Nations Unies

CRC/C/85/D/56/2018

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

30 octobre 2020

Original : français

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 56/2018*, **, ***

Communication présentée par:

V. A. (représentée par des conseils, Immacolata Iglio Rezzonico et Paolo Bernasconi)

Victime(s) présumée(s) :

E. A. et U. A.

État partie:

Suisse

Date de la communication:

21 septembre 2018 (date de la lettre initiale)

Date d es constatations :

28 septembre 2020

Objet:

Expulsion vers l’Italie

Question(s) de procédure:

Non-épuisement des recours internes ; défaut manifeste de fondement ; justiciabilité des droits consacrés par la Convention

Question(s) de fond:

Discrimination ; intérêt supérieur de l’enfant ; développement de l’enfant ; droit de l’enfant d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant ; protection et assistance humanitaire voulues pour les enfants réfugiés ; droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible ; traitements inhumains ou dégradants

Article(s) de la Convention:

2, 3, 6 (par. 2), 12, 22, 24 et 37

Article(s) du Protocole facultatif :

6, 7 e) et f)

1.1L’auteure de la communication est V. A., de nationalité azerbaïdjanaise, née en 1986. Elle soumet la communication au nom de ses fils E. A., né en 2009, et U. A., né en 2014, tous deux ressortissants azerbaïdjanais. Elle affirme qu’E. A. et U. A. sont victimes d’une violation des articles 2, 3, 6 (par. 2), 12, 22, 24 et 37 de la Convention. L’auteure est représentée par des conseils. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 24 juillet 2017.

1.2Conformément à l’article 6 du Protocole facultatif, le 2 octobre 2018, le groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires tendant à suspendre le renvoi de l’auteure, d’E. A. et d’U. A. vers l’Italie tant que la communication serait à l’examen par le Comité. Le 5 octobre 2018, l’État partie a informé le Comité de la suspension de l’exécution du renvoi.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure et son époux sont journalistes et propriétaires du journal ILkxeber Info. En mars 2017, ils ont fui l’Azerbaïdjan avec leurs fils, E. A. et U. A., car la situation des journalistes d’opposition en Azerbaïdjan devenait de plus en plus critique, et la vie de l’époux de l’auteure était sérieusement en danger. L’auteure et son mari ont été obligés de fermer le siège physique de leur journal, qui reste uniquement accessible en ligne.

2.2Le 20 mars 2017, la famille a déposé une demande d’asile à Kreuzlingen, en Suisse. En raison de l’absence d’interprète azéri, la famille a été transférée dans le canton du Tessin et hébergée dans une chambre de la pension Leon d’Oro, à Bellinzone. Sans interprète, leur communication avec les fonctionnaires était quasi inexistante. Leurs demandes de pouvoir cuisiner, au lieu de manger à la cantine, d’être transférés dans un appartement et d’obtenir un traitement médical pour une lésion à l’épaule de l’époux de l’auteure n’ont pas été prises au sérieux. La famille a cependant pu compter sur le soutien de l’association APA13, du centre Baobab et de l’association Dare. Les conditions d’hébergement « précaires et dégradantes » ainsi que l’isolement linguistique ont eu des répercussions sur l’intégrité psychique et physique des membres de la famille. L’époux de l’auteure est entré dans un état dépressif. Il y a eu des épisodes de violence conjugale. U. A. a souffert de troubles alimentaires et digestifs, et E. A. a démontré l’état de souffrance de la famille en se blessant dans une collision à vélo avec une voiture. Le 3 novembre 2017, après sept mois d’attente de la deuxième audience d’asile, la famille a accepté à contrecœur de retirer sa demande d’asile et de faire l’objet d’un rapatriement volontaire. Le beau-père de l’auteure ayant corrompu la police azerbaïdjanaise afin de s’assurer que son fils ne soit pas incarcéré, ils croyaient qu’ils seraient en sécurité. Le 13 novembre 2017, la famille a quitté le territoire suisse.

2.3Le 26 février 2018, l’époux de l’auteure a été arrêté avec d’autres journalistes et intellectuels à Bakou, lors d’une commémoration en l’honneur des Azéris morts dans le conflit entre Azéris et Arméniens. L’auteure a commencé elle aussi à avoir des problèmes avec la police. Elle a subi des pressions de la part des autorités azerbaïdjanaises, qui l’ont menacée pour qu’elle ne publie plus d’articles.Ayant été observatrice lors de l’élection présidentielle du 11 avril 2018, elle a dénoncé des irrégularités observées. Le 16 avril 2018, elle a été battue par deux personnes inconnues. Le 20 avril 2018, elle a été interrogée pendant quatre heures dans le bureau du Procureur de Bakou. Elle a été menacée d’emprisonnement si elle n’arrêtait pas de publier des articles, de participer à des manifestations et de contester le Gouvernement. Son époux, toujours emprisonné, lui a conseillé de quitter le pays.

2.4Le passeur contacté par l’auteure a proposé, comme seule possibilité de retour en Suisse, l’obtention d’un visa italien. L’auteure, E. A. et U. A. sont donc retournés en Suisse en passant par l’Italie, grâce à un visa italien obtenu le 9 mai 2018 et valable du 15 mai au 8 juin 2018. Le 25 mai 2018, l’auteure, E. A. et U. A. sont arrivés au Tessin et ont déposé une nouvelle demande d’asile. La mère de l’auteure l’a informée qu’elle était désormais recherchée par la police azerbaïdjanaise. Le 4 juin 2018, l’auteure a été entendue par le Secrétariat d’État aux migrations.

2.5Par suite des traumatismes subis, l’état de santé de l’auteure s’est aggravé. D’après un rapport établi le 31 juillet 2018 par une psychologue-psychothérapeute du centre Baobab, l’auteure a développé des symptômes d’anxiété et de dépression, de l’insomnie et des réactions somatiques. Selon ce rapport, le réseau social établi par l’auteure et par ses enfants lors de leur premier séjour au Tessin, toujours « présent et actif », permet de leur assurer un bien-être psychique et physique minimal. Le rapport conclut que le renvoi de la mère et de ses enfants dans leur pays d’origine ou leur déplacement dans un autre pays ou canton suisse porterait un préjudice grave à leur évolution psychique et physique.

2.6Selon le deuxième alinéa du paragraphe 2 de l’article 19 du Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (Règlement Dublin III), toute demande d’asile introduite après l’éloignement effectif d’un demandeur d’asile donne lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable du traitement de cette demande. Le 5 juillet 2018, l’auteure a prié le Secrétariat d’État aux migrations d’appliquer la clause de souveraineté énoncée au paragraphe 1 de l’article 17 du Règlement Dublin III et de se dire compétent pour examiner sa demande d’asile aux motifs qu’il s’agissait d’un noyau familial vulnérable ayant déjà vécu précédemment une fuite du pays d’origine et l’arrestation consécutive du père de famille, que les enfants étaient intégrés et scolarisés au Tessin, que l’auteure se trouvait dans un état dépressif, et que le transfert de la famille vers l’Italie porterait atteinte aux droits et à l’intérêt supérieur des enfants. Le 13 juin 2018, le Secrétariat d’État a présenté à l’Italie une demande de prise en charge de l’auteure et de ses enfants. Après un refus initial, le 19 juillet 2018, les autorités italiennes ont accepté de les prendre en charge.

