Nations Unies

CAT/C/MEX/CO/5-6

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

11 décembre 2012

Français

Original: espagnol

Comité contre la torture

Observations finales concernant les cinquièmeet sixième rapports périodiques du Mexique soumis en un seul document, adoptées par le Comité à sa quarante-neuvième session(29 octobre-23 novembre 2012)

1.Le Comité contre la torture a examiné les cinquième et sixième rapports périodiques du Mexique, soumis en un seul document (CAT/C/MEX/5-6), à ses 1098e et 1101e séances (CAT/C/SR.1098 et 1101), le 31 octobre et le 1er novembre 2012. À ses 1118e, 1120e et 1121e séances (CAT/C/SR.1118, 1120 et 1121), les 14 et 15 novembre 2012, il a adopté les conclusions et recommandations suivantes.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission en un seul document des cinquième et sixième rapports périodiques du Mexique en réponse à la liste des points à traiter établie préalablement (CAT/C/MEX/Q/5-6). Il sait gré au Mexique d’avoir accepté de soumettre ses rapports conformément à la procédure facultative pour l’établissement des rapports, qui permet une coopération plus étroite entre l’État partie et le Comité et sert de fil conducteur à l’examen du rapport ainsi qu’au dialogue avec la délégation.

3.Le Comité se félicite du dialogue franc et constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie et remercie celle-ci des informations qu’elle lui a fournies lors de l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que depuis l’examen de son quatrième rapport périodique, l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants:

a)Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, en septembre 2007;

b)La Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif s’y rapportant, en décembre 2007;

c)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en mars 2008.

5.Le Comité accueille avec satisfaction la publication en mai 2010 du rapport sur la visite au Mexique du Sous-Comité pour la prévention de la torture en septembre 2008 (CAT/OP/MEX/1) ainsi que des réponses des autorités mexicaines aux recommandations et questions formulées par le Sous-Comité (CAT/OP/MEX/1/Add.1).

6.Le Comité relève les efforts déployés par l’État partie pour modifier sa législation, en particulier:

a)L’adoption de la loi générale sur l’accès des femmes à une vie sans violence et de son règlement d’application, en 2007 et en 2008 respectivement;

b)La réforme constitutionnelle du système de justice pénale et de sécurité publique du 18 juin 2008 visant à instaurer un nouveau système de justice de type accusatoire;

c)La promulgation en 2011 de la loi sur les réfugiés et la protection subsidiaire et de la loi sur les migrations;

d)La réforme constitutionnelle touchant aux droits de l’homme du 10 juin 2011, qui élève au rang constitutionnel tous les droits de l’homme garantis par les instruments internationaux ratifiés par l’État partie;

e)La promulgation en 2012 de la loi générale visant à prévenir, réprimer et éradiquer les infractions liées à la traite des êtres humains et à protéger et aider les victimes de ces infractions;

f)La promulgation en 2012 de la loi sur la protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes.

7.Le Comité salue également les efforts déployés par l’État partie pour modifier les politiques et procédures en vigueur en vue d’assurer une meilleure protection des droits de l’homme et d’appliquer la Convention, en particulier:

a)L’adoption du Programme national 2008-2012 relatif aux droits de l’homme;

b)L’adoption de la Stratégie pénitentiaire 2008-2012;

c)L’adoption du Programme national 2010-2012 visant à prévenir et à réprimer la traite des êtres humains.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et incrimination de la torture

8.Le Comité relève que la loi fédérale visant à prévenir et à réprimer la torture ne contient toujours pas tous les éléments de la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention. Dans la législation de la plupart des États, la torture n’est pas définie ni réprimée conformément aux dispositions des articles 1er et 4 de la Convention. Dans l’État de Guerrero, la torture est visée dans une loi qui n’est pas de type pénal, comme l’avait déjà signalé le Comité dans ses précédentes observations finales (CAT/C/MEX/CO/4). Le Comité prend néanmoins note du lancement de quatre initiatives visant à réformer la législation pénale en vue d’établir l’imprescriptibilité de certaines infractions graves, dont la torture (art. 1er et 4).

