Nations Unies

CRC/C/85/D/31/2017

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

3 novembre 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 31/2017*, **

Communication présentée par :

W. M. C. (représentéeparunconseil,N.E.Hansen)

Victime(s) présumée(s) :

X. C., L. G. et W. G.

État partie :

Danemark

Date de la communication :

8août2017 (date de la lettre initiale)

Date des constatations :

28 septembre2020

Objet :

Expulsionde trois enfantsetdeleurmèreverslaChine

Questions de procédure :

Épuisementdesrecoursinternes ; défautdefondementdesgriefs

Article(s) de la Convention :

2,3,6,7et8

Article(s) du Protocole facultatif :

7 (al. c),e)etf))

1.1L’auteure de la communication est W. M. C., de nationalité chinoise, agissant au nom de ses enfants, X. C., L. G. et W. G., nés au Danemark le 7 mars 2014, le 7 septembre 2015 et le 19 juin 2018, respectivement. L’auteure et ses enfants font l’objet d’un arrêté d’expulsion vers la Chine. L’auteure affirme que cette expulsion constituerait une violation des droits que ses enfants tiennent des articles 2, 3, 6, 7 et 8 de la Convention. Elle est représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 2016.

1.2Le 15 août 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteure et ses enfants dans leur pays d’origine tant que leur communication serait à l’examen. Le 16 août 2017, l’État partie a décidé de surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion visant l’auteure et ses enfants.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure, qui n’est pas mariée, est originaire du village de Fuzschou Shi, dans la province chinoise de Fujian. Elle a fui la Chine après que les autorités du pays lui ont fait subir un avortement forcé. Son père a été tué au moment des faits, au cours d’une échauffourée avec la police, et sa mère, qui souffrait de problèmes cardiaques, est décédée par la suite sous l’effet du choc.

2.2Le 12 mars 2012, l’auteure est entrée au Danemark en utilisant un faux passeport. Le 27 octobre 2012, elle a été arrêtée par la police au motif qu’elle séjournait dans le pays sans documents de voyage valides. Le 7 novembre 2012, elle a présenté une demande d’asile. Le 7 mars 2014, elle a donné naissance à son premier enfant, X. C. Le père de l’enfant, également demandeur d’asile au Danemark, n’est pas mentionné sur l’acte de naissance. Le 9 novembre 2015, alors que, selon ses dires, elle était en détention administrative, l’auteure a donné naissance à son deuxième enfant, L. G.

2.3L’auteure affirme qu’elle a demandé l’asile au Danemark tout d’abord parce qu’elle craignait de subir un avortement forcé si elle était renvoyée en Chine et retombait enceinte. Après la naissance de ses deux enfants, elle a craint que les autorités chinoises ne la persécutent parce qu’elle n’était pas mariée et avait deux enfants. Ses enfants lui seraient alors retirés de force ou ne seraient pas inscrits sur le hukou (livret de famille), alors que cette inscription était indispensable pour que leur naissance soit enregistrée et qu’ils aient accès aux services de base, notamment en matière de santé et d’éducation.

2.4L’auteure soutient que le Service danois de l’immigration n’a pas remis en cause sa situation personnelle, mais a considéré que sa demande d’asile devrait être examinée selon la procédure applicable aux demandes manifestement infondées,. Conformément à la législation danoise, le 23 juin 2015, le Conseil danois pour les réfugiés a été saisi de l’affaire pour qu’il rende un second avis sur la question procédurale de savoir si la demande devrait être rejetée pour défaut manifeste de fondement. Le 13 juillet 2015, le Conseil danois pour les réfugiés a répondu qu’il ne souscrivait pas à la recommandation du Service danois de l’immigration, qui invitait à poursuivre l’examen de la demande selon la procédure applicable aux demandes manifestement infondées. Il a mentionné divers rapports sur la situation des mères célibataires, les droits de l’enfant et l’enregistrement des enfants en Chine. Le 7 septembre 2015, le Service danois de l’immigration a refusé l’asile à X. C. et à sa mère.

2.5L’auteure a contesté cette décision devant la Commission de recours des réfugiés. Elle affirme que la Commission n’a jamais organisé d’audition et qu’elle n’a donc pas pu lui exposer sa situation et celle de ses enfants autrement que par l’intermédiaire des déclarations écrites de son conseil. La Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande d’audition de l’auteure au motif que le Service danois de l’immigration avait jugé son témoignage recevable. De plus, le deuxième enfant de l’auteure est né après la décision du Service danois de l’immigration, si bien que son cas n’a pas pu être examiné en deuxième instance.

2.6L’auteure affirme qu’à la demande de la Commission de recours des réfugiés, le Ministère des affaires étrangères a pris contact avec un avocat de sa province d’origine pour obtenir des informations complémentaires. Selon les renseignements communiqués, l’immigration illégale est généralement punie d’une amende d’un montant compris entre 1 000 et 5 000 yuan (c’est-à-dire entre 140,9 et 704,8 dollars des États-Unis). En cas de non-paiement de l’amende, l’auteur de l’infraction est susceptible d’être placé en détention pendant plusieurs jours et de faire l’objet d’une interdiction de voyager d’une durée pouvant aller jusqu’à trois ans. Une femme non mariée qui a eu des enfants hors du territoire chinois aura des difficultés à les faire inscrire sur le hukou. Elle recevra très probablement une lourde amende pour avoir donné naissance à ces enfants. De plus, toujours selon l’avocat, les autorités de la province de Fujian ne sont pas réputées pour leur respect des règles. Il est arrivé que des femmes soient forcées d’avorter ; lorsqu’elles ne l’ont pas fait, leurs enfants n’ont pas été inscrits sur le livret de famille.