2.7Le 20 juillet 2018, le Secrétariat d’État aux migrations a adopté une décision de non-entrée en matière, prononçant le renvoi de l’auteure et de ses enfants en Italie. La décision dispose qu’E. A. et U. A. « n’ont pas eu attaches particulières à la Suisse, où ils ont séjourné uniquement huit mois avant leur retour dans leur pays d’origine en 2017 et où ils séjournent actuellement depuis le 25 mai 2018 ». Le Secrétariat d’État notait que les autorités italiennes avaient accepté de prendre en charge la famille conformément à la circulaire du 8 juin 2015, relative au système SPRAR de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés. En ce qui concerne les allégations de l’auteure quant à son état dépressif, le Secrétariat d’État notait qu’elle était en train de suivre un traitement médical. Le Secrétariat d’État indiquait que l’Italie disposait d’une infrastructure médicale suffisante pour traiter des maladies de type psychique et était tenue, en vertu du paragraphe 1 de l’article 19 de la Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, de fournir aux demandeurs d’asile le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves.

2.8Le 31 juillet 2018, l’auteure a formé un recours contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations devant le Tribunal administratif fédéral. Le 8 août 2018, le Tribunal a rejeté son recours, notant que l’auteure et ses enfants avaient été reconnus par l’Italie comme un noyau familial. En ce qui concerne le rapport du 31 juillet 2018, le Tribunal a statué qu’il n’y avait pas d’indices concrets et étayés dans les documents de procédure indiquant que les intéressés seraient incapables de voyager ou que leurs problèmes de santé allégués étaient d’une gravité telle que leur transfert en Italie serait contraire aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. Le Tribunal a souligné que la nécessité de prise en charge psychiatrique alléguée n’était étayée par aucun élément concret, et qu’un tel traitement pourrait éventuellement être administré en Italie. Concernant l’argument de l’auteure suivant lequel l’État partie devait appliquer la clause de souveraineté énoncée au paragraphe 1 de l’article 17 du Règlement Dublin III afin de ne pas porter atteinte à l’intérêt supérieur des enfants, le Tribunal a noté qu’il ne pouvait pas substituer son appréciation des faits à celle du Secrétariat d’État aux migrations et que son pouvoir de contrôle se limitait à vérifier si l’appréciation par le Secrétariat d’État avait été effectuée selon des critères objectifs et transparents, et n’avait pas été arbitraire.

2.9Alors même que les autorités suisses ont été informées qu’E. A. et U. A. avaient contracté la varicelle et qu’un risque de contagion avait été signalé par un médecin, le 12 septembre 2018, à 2 heures du matin, la police est venue chercher l’auteure, E. A. et U. A. dans leur hôtel afin d’exécuter leur renvoi depuis l’aéroport de Zurich, par un vol programmé à 7 h 30. Les agents de police ont montré une photo de renvoi forcé (images de personnes immobilisées) aux enfants en leur disant que si leur mère ne collaborait pas, ils seraient renvoyés de cette manière. L’auteure ayant souffert d’attaques de panique et d’une forte crise d’angoisse, le renvoi n’a pas pu être exécuté. La police a abandonné l’auteure et ses enfants à l’aéroport de Zurich, sans argent, leur disant « de se débrouiller pour rentrer » au Tessin.

2.10L’auteure soumet un certificat, en date du 17 septembre 2018, établi par une psychologue-psychothérapeute du centre Baobab sur la base d’un entretien avec E. A. D’après le certificat, lorsqu’E. A. parle de la tentative de renvoi vers l’Italie, il baisse les yeux, se replie sur lui-même, parle du « besoin de protéger sa mère en intervenant directement avec les policiers », évoque « plusieurs moments de peur intense au contact des policiers, tels que le réveil inattendu pendant la nuit, l’arrivée à l’aéroport, les tons brusques d’un policier, la photo de la personne attachée, la tentative de culpabiliser la mère par les forces de l’ordre ». Le certificat reproduit des témoignages d’E. A. recueillis par téléphone par une logopédiste et thérapeute ethnoclinique, d’après lesquels « depuis la nuit où il a été emmené à l’aéroport de Zurich, où il a subi de très graves violences verbales et psychologiques de la part des policiers », E. A. se réveille plusieurs fois par nuit en pleurant, de peur d’être enlevé par la police. U. A. s’est également réveillé en pleurant et en disant que « de vilains messieurs voulaient l’emporter ». Le certificat conclut qu’E. A. présente un sens suraigu de responsabilité à l’égard de son petit frère et de sa mère, et souffre de stress post-traumatique. D’après le certificat, E. A. et U. A. nécessitent un accompagnement médical et psychologique, et leur transfert sous contrainte poserait un risque majeur pour leur santé psychique.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure fait valoir que, n’ayant pas pris en considération la vulnérabilité d’E. A. et d’U. A. lors de l’adoption de la décision de non-entrée en matière et ayant agi de manière à porter atteinte à leurs droits au moment de la tentative de renvoi, l’État partie a violé son obligation de respecter la Convention, aux termes de son article 2.

3.2L’auteure allègue qu’en violation de l’article 3 de la Convention, aucune évaluation sérieuse de l’intérêt supérieur des enfants n’a été effectuée par le Secrétariat d’État aux migrations, par le Tribunal administratif fédéral ou lors de la tentative de renvoi. L’auteure soutient que plusieurs rapports médicaux et appréciations pédagogiques font état d’un besoin de stabilité d’E. A. et d’U. A. Les autorités ont refusé d’analyser sérieusement la possibilité d’appliquer la clause de souveraineté du Règlement Dublin III. Les enfants n’ont pas été entendus. Aucune instance spécialisée n’a été impliquée dans l’appréciation de leur intérêt supérieur. Une telle appréciation s’impose d’autant plus qu’il s’agit d’une mère vulnérable, dont le mari est emprisonné pour des raisons politiques, et qui éprouve de l’angoisse, étant elle-même recherchée dans son pays d’origine. L’auteure soutient que le fait de venir chercher les enfants sans les prévenir, à 2 heures du matin, de proférer des menaces envers leur mère et de les intimider avec une photo terrifiante est contraire à la protection de l’intérêt supérieur des enfants. E. A. et U. A. ont subi plusieurs déracinements et ont besoin de rester dans un espace protégé, avec des personnes connues. L’auteure s’appuie sur la décision A. N. c. Suisse, dans laquelle le Comité contre la torture a estimé que le renvoi d’une victime de torture vers l’Italie, en application du Règlement Dublin III, serait en violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, car l’auteur serait privé de son droit à la réhabilitation. Un renvoi vers l’Italie de la mère de deux petits enfants qui a subi des menaces de la part des autorités azerbaïdjanaises et a été frappée par des inconnus probablement en lien avec l’État n’est pas en conformité avec cette jurisprudence. Enfin, l’auteure fait référence aux déclarations de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les problèmes liés aux migrations en Italie.

