Nations Unies

CAT/C/MEX/CO/7

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

24 juillet 2019

Français

Original : espagnol

Comité contre la torture

Observations finales concernant le septième rapport périodique du Mexique *

A.Introduction

1.Le Comité remercie l’État partie d’avoir accepté la procédure facultative d’établissement des rapports, qui lui permet de mieux circonscrire son dialogue avec les États parties. Le Comité note toutefois avec regret que le rapport périodique (CAT/C/MEX/7) lui a été soumis avec près d’une année de retard.

2.Le Comité se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie et des informations complémentaires que celle-ci a apportées au cours de l’examen du rapport périodique (voir CAT/C/SR.1724 et SR.1727).

B.Aspects positifs

3.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption, par l’État partie, des mesures législatives ci-après dans des domaines intéressant la Convention :

a)La promulgation, le 26 juin 2017, de la loi générale relative à la prévention des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux enquêtes sur de tels actes et à la répression de tels actes qui, entre autres faits notables, établit l’interdiction absolue de la torture, énonce une définition des infractions de torture et de mauvais traitements valable dans tout le pays, consacre l’imprescriptibilité de la torture, réaffirme l’irrecevabilité ou la nullité de tout élément de preuve obtenu directement par la torture, et interdit que des personnes poursuivies ou condamnées pour des faits de torture soient grâciées, amnistiées ou bénéficient d’une quelconque immunité ;

b)La promulgation, le 17 novembre 2017, de la loi générale relative aux disparitions forcées, y compris les disparitions imputables à des particuliers, et portant création du système national de recherche de personnes ;

c)La promulgation, le 16 juin 2016, de la loi nationale relative à l’exécution des peines, qui prévoit un mécanisme de plainte pour les personnes privées de liberté et le contrôle des conditions de détention par un organe juridictionnel ;

d)La promulgation, le 9 janvier 2013, de la loi générale relative aux victimes, modifiée le 3 janvier 2017, et de son règlement d’application le 28 novembre 2014 ;

e)La promulgation, le 15 août 2016, du décret portant modification du deuxième paragraphe de l’article 11 de la Constitution, qui reconnaît le droit de demander l’asile et de l’obtenir (refugio) ;

f)La promulgation, le 13 juin 2014, d’un décret venant modifier, abroger et compléter plusieurs dispositions du Code de justice militaire, notamment l’article 57, modifié de sorte que les affaires de violations des droits de l’homme visant des civils ne puissent pas être jugées par des juridictions militaires.

4.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures que l’État partie a prises pour modifier ses politiques et ses procédures de manière à améliorer la protection des droits de l’homme et à appliquer la Convention, et salue en particulier :

a)La création, en 2015, de l’unité d’enquête spécialisée dans les cas de torture au sein du Bureau du Procureur général de la République ;

b)L’adoption, en décembre 2014, par la Cour suprême de justice, du Protocole destiné aux juges appelés à statuer sur des faits constitutifs de torture ou de mauvais traitements ;

c)La création, en 2015, du parquet spécialisé dans les enquêtes sur les disparitions forcées ;

d)La création, en 2016, au sein du Bureau du Procureur général de la République, de l’unité chargée des enquêtes sur les infractions commises contre des migrants, et la création du mécanisme national d’appui aux recherches et aux enquêtes chargé de coordonner les procédures d’enquête sur ces infractions ;

e)La publication, en juillet 2017, des résultats de l’enquête nationale sur la population privée de liberté réalisée en 2016 par l’Institut national de statistique et de géographie, en application du troisième paragraphe de l’article 29 de la loi nationale relative à l’exécution des peines ;

f)L’adoption du protocole normalisé d’enquête sur les atteintes à la liberté d’expression par l’assemblée plénière de la Conférence nationale des procureurs à sa quarantième session, en octobre 2018 ;

g)La création en 2015 du mécanisme national de protection des enfants ;

h)La pleine entrée en vigueur, en juin 2016, de la réforme du système de justice pénale entreprise en 2008, en vertu de laquelle la procédure de type inquisitoire précédemment en vigueur a été remplacée par une procédure de type accusatoire ;

i)La publication, le 30 avril 2014, du programme national en faveur des droits de l’homme (2014-2018) ;

j)La publication, le 30 avril 2014, du programme visant à prévenir, réprimer et éliminer la traite des êtres humains et les infractions connexes et à assurer protection et assistance aux victimes (2014-2018), et la création de mécanismes permettant de dénoncer de telles infractions, tels que le centre de signalement et de services aux citoyens et son centre d’assistance téléphonique ;

k)La publication, le 30 avril 2014, du programme visant à prévenir, combattre, réprimer et éliminer la violence à l’égard des femmes (2014-2018) ;

l)La création, le 8 janvier 2014, de la Commission exécutive de l’aide aux victimes ; l’adoption, en 2015, du cadre intégré de soins de santé pour les victimes ; et l’adoption du programme d’aide aux victimes (2014-2018) ;

m)La création, le 4 décembre 2018, par décret présidentiel, d’une Commission vérité et justice concernant l’affaire Ayotzinapa, et la signature, le 8 avril 2019, d’un accord entre le Ministère des relations extérieures et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui prévoit la fourniture de services de conseil et d’une assistance technique à la commission ;

n)La signature, le 9 avril 2019, d’un accord-cadre entre le Gouvernement mexicain et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui prévoit la fourniture, par ce dernier, de services de conseil et d’une assistance technique en vue de former les membres de la Garde nationale aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et au respect de ces normes dans l’exercice de leurs fonctions ;

o)La réforme constitutionnelle et la promulgation, le 14 décembre 2018, de la loi organique du Bureau du Procureur général de la République, en vue de la réorganisation des organes de poursuites du pays ;

p)La promulgation, le 16 juin 2016, de la loi nationale sur le système de justice pénale pour les adolescents.

5.Le Comité se félicite que l’État partie ait demandé, le 6 mars 2018, que soit publié le rapport établi par le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à la suite de sa visite au Mexique en décembre 2016 (CAT/C/OP/MEX/2).

6.Le Comité se réjouit que l’État partie maintienne l’invitation permanente qu’il a adressée aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, grâce à laquelle des experts indépendants ont pu effectuer des visites dans le pays au cours de la période considérée.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

7.Au paragraphe 27 de ses précédentes observations finales (CAT/C/MEX/CO/5-6), le Comité avait demandé à l’État partie de lui faire parvenir des renseignements sur la suite donnée à un certain nombre de recommandations dont la mise en œuvre était considérée comme prioritaire, à savoir celles formulées au paragraphe 9, concernant les garanties juridiques fondamentales ; au paragraphe 10 d), concernant la tenue des registres de détention ; et au paragraphe 16 a), concernant les mécanismes de surveillance et de contrôle des forces armées et des corps de sécurité de l’État. Le Comité prend note des réponses envoyées par l’État partie le 10 février 2014 dans le cadre de la procédure de suivi (CAT/C/MEX/CO/5-6/Add.1), mais estime que les recommandations formulées aux paragraphes 9 et 10 d) mentionnées ci-dessus n’ont pas été mises en œuvre (voir les paragraphes 15 et 16 du présent document), et que la recommandation formulée au paragraphe 16 a) des précédentes observations finales ne l’a été que partiellement (voir les paragraphes 23 et 24 a) du présent document).

Fréquence du recours à la torture dans l’État partie

8.Le Comité prend note de la déclaration de la délégation selon laquelle le recours à la torture n’est pas une politique de l’État partie et qu’il n’est pas généralisé, mais juge très préoccupante la situation observée par plusieurs représentants de mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme au cours de leurs missions respectives au Mexique pendant la période à l’examen, en particulier le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en 2014 (A/HRC/28/68/Add.3, par. 23, et A/HRC/34/54/Add.4, par. 21), la Commission interaméricaine des droits de l’homme et son Rapporteur sur les droits des personnes privées de liberté, en 2015 (OEA/Ser.L/V/II. Doc. 44/15 et communiqué de presse no 116/15) et le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en 2016 (CAT/OP/MEX/2, par. 20). Le Comité est également préoccupé par les résultats de l’Enquête nationale sur la population privée de liberté réalisée en 2016, ainsi que par les rapports parallèles soumis par de nombreuses organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme et organisations de la société civile dans lesquels il est fait état d’un très grand nombre de cas de torture et de mauvais traitements, y compris de violences sexuelles, infligés en particulier par des membres des forces de sécurité et des enquêteurs au moment de l’arrestation et au début de la détention (art. 2 et 16).

