Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

RESTREINTTE*

E

CCPR/C/73/D/928/2000

8 novembre 2001

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Soixante‑treizième session15 octobre‑2 novembre 2001

CONSTATATIONS

Communication n° 928/2000

Présentée par:M. Boodlal Sooklal (représenté par un conseil, Mme Natalia Schiffrin, Interights)

Au nom de:L’auteur

État partie:Trinité‑et‑Tobago

Date de la communication:2 février 2000 (communication initiale)

Décisions antérieures:Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 17 mai 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:25 octobre 2001

Le 25 octobre 2001, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations, au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication n° 928/2000. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIFSE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

– Soixante‑treizième session –

concernant la

Communication n° 928/2000

Présentée par:M. Boodlal Sooklal (représenté par un conseil, Mme Natalia Schiffrin, Interights)

Au nom de:L’auteur

État partie:Trinité‑et‑Tobago

Date de la communication:2 février 2000 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 928/2000 présentée par M. Boodlal Sooklal, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte les constatations suivantes:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, présentée le 2 février 2000, est Boodlal Sooklal, de nationalité trinidadienne, qui purge actuellement, en application du principe de la confusion des peines, une peine totale de 50 ans d’emprisonnement à la Trinité‑et‑Tobago. Il se déclare victime de violations du paragraphe 3 de l’article 9 et des paragraphes 3 c) et d) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En mai 1989, l’auteur a été arrêté et accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec des mineurs et d’avoir commis des attentats à la pudeur sur la personne de mineurs. À la suite d’une instruction préliminaire qui a eu lieu en juin 1992, il a été mis en liberté sous caution le 27 juillet 1992. L’auteur a été maintenu en détention depuis le moment de son arrestation jusqu’à la date de sa mise en liberté sous caution, soit plus de trois ans après son arrestation.

2.2En février 1997, l’auteur a été jugé par la High Court, devant laquelle il a plaidé non coupable. Il était représenté par un avocat commis d’office. Il a été reconnu coupable et condamné à 12 coups de fouet, ainsi qu’à une peine totale de 50 ans d’emprisonnement, ce qui équivaut à 20 années d’emprisonnement après remise de peine.

2.3L’auteur a fait appel de la condamnation, appel qui a été examiné par la cour d’appel le 19 novembre 1997. Il n’a reçu aucun conseil de son avocate commise d’office concernant cet appel et n’a pas pu la rencontrer avant l’audience. Au cours de celle‑ci, l’avocate de l’auteur a déclaré à la cour qu’il n’y avait pas matière à recours. En conséquence, l’autorisation de recours a été refusée et la peine prononcée a été confirmée.

2.4Selon le conseil, l’auteur n’a pas les moyens d’engager un avocat pour former un recours constitutionnel et n’a pas pu trouver d’avocat qui le fasse à titre gracieux. Le conseil indique aussi que, même si l’auteur trouvait quelqu’un pour le représenter, la Constitution de la Trinité‑et‑Tobago ne garantit pas un procès rapide ou le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et que, en conséquence, aucun recours constitutionnel contre la lenteur de la procédure ne serait utile en l’espèce.

Teneur de la plainte

3.1Le conseil affirme que l’auteur est victime de violations du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14, compte tenu du fait qu’il a été maintenu en détention pendant un laps de temps déraisonnable en attendant de passer en jugement et qu’il n’a pas été jugé sans retard excessif.

3.2Le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité, notamment à sa décision dans l’affaire Steadman c. Jamaïque, dans laquelle il a émis l’avis que, l’État partie n’ayant pas donné d’explication quant à son comportement, un retard d’environ 27 mois entre la date de l’arrestation du demandeur et la date de son jugement constituait une violation de l’obligation de l’État, en vertu du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14, de veiller à ce que toute personne inculpée soit jugée sans retard excessif.

3.3Le conseil fait valoir que les faits de la cause ne sont pas complexes, que l’affaire concerne un nombre limité de témoins etque les allégations sont peu nombreuses. Ce n’est donc pas une affaire dans laquelle un retard puisse être justifié en raison de la complexité des faits. En outre, aucun des retards qui caractérisent cette affaire ne peut être attribué à l’auteur, qui souhaitait en fait vivement que son affaire soit jugée le plus rapidement possible.