3.3L’auteure dénonce une violation du paragraphe 2 de l’article 6 de la Convention. D’après elle, le droit d’E. A. et d’U. A. à un développement sain dans des conditions saines a été méconnu, à la suite du traumatisme vécu lors de la tentative de renvoi.

3.4L’auteure affirme que l’État partie a violé le droit d’E. A. et d’U. A. d’être entendus et de participer à la procédure judiciaire, consacré par l’article 12 de la Convention. E. A. et U. A. n’ont pas été associés à ladite procédure, et les autorités n’ont pas tenu compte des nombreux rapports et témoignages introduits au cours de celle-ci.

3.5L’auteure estime qu’E. A. et U. A. sont victimes d’une violation par l’État partie de l’article 22 de la Convention. Les autorités n’ont pas pris en considération l’extrême vulnérabilité de la famille et n’ont pas envisagé l’application de la clause de souveraineté du Règlement Dublin III afin de lui permettre de rester en Suisse, seul pays où elle avait des liens et une certaine stabilité. L’article 22 a également été violé lors de la tentative de renvoi, car aucune protection ou assistance n’a été assurée à E. A. et à U. A.

3.6L’auteure fait valoir que l’État partie a violé le droit d’E. A. et d’U. A. de jouir du meilleur état de santé possible, aux termes de l’article 24 de la Convention. Ce droit serait méconnu en cas de leur renvoi en Italie, qui n’est pas en mesure d’assurer un suivi psychologique adéquat aux personnes ayant subi de mauvais traitements. Le traitement infligé à E. A. et à U. A. lors de la tentative de renvoi est un traitement dégradant. Un renvoi en Italie empêcherait un suivi psychologique adéquat par suite de ce traitement.

3.7L’auteure allègue une violation du droit d’E. A. et d’U. A. d’être protégés contre tout traitement inhumain ou dégradant aux termes de l’article 37 de la Convention. La gravité des modalités de la tentative de renvoi représente un traitement dégradant, surtout en ce qui concerne la violence verbale et psychologique exercée par les agents de police sur les enfants.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations datées du 19 mars 2018, l’État partie explique que la première procédure d’asile, lancée par l’auteure, son époux et leurs enfants le 20 mars 2017, a été clôturée par suite de leur déclaration selon laquelle ils souhaitaient quitter la Suisse en bénéficiant de l’aide au retour. L’auteure a fait valoir qu’ils avaient retiré leur demande d’asile en raison de l’absence d’interprète, de leur transfert de Kreuzlingen vers le canton du Tessin et de conditions d’accueil qu’ils jugeaient précaires et dégradantes.

4.2Le 23 mai 2018, l’auteure et ses enfants ont rejoint l’Italie avec des visas délivrés par les autorités italiennes à Bakou, valables du 15 mai au 8 juin 2018. Par suite du dépôt de leur nouvelle demande d’asile le 25 mai 2018, l’auteure a été auditionnée sommairement sur son profil personnel en date du 4 juin 2018. Elle a indiqué ne pas vouloir aller en Italie au motif qu’elle n’y connaissait personne, alors qu’elle disposait en Suisse d’un réseau de connaissances susceptibles de l’aider. E. A. et U. A. n’ont pas été auditionnés, étant âgés de moins de 14 ans. Le 13 juin 2018, en se fondant sur le paragraphe 2 de l’article 12 du Règlement Dublin III, le Secrétariat d’État aux migrations a adressé aux autorités italiennes une demande de prise en charge de l’auteure et de ses enfants. Le 19 juillet 2018, les autorités italiennes ont accepté de les prendre en charge, en précisant qu’ils étaient considérés comme une famille et seraient hébergés dans un logement adapté. Par une décision du 20 juillet 2018, le Secrétariat d’État n’est pas entré en matière sur leur demande d’asile et a prononcé leur renvoi vers l’Italie. Le 8 août 2018, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours de l’auteure contre cette décision. Le Tribunal a constaté que l’Italie était compétente pour examiner la demande d’asile, étant donné que l’auteure et ses enfants avaient obtenu des visas auprès du consulat italien à Bakou et que l’Italie avait accepté leur transfert. Le Tribunal a relevé que l’application du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l’article 3 du Règlement Dublin III ne se justifiait pas, l’Italie ne connaissant pas de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile. En outre, l’Italie était partie aux divers instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme. Le Tribunal a constaté que les garanties fournies par l’Italie étaient suffisamment concrètes et individualisées pour exclure un risque de torture ou de traitements inhumains ou dégradants. Enfin, le Tribunal a établi que le Secrétariat d’État n’avait pas commis d’abus de son pouvoir d’appréciation en refusant d’admettre l’existence de raisons humanitaires pouvant justifier le traitement de demandes de protection internationale dont l’examen ne lui incombait pas, au sens de l’alinéa 3 de l’article 29a de l’ordonnance 1 du 11 août 1999 sur l’asile relative à la procédure, et en lien avec le paragraphe 1 de l’article 17 du Règlement Dublin III.

4.3Par suite de la tentative de renvoi du 12 septembre 2018, l’auteure a été interrogée par le Service du rapatriement des étrangers de la police cantonale du Tessin. Elle a expliqué avoir refusé d’embarquer pour l’Italie au motif qu’elle n’y connaissait personne. Le 2 mars 2019, l’époux de l’auteure est entré en Suisse et a déposé une demande d’asile. Les griefs de l’auteure relatifs à la tentative de transfert ont donné lieu à deux interventions parlementaires au niveau cantonal et à un signalement de l’avocate de l’auteure au Conseil d’État du canton du Tessin, qui assure la surveillance de la police cantonale. Le Conseil d’État s’est exprimé à ce sujet dans sa réponse du 7 novembre 2018. Il a rappelé que toutes les décisions en matière d’asile relevaient de la compétence exclusive du Secrétariat d’État aux migrations et, en cas de recours, du Tribunal administratif fédéral. Le Conseil d’État a également indiqué que, pour des raisons de limites de sa compétence ainsi que de protection des données et du secret professionnel, il ne pouvait pas se prononcer sur des cas particuliers, et a exposé la manière dont les décisions d’expulsion étaient exécutées, sans entrer dans les détails du cas de l’auteure.

4.4L’État partie conteste la description de la tentative de renvoi du 12 septembre 2018 donnée par l’auteure et affirme que la police cantonale a agi selon les procédures prévues au niveau national, dans le respect des principes de légalité et de proportionnalité. L’État partie se fonde sur un rapport du 19 septembre 2018 établi par le Service du rapatriement des étrangers de la police cantonale du Tessin et sur la réponse du Conseil d’État du 7 novembre 2018.

