Nations Unies

CRPD/C/19/D/26/2014

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

6 avril 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5du Protocole facultatif, concernant la communication no 26/2014 * , **

Présentée par:

Simon Bacher (représenté par Viktoria Bacher, sa sœur jumelle et tutrice)

Au nom de:

Simon Bacher

État partie:

Autriche

Date de la communication:

8 février 2014 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 mars 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations:

16 février 2018

Objet:

Responsabilité des autorités de l’État partie pour ce qui est de promouvoir l’accessibilité pour les personnes handicapées dans le contexte d’un différend d’ordre privé entre voisins

Question ( s ) de procédure:

Compétence ratione temporis; épuisement des recours internes ; compétence ratione materiae

Question ( s ) de fond:

Accessibilité, aménagement raisonnable, obligations générales des États parties en vertu de la Convention

Article(s) de la Convention:

3, 9, 14, 19, 25, 26 et 28

Article (s) du Protocole facultatif:

2 c), d) et f)

1.1L’auteure de la communication est Viktoria Bacher. Elle présente la communication au nom de son frère, Simon Bacher, de nationalité autrichienne, né le 1er janvier 1990, en sa qualité de tutrice. Elle affirme que l’Autriche a violé les droits que M. Bacher tient des articles 3, 9, 14, 19, 25, 26 et 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. L’Autriche a adhéré au Protocole facultatif se rapportant à la Convention le 26 septembre 2008.

1.2Le 17 avril 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles communications, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancéspar les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1M. Bacher est porteur de trisomie 21. Il présente des troubles du spectre autistique et a parfois besoin d’un fauteuil roulant. Il a également une affection pulmonaire chronique et une immunodéficience qui nécessitent une assistance médicale régulière, raison pour laquelle il se rend régulièrement à l’hôpital universitaire d’Innsbruck.

2.2M. Bacher réside à Vomp, dans une maison que sa famille a achetée en 1983. Cette maison, tout comme les deux maisons voisines, n’est accessible que par un chemin piétonnier. Lorsque les parents de M. Bacher ont acquis la maison, le maire de Vomp leur a dit que la loi lui imposait de faire aménager un accès d’urgence à leur foyer et aux deux maisons voisines, afin d’en garantir l’accessibilité, notamment en cas d’incendie. Toutefois, depuis que le maire de l’époque a quitté ses fonctions, rien n’a été fait pour créer de nouveaux moyens d’accès. Les parents de M. Bacher ont construit des marches bordées de bois et remplies de gravier tout au long du chemin, qui a une pente de 18 %, mesure 35 mètres de long sur 1,2 à 1,5 mètre de large et reste le seul moyen d’accéder à la maison. Par temps de pluie, de neige ou de grêle, le chemin devient particulièrement dangereux pour M. Bacher et les personnes qui lui viennent en aide. Lorsque leur fils est devenu trop grand pour être porté, les parents de l’auteure ont décidé de construire un toit au-dessus du chemin pour le protéger des intempéries. Ils ont obtenu un permis de construire auprès des autorités locales, avec l’accord des voisins immédiats. Toutefois, les propriétaires de l’une des maisons voisines (M. R. et son oncle) n’ont pas été invités à assister à la réunion organisée pour débattre du permis de construire puisqu’au regard de la loi, seuls les voisins situés dans un rayon de 15 mètres du lieu des travaux envisagés doivent être consultés. Conformément au permis accordé par la municipalité de Vomp et grâce à une subvention versée par l’administration locale du Tyrol, un toit a été construit en novembre-décembre 2001.

2.3M. R. a intenté une action contre les parents de l’auteure devant le tribunal du district de Schwaz, au motif que le toit avait réduit la largeur du chemin de 1,5 à 1,25 mètre et que sa hauteur l’empêchait d’exercer son droit de passage. Le 17 juillet 2002, le tribunal a tranché en faveur de M. R. et a ordonné la démolition du toit.

2.4La situation de M. Bacher et de sa famille a été exposée dans deux émissions de télévision, en 2003 et 2004. Les parents de M. Bacher ont interjeté appel devant le tribunal régional d’Innsbruck, en faisant valoir que le toit en question avait été construit dans le seul but d’assurer la sécurité de leur fils, et en demandant que le handicap et la situation personnelle de ce dernier soient pris en considération. En 2003, le maire a été informé de la possibilité de remettre en service un chemin qui avait été fermé à la circulation et qui pouvait assurer l’accès à la maison de M. R., ce qui devait résoudre les problèmes d’accès de M. Bacher à sa propre maison. Toutefois, la même année, un homme d’affaires local a acheté une parcelle adjacente pour ériger un mur et une clôture afin de bloquer l’entrée de sa propriété et le chemin de substitution a été fermé. Le 2 avril 2003, le tribunal régional d’Innsbruck a confirmé la décision du tribunal du district de Schwaz et a estimé la valeur du litige à plus de 4 000 euros, empêchant ainsi tout recours devant une juridiction supérieure. La destruction du toit était prévue en décembre 2003 et, le jour de la démolition, un fonctionnaire de justice, l’avocat du voisin et plusieurs ouvriers sont arrivés sur les lieux. Toutefois, grâce à l’intervention de cinq membres de l’organisation non gouvernementale People First, qui étaient venus soutenir M. Bacher et sa famille, les ouvriers ont refusé de démolir le toit. Le 2 avril 2004, un groupe d’ouvriers est arrivé sur les lieux sans prévenir et, en l’absence de tout fonctionnaire de justice, a démonté le toit. La famille de M. Bacher a appelé la police et le cabinet du maire, sans obtenir la moindre intervention.

2.5L’affaire ayant suscité l’intérêt des médias, un avocat a offert à la famille de la conseiller à titre gratuit et a déposé plainte contre l’enlèvement du toit en l’absence de tout fonctionnaire de justice et pour atteinte à la propriété par les ouvriers. Dans la plainte en question, la famille a présenté les risques auxquels l’enlèvement du toit exposait M. Bacher en tant que personne handicapée. Le 16 juillet 2004, le tribunal du district de Schwaz a jugé que la famille de M. Bacher était tenue d’accepter le démantèlement du toit, sans faire mention des allégations concernant la sécurité ni des besoins particuliers de M. Bacher. Le 1er octobre 2004, les parents de M. Bacher ont fait appel de cette décision. Le 22 avril 2005, le tribunal a rejeté l’appel et ordonné à la famille Bacher de payer le coût intégral de la démolition du toit, sans faire mention des allégations concernant la manière dont la destruction s’était déroulée ni des conséquences de cette destruction pour M. Bacher.

2.6En juillet 2004, une chute de grêle a endommagé plus encore le chemin. L’administration locale du Tyrol a accordé une subvention pour les travaux de remise en état mais, conformément à la décision antérieure du tribunal régional d’Innsbruck, M. R. a dû être consulté avant tout travaux sur le chemin. L’intéressé a refusé l’aide offerte par le Gouvernement. En conséquence, le chemin, qui était très endommagé, n’a pas pu être remis en état. En octobre 2006, la mère de M. Bacher a chuté et s’est cassé le bras alors qu’elle aidait M. Bacher à descendre le chemin endommagé.