9. L’État partie devrait :

a) Réaffirmer sans ambiguïté son adhésion à l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements et faire savoir publiquement que quiconque commet de tels actes, s’en rend complice ou les tolère sera tenu personnellement responsable devant la loi, fera l’objet de poursuites pénales et encourra des peines appropriées ;

b) Garantir la réalisation périodique de l’Enquête nationale sur la population privée de liberté, et la publication de ses résultats.

Définition de l’infraction de torture

10.Le Comité considère que la nouvelle définition de l’infraction de torture introduite par la loi générale de lutte contre la torture (art. 24 et 25) correspond en grande partie aux dispositions de l’article premier de la Convention, mais note avec préoccupation qu’elle ne couvre pas expressément les actes de torture commis aux fins d’obtenir des renseignements ou des aveux d’une tierce personne, ni les actes qui visent à intimider une personne autre que la victime ou à faire pression sur elle (art. 1er).

11. Le Comité engage instamment l’État partie à modifier la définition de l’infraction de torture énoncée aux articles 24 et 25 de la loi générale de lutte contre la torture afin qu’elle couvre expressément les actes de torture commis aux fins d’intimider une tierce personne, de faire pression sur elle ou d’obtenir d’elle des renseignements ou des aveux.

Programme national de lutte contre la torture

12.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas encore adopté le Programme national pour la prévention et la répression de la torture et des mauvais traitements, comme le prévoient les articles 69 à 71 de la loi générale de lutte contre la torture. Il prend note, toutefois, des travaux en cours et des consultations tenues le 30 avril 2019 avec des organisations non gouvernementales, des organismes publics et des organisations internationales (art. 2).

13. Le Comité encourage l’État partie à achever l’élaboration du Programme national pour la prévention et la répression de la torture et des mauvais traitements et à l’adopter ainsi que le budget correspondant, en assurant la participation des organisations de la société civile spécialisées dans l’attestation des cas de torture ou dans l’accompagnement des victimes, comme le prévoit l’article 70 de la loi générale de lutte contre la torture.

Garanties juridiques fondamentales

14.Le Comité prend note des dispositions du paragraphe B.VIII de l’article 20 de la Constitution sur le droit à la défense de tout accusé, ainsi que de la jurisprudence de la Cour suprême de justice, mais est préoccupé par les informations concordantes indiquant que les représentants du ministère public font fréquemment obstacle à l’accès des personnes privées de liberté à l’assistance d’un avocat et que les services de défense publique, en particulier au niveau local, ne réagissent pas toujours face aux violations pouvant avoir été commises contre leurs clients en détention. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles bien souvent les personnes privées de liberté n’ont pas immédiatement accès à un médecin indépendant, et les placements en détention ne sont pas tous enregistrés rapidement. En outre, le Comité juge très préoccupantes les données relatives à l’application de cette garantie et d’autres garanties fondamentales contre la torture et les mauvais traitements qui figurent dans l’Enquête nationale sur la population privée de liberté de 2016. Le Comité regrette par conséquent que l’État partie n’ait pas donné de renseignements sur le nombre de plaintes déposées au cours de la période considérée, ni sur les procédures en place ayant pour objet de garantir le respect, dans la pratique, des garanties fondamentales reconnues aux personnes privées de liberté par la législation nationale (art. 2).

15. L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures efficaces pour garantir que les personnes détenues bénéficient dans la pratique de toutes les garanties fondamentales dès le début de leur privation de liberté, conformément aux normes internationales, en particulier le droit d’être assisté par un avocat sans délai et de bénéficier d’une aide juridictionnelle gratuite si nécessaire ; le droit de demander à voir immédiatement un médecin indépendant et d’être examiné par lui, indépendamment de tout examen médical qui pourrait être réalisé à la demande des autorités ; le droit d’être informé, dans une langue que l’on comprend, des motifs de sa détention et de la nature des accusations portées contre soi ; le droit de voir sa détention enregistrée ; le droit d’informer sans délai un parent ou un tiers de son placement en détention ; le droit de contester la légalité de la détention devant un tribunal ; et le droit d’être présenté à un juge sans délai ;

b) Renforcer les institutions de la défense publique ;

c) Adopter la loi nationale relative au registre des détentions prévue au paragraphe XXIII de l’article 73 de la Constitution, qui devrait être appliquée dans tous les lieux de privation de liberté.

Révision des procédures de placement en détention et d’interrogatoire

16.Le Comité regrette que, malgré ses demandes répétées, l’État partie n’ait pas communiqué les informations voulues concernant les mesures prises depuis l’examen du précédent rapport périodique pour revoir les règles, instructions, méthodes et pratiques relatives à l’interrogatoire, ainsi que les dispositions sur la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit, en vue de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 11).

17. L’État partie devrait garantir l’exercice d’une surveillance systématique des procédures de placement en détention et d’interrogatoire, conformément à l’article 11 de la Convention.

Arraigo pénal

18.Le Comité regrette que l’État partie conserve, dans son droit interne, le régime pénal de l’arraigo, bien qu’étant conscient de l’existence d’un projet de réforme constitutionnelle qui, s’il est adopté, aurait pour effet de le supprimer. Le Comité prend note des explications données par la délégation concernant le caractère exceptionnel de cette mesure de sûreté et le fait qu’elle est de moins en moins utilisée, mais constate que son application permet à l’autorité judiciaire, à la demande du parquet, d’ordonner la privation de liberté d’une personne soupçonnée d’appartenir à une organisation criminelle pendant une période pouvant aller jusqu’à quarante jours, qui peut être prolongée jusqu’à quatre-vingts jours au plus, sans que cette personne ait été officiellement inculpée, afin d’assurer l’aboutissement de l’enquête ou la protection de personnes ou de biens juridiques, ou lorsqu’il existe un risque avéré de fuite (art. 16 de la Constitution). À cet égard, le Comité rappelle que dans sa décision concernant l’affaire Ramiro Ramírez Martínez et consorts c. Mexique (CAT/C/55/D/500/2012, par. 17.5), adoptée le 4 août 2015, il a exprimé une nouvelle fois la préoccupation que lui inspire ce régime, en particulier en ce qui concerne l’absence de mesures de contrôle de son application, le caractère disproportionné de sa durée, le fait qu’il soit parfois appliqué dans des installations militaires, les plaintes pour torture déposées par des personnes faisant l’objet de ce type de détention et le fait qu’il peut favoriser l’utilisation en tant que preuve d’aveux obtenus par la torture (art. 2, 11 et 16).

19.Le Comité renouvelle ses précédentes recommandations (CAT/C/MEX/CO/5-6, par. 11, CAT/C/MEX/CO/4, par. 15, et CAT/C/55/D/500/2012, par. 19), dans lesquelles il invitait instamment l’État partie à supprimer de son droit interne le régime pénal de l’arraigo.