4.5Pour ce qui est des allégations de l’auteure concernant l’effet de surprise du transfert nocturne, l’État partie soutient qu’elle avait été dûment informée de l’imminence du transfert. Son expulsion sans communication précise de la procédure de renvoi était nécessaire, l’auteure n’ayant pas quitté la Suisse de sa propre initiative dans le délai fixé par le Secrétariat d’État aux migrations dans sa décision du 20 juillet 2018. L’horaire du transfert dépendait de l’heure du vol réservé par le service fédéral spécialisé du Secrétariat d’État aux migrations, swissREPAT. L’État partie nie que la police s’est présentée dans le logement de l’auteure par effraction. Selon le rapport de police, à 1h45, les policiers sont entrés dans la pension et ont frappé à la porte. L’auteure a ouvert la porte et les policiers se sont présentés, expliquant le but de leur présence. L’auteure a préparé les valises de sa propre initiative et a eu la possibilité d’appeler son avocat.

4.6En ce qui concerne la demande de report du renvoi déposée par l’auteure le 7 septembre 2018, l’État partie note que les autorités cantonales ont soumis les certificats médicaux produits par l’auteure au médecin mandaté par le Secrétariat d’État aux migrations, lequel a constaté qu’il n’y avait pas de contre-indication à un renvoi de la famille en Italie. Les certificats indiquaient que les enfants se trouvaient en bonne santé et qu’aucun risque de contagion de la varicelle ne résultait des analyses médicales.

4.7L’État partie conteste les allégations de l’auteure selon lesquelles la police aurait fait preuve d’insensibilité à l’égard des enfants, aurait proféré des menaces à l’encontre de leur mère devant eux et leur aurait montré une photo d’un transfert par vol spécial. Lors de l’entretien préparatoire du départ, la police de l’aéroport de Zurich a montré à l’auteure (et non aux enfants) la photo d’une personne ayant fait l’objet de mesures coercitives sur un vol spécial. L’État partie indique que la police de l’aéroport de Zurich montre à toutes les personnes qui se préparent à prendre un vol de retour volontaire une documentation photographique des mesures prévues par les protocoles fédéraux, en cas de refus de partir. Ces mesures coercitives sont prises à l’occasion de vols spéciaux, et non pas de vols réguliers. L’État partie rejette l’allégation de l’auteure selon laquelle ses enfants auraient subi des violences ou des traitements dégradants.

4.8Invoquant l’article 7 e) du Protocole facultatif, l’État partie conteste la recevabilité d’une partie de la communication. Le recours déposé par l’auteure le 31 juillet 2018 auprès du Tribunal administratif fédéral évoquait des motifs relatifs au temps de vie passé en Suisse, aux liens tissés en Suisse, au soi-disant vice de procédure lors de l’obtention du visa à Bakou, aux problèmes de santé de l’auteure et aux conditions d’accueil en Italie. Bien que l’intérêt supérieur des enfants ait été brièvement évoqué, les griefs en lien avec la tentative de transfert du 12 septembre 2018, en particulier les traitements dégradants qu’E. A. et U. A. auraient subis, n’ont pas été invoqués devant les autorités nationales. L’auteure n’a pas utilisé les voies de recours disponibles pour faire valoir ce grief, notamment la voie pénale. L’État partie souligne que les autorités nationales n’ont pas eu la possibilité de prendre en compte les certificats médicaux et les rapports émanant de psychologues-psychothérapeutes qui ont été établis après l’arrêt du 8 août 2018 du Tribunal. Par conséquent, l’État partie estime que les griefs de violation des articles 2, 3, 6 (par. 2) et 22 de la Convention, en ce qui concerne la tentative de renvoi du 12 septembre 2018, ainsi que des articles 24 et 37 sont irrecevables, faute d’épuisement des recours internes.

4.9L’État partie estime également que la communication doit être déclarée irrecevable aux termes de l’article 7 f) du Protocole facultatif, qui s’applique à toute communication manifestement mal fondée ou insuffisamment motivée.

4.10L’État partie estime qu’il convient de distinguer les dispositions de la Convention qui bénéficient d’une applicabilité directe et dont la violation peut être alléguée, de celles qui n’en bénéficient pas. Sont directement applicables les dispositions qui sont inconditionnelles et suffisamment claires et précises pour s’appliquer comme telles dans un cas d’espèce. D’autres dispositions contiennent des « programmes généraux » qui laissent aux États parties une importante marge de manœuvre. De tels programmes sont souvent formulés sous forme de reconnaissance d’un « droit » de l’enfant. Cependant, savoir si ces « droits » peuvent fonder une prétention justiciable à l’encontre des autorités est avant tout une question de droit national.

4.11S’agissant du paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, l’État partie estime que cette disposition n’est pas d’applicabilité directe et ne confère pas de droits dont les particuliers pourraient se prévaloir. À titre subsidiaire, l’État partie soutient qu’il n’y a pas eu de violation de cette disposition, compte tenu du fait que l’auteure ne développe aucun argument à cet effet. L’État partie renvoie à l’observation générale no5 (2003) du Comité, dans laquelle ce dernier a reconnu que l’interdiction de discrimination ne signifiait pas un traitement identique pour tous.