2.7Au cours de cette période, M. Bacher a commencé un traitement ambulatoire de la mucoviscidose, qui l’a contraint à se déplacer plus souvent en empruntant le chemin en question. Pour remédier à cette situation, le 21 août 2003, les parents de M. Bacher ont saisi le Ministère de la justice, qui a répondu qu’il ne pouvait pas examiner l’arrêt du tribunal. Ils ont ensuite tenté de négocier en privé avec le voisin, mais celui-ci a refusé tout contact. Ils ont demandé le soutien de l’ONG People First. Après la décision rendue le 2 avril 2003 par le tribunal régional d’Innsbruck, des avocats du tribunal de district spécialisés dans les questions relatives au handicap ont travaillé en collaboration avec la Croix-Rouge en vue de trouver une solution, et ont suggéré d’installer un toit pliant, mais l’administration locale a répondu qu’une telle installation risquait de donner lieu à une plainte et a rejeté cette suggestion. À la fin de 2006, le voisin a mis sa parcelle en vente ; le 11 janvier 2008, l’homme d’affaires local susmentionné a offert de l’acheter, mais son offre a été rejetée par M. R. et son oncle. Peu après, le décès prématuré de l’homme d’affaires a mis un terme à toutes les négociations relatives à l’achat du terrain.

2.8En juin 2008, le Président du parti écologiste tyrolien a contacté le Département tyrolien chargé de la réglementation foncière, qui a organisé une rencontre avec le maire, le 29 juillet 2008. Le maire n’a pas assisté à la réunion. Le Président a ensuite contacté le Département chargé de la réglementation foncière et a offert d’acheter la parcelle de M. R. afin d’y bâtir un édifice pour un projet social, mais il a appris que le terrain était non constructible. La Croix-Rouge a ensuite suggéré de faire construire une route en rénovant le chemin de substitution, ce qui supposait d’acquérir une section de deux mètres de large sur les terres de l’homme d’affaires. Le 13 octobre 2008, cette offre a été rejetée par l’héritier de l’homme d’affaires. Le Gouverneur du Tyrol a été contacté par la famille, mais il n’a pas répondu. Le 18 novembre 2009, la famille a recontacté le Gouverneur, et a appris que M. R. n’était pas intéressé par la recherche d’une solution et qu’il n’y avait aucune chance d’obtenir une nouvelle audience. Elle a donc renoncé à tout contact. M. R. a verbalement menacé de poursuivre la famille pour « préjudice professionnel » si elle menait une quelconque action concernant le chemin d’origine.

2.9Entre 2011 et 2012, le Médiateur pour les personnes handicapées a tenté d’engager une médiation avec le maire de Vomp, qui a suggéré que M. Bacher soit placé dans un foyer ou que toute la famille déménage. Deux autres programmes télévisés, dans lesquels le Ministre de la justice et le Médiateur apparaissaient, ont été diffusés. Dans le programme de 2012, un courrier électronique adressé par le maire, dans lequel celui-ci déclarait une nouvelle fois que M. Bacher devrait être placé dans un foyer pour personnes handicapées ou que sa famille devrait déménager, a été lu à haute voix.

2.10La famille de M. Bacher refuse de le placer dans une institution. En ce qui concerne l’idée selon laquelle ils devraient tous déménager, l’auteure fait valoir que le foyer familial crée pour M. Bacher un environnement familier et lui offre la stabilité dont il a besoin en tant que personne atteinte de troubles du spectre autistique. De plus, le foyer familial est proche du centre de jour que M. Bacher fréquente et de l’hôpital universitaire où il reçoit son traitement hebdomadaire. L’auteure ajoute que le Tyrol est une région où le coût de la vie est très élevé et que la famille n’aurait pas les moyens d’emménager dans un logement similaire, leur propriété ayant été fortement dévaluée après la destruction du chemin et du fait de l’absence d’accès sécurisé au bâtiment qui en résulte.

2.11En novembre 2009, la famille de M. Bacher a bénéficié gratuitement des services d’un conseil par l’intermédiaire de sa compagnie d’assurance. Le conseil a engagé une procédure contre les voisins et leur a demandé d’apporter une contribution financière à la réparation du chemin, en faisant valoir que si le toit avait été préservé, le chemin ne serait pas en mauvais état et M. Bacher aurait pu l’utiliser sans danger. Le 9 février 2012, le tribunal du district de Schwaz a débouté la famille au motif que les voisins utilisaient très peu le chemin et n’étaient donc pas responsables de son entretien. La famille de M. Bacher n’a pas fait appel de cette décision parce qu’elle pensait avoir épuisé les recours disponibles et qu’elle avait déjà dépensé 30 000 euros en vain. En mai 2014, la famille de M. Bacher a contacté le maire de Vomp pour lui signaler que le voisin avait commencé à utiliser fréquemment le chemin. Le maire a refusé de donner suite et a suggéré que la famille contacte le juge du tribunal du district de Schwaz. Le 28 mai 2014, le juge a répondu que l’affaire n’avait rien à voir avec les droits des personnes handicapées et que c’était l’usage que la famille en faisait qui avait endommagé le chemin.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’incapacité globale de l’État à examiner la situation de M. Bacher et à comprendre le « changement de paradigme induit par l’approche axée sur les droits de l’homme préconisée dans la Convention » (voir CRPD/C/AUT/CO/1, par. 21), constitue une violation des droits que M. Bacher tient des articles 3, 9, 14, 19, 25, 26 et 28 de la Convention.

3.2L’auteure fait valoir que, bien que le toit ait été enlevé avant l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole facultatif dans l’État partie, la violation des droits de son frère se poursuit sous l’effet des décisions adoptées par les autorités de l’État partie après l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole facultatif.

3.3En ce qui concerne l’article 3, l’auteure affirme que le droit qu’a son frère d’être traité avec respect et dignité et son droit à la participation et à l’intégration ont été systématiquement ignorés. En ce qui concerne l’article 9, elle affirme que le droit de M. Bacher à l’accessibilité a été violé par les tribunaux qui, par leurs décisions, ont empêché sa famille de prendre les mesures nécessaires pour protéger le chemin et permettre son utilisation en toute sécurité. En particulier, la décision de 2012 a été adoptée en s’appuyant sur les décisions précédentes, mais sans prendre en considération le handicap de M. Bacher. L’auteure affirme que les droits de son frère à la liberté et à la sécurité, qu’il tient de l’article 14, ont été violés puisque l’état du chemin ne lui permet pas, par mauvais temps, de quitter son domicile sans danger.

3.4L’auteure affirme également que le droit de son frère à l’autonomie de vie a été restreint par le manque d’accès à son domicile, situation qui a réduit sa mobilité personnelle et son indépendance, en violation de l’article 19 de la Convention. Les droits que M. Bacher tient des articles 25 et 26 d’avoir accès aux services de santé et de réadaptation ont aussi été violés puisque l’état dangereux du chemin l’a empêché de suivre son traitement les jours de mauvais temps.

3.5En ce qui concerne l’article 28, l’auteure affirme que l’absence d’accès sécurisé à la maison familiale et le coût élevé des procédures engagées en vain constituent une violation du droit de son frère à un niveau de vie adéquat.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 18 février 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité. Il considère que la communication est irrecevable au motif que les faits ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, que les recours internes n’ont pas été épuisés et que les droits garantis par la Convention n’ont pas été invoqués au cours des procédures internes.