Aveux obtenus par la torture

20.Le Comité prend note des dispositions de l’article 264 du Code national de procédure pénale et des articles 50 à 54 de la loi générale de lutte contre la torture concernant l’irrecevabilité ou la nullité des éléments de preuve obtenus par la torture ou la violation de droits fondamentaux, ainsi que de la jurisprudence de la Cour suprême de justice sur la question. Cependant, il regrette de ne pas avoir reçu de l’État partie de renseignements sur les décisions de justice dans lesquelles les tribunaux ont déclaré irrecevables en tant qu’éléments de preuve des aveux obtenus par la torture ou par des mauvais traitements. Aussi, il demeure préoccupé par les informations concordantes selon lesquelles les tribunaux n’enquêtent pas sur ce type de plainte et reportent la charge de la preuve sur les victimes présumées. Le Comité est également préoccupé par les informations indiquant que le recours à la torture pour obtenir des aveux est courant et que les aveux obtenus par la torture sont utilisés devant les tribunaux comme éléments de preuve de la culpabilité de l’accusé. Le Comité se fait également l’écho des conclusions du rapport sur l’enquête effectuée par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au Mexique, intitulé « Double injustice » (15 mars 2018), dans lequel sont réunies des informations détaillées sur la commission d’actes de torture et d’autres violations des droits de l’homme contre les personnes poursuivies dans le cadre de l’enquête sur la disparition de 43 étudiants à Ayotzinapa, en septembre 2014, et sur la manière dont ces faits ont été tolérés et dissimulés. À cet égard, le Comité constate que l’État partie n’a pas fourni les renseignements demandés sur l’état d’avancement de l’enquête sur la mort d’Emmanuel Alejandro Blas Patiño, qui serait décédé des suites des tortures infligées par des membres du personnel du Ministère de la marine après son arrestation le 27 octobre 2014 (art. 2, 15 et 16).

21. L’État partie devrait :

a) Prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir, dans la pratique, l’irrecevabilité de toute déclaration obtenue par la torture, si ce n’est contre une personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite ;

b) Faire en sorte que, lorsqu’il est allégué qu’une déclaration a été obtenue par la torture, une enquête soit immédiatement ouverte et que la charge de la preuve n’incombe pas à la victime, mais à l’État ;

c) Étoffer les programmes de formation professionnelle destinés aux juges et aux procureurs, pour que ceux-ci soient capables de reconnaître les signes de torture et de mauvais traitements et d’enquêter efficacement sur toutes les plaintes ayant trait à de tels actes, et, en particulier, renforcer les capacités institutionnelles nécessaires pour leur permettre de déclarer irrecevables les déclarations obtenues par la torture ;

d) Veiller à ce que tous les membres des forces de l’ordre, les juges et les procureurs suivent une formation obligatoire qui mette l’accent sur le lien entre les techniques d’interrogatoire non coercitives, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements et l’obligation qui incombe au système judiciaire de déclarer irrecevables les aveux obtenus par la torture ;

e) Veiller à ce que des sanctions soient prises contre les juges qui ne prennent pas les mesures voulues lorsque des allégations de torture sont formulées au cours d’une procédure judiciaire. En outre, l’État partie devrait veiller à ce que les fonctionnaires qui obtiennent des aveux par la torture soient immédiatement traduits en justice ;

f) Rassembler et publier des informations sur les procédures pénales dans lesquelles les juges, de leur propre initiative ou à la demande des parties, ont déclaré irrecevables des éléments de preuve obtenus par la torture, et sur les mesures prises à cet égard.

Allégations de torture et de mauvais traitements

22.Le Comité regrette de n’avoir pas reçu de l’État partie des renseignements complets sur le nombre de plaintes pour actes de torture ou mauvais traitements enregistrées pendant la période à l’examen. D’après les données limitées communiquées par la délégation, 870 plaintes pour actes de torture et 360 plaintes pour mauvais traitements ont été déposées contre des membres de la Police fédérale en 2013, contre 466 plaintes pour torture et 40 pour mauvais traitements en 2018. Le nombre de plaintes pour actes de torture enregistrées contre des fonctionnaires du Bureau du Procureur général de la République était de 42 en 2013 et 32 en 2018. Le nombre de plaintes (pour des motifs non précisés) enregistrées contre des fonctionnaires de l’Institut national des migrations était de 3 569 en 2013 et 1 216 en 2018. En ce qui concerne le Ministère de la défense nationale, les données disponibles indiquent seulement qu’entre 2013 et 2018, cette institution a fait l’objet de 22 recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme, dont 11 concernaient des actes de torture et des mauvais traitements. La délégation a fait valoir que les programmes de formation destinés aux membres des forces de sécurité de l’État avaient contribué à la baisse du nombre de plaintes, mais le Comité a de sérieuses réserves à ce sujet, et ce, d’autant plus que l’État partie n’a pas fourni de données relatives à la période 2014-2017, ni de données statistiques détaillées sur les plaintes enregistrées, les voies par lesquelles ces plaintes ont été soumises et l’organe chargé de les examiner. Le Comité n’a pas non plus reçu les informations demandées sur les mesures que l’État partie a prises pour donner suite aux 18 recommandations formulées par la Commission nationale des droits de l’homme au cours de la période considérée concernant des violations graves liées à des cas de torture et de mauvais traitements, qui visaient principalement la Commission nationale de sécurité, le Ministère de la marine et les services du Procureur général de la République. Enfin, le Comité regrette que, contrairement à ce que prévoit la loi générale de lutte contre la torture, le Registre national relatif à l’infraction de torture n’ait pas encore été créé (art. 2 et 13).

23. L’État partie devrait :

a) Prendre les mesures nécessaires pour garantir que les mécanismes de plainte soient efficaces, indépendants, accessibles et totalement sûrs pour les victimes ;

b) Établir et tenir à jour le Registre national relatif à l’infraction de torture, ainsi que le prévoit la loi générale de lutte contre la torture, et compiler et publier des données statistiques sur le nombre de plaintes pour actes de torture et mauvais traitements enregistrées par toutes les instances ;

c) Donner des informations sur les mesures prises pour donner suite aux recommandations formulées par la Commission nationale des droits de l’homme concernant des cas de torture et de mauvais traitements.

Enquêtes, poursuites et sanctions se rapportant à des cas de torture et de mauvais traitements

24.Le Comité est préoccupé par les graves lacunes que présentent les enquêtes sur les actes de torture et les mauvais traitements au Mexique et par la persistance de taux élevés d’impunité pour ce type d’infractions. Selon les données fournies par la délégation, en janvier 2019, le Bureau du Procureur général de la République avait au total 4 296 enquêtes préliminaires et 645 dossiers d’enquête en cours concernant des cas de torture. Le Comité regrette toutefois de ne pas avoir reçu d’informations complètes sur le nombre d’affaires dans lesquelles des poursuites pénales ont été engagées ni sur le nombre de procédures judiciaires et disciplinaires qui ont été ouvertes en lien avec des actes de torture ou des mauvais traitements au cours de la période considérée. Il n’a pas non plus reçu de l’État partie les informations demandées sur la charge de travail du personnel affecté au parquet spécialisé. Selon les renseignements succincts fournis par la délégation, entre 2013 et 2018, les tribunaux fédéraux ont prononcé 45 condamnations pour des actes de torture, mais on ne dispose d’aucune information sur le contenu et l’application de ces décisions, ni sur les sanctions imposées aux personnes condamnées. Le Comité n’a pas non plus reçu d’informations sur les jugements rendus par les tribunaux d’État, bien que les données contenues dans le recensement national des activités judiciaires effectué en 2017 par l’Institut national de statistique et de géographie indiquent que, pour la seule année 2016, 3 214 plaintes pour torture et mauvais traitements ont été enregistrées, dont 8 seulement ont donné lieu à des poursuites (voir Rapport annuel d’activité de la Commission nationale des droits de l’homme, 2018). Enfin, le Comité prend note des explications données par la délégation concernant l’application du Protocole normalisé d’enquête sur les cas de torture, mais demeure préoccupé par les informations selon lesquelles les mesures prévues par le protocole qui sont appliquées par les représentants du ministère public préalablement au transfert des plaintes pour torture au parquet spécialisé pourraient entraver l’accès des victimes à la justice, bien que l’État partie affirme que cette procédure vise à permettre une prise en charge rapide des victimes (art. 2, 12, 13 et 16).

