Nations Unies

CRC/C/85/D/98/2019

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

29 octobre 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’enfant

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant lacommunication no 98/2019 * , **

Communication présentée par :

R. N.

Victime(s) présumée(s) :

L. H. A. N.

État partie :

Finlande

Date de la communication :

15 août 2019 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

28 septembre 2020

Objet :

Intérêt supérieur de l’enfant; droits de l’enfant

Questions de procédure :

Qualité de victime ; consentement ; épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Article(s) de la Convention :

2 (par. 2), 3, 4, 6 (par. 2), 8 (par. 1), 9 (par. 1, 2 et 3), 12, 13, 14, 16, 18 (par. 1 et 2), 19, 20, 23, 24, 25, 27 (par. 1, 2 et 4), 31, 34, 35, 36, 37 (al. a)) et 39

Article(s) du Protocole facultatif :

3 (par. 2), 5 (par. 2) et 7 (al. c), e) et f))

1.1L’auteure de la communication est R. N., de nationalité finlandaise, née en 1982. Elle présente la communication au nom de son fils, L. H. A. N., né en 2009. Elle n’est pas représentée par un conseil. Le Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications est entré en vigueur pour l’État partie le 12 février 2016.

1.2Le 28 août 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail des communications, a rejeté la demande de mesures provisoires formée par l’auteure.

1.3Le 2 janvier 2020, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail des communications, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure affirme que le père de L. H. A. N. la harcèle depuis des années et qu’il a négligé l’enfant. Au cours de l’été 2017, quand elle lui a demandé de verser la pension alimentaire, il s’est mis à la menacer et à utiliser la violence physique et psychologique à l’égard de L. H. A. N., y compris, parfois, en jetant ou poussant l’enfant contre le mur. Le père a éloigné l’enfant de sa mère en lui dictant ce qu’il devait dire aux agents de la protection de l’enfance et en le manipulant pour qu’il parle en termes négatifs du domicile de l’auteure. Le père a fait obstruction dans des affaires concernant l’enfant et a manipulé des fonctionnaires en présentant aux services de protection de l’enfance un rapport sur l’auteure dans lequel il formulait des accusations mensongères, attribuant à l’auteure ses propres comportements illicites, notamment les coups qu’il portait à l’enfant et la négligence dont il faisait preuve à son égard. Il faisait aussi en sorte que le taxi scolaire conduise l’enfant à son propre domicile alors que l’auteure avait la garde principale de l’enfant.

2.2L’auteure affirme que les autorités les ont « attaqués », elle et L. H. A. N, en se fondant sur les déclarations du père, notamment lorsque le tribunal du district de Pirkanmaa, dans sa décision du 29 juin 2019 relative à la garde de l’enfant, a utilisé contre elle un enregistrement concernant le traitement de l’enfant par le père et a conclu que l’enfant ne se sentait pas en sécurité au domicile de l’auteure. Le père a également menacé l’auteure, l’avertissant qu’elle ne devait pas parler des violences familiales qu’elle-même et L. H. A. N. avaient subies. Cependant, les autorités n’ont pas tenu compte de la menace. Il a été permis au père de contrôler la vie de l’auteure et celle de L. H. A. N, y compris en confisquant le passeport de l’enfant pour l’empêcher de partir en voyage avec sa mère. Par ailleurs, le 14 novembre 2017, le tribunal du district de Pirkanmaa a ordonné au père de verser une pension alimentaire pour l’enfant, ce qu’il a refusé de faire. Le père a également refusé de payer les médicaments de l’enfant et sa part des frais d’accueil périscolaire.

2.3L’auteure affirme qu’un travailleur social l’a accusée à tort de battre l’enfant. De même, un agent des service sociaux d’urgence, qu’elle avait appelé au sujet du père en février 2018, a établi un rapport qui mettait en cause l’auteure au lieu du père.