4.2L’État partie fait valoir que la construction du toit et toutes les procédures en question ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, le 26 octobre 2008. Il estime donc que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’alinéa f) de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.3L’État partie fait également valoir que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes puisque bien que, dans son jugement d’appel du 2 avril 2003, le tribunal régional d’Innsbruck ait déclaré que sa décision n’était pas susceptible d’un nouveau recours ordinaire, le Code de procédure civile dispose qu’une partie peut demander à la juridiction d’appel de réviser son jugement et de déclarer recevable un nouveau recours ordinaire. Même lorsque l’instance d’appel considère que sa décision n’est pas susceptible d’un nouveau recours ordinaire, les recours internes ne sont réputés épuisés que si une requête a été déposée. L’État partie affirme également que le tribunal régional d’Innsbruck n’a pas modifié la valeur du litige dont le montant a été estimé à 4 360,37 euros en première et deuxième instances.

4.4En outre, les parents de M. Bacher auraient pu faire appel du jugement rendu par le tribunal du district de Schwaz le 8 juillet 2004. Ils n’ont pas expliqué pourquoi ils ne l’ont pas fait.

4.5L’État partie affirme en outre que les parents de l’auteure n’ont pas fait appel de la décision du tribunal du district de Schwaz en date du 9 février 2012 et considère que l’affirmation de l’auteure selon laquelle aucun recours n’est possible et que la famille a perdu confiance dans le système juridique autrichien est liée aux frais encourus et aux doutes de la famille quant à l’efficacité d’un tel recours. L’auteure n’allègue pas que la procédure disponible risquait d’avoir une durée excessive ou qu’aucune réparation effective ne pouvait être espérée. L’État partie note que la famille de M. Bacher n’a pas contacté la compagnie d’assurance pour le paiement des frais et qu’elle n’a pas demandé l’aide juridictionnelle. Il affirme qu’aucune violation de la Convention n’a été alléguée devant les autorités nationales.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 31 mars 2015, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle réaffirme que, bien que le toit ait été enlevé avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, la violation des droits de son frère se poursuit sous l’effet des décisions des autorités judiciaires et administratives, qui sont fondées sur les droits de propriété et ne tiennent pas compte des droits que tient M. Bacher en sa qualité de personne handicapée.

5.2L’auteure réaffirme que le toit a été construit après que l’autorisation a été accordée par le maire de Vomp. La famille a demandé l’avis juridique d’un conseil auprès de l’administration locale et d’un praticien du droit, qui ont tous deux donné l’assurance qu’en cas de poursuites judiciaires émanant de détenteurs d’un droit de passage, le juge saisi de l’affaire devrait accepter l’exécution des travaux d’entretien nécessaires pour garantir la sûreté d’un chemin particulièrement détérioré, en particulier pour répondre aux besoins de M. Bacher.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie concernant le non-épuisement des recours internes, l’auteure affirme que les avocats consultés ont dit qu’aucun recours utile n’était disponible, et que les autorités continueraient de fonder leurs décisions sur le droit de passage contractuellement accordé, sans prendre en considération la sécurité de M. Bacher et ses besoins en tant que personne handicapée. Après la décision rendue par le tribunal régional d’Innsbruck le 2 avril 2003, l’avocat de la famille a soutenu que, puisque le jugement était définitif, aucun recours n’était possible. La famille a également sollicité l’avis d’un procureur, d’un conseil auprès de l’administration locale, de l’Association des juristes du Tyrol et du Ministère de la justice, qui ont tous confirmé qu’aucun autre recours n’était disponible.

5.4S’agissant de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la famille de M. Bacher n’a pas fait appel de la décision du tribunal du district de Schwaz en date du 8 juillet 2004, l’auteure affirme qu’elle a tenté d’obtenir un avis juridique correct à travers l’Autriche, mais que tous les experts lui ont conseillé de ne pas faire appel. Elle fait valoir que les autorités judiciaires n’ont clairement jamais manifesté le moindre intérêt pour le handicap de son frère et qu’un nouveau recours aurait été lourd à supporter financièrement.

5.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la famille de M. Bacher n’a pas fait appel de la décision du 9 février 2012, l’auteure fait valoir qu’elle a contacté sa compagnie d’assurance qui lui a répondu qu’il n’y avait aucune raison d’engager une nouvelle procédure puisque la famille avait été déboutée. L’auteure conteste l’argument du tribunal selon lequel la famille avait gravement endommagé le chemin en roulant dessus à bord d’un véhicule doté de « chenilles » et d’un « motocycle ». Elle affirme qu’en réalité, la famille a seulement utilisé un engin de jardinage muni de chenilles et un cyclomoteur. Elle affirme également que le chemin a en fait été endommagé par l’exposition aux intempéries, ce qui aurait pu être évité si le toit était resté en place. Elle souligne également les contradictions de la position du voisin : lors de la procédure engagée en 2002, il a d’abord déclaré qu’il avait besoin d’utiliser régulièrement le chemin, tandis qu’à l’audience de 2012, il a déclaré qu’il ne l’avait jamais utilisé au cours des quinze dernières années.

5.6En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas été fait mention devant les tribunaux nationaux d’une quelconque violation des droits énoncés dans la Convention, l’auteure affirme que le handicap de son frère a été mentionné à toutes les audiences et a été constaté par plusieurs experts ayant pris part à la procédure. Les conséquences de l’absence de protection du chemin sur sa capacité à entrer et sortir du foyer familial étaient au cœur de toutes les procédures judiciaires.

Observations de l’État partie sur le fond et autres observations relativesà la recevabilité

6.1Le 21 juillet 2015, l’État partie a soumis des observations supplémentaires sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il fait valoir que la communication est fondée sur les procédures civiles concernant le droit de passage pour les piétons et les véhicules (servitude) accordées au propriétaire d’une propriété voisine (la partie habilitée) sur la propriété du père de M. Bacher (la partie obligée). Ce droit a été établi par contrat entre les prédécesseurs en droit des propriétaires actuels, en 1953 et 1955. Le père de M. Bacher avait fait construire un toit en bois pour couvrir la seule voie d’accès privée existante, qui mène de la route municipale à son domicile. Il voulait ainsi permettre à son fils d’accéder plus facilement à leur maison, en particulier en hiver. Par la suite, le propriétaire d’une propriété voisine a déposé plainte au motif que la structure en bois qui couvrait le chemin le mettait dans l’impossibilité d’exercer son droit contractuel d’utiliser le chemin à bord d’un véhicule. Après avoir examiné l’affaire avec attention, les tribunaux ont conclu que la structure en bois constituait une atteinte au droit de passage accordé au propriétaire de la propriété voisine et devait être supprimée.

6.2Les tribunaux ont établi qu’il était possible de choisir une autre structure en bois. Toutefois, le père de M. Bacher ayant refusé de se conformer à l’ordonnance du tribunal et de faire enlever le toit, le propriétaire de la maison voisine a été autorisé à faire détruire le toit aux frais de M. Bacher, qui était tenu de rembourser les dépenses engagées.

6.3Quant à l’objet de la plainte, l’État partie reprend les arguments qu’il avait avancés dans ses observations sur la recevabilité de l’affaire. Il fait en outre observer qu’aucune conciliation ni aucune procédure judiciaire en vertu de la loi fédérale sur l’égalité de traitement des personnes handicapées n’a été engagée.