25. Le Comité demande instamment à l’État partie :

a) De faire en sorte que toutes les plaintes pour torture ou mauvais traitements donnent rapidement lieu à une enquête impartiale menée par un organe indépendant ;

b) De veiller à ce que les autorités ouvrent d’office une enquête chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire que des actes de torture ou des mauvais traitements ont été perpétrés ;

c) De faire en sorte qu’en cas de torture ou de mauvais traitements, les auteurs présumés soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pour toute la durée de l’enquête, en particulier lorsqu’il existe un risque qu’ils puissent commettre une nouvelle fois les actes dont ils sont soupçonnés, exercer des représailles contre la victime présumée ou entraver le bon déroulement de l’enquête ;

d) De faciliter l’accès des victimes à la justice, par un accompagnement juridique approprié, y compris une aide juridictionnelle gratuite lorsque cela se justifie. En particulier, le Comité invite instamment l’État partie à revoir le contenu du Protocole normalisé d’enquête afin de garantir l’accès des victimes à la justice ;

e) De faire en sorte que les auteurs présumés d’actes de torture ou de mauvais traitements et les supérieurs qui leur ont ordonné de commettre ces actes ou les ont tolérés soient dûment jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes ;

f) De veiller à la mise en œuvre et au respect des dispositions de la loi générale de lutte contre la torture, en particulier en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites auxquelles les actes de torture et les mauvais traitements doivent donner lieu. L’État partie devrait veiller à l’établissement et au bon fonctionnement de tous les parquets spécialisés, et faire en sorte qu’ils soient autonomes, qu’ils disposent de ressources suffisantes et que leur personnel soit dûment formé ;

g) De veiller à ce que les membres de l’appareil judiciaire reçoivent la formation voulue pour être en mesure de déterminer correctement la qualification pénale applicable aux faits de torture et de mauvais traitements ;

h) De recueillir et de publier des données statistiques, par État et au niveau fédéral, sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites, de condamnations et de peines se rapportant à des cas de torture et de mauvais traitements.

Évaluation de l’état physique et psychologique des victimes présumées de torture

26.Le Comité prend note de la publication, le 5 octobre 2015, de l’Accord A/085/15 établissant les directives institutionnelles à suivre par les services du Procureur général de la République dans le cadre des enquêtes sur les allégations de torture, mais il est préoccupé par les informations faisant état de graves lacunes dans l’exécution des examens médico-légaux visant à évaluer l’état physique et psychologique des victimes présumées. Il ressort des informations dont dispose le Comité qu’il y a des retards importants dans la réalisation de ces examens par les experts médicaux et les psychologues du Bureau du Procureur général de la République, et que ces examens ne sont pas exhaustifs, ce qui soulève des doutes quant à l’impartialité des professionnels qui les pratiquent. Il est également préoccupant d’apprendre que les instances judiciaires continuent de nier la valeur probante des évaluations effectuées par des experts médicaux indépendants spécialisés, ce qui est contraire à l’article 37 de la loi générale de lutte contre la torture. De plus, le Comité est préoccupé par le fait que les enquêtes sont automatiquement clôturées lorsque les examens médico-psychologiques donnent des résultats « négatifs », c’est-à-dire ne permettent pas de confirmer les allégations de torture (art. 2, 12, 13 et 16).

27. Le Comité invite instamment l’État partie à :

a) Envisager la création d’instituts de médecine légale et de criminalistique, qui exerceraient leurs fonctions en toute indépendance et selon des critères strictement scientifiques, et auxquels seraient confiées les attributions actuellement dévolues aux services du Procureur général de la République en ce qui concerne la réalisation des examens visant à évaluer l’état physique et psychologique des victimes présumées d’actes de torture, et l’accréditation de tous les experts médicaux et psychologues chargés de ces examens ;

b) Veiller à ce que toutes les évaluations physiques et psychologiques dont font l’objet les victimes présumées d’actes de torture soient conformes aux principes, procédures et critères énoncés dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), et appliquer des sanctions en cas d’irrégularités ;

c) Faire en sorte que l’ensemble du personnel compétent reçoive une formation spécifique qui lui permette de reconnaître les cas de torture et d’en établir la réalité, conformément au Protocole d’Istanbul ;

d) Veiller à ce que la valeur probante des rapports établis par les experts médicaux et les psychologues indépendants accrédités soit dûment reconnue dans la pratique, conformément à l’article 37 de la loi générale de lutte contre la torture.

Disparitions forcées

28.Le Comité prend note de l’annonce faite par la délégation concernant la reprise des travaux se rapportant à la mise en place du système national de recherche de personnes, conformément à la loi générale relative aux disparitions forcées, et à l’élaboration du Protocole normalisé de recherche. En ce qui concerne l’application du Protocole normalisé d’enquête sur les cas de disparition forcée, y compris les disparitions imputables à des particuliers, il note avec préoccupation que, selon les informations portées à sa connaissance, les organisations de la société civile n’ont pas été dûment consultées avant l’adoption de ce texte, qu’elles jugent insuffisant. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas commenté les informations dénonçant le manque de diligence des autorités chargées des enquêtes sur les cas de disparition forcée et mettant en doute l’efficacité des mécanismes existants d’identification médico-légale. L’État partie n’a pas non plus fourni de données statistiques à jour sur le nombre de cas de disparition forcée non résolus et de restes humains non identifiés, ni les renseignements demandés sur l’état d’avancement de l’enquête concernant la disparition de 23 personnes en mai 2018 à Tamaulipas, dont seraient responsables des membres de la police fédérale (art. 2, 12, 13 et 16).

29. Le Comité invite instamment l’État partie à :

a) Veiller à ce que les cas de disparition forcée fassent rapidement l’objet d’enquêtes efficaces et impartiales, que les auteurs présumés soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés, et que toutes les victimes, y compris toutes les personnes ayant subi un préjudice direct du fait de la disparition forcée, reçoivent une réparation effective, notamment une indemnisation adéquate. À ce sujet, le Comité prie l’État partie de lui faire parvenir les renseignements demandés au sujet de l’enquête sur les personnes disparues à Tamaulipas en mai 2018 ;

b) Garantir le bon fonctionnement du système national de recherche de personnes, y compris les registres et les outils prévus par la loi générale relative aux disparitions forcées. Il devrait également allouer à la Commission nationale de recherche de personnes et aux commissions locales des ressources suffisantes pour permettre leur bon fonctionnement ;

c) S’attaquer d’urgence au problème des restes humains non identifiés, en renforçant les capacités de l’État par la création d’institutions dotées de ressources suffisantes, afin que les restes humains retrouvés soient rendus aux familles.

Activités de maintien de l’ordre public et de sécurité

30.D’après les explications données par la délégation concernant la participation des forces armées aux opérations de sécurité menées contre la criminalité organisée, l’État partie estime qu’il n’est pas possible, à ce stade, de décharger l’armée de ses activités actuelles de sécurité. Le Comité est préoccupé par cette situation, ainsi que par les informations faisant état de graves violations des droits de l’homme, y compris des actes de torture, commises par des militaires dans le cadre de telles opérations. Il prend note de la création récente de la Garde nationale, nouveau corps de sécurité civil destiné à remplacer la Police fédérale, mais s’inquiète de la nomination récente d’un ancien militaire à la tête des opérations de cette institution. Il est également préoccupé par le manque de clarté concernant les règles applicables au recours à la force et à l’identification des membres des forces de sécurité et de leurs véhicules (art. 2, 12, 13 et 16).

31. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que toutes les plaintes dénonçant un usage excessif de la force, en particulier de la force létale, de la part des membres des forces de sécurité et du personnel militaire donnent lieu sans délai à une enquête impartiale, à ce que les auteurs présumés soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes, et à ce que les victimes ou les membres de leur famille obtiennent une réparation intégrale ;

b) Rendre public le nombre de personnes tuées, blessées ou placées en détention au cours des opérations de sécurité ;

c) Faire en sorte que les tâches de maintien de l’ordre public soient assurées, dans toute la mesure possible, par des autorités civiles et non militaires. Il faudrait également veiller à ce que la Garde nationale soit placée sous commandement civil afin de préserver son indépendance ;

d) Adopter la loi nationale sur le recours à la force prévue au paragraphe XXIII de l’article 73 de la Constitution, conformément aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ;

e) Prendre les mesures nécessaires pour que les membres des forces de sécurité puissent être dûment identifiés à tout moment dans l’exercice de leurs fonctions.

