre en considération les observations générales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui contiennent des informations importantes sur les obligations qui incombent aux États parties en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Dans un certain nombre de ses observations générales sur le contenu des droits, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a précisé les obligations des États parties en ce qui concerne les acteurs non étatiques. Ainsi, dans son observation générale sur le droit à la santé, il a fait observer que :

« L’obligation de protéger le droit à la santé englobe, entre autres, les devoirs incombant à l’État d’adopter une législation ou de prendre d’autres mesures destinées à assurer l’égalité d’accès aux soins de santé et aux soins en rapport avec la santé fournis par des tiers, de veiller à ce que la privatisation du secteur de la santé n’hypothèque pas la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité des équipements, produits et services sanitaires, de contrôler la commercialisation de matériel médical et de médicaments par des tiers et de faire en sorte que les praticiens et autres professionnels de la santé possèdent la formation et les aptitudes requises et observent des codes de déontologie appropriés. Les États sont également tenus de veiller à ce que des pratiques sociales ou traditionnelles nocives n’interfèrent pas avec l’accès aux soins pré et postnatals et à la planification familiale, d’empêcher que des tiers imposent aux femmes des pratiques traditionnelles, par exemple du type mutilations génitales, et de prendre des mesures destinées à protéger tous les groupes vulnérables ou marginalisés de la société, en particulier les femmes, les enfants, les adolescents et les personnes âgées, compte tenu de la vulnérabilité du sexe féminin à la violence. Les États devraient veiller à ce qu’aucun tiers ne limite l’accès de la population à l’information relative à la santé et aux services de santé. »

Les observations générales sur le droit à l’alimentation, le droit à l’éducation et le droit à l’eau contenaient des paragraphes similaires.

La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale comporte un certain nombre de références aux obligations qui incombent aux États parties de mettre un terme à la discrimination raciale exercée par des particuliers. À l’alinéa d) du paragraphe1 de l’article 2 de la Convention, il est expressément dit que chaque État partie doit mettre fin à la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations. En raison, sans doute, de cette formulation expresse, les États parties n’ont pas fait d’objection aux cas dans lesquels la discrimination exercée par des particuliers constituait l’objet de la communication. La plupart des affaires dans lesquelles la discrimination exercée par des particuliers était en cause ont été examinés au regard de l’article 6 de la Convention qui oblige les États parties à assurer à toute personne relevant de leur juridiction une protection et une voie de recours effectives. Dans le cas d’une communication incriminant les Pays-Bas, un particulier était victime de menaces de violence raciale. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a indiqué que, lorsque des menaces de violence raciale étaient proférées, en particulier en public par un groupe de personnes, l’État partie avait le devoir d’enquêter rapidement et diligemment. Il a constaté que dans le cas à l’étude, le requérant n’avait pas pu bénéficier d’une protection et d’une voie de recours effectives, au sens de l’article 6 de la Convention. Dans d’autres cas, le Comité a constaté une violation de l’article 6 du fait que les mesures prises par les États parties comme suite à des allégations de discrimination raciale étaient insuffisantes. Il a examiné des cas relatifs, entre autres, à une prétendue discrimination sur le marché du crédit, à l’emploi de propos injurieux par des particuliers, ainsi qu’à l’accès à un lieu ou service public.

Dans le cadre d’une plainte déclarée irrecevable du fait que la communication avait été soumise plus de six mois après la décision finale sur le plan interne, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a toutefois formulé une observation qui mérite d’être notée. La plainte concernait le refus essuyé par le requérant de la part d’une agence immobilière qui permettait aux propriétaires privés d’imposer une discrimination pour des motifs raciaux. Le Comité a saisi cette occasion pour exhorter l’État partie à prendre des mesures efficaces en vue d’assurer que les agences immobilières s’abstiennent d’appliquer des pratiques discriminatoires et n’acceptent pas les propositions de propriétaires privés qui imposeraient une discrimination pour des motifs raciaux.