Eu égard à ses précédentes observations finales, le Comité engage l’État partie à:

a) Modifier la loi fédérale visant à prévenir et à réprimer la torture afin que la définition de la torture énoncée à l’article 3 de la loi englobe tous les éléments de la définition donnée à l’article premier de la Convention, y compris : i) les actes de torture commis par des tiers à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite d’un agent de la fonction publique ; et ii) les actes de torture motivés par une forme de discrimination quelle qu’elle soit;

b) Veiller à ce que la législation des États qualifie les actes de torture conformément à la définition énoncée à l’article premier de la Convention et prévoie des peines à la hauteur de la gravité de ces actes, comme le prescrit l’article 4 de la Convention;

c) Introduire l’infraction de torture dans le Code pénal de l’État de  Guerrero;

d) Établir l’imprescriptibilité de la torture.

Garanties juridiques fondamentales

9.Le Comité note que des protocoles concernant l’usage de la force, la conservation des preuves et la comparution des détenus ont été adoptés en avril 2012, mais il est préoccupé par les informations indiquant que dans les faits l’État partie n’assure pas à tous les détenus les garanties fondamentales dès le début de la détention. Le Comité est notamment préoccupé par les informations qui indiquent que souvent le droit de communiquer avec un avocat et d’être examiné par un médecin indépendant dans les plus brefs délais, d’informer un membre de leur famille de leur détention et d’être présenté rapidement à un juge est souvent dénié aux détenus. Il regrette de ne pas disposer d’informations officielles sur les procédures disciplinaires ou pénales engagées dans des cas où des personnes arrêtées ont été mises à la disposition du parquet avec un retard injustifié (art. 2).

L’État partie devrait adopter sans attendre des mesures concrètes pour faire en sorte que toutes les personnes privées de liberté bénéficient dans les faits , dès le début de la détention, de toutes les garanties juridiques fondamentales, y compris celles énoncées aux paragraphes 13 et 14 de l’Observation générale n o  2 du Comité (2008) sur l’application de l’article 2 de la Convention par les États parties.

Plaintes pour torture et détention arbitraire

10.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’une augmentation alarmante de l’utilisation de la torture pendant les interrogatoires de personnes détenues arbitrairement par des membres des forces armées et des corps de sécurité de l’État dans le cadre d’opérations conjointes de lutte contre le crime organisé. Il est en outre gravement préoccupé par les informations concordantes selon lesquelles des actes de torture et des mauvais traitements sont infligés aux détenus pendant la période précédant leur déferrement au parquet pour obtenir d’eux des aveux et des déclarations qui sont ensuite utilisés pour couvrir les irrégularités commises pendant la détention (art. 2, 11 et 15).

L’État partie devrait:

a) Garantir que les personnes arrêtées soient mises à la disposition du juge ou du parquet dans les plus brefs délais, conformément à l’article 16 de la Constitution, et faire en sorte que les plaintes pour torture et mauvais traitements visant des membres des forces armées et des corps de sécurité de l’État donnent lieu à des enquêtes et à des sanctions;

b) Limiter la pratique d es arrestations en flagrant délit au moment précis où l’infraction est commise et mettre fin aux arrestations en quasi flagrant délit;

c) Faire en sorte que les membres des forces de sécurité et leurs véhicules soient facilement identifiables;

d) Veiller à ce que tout suspect faisant l’objet d’une enquête pénale soit inscrit sans dél ai au registre des détentions, contrôler rigoureusement les registres des détentions et envisager l’établissement d’un registre central de toutes les personnes placées sous la garde des autorités;

e) Adopter les mesures nécessaires pour garantir en pratique le droit de toute personne privée de liberté à un recours immédiat pour contester la légalité de sa détention.