Conditions de détention

32.Comme l’a reconnu la délégation, la situation du système pénitentiaire mexicain est dramatique, essentiellement au niveau des États. Le Comité salue par conséquent les efforts que déploie l’État partie pour réduire le surpeuplement des établissements pénitentiaires fédéraux et améliorer ainsi les conditions de détention. Il reste néanmoins préoccupé par les informations selon lesquelles plusieurs établissements pénitentiaires d’État et municipaux sont surpeuplés, tels que les prisons de Chalco, Lerma et Jilotepec, dans l’État de Mexico. Le Comité est également préoccupé par le nombre élevé de personnes placées en détention provisoire, parfois pour des périodes extrêmement longues, ainsi que par le placement en détention provisoire « d’office », c’est-à-dire obligatoire, qui est contraire aux normes internationales et qui, non seulement, est toujours en vigueur, mais s’applique depuis peu à davantage d’infractions. Le Comité prend note du contenu de la loi nationale relative à l’exécution des peines du 16 juin 2016, et de l’adoption en novembre 2019 d’une série de directives concernant la gestion des établissements pénitentiaires. Il n’en demeure pas moins préoccupé par les informations concernant les modalités d’autogestion en vigueur dans nombre d’établissements pénitentiaires du pays en raison du manque de personnel, la fréquence des émeutes et les morts qui en résultent, la violence entre détenus et l’insuffisance des mesures de sécurité dans certains établissements pénitentiaires. Le Comité s’inquiète en outre des faits de corruption commis par les agents pénitentiaires et d’autres membres du personnel de l’administration pénitentiaire (art. 11 et 16).

33. L’État partie devrait :

a) Continuer de s’employer à éliminer le surpeuplement dans tous les centres de détention, en particulier au niveau des États et des municipalités, principalement en recourant à des mesures non privatives de liberté. À ce sujet, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur les Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok). L’État partie devrait également entreprendre des travaux pour améliorer les installations pénitentiaires et adopter d’urgence des mesures pour remédier aux déficiences qui influent sur les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires ;

b) Faire en sorte que, dans la pratique, la détention provisoire ne soit pas indûment utilisée ni prolongée de manière excessive ;

c) Modifier ou abroger les dispositions de la Constitution en vertu desquelles le placement en détention provisoire est obligatoire pour certaines infractions ;

d) Achever la mise en place de la commission intersectorielle devant permettre aux personnes privées de liberté d’avoir accès au système de santé publique ;

e) Faire en sorte que les gardiens et autres membres du personnel pénitentiaire soient suffisamment nombreux afin de garantir la sécurité à l’intérieur des prisons ;

f) Engager des procédures judiciaires et disciplinaires contre les agents pénitentiaires et tout autre membre du personnel pénitentiaire impliqués dans des faits de corruption.

Justice des mineurs

34.Le Comité prend note de la promulgation, le 16 juin 2016, de la loi nationale relative au système de justice pénale pour les adolescents et de la promulgation, le 4 décembre 2014, de la loi générale relative aux droits de l’enfant, modifiée pour la dernière fois le 20 juin 2018, mais demeure préoccupé par les informations selon lesquelles les mineurs en conflit avec la loi sont trop souvent, et pour de longues périodes, placés en détention provisoire. Il est également préoccupé par le traitement réservé aux mineurs privés de liberté, ainsi que par les conditions de détention des mineurs placés à l’isolement de manière prolongée au Centre de détention et de réadaptation pour délinquants de Monterrey, dont le Rapporteur spécial sur la question de la torture a rendu compte à l’issue de la visite qu’il a effectuée dans cet établissement en 2014 (A/HRC/28/68/Add.3, par. 70 et 71) (art. 11 et 16).

35. L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures en vue de garantir que tous les mineurs privés de liberté reçoivent un traitement respectueux de leur dignité et que les centres pour mineurs offrent des conditions de détention adéquates ;

b) Faire en sorte que les mineurs ne soient placés en détention provisoire qu’en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible, et appliquer, autant que possible, des mesures de substitution à la détention (voir la règle 13 de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) et les règles 1, 2, 17 et 18 des Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté) ;

c) Respecter l’interdiction de recourir à l’isolement cellulaire et à des mesures similaires à l’égard des mineurs (règle 67 des Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté et règle 45, par .  2, de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela)).

Mesures disciplinaires

36.Les articles 41 et 42 de la loi nationale relative à l’exécution des peines prévoient que l’isolement provisoire à titre disciplinaire ne doit être utilisé qu’en dernier ressort et pour une durée strictement limitée ne pouvant excéder quinze jours consécutifs. Pourtant, le Comité prend note avec préoccupation des recommandations formulées par le mécanisme national de prévention de la torture et la Commission nationale des droits de l’homme, qui indiquent que ce type de mesure est appliqué pour des périodes allant jusqu’à trente jours, de manière arbitraire et en violation des procédures établies (voir la recommandation M‑02/2017 du mécanisme national de prévention de la torture sur les établissements pour peine de l’État de Guerrero, par. 23, et la recommandation générale no 22 de la Commission nationale des droits de l’homme sur la pratique de l’isolement dans les établissements pénitentiaires du Mexique (2015), par. 46). En 2016, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a signalé que l’un des châtiments les plus couramment pratiqués consistait à placer les détenus à l’isolement dans des cellules exiguës et en très mauvais état pour des périodes extrêmement longues − pouvant aller jusqu’à plusieurs mois − et à limiter leur droit de recevoir des visites de leurs proches ou de communiquer avec eux par téléphone (Situation des droits de l’homme au Mexique, OEA/Ser.L/V/II. Doc. 44/15, par. 337) (art. 11 et 16).

37. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que l’isolement cellulaire ne soit utilisé qu’en dernier ressort et dans des cas exceptionnels, pour une durée aussi brève que possible (pas plus de quinze jours consécutifs), sous contrôle indépendant et uniquement avec l’autorisation d’une autorité compétente, conformément aux règles 43 à 46 des Règles Nelson Mandela ;

b) Veiller également à ce que les garanties d’une procédure régulière soient respectées lors de l’application de sanctions disciplinaires (voir la règle 41 des Règles Nelson Mandela). Les sanctions disciplinaires ou mesures de restriction ne doivent pas consister en une interdiction de contacts avec la famille (règle 43, par. 3, des Règles Nelson Mandela);

c) Veiller à ce que tous les détenus sans exception bénéficient des conditions de vie en général prévues dans l’instrument international susmentionné, notamment pour ce qui est de l’éclairage, de l’aération, de la température, des installations sanitaires, de la nourriture et de l’eau potable (règle 42 des Règles Nelson Mandela).

Isolement administratif

38.Pour ce qui est des personnes détenues sous le régime de l’isolement administratif en application de l’article 18 in fine de la Constitution, relatif à la détention provisoire et à l’exécution des peines prononcées pour des infractions liées à la criminalité organisée, le Comité est préoccupé par la durée − jusqu’à vingt-trois heures par jour − que les détenus soumis à ce régime peuvent passer en cellule, ainsi que par les restrictions drastiques que ce régime impose en ce qui concerne les relations avec les autres détenus et les contacts avec le monde extérieur. Le Comité s’inquiète également des informations selon lesquelles auraient été mises en place dans divers centres pénitentiaires, aussi bien au niveau fédéral qu’au niveau des États, des modalités de fonctionnement suivant lesquelles les détenus restent dans leur cellule la majeure partie de la journée, dans des conditions de détention comparables à un isolement prolongé (art. 11 et 16).

39. L’État partie devrait veiller à ce que l’isolement administratif soit utilisé uniquement par mesure de protection et pour une durée limitée, conformément aux normes internationales, notamment les Règles Nelson Mandela.