6.4En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire des articles 3, 9, 14, 15, 19, 23, 26 et 28 de la Convention, l’État partie fait valoir que l’article 2 de la Constitution fédérale autrichienne énonce une interdiction générale de la discrimination. Le paragraphe 1 de l’article 7 dispose expressément que nul ne peut être désavantagé en raison de son handicap et que les autorités fédérales, provinciales et municipales s’engagent à assurer l’égalité de traitement entre personnes handicapées et non handicapées dans toutes les sphères de la vie quotidienne. Toute discrimination fondée sur le handicap est donc expressément interdite.

6.5Parmi les mesures prises pour mettre en œuvre l’interdiction constitutionnelle de la discrimination, figure la loi fédérale sur l’égalité de traitement des personnes handicapées, entrée en vigueur le 1er janvier 2006, qui interdit toute discrimination à l’égard des personnes handicapées dans les rapports de droit privé dans la vie quotidienne. En application du paragraphe 1 de l’article 4 de ladite loi, nul ne peut faire l’objet d’une discrimination directe ou indirecte sur la base d’un handicap. La protection contre la discrimination s’étend également aux personnes qui ont des liens étroits avec une personne handicapée. Plus particulièrement, cette disposition s’applique aux cas dans lesquels des personnes sont victimes de discrimination ou de harcèlement en raison du handicap d’une personne avec laquelle elles ont un lien étroit. En vertu du paragraphe 9 de la loi, toute violation de l’interdiction de la discrimination peut donner lieu à une action en dommages et intérêts. De telles actions peuvent être engagées dans le cas où l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la discrimination soit éliminée sans faire peser une charge disproportionnée. Toutefois, elles doivent être précédées d’une tentative de conciliation devant les services compétents du Ministère des affaires sociales. Enfin, le paragraphe 8 de la loi dispose que le Gouvernement fédéral a l’obligation particulière d’éviter la discrimination dans ses domaines d’activité et de prendre les mesures nécessaires pour que ses services et ses offres soient accessibles aux personnes handicapées.

6.6En vertu du paragraphe 472 du Code civil général, un droit de passage est un droit in  rem limité d’utiliser un bien appartenant à une autre partie. Ce droit est habituellement acquis par un contrat inscrit au registre foncier qui accorde à la partie habilitée une position juridique absolue. La partie en question est protégée contre toute ingérence dans cette position juridique. La nature et la portée des servitudes sont fixées par convention. Des avenants, par exemple s’il existe des besoins personnels spéciaux, peuvent être convenus entre les parties. Les modifications unilatérales ne sont pas autorisées. La partie obligée ne doit prendre aucune mesure qui nuit gravement à la partie habilitée, la met en danger ou fait peser sur elle une charge supplémentaire. Toutefois, la personne habilitée peut modifier la manière dont s’exerce la servitude. Le paragraphe 483 du Code civil général stipule que les dépenses liées à l’entretien d’une propriété sur laquelle une servitude a été accordée sont généralement à la charge de la partie habilitée. Si les biens sont également utilisés par la partie obligée, cette dernière est tenue de prendre à sa charge une partie des dépenses. S’il existe plusieurs parties habilitées, tous les utilisateurs doivent contribuer aux dépenses nécessaires, proportionnellement à leur part de l’utilisation des biens.

6.7Pour ce qui est du fond de l’affaire, l’État partie considère que les griefs de l’auteure ne sont pas étayés et que la communication ne montre pas en quoi une autre solution qui a été jugée envisageable dans les conclusions des tribunaux autrichiens ne serait pas raisonnable. De plus, la communication n’explique pas pourquoi il n’aurait pas été raisonnable d’assurer un entretien approprié du chemin pour que M. Bacher et sa famille puissent avoir accès à la maison familiale en cas d’intempéries, sans couvrir la voie.

6.8L’État partie fait également valoir qu’il s’est toujours employé à aider M. Bacher et sa famille, comme en témoigne sa contribution financière à la construction de la structure en bois, et qu’il est raisonnable de supposer que l’État aurait facilité le maintien en bon état du chemin privé appartenant au père de M. Bacher. Toutefois, l’existence de subventions ne permet pas de tirer de conclusions quant à la légalité civile ou administrative des projets subventionnés. Il appartient au contractant d’obtenir tous les permis et toutes les autorisations nécessaires. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, selon laquelle un permis de construire définit simplement des prescriptions techniques et autres mais n’autorise pas l’entrepreneur à construire sur la parcelle d’une tierce partie ou à modifier ou empêcher l’utilisation des servitudes existantes. Il considère que c’est une raison supplémentaire pour laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable.

6.9L’État partie affirme en outre que les questions soulevées par l’auteure n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention. La communication concerne une procédure civile relative au droit de passage pour les piétons et les véhicules accordé au propriétaire d’une parcelle voisine sur la propriété du père de l’auteure. Ce droit de passage visait à permettre au voisin d’accéder à sa propriété. Cette servitude est un droit « absolu » et constitue une obligation pour le père de l’auteure. La structure choisie pour couvrir le chemin empêchait le propriétaire de la parcelle voisine d’exercer son droit de passage, puisque le chemin s’en est trouvé réduit de 1,5 mètre, comme convenu en 1955, à 1,25 mètre, et ne permettait donc plus le passage d’un véhicule de construction réclamé par le voisin. La servitude est établie par un contrat de droit privé, qui n’a pas d’incidence sur l’autonomie individuelle des personnes ayant besoin d’une protection spéciale.

6.10L’État partie indique que, dans un tel contexte, il n’a pas l’obligation positive de protéger certaines catégories de personnes et que seules peuvent être imposées les restrictions qui sont prévues par la loi, nécessaires au regard d’un intérêt public légitime et proportionné. Un droit in rem ne peut être retiré complétement (par expropriation) que si l’intérêt public ne peut pas être satisfait par d’autres moyens. Les obligations qui découlent des articles 1er et 9 (par. 1) de la Convention ne créent pas l’obligation de garantir que les intérêts d’une personne handicapée justifient à eux seuls une ingérence dans les droits de propriété. En l’espèce, les obligations de l’État partie ne peuvent s’étendre qu’aux rapports de droit privé dans lesquels des entités offrent des installations et des services qui sont à la disposition du public. Elles ne s’étendent pas aux questions purement privées. Conformément à cette interprétation, l’interdiction de la discrimination à l’égard des personnes handicapées inscrite dans la loi fédérale relative à l’égalité de traitement des personnes handicapées ne s’applique qu’aux rapports de droit privé dans la vie quotidienne, dans la mesure où ils concernent l’accès aux biens et services à la disposition du public et la fourniture de tels biens et services. Les faits sur lesquels repose la présente communication ne relèvent donc pas du champ d’application de la Convention.

6.11Pour ce qui est de l’argument de l’auteure qui affirme que les décisions des tribunaux autrichiens ont causé à son frère un préjudice fondé sur le handicap, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, rappelant qu’une exigence ou une mesure neutre peut aussi entraîner une discrimination si un nombre disproportionné de personnes handicapées sont affectées. Il rappelle que les États parties commettent aussi une violation de l’interdiction de la discrimination lorsqu’ils refusent d’accorder un traitement différent aux personnes dont la situation diffère sensiblement sans justification objective et raisonnable, et que, par conséquent, tous les cas d’inégalité de traitement ne constituent pas une discrimination. L’État partie renvoie également à la jurisprudence du Comité selon laquelle les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation pour évaluer le caractère raisonnable et la proportionnalité des mesures d’aménagement.