2.7Le 17 mars 2017, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration qui rejetait la demande d’asile de l’auteure et de ses enfants. Elle a considéré que l’auteure avait subi un avortement forcé en 2011 et avait quitté la Chine illégalement quelques mois plus tard. Elleavait donné naissance à deux enfantsà l’étranger alors qu’elle n’était pas mariée, ce qui la rendait passible d’une amende élevée. Elle aurait aussi pu se voir infliger une peine d’emprisonnement de courte durée ainsi qu’une interdiction temporaire de voyager. De plus, la majorité des membres de la Commission a estimé qu’il serait certainement très difficile aux enfants de la demandeuse d’asile d’être inscrits sur le Hukou, au moins pendant un certain temps. Les enfants seraient donc désavantagés par rapport à d’autres enfants chinois en matière de soins médicaux, d’éducation et de services sociaux. Cependant, la majorité des membres de la Commission a aussi affirmé queles sanctions, bien qu’elles puissent probablement sembler injustes d’un point de vue danois, ne seraient pas d’un caractère et d’un degré de gravité tels qu’elles puissent être considérées comme constitutives de persécution ou d’atteinte à l’intégrité physique de la personne au regard de l’article 7 (par. 1 et 2) de la loi danoise sur les étrangers. La Commission de recours des réfugiésa également avancé que ni la Convention relative aux droits de l’enfant ni d’autres conventions auxquelles le Danemark était partie ne pouvaient conduire à une interprétation différente.

2.8L’auteure dit que, compte tenu de l’impossibilité de faire appel de la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés devant les tribunaux de l’État partie, tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie violerait les droits que ses enfants tiennent des articles 2, 3, 6, 7 et 8 de la Convention s’ils étaient expulsés vers la Chine. Elle avance que l’expulsion de ses enfants vers la Chine serait contraire au principe de non-refoulement et constituerait une violation de l’article 2 de la Convention, lu conjointement avec les articles6, 7 et 8. L’auteure ajoute que l’expulsion des enfants vers la Chine ne sert pas leur intérêt supérieur et constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention. Elle affirme en outre que leur expulsion mettrait gravement en péril leur vie, leur survie et leur développement, et serait donc contraire aux dispositions de l’article 6. Leur expulsion constituerait de plus une violation de l’article 7, qui consacre le droit de l’enfant d’être enregistré, d’avoir un nom, d’acquérir une nationalité et d’être élevé par ses parents, ainsi que de l’article 8, qui prévoit l’obligation de protéger l’enfant qui est privé de son identité.

3.2L’auteure soutient que les circonstances factuelles rendant impossible l’enregistrement des enfants en Chine sont incontestées et que, contrairement à ce qu’il ressort des conclusions de la Commission de recours des réfugiés, cette situation est couverte par les dispositions de la Convention. Elle soutient aussi que les conséquences de l’expulsion de ses enfants seront d’une gravité telle qu’elles justifient une obligation de non‑refoulement, étant donné que l’expulsion entraînera un dommage irréparable, notamment l’absence d’accès aux services de santé, aux services éducatifs et aux services sociaux essentiels.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations du 15 février 2018, l’État partie affirme que l’auteure n’a pas fourni d’éléments suffisants aux fins de la recevabilité et que la communication devrait en conséquence être jugée irrecevable au regard de l’article 7 (al. f) du Protocole facultatif au motif qu’elle est manifestement infondée. Dans l’hypothèse où le Comité considérerait que la communication de l’auteure est recevable, l’État partie rappelle qu’il n’a pas été établi qu’il existe des motifs sérieux de croire que l’expulsion des enfants de l’auteure vers la Chine serait contraire aux articles 3, 6, 7 et 8 de la Convention. L’État partie affirme aussi qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 2 de la Convention lorsque les autorités locales ont examiné la demande d’asile de l’auteure.

4.2L’État partie fait observer que l’auteure n’a fourni aucune information nouvelle et précise concernant sa situation et celle de ses enfants, qui diffère des éléments dont la Commission de recours des réfugiés disposait déjà et sur la base desquels elle avait rendu sa décision du 17 mars 2017. Il soutient que l’intérêt supérieur des enfants a été une considération primordiale dans la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés.

4.3L’État partie signale que, comme le Comité l’a établi dans son observation générale no 6 (2005), les États parties ne devraient pas renvoyer un enfant dans un pays s’il y a des motifs sérieux de croire que cet enfant sera exposé à un risque réel de dommage irréparable, comme ceux qui sont envisagés dans les articles 6 et 37 de la Convention, dans ledit pays ou dans tout autre pays vers lequel l’enfant est susceptible d’être transféré ultérieurement (par. 27). Le risque en question devrait être évalué en fonction de l’âge et du sexe.