Dans sa recommandation générale concernant la discrimination à l’égard des Roms, le Comité a souligné que les États parties devaient s’employer à préserver la sécurité et l’intégrité des Roms, en l’absence de toute discrimination, en adoptant des mesures propres à prévenir les actes de violence à motivation raciale à leur encontre, à veiller à ce que la police, le parquet et les juges interviennent rapidement en vue d’enquêter sur de tels actes et de les réprimer, et à faire en sorte que les auteurs, qu’il s’agisse d’agents de l’État ou d’autres personnes, ne bénéficient d’aucune impunité.

S’agissant de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, il convient de noter que selon le paragraphe 1 de l’article premier et l’article 16, le terme « torture » désigne tout acte infligé par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Le Comité contre la torture ne peut traiter les allégations de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés par particulier, sauf si l’acte a reçu le consentement exprès ou tacite d’un agent de la fonction publique. Ainsi, un État partie n’est pas tenu de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger des souffrances par un particulier, si de tels actes sont commis sans le consentement exprès ou tacite des autorités. Jusqu’à présent, le Comité ne s’est pas exprimé sur la question du « consentement exprès ou tacite » donné par un agent de la fonction publique, comme cela pourrait se produire dans le cadre d’actes de violence (familiale) graves perpétrés contre des femmes.

Les organes de Strasbourg ont reçu un grand nombre de plaintes dirigées contre les catégories de particuliers et d’organisations les plus diverses, telles que des juges et des avocats, à titre personnel, des employeurs, des stations de radiodiffusion et des chaînes de télévision privées, ou encore des banques. Lorsqu’elle n’a pas donné suite à ce type de plainte, la Commission s’est appuyée généralement sur l’article 19 de la Convention, par lequel elle est tenue d’assurer le respect des engagements pris par les parties contractantes, ainsi que sur l’article 25 (désormais art. 32). Les États parties ne peuvent pas se soustraire à leurs responsabilités en déléguant leurs obligations à des organes privés ou des particuliers. Ainsi, en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, les États sont tenus de fournir une assistance juridique gratuite dans certaines circonstances. En Belgique, cette tâche revenait à l’ordre des avocats. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, cette solution n’autorise pas l’État belge à se soustraire aux responsabilités que lui aurait conférées la Convention, s’il avait choisi de se charger des opérations.

Selon la Cour, en vertu de l’article premier de la Convention européenne des droits de l’homme, chaque partie contractante doit garantir à quiconque relève de sous sa juridiction les droits et libertés définis dans la Convention; si la violation de l’un de ces droits ou de l’une de ces libertés est due au fait que les autorités ont failli à cette obligation dans le cadre de l’application de la législation nationale, la responsabilité de l’État est engagée.

Dans l’affaire Osman, la Cour a reconnu que l’article 2 de la Convention (concernant le droit à la vie) pouvait, dans certaines circonstances bien définies, obliger les autorités à prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger un individu dont la vie était menacée par les agissements criminels d’autrui. Elle a fait observer qu’une telle obligation devait interprétée de manière à ne pas imposer une tâche impossible ou disproportionnée aux autorités. Elle a par ailleurs fait valoir que les allégations de risque pour la vie n’impliquaient pas toutes que les autorités étaient tenues par la Convention de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour éliminer le risque potentiel, et qu’il était nécessaire de veiller à ce que la police exerce les pouvoirs qui lui étaient conférés pour endiguer et prévenir la criminalité dans le plein respect des formes légales et en vertu des garanties qui limitaient légitimement la portée des activités qu’elle entreprenait pour enquêter et traduire les coupables en justice, y compris les garanties visées aux articles 5 et 8 de la Convention (droit à la liberté et à la sûreté de la personne et droit au respect de la vie privée, respectivement). La Cour estimait qu’il fallait lui prouver que les autorités savaient ou auraient dû savoir sur le moment que la vie d’un ou plusieurs individus était menacée de manière réelle et immédiate du fait des actes criminels d’un tiers et qu’elles n’avaient pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque. Elle n’a pas accepté l’opinion du Gouvernement selon laquelle l’incapacité des autorités à percevoir le risque pour la vie dans les circonstances connues alors, ou à prendre préventivement des mesures pour éviter ce risque, équivalait à une faute lourde ou au mépris délibéré du devoir de protection de la vie. Elle soulignait que, compte tenu de la nature du droit protégé par l’article 2, il suffisait au requérant de démonter que les autorités n’avaient pas pris toutes les mesures qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour éviter un risque réel et immédiat pour la vie dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissance.