Décès en détention

40.D’après les rares données officielles disponibles, entre 2013 et 2018, 220 personnes privées de liberté sont décédées dans des centres pénitentiaires fédéraux, et 2 531 dans des centres pénitentiaires d’État. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas présenté de données statistiques complètes pour la période considérée, ventilées par lieu de détention, par sexe, âge et origine ethnique ou nationalité des défunts et par cause du décès. Par ailleurs, hormi les 42 « incidents » qui, selon la délégation, se sont produits entre 2013 et 2018 lors des émeutes qui ont éclaté dans plusieurs prisons du pays, l’État partie n’a communiqué aucune information sur les décès soudains, y compris par homicide et par suicide, qui sont survenus dans des lieux de détention ni sur les résultats des enquêtes auxquelles ceux-ci ont donné lieu. L’État partie n’a pas non plus fourni les informations demandées concernant les mesures concrètes prises pour éviter que des faits similaires se reproduisent, ni sur les éventuelles indemnisations accordées aux familles des défunts. Le Comité est particulièrement préoccupé par l’absence d’informations détaillées concernant l’enquête ouverte sur les 49 décès survenus en février 2016 lors d’une émeute à la prison d’État de Topo Chico (Monterrey), et les 13 décès survenus au cours d’une émeute au centre pénitentiaire de Cadereyta (Nuevo León), en octobre 2017 (art. 2, 11 et 16).

41. Le Comité invite instamment l’État partie à :

a) Faire en sorte que tous les décès survenus en détention donnent lieu sans délai à une enquête impartiale menée par un organe indépendant, compte dûment tenu du Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les homicides résultant potentiellement d’actes illégaux ;

b) Enquêter sur la responsabilité éventuelle de policiers et d’agents pénitentiaires dans les décès survenus en détention, et, si celle-ci est établie, sanctionner dûment les coupables et verser une indemnisation équitable et adéquate aux proches des victimes ;

c) Garantir la sécurité dans les prisons en dispensant une formation appropriée aux agents pénitentiaires, et prendre les mesures voulues pour prévenir la violence entre détenus et en réduire l’incidence, en particulier au moyen de stratégies de prévention adaptées permettant de surveiller et de recenser les incidents de ce type, afin que toutes les plaintes donnent lieu à une enquête et que tous les responsables aient à répondre de leurs actes ;

d) Garantir l’allocation des ressources humaines et matérielles nécessaires pour assurer aux détenus des soins médicaux et de santé appropriés, conformément aux règles 24 à 35 des Règles Nelson Mandela, et évaluer l’efficacité des programmes de prévention, de dépistage et de traitement des maladies chronico-dégénératives et des pathologies infectieuses ou contagieuses dans les prisons ;

e) Évaluer l’efficacité des stratégies et des programmes de prévention du suicide et des comportements autodestructeurs ;

f) Réunir et publier des données statistiques détaillées sur les décès survenus dans des lieux de détention et sur le résultat des enquêtes auxquelles ils ont donné lieu.

Mécanisme national de prévention

42.Le Comité prend note avec préoccupation des informations selon lesquelles les activités de surveillance menées par le mécanisme national de prévention de la torture ont une incidence limitée, et regrette par conséquent de ne pas avoir reçu davantage d’informations sur l’état d’avancement de la réforme dont le mécanisme fait actuellement l’objet, sur les ressources qui lui sont allouées, et sur la mesure dans laquelle il coopère avec les organisations de la société civile. Le Comité demeure également préoccupé par l’absence apparente de surveillance, par le mécanisme national de prévention de la torture, de la situation dans les établissements psychiatriques et autres établissements de santé mentale (art. 2).

43. L’État partie devrait :

a) Faire en sorte que, dans le cadre de la réforme en cours, le mécanisme national de prévention de la torture dispose de ressources suffisantes et du personnel qualifié requis pour pouvoir s’acquitter efficacement de son mandat dans tous les lieux de privation de liberté, ainsi que l’exige le Protocole facultatif se rapportant à la Convention ;

b) Veiller à ce que les recommandations formulées par le mécanisme national de prévention de la torture dans le cadre de ses activités de surveillance fassent l’objet d’un suivi efficace aux fins de leur mise en œuvre, conformément aux Directives concernant les mécanismes nationaux de prévention du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT/OP/12/5, par. 13 et 38) ;

c) Encourager la coopération entre le mécanisme national de prévention de la torture et les organisations de la société civile.

Formation

44.Le Comité prend note des programmes de formation dans le domaine des droits de l’homme, en particulier ceux ayant trait à la prévention de la torture, à l’usage de la force et à la réforme du système de justice pénale, qui sont destinés aux membres des forces de sécurité de l’État, aux agents pénitentiaires et au personnel des services de l’immigration, des tribunaux et des parquets, mais regrette de ne pas disposer de plus d’informations concernant les résultats des évaluations visant à déterminer l’effet de ces programmes sur l’incidence de la torture et des mauvais traitements dans l’État partie. Le Comité est également préoccupé par le peu d’informations disponibles sur les programmes de formation qui visent à apprendre aux professionnels de la santé s’occupant de détenus à reconnaître les séquelles physiques et psychologiques de la torture et à en établir la réalité (art. 10).

45. L’État partie devrait :

a) Continuer à élaborer et mettre en œuvre des programmes de formation continue obligatoire et assurer les formations initiales nécessaires pour que tous les agents de la fonction publique, en particulier les membres de la police et des forces armées, le personnel de l’appareil judiciaire, les agents pénitentiaires, le personnel des services de l’immigration et les autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit, connaissent bien les dispositions de la Convention et sachent qu’aucun manquement ne sera toléré, que toute violation donnera lieu à une enquête et que les auteurs seront poursuivis ;

b) Veiller à ce que l’ensemble des personnels concernés, notamment le personnel médical, reçoivent une formation spéciale pour apprendre à reconnaître les signes de torture et de mauvais traitements et à en établir dûment la réalité, conformément au Protocole d’Istanbul ;

c) Donner des renseignements détaillés sur les résultats des évaluations visant à déterminer l’effet des programmes de formation sur l’incidence de la torture et des mauvais traitements dans l’État partie.

Réparation

46.Le Comité remercie la délégation des explications qu’elle a apportées au sujet des mesures de réadaptation qui ont été prises en faveur de 403 victimes d’actes de torture et de mauvais traitements, et note qu’entre 2014 et 2018 la Commission exécutive de l’aide aux victimes a été saisie de 241 demandes d’indemnisation pour violations des droits de l’homme, y compris pour torture. La commission a accordé une réparation complète dans 51 cas après qu’il a été établi que des actes de torture et des mauvais traitements, entre autres violations des droits de l’homme, avaient été perpétrés, et a fait droit à 217 demandes d’indemnisation, dont 52 émanaient des victimes elles-mêmes, et 165 d’ayants droit. Le Comité regrette toutefois que l’État partie n’ait pas fourni d’informations complètes sur les mesures de réparation et les indemnisations qui ont été accordées par les tribunaux ou d’autres organes de l’État et dont ont effectivement bénéficié les victimes d’actes de torture et les membres de leur famille au cours de la période considérée, ni sur le degré de coopération qui existe dans ce domaine avec les organisations non gouvernementales spécialisées. D’autre part, le Comité prend note de la demande que la Commission exécutive de l’aide aux victimes a récemment adressée au système national de santé en vue de la mise en place d’un programme de soins et de réadaptation complet, multidisciplinaire et spécialisé pour traiter les affections résultant de violations graves des droits de l’homme (art. 14).

47. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o  3 (2012) concernant la mise en œuvre de l’article 14 par les États parties, dans laquelle il explique en détail le contenu et la portée de l’obligation d’assurer une réparation complète aux victimes d’actes de torture qui découle de la Convention. L’État partie devrait en particulier :

a) Garantir à toutes les victimes d’actes de torture le droit d’obtenir réparation, y compris le droit d’être indemnisées équitablement et d’une manière adéquate et de bénéficier des moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible ;

b) Assurer le suivi continu des programmes de réadaptation des victimes d’actes de torture et l’évaluation de leur efficacité, et recueillir des données sur le nombre de victimes et leurs besoins spécifiques en matière de réadaptation ;

c) Créer des commissions d’aide aux victimes dans les États où il n’en existe pas encore ; faire en sorte que la Commission exécutive de l’aide aux victimes et les commissions des États soient dotées d’un personnel spécialisé dûment formé et des ressources matérielles nécessaires à leur bon fonctionnement ; et envisager d’étendre le champ des prestations et des services fournis par ces commissions ;

d) Collaborer avec les organisations de la société civile à l’élaboration et à la fourniture de services de réadaptation ;

e) Faire en sorte que les victimes puissent librement choisir entre des prestataires de services étatiques et des prestataires de services non étatiques ;

f) Garantir l’accès des victimes d’actes de torture à une assistance en mettant en place des mesures d’aide d’urgence et en tenant à jour le registre national des victimes.