4.4L’État partie renvoie à la décision rendue en l’affaire A. A. A. c. Espagne, dans laquelle le Comité a émis l’avis qu’il appartenait généralement aux juridictions nationales d’examiner les faits et les éléments de preuve, à moins que l’appréciation faite par celles-ci ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. L’État partie fait observer qu’en l’espèce, la Commission de recours des réfugiés a procédé à un examen approfondi de la demande d’asile concernant les enfants de l’auteure et que l’auteure n’a relevé aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. Dans sa communication au Comité, l’auteure conteste l’appréciation qui a été faite des circonstances de l’espèce. La communication montre uniquement que l’auteure conteste la décision rendue par la Commission à l’issue de l’examen de sa situation et de celle de ses enfants et des autres éléments du dossier.

4.5En ce qui concerne le grief de l’auteure selon lequel la décision d’expulsion prise par la Commission de recours des réfugiés constitue une violation des droits que ses enfants tiennent de l’article 3 de la Convention, l’État partie précise que, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi sur les étrangers, la Commission est juridiquement tenue de prendre en considération les obligations internationales de l’État partie. Il ressort clairement de sa décision que la Commission a tenu compte de la Convention, y compris de l’article 3 sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Néanmoins, la Commission de recours des réfugiés a estimé que les dispositions de la Convention ne pouvaient pas conduire à une interprétation différente.

4.6L’État partie signale que la Commission de recours des réfugiés a ajourné l’examen du recours, le 10 février 2016, dans l’attente de la réponse du Ministère des affaires étrangères à sa demande d’ouverture d’une procédure de consultation, visant à déterminer les conséquences auxquelles s’exposerait une femme célibataire originaire de la province de Fujian, ayant quitté son pays illégalement et ayant vécu à l’étranger pendant quatre années, si elle retournait en Chine accompagnée de ses deux enfants, nés au Danemark hors mariage et présumés de nationalité chinoise.

4.7Dans sa réponse du 12 décembre 2016, le Ministère des affaires étrangères note qu’étant donné que les deux enfants sont nés hors mariage et n’ont pas obtenu un passeport danois, un passeport chinois ou tout autre document, leur inscription sur le livret de famille risque d’être plus compliquée que dans le cas d’enfants légitimes. Il indique de plus dans sa réponse que, conformément aux « Avis du Bureau général du Conseil d’État sur le traitement applicable aux personnes qui ne sont pas inscrites sur un livret de famille », l’inscription d’un enfant né hors mariage sur ledit livret est subordonnée à certaines conditions. Premièrement, le lien entre la mère et l’enfant doit être établi par un test ADN, pratiqué par une institution déterminée. Deuxièmement, un acte de naissance doit être obtenu sur la base du test ADN positif. Le certificat de naissance doit prouver que l’intéressée est bien la mère biologique des deux enfants et que ceux-ci peuvent donc être inscrits sur son hukou. Même si la loi ne le prévoit pas expressément, il y a lieu de penser qu’un acte de naissance délivré par les autorités danoises sera suffisant à cette fin, pour autant qu’il permette d’établir que l’intéressée est la mère biologique des deux enfants. En revanche, si les enfants ne sont pas en possession d’actes de naissance danois, l’intéressée devra obtenir des actes de naissance chinois auprès de l’autorité chinoise de la planification familiale.

4.8À cet égard, l’État partie indique qu’au vu des informations disponibles, l’auteure n’aura aucune difficulté à prouver qu’elle est la mère biologique des enfants au moyen d’un test ADN, si cela est nécessaire. De plus, l’auteure est en possession d’actes de naissance danois pour ses deux enfants et, selon la source susmentionnée, la présentation de tels documents, pour autant qu’ils prouvent son statut de mère biologique, est suffisante.

4.9Bien que l’auteure n’ait présenté une demande d’asile que plus de six mois après son entrée sur le territoire de l’État partie, la Commission de recours des réfugiés a établi les faits suivants. L’auteur avait subi un avortement forcé en 2011. Elle avait quitté la Chine illégalement quelques mois plus tard et elle avait ensuite donné naissance aux enfants au Danemark alors qu’elle n’était toujours pas mariée. à ce titre, elle était passible d’une amende élevée ou d’une peine d’emprisonnement de courte durée et pouvait aussi faire l’objet d’une interdiction temporaire de quitter la Chine.

4.10En ce qui concerne l’inscription des enfants de l’auteure sur le hukou , la majorité des membres de la Commission de recours des réfugiés a estimé qu’il fallait s’attendre à ce qu’elle soit très difficile et à ce qu’au moins au début, les enfants de l’auteure reçoivent un traitement moins favorable que les autres enfants chinois en matière d’accès aux soins médicaux, à l’éducation et aux services sociaux.

4.11à la suite d’une évaluation générale des informations à sa disposition et au vu de la réponse faite le 12 décembre 2016 par le Ministère des affaires étrangères dans le cadre de la procédure de consultation, la Commission de recours des réfugiés a considéré, à la majorité de ses membres, que les circonstances de l’espèce rendaient peu probable que les autorités chinoises soustraient les enfants de l’auteure à leur mère ou soumettent autrement l’auteure et ses enfants à une maltraitance grave. La majorité des membres de la Commission a aussi considéré que, même si elles pouvaient sembler déraisonnables dans le contexte de l’État partie, les peines les plus susceptibles d’être appliquées n’étaient pas d’une nature ni d’une gravité telles qu’elles puissent être considérées comme constitutives de persécution ou de mauvais traitements au sens de l’article 7 (par. 1 et 2) de la loi danoise sur les étrangers.