Arraigo pénal

11.Le Comité note avec préoccupation qu’en dépit des recommandations qu’il avait faites dans ses précédentes observations finales, la mesure d’arraigo a été élevée au rang constitutionnel en 2008, et elle est également prévue par la législation de certains États, comme celui de Jalisco. À ce sujet, le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements commis contre des personnes privées de liberté en vertu d’ordonnances d’arraigo, parfois dans des installations militaires. La délégation a assuré que les garanties fondamentales étaient respectées dans ces cas, mais le Comité note avec préoccupation que cette affirmation est démentie par la recommandation no 2/2011 de la Commission des droits de l’homme du district fédéral, qui dénonce des restrictions injustifiées des droits fondamentaux ainsi que l’inexécution des mesures de contrôle de l’arraigo, l’absence de surveillance effective des actions du ministère public et l’absence de critères de proportionnalité aux fins de la détermination de la durée de la mesure d’arraigo. Le Comité note que le recours en amparo n’est pas un recours utile en ce qui concerne ce type de détention. Il note également que l’arraigo a donné lieu à l’utilisation comme preuves d’aveux susceptibles d’avoir été obtenus sous la torture (art. 2, 11 et 15).

Compte tenu du paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, le Comité recommande de nouveau à l’État partie de supprimer l’ arraigo dans la loi et dans la pratique, au niveau fédéral comme au niveau des États.

Disparitions forcées

12.Le Comité est préoccupé par l’augmentation progressive du nombre de disparitions forcées qui seraient le fait des autorités publiques, de groupes criminels ou de particuliers agissant avec l’aide directe ou indirecte d’agents de l’État, dans les États notamment de Coahuila, Guerrero, Chihuahua, Nuevo León et Tamaulipas, signalée par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (A/HRC/19/58/Add.2, par. 16 à 31) (art. 2).

Le Comité engage instamment l’État partie à poursuivre la mise en œuvre des recommandations du Groupe de travail, et en particulier à:

a) Adopter une loi générale sur les disparitions forcées;

b) Veiller à ce que la législation des États érige la disparition forcée en infraction et prévoie des peines appropriées, conformément aux normes internationales;

c) Faire en sorte que des enquêtes approfondies et efficaces soient menées sans délai dans les affaires de disparition forcée, que les suspects soient poursuivis et s’ils sont reconnus coupables soient condamnés à des peines à la mesure de la gravité des infractions;

d) Garantir à toute personne ayant subi un préjudice résultant d’une disparition forcée l’accès à des informations sur le sort de la personne disparue ainsi que le droit à une réparation, notamment à une indemnisation équitable et adéquate;

e) Prendre les mesures nécessaires pour élucider les affaires non résolues dont est saisi le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires.

Impunité et violence à l’égard des femmes

13.Le Comité se déclare préoccupé par les informations selon lesquelles de nouveaux cas d’assassinat et de disparition de femmes du seul fait que ce sont des femmes continuent d’être enregistrés, en particulier dans les États de Chihuahua, de Jalisco, de Mexico et de Nuevo León. S’il reconnaît qu’il y a eu des progrès importants sur le plan de la législation et des institutions pour lutter contre ce fléau et d’autres formes de violence à l’égard des femmes, y compris contre le «féminicide», le Comité est préoccupé de constater que le nouveau cadre juridique est insuffisamment appliqué par de nombreux États de la fédération. Il constate également avec regret qu’un climat d’impunité continue d’entourer les actes graves de violence à l’égard des femmes, comme ceux commis en 2006 à San Salvador Atenco, ainsi que l’a souligné récemment le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW/C/MEX/CO/7-8, par. 18 et 19) (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité engage instamment l’État partie à intensifier ses efforts pour prévenir, combattre et réprimer la violence à l’égard des femmes, y compris les assassinats et les disparitions de femmes pour des raisons de genre, et à prendre les mesures nécessaires pour que les arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans ce domaine, notamment celui rendu le 16 novembre 2009 dans l’affaire González et consorts ( Campo Algodonero ) c.  Mexique , soient pleinement exécutés.