4.12L’État partie remarque que l’article 3 de la Convention consacre un principe directeur qui doit être respecté lors de la promulgation et de l’interprétation des lois mais ne fonde aucun droit subjectif. L’État partie ajoute qu’il n’appartient pas au Comité de se substituer aux autorités nationales dans l’interprétation de la loi nationale et l’appréciation des faits et des preuves. Le Secrétariat d’État aux migrations puis le Tribunal administratif fédéral ont examiné la situation de l’auteure et de ses enfants, E. A. et U. A., et ont relevé que leur désir de rester en Suisse n’influençait pas la détermination de l’État compétent pour l’examen de leur demande d’asile. Le Secrétariat d’État et le Tribunal ont relevé que l’Italie ne connaissait pas de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil de demandeurs d’asile qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant. Par conséquent, l’application du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l’article 3 du Règlement Dublin III ne se justifiait pas. Les autorités suisses ont révélé que les garanties fournies par l’Italie étaient suffisamment concrètes et individualisées, et qu’il n’y avait aucun élément concret permettant de douter que l’Italie soit en mesure d’accueillir la famille, de lui garantir un logement adéquat et de préserver son unité. Le Secrétariat d’État a relevé que la famille pourrait bénéficier en Italie du système SPRAR de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés. Le Tribunal a également examiné ce point et conclu que le Secrétariat d’État n’avait commis aucun abus de son pouvoir d’appréciation en refusant d’admettre l’existence de raisons humanitaires au sens de l’alinéa 3 de l’article 29a de l’ordonnance 1 du 11 août 1999. Le Tribunal a relevé que les requérants n’avaient pas démontré que l’Italie ne serait pas disposée à les prendre en charge et à mener à terme la procédure relative à leur demande de protection, ou que l’Italie ne respecterait pas le principe de non-refoulement. Il a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve indiquant que le transfert en Italie exposerait les requérants au risque d’être privés des conditions minimales de subsistance et de subir des conditions de vie indignes. Le Secrétariat d’État et le Tribunal ont rappelé qu’en vertu de la Directive 2013/33/UE, l’Italie était tenue de fournir aux requérants les soins médicaux nécessaires qui comportent les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves. Il n’y avait pas d’éléments laissant penser que l’Italie refuserait de fournir aux enfants et à leur mère les soins médicaux. Le Tribunal a pris en compte le rapport du 31 juillet 2018, dont il est précisé qu’il n’émane pas d’un médecin. Le Tribunal a constaté que le dossier ne contenait aucune indication concrète et fondée selon laquelle les intéressés souffriraient de problèmes de santé d’une gravité telle qu’ils ne pourraient pas être transférés en Italie. Il a relevé qu’aucune prise en charge psychiatrique de l’auteure ou de ses enfants ne résultait du dossier. Il a précisé qu’il appartenait aux autorités suisses chargées de l’exécution du transfert de transmettre aux autorités italiennes les informations relatives à un éventuel traitement médical des personnes renvoyées. Le Tribunal a conclu que l’auteure n’avait fourni aucun élément de preuve sérieux permettant d’établir que le transfert vers l’Italie serait de nature à enfreindre l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou que l’Italie violerait son obligation d’assurer aux enfants la protection et les soins nécessaires à leur développement approprié. Contrairement aux allégations de l’auteure, le Secrétariat d’État et le Tribunal ont examiné la possibilité d’application de la clause de souveraineté du Règlement Dublin III. Le Secrétariat d’État a constaté que les enfants n’avaient pas d’attaches particulières en Suisse. Ils y résidaient depuis moins de deux mois au moment de la décision du Secrétariat d’État, et leur précédent séjour en Suisse n’avait été que de huit mois. Les autorités nationales ont procédé à un examen de la situation concrète des requérants, tenant compte de l’intérêt des enfants. Rien ne laisse penser que l’examen de l’affaire auquel ont procédé les autorités nationales ait été arbitraire ou constitutif de déni de justice, ou que l’intérêt supérieur des enfants n’ait pas été pris en compte dans cette appréciation. Dans ces circonstances, l’État partie considère que les griefs soulevés au titre de l’article 3 de la Convention s’avèrent manifestement dénués de fondement.

4.13À titre subsidiaire, l’État partie conteste la violation alléguée de l’article 3 de la Convention. Il relève la différence entre la présente communication et l’affaire dans laquelle le Comité a constaté la violation de l’article 3 à cause de l’absence de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant lors de l’évaluation du risque de mutilations génitales féminines en cas d’expulsion d’une fille vers le Puntland. L’État partie précise que l’intérêt supérieur de l’enfant est un point auquel la jurisprudence suisse accorde une importance majeure dans le cadre de l’examen d’obstacles à l’exécution du renvoi. Cet élément peut conduire à considérer comme inexigible l’exécution du renvoi d’un mineur, en cas de forte intégration en Suisse, découlant en particulier des relations nouées (proximité, intensité, durée), du stade et du pronostic de son développement ainsi que de sa scolarisation dans ce pays d’accueil. En l’espèce, il ne saurait être question d’une forte intégration en Suisse ou de relations liées, importantes ou déterminantes pour le développement d’E. A. et d’U. A. Ces derniers étaient âgés de 8 et 3 ans respectivement au moment de l’arrêt du Tribunal administratif fédéral. Leur personne de référence principale, dont dépendent leur développement harmonieux et leur éducation, est leur mère. Le Secrétariat d’État aux migrations ne procède à des transferts de familles accompagnées d’enfants mineurs en direction de l’Italie que s’il est en possession de garanties individuelles de la part des autorités italiennes. Les autorités italiennes assurent, d’une part, que les personnes concernées disposeront d’une prise en charge adaptée à l’âge des enfants et, d’autre part, que l’unité de la famille sera préservée. L’auteure et ses enfants n’ayant pas séjourné en Italie, leurs allégations relatives aux risques de violation de la Convention en cas de renvoi vers ce pays relèvent de considérations hypothétiques. Lors de son audition du 15 octobre 2018 par le Service du rapatriement des étrangers de la police cantonale du Tessin, l’auteure a justifié son refus d’être transférée en Italie par le seul fait qu’elle n’y connaissait personne. L’État partie affirme que si E. A. et U. A. devaient estimer que l’Italie viole ses obligations d’assistance à leur égard, il leur appartiendrait de faire valoir leurs droits directement auprès des autorités italiennes.

4.14S’agissant du paragraphe 2 de l’article 6 de la Convention, l’État partie souligne que cette disposition est formulée en termes très larges et revêt une nature éminemment programmatoire. L’État partie estime que les griefs de l’auteure relatifs à la tentative de transfert en Italie sont manifestement mal fondés. À titre subsidiaire, dans la mesure où l’auteure n’a pas apporté d’éléments additionnels susceptibles d’étayer une violation du paragraphe 2 de l’article 6 de la Convention, elle ne peut pas se prévaloir d’une telle violation.

4.15Pour ce qui est des allégations de violation de l’article 12 de la Convention, l’État partie cite la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral selon laquelle cette disposition ne confère pas aux enfants le droit inconditionnel d’être entendus oralement et personnellement dans toute procédure judiciaire ou administrative les concernant. Elle garantit seulement que les enfants puissent faire valoir d’une manière appropriée leur point de vue, par exemple dans une prise de position écrite de leur représentant. Ce n’est que dans le cas où l’enfant a le discernement, à savoir la capacité et la maturité nécessaires pour comprendre la signification et le but de la procédure d’asile, ainsi que pour exposer ses motifs de persécution, qu’il devra avoir la possibilité d’exprimer son opinion lors d’une audition conforme à la loi no 142.31 du 26 juin 1998 sur l’asile. Selon la pratique du Secrétariat d’État aux migrations, la capacité de discernement des enfants peut être présumée à partir de l’âge de 14 ans. E. A. et U. A. n’étaient âgés que de 8 et 3 ans au moment de la décision du Secrétariat d’État. De plus, ils sont inclus dans la demande d’asile de leur mère en raison de leur minorité. Ni l’audition des enfants ni l’octroi séparé du droit d’être entendu par écrit n’étaient requis, vu leur très jeune âge. Au surplus, l’auteure ne précise pas les faits ou les éléments qu’E. A. et U. A. auraient pu faire valoir, dans l’hypothèse où le Secrétariat d’État leur aurait accordé un droit d’être entendus au sens où elle l’entend. Tout tend dès lors à indiquer que l’auteure et son avocate ont pu faire exercer le droit des enfants d’être entendus aux termes de l’article 12 de la Convention. Il en ressort que le grief de violation de l’article 12 de la Convention est manifestement mal fondé ou, à titre subsidiaire, qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.