2.4L’auteure a demandé la garde exclusive au début de l’année 2018, car la violence du père envers l’enfant avait atteint un niveau inacceptable ; l’auteure avait vu des ecchymoses sur l’enfant. Elle affirme que la procédure relative à la garde de l’enfant était « en deçà de toute norme », parce que les propos diffamatoires du père à son égard ont été présentés comme « correspondant à la réalité », et qu’un travailleur social acquis à la cause du père a laissé entendre qu’elle avait imaginé les violences. L’auteure dit que, se fondant sur les mensonges du père et sur une interprétation erronée des souhaits de l’enfant, le tribunal du district de Pirkanmaa a décidé que l’enfant devait résider avec son père. L’avocat de l’auteure a estimé que les autorités de l’État partie avaient accordé une importance excessive aux souhaits de l’enfant dans leurs décisions et jugements et que le tribunal du district n’avait pas prêté suffisamment d’attention aux preuves de la bonne relation que l’enfant avait avec l’auteure ni au fait que le père manipulait l’enfant pour qu’il exprime des souhaits en sa faveur. Compte tenu de ces erreurs et de ce que les travailleurs sociaux avaient écrit à son sujet, l’auteure a refusé de se rendre aux rencontres supervisées.

2.5L’auteure affirme que L. H. A. N. a été « contraint » de résider avec son père à partir de mars 2018. L. H. A. N. a dit à sa mère que son père et sa belle-mère l’avaient convaincu qu’il devait vivre avec eux. L’auteure a appelé les services de protection sociale et la police quand le père n’a pas ramené l’enfant lorsqu’il était censé le faire, mais elle n’a reçu aucune assistance. Elle affirme également qu’une audition a été organisée au printemps 2018 pour interroger l’enfant sur des coups qu’elle lui aurait portés. Elle soutient que l’audition n’était pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’enfant a rendu visite à l’auteure à plusieurs reprises au cours de l’été 2018, même si le père l’avait un jour suivi et arrêté et « essayait de répandre des rumeurs ».

2.6Au printemps 2019, l’état de l’enfant s’est détérioré. Il avait des accès de rage récurrents, insultait les enseignants, menaçait de se tuer et de tuer d’autres personnes, parlait de violer quelqu’un et lançait des objets. Son enseignant et le directeur de l’école ont conclu qu’il ne pouvait pas venir à l’école et ont attribué son comportement à ses conditions de vie. En avril 2019, des agents de la protection de l’enfance l’ont emmené dans un centre d’aide aux familles, où il aurait notamment souffert de crises d’anxiété, d’insomnie, de pertes de connaissance, d’accès de rage et de tics. Deux mois plus tard, les services de protection de l’enfance ont signalé que ces symptômes avaient disparu et l’enfant a été ramené chez son père. L’auteure déclare que cette décision était inexplicable, car les enseignants avaient confirmé que l’enfant n’avait jamais eu de symptômes aussi graves quand il habitait chez elle.

2.7En août 2019, l’auteure a été informée qu’une action allait être intentée contre elle ; cette action était fondée sur des accusations mensongères selon lesquelles elle avait battu l’enfant, et la privait de la possibilité de demander la garde exclusive, bien qu’elle ait auparavant reçu le conseil de demander un transfert de la garde.

2.8L’auteure affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles dans le cadre de plaintes et de procédures judiciaires entre 2017 et 2019. Elle a souvent pris contact avec les services de protection de l’enfance, ainsi qu’avec le superviseur de l’enfant lorsque le père a « rompu le contrat de garde ». Ceux-ci sont cependant restés passifs. Elle a porté plainte à quatre reprises contre le père et la belle-mère pour diffamation. De plus, elle a porté plainte contre le père à trois reprises pour les violences physiques infligées à L.H.A.N ; à cinq reprises pour les menaces et les insultes adressées à L.H.A.N. et à elle‑même ; et à deux reprises pour l’enlèvement ou l’« emprisonnement » illicite de l’enfant, en vain. La police n’a pas ouvert d’enquêtes, invoquant un manque de preuves et parce qu’elle soupçonnait que l’auteure, et non le père, était responsable de ces actes. Elle a au contraire conseillé à l’auteure de discuter de ces questions avec le père. L’auteure a également porté plainte contre un policier qui avait décidé de ne pas enquêter sur les violences physiques, mais le Procureur général a déclaré qu’aucune erreur n’avait été commise. Elle a de plus engagé des recours administratifs contre les policiers qui avaient mis fin à une enquête sur les violences verbales et qui avaient rédigé un rapport sur des violences que l’auteure aurait commises. Cette fois aussi, il a été dit que la police n’avait pas commis d’erreur.