Détention de demandeurs d’asile et de migrants sans papiers

48.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie continue de recourir à la détention automatique ou obligatoire des migrants sans papiers et des demandeurs d’asile. L’article 111 de la loi relative aux migrations prévoit que l’Institut national des migrations dispose d’un délai de quinze jours ouvrables pour statuer sur les dossiers des personnes placées en détention dans les « centres pour migrants », ce délai pouvant être porté à soixante jours dans certaines circonstances. Toutefois, en cas de recours administratif ou judiciaire, notamment en cas de dépôt d’une demande d’asile, la loi ne fixe pas de limite à la durée de la détention administrative. Bien que la loi en vigueur n’autorise pas la détention de mineurs dans les centres pour migrants, si ce n’est dans le cas de mineurs non accompagnés et uniquement dans des circonstances exceptionnelles, les informations dont le Comité dispose indiquent que des mineurs continuent d’être placés en détention dans des centres pour migrants qui ne sont pas équipés pour répondre à leurs besoins. Le surpeuplement et les mauvaises conditions matérielles, en particulier en matière d’hygiène et d’alimentation, qui caractérisent ces centres suscitent également la préoccupation du Comité. À ce sujet, le Comité note que cinq centres pour migrants ont été définitivement fermés et que quatre autres centres de ce type et six centres d’accueil provisoire sont à l’heure actuelle temporairement fermés, car il a été considéré qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences minimales en matière d’hébergement énoncées dans une recommandation du mécanisme national de prévention de la torture. D’après les explications données par la délégation, le mécanisme national de prévention peut effectuer des visites inopinées dans les centres pour migrants, où peuvent également se rendre les représentants d’organisations de la société civile ayant obtenu une autorisation préalable. D’autres sources dénoncent des violences et des abus commis par les agents des services de l’immigration à l’égard des personnes détenues dans les centres pour migrants, des membres de leur famille et de leurs proches, notamment des cas de racket (art. 11 et 16).

49. L’État partie devrait :

a) Revoir la loi relative aux migrations en vue d’en abroger les dispositions qui rendent obligatoire ou automatique le placement en détention des migrants sans papiers et des demandeurs d’asile ;

b) S’abstenir de maintenir en détention des migrants sans papiers et des demandeurs d’asile pendant de longues périodes, recourir à la détention uniquement en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible, et continuer d’appliquer des mesures non privatives de liberté ;

c) Fixer dans la loi une durée maximale raisonnable pour la détention administrative des migrants sans papiers et des demandeurs d’asile ayant formé un recours administratif ou judiciaire ;

d) Faire en sorte que les mineurs migrants et les familles de migrants avec enfants ne soient pas placés en détention au seul motif qu’ils sont sans papiers ;

e) Faire en sorte que tous les centres de détention pour migrants offrent des conditions de vie appropriées ;

f) Garantir l’accès des personnes détenues à des mécanismes de plainte efficaces ;

g) Enquêter sur toute présomption d’abus ou de violence à l’égard de personnes détenues dans des centres pour migrants ;

h) Faire en sorte que les personnes détenues dans des centres pour migrants soient informées de leurs droits, notamment de leur droit de demander l’asile, conformément à l’article 109 de la loi relative aux migrations ;

i) Faire en sorte que les fonctionnaires des services de l’immigration et le personnel de sécurité des centres pour migrants soient adéquatement formés ;

j) Veiller à ce que les migrants et les demandeurs d’asile bénéficient de l’assistance de professionnels du droit.

Asile et non-refoulement

50.Le Comité prend note des données fournies par la délégation concernant le nombre de demandes d’asile reçues au cours de la période considérée, lequel serait passé de 912 (représentant 1 296 personnes) en 2013 à 29 644 (59 916 personnes) en 2018. Selon ces données, en 2018, l’État partie a reconnu le statut de réfugié à 1 327 personnes et accordé une protection complémentaire à 654 autres. Il n’a toutefois pas présenté de données pour la période 2014-2017, ni indiqué le nombre de demandes auxquelles il a été fait droit parce que les requérants avaient été torturés ou couraient le risque de l’être dans leur pays d’origine. Le Comité prend également note des précisions apportées par la délégation sur le nombre de personnes ayant été renvoyées, notamment expulsées, depuis 2013, qui s’élève au total à 715 827, ainsi que sur les mécanismes de recours existants (recours en révision, recours en annulation et recours en amparo), bien qu’aucune information n’ait été donnée concernant les recours éventuellement formés et leur issue. Le Comité demeure préoccupé par les informations selon lesquelles des demandeurs d’asile sont détenus aux postes frontière des aéroports dans de mauvaises conditions, sans pouvoir prendre contact avec la Commission mexicaine d’aide aux réfugiés, et risquent par conséquent d’être renvoyés (art. 3).

51. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que, dans la pratique, aucune personne ne puisse être renvoyée ou extradée vers un autre État dans lequel il existe des motifs sérieux de croire qu’elle court personnellement un risque prévisible d’être soumise à la torture ;

b) Faire en sorte que toute personne se trouvant sur son territoire ou sous sa juridiction ait effectivement accès à la procédure de détermination du statut de réfugié, y compris les personnes détenues dans les aéroports et autres postes frontière ;

c) Veiller à ce que les demandes d’asile fassent l’objet d’un examen individuel et à ce que les demandeurs d’asile soient protégés contre les mesures de renvoi collectif ;

d) Veiller à ce que des garanties de procédure soient appliquées et à ce que des recours utiles soient disponibles dans le cadre de toute procédure d’expulsion, notamment l’examen, par un organe juridictionnel indépendant, des demandes rejetées, en particulier en appel ;

e) Garantir la mise en place de mécanismes efficaces permettant de repérer rapidement les victimes de torture et les victimes de la traite parmi les demandeurs d’asile et les migrants.

Personnes refoulées vers le Mexique en application de la législation des États-Unis sur l’immigration et la nationalité

52.Le Comité est préoccupé par la situation des demandeurs d’asile non mexicains qui sont refoulés vers le Mexique par les autorités des États-Unis en attendant que leur dossier ait été examiné, en application de l’article 235 b) 2) c) de la loi des États-Unis sur l’immigration et la nationalité. Le Comité salue la décision que l’État partie a prise d’admettre provisoirement ces demandeurs d’asile sur son territoire pour raisons humanitaires, cette « autorisation de séjour provisoire » leur permettant de sortir du pays et d’y revenir plusieurs fois. Le Comité souhaiterait toutefois des précisions concernant l’institution chargée de l’accueil des personnes refoulées et les garanties dont celles-ci bénéficient en cas de renvoi vers leur pays d’origine (art. 3).

53. L’État partie devrait faire le nécessaire pour accueillir convenablement les personnes refoulées en application de la législation des États-Unis sur l’immigration et la nationalité et faire en sorte qu’elles ne soient pas renvoyées ni extradées vers leur pays d’origine s’il existe des motifs sérieux de croire qu’elles courent personnellement un risque prévisible d’y être soumises à la torture. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur la Note d’orientation relative aux accords de transfert bilatéraux ou multilatéraux concernant les demandeurs d’asile que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a publiée en 2013 (par. 3 iv)).

