NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/MEX/CO/46 février 2007

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑septième sessionGenève, 6‑24 novembre 2006

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

MEXIQUE

1.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique du Mexique (CAT/C/55/Add.12) à ses 728e et 731e séances, les 8 et 9 novembre 2006 (CAT/C/SR.728 et 731), et a adopté les observations finales ci‑après à sa 747e séance, le 21 novembre 2006 (CAT/C/SR.747).

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique du Mexique et se félicite du dialogue constructif et fructueux qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, compétente et de haut niveau. Il remercie également l’État partie de ses réponses détaillées à la liste des points à traiter et des informations complémentaires données par la délégation.

B. Aspects positifs

3.Le Comité note avec satisfaction que ces dernières années l’État partie a fait preuve de la plus grande ouverture à l’égard des mécanismes internationaux de surveillance des droits de l’homme et qu’il a notamment présenté des rapports à six des sept organes conventionnels relatifs aux droits de l’homme au cours des derniers mois.

4.Le Comité félicite l’État partie d’avoir ratifié, le 11 avril 2005, le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui introduit dans le système juridique de l’État partie un instrument supplémentaire de prévention de la torture, ce qui confirme la volonté qu’a l’État partie de lutter contre cette pratique et de la faire disparaître.

5.Le Comité félicite également l’État partie d’avoir fait, le 15 mars 2002, la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, par laquelle il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir des communications présentées par des particuliers, qui se déclarent victimes de torture.

6.Le Comité note avec satisfaction les efforts faits par l’État partie dans le domaine de la formation concernant l’interdiction de la torture et la protection des droits de l’homme en général ainsi que la création des unités de protection des droits de l’homme au sein des divers grands services du bureau du Procureur général de la République.

7.Le Comité félicite l’État partie d’avoir réformé l’article 18 de la Constitution de façon à créer un nouveau système de justice pénale pour les adolescents, qui privilégie notamment les mesures de substitution à l’incarcération.

8.Le Comité félicite l’État partie d’avoir mis en œuvre le Protocole d’Istanbul au niveau fédéral comme dans différents États de la République et d’avoir créé des organes collégiaux chargés de surveiller l’application du diagnostic médico‑psychologique spécialisé pour cas éventuels de torture et d’en assurer la transparence.

9.Le Comité félicite la Commission nationale des droits de l’homme pour son action de surveillance et de dénonciation des violations des droits de l’homme.

10.Le Comité note également avec satisfaction que l’État partie a adhéré aux instruments ci‑après:

a)Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le 15 mars 2002;

b)Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le 15 mars 2002;

c)Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le 15 mars 2002;

d)Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le 28 octobre 2005;

e)Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes, le 28 février 2002;

f)Convention no 182 de l’Organisation internationale du Travail de 1999, concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination, le 30 juin 2000.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

11.Le Comité note que la loi fédérale visant à prévenir et à réprimer la torture définit l’infraction de torture conformément aux dispositions de la Convention. Cependant, il s’inquiète de ce que, dans la plupart des cas, l’infraction de torture soit définie différemment dans les législations des États de la Fédération et qu’elle ne figure pas du tout dans le Code pénal de l’État de Guerrero.

L’ État partie devrait veiller à ce que tant la législation fédérale que celles des États définissent l’infraction de torture dans tout le pays conformément aux normes internationales et régionales, notamment la Convention des Nations Unies contre la torture et la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture.

12.Le Comité prend note du projet de réforme du système judiciaire qui a pour principaux objectifs d’instaurer un modèle accusatoire et oral pour les procédures pénales, de supprimer la valeur probante des aveux faits devant une autorité autre qu’un juge et d’instituer le principe de la présomption d’innocence, notamment. Il relève toutefois avec préoccupation que cette réforme n’a pas encore été adoptée. Il s’inquiète également de ce que dans de nombreuses affaires, la valeur probante de la première déclaration faite devant le procureur (déclaration au ministère public) l’emporte encore sur celle de toutes les déclarations ultérieures faites devant un juge.

L’ État partie devrait achever la réforme du système intégral de justice afin, notamment, d’instaurer un modèle de procédure pénale accusatoire et orale qui intègre totalement le principe de la présomption d’innocence et qui garantisse le respect des garanties d’un procès équitable dans l’appréciation de la preuve.

13.Le Comité constate avec préoccupation que, d’après les informations qu’il a reçues, la détention arbitraire est une pratique répandue dans l’État partie.

L’ État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour éviter le recours à toutes les formes de détention qui favorisent la torture, enquêter sur les allégations de détention arbitraire et sanctionner les responsables d’infraction.

14.Le Comité note avec préoccupation que des tribunaux militaires continuent d’être compétents pour juger les actes de torture commis sur la personne de civils par des militaires dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’inquiète également de ce que − bien qu’il existe un projet de réforme en la matière − la législation militaire ne définisse toujours pas les actes de torture commis sur la personne de militaires.

L’État partie devrait faire en sorte que les atteintes aux droits de l’homme, et en particulier les actes de torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés à des civils par des militaires, relèvent dans tous les cas de la compétence des juridictions civiles, même quand les actes en question sont censés être justifiés par les nécessités du service [voir également la recommandation que le Comité a faite dans ce sens dans son rapport d’enquête au titre de l’article 20 de la Convention (CAT/C/75, par. 220 g))]. L’État partie devrait également réformer le Code de justice militaire afin d’y introduire l’infraction de torture.