2.9L’auteure a aussi porté plainte contre le travailleur social qui avait décidé de rendre l’enfant au père après le séjour de l’enfant dans le centre d’aide aux familles. En outre, elle a porté plainte contre les travailleurs sociaux pour diffamation et malveillance. Elle a déposé quatre plaintes auprès de l’Agence administrative régionale de l’État, à la suite desquelles l’Agence a adressé trois rappels aux responsables des services sociaux de la municipalité de Tampere qui, de leur côté, n’ont fait que rejeter la faute sur l’auteure.

2.10L’auteure a demandé au tribunal du district de Pirkanmaa qu’il lui accorde la garde exclusive de l’enfant et rende une ordonnance provisoire visant à ce que l’enfant réside désormais à son domicile, mais en vain. Elle a ensuite saisi la Cour d’appel de Turku et la Cour suprême, qui lui ont toutes deux refusé l’autorisation de faire appel.

2.11L’auteure a déposé quatre plaintes auprès du Médiateur parlementaire, qui a refusé d’enquêter, parce qu’elle avait, entre autres, déjà porté plainte auprès de l’Agence administrative régionale de l’État. Elle a aussi déposé des plaintes auprès du Bureau du Chancelier de justice au sujet de la décision relative à la garde de l’enfant et contre l’un des policiers qui avaient décidé de ne pas enquêter sur les violences physiques commises en 2015 et 2016. Aucune de ces plaintes n’a donné lieu à une enquête. L’auteure a demandé une mesure d’éloignement contre le père, mais en vain, et a saisi, toujours en vain, la Cour d’appel de Turku. Elle s’est adressée à la municipalité de Tampere par l’intermédiaire de son site Web et a voulu poursuivre la municipalité en justice pour malveillance et mauvais traitements infligés à l’enfant, mais on lui a déconseillé de le faire. Enfin, elle a sollicité l’aide d’un établissement spécialisé dans la violence familiale, qui a reconnu le comportement violent du père.

2.12L’auteure demande que le Comité intervienne dans la situation de l’enfant et affirme que les violences du père doivent cesser, que celui-ci devrait être sanctionné et que les décisions judiciaires et les décisions des agents des services de protection de l’enfance devraient garantir une protection juridique complète. Elle soutient que l’enfant devrait revenir vivre avec elle.

Teneur de la plainte

3.1L’ auteure affirme que l’État partie a violé les droits que l’enfant tient des articles 2 (par. 2), 3, 4, 18 (par. 1 et 2), 24, 25, 35 et 39 de la Convention en raison de la négligence dont il a fait preuve envers l’enfant. Elle avance que l’État partie a violé l’article 3 de la Convention en ce que les autorités nationales ont permis au père d’enlever, de menacer, de manipuler et de maltraiter physiquement et psychologiquement l’enfant et de l’éloigner de l’auteure. Les autorités n’ont pas appliqué la loi et n’ont pas admis que les dires de l’enfant étaient dus à la manipulation exercée par son père. De plus, elles se sont ralliées au père contre l’auteure. L’État partie a également violé l’article 4 de la Convention, car il a aggravé la situation de l’enfant. De plus, il n’a pas encouragé la coopération entre les parents et a rompu le contrat relatif à la garde, en violation de l’article 18 (par. 1 et 2). En ce qui concerne l’article 24 de la Convention, l’auteur affirme que les autorités ont violé le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible. De surcroît, en violation de l’article 25 de la Convention, les autorités n’ont pas entendu la mère au sujet du placement de l’enfant dans le centre d’aide aux familles. L’État partie a violé l’article 35 de la Convention en laissant le père enlever l’enfant. En violation de l’article 39 de la Convention, il n’a pas permis à l’enfant de se rétablir. Les autorités de l’État partie n’ont pas prêté attention à l’auteure parce qu’elle est une femme.