4.12Compte tenu de ce qui précède, l’État partie estime qu’en cas de retour dans son pays d’origine, l’auteure ne sera pas exposée à un risque réel de subir un traitement ou un châtiment relevant de l’article 7 (par. 1) de la loi danoise sur les étrangers ou des mauvais traitements relevant de l’article 7 (par. 2) de cette même loi, au motif qu’elle a donné naissance à deux enfants hors mariage au Danemark.

4.13L’État partie considère comme inexacte l’affirmation de l’auteure selon laquelle nul ne conteste le fait qu’il ne lui serait pas possible d’obtenir l’enregistrement de ses enfants en Chine en raison des circonstances. L’enregistrement des enfants de l’auteure est possible, mais il sera très difficile et prendra un certain temps. Le fait que les autorités de la province de Fujian ne soient pas réputées pour leur respect des dispositions régissant l’avortement forcé et l’inscription sur le hukou ne peut pas, en soi, permettre de conclure que les enfants de l’auteure subiront une violation des droits qu’ils tiennent de la Convention. L’allégation selon laquelle les autorités chinoises soustrairont de force les enfants à leur mère ou les soumettront à toute autre maltraitance grave n’est que pure spéculation et ne peut remettre en question l’appréciation juridique qui a été faite du droit de l’auteure à l’asile.

4.14En ce qui concerne l’allégation de l’auteure selon laquelle il ressort de l’observation générale no 6 du Comité que les États parties doivent tenir compte de la situation qui attend l’enfant à son retour sur le plan de la sûreté et de la sécurité, ainsi que sur le plan socioéconomique, l’État partie avance qu’il ne peut être exigé qu’un enfant demandeur d’asile ait exactement le même niveau de vie sociale que les autres enfants du Danemark, mais reconnaît que l’intégrité personnelle de cet enfant doit être protégée. En conséquence, l’État partie estime que le risque que les enfants de l’auteure reçoivent un traitement moins favorable que d’autres enfants chinois, en matière de soins médicaux, d’éducation et de services sociaux pendant une période donnée, ne saurait en soi justifier l’octroi de l’asile. Le fait que les enfants de l’auteure ne soient pas enregistrés ou rencontrent des difficultés pour l’être et que, par voie de conséquence, ils ne puissent pas avoir accès aux services publics ne constitue pas une violation de la Convention, en ce qu’il ne s’agit pas d’un « dommage irréparable » au sens de cet instrument. La Commission de recours des réfugiés a évalué le risque de violations graves, en tenant compte de l’âge et du sexe des enfants de l’auteure, comme requis par l’observation générale no 6. La majorité des membres de la Commission a estimé que les dispositions de la Convention ne pouvaient pas conduire à une interprétation différente. En conséquence, l’État partie considère qu’il n’y a pas de motifs sérieux de croire que les enfants de l’auteure seront exposés à un risque réel de subir un dommage irréparable s’ils sont expulsés vers la Chine.

4.15De plus, l’État partie fait observer que la Chine a adhéré à la Convention et doit s’acquitter des obligations ainsi mises à sa charge. La Chine doit par conséquent veiller à ce que les enfants de l’auteure puissent être enregistrés et leur donner ainsi accès aux services publics.

4.16En ce qui concerne l’allégation de l’auteure selon laquelle il y a eu violation de l’article 2 de la Convention parce que la demande d’asile concernant le deuxième enfant de l’auteure, L. G., n’avait été examinée que par la Commission de recours des réfugiés et parce que la décision de la Commission n’était pas susceptible d’appel devant les tribunaux, l’État partie dit qu’il ressort de la jurisprudence de la Commission de recours des réfugiés que, dans la plupart des cas, le renvoi d’une affaire devant le Service danois de l’immigration n’est pas nécessaire, car la Commission peut examiner de nouvelles informations en toute connaissance de cause dans le cadre d’une audition. C’est pourquoi une affaire ne sera généralement renvoyée devant le Service danois de l’immigration que dans les cas suivants : si de nouveaux éléments concernant la nationalité du demandeur d’asile ont été communiqués ; si des informations nouvelles et essentielles sur la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile ont été fournies ; ou si des modifications jugées déterminantes pour l’issue de la procédure ont été apportées au cadre juridique. À cet égard, l’État partie constate que la Commission de recours des réfugiés a reçu des observations, à la fois de l’auteure et du Service danois de l’immigration, avant de procéder à l’examen du recours sur la base de documents écrits, et que le Service danois de l’immigration a donc eu la possibilité et l’obligation de prendre en considération toute information nouvelle avant que la Commission ne prenne une décision. S’il considère, à la lumière de nouvelles informations qui lui ont été communiquées, que le demandeur d’asile satisfait aux critères d’octroi de l’asile ou du statut de personne à protéger, le Service danois de l’immigration est tenu de notifier les conclusions correspondantes à la Commission de recours des réfugiés avant que celle-ci n’examine le recours sur la base de documents écrits. Cette obligation s’applique aussi en l’espèce, et le Service danois de l’immigration n’a fait aucune notification de ce genre à la Commission de recours des réfugiés.