4.16D’après l’État partie, l’article 22 de la Convention impose des obligations de nature programmatoire. Les allégations de l’auteure sur la violation de cet article sont manifestement dénuées de fondement pour les mêmes raisons que le sont ses allégations de violation de l’article 3. À titre subsidiaire, l’État partie relève que les craintes de l’auteure de ne pas bénéficier de la protection et de l’assistance nécessaires en Italie se fondent sur des considérations hypothétiques. Elle allègue de façon générale qu’un renvoi dans ce pays violerait l’article 22 de la Convention, ce qui ne saurait suffire à établir une violation dudit article.

4.17Quant à l’article 24 de la Convention, selon le Conseil fédéral, cette disposition contient « plutôt des indications pour des programmes de promotion de la santé de l’enfant ». Concernant l’allégation de l’auteure selon laquelle un renvoi vers l’Italie empêcherait un suivi psychologique adéquat par suite du traitement dégradant que les enfants auraient subi lors de la tentative de renvoi, l’État partie réitère ses observations concernant le non-épuisement des recours internes et le caractère manifestement mal fondé des allégations de l’auteure relatives à la tentative de renvoi. À titre subsidiaire, l’État partie conclut à la non-violation de cette disposition.

4.18Concernant l’allégation de violation de l’article 37 de la Convention, l’État partie renvoie à ses observations sur le caractère mal fondé de la communication. À titre subsidiaire, il conclut à l’absence de violation dudit article.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 28 août 2019, l’auteure affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Tribunal administratif fédéral est la dernière instance qui pouvait être saisie pour contester la décision du 20 juillet 2018 du Secrétariat d’État aux migrations. Dans son recours du 31 juillet 2018 devant le Tribunal, l’auteure a relevé la non-application de la clause de souveraineté du Règlement Dublin III dans l’intérêt du noyau familial très vulnérable. La non-application de cette clause en faveur de mineurs déjà fortement marqués et dont les seuls liens de soutien serein, en dehors de leur pays d’origine, se trouvent en Suisse, représente un traitement inhumain et dégradant. L’État partie a bafoué la sérénité d’E. A. et d’U. A. dès lors qu’il n’a pas tenu compte des répercussions émotives et psychologiques que leur renvoi vers l’Italie pouvait avoir sur eux.

5.2Le 10 décembre 2018, l’auteure a présenté une plainte sur les circonstances du transfert du 12 septembre 2018 au Conseil d’État du canton du Tessin et une pétition au Grand Conseil du canton du Tessin. L’auteure soutient que même s’il incombe au Secrétariat d’État aux migrations d’évaluer la force exécutoire et la faisabilité du renvoi, une telle évaluation concerne uniquement les garanties minimales d’accueil dans le pays de renvoi, non pas les modalités de l’exécution du renvoi. L’auteure souligne toutefois que sa communication ne se fonde pas sur la tentative de renvoi du 12 septembre 2018, mais sur la décision du Secrétariat d’État d’appliquer le Règlement Dublin III sans tenir compte du bien-être et de l’intérêt supérieur d’E. A. et d’U. A.

5.3L’auteure conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle les autorités compétentes en matière d’asile n’ont pas eu la possibilité de prendre connaissance des certificats médicaux. Dès la réception de ces certificats médicaux datés du 7 septembre 2018, l’auteure les a envoyés à l’Office des migrations, organe compétent au niveau cantonal pour l’exécution des renvois sur l’ordre du Secrétariat d’État aux migrations.

5.4L’auteure accepte que certaines dispositions de la Convention ne soient pas directement applicables. Cependant, elle trouve absolument aberrante l’affirmation par l’État partie que l’applicabilité indirecte d’une norme de la Convention ne constitue pas une raison pour faire valoir sa violation devant le Comité.

5.5L’auteure conteste l’allégation par l’État partie du caractère mal fondé de sa communication. Elle explique que le renvoi du 12 septembre 2018 n’est pas le seul motif de la communication. L’auteure conteste les faits relatés dans le rapport de police évoqué par l’État partie en soulignant son caractère partial. Elle estime que l’État partie ne peut pas non plus fonder ses affirmations sur la réponse du Conseil d’État, étant donné qu’il s’agit d’un texte général qui ne concerne pas son cas concret. Elle ajoute que les réponses du Conseil d’État sont écrites par les services concernés, dans ce cas par la police elle-même.

5.6L’auteure indique que le 17 août 2018, sa famille a été transférée du centre de protection civile de Biasca, un « bunker » dont la structure n’a pas été jugée adéquate pour l’accueil, à la pension Della Santa de Viganello. L’association SOS Ticino a préparé l’inscription scolaire d’E. A. Bien que la famille ait dû s’attendre à un transfert vers l’Italie, E. A. et U. A., qui se sont vus déplacés d’un bunker, installés dans une pension et inscrits à l’école, ne pouvaient concevoir qu’il s’agissait d’une situation temporaire.

5.7L’auteure insiste sur le fait que l’arrivée de la police, dans la nuit du 12 septembre 2018, à la pension Della Santa était inattendue, étant donné que personne n’avait averti la famille du renvoi avec l’aide d’un interprète. La famille était convaincue que son séjour en Suisse serait long, vu qu’E. A. avait été inscrit à l’école et s’y était rendu le premier jour. Bien que les policiers aient expliqué en italien ce qui allait se passer, l’auteure n’arrivait pas à comprendre entièrement leurs paroles et avait de la difficulté à s’exprimer. L’avocate de l’auteure a informé la police de son refus d’embarquer et du fait qu’une suspension du vol avait été demandée pour des motifs médicaux. Par conséquent, l’affirmation par l’État partie que l’auteure a fait ses valises de sa propre initiative est « un pur mensonge ». L’auteure souligne qu’elle n’a pas allégué que la police avait pénétré dans son logement par effraction. Le traitement inhumain et dégradant se rapporte à l’effet de surprise en pleine nuit, à l’exigence que la famille ramasse ses affaires personnelles, et aux discussions sans interprète entre la police et l’auteure, en présence des deux enfants effrayés. Il est vrai que l’auteure et ses enfants n’avaient pas quitté la Suisse dans le délai fixé, mais il est tout aussi vrai qu’après ce terme, ce sont les autorités suisses qui leur ont attribué un nouveau logement et ont fait inscrire E. A. à l’école.

5.8L’auteure regrette que ni le rapport de police ni les observations de l’État partie ne mentionnent le fait que ses enfants ont été effrayés et pleuraient, ou encore que la police de l’aéroport de Zurich a montré la photo à E. A., qui pleurait d’effroi en assistant à la discussion entre sa mère et la police. L’affirmation de l’État partie selon laquelle les enfants ont eu peur en voyant la réaction de leur mère doit être complétée dans le sens qu’ils craignaient que leur mère puisse leur être enlevée à cause de son refus d’embarquer. La pression psychologique et la frayeur qu’ils vivaient ont poussé E. A. à dire à sa mère de retourner dans l’avion. L’auteure conteste toute la partie des observations de l’État partie qui concerne sa décision de choisir de revenir au Tessin en train.