3.2L’auteure affirme que l’État partie a violé l’article 8 (par. 1) et l’article 9 (par. 1, 2 et 3) de la Convention parce que, se fondant sur les fausses informations fournies par le père, ses autorités ont permis à celui-ci de séparer l’enfant de l’auteure pendant quatre mois malgré l’accord relatif à la garde, selon lequel l’enfant devait résider au domicile de l’auteure une semaine sur deux. L’auteure soutient qu’il n’y avait aucune raison de la séparer de l’enfant. Les autorités ne l’ont pas écoutée et n’ont pas essayé de faire en sorte que l’enfant puisse la voir.

3.3L’auteure affirme en outre que l’État partie a violé les articles 12, 13 et 14 de la Convention. Elle soutient que les autorités nationales n’ont pas écouté l’enfant quand il a exprimé ses propres opinions. Elles ont au contraire fondé leurs décisions sur ce que l’enfant avait dit après avoir été manipulé par son père et ont permis au père de menacer l’auteure et l’enfant, ainsi que les enseignants de l’enfant. Les autorités n’ont pas admis que le père leur avait imposé son point de vue, ainsi qu’à l’enfant ; qu’il contrôlait la pensée de l’enfant ; ni que le fait que l’enfant ait été éloigné de l’auteure avait eu une incidence sur son opinion.

3.4L’auteure soutient que l’État partie a violé les articles 6 (par. 2), 16, 19, 27 (par. 1, 2 et 4), 36 et 37 (al. a)) de la Convention en raison des violences infligées à l’enfant par le père. Elle argue que l’État partie a violé l’article 6 de la Convention en ce que ses autorités nient que l’enfant va mal, alors qu’il est attesté qu’il parle de se tuer. La peur qu’il ressent à l’égard de son père a entravé son développement et l’empêche de penser à sa propre vie et à ses émotions. Se référant à l’article 16 de la Convention, l’auteure note que le père a manipulé et menacé l’enfant, notamment par de fausses rumeurs, et l’a amené à mépriser sa mère, ce qui a entamé son estime de soi. Le père a limité le temps que l’auteure pouvait passer avec l’enfant en confisquant le passeport de l’enfant alors que l’auteure prévoyait de partir en vacances avec lui, et en l’empêchant de rendre visite à sa mère. En mettant fin aux enquêtes, les autorités de l’État partie ont permis au père de tenir des propos diffamatoires sur l’auteure, ce qui fait que l’enfant a appris à se méfier d’elle. L’État partie a violé les articles 19 et 37 (al. a)) de la Convention en permettant les violences du père à l’égard de l’auteure et de l’enfant et en raison du sentiment de culpabilité que la punition infligée à l’auteure a engendré chez l’enfant. Les autorités de l’État partie se sont aussi ralliées au père contre l’auteure. L’enfant a été à nouveau traumatisé lorsqu’il a été ramené chez son père après avoir séjourné dans le centre d’aide aux familles. Les rapports que l’auteure a déposés n’ont pas conduit à l’amélioration de la situation de l’enfant. Se référant à l’article 27 (par. 1, 2 et 4) de la Convention, l’auteure affirme que l’enfant est encouragé à contrôler et à intimider. Il a appris un vocabulaire violent et pornographique sur son téléphone, que son père lui permet d’utiliser sans restriction. Le père a isolé l’enfant et l’a exposé à ses propres vues concernant le suprémacisme blanc. Les autorités de l’État partie n’ont pas veillé à ce que le père verse la pension alimentaire. En outre, en violation de l’article 36 de la Convention, l’État partie a permis que l’enfant soit utilisé dans le conflit opposant le père à l’auteure.