3.4Le conseil affirme que l’État partie est entièrement responsable des retards. Sans aucune explication, le ministère public et les autorités judiciaires ont fait attendre l’auteur environ trois ans avant de mener une instruction préliminaire, puis encore quatre ans et neuf mois avant de le traduire devant un juge. De plus, aucune raison n’a été invoquée pour expliquer pourquoi il a été maintenu en détention plutôt que d’être mis en liberté sous réserve de sa comparution à l’audience, ainsi que le prévoit le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. D’après le conseil, l’intervalle de près de huit ans qui s’est écoulé entre l’arrestation de l’auteur et son procès est encore plus important que celui qui s’est écoulé avant le jugement dans l’affaire Steadman c. Jamaïque et que le Comité a jugé excessif.

3.5De plus, le conseil affirme que, près de neuf ans après les incidents en cause, l’équité du procès de l’auteur a été gravement compromise, puisqu’il est vraisemblable que les témoins cités n’avaient plus de souvenirs très précis des faits. Le conseil note à cet égard que deux des témoins étaient âgés de 10 et 12 ans, respectivement, au moment des faits. Il est peu probable à son avis qu’ils aient été en mesure, à presque 20 ans, d’apporter un témoignage précis sur des événements qui s’étaient produits pendant leur enfance.

3.6D’après le conseil, l’auteur est aussi victime d’une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, puisqu’il n’a pas bénéficié d’une assistance juridique effective. Ainsi, l’avocate de l’auteur a déclaré à la cour d’appel qu’il n’y avait pas matière à recours, alors qu’il existait des motifs évidents, notamment le fait que l’auteur avait dû attendre près de huit ans avant d’être jugé et que cet élément n’avait visiblement pas été pris en compte dans la décision du juge du fond.

3.7Le conseil indique que le droit à une assistance effective est un élément inhérent du droit à un jugement équitable et du droit de recours. Elle renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Kelly c. Jamaïque, dans laquelle le Comité a fait observer que «des dispositions doivent être prises pour que [le défenseur], une fois commis d’office, représente effectivement l’accusé dans l’intérêt de la justice».

3.8Le conseil rappelle que le Comité a affirmé à plusieurs reprises que, lorsque le défenseur d’un accusé décide qu’il n’y a pas matière à recours, il doit consulter l’accusé et l’informer à l’avance de son intention de se désister de l’appel. L’obligation d’informer l’accusé s’étend aussi à l’instance d’appel. Dans l’affaire Steadman c. Jamaïque, au cours de laquelle l’avocat de l’accusé avait déclaré au tribunal qu’il n’y avait pas matière à recours, le Comité a estimé qu’il ne lui appartenait pas de mettre en doute le jugement professionnel du conseil mais a ajouté que «la cour doit s’assurer que l’accusé a été consulté et dûment informé. Si tel n’est pas le cas, elle doit veiller à ce que l’accusé soit informé de la situation afin de pouvoir envisager les possibilités qui lui restent».

3.9Selon le conseil, lorsque l’avocate de l’auteur a déclaré à la cour qu’il n’y avait pas matière à recours contre la condamnation, elle s’est, de fait, désistée de l’appel sans que l’auteur en soit informé et, partant, sans son consentement. Enfin, rien n’indique que la cour d’appel ait cherché à savoir si l’auteur avait été dûment informé de l’intention de son défenseur de se désister de l’appel. Le conseil se réfère à la jurisprudence du Comité en la matière et estime que ces éléments font apparaître une violation des droits que les paragraphes 3 d) et 5 de l’article 14 du Pacte confèrent à l’auteur.

3.10Bien que le conseil n’ait pas formulé d’allégations de violation de l’un quelconque des droits protégés par le Pacte pour ce qui concerne la condamnation de l’auteur à 12 coups de fouet, les faits de la cause posent problème au regard de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

4.1La communication, ainsi que les pièces jointes, ont été transmises à l’État partie le 17 mai 2000. En dépit des rappels qui lui ont été adressés, l’État partie n’a pas répondu à la demande formulée par le Comité en vertu de l’article 91 de son règlement intérieur de lui soumettre des renseignements et des observations concernant la recevabilité ou le fond de la communication. Le Comité rappelle qu’il résulte implicitement de l’article 4, paragraphe 2, du Protocole facultatif qu’un État partie doit examiner de bonne foi toutes les allégations formulées contre lui et qu’il doit fournir au Comité tous les renseignements dont il dispose. Compte tenu du fait que l’État partie n’a pas coopéré avec le Comité en ce qui concerne l’affaire dont ce dernier est saisi, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été étayées.