5.9L’auteure affirme que les autorités nationales ont méconnu le paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, n’ayant pas pris en considération la vulnérabilité d’E. A. et d’U. A. et ayant appliqué le Règlement Dublin III dans sa forme la plus restrictive, à savoir sans appliquer sa clause de souveraineté. L’auteure affirme que le Secrétariat d’État aux migrations a opéré une discrimination dans sa décision de non-entrée en matière, en généralisant la question au lieu de considérer le cas concret.

5.10Faisant référence aux articles 3 et 22 de la Convention, l’auteure affirme que les autorités suisses n’ont pas tenu compte de l’intérêt supérieur d’E. A. et d’U. A., étant donné qu’elles n’ont pas pris en considération les traumatismes vécus et les liens avec les personnes connues au Tessin. L’auteure conteste la présomption par le Tribunal administratif fédéral de l’absence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil en Italie. La simple présomption que les autorités italiennes considèrent les demandeurs d’asile comme un noyau familial et garantissent leur unité constitue une garantie minimale qui ne tient pas compte de tous les intérêts d’E. A. et d’U. A. Dans son recours contre la décision de renvoi du Secrétariat d’État aux migrations, l’auteure a affirmé que l’Italie présentait des défaillances systémiques qui n’auraient pas rendu possible la réelle protection de ses enfants. L’auteure conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’Italie dispose de traitements essentiels pour les maladies et les problèmes mentaux graves. Le fait que les autorités nationales se sont fondées sur le rapport du 31 juillet 2018 pour affirmer que l’auteure et ses enfants ne souffraient pas de problèmes graves et qu’ils pouvaient être transférés en Italie démontre qu’elles n’ont aucunement soupesé les intérêts en jeu. L’auteure conteste que sa famille puisse être accueillie en Italie dans le cadre du système SPRAR de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés. Le Gouvernement italien a adopté une loi qui a bousculé ce système : la télévision italienne ne cesse de montrer des familles dans les rues, sans abri. Comme il a été rapporté dans les recours auprès du Tribunal administratif fédéral, les projets lancés dans le cadre de ce système, parfaits sur le papier, sont un échec dans leur mise en œuvre. En 2018, le Ministère de l’intérieur italien a promulgué un décret-loi nommé decreto sicurezza qui a abrogé la protection humanitaire. Ce décret a fait en sorte que 60 000 étrangers sont sortis du système de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés. L’auteure affirme que la violation de l’article 3 de la Convention est due au fait que les autorités suisses n’ont pas considéré que le renvoi vers l’Italie aurait traumatisé E. A. et U. A. dans la mesure où ils auraient perdu leurs repères et des relations personnelles importantes et auraient subi un changement supplémentaire. L’auteure conteste le fait que ses enfants n’ont pas tissé de relations importantes durant les dix mois passés en Suisse, pendant lesquels E. A. est allé à l’école. Sa décision de revenir en Suisse a été prise uniquement en raison des points de référence que la famille a établis, tels que le réseau d’amis, les connaissances scolaires et les soutiens psychologiques. Les autorités n’ont tenu compte ni des déclarations de l’auteure, ni des témoignages des connaissances de l’auteure et de ses enfants, ni surtout des émotions et des sentiments des deux enfants, qui pensaient pouvoir trouver en Suisse un point d’ancrage leur conférant une certaine sérénité. L’auteure affirme que l’obtention des visas auprès du consulat italien à Bakou était le choix du passeur et non le sien. Elle souligne que le risque de violation de la Convention en cas de renvoi ne concerne pas seulement la façon dont ses enfants seraient accueillis en Italie, mais aussi le traumatisme qu’ils subiraient en perdant à nouveau leurs points de repère.

5.11Le fait que les autorités n’ont pas tenu compte des rapports médicaux ainsi que du stress, de la frayeur et de l’angoisse qu’E. A. et U. A. ont subis à cause de tout ce qu’ils ont vécu constitue un déni de protection et une atteinte à leur développement au sens du paragraphe 2 de l’article 6 de la Convention.

5.12L’auteure avance que la violation alléguée de l’article 12 de la Convention ne concerne pas seulement le fait qu’E. A. et U. A. n’ont pas été entendus par le Secrétariat d’État aux migrations, mais aussi le fait que ce dernier n’a pas tenu compte de ce qu’ils désiraient, et qui a été rapporté par l’intermédiaire de leur avocat et de leur mère : rester en Suisse parce qu’ils s’y sentaient en sécurité au vu du réseau de leurs connaissances et de leurs soutiens. Le Secrétariat d’État ne spécifie pas comment les intérêts d’E. A. et d’U. A. ont été appréciés et soupesés.

5.13S’agissant de l’article 22 de la Convention, l’auteure estime que l’État partie n’a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour protéger E. A. et U. A. Il n’a pas tenu compte de leur état d’esprit, de leurs frayeurs, de leurs angoisses et de leurs espoirs, en décidant froidement de les renvoyer vers l’Italie.

5.14L’auteure affirme que les autorités du Secrétariat d’État aux migrations, de la police et de la justice n’ont pas interprété et appliqué les normes internes, afin que le droit à la santé et au bien-être psychologique et physique d’E. A. et d’U. A., au sens de l’article 24 de la Convention, soit réellement garanti.

5.15Concernant la violation alléguée de l’article 37 de la Convention, l’auteure réitère que l’État partie a soumis E. A. et U. A. à des traitements inhumains et dégradants. Elle souligne qu’à l’époque de leur première entrée en Suisse, E. A. et U. A. avaient fui leur pays à cause de persécutions subies par leurs parents. Une fois arrivés en Suisse, les enfants ont subi un stress psychologique dû au traitement réservé à leurs parents. Ils sont retournés dans leur pays, ont vécu la disparition de leur père et une deuxième fuite, avec l’espoir de retrouver en Suisse quelques personnes qui pouvaient leur assurer une certaine tranquillité. Or, ils ont subi le « transfert » à l’aéroport de Zurich pour être renvoyés en Italie.

5.16L’auteure informe le Comité qu’E. A. fréquente l’école et qu’U. A. est inscrit au jardin d’enfants. Leur père est arrivé en Suisse et vit avec sa famille dans un centre pour demandeurs d’asile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevableau regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé les voies de recours internes disponibles en ce qui concerne ses griefs relatifs à la tentative de renvoi du 12 septembre 2018. Il note que l’auteure s’est plainte des agissements de la police lors de la tentative de renvoi auprès des autorités cantonales, soit le Conseil d’État et le Grand Conseil du canton du Tessin, mais n’a pas intenté d’action judiciaire. Dès lors, le Comité conclut que les griefs relatifs aux articles 2, 3, 6 (par. 2), 24 et 37 de la Convention concernant le déroulement de la tentative de renvoi du 12 septembre 2018 et ses conséquences sur la santé d’E. A. et d’U. A. sont irrecevables en application de l’article 7 e) du Protocole facultatif.