3.5L’ auteure soutient que l’État partie a violé l’article 20 de la Convention parce que ses autorités n’ont pas donné à l’enfant le choix de vivre avec elle quand il a quitté le centre d’aide aux familles. L’État partie a également violé l’article 23 de la Convention, car l’enfant − qui présente des symptômes du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité et est atteint du syndrome d’Asperger − a besoin d’une attention particulière, mais les autorités ont permis au père de négliger ses besoins et de l’empêcher de voir l’auteure, malgré le soutien qu’elle lui apporte. L’État partie a en outre violé l’article 31 de la Convention, car les autorités n’ont pas surveillé le respect par le père de l’horaire scolaire réduit de l’enfant qui a été mis en place pour lui permettre de se reposer. Enfin, il a violé l’article 34 de la Convention, car l’enfant a accès à des matériels violents et pornographiques sur son téléphone, malgré les efforts faits par l’école pour limiter l’utilisation du téléphone.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 11 novembre 2019, l’État partie note que les parents exercent l’autorité parentale en commun et qu’après leur divorce, prononcé en 2011, l’enfant a vécu avec l’un et avec l’autre, une semaine sur deux, jusqu’en mars 2018. Le 2 mai 2015, l’accord relatif à la garde a été modifié de sorte que l’enfant réside avec sa mère et voie son père dans le cadre d’un droit de visite, en alternance chaque semaine, l’exercice en commun de l’autorité parentale étant maintenu. À partir de l’automne 2016, la relation entre les parents s’est détériorée. Le 26 juillet 2017, une évaluation des besoins en matière de protection sociale a été réalisée et l’enfant bénéficie de ces services depuis mars 2018. Le 1er août 2017, l’auteure a demandé au tribunal du district de Pirkanmaa de lui accorder la garde exclusive et d’ordonner le versement par le père d’une pension alimentaire pour l’enfant. Le 29 juin 2018, le tribunal du district a rejeté la demande de pension alimentaire et a ordonné que l’exercice en commun de l’autorité parentale se poursuive. L’enfant devait résider avec le père, en partie parce qu’il en avait exprimé le souhait, et devait voir sa mère dans le cadre de visites supervisées, une solution jugée servir l’intérêt supérieur de l’enfant. Le tribunal a accordé à l’auteure le droit à des visites supervisées. Le 24 septembre 2018 et le 9 mai 2019, la Cour d’appel de Turku a refusé de poursuivre l’examen du dossier et la Cour suprême a refusé à l’auteure l’autorisation de faire appel. L’enfant vit avec son père depuis mars 2018 et n’a vu l’auteure que dans le cadre des procédures. Le 26 novembre 2018, l’auteure a demandé au tribunal du district de Pirkanmaa d’ordonner que l’enfant réside avec elle, mais a été déboutée le 21 février 2019 au motif que la même question était pendante devant la Cour suprême. Le 24 avril 2019, il a été décidé, en application de la loi sur la protection de l’enfance, de placer d’urgence l’enfant dans un centre d’aide aux familles dans le but de remédier à son comportement violent. Le placement a été prolongé par une décision datée du 23 mai 2019.

4.2L’État partie soutient que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif parce que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés, étant donné que l’auteure n’a invoqué aucun des articles de la Convention dans la procédure interne. En outre, en ce qui concerne les procédures pénales, elle n’a pas expliqué pour quelles raisons elle n’avait pas exercé son droit d’engager des poursuites secondaires, visé à l’article 14 du chapitre premier de la loi de procédure pénale, qui prévoit un tel droit quand les poursuites ont été abandonnées ou quand il a été décidé de mettre fin à l’enquête pénale, de clore l’enquête ou de ne pas mener d’enquête. Enfin, l’auteure aurait pu réclamer des dommages-intérêts ou demander que les fonctionnaires concernés soient sanctionnés en application du Code pénal, de la loi sur la responsabilité délictuelle ou de l’article 118 (par. 3) de la Constitution.