4.17L’État partie fait également observer que le deuxième enfant de l’auteure, L. G., n’a subi aucune forme de discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, l’origine nationale, ethnique ou sociale, la fortune, le handicap, la naissance ou toute autre situation la concernant ou concernant ses parents ou représentants légaux. Il n’y a donc pas eu de violation de l’article 2 de la Convention. De plus, aucune disposition de la Convention ne prévoit le droit de faire appel dans une affaire comme celle dont il est question.

4.18L’État partie conclut que la Commission de recours des réfugiés, organe collégial quasi judiciaire, a procédé à un examen approfondi de toutes les informations pertinentes et que l’auteure n’a pas démontré que la décision de la Commission était manifestement arbitraire ou erronée ou constituait un déni de justice. L’État partie considère que, dans sa communication, l’auteure se contente d’exprimer son désaccord avec le résultat de l’examen de sa situation et de celle de ses enfants.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 9 juillet 2018, l’auteure a fait savoir que son troisième enfant, W. G., était né le 19 juin 2018. Elle affirme qu’une expulsion vers la Chine aurait aussi pour conséquence pour L. G. d’être séparée de son père, demandeur d’asile au Danemark. L. G. ne peut pas faire une demande de regroupement familial pour rester avec son père, celui-ci n’ayant pas encore obtenu de permis de séjour. Le père de L.G. est aussi le père du troisième enfant de l’auteure, W.G.

5.2L’auteure affirme que le Service danois de l’immigration ne s’est jamais référé à la Convention, car les enfants de l’auteure n’ont jamais été pris en compte dans la décision, qui ne concernait que leur mère. L’auteure considère que la Commission de recours des réfugiés a seulement « réparé » la décision du Service danois de l’immigration, lorsque la majorité de ses membres a constaté que les « dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant et d’autres conventions auxquelles le Danemark était partie ne pouvaient pas conduire à une interprétation différente ».

5.3L’auteure soutient que la principale « irrégularité » dans le processus de prise de décisions de l’État partie tient à ce qu’aucune audition n’a été organisée devant la Commission de recours des réfugiés, que l’affaire n’a été examinée que sur la base de documents écrits et qu’elle-même et ses enfants n’ont pas eu le droit de faire appel de la décision de la Commission. Elle affirme qu’il y a eu violation de l’article 2, dans la mesure où toute autre affaire qui concernerait un enfant danois et dans laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être pris en considération, par exemple une affaire de garde, ferait l’objet d’une décision administrative susceptible d’appel devant les tribunaux.

5.4L’auteure renvoie à unedécision rendue précédemment par leComité, dans laquelle celui-ci a considéré que le risque que pouvaitcourir un enfant d’être soumis à une pratique préjudiciable irréversible, telle que des mutilations génitales féminines, dans le pays vers lequel il devait être expulsé devrait être évalué conformément au principe de précaution et, lorsqu’il existait des doutes raisonnables quant au fait que l’État de destinationpuisseprotéger l’enfant contre de telles pratiques, les États parties devaient s’abstenir d’expulser l’enfant. L’auteure soutient que la Commission de recours des réfugiés n’a pas invoqué le principe de précaution.

5.5L’auteure renvoie au rapport établi en 2017 par le Centre norvégien d’information sur les pays d’origine, selon lequel le fait d’avoir des enfants hors mariage ou sans autorisation de l’État entraînait des sanctions sévères, principalement de nature financière. D’autres sanctions, telles que la confiscation de biens, des avortements forcés ou des stérilisations forcées étaient également possibles, mais en aucun cas l’enfant ne devait être retiré à ses parents à titre de châtiment. Pourtant, cela arrivait bel et bien. En Chine, les contradictions entre la loi et son application étaient fréquentes, la corruption était généralisée et les fonctionnaires violaient parfois les droits des citoyens en toute impunité. L’auteure soutient que l’État partie a tort d’affirmer que sa crainte de se voir retirer ses enfants n’est fondée que sur de « simples spéculations ». Elle ajoute que l’État partie a eu accès au rapport susmentionné, qui faisait partie des éléments communiqués par la Commission de recours des réfugiés. Elle fait observer que, maintenant qu’elle a trois enfants, sa famille s’exposerait à une situation encore plus défavorable en cas d’expulsion vers la Chine. Elle précise que la Chine a modifié sa politique et autorise maintenant la naissance de deux enfants dans le cadre du mariage.

5.6Enfin, l’auteure demande au Comité de faire figurer dans ses constatations une déclaration invitant l’État partie à fournir une aide juridictionnelle gratuite à ses enfants car, à la suite d’une « modification de la loi », les autorités danoises refusent cette aide dans toutes les affaires concernant des plaintes relatives à des décisions de la Commission de recours des réfugiés. Cela pose un sérieux problème pour les enfants, qui ne sont pas capables de porter plainte par eux-mêmes.