Défenseurs des droits de l’homme et journalistes

14.Le Comité relève la promulgation récente de la loi pour la protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes, mais il est toujours sérieusement préoccupé par le grand nombre d’assassinats, de disparitions et d’actes d’intimidation et de harcèlement dont des personnes appartenant à ces groupes sont victimes. Il est également préoccupé par les renseignements montrant l’impunité généralisée qui entoure ces infractions, en majorité imputées à des organisations criminelles même si dans certains cas il existe des indices mettant également en cause des membres des forces de sécurité. Le Comité regrette à ce propos que l’État partie n’ait pas donné d’informations concrètes sur les résultats des enquêtes et des actions pénales ouvertes (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité engage instamment l’État partie à:

a) Prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité et l’intégrité physique des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes face aux actes d’intimidation et de violence auxquels pourraient les exposer leurs activités;

b) Accélérer la mise en place du mécanisme de protection prévu dans la loi pour la protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes;

c) Prendre des mesures pour enquêter sans délai et de façon approfondie et efficace sur tous les actes d’intimidation et de violence perpétrés contre des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes ainsi que pour poursuivre et condamner les responsables à des peines à la mesure de la gravité des actes commis .

Aveux obtenus par la contrainte

15.Le Comité prend note des garanties énoncées dans la Constitution qui prévoient l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenus en violation des droits fondamentaux mais il regrette que certains tribunaux continuent d’accepter, en application du principe de l’«immédiateté procédurale», des aveux qui pourraient avoir été obtenus par la contrainte ou la torture. Le Comité considère que le cas d’Israel Arzate Meléndez est un exemple de la persistance de ces pratiques, y compris dans les juridictions où le nouveau système de justice pénale a été mis en place. Il suit avec attention l’examen de cette affaire par la Cour suprême de justice (art. 2, 12, 13, 15 et 16).

L’État partie devrait prendre sans délai des mesures concrètes pour:

a) Garantir que les aveux obtenus par la torture ou par des mauvais traitements ne soient utilisés comme preuve dans aucune procédure, conformément à l’ article  15 de la Convention;

b) Faire en sorte que tout suspect qui le demande au tribunal soit examiné par un médecin indépendant et qu’une enquête impartiale soit ouverte sans délai chaque fois qu’il y a des motifs de penser qu’un acte de torture a été commis, en particulier lorsque les aveux constituent l’unique preuve à charge. En pareil cas, la charge de la preuve ne peut pas incomber à la victime présumée;

c) Veiller à ce que les condamnations fondées uniquement sur des aveux soient réexaminées compte tenu de la possibilité qu’une grande partie d’entre elles repose sur des preuves obtenues par la torture ou par des mauvais traitements et faire en sorte, le cas échéant, que des enquêtes impartiales soient menées sans délai et que les mesures correctives appropriées soient prises;

d) Poursuivre les programmes de formation à l’intention des acteurs de la justice sur le nouveau système de justice pénale.

Impunité pour les actes de torture et les mauvais traitements

16.Le Comité relève avec préoccupation les renseignements donnés par l’État partie qui indiquent que depuis 2005 seulement 6 condamnations pour torture auraient été prononcées, en plus de 143 condamnations pour abus d’autorité, 60 pour exercice abusif de fonctions et 305 pour abus d’attributions. Le Comité regrette que les renseignements reçus ne soient pas accompagnés de statistiques ventilées pour la période visée par le rapport concernant le nombre de plaintes déposées devant les autorités compétentes et de données précises sur les peines prononcées et les indemnisations effectivement ordonnées. De même le Comité est préoccupé par les renseignements qui montrent qu’il y aurait complicité entre des agents du ministère public et des fonctionnaires de police dans la perpétration d’actes de torture. Il s’inquiète également des renseignements selon lesquels les agents du ministère public, et parfois les juges eux-mêmes, rejettent les plaintes pour torture formulées par les inculpés ou examinent les faits sous une qualification de moindre gravité. Enfin, le Comité regrette que les renseignements reçus ne fassent pas état de la suite qui a été donnée aux recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) (art. 12 et 13).