4.3En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’avis de l’auteure n’a pas été pris en compte aux fins de la décision de placer l’enfant dans un centre d’aide aux familles, l’État partie fait observer qu’en vertu de l’article 39 (al. a)) de la loi sur la protection de l’enfance, il peut être dérogé à l’obligation de prendre l’avis des parents si le retard occasionné par cette démarche risque de nuire à la santé, au développement ou à la sécurité de l’enfant. Il fait également observer que l’auteure ne s’est pas prévalue du droit, prévu par l’article 90 de la loi sur la protection de l’enfance, de saisir un tribunal administratif d’un recours contre la décision de placement.

4.4Se référant à l’article 5 du Protocole facultatif et à une précédente décision du Comité, l’État partie fait remarquer que la plupart des violations alléguées ne concernent que l’auteure et ne touchent pas directement l’enfant. N’étant pas une enfant, l’auteure n’a pas la qualité de victime et ces griefs sont donc irrecevables au regard de l’article 7 (al. c)) du Protocole facultatif.

4.5L’État partie fait en outre observer que, bien que l’auteure exerce l’autorité parentale en commun avec le père, tout recours pour violation des droits de l’enfant devrait servir l’intérêt supérieur de l’enfant, et il existe un risque que les opinions exprimées ne reflètent pas l’opinion propre de l’enfant mais plutôt celle du parent qui écrit en son nom. L’État partie argue qu’en l’espèce, l’enfant est âgé de plus de 10 ans et que son opinion devrait être prise en considération. Eu égard à l’article 13 du règlement intérieur du Comité et au paragraphe 96 de l’observation générale no 14 (2013) du Comité, l’État partie souligne que l’auteure n’a pas apporté la preuve du consentement de l’enfant et n’a pas justifié son action en son nom. Il fait observer que, compte tenu des circonstances de l’affaire, il existe un conflit d’intérêts manifeste entre l’enfant et l’auteure, et ajoute qu’il conviendrait d’examiner si la communication a effectivement été soumise dans l’intérêt supérieur de l’enfant, afin par exemple d’empêcher que l’enfant soit manipulé. L’État partie conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard des articles 3 (par. 2) et 5 (par. 2) du Protocole facultatif.

4.6L’État partie ajoute que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif car manifestement infondée, et soutient que l’élément central de la communication est que l’auteure n’est pas satisfaite de l’issue légitime des procédures internes concernant ses demandes de garde exclusive et de pension alimentaire pour l’enfant et le fait que l’enfant réside avec le père. Renvoyant à une décision rendue précédemment par le Comité, l’État partie fait valoir que le Comité ne fait pas office de juridiction de quatrième instance. Il souligne que l’auteure n’a pas démontré que l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les juridictions était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 13 décembre 2019, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne le compte rendu des faits présenté par l’État partie, elle rappelle qu’en novembre 2017, il a été ordonné au père de verser une pension alimentaire. Elle affirme avoir demandé que l’enfant réside chez elle en raison de la violence du père et parce que des travailleurs sociaux et un psychiatre avaient reconnu la gravité des faits qu’elle avait présentés.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours, l’auteure déclare qu’elle n’a rien pu faire contre la décision de la police de ne pas enquêter sur les allégations concernant les coups portés à l’enfant par le père, et que son avocat pensait que le procureur n’examinerait pas son affaire. Elle avait l’intention de poursuivre en justice le père et plusieurs fonctionnaires, mais un policier qui avait parlé avec un procureur lui avait dit qu’elle n’avait aucune chance d’avoir gain de cause dans cette affaire. Compte tenu de cet avis et du coût élevé des procédures, elle avait décidé de ne pas suivre cette voie. En outre, après avoir fait l’objet d’accusations mensongères de la part d’un travailleur social, elle a conclu qu’il n’était pas possible d’intervenir en cas de comportement répréhensible des travailleurs sociaux. Elle affirme qu’elle a bien réclamé des dommages-intérêts et demandé que les fonctionnaires concernés soient sanctionnés, mais que la police n’a pas enquêté sur l’affaire. Sur le conseil de son avocat, l’auteure n’a pas formé de recours contre le placement de l’enfant dans le centre d’aide aux familles, étant donné qu’un recours n’aurait pas modifié la décision.