6.12L’État partie fait donc valoir que, pour évaluer la proportionnalité, il est nécessaire de se demander si l’application des dispositions légales pertinentes crée des inconvénients beaucoup plus importants pour un groupe protégé ou crée simplement des inconvénients pour certaines personnes. En l’espèce, le fait de restreindre le droit de passage d’une tierce partie doit être qualifié de charge disproportionnée ou indue. Après un examen approfondi de l’affaire, les tribunaux autrichiens ont conclu que le toit choisi par la partie obligée avait une incidence sur la servitude accordée à la partie habilitée. Ils ont cependant estimé que toute structure recouvrant le chemin ne représenterait pas nécessairement une telle ingérence. Les intérêts des parties auraient pu être conciliés en choisissant une autre structure. L’État partie conclut que les tribunaux ont examiné les arguments des deux parties avec rigueur et de manière objective, et qu’il n’y a pas eu d’arbitraire ni de déni de justice dans la présente affaire.

6.13En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 3 de la Convention faite par l’auteure, l’État partie rappelle que cet article régit des principes généraux et non des droits individuels. En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 14, l’État partie fait valoir que cette disposition régit le droit à la liberté et à la sécurité et n’est donc pas applicable en l’espèce puisque M. Bacher n’a pas été privé de sa liberté.

6.14En ce qui concerne le grief tiré de l’article 19, l’État partie affirme qu’il n’est pas recevable puisque la communication ne porte pas sur les services ou sur l’accompagnement. Le droit de l’auteure à un domicile et à une famille au regard de l’article 23 et les droits relatifs à la santé au titre des articles 25 et 26 de la Convention n’étaient pas l’objet de la procédure judiciaire, qui a été engagée pour clarifier une relation juridique entre le père de M. Bacher et une tierce partie.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1L’auteure note avec satisfaction que l’État partie est conscient de l’ampleur du handicap de son frère et reconnaît que le seul accès au foyer familial est le chemin piétonnier. Toutefois, l’État partie a omis de prendre en considération les besoins spéciaux de son frère. L’auteure fait valoir en outre que la largeur initiale du chemin n’a jamais permis l’accès d’un véhicule, quel qu’il soit. Le « toit » ne restreignait pas la circulation et, au contraire, améliorait l’état du chemin qui était endommagé.

7.2L’auteure affirme en outre qu’au cours de l’audience de 2002, le juge a mentionné M. Bacher mais a estimé que la structure en bois qui entraînait une réduction de la largeur du chemin devait être enlevée dans les trois mois. La construction du toit a commencé après examen de toutes les solutions de remplacement disponibles et après l’obtention par la famille d’un permis de construire. Le père de M. Bacher avait demandé l’avis juridique du conseil de l’administration locale et d’un praticien du droit, qui ont tous deux estimé que, si le voisin s’opposait à la construction, le juge devrait accepter l’exécution des travaux d’entretien nécessaires pour garantir la sûreté du chemin qui était vraiment en mauvais état. Après avoir minutieusement inspecté les lieux, l’administration locale a accordé à la famille une subvention pour des motifs de sécurité, dont le montant couvrait deux tiers des dépenses engagées pour le toit. L’administration locale ne s’attendait à aucun problème et les avocats ont estimé qu’une décision négative du voisin constituerait une atteinte aux droits de l’homme de M. Bacher.

7.3En ce qui concerne les arguments de l’État partie selon lesquels ces droits n’ont pas été invoqués devant les juridictions internes, l’auteure rappelle que le handicap et les besoins de M. Bacher ont été décrits avec soin dans toutes les audiences et convocations de 2002, 2003, 2004, 2010 et 2012. Elle renvoie à une déclaration faite par l’avocat commis d’office au cours de l’audience de 2002, dans laquelle il affirmait que M. Bacher (alors âgé de 12 ans) présentait un handicap moteur lourd et détenait un permis pour fauteuil roulant ; qu’il était né trisomique et était atteint de troubles pulmonaires chroniques ; et qu’en raison de son âge, il était impossible en cas de neige ou de verglas, de l’amener jusqu’à la route. L’avocat a insisté sur la nécessité de faire construire un toit sur le chemin d’accès à son domicile pour le protéger de la neige et des intempéries, et a souligné que la demande du voisin qui exigeait que le toit soit supprimé était immorale, vexatoire et inhumaine. Le toit a été construit dans le respect du permis de construire et l’administration locale a accordé une subvention de 13 000 euros pour financer une partie des dépenses de construction dont le montant s’élevait à 20 000 euros compte tenu des besoins de M. Bacher. Le juge n’a pas tenu compte de toutes ces déclarations et de cet élément de preuve dans sa décision.

7.4L’auteure renvoie également à l’audience du 2 avril 2003, au cours de laquelle le juge a demandé à M. R. d’expliquer pourquoi il contestait la hauteur de la construction. Le voisin a répondu qu’il devait transporter des matériaux de construction vers son « chantier », notamment une échelle droite, et qu’il avait besoin d’utiliser une pelle mécanique. Le père de M. Bacher a produit des photographies qui permettaient d’établir que la pelle mécanique en question pouvait encore manœuvrer sous le toit. L’auteure décrit les éléments pris en considération par le tribunal, alléguant que de fausses informations avaient été fournies par le voisin, en violation des droits de M. Bacher. Après l’audience, la famille de M. Bacher a été informée par son avocat qu’aucun autre recours n’était disponible étant donné que le jugement était définitif et absolu (rechtskräftig). On lui a également fait savoir qu’aucune aide juridictionnelle ne lui serait accordée. Le 18 août 2003, la mère de M. Bacher et un travailleur social employé par l’administration locale ont sollicité l’avis du Procureur général, qui a déclaré que la décision n’était pas susceptible d’appel. La famille de M. Bacher a ensuite consulté l’avocat de l’administration locale et trois autres avocats qui ont tous confirmé cet avis.

7.5Le 2 avril 2004, l’avocat qui avait offert d’aider la famille gratuitement a introduit une requête alléguant que le toit avait été enlevé illégalement. À l’issue d’une audience tenue le 1er juillet 2004, le tribunal a rendu un jugement établissant que Mme Bacher avait trois enfants, dont un lourdement handicapé, et que le seul accès à leur domicile était « comme une descente de toboggan en hiver et comme le lit d’une rivière en été ». Le 22 avril 2005, le tribunal a rejeté la plainte et la famille de M. Bacher a dû régler les dépenses liées à l’enlèvement du toit (environ 4 000 euros). Le tribunal n’a manifesté aucun intérêt pour la sécurité de M. Bacher, et la seule solution proposée par l’avocat du voisin était que la famille achète la parcelle de son client. Le juge a rejeté la plainte au motif que « Mme Bacher devait accepter le fait que le toit n’existait plus ».

7.6En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la famille aurait pu faire appel de cette décision, l’auteure réaffirme qu’il avait été dit à la famille qu’aucun recours utile n’était disponible. En outre, la famille n’avait plus d’argent. Les parents de M. Bacher ont sollicité le soutien de différentes organisations de personnes handicapées, mais toutes ont indiqué qu’elles ne pouvaient rien faire étant donné que le jugement était définitif.