Le Comité engage instamment l’État partie à:

a) Renforcer les mécanismes de surveillance et de contrôle des forces armées et des corps de sécurité de l’État, en particulier en établissant un système de plaintes efficace, indépendant et accessible, qui garantisse l’ouverture sans délai d’enquêtes approfondies et impartiale s sur les plaintes pour torture ou mauvais traitements; ces enquêtes devront être placées sous la responsabilité d’un organe indépendant, qui ne soit pas subordonné au pouvoir exécutif. Tout acte de corruption présumée dans ce domaine devrait immédiatement faire l’objet d’une enquête et, s’il est avéré, donner lieu à de s poursuites;

b) S’assurer que les plaintes soient enregistrées par écrit, que la victime présumée soit immédiatement examinée par un médecin légiste et que les mesures nécessaires pour enquêter comme il convient soient prises;

c) Faire ouvrir d’office une enquête chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis;

d) Veiller à ce que, e n cas de présomption de torture et de mauvais traitements, les personnes soupçonnées d’avoir commis les actes soient immédiatement suspendues de leurs fonctions pendant toute la durée de l’enquête, en particulier s’il existe un risque de réitération des faits ou d’obstruction de l’enquête;

e) Traduire en justice les personnes soupçonnées d’actes de torture ou de mauvais traitements et, si elles sont reconnues coupables, veiller à ce que les peines prononcées soient à la mesure de la gravité des actes commis ;

f) Créer un registre centralisé des plaintes pour torture et mauvais traitements.

Utilisation du Protocole d’Istanbul dans les enquêtes sur les actes de tortureet les mauvais traitements

17.Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour renforcer la formation au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) et pour élargir l’application de celui-ci à travers la procédure d’expertise médico-psychologique suivie par le bureau du Procureur général de la République et le ministère public des différents États. Il constate toutefois avec préoccupation que l’utilisation du Protocole reste inadéquate et bien souvent exceptionnelle. Le Comité note que l’État partie a l’intention de donner une plus grande autonomie technique aux médecins légistes en mettant en place un service de médecine légale rattaché au bureau du Procureur général de la République, mais il est préoccupé par les renseignements reçus qui indiquent que les experts officiels oublient généralement dans leurs expertises les signes physiques et psychologiques de la torture et des mauvais traitements constatés ou n’y attachent pas l’importance voulue. Le Comité est également préoccupé par les renseignements indiquant que des membres des forces de sécurité sont présents pendant les examens médicaux (art. 12 et 13).

L’État partie devrait adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir que toutes les personnes placées en détention fassent l’objet d’examens médicaux complets et impartiaux. Pour assurer la qualité et l’exactitude des expertises légales, l’État partie devrait:

a) Veiller à ce que les examens soient réalisés conformément aux principes de confidentialité et de respect de la vie privée;

b) Garantir que pour faire leurs expertises les médecins utilisent des formulaires qui reprennent les éléments énoncés dans l’annexe IV du Protocole d’Istanbul et fassent une interprétation des observations;

c) Mettre en place un système par lequel les médecins légistes puissent demander anonymement un examen médical plus approfondi;

d) A pporter à la législation les modifications voulues pour donner entière valeur probante aux rapports de s médecins légistes indépendants, de façon qu’ils soient considérés sur un pied d’égalité avec ceux établis par des experts désignés par les services du Procureur;

e) Veiller à ce que toutes les personnes en détention qui demandent à être examinées par un médecin indépendant ou un médecin légiste reçoivent copie de la requête et du rapport médical ou des conclusions (voir Protocole d’Istanbul, annexe I, par. 6 c)).

Réforme du système de justice militaire

18.Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie au sujet de l’arrêt rendu le 21 août 2012 dans l’affaire concernant Bonfilio Rubio Villegas par la Cour suprême de justice qui, suivant la jurisprudence établie par quatre arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, déclare l’article 57 du Code pénal militaire partiellement inconstitutionnel, garantissant ainsi la compétence exclusive des juridictions ordinaires pour connaître des violations des droits de l’homme qui auraient été commises par des militaires. Cela étant, le Comité regrette que le projet de réforme de ce code n’ait pas encore été adopté. De même, s’il prend note du déclinatoire de compétence de la juridiction militaire en faveur de la juridiction civile dans 231 enquêtes préliminaires (66 affaires pénales), il relève avec préoccupation qu’entre 2007 et juin 2011, le parquet militaire a engagé 3 671 enquêtes sur des affaires de violations des droits de l’homme dont les victimes étaient des civils, et qui ont abouti à la condamnation de 15 soldats (art. 2, par. 1).