5.3En ce qui concerne les observations de l’État partie sur la condition relative à la qualité de victime, l’auteure fait valoir que la communication concerne des violations des droits de l’enfant et que, dans le cadre de l’explication des faits, il fallait qu’elle soit aussi mentionnée. Elle avance que les autorités ont fondé leurs décisions sur les manipulations du père plutôt que sur l’opinion de l’enfant, et que l’incapacité de celui-ci à s’exprimer l’a poussée à soumettre la communication. Selon elle, les juges et les travailleurs sociaux ont fondé leurs décisions uniquement sur les arguments du père, y compris lorsqu’ils ont affirmé qu’elle était irrationnelle quand elle parlait des actes de violence de celui-ci, malgré ses antécédents de violence familiale.

5.4L’auteure conteste que la communication soit manifestement infondée et soutient que la procédure interne a été arbitraire, car il est dangereux pour le développement de l’enfant que les autorités n’aient pas dûment apprécié la cause de ses problèmes.

Nouveaux commentaires de l’auteure

6.1Le 13 février, le 23 mars et les 9, 12, 23 et 24 juin 2020, l’auteure a fourni de nouveaux commentaires et indiqué que, malgré les efforts que faisait sa famille paternelle pour le manipuler, l’enfant avait envoyé un SMS à sa mère, disant qu’il se tuerait si elle n’organisait pas des rencontres supervisées. Elle estime que de telles rencontres ne mettraient pas fin à la violence du père. Elle a informé les agents des services sociaux d’urgence, qui lui ont dit qu’ils avaient discuté de la question avec le père, même si, selon l’auteure, ils étaient conscients que cela ne permettrait pas de régler la situation. À la suite d’un appel de l’auteure, des ambulanciers se sont rendus auprès de l’enfant le 12 juin 2020, mais l’auteure n’a pas été informées des résultats de cette intervention. En réponse à d’autres appels, les services sociaux ont informé l’auteure qu’ils n’allaient pas intervenir immédiatement, mais qu’un travailleur social prendrait contact avec les parents. Il a été conseillé à l’auteure de se mettre en relation avec le père, malgré la violence qu’il avait exercée à son égard. Par ailleurs, elle n’a été informée que d’une plainte déposée par le père pour atteinte à sa vie privée en raison d’une publication privée sur les réseaux sociaux. Elle affirme que la police a l’intention de l’empêcher de parler de l’état de l’enfant et de la violence familiale.