6.3Le Comité prend note de l’allégation de l’auteure d’une violation de l’article 37 de la Convention concernant les conditions d’accueil de sa famille lors de son premier séjour en Suisse. Il note cependant qu’il ne ressort pas de la communication que ces conditions ont fait l’objet d’une contestation devant les autorités suisses. Dès lors, le Comité estime que ce grief est également irrecevable en application de l’article 7 e) du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note de l’allégation de l’auteure selon laquelle l’État partie a violé son obligation de respecter les droits énoncés à l’article 2 de la Convention, car le Secrétariat d’État aux migrations n’a pas pris en considération la vulnérabilité d’E. A. et d’U. A. Il prend également note de l’allégation de l’auteure selon laquelle le Secrétariat d’État a opéré une discrimination à l’égard d’E. A. et d’U. A., laquelle est prohibée par le paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention. Le Comité remarque cependant que l’auteure énonce ces griefs d’une manière très générale, sans expliquer le fondement de la prétendue discrimination. En conséquence, le Comité déclare ces griefs manifestement mal fondés et irrecevables au titre de l’article 7 f) du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note des arguments de l’État partie, qui soutient que les dispositions des articles 2 (par. 2), 3, 6 (par. 2), 22 et 24 de la Convention ne fondent pas de droits subjectifs dont la violation peut être invoquée devant le Comité. À cet égard, le Comité rappelle que la Convention reconnaît l’interdépendance et l’égale importance de tous les droits (civils, politiques, économiques, sociaux et culturels) qui permettent à tous les enfants de développer leurs aptitudes mentales et physiques, leur personnalité et leur talent dans toute la mesure possible. Il rappelle également que l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré à l’article 3 de la Convention, représente un triple concept qui est à la fois un droit de fond, un principe interprétatif et une règle de procédure. Le Comité note qu’aux termes du paragraphe 1 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, les communications individuelles peuvent être présentées contre un État partie à la Convention par des particuliers ou des groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou de groupes de particuliers qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention. De ce fait, le Comité estime que rien dans le paragraphe 1 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne permet de conclure à une approche limitée aux droits dont la violation peut être invoquée dans la procédure d’examen de communications individuelles. Le Comité rappelle également qu’il a eu l’occasion de se prononcer sur des violations prétendues des articles invoqués dans le cadre du mécanisme de communications individuelles.

6.6Le Comité estime que, même si les griefs de l’auteure relatifs à l’article 24 de la Convention, selon lesquels E. A. et U. A. ne bénéficieraient pas en Italie d’un suivi psychologique adéquat et nécessaire pour les personnes ayant subi de mauvais traitements, semblent également concerner les prétendus traumatismes antérieurs au dépôt de la deuxième demande d’asile, l’auteure ne produit aucun élément pour étayer cette allégation. Par conséquent, le Comité déclare ce grief manifestement mal fondé et irrecevable au titre de l’article7f) du Protocole facultatif.

6.7Cependant, le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le reste des griefs qu’elle tire des articles 3, 12 et 22 de la Convention. Il déclare donc cette partie de la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux autorités nationales d’examiner les faits et les éléments de preuve, ainsi que d’interpréter et d’appliquer la loi nationale, à moins que l’appréciation faite par ces autorités ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. Il n’appartient donc pas au Comité de se substituer aux autorités nationales dans l’interprétation de la loi nationale et l’appréciation des faits et des preuves, mais de vérifier l’absence de caractère arbitraire ou de déni de justice dans l’appréciation des autorités, et de s’assurer que l’intérêt supérieur des enfants ait été une considération primordiale dans cette appréciation.

7.3Le Comité prend note de l’allégation de l’auteure, qui estime que l’État partie a violé l’article 12 de la Convention car les autorités nationales n’ont pas entendu E. A. et U. A. et n’ont pas tenu compte des rapports et des témoignages introduits au cours de la procédure. Le Comité prend note des arguments de l’État partie, qui affirme qu’E. A. et U. A. n’ont pas été entendus compte tenu de leur jeune âge, et du fait que les intérêts des enfants coïncidaient avec ceux de leur mère et qu’ils pouvaient exercer leur droit d’être entendus par l’intermédiaire de leur mère et de leur conseil. Le Comité note que l’article 12 de la Convention garantit le droit de l’enfant d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant. Il rappelle néanmoins que cet article n’impose aucune limite d’âge en ce qui concerne le droit de l’enfant d’exprimer son opinion, et qu’il décourage les États parties d’adopter, que ce soit en droit ou en pratique, des limites d’âge de nature à restreindre le droit de l’enfant d’être entendu sur toutes les questions l’intéressant. Le Comité ne partage pas l’argument de l’État partie selon lequel E. A. et U. A. ne devaient pas être entendus car leurs intérêts coïncidaient avec ceux de leur mère. Le Comité rappelle que la détermination de l’intérêt supérieur des enfants requiert que leur situation soit évaluée séparément, nonobstant les raisons ayant motivé la demande d’asile de leurs parents. Dès lors, le Comité estime que dans les circonstances de l’espèce, l’absence d’audience directe des enfants était constitutive d’une violation de l’article 12 de la Convention.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel les autorités n’ont pas pris en considération les traumatismes vécus par les enfants, y compris deux fuites de leur pays d’origine, dont une en passant par un tiers pays, et un retour dans leur pays natal ainsi qu’un autre essai dans des conditions très traumatisantes. Le Comité estime que n’ayant pas auditionné E. A. et U. A. sur ces faits dont les conséquences peuvent être pour eux très différentes des conséquences pour leur mère, les autorités nationales n’ont pas fait preuve de la diligence voulue afin d’apprécier leur intérêt supérieur.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3 et 12 de la Convention.

9.En conséquence, l’État partie est tenu de réexaminer la demande de l’auteure d’appliquer l’article 17 du Règlement Dublin III afin de traiter la demande d’asile d’E. A. et d’U. A. de manière urgente, en s’assurant que l’intérêt supérieur des enfants constituera une considération primordiale et qu’E. A. et U. A. seront entendus. Dans la considération de l’intérêt supérieur des enfants, l’État partie devrait tenir compte des liens sociaux forgés par E. A. et U. A. au Tessin depuis leur arrivée, et des possibles traumatismes qu’ils ont vécus à cause des multiples changements de leur environnement, en Azerbaïdjan et en Suisse. Il a aussi l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour que de telles violations ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité lui recommande de veiller à ce que les enfants soient systématiquement entendus dans le contexte des procédures d’asile et que les protocoles nationaux applicables au renvoi des enfants soient conformes à la Convention.

10.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est aussi invité à inclure des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au Comité au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles du pays.