À la lumière de ses recommandations précédentes, le Comité engage instamment l’État partie à modifier le Code de justice militaire , conformément aux arrêts rendus par la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Cour suprême de justice, afin d’exclure la compétence de la juridiction militaire pour connaître des affaires dans lesquelles des violations des droits de l’homme et des infractions commises contre des civils sont imputées à des militaires .

Conditions de détention

19.Le Comité note les renseignements donnés par l’État partie au sujet du processus de réforme du système pénitentiaire et de la création récente d’un fonds de financement pour répondre aux besoins de rénovation des infrastructures pénitentiaires dans les États, mais il demeure préoccupé par les renseignements reçus qui décrivent des situations de surpopulation, de violence entre prisonniers et d’autogestion dans les établissements pénitentiaires, ainsi que des cas de chantage à l’égard des familles des détenus. Le Comité regrette de ne pas disposer de données précisesmontrant le taux d’occupation des centres de détention ni d’informations à jour sur la suite donnée aux recommandations du Sous‑Comité pour la prévention de la torture ou de la Commission nationale des droits de l’homme en sa qualité de mécanisme national de prévention de la torture. Il regrette également l’absence de données relatives au nombre de dénonciations et de plaintes présentées par les détenus ou leur famille et aux résultats des enquêtes qui peuvent avoir été menées (art. 11, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’accroître ses efforts pour réduire la surpopulation dans les établissements pénitentiaires et autres centres de détention, en particulier en appliquant des peines de substitution à la privation de liberté, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo);

b ) De continuer à améliorer les infrastructures des établissements pénitentiaires et d es autres lieux de détention, notamment des centres de traitement pour mineurs, et de garantir que les conditions de détention soient compatibles avec l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et avec les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux femmes délinquantes (Règles de Bangkok);

c) D’élaborer des stratégies de réduction de la violence entre prisonniers et de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à l’autogestion dans les établissements pénitentiaires et au chantage à l’égard de s familles de détenus. Le  Comité prie l’État partie de lui communiquer des informations concernant les résultats de la Stratégie pénitentiaire 2008-2012 ;

d) De prendre les mesures nécessaires pour appuyer la Commission nationale des droits de l’homme dans ses fonctions de mécanisme national de prévention de la torture, et garantir que ses re commandations et celles du Sous ‑ Comité pour la prévention de la torture soient appliquées sans réserve.

Justice pénale des mineurs

20.Le Comité note avec préoccupation que la loi fédérale relative à la justice pour mineurs n’a toujours pas été adoptée, ce qui a pour conséquence de perpétuer un vide juridique et institutionnel. Le Comité regrette de ne pas disposer de renseignements statistiques précis sur le nombre de mineurs placés dans les centres de traitement et sur les taux d’occupation de ces centres. Il regrette également l’absence d’information sur le nombre de mineurs arrêtés dans des opérations menées par les autorités fédérales contre le crime organisé et sur la situation des mineurs qui ont commis des infractions à la législation fédérale (art. 11).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à:

a) Adopter la loi fédérale relative à la justice pour mineurs;

b) Progresser dans la mise en place d ’ un système complet de justice pour les adolescents à tous les niveaux, en collaboration notamment avec le Fonds des Nations Unies pour l ’ enfance (UNICEF);

c) Veiller à ce que la privation de liberté soit une mesure de dernier ressort , d ’ une durée aussi brève que possible , et procéder régulièrement à son examen en vue de l ’ éliminer;

d) Recueillir des données statistiques, ventilées par sexe, âge et origine ethnique ou nationalité, montrant le nombre de mineurs en détention, tant au niveau de la Fédération qu ’ au niveau des États , et indiquant le motif de la détention et sa durée.