Assurances diplomatiques

54.D’après les informations soumises par l’État partie, au cours de la période considérée, le Mexique a offert ou reçu des assurances diplomatiques ou des garanties équivalentes dans plusieurs procédures d’extradition. Pour ce qui est du contenu minimum de ces assurances ou garanties, l’État partie indique que celles-ci doivent satisfaire aux prescriptions de l’article 20 B, lu conjointement avec l’article 22, de la Constitution, et être conformes aux dispositions de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et de la Convention contre la torture. Le Comité regrette cependant de ne pas avoir reçu d’informations détaillées sur les mesures ou les mécanismes de suivi convenus entre le Mexique et les États d’envoi ou les États destinataires (art. 3).

55. L’État partie ne devrait en aucun cas expulser, refouler ou extrader une personne vers un État dans lequel il existe des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. En outre, comme il est indiqué au paragraphe 20 de l’observation générale n o  4 (2017) du Comité sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, les assurances diplomatiques ne devraient pas être utilisées pour contourner le principe de non-refoulement tel qu’il est établi à l’article 3 de la Convention et y porter atteinte. L’État partie devrait procéder à un examen approfondi de chaque affaire quant au fond, y compris de la situation générale dans le pays de renvoi en ce qui concerne le risque de torture.

Principe aut dedere aut judicare

56.Le Comité prend note des informations soumises par l’État partie au sujet de la modification, en 2007, de l’article 2, paragraphe I, du Code pénal fédéral, qui incorpore le principe aut dedere aut judicare et établit ainsi la compétence des autorités mexicaines pour enquêter sur des infractions commises à l’étranger par des étrangers ou contre des étrangers et en poursuivre les auteurs lorsqu’un instrument international auquel le Mexique est partie lui fait obligation d’extrader ou de juger les auteurs de telles infractions, comme c’est le cas de la Convention contre la torture. À ce sujet, le Comité note que, pour que les tribunaux mexicains puissent exercer leur compétence dans ce type d’affaires, les conditions énoncées à l’article 4 du Code pénal fédéral doivent être réunies, à savoir, non seulement, que le suspect doit se trouver sur le territoire de l’État partie et ne doit pas avoir été définitivement jugé dans le pays où l’infraction a été commise, mais aussi que les faits qui lui sont reprochés doivent constituer une infraction dans le pays où ils ont été commis de même qu’au Mexique. Le Comité prend note des explications données par la délégation au sujet des dispositions du Code pénal qui permettraient aux tribunaux mexicains d’exercer leur compétence à l’égard d’infractions qui ne sont pas prévues dans la législation nationale mais qui sont visées par un instrument international ratifié par le Mexique, mais il demeure préoccupé par les situations d’impunité auxquelles ces dispositions pourraient ouvrir la voie, en particulier si le pays dans lequel des actes de torture ont été commis n’est pas partie à la Convention, ou si son droit interne ne prévoit pas l’incrimination de torture (art. 5).

57.L’État partie devrait envisager de supprimer le critère de la double incrimination pour l’infraction de torture et appliquer le principe aut dedere aut judicare dans les cas où l’auteur présumé d’actes de torture commis à l’étranger se trouve sur son territoire et où il n’est pas procédé à son extradition, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention.

Violence fondée sur le genre

58.Le Comité est gravement préoccupé par le nombre de femmes qui ont été assassinées dans l’État partie au cours de la période considérée. Les données fournies par la délégation indiquent qu’entre janvier 2015 et février 2019, pas moins de 2 745 féminicides ont été enregistrés. Le Comité relève avec préoccupation que seulement 709 jugements ont été rendus entre 2011 et 2017 dans des affaires de violence intrafamiliale et de féminicide, dont 573 condamnations et 136 décisions d’acquittement. Le Comité prend également note des renseignements communiqués par l’État partie au sujet des mesures prises pour répondre aux inquiétudes qu’il avait exprimées quant à l’impunité de ces crimes et à la non-application de la législation par de nombreux États. Le Comité prend note enfin des mesures prises par les autorités à l’égard des féminicides commis à Ciudad Juárez, ainsi que sur les mesures prises pour faire exécuter le jugement rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Femmes victimes de torture sexuelle à Atenco c. Mexique et sur les cas de Valentina Rosendo Cantú et Inés Fernández Ortega (art. 2 et 16).

59. L’État partie devrait :

a) Faire en sorte que tous les cas de violence fondée sur le genre, notamment les cas de torture sexuelle, de meurtres et de disparitions de femmes et de filles, en particulier lorsque la responsabilité internationale de l’État partie au regard de la Convention a été engagée du fait d’actions ou d’omissions des autorités ou d’autres organes de l’État, donnent lieu à une enquête approfondie, que les auteurs présumés soient poursuivis et que les victimes obtiennent réparation, y compris sous la forme d’une indemnisation adéquate ;

b) Dispenser une formation obligatoire concernant la répression de la violence fondée sur le genre aux juges, aux procureurs et aux membres des forces de l’ordre, et mener des campagnes d’information sur toutes les formes de violence à l’égard des femmes ;

c) Veiller à ce que les victimes de violences fondées sur le genre reçoivent l’assistance dont elles ont besoin dans le domaine médical, psychologique et juridique.

Traite des êtres humains

60.D’après les informations soumises par la délégation, depuis 2013, 24 condamnations ont été prononcées pour des faits de traite par des juridictions fédérales, et 725 par des juridictions locales. Aucun renseignement détaillé sur les peines appliquées n’a cependant été communiqué. Le Comité prend note des informations soumises par l’État partie sur les mesures qu’il a prises pour garantir l’accès des victimes à des recours utiles et à des mesures de réparation, mais regrette que l’État partie n’ait pas fourni les informations demandées sur la mise en place de mécanismes visant à repérer les victimes de la traite parmi les personnes détenues dans les centres pour migrants et à les orienter vers les services compétents (art. 2 et 16).

61. L’État partie devrait :

a) Continuer de s’employer à prévenir et combattre la traite des êtres humains et à protéger les victimes, en particulier en appliquant efficacement la loi générale visant à prévenir, réprimer et éliminer la traite des êtres humains et à assurer protection et assistance aux victimes ;

b) Faire en sorte que les faits de traite donnent lieu à des enquêtes approfondies, que les auteurs présumés soient traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et que les victimes soient indemnisées de manière adéquate. L’État partie devrait aussi veiller à ce que les victimes aient accès à une protection effective ;

c) Mettre en place des mécanismes efficaces pour repérer les victimes de la traite parmi les personnes détenues dans les centres pour migrants et les orienter vers les services compétents.

Défenseurs des droits de l’homme et journalistes

62.Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de meurtres et d’agressions perpétrés au cours de la période considérée contre des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes, dont certains bénéficiaient du Mécanisme de protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes. Le Comité relève que des mesures sont prises pour prévenir de tels actes et protéger la vie et l’intégrité physique de ces personnes, mais prend note avec préoccupation des informations selon lesquelles les mécanismes de protection existants ne disposent pas de ressources suffisantes et sont inefficaces. Le fait que les auteurs présumés des agressions commises contre des personnes bénéficiant de mesures de protection sont principalement des agents de la fonction publique est très inquiétant (voir l’annexe VII du rapport de l’État partie). Le Comité note également avec préoccupation que la majorité des enquêtes ouvertes sur ce type d’affaires n’aboutissent pas (art. 2, 12, 13 et 16).

63. Le Comité renouvelle la recommandation figurant dans ses précédentes observations finales (CAT/C/MEX/CO/5-6, par. 14), dans laquelle il invitait instamment l’État partie à prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes puissent exercer librement leurs activités sur son territoire, sans avoir à craindre d’être la cible de représailles ou d’agressions. L’État partie devrait en particulier :

a) Faire en sorte que le mécanisme de protection dispose des ressources humaines et matérielles nécessaires à son bon fonctionnement et que les mesures de protection décidées par celui-ci soient efficacement mises en œuvre ;

b) Doter les organes de poursuites des ressources et des outils nécessaires pour enquêter sur les agressions et le harcèlement dont sont victimes les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes ;

c) Faire en sorte que les auteurs présumés soient traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés, et que les victimes ou les membres de leur famille obtiennent réparation.

Procédure de suivi

64. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir au plus tard le 17 mai 2020 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations figurant aux paragraphes 9 a) et b), 13, 15 et 27 b).