6.2L’auteure demande une indemnisation pour le temps consacré à la préparation de la communication, pour la perte de ses allocations et pour le non-versement de la pension alimentaire de l’enfant en raison du conflit avec le père de l’enfant.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable au titre du Protocole facultatif.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au regard des articles 3 (par. 2) et 5 (par. 2) du Protocole facultatif, au motif qu’il existe un conflit d’intérêts manifeste entre l’enfant et l’auteure. L’État partie fait observer que l’auteure n’a ni apporté la preuve du consentement de l’enfant à la soumission de la communication, ni justifié son action en son nom. Il affirme en outre qu’il est nécessaire d’apprécier si la communication a effectivement été soumise dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Le Comité rappelle toutefois qu’en vertu des dispositions précitées, une communication peut être présentée au nom de victimes présumées sans leur consentement exprès, lorsque l’auteur peut justifier qu’il agit en leur nom et si le Comité estime qu’il en va de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il observe que L. H. A. N. avait 10 ans au moment où cette communication a été soumise et qu’il était doué de discernement et capable d’exprimer son opinion. Cela dit, le Comité constate que l’auteure est la mère de l’enfant et qu’elle exerce l’autorité parentale en commun avec le père. Il considère que les éléments dont il est saisi ne montrent pas que la présentation de la communication va manifestement à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant. En conséquence, le Comité estime qu’il n’y a aucun obstacle à la recevabilité de la communication au regard des articles 3 (par. 2) et 5 (par. 2) du Protocole facultatif.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles parce qu’elle n’a, au cours de la procédure interne, invoqué aucun des articles de la Convention qu’elle invoque dans la présente communication, et parce qu’elle n’a pas exercé son droit d’engager des poursuites secondaires, de réclamer des dommages-intérêts, de demander que les fonctionnaires concernés soient punis ou de saisir un tribunal administratif d’un recours contre la décision de placement de l’enfant, sur la base de l’article 90 de la loi relative à la protection de l’enfance. Le Comité constate que l’auteure a engagé plusieurs procédures administratives et pénales dans lesquelles elle a en fait soulevé les questions exposées dans la communication (par. 2.8) et estime que l’État partie n’a pas précisé quels recours non exercés par l’auteure seraient disponibles et utiles dans son cas pour obtenir réparation des violations alléguées devant le Comité. En conséquence, le Comité considère que l’article 7 (al. e)) de la Convention ne lui interdit pas d’examiner la communication.

7.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les différentes procédures internes relatives à la garde de l’enfant et les procédures pénales internes ont été arbitraires, les autorités n’ayant pas reconnu que L. H. A. N. était manipulé par son père et ne l’ayant pas protégé contre les mauvais traitements que celui-ci lui aurait fait subir. Il prend de plus note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable car manifestement infondée et motivée par l’insatisfaction de l’auteure quant à l’issue des procédures internes.

7.5Le Comité rappelle qu’il appartient aux autorités nationales d’examiner les faits et les éléments de preuve, ainsi que d’interpréter et d’appliquer la loi nationale, à moins que l’appréciation faite par les autorités nationales ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. Il appartient donc au Comité non pas de se substituer aux autorités nationales dans l’appréciation des faits et des preuves, mais de s’assurer que l’appréciation qu’elles ont faite n’était pas arbitraire ou ne constituait pas un déni de justice, et que l’intérêt supérieur de l’enfant a été une considération primordiale dans cette appréciation. En l’espèce, le Comité observe qu’il ressort des décisions internes que les autorités ont entendu les deux parents et l’enfant pour prendre leurs décisions et que les allégations de l’auteure concernant les manipulations, les actes de violence et le harcèlement dont le père se serait rendu coupable ont été dûment examinées mais rejetées au motif qu’elles étaient dépourvues de fondement et non étayées. Le Comité relève également que, dans la procédure relative à la garde de l’enfant, le tribunal du district de Pirkanmaa a fondé sa décision sur un rapport des services sociaux relatif au comportement, aux besoins et à l’intérêt supérieur de l’enfant, dans lequel il était écrit que les pensées de l’enfant étaient clairement les siennes propres, que l’enfant avait lui-même pris l’initiative de résider avec son père à partir de mars 2018 et que cet arrangement servait son intérêt supérieur. Le Comité considère que, bien qu’elle conteste les conclusions des autorités nationales, l’auteure n’a pas démontré que l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les autorités, y compris les souhaits de l’enfant et la façon dont elles ont géré le comportement de l’enfant et ses relations avec ses parents, était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice. En conséquence, le Comité estime que la communication est manifestement infondée et la déclare irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

7.6Compte tenu de cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner les autres motifs d’irrecevabilité soulevés par l’État partie.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteure de la communication et, pour information, à l’État partie.