7.7L’auteure affirme que l’administration locale du Tyrol a joué un rôle clef dans le déroulement de l’affaire. De nombreuses propriétés ont été touchées par la grêle en juillet 2004, après quoi l’administration locale a accordé des subventions pour couvrir 50 % des travaux de réparation, ce qui représentait un montant estimé à 9 500 euros. Toutefois, en raison des actions de M. R. concernant le toit, l’administration locale a estimé qu’elle devait demander son autorisation avant de remettre le chemin en état. L’avocat du voisin a répondu que la famille de M. Bacher devrait acheter la parcelle de son client. Par conséquent, les autorités locales ont mis fin à toute forme d’assistance.

7.8Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel les intérêts des parties auraient pu être conciliés en choisissant une autre structure pour couvrir le chemin, l’auteure souligne qu’aucune des options proposées n’a été acceptée par M. R. Lorsque la Croix-Rouge a demandé le prix de sa parcelle, il a répondu qu’il était de 100 000 euros, montant exorbitant pour une telle parcelle. De nombreuses réunions ont eu lieu et des lettres ont été échangées, mais en vain. Dans ce contexte, dans des lettres soumises en vue d’un programme de télévision et envoyé à l’avocat fédéral pour les personnes handicapées, le maire de la ville a suggéré que M. Bacher soit transféré dans une institution spécialisée ou que sa famille déménage. Il a en outre déclaré dans un article du Tiroler Tageszeitung qu’il avait participé aux procédures mais qu’aucune voie de recours n’était disponible. En 2009, l’administration locale a répondu à la famille de M. Bacher qu’elle avait tenté de consulter le voisin, mais que celui-ci avait répondu qu’il ne voyait aucune solution et avait refusé de participer à une quelconque réunion. L’administration locale a donc décidé de classer l’affaire. De nouvelles tentatives de négociation ont été faites par un avocat avec le soutien de la Croix-Rouge, mais aucune solution n’a été trouvée. De juillet 2004 à novembre 2010, aucun des professionnels et des représentants de l’État consultés n’a proposé l’un des recours mentionnés par l’État partie.

7.9En ce qui concerne les audiences de 2010 et 2011, les parents de M. Bacher ont été informés en 2007 du fait qu’en vertu du Code civil général, tous les titulaires d’une servitude doivent contribuer à son entretien. À la fin de 2009, ils ont reçu de leur compagnie d’assurance l’accord de poursuivre les titulaires de la servitude concernant le chemin. Des lettres ont été échangées entre la Croix-Rouge et les avocats. La Croix-Rouge a signalé que la reconstruction du toit éviterait aux titulaires de la servitude d’avoir à financer le coûteux entretien nécessaire pendant l’hiver pour dégager la neige et le verglas. Une réunion a été demandée mais en vain. Une convocation a donc été publiée, elle faisait mention du handicap de M. Bacher et de ses besoins spéciaux concernant l’accès à son domicile en toute sécurité. Deux audiences ont eu lieu. Les griefs ont été rejetées, les titulaires de la servitude ayant déclaré qu’ils n’avaient jamais utilisé le chemin en hiver au cours des quinze dernières années, contrairement à ce qu’ils avaient déclaré en 2002 lorsqu’ils demandaient l’enlèvement du toit.

7.10Pour ce qui est de l’argument du tribunal selon lequel la famille Bacher avait abîmé le chemin en l’empruntant à bord d’un véhicule à chenilles, des photographies produites devant la cour permettent d’établir que les dommages ont été causés par la grêle en 2004. Toutefois, la famille de M. Bacher a dû réparer l’ensemble du chemin en application de la décision de 2010. Comme il n’a pas été possible de créer des marches en raison de la position de M. R., la neige et le verglas continuent d’empêcher M. Bacher d’utiliser le chemin en toute sécurité en hiver. Trois témoins-experts ont été consultés, ils ont tous conclu que la seule solution sûre était de couvrir le chemin à nouveau avec un toit. Leurs dépositions ont été présentées au tribunal, mais elles ne sont pas mentionnées dans la décision adoptée. Aucune des décisions adoptées ne prend en considération les droits de M. Bacher ; au lieu de cela, sa famille a été contrainte d’assumer tous les coûts et de supporter la pression découlant de cette situation.

7.11En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la famille de M. Bacher n’a pas épuisé les recours internes, l’auteure réaffirme qu’aucun recours interne n’a été mentionné par les avocats consultés.

7.12L’auteure relève que, selon l’État partie, ce n’est qu’au cours de la procédure concernant la demande d’enlèvement du toit que le père de M. Bacher a fait mention du handicap de son fils. De fait, M. Bacher a été mentionné tout au long de la procédure, y compris par trois témoins-experts. Au cours de la dernière audience, on lui a demandé comment il se rendait au centre d’accueil de jour ou dans tout autre lieu pour exercer ses activités quotidiennes. Sa « carte de personne handicapée » a été produite comme élément de preuve important pour expliquer pourquoi le toit aurait été nécessaire. Toutefois, aucune évaluation appropriée de l’aménagement raisonnable proposé (c’est-à-dire la construction d’un toit sur le chemin) et toutes les décisions prises par les tribunaux semblent confirmer la position exprimée par le voisin et son avocat à l’audience de 2002, à savoir que « la question de la regrettable incapacité du fils du défendeur n’est pas pertinente en droit ».

B.Examen de la recevabilité et examen au fond

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée par le Comité et qu’elle n’avait pas été déjà examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’alinéa f) de l’article 2 du Protocole facultatif puisque les faits se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie. Il note également l’allégation de l’auteure selon laquelle les faits qui font l’objet de la communication ont persisté après l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie, puisqu’ils découlent de décisions ou de déclarations officielles adoptées par les autorités de l’État partie entre 2009 et 2014.

8.4Le Comité rappelle qu’en application de l’alinéa f) de l’article 2 du Protocole facultatif, il ne peut pas examiner des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’État partie intéressé, « à moins que ces faits ne persistent après cette date ». Il note que le jugement rendu en appel par le tribunal régional d’Innsbruck, le 2 avril 2003, et le jugement du tribunal du district de Schwaz, en date du 8 juillet 2004, sont antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’État partie. Toutefois, il note aussi que ces décisions ont été mentionnées par l’auteure comme faisant partie intégrante du contexte dans lequel le tribunal du district de Schwaz a rendu son jugement du 9 février 2012, et dans lequel le juge du tribunal de Schwaz a répondu, le 28 mai 2014, à la nouvelle demande de soutien présentée par la famille de M. Bacher.

8.5Le Comité note que, bien que la décision du 9 février 2012 porte principalement sur la demande de la famille Bacher qui souhaitait obtenir un appui financier de ses voisins pour entretenir le chemin, il y est fait mention du handicap de M. Bacher. Il considère également que cette requête a été présentée en dernier ressort après avoir épuisé tous les recours internes concernant le toit et la question indissociable de l’accessibilité du chemin, et après avoir constaté qu’aucun accord ne pourrait être trouvé avec les voisins. Il considère par conséquent que la décision de 2012 et la réponse officielle de 2014 doivent être lues dans le contexte de la question de l’accessibilité qui est au cœur de toutes les procédures engagées par la famille Bacher et ne peuvent donc pas être dissociées des décisions rendues par le tribunal régional d’Innsbruck en 2003 et par le tribunal du district de Schwarz en 2004, par lesquelles la famille de M. Bacher a été déboutée. Les décisions de 2003 et de 2004 constituent donc des faits que le Comité est tenu de prendre en considération dans le contexte de la plainte présentée par l’auteure.