5.7Dans ses observations du 5 février 2019, l’auteure a informé le Comité que la Commission de recours des réfugiés avait rouvert le dossier et convoqué la famille pour une audition en décembre 2018. Elle a fourni une traduction non officielle de la décision rendue le 13 décembre 2018, qui rejetait la demande d’asile (voir infra, par. 6.1 à 6.9). Le 12 février 2019, l’auteure a précisé que la présente communication était également soumise au nom de son dernier enfant, W. G.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans ses observations datées du 27 août 2019, l’État partie confirme son exposé des faits et ses arguments concernant la recevabilité et le fond de la communication.

6.2L’État partie rappelle que, le 24 août 2018, il a informé le Comité que la Commission de recours des réfugiés avait décidé de rouvrir le dossier de l’auteure et de ses enfants, en raison de la naissance de W. G., et qu’il a demandé au Comité de surseoir à l’examen de l’affaire jusqu’à nouvel ordre.

6.3L’État partie fait savoir que, le 13 décembre 2018, à l’issue d’une audition devant un nouveau jury, la Commission de recours des réfugiés a rendu une nouvelle décision, qui confirmait la décision prise par le Service danois de l’immigration de rejeter la demande d’asile de l’auteure et de ses enfants. Cette nouvelle décision s’applique également à L. G. et W. G.

6.4La Commission de recours des réfugiés a considéré qu’en raison de leur âge, L. G. et W. G. n’étaient pas en mesure de fournir des éléments qui puissent motiver leur demande d’asile. Leur mère avait toutefois fourni une liste détaillée des motifs d’asile dont ils pouvaient se prévaloir. Ces motifs étaient exactement les mêmes que ceux qui avaient été invoqués pour la fille aînée de l’auteure, X. C., et qui avaient été pris en considération au moment de l’examen de la demande d’asile par le Service danois de l’immigration. La Commission de recours des réfugiés a considéré que les informations communiquées par l’auteure présentaient de manière suffisamment détaillée le point de vue des enfants et qu’aucun élément nouveau ne justifiait le renvoi d’une quelconque partie de l’affaire devant le Service danois de l’immigration.

6.5En ce qui concerne l’allégation de l’auteure selon lequel il y a eu violation de l’article2, dans la mesure où toute autre affaire qui concernerait un enfant danois et dans laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être pris en considération serait susceptible d’appel devant les juridictions de droit commun, l’État partie estime que ce grief est énoncé de manière très générale.

6.6L’État partie fait observer que, dans sa décision datée du 13 décembre 2018, la Commission de recours des réfugiés mentionne expressément les dispositions de la Convention. En ce qui concerne l’allégation de l’auteure selon laquelle la Commission n’a pas invoqué le principe de précaution à l’égard de sa capacité à motiver sa demande d’asile, l’État partie note que les enfants étaient représentés par l’auteure et un conseil pendant la procédure devant la Commission. De plus, l’auteure a fourni des informations et fait une déclaration au nom des enfants au cours de son audition par la Commission le 13 décembre 2018. Il n’est donc pas pertinent d’invoquer le principe de précaution à l’égard de la capacité des enfants de motiver leur demande d’asile.

6.7En ce qui concerne l’allégation de l’auteure selon laquelle sa famille s’expose à des sanctions plus sévères maintenant qu’elle compte trois enfants, l’État partie affirme que la Commission de recours des réfugiés a procédé à une évaluation approfondie en tenant compte du fait que l’auteure avait trois enfants. La Commission a conclu que rien ne permettait d’établir que les autorités chinoises retireraient les enfants à leur mère, ou que l’auteure courrait un risque réel de subir d’autres mauvais traitements, comme une stérilisation forcée, qui justifieraient l’octroi de l’asile. Pour ce qui était des enfants, la Commission de recours des réfugiés a estimé que le fait que leur inscription sur le hukou puisse s’accompagner de difficultés et que, par voie de conséquence, ils puissent être privés d’une assistance médicale et d’une scolarité gratuites ne constituaient pas des circonstances comparables à une maltraitance grave au sens de l’article 7 de la loi danoise sur les étrangers.

6.8L’État partie allègue que l’auteure n’a pas expliqué pourquoi sa famille s’exposerait à des sanctions plus sévères maintenant qu’elle a trois enfants. Au contraire, la Chine a assoupli ses dispositions en matière de planification familiale. Depuis janvier 2016, la politique de l’enfant unique a laissé place à la politique des deux enfants, y compris dans la province de Fujian. L’État partie renvoie au rapport publié par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, selon lequel la politique de l’enfant unique et la politique des deux enfants qui lui a succédé imposent aux personnes ayant donné naissance à un enfant en violation des politiques de planification familiale de payer des frais de compensation sociale. Cet élément est en accord avec l’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés dans sa décision datée du 13 décembre 2018. De plus, il ressort d’un rapport publié par le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni que les mauvais traitements visant les Chinois de retour en Chine qui n’ont pas respecté les quotas de naissances, tels que les avortements forcés et les stérilisations forcées, sont moins fréquents qu’autrefois.