Rétention administrative de demandeurs d’asile et de migrants sans papiers

21.Le Comité se déclare préoccupé par les informations dénonçant la pratique de la torture et la disparition de migrants présents sur le territoire de l’État partie. Il est également préoccupé par les informations concernant la pratique des mauvais traitements, la surpopulation et les mauvaises conditions de détention dans un grand nombre de centres pour migrants, en particulier le manque d’hygiène, l’insuffisance des soins médicaux et le non-respect de la règle de la séparation stricte des hommes et des femmes. Le Comité relève en outre l’absence de mécanismes efficaces permettant d’identifier et d’orienter les victimes de la traite qui pourraient se trouver détenues dans ces centres. S’il accueille avec satisfaction la promulgation récente de la loi sur les réfugiés et la protection complémentaire et de la loi sur les migrations, il regrette de ne pas avoir obtenu de renseignements statistiques détaillés montrant le nombre de réfugiés, de demandeurs d’asile et d’autres étrangers présents sur le territoire de l’État partie. Il regrette aussi que les chiffres qui lui ont été présentés concernant les demandes d’asile ne portent pas sur la période visée par le rapport et ne comprennent pas de données relatives au nombre de personnes renvoyées, extradées et expulsées (art. 2, 3, 11 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Veiller à ce que les cas de torture, de disparition et de mauvais traitements commis contre des réfugiés, des demandeurs d ’ asile et d ’ autres étrangers présents sur le territoire de l ’ État partie donnent lieu à une enquête approfondie;

b) Améliorer les conditions de vie dans les centres de rétention pour migrants.

Le Comité recommande aussi à l ’ État partie, afin de s ’ acquitter pleinement des obligations qui découlent de l ’ article 3 de la Convention:

a) De prendre sans délai des mesures efficaces pour faire en sorte que tout étranger placé sous sa juridiction soit traité équitablement et puisse dans la pratique bénéficier de services d ’ un avocat à tous les stades de la procédure;

b) De développer, en collaboration avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), les dispositifs d ’ identification et d ’ aiguillage afin de répondre aux besoins d ’ assistance et de protection, et d ’ optimiser la coordination entre les institutions concernées;

c) D ’ établir un système efficace de collecte des données sur la situation des réfugiés, des demandeurs d ’ asile et des apatrides présents sur le territoire;

d) Le Comité engage l ’ État partie à ratifier la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie et à envisager la possibilité de retirer les réserves qu ’ il a émises aux articles 17, 26, 31 (par. 2) et 32 de la Convention relative au statut des réfugiés, et aux articles 17, 31 et 32 de la Convention relative au statut des apatrides.

Institutions psychiatriques

22.Le Comité a pris connaissance avec préoccupation des plaintes dénonçant les mauvais traitements dont sont l’objet les personnes placées en institution psychiatrique, et regrette de ne pas avoir été informé des résultats des enquêtes ouvertes à ce sujet. Il a pris également connaissance avec préoccupation des rapports qualifiant de déficientes les conditions d’entretien et d’hygiène dans ces institutions. Enfin, le Comité n’a pas reçu de renseignements sur l’existence de protocoles à appliquer pour l’usage de moyens de contention dans les établissements psychiatriques (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Veiller à ce que toutes les plaintes pour mauvais traitements infligés à des personnes souffrant d ’ un handicap admises en institution psychiatrique donnent lieu à une enquête immédiate et impartiale et à ce que les responsables présumés soient poursuivis;

b) Augmenter les ressources pour améliorer les installations de façon à pouvoir répondre aux besoins essentiels en matière de soins médicaux et d ’ hygiène des p atients ;

c) Veiller à ce que les organes indépendants de contrôle effectuent régulièrement des visites dans ces centres;

d) Renforcer au maximum le contrôle de l ’ utilisation des moyens de contention sur la base de protocoles d ’ action préalablement définis;

e) Promouvoir la mise en place d ’ autres formes de traitement, en particulier en privilégiant le maintien dans la collectivité.

Compétence universelle

23.Le Comité prend note de la teneur de l’article 6 du Code de procédure pénale mais il relève qu’il n’existe pas dans la législation interne de dispositions qui reconnaissent expressément la compétence universelle pour connaître des actes de torture (art. 5, 6, 7 et 8).