8.6À cet égard, le Comité note enfin que, dans sa décision de 2012, le tribunal du district de Schwarz a non seulement examiné les aspects formels ou les erreurs de droit dans les décisions antérieures, mais il a également réexaminé la requête de la famille concernant la contribution de ses voisins aux dépenses nécessaires pour rendre le chemin accessible. En conséquence, il considère qu’il n’est pas empêché ratione temporis d’examiner la présente communication, étant donné que certains des faits présentés sont postérieurs à la date d’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie.

8.7Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la famille de l’auteure n’a pas épuisé les recours internes. À cet égard, il note que, selon l’État partie, les parents de M. Bacher auraient pu invoquer l’article 461 du Code de procédure civile et se pourvoir contre la décision rendue en appel par le tribunal régional d’Innsbruck en 2003, même si celui-ci avait déclaré que sa décision n’était pas susceptible d’un nouveau recours ordinaire. L’article en question dispose qu’une partie peut faire appel devant un tribunal au moyen d’un recours ordinaire ou, si l’objet de la procédure porte sur une somme supérieure à 30 000 euros, d’un recours extraordinaire, pour lui demander de modifier son jugement et de déclarer recevable un nouveau recours ordinaire. Toutefois, le Comité note également qu’en vertu du Code de procédure civile, la décision rendue en appel le 2 avril 2003 indique que la décision adoptée ne peut pas être révisée et que les avocats et les experts consultés par la famille Bacher ont tous confirmé que la décision du tribunal régional d’Innsbruck était définitive (rechtskräftig). Il note en outre que le Code de procédure civile définit clairement les conditions dans lesquelles un tel recours peut être soumis, conditions qui ne semblent pas être réunies en l’espèce. De plus, l’État partie n’avance aucun argument qui laisserait penser qu’un tel recours aurait la moindre chance d’aboutir. Le Comité conclut par conséquent que le recours dont l’État partie fait mention constitue une voie de recours extraordinaire dont l’exercice n’est pas obligatoire aux fins de la recevabilité.

8.8Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les parents de M. Bacher avaient la possibilité de faire appel du jugement rendu par le tribunal du district de Schwaz le 8 juillet 2004 et de la décision du tribunal du district de Schwaz en date du 9 février 2012. Il prend également note de l’argument de l’auteure selon lequel la famille n’a pas fait appel parce qu’aucun des experts juridiques consultés ne lui a dit qu’elle aurait dû contester la décision de 2004, et qu’il était clair que les autorités judiciaires n’avaient pas manifesté le moindre intérêt ou la moindre attention pour le handicap de son frère. Il note en outre que la famille a consulté des avocats de différentes régions du pays, qui ont tous considéré qu’un appel serait inefficace, notamment en ce qui concerne la décision de février 2012. En outre, l’État partie n’avance aucun argument qui permette au Comité de conclure le contraire, ou de considérer que les recours suggérés auraient la moindre chance d’aboutir après plus de dix années de procédure judiciaire au cours desquelles les besoins particuliers de M. Bacher en tant que personne handicapée n’ont pas été considérés comme pertinents. Le Comité rappelle qu’en vertu de l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention, seuls doivent être épuisés les recours internes ayant une chance raisonnable d’aboutir. Par conséquent, le Comité considère que rien ne l’empêche d’examiner la présente communication puisqu’on ne peut pas conclure que les recours internes n’ont pas été épuisés.

8.9En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la famille de M. Bacher n’a allégué aucune violation de la Convention devant les autorités nationales, le Comité note que, depuis la plainte initiale déposée en 2002 par les voisins pour demander la destruction du toit, la question devant les tribunaux était toujours liée à la question de l’accessibilité du logement familial, y compris pour M. Bacher en sa qualité d’enfant handicapé. En particulier, le Comité note que les procédures de 2012 ont été engagées par la famille de M. Bacher pour demander que les titulaires de la servitude contribuent à l’entretien du chemin pour le rendre accessible. Le Comité considère que, puisque les autorités nationales ont été saisies de la question, il n’est pas empêché d’examiner les griefs que l’auteure tire de l’article 9 de la Convention.

8.10En ce qui concerne les autres griefs de l’auteure, le Comité relève toutefois qu’il ne ressort pas des informations fournies que la famille de M. Bacher a porté ces questions devant les autorités nationales. À cet égard, il note que, pour qu’une communication soit jugée recevable au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif, son auteur doit avoir soulevé au plan interne le grief qu’il ou elle souhaite soumettre au Comité, afin que les autorités ou les juridictions internes aient la possibilité de se prononcer sur le grief en question. En conséquence, le Comité conclut que les griefs de l’auteure concernant la liberté et la sécurité de M. Bacher (art. 14), son autonomie de vie et son inclusion dans la société (art. 19), sa santé (art. 25), ses droits à l’adaptation et à la réadaptation (art. 26) et à un niveau de vie adéquat (art. 28) sont irrecevables au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.11En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire de l’article 3 de la Convention, le Comité rappelle que, compte tenu de son caractère général, cet article ne peut pas, en principe, faire l’objet de griefs distincts et ne peut être invoqué que conjointement avec d’autres droits garantis par la Convention.

8.12En conséquence, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 9, lu seul et conjointement avec l’article 3 de la Convention, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et au paragraphe 1 de l’article 73 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

9.2Comme l’affirme l’État partie, le droit de passage pour les piétons et les véhicules (servitude) accordé aux voisins de la famille Bacher a donné lieu à un litige entre particuliers (la partie habilitée et la partie obligée), qui n’a pas été directement provoqué par les autorités. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les obligations de l’État partie s’appliquent uniquement aux relations juridiques privées dans le cadre desquelles les entités offrent des équipements ou des services ouverts ou fournis au public, et ne s’étendent pas aux « questions purement privées ». Cela étant, le règlement de ce type de litige est soumis à l’ordre juridique de l’État partie, lequel est en tout état de cause responsable en dernier ressort du respect des droits consacrés par la Convention, notamment le droit qu’a une personne handicapée d’avoir accès à son domicile, mais aussi aux services publics, tels que l’éducation et la santé, et de participer à la vie de la société. En conséquence, bien que les différends résultant de l’édification d’un toit sur un chemin concernent deux particuliers, l’État partie a l’obligation, entre autres, de garantir que les décisions adoptées par ses autorités n’empiètent pas sur les droits consacrés par la Convention.

9.3Les États parties sont tenus non seulement de respecter les droits consacrés par la Convention, et donc de ne pas y porter atteinte, mais aussi de protéger ces droits en prenant des mesures pour que les particuliers ne puissent pas, directement ou indirectement, entraver leur exercice. Partant, si elle établit essentiellement des droits et obligations liant l’État et les particuliers, la Convention protège également les relations entre particuliers. À cet égard, le Comité rappelle également qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention, les États parties s’engagent à garantir et à promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap. À cette fin, ils s’engagent à prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée. Une question relative à un droit de propriété liée à l’exercice d’un contrat entre particuliers et le conflit qui en découle doivent donc être interprétés dans le cadre de la Convention. En conséquence, lorsque les tribunaux de l’État partie sont intervenus pour résoudre le conflit entre les parties, ils étaient liés par la Convention. L’argument de l’État partie selon lequel la communication ne relève pas de la Convention car elle concerne un conflit entre seuls particuliers n’est pas valable.