6.9En ce qui concerne l’argument de l’auteure selon lequel l’État partie a tort d’affirmer que sa crainte que ses enfants lui soient retirés n’est fondée que sur de « simples spéculations », compte tenu du rapport publié le 15 mai 2017 par le Centre norvégien d’information sur les pays d’origine, l’État partie fait observer que ledit rapport analyse la politique de planification familiale telle qu’elle était énoncée et appliquée avant janvier 2016. L’État partie soutient que la Commission de recours des réfugiés a examiné les éléments pertinents du dossier, y compris le rapport en question, pour rendre sa décision datée du 13 décembre 2018 et qu’elle n’a rien trouvé, ni dans ce rapport ni dans d’autres documents plus récents, qui permette d’établir que les autorités chinoises retireraient de force les enfants à leur mère.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité prend note de la déclaration de l’auteure, qui affirme que les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne sont pas susceptibles d’appel et qu’elle a donc épuisé tous les recours internes. Cela n’a pas été contesté par l’État partie. En conséquence, le Comité considère que rien ne s’oppose à ce qu’il déclare la communication recevable au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif.

7.3Le Comité prend note du grief que l’auteure tire de l’article 2 de la Convention, selon lequel ses enfants ont subi une discrimination du fait que leur demande a été examinée uniquement par la Commission de recours des réfugiés et sans possibilité d’appel de la décision, alors que toute autre affaire qui concernerait un enfant danois et dans le cadre de laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être pris en considération, par exemple une affaire de garde, ferait l’objet d’une décision administrative susceptible d’appel devant un tribunal. Le Comité remarque toutefois que l’auteure présente ce grief d’une manière très générale, sans démontrer l’existence d’un lien entre l’origine de ses enfants ou sa propre origine et l’absence alléguée de procédure permettant de contester les décisions de la Commission de recours des réfugiés. En conséquence, le Comité déclare ce grief manifestement infondé et irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

7.4Le Comité prend également note du grief de l’auteure selon lequel l’expulsion de ses enfants vers la Chine constituerait une violation de l’article 7, lequel prévoit le droit de l’enfant d’être enregistré à la naissance, d’avoir un nom, d’acquérir une nationalité et d’être élevé par ses parents. Le Comité note toutefois que les trois enfants de l’auteure ont déjà été enregistrés dans l’État partie et que chacun d’eux est en possession d’un acte de naissance danois. Il note également que l’auteure n’a pas fait valoir que ses enfants risqueraient d’être apatrides s’ils étaient renvoyés en Chine. En conséquence, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment motivé le grief qu’elle tire de l’article 7 et le déclare irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

7.5En revanche, le Comité considère que les griefs de l’auteure au titre des articles 3, 6 et 8 de la Convention, selon lesquels l’État partie n’a pas respecté l’intérêt supérieur des enfants au moment de l’examen de la demande d’asile, et l’expulsion des enfants de l’auteure vers la Chine mettrait gravement en péril leur vie, leur survie et leur développement, puisqu’ils ne seraient pas inscrits sur le hukou, alors que cette inscription est déterminante pour l’accès aux soins de santé, à l’éducation et aux services sociaux, et violerait leur droit de préserver leur identité, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité déclare que ces griefs sont recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles l’État partie n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants au moment de l’examen de la demande d’asile de ceux-ci, en violation de l’article 3 de la Convention. Il prend également note de l’allégation de l’auteure selon laquelle l’expulsion porterait atteinte au droit des enfants de préserver leur identité, en violation de l’article 8 de la Convention.

8.3Le Comité rappelle son observation générale no 6, selon laquelle, d’une part, les États sont tenus de ne pas renvoyer un enfant dans un pays s’il y a des motifs sérieux de croire que cet enfant sera exposé à un risque réel de dommage irréparable, comme ceux, non limitativement, envisagés dans les articles 6 et 37 de la Convention (par. 27), et, d’autre part, les obligations en matière de non-refoulement s’appliquent, que les violations graves des droits énoncés dans la Convention soient imputables à des acteurs non étatiques ou qu’elles soient délibérées ou la conséquence indirecte d’une action ou d’une inaction. Le risque de violation grave devrait être apprécié eu égard à l’âge et au sexe de l’intéressé. Il devrait être évalué conformément au principe de précaution, et lorsqu’il existe des doutes raisonnables quant au fait que l’État de destination puisse protéger l’enfant contre ce risque, les États parties devraient s’abstenir d’expulser l’enfant.

8.4En l’espèce, le Comité note que l’auteure craint qu’en cas d’expulsion vers la Chine, ses trois enfants, qui sont nés de parents non mariés, lui soient retirés de force et ne soient pas inscrits sur le hukou, ce qui les priverait d’accès aux soins de santé, à l’éducation et aux services sociaux.

8.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme qu’il est clair que la Commission de recours des réfugiés a tenu compte des dispositions de la Convention, y compris l’article 3, dans sa décision, que la Commission a procédé à un examen approfondi de la situation des enfants de l’auteure, et que l’auteure n’a relevé aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions. Le Comité constate que les autorités de l’État partie se sont renseignées, par l’intermédiaire du Ministère des affaires étrangères, sur le processus d’inscription des enfants de l’auteure sur le hukou. Dans sa réponse du 12 décembre 2016 à la demande de consultation qui lui a été adressée, le Ministère indique que l’inscription des enfants risque d’être plus compliquée que dans le cas d’enfants nés de parents mariés et que les actes de naissance danois devraient être suffisants à cette fin. Le Comité constate aussi que la majorité des membres de la Commission de recours des réfugiés a estimé qu’il fallait s’attendre à ce que l’inscription sur le hukou soit très difficile et à ce qu’au moins pendant un certain temps, les enfants de l’auteure reçoivent un traitement moins favorable que les autres enfants chinois en matière d’accès aux soins médicaux, à l’éducation et aux services sociaux.