Une obligation analogue incombe aux États, en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). La Cour européenne des droits de l’homme a fait valoir que l’obligation qui incombait aux États parties de garantir à quiconque relevant de leur juridiction les droits et les libertés définis dans la Convention, en sus des dispositions de l’article 3, imposait aux États de prendre des mesures visant à protéger les individus sur lesquels ils avaient compétence contre la torture et des traitements inhumains ou dégradants, y compris les mauvais traitements infligés par des particuliers. Elle était saisie d’une affaire concernant un enfant battu par son beau-père. En raison de la gravité des blessures, la Cour avait estimé que l’affaire tombait sous le coup de l’article 3 de la Convention. Selon l’argument de la défense à l’accusation e coups et blessures, en vertu de la loi britannique, le traitement en question constituait un « châtiment raisonnable ». La charge de la preuve incombait à l’accusation, qui devait établir de manière incontestable que le châtiment avait dépassé les limites de la « correction licite ». La Cour a souligné que, bien que le requérant ait subi des châtiments corporels suffisamment graves pour relever de l’article 3, le jury avait acquitté du chef d’accusation le beau-père qui avait administré ces châtiments. Elle a conclu que la loi ne fournissait pas une protection suffisante au requérant contre les traitements ou sanctions contraires à l’article 3. Elle a fait valoir que les individus devraient avoir droit à la protection de l’État, sous forme de mesures dissuasives efficaces, contre des atteintes graves à l’intégrité de leur personne. Ces mesures devraient prévoir une protection efficace, en particulier des enfants et autres individus vulnérables, et inclure des modalités raisonnables visant à prévenir les mauvais traitements dont les autorités avaient eu ou auraient dû avoir connaissance.

La responsabilité des États pour les actes commis par des particuliers a également été établie en vertu de l’article 8. Dans le cadre de la première affaire pour laquelle elle a déterminé que les États étaient tenus de prévenir l’ingérence des particuliers, et bien que l’article 8 porte essentiellement sur la protection des particuliers contre l’ingérence arbitraire de État, la Cour européenne des droits de l’homme a statué que l’article n’obligeait pas seulement ce dernier à éviter toute ingérence. Selon elle, État n’avait pas seulement pour tâche d’empêcher certains événements, mais également de veiller au respect véritable de la vie privée ou familiale, ce qui pouvait entraîner l’adoption de mesures visant à assurer ce respect jusque dans les relations entre particuliers. Dans le cadre d’une affaire de sévices sexuels relevant du domaine privé, la Cour a fait valoir que ce genre de sévices entrait indéniablement dans la catégorie des exactions abominables qui laissent aux victimes des séquelles handicapantes. Elle a également fait valoir que les enfants et autres individus vulnérables avaient droit à la protection de l’État, sous forme de mesures dissuasives efficaces, contre ce genre d’atteintes graves à des aspects fondamentaux de leur vie privée. En ce sens, la législation pénale qui punit les sévices sexuels et soumet les coupables à de lourdes peines constituait une protection efficace. Selon la Cour, l’article 8 n’oblige pas nécessairement les États à s’acquitter de l’obligation positive qui leur est faite d’assurer le respect de la vie privée en offrant des voies de recours civil illimitées lorsque des peines pénales sont applicables.