9.4Le Comité rappelle que « l’accessibilité est primordiale pour que les personnes handicapées puissent vivre de façon indépendante et participer pleinement à la vie sociale dans des conditions d’égalité ». Conformément à l’article 9 de la Convention, les États parties prennent des mesures appropriées pour assurer aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès à l’environnement physique, aux transports et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, tant dans les zones urbaines que rurales. Parmi ces mesures doivent figurer l’identification et l’élimination des obstacles et barrières à l’accessibilité.

9.5Le Comité rappelle également que, selon l’article 2 de la Convention, on entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue, apportés pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales.

9.6Dans ce contexte, l’accent n’est plus mis sur la personnalité juridique ou le caractère public ou privé de la propriété des bâtiments, de l’infrastructure des transports, des véhicules, de l’information et de la communication ou des services. Les personnes handicapées devraient avoir un accès égal à tous les biens, produits et services qui sont offerts ou fournis au public d’une manière qui leur garantisse un accès effectif et égal et respecte leur dignité.

9.7Le Comité rappelle que, pour évaluer le caractère raisonnable et proportionné des mesures d’aménagement, les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation. Il rappelle également que c’est généralement aux juridictions des États parties à la Convention qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit prouvé que cette appréciation a été clairement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Dans le cas présent, le Comité a pour rôle de déterminer si les décisions prises par les juridictions de l’État partie ont permis le respect des droits que M. Bacher tient de l’article 9, lu seul et conjointement avec l’article 3 de la Convention.

9.8Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel il s’est toujours employé à aider M. Bacher et sa famille, comme en témoigne sa contribution financière à la construction de la structure en bois (voir par. 6.8). Il note également que, selon l’État partie : a) la servitude en question représente un droit « absolu » qui impose des obligations au père de l’auteure ; b) dans ce contexte, l’État partie n’a pas l’obligation positive générale de protéger des groupes particuliers de personnes dans le domaine central des droits et obligations de caractère civil ; c) seules peuvent être imposées les restrictions qui sont prévues par la loi, nécessaires au regard d’un intérêt public légitime et non disproportionnées ; d) les obligations qui découlent du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention ne créent pas l’obligation de garantir que les intérêts d’une personne handicapée justifient à eux seuls une ingérence dans les droits de propriété ; e) les intérêts des parties auraient pu être conciliés en choisissant une autre structure pour couvrir le chemin. À cet égard, le Comité note que la destruction du toit qui couvrait le chemin menant à la maison de la famille Bacher n’a pas pour seule conséquence de limiter l’accès de M. Bacher à son domicile, mais aussi de restreindre son accès aux activités sociales et aux services publics dont il a besoin dans sa vie quotidienne, tels que les services d’éducation et de santé et les services publics en général. Il prend note également de l’argument de l’auteure qui affirme que M. R. n’avait accepté aucune des options proposées pour couvrir le chemin et que, lors de l’évaluation de la situation, les tribunaux n’ont pas jugé utile de tenir compte de la situation de M. Bacher.

9.9Dans ce contexte, le Comité note que, par sa décision du 9 février 2012, le tribunal du district de Schwaz est allé dans le sens des décisions précédemment adoptées en l’espèce par les juridictions de l’État partie : il n’a pas procédé à une analyse approfondie des besoins spéciaux que tient M. Bacher, bien que les parents de celui-ci en aient fait expressément mention, comme au cours de toutes les audiences et dans toutes les requêtes précédentes. Les autorités de l’État partie ont au contraire considéré que l’objet des procédures judiciaires « n’avait rien à voir avec les droits des personnes handicapées », et se sont concentrées sur le règlement de la question des droits de propriété en jeu. Les conséquences multidimensionnelles des décisions adoptées par les autorités de l’État partie sur les droits relatifs à l’accessibilité de M. Bacher ont donc été ignorées, laissant à sa famille la responsabilité de rechercher les moyens de lui faciliter l’accès à son domicile et aux services publics extérieurs dont il a besoin dans sa vie quotidienne. Le Comité considère donc que la décision du tribunal de Schwaz en date du 9 février 2012, lue dans le contexte des précédentes décisions judiciaires adoptées par les tribunaux de l’État partie dans l’affaire, constitue un déni de justice à l’égard de M. Bacher, en violation de l’article 9, lu seul et conjointement avec l’article 3 de la Convention.

C.Conclusion et recommandations

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 9, lu seul et conjointement avec l’article 3 de la Convention. Le Comité fait donc à l’État partie les recommandations suivantes :

a)Concernant M. Bacher, l’État partie est tenu de lui offrir un recours utile, en particulier :

i)De faciliter la recherche d’une solution au litige lié à l’utilisation de la voie, qui est le seul moyen d’accéder au domicile de la famille Bacher, en tenant compte des besoins spéciaux de M. Bacher en tant que personne handicapée et des critères établis dans la présente décision ;

ii)D’accorder à M. Bacher une indemnisation pour les violations subies ;

iii)De rembourser à l’auteure les frais de justice raisonnablement engagés dans le cadre des procédures internes et de la soumission de la présente communication ;

b)L’État partie est aussi tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir. À cet égard, il devrait :

i)Assurer le renforcement continu des capacités des autorités locales et des tribunaux chargés de surveiller l’application des normes d’accessibilité ;

ii)Mettre en place un cadre de contrôle efficace et créer des organes de contrôle efficients dotés de moyens suffisants et d’un mandat approprié, de manière à garantir que les plans, stratégies et mesures de normalisation de l’accessibilité sont appliqués et respectés ;

iii)Traduire les constatations du Comité dans la langue officielle de l’État partie, les rendre publiques et les diffuser largement dans un format accessible, afin que tous les groupes de population en prennent connaissance.

11.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité.

Annexe

Opinion dissidente de Damjan Tatić

1.Je ne suis pas convaincu par la manière dont le Comité a examiné la recevabilité ration e temporis des allégations de l’auteure concernant des violations de la Convention. Le Comité note que le jugement rendu en appel par le tribunal régional d’Innsbruck, le 2 avril 2003, et le jugement du tribunal du district de Schwaz, en date du 8 juillet 2004, sont antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’État partie. Il note également que ces décisions ont été mentionnées par l’auteure comme faisant partie intégrante du contexte dans lequel l’arrêt du tribunal du district de Schwaz a été adopté le 9 février 2012. Toutefois, l’arrêt de 2012 ne portait que sur la demande de paiement que la famille de M. Bacher a présentée aux voisins qui étaient liés par une servitude sur le chemin en question.

2.La décision de 2012 n’était donc pas liée à la question de l’accessibilité et ne saurait être considérée comme une continuation ou une réaffirmation des décisions adoptées avant l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’État partie. J’estime donc que les allégations de violation de la Convention formulées par l’auteure sont irrecevables ratione temporis.