8.6Le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale dans les décisions concernant l’expulsion d’un enfant et que ces décisions devraient donner l’assurance − selon une procédure prévoyant des garanties appropriées − que l’enfant sera en sécurité, sera correctement pris en charge et jouira de ses droits. Ilrappelle aussi que la charge de la preuve ne saurait incomber exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes. En l’espèce, le Comité prend note des arguments et des informations qui lui ont été soumis par l’État partie. Il constate toutefois que l’État partie ne semble pas avoir suffisamment vérifié, par des moyens qui n’auraient pas mis en péril la situation de l’auteure et de ses enfants en tant que demandeurs d’asile, si un acte de naissance danois suffirait aux fins de l’inscription sur le hukou, ni s’être demandé, dans le cas contraire, quelles autres procédures seraient nécessaires pour que les enfants obtiennent des actes de naissance chinois, quelles seraient leurs chances d’obtenir ces actes de naissance et combien de temps ils devraient attendre avant de pouvoir être inscrits sur le hukou. Le Comité note que ces questions sont particulièrement importantes, compte tenu des nombreuses conditions administratives à remplir pour obtenir un acte de naissance, de la complexité des procédures d’enregistrement en Chine et du lien entre l’enregistrement de la naissance et l’inscription sur le hukou. Il considère aussi que l’État partie n’a pas examiné la question de savoir comment les droits des enfants à l’éducation et à la santé seraient garantis tant que les intéressés ne seraient pas inscrits ou s’ils venaient à ne pas l’être.

8.7À cet égard, le Comité prend note d’un rapport du Département d’État des États‑Unis pour 2019, selon lequel, bien que le droit civil et la loi sur le mariage reconnaissent tous deux les mêmes droits aux enfants nés de mères célibataires et aux enfants nés de parents mariés, dans la pratique, les enfants nés de mères célibataires ou de couples non mariés sont considérés comme hors politique, donnent lieu au paiement des frais de compensation sociale et ne peuvent pas obtenir de documents officiels tels que les actes de naissance et le hukou. Il prend également note d’un rapport établi en 2018 par le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni, selon lequel de nombreux enfants nés de parents célibataires ou non mariés n’avaient pas pu obtenir leur inscription sur un livret de famille, ce qui les avait empêchés d’accéder aux services publics, aux soins médicaux et à l’éducation. Bien que les autorités aient affirmé s’employer à faciliter l’enregistrement des enfants illégitimes, cela ne se traduisait pas toujours en actes et des obstacles pouvaient subsister.

8.8En conséquence, le Comité conclut que l’État partie n’a pas dûment tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants de l’auteure lorsqu’il a évalué le risque auquel ceux-ci seraient exposés s’ils étaient expulsés vers la Chine et n’étaient pas inscrits sur le hukou , et n’a pas pris de précautions suffisantes pour garantir le bien-être de ces enfants dans le pays de destination, ce qui est contraire à l’article 3 de la Convention.

8.9Le Comité prend également note des allégations de l’auteure selon lesquelles, en cas d’expulsion, ses enfants ne seraient pas inscrits sur le hukou, alors que cette inscription est nécessaire aux fins de leur accès aux soins de santé, à l’éducation et aux services sociaux et est le seul moyen de prouver leur identité en Chine. À cet égard, le Comité prend note d’un rapport établi en 2016 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, selon lequel ni le certificat de naissance délivré par la Commission de la population et de la planification familiale, ni le certificat médical de naissance ne constituent, à eux seuls, des documents civils fonctionnels pouvant servir au-delà de leur rôle dans le processus d’enregistrement des naissances. En d’autres termes, ces documents ne peuvent pas confirmer l’identité ou la nationalité légale ; ils servent uniquement à l’enregistrement des naissances. L’enregistrement d’une naissance n’est terminé qu’une fois l’enregistrement effectué au poste de police, et le hukou est la seule preuve documentaire pouvant confirmer l’enregistrement d’une naissance. Étant donné qu’en Chine il est indispensable d’être inscrit sur le hukou pour pouvoir accéder aux soins de santé, à l’éducation et aux services sociaux et pour prouver son identité et que l’inscription sur le hukou des enfants nés de parents non mariés est très difficile, le Comité considère que la décision prise par l’État partie d’expulser les enfants de l’auteure entraînerait une violation de leur droit à la vie, à la survie et au développement, garanti par l’article 6, et de leur droit de préserver leur identité, garanti par l’article 8 de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 10 (par. 5) du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 3 de la Convention et que l’expulsion de l’auteure et de ses enfants vers la Chine constituerait en outre une violation des articles 6 et 8 de la Convention.

10.L’État partie est tenu de ne pas expulser l’auteure et ses enfants vers la Chine. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que de telles violations ne se reproduisent pas.

11.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est aussi invité à faire figurer des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il soumettra au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.