4.2Avant d’examiner les plaintes soumises dans la communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.3Le Comité note qu’au moment où la communication a été présentée, la Trinité‑et‑Tobago était partie au Protocole facultatif. La dénonciation par l’État partie du Protocole facultatif le 27 mars 2000, avec effet au 27 juin 2000, n’affecte pas la compétence du Comité pour examiner la présente communication.

4.4Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Quant à l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas indiqué que de tels recours internes devaient encore être épuisés par l’auteur et n’a formulé aucune autre objection à la recevabilité de la plainte. D’après les renseignements dont il dispose, le Comité estime que la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

4.5Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.6Le Comité note que l’auteur a été condamné à 12 coups de fouet et rappelle qu’il avait indiqué, dans sa décision dans l’affaire Osbourne c. Jamaïque,que, quelle que soit la nature de l’infraction à punir, quel qu’ait été son degré de brutalité, il était profondément convaincu que les châtiments corporels constituaient une peine cruelle, inhumaine et dégradante, contraire à l’article 7 du Pacte. Dans le cas présent, le Comité est d’avis que, en imposant une peine de flagellation, l’État partie a violé les droits que l’article 7 confère à l’auteur.

4.7Le Comité note l’affirmation du conseil selon laquelle l’État partie a violé le paragraphe 3 de l’article 9, puisque l’auteur a été maintenu en détention pendant un laps de temps déraisonnable avant de passer en jugement. L’État partie n’a donné aucun élément justifiant le placement en détention de l’auteur ou la durée de celle‑ci. Le Comité note que l’auteur a passé trois ans en détention avant d’être libéré sous caution et est donc d’avis que l’État partie a violé le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

4.8S’agissant de l’affirmation du conseil selon laquelle l’État partie a violé le paragraphe 3 c) de l’article 14, puisque l’auteur n’a pas été jugé dans un délai raisonnable après son inculpation, le Comité note que l’auteur a attendu 7 ans et 9 mois entre son arrestation et son procès. L’État partie n’a donné aucun élément justifiant ce retard. Cela étant, le Comité est d’avis que ce laps de temps est excessif et donc que l’État partie a violé le paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

4.9Le Comité note l’affirmation du conseil selon laquelle on ne pouvait pas s’attendre que les témoins apportent un témoignage précis sur des événements qui se seraient produits 9 ans auparavant, en raison de l’intervalle de 7 ans et 9 mois écoulé entre l’arrestation de l’auteur et son procès, ce qui avait gravement compromis l’équité du procès. Comme il apparaît, d’après le dossier, que la High Court s’est penchée sur les questions de crédibilité et d’évaluation des preuves, le Comité estime que le temps écoulé ne peut avoir sur la crédibilité des dispositions des témoins un effet qui porte à une conclusion de violation du pacte différente de celle qui a été formulée ci‑dessus concernant le paragraphe 3 c) de l’article 14.

4.10Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le paragraphe 3 d) de l’article 14 aurait été violé, le Comité note que le défenseur désigné par l’État a admis qu’il n’y avait pas matière à recours. Toutefois, le Comité rappelle sa jurisprudence et est d’avis que, en vertu du droit à un procès équitable et à une assistance juridique, l’auteur doit être informé du fait que son défenseur n’a pas l’intention de faire valoir des moyens d’appel devant la cour et qu’il doit avoir la possibilité d’engager un autre avocat, afin que ses préoccupations puissent être exprimées devant une juridiction d’appel. Dans le cas présent, il ne semble pas que la cour d’appel ait pris les mesures nécessaires pour veiller au respect de ce droit. Dans ces circonstances, le Comité est d’avis que le droit, que le paragraphe 3 d) de l’article 14 confère à l’auteur, a été violé.

4.11Le Comité est d’avis que les faits mentionnés au paragraphe 4.10 ne soulèvent pas de questions différentes au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

5.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Trinité-et-Tobago du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 3 c) et d) de l’article 14 et de l’article 7 du Pacte.

6.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a le droit de disposer d’un recours utile, comportant une indemnisation et la possibilité de former un nouveau recours ou, si cette éventualité n’est plus envisageable, a droit à ce que soit dûment envisagée la possibilité de lui accorder une libération anticipée. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. Si le châtiment corporel auquel l’auteur a été condamné ne lui a pas été infligé, l’État partie devra renoncer à faire exécuter la peine.

7.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel que le Comité présente à l’Assemblée générale.]

Notes