D’autres affaires ont porté sur l’atteinte par des particuliers à l’exercice du droit à la liberté de réunion et d’association et du droit à la liberté d’expression d’autres particuliers. La Cour a décidé que les États étaient tenus de protéger les individus contre la violation de leurs droits par d’autres individus. Ce type d’obligation dépend du législateur ainsi que du pouvoir exécutif. Un exemple de responsabilité dans ce dernier cas concerne l’échec de la police à prévenir la

perturbation d’une manifestation. La Cour a souligné que, s’il incombait aux États d’adopter des mesures raisonnables et appropriées afin d’assurer le déroulement pacifique des manifestations licites, ils ne sauraient pour autant le garantir de manière absolue et jouissaient d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix de la méthode à utiliser. Elle a fait remarquer que, en la matière, ils assumaient, en vertu de l’article 11 de la Convention, une obligation de moyens et non de résultat.

Annexe

Dispositions comparables

Question

Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Convention contre la torture

Convention européenne des droits de l’homme

Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme

Paragraphes 2 et 3 : examen de la même question dans le cadre d’une autre procédure

Alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4

Alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5

Alinéa a) du paragraphe 5 de l’article 22

Alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 35

Paragraphe c) de l’article 46

Le Comité déclare irrecevable toute communication ayant trait à des questions qu’il a déjà examinées ou qui ont déjà fait l’objet ou font l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement internationale.

Le Comité n’examine aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que :

la même question n’est pas déjà en cours d’examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement internationale.

Le Comité n’examine aucune communication émanant d’un particulier conformément au présent article sans s’être assuré que :

la même question n’a pas déjà été ou n’est pas examinée dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement internationale.

La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34 lorsque :

elle est similaire sur le fond à une requête qu’elle a précédemment examinée ou qui a déjà été examinée à une autre procédure d’enquête ou de règlement internationale, et qu’elle ne contient pas de faits nouveaux.

La Commission ne retient une pétition ou une communication présentée conformément aux articles 44 ou 45 que si les conditions suivantes sont réunies :

la pétition ou la communication n’est pas en cours d’examen dans le cadre d’une autre procédure de règlement internationale.

Paragraphe d) de l’article 47

La Commission déclare irrecevable une pétition ou une communication présentée en vertu des articles 44 ou 45 si :

la requête est sur le fond, similaire à une pétition ou communication qu’elle a déjà examinée ou qu’un autre organisme international a examiné.

Paragraphe 4 : compétence ratione temporis

Alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4

Article premier

Paragraphe 1 de l’article 14

Paragraphe 1 de l’article 22

Paragraphe 3 de l’article 35

Paragraphe c) de l’article 47

Le Comité déclare irrecevable toute communication :

Le Comité ne reçoit aucune communication intéressant l’État partie au Pacte qui n’est pas partie au Protocole.

(...) Le Comité ne reçoit aucune communication intéressant l’État partie qui n’a pas fait une telle déclaration.

Le Comité ne reçoit aucune communication intéressant l’État partie qui n’a pas fait une telle déclaration.

La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34, qu’elle estime incompatible avec

La Commission déclare irrecevable toute pétition ou communication introduite en vertu des articles 44 ou 45 si :

(...)

portant sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur du Protocole pour l’État partie intéressé, à moins que ces faits n’aient persisté après cette date.

les dispositions de la Convention ou de ses protocoles (...)

l’exposé du requérant ou de l’État indique que la plainte est ostensiblement dénuée de fondement ou manifestement tout à fait non conforme aux normes; (...)

Article 3

Paragraphe 2 de l’article 22

Article 62

Le Comité déclare irrecevable toute communication présentée en vertu du Protocole (...) qu’il considère (...) être incompatible avec les dispositions du Pacte.

Le Comité déclare irrecevable toute communication soumise en vertu de l’article (...) qu’il considère (...) être incompatible avec les dispositions de la Convention.

1.Tout État partie peut, au moment du dépôt de son instrument de ratification à la Convention ou d’adhésion à cette dernière, ou à tout autre moment ultérieur, déclarer qu’il reconnaît comme obligatoire, de plein droit et sans convention spéciale, la compétence de la Cour pour connaître de toutes les espèces relatives à l’interprétation ou

à l’application de la Convention.

(...)