L ’ État partie devrait réviser sa législation pénale de façon à y introduire des dispositions qui lui permettent d ’ établir sa compétence pour connaître des actes de torture, conformément à l ’ article 5 de la Convention, notamment des dispositions permettant de poursuivre les personnes qui ne sont pas ressortissantes du Mexique et ont commis des actes de torture hors de l ’ État partie, et qui se trouvent sur le territoire de celui-ci et n ’ ont pas été extradées, conformément à l ’ article 7 de la Convention.

Réparation

24.Le Comité accueille avec satisfaction l’introduction dans la Constitution d’une disposition établissant expressément l’obligation de l’État de réparer les violations des droits de l’homme, mais il regrette qu’il n’existe pas encore de loi générale dans ce domaine et relève avec préoccupation que les victimes de torture et de mauvais traitements reçoivent rarement réparation. Le Comité est préoccupé par les informations qui indiquent que, en dépit des recommandations adressées par la Commission nationale des droits de l’homme aux différentes autorités, celles-ci procèdent directement au versement d’indemnités, ce qui empêche les victimes d’exercer leur droit d’obtenir réparation par la voie judiciaire (art. 14).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour assurer réparation aux victimes de torture et de mauvais traitements, notamment en leur offrant une indemnisation équitable et adéquate, et les moyens nécessaires à une réadaptation aussi complète que possible. À cet effet, le Comité encourage l’État partie à achever de mettre en place le cadre législatif prévu dans la Constitution en adoptant une loi conforme aux normes internationales, notamment à la Convention.

Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur sa toute récente Observation générale n o 3 (2012) relative à l ’ application de l ’article  14 de la Convention par les États parties (CAT/C/GC/3), qui explique le contenu et la portée de l’obligation qui incomb e aux États parties de fournir une réparation complète aux victimes de la torture.

Formation

25.Le Comité prend note des informations données par l’État partie au sujet des activités de formation organisées à l’intention des agents de la fonction publique pour leur apprendre à utiliser le modèle d’expertise médico-psychologique spécialisée pour détecter les cas de torture ou de mauvais traitements, établi sur la base du Protocole d’Istanbul. Il regrette toutefois d’avoir reçu peu de renseignements sur la teneur des programmes de formation relatifs aux droits de l’homme et à l’interdiction de la torture dispensés par le Secrétariat à la sécurité publique, le Secrétariat à la défense nationale et à la marine. Il note également que l’État partie n’a pas donné de renseignements montrant l’incidence de ces activités et programmes sur la réduction des cas de torture et de mauvais traitements (art. 10).

L ’ État partie devrait:

a) Continuer à dispenser des cours de formation obligatoires afin de garantir que tous les agents de la fonction publique connaissent parfaitement les dispositions de la Convention et de faire savoir qu ’ aucun manquement ne sera toléré , que chaque infraction donnera lieu à une enquête et que les responsables seront poursuivis;

b) Concevoir et appliquer une méthodologie pour évaluer l ’ efficacité des programmes de formation théorique et technique s’agissant de réduire les cas de torture et de mauvais traitements.

26.L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, en particulier dans les langues des peuples autochtones de l’État partie, par le biais des médias et des organisations non gouvernementales.

27.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir au plus tard le 24 novembre 2013 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 9, 10 d) et 16a) tendant à: a) faire respecter ou renforcer les garanties juridiques fondamentales pour les personnes en détention; b) mener à bien des enquêtes immédiates, impartiales et efficaces; et c) traduire en justice les personnes soupçonnées et, si elles sont reconnues coupables de torture ou de mauvais traitements, les punir. En outre, eu égard au paragraphe14b) des présentes observations finales, le Comité souhaiterait recevoir des renseignements sur les mesures prises pour garantir la protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes.

28.Le Comité invite l’État partie à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 23 novembre 2016au plus tard. À cette fin, le Comité enverra en temps voulu à l’État partie une liste de questions établie avant la soumission du rapport, étant donné que l’État partie a accepté d’appliquer la procédure facultative pour l’établissement des rapports.