3.La Cour est habilitée à connaître de toute espèce relative à l’interprétation et à l’application des dispositions de la Convention qui lui est soumise, pourvu que les États parties aient reconnu ou reconnaissent sa compétence, soit par une déclaration spéciale, comme indiqué aux paragraphes précédents, soit par une convention spéciale.

Paragraphe 5 : recours recommandés

Paragraphe 3 de l’article 7

Paragraphe 4 de l’article 5

Alinéa b) du paragraphe 7 de l’article 14

Paragraphe 7 de l’article 22

Article 41

Paragraphe 3 de l’article 50

Après avoir examiné une communication, le Comité transmet ses constatations à son sujet, éventuellement accompagnées de ses recommandations, aux parties concernées.

Le Comité fait part de ses constatations à l’État partie intéressé et au particulier.

Le Comité adresse ses suggestions et recommandations éventuelles à l’État partie intéressé et au requérant.

Le Comité fait part de ses constatations à l’État partie intéressé et au particulier.

Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable.

En soumettant le rapport, la Commission peut formuler les propositions et recommandations qu’elle aura jugées appropriées.

Paragraphe 2 de l’article 51 (deuxième étape)

La Commission formule éventuellement les recommandations pertinentes et fixe le cas échéant un délai au cours duquel l’État doit prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation considérée.

Paragraphe 1 de l’article 63

Lorsqu’elle reconnaît qu’un droit ou une liberté protégés par la Convention ont été violés, la Cour ordonne que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté enfreints. Elle ordonne également, le cas échéant, la réparation des conséquences de la mesure ou de la situation à laquelle a donné lieu la violation de ce droit ou de cette liberté et le paiement d’une juste indemnité à la partie lésée.

Paragraphe 6 : suite donnée aux constatations

Paragraphes 4 et 5 de l’article 7

Article 46

Paragraphe 3 de l’article 51

4.L’État partie examine dûment les constatations et les éventuelles recommandations du Comité, auquel il soumet, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant notamment de toute action née à la lumière de ces constatations et recommandations.

1.Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2.L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des ministres qui en supervise la mise en oeuvre.

À l’expiration du délai imparti, la Commission décide à la majorité absolue de ses membres si l’État en question a pris ou non des mesures appropriées et si elle publiera ou non son rapport.

5.Le Comité peut inviter l’État partie à lui soumettre de plus amples renseignements sur les mesures qu’il a prises en réponse à ces constatations et éventuelles recommandations, y compris, si le Comité le juge approprié, dans les rapports ultérieurs que l’État partie doit lui présenter conformément à l’article 18 de la Convention.

Article 68

1.Les États parties à la Convention s’engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour quant aux litiges auxquels elles sont parties.

2.Le dispositif de l’arrêt accordant une indemnité peut être exécuté sdans le pays intéressé, conformément à la procédure interne mise au point pour l’exécution des jugements rendus contre l’État.

Paragraphe 7 : responsabilité des agents non étatiques

Article 2

Article premier

Paragraphe 1 de l’article 14

Paragraphe 1 de l’article 22

Article 34

Article 44

Des communications peuvent être présentées par des particuliers ou des groupes de particuliers, ou en leur nom lorsqu’ils relèvent de la compétence d’un État partie, et affirment être victimes d’une violation par cet État d’un des droits énoncés dans la Convention. (...)

Tout État partie au pacte qui devient partie au Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation par cet État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. (...)

Tout État partie peut déclarer à tout moment qu’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers ou de groupes de particuliers relevant de sa juridiction qui se plaignent d’être victimes d’une violation, par ledit État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention. (...)

Tout État partie à la Convention peut, en vertu de cet article, déclarer à tout moment qu’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par ou pour le compte de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation, par un État partie, des dispositions de la Convention. (...)

La Cour peut être saisie d’une requête émanant de toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. (...)

Toute personne ou tout groupe de personnes, toute entité non gouvernementale légalement reconnue dans un ou plusieurs États membres de l’Organisation peuvent soumettre à la Commission des pétitions contenant des dénonciations ou plaintes relatives à une violation de la Convention par un État partie.