15.Le Comité est préoccupé par la pratique du placement dans des centres officieux qui, d’après les informations qu’il a reçues, est devenu une forme de détention provisoire dans des «maisons de sécurité» (casas de arraigo) gardées par des agents de la police judiciaire et du ministère public, où les suspects peuvent être maintenus 30 jours − jusqu’à 90 jours dans certains États − pendant l’enquête menée pour recueillir des éléments de preuve, y compris les interrogatoires. Tout en prenant note avec satisfaction de la décision de la Cour suprême de justice qui, en septembre 2005, a déclaré inconstitutionnel le placement dans des lieux de détention non officiels, le Comité est cependant préoccupé par le fait que cette décision judiciaire vise uniquement le Code pénal de l’État de Chihuahua et ne s’impose pas aux tribunaux des autres États.

L’État devrait, compte tenu de la décision prise par la Cour suprême de justice, faire en sorte que le placement en «casa de arraigo » soit supprimé à la fois dans la législation et dans la pratique, au niveau fédéral comme au niveau des États.

16.Le Comité est préoccupé par le fait que les autorités appliquent des qualifications pénales moins graves à des faits qui pourraient être qualifiés d’actes de torture, ce qui pourrait expliquer le faible nombre de personnes poursuivies et condamnées pour torture. Il est également préoccupé par le fait que les crimes contre l’humanité, y compris celui de torture, restent prescriptibles, bien que le Congrès soit saisi d’un projet de réforme à ce sujet.

L’État partie devrait:

a) Enquêter sans délai, de manière approfondie et impartiale, sur toutes les allégations de torture et veiller à ce que chaque enquête comprenne un examen médical effectué par un praticien indépendant conformément au Protocole d’Istanbul [voir également la recommandation formulée en ce sens par le Comité dans son rapport sur le Mexique au titre de l’article 20 de la Convention (CAT/C/75, par. 220 k))];

b) Prendre les mesures nécessaires pour garantir la formation professionnelle et l’indépendance du personnel médical qui s’occupe des victimes présumées et constate son état et faire en sorte que le Protocole d’Istanbul soit incorporé dans la législation de tous les États de la Fédération (voir par. 8 ci ‑dessus );

c) Veiller à ce que le certificat établi à l’issue de l’examen médical effectué conformément au Protocole d’Istanbul et attestant l’existence d’actes de torture soit considéré comme une preuve péremptoire dans tout procès;

d) Juger les actes de torture et les sanctionner par des peines à la mesure de la gravité des faits;

e) Achever la réforme pénale entreprise afin de garantir l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, en particulier des crimes de torture.

17.Le Comité note que le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille s’est récemment déclaré préoccupé par les dispositions de l’article 33 de la Constitution, qui confère au Président de la République le pouvoir de faire expulser immédiatement du territoire national tout étranger dont le séjour est jugé inopportun, sans décision judiciaire préalable. Le Comité s’inquiète de ce que les personnes sous le coup d’une mesure d’expulsion n’aient pas pleinement accès aux recours judiciaires qui permettraient une révision de cette décision.

L’État partie devrait, à la lumière de l’article 3 de la Convention, prendre toutes les mesures voulues pour garantir la possibilité de former des recours judiciaires afin de contester une décision d’expulsion, et veiller à ce que l’exercice de ces recours ait un effet suspensif.

18.Le Comité prend note avec préoccupation des renseignements faisant état d’un usage excessif de la force par la police lors des manifestations qui se sont déroulées à Guadalajara (Jalisco) le 28 mai 2004 et à San Salvador Atenco (Atenco) les 3 et 4 mai 2006. Il s’inquiète du nombre excessif d’arrestations arbitraires et de mises au secret ainsi que des mauvais traitements et violences de toute sorte dénoncés dans ce contexte. Des allégations du même type ont également été portées à son attention en ce qui concerne les incidents survenus récemment à Oaxaca.

L’État partie devrait:

a) Garantir que l’usage de la force ne sera envisagé qu’en dernier recours et dans le strict respect des principes internationalement reconnus de la proportionnalité et de la nécessité en fonction de la menace existante;

b) Appliquer les directives énoncées par la Commission nationale des droits de l’homme dans sa Recommandation générale n o 12 concernant l’usage illégitime de la force et des armes à feu par les fonctionnaires ou agents de l’État chargés de faire appliquer la loi, émise en janvier 2006;

c) Enquêter sur toutes les allégations de violations des droits de l’homme commises par des fonctionnaires, en particulier à l’encontre des personnes arrêtées lors des opérations policières susmentionnées, et juger et sanctionner dûment les responsables.

19.Le Comité est préoccupé par les allégations de violence exercée en particulier contre les femmes durant l’opération de police menée à San Salvador Atenco en mai 2006, spécialement par les allégations d’actes de torture, de mauvais traitement, de violence et de viol et d’autres formes de violences sexuelles telles que les attouchements et les menaces de viol, commis par des membres des forces de l’ordre et autres agents chargés de l’application des lois. À ce propos, le Comité prend note avec satisfaction de la création en février 2006 du bureau du Procureur spécial chargé d’examiner les infractions liées à des actes de violence à l’égard des femmes, qui permettra de conduire les investigations et enquêtes préliminaires en mettant en avant la dimension sexuelle de ces graves violations des droits de l’homme. Le Comité s’inquiète néanmoins de ce que l’action du Procureur spécial puisse se limiter aux infractions de droit commun ayant un lien avec les délits fédéraux.

L’État partie devrait:

a) Procéder sans délai à une enquête diligente et impartiale sur les incidents survenus pendant les opérations de maintien de l’ordre menées à San Salvador Atenco les 3 et 4 mai 2006 et veiller à ce que les responsables des violations commises soient dûment jugés et sanctionnés;

b) Veiller à ce que les victimes des actes dénoncés obtiennent une réparation juste et effective;

c) Garantir à toutes les femmes victimes de violences sexuelles l’accès à des services appropriés de réadaptation physique et psychologique et de réinsertion sociale;

d) Définir des critères transparents qui permettent de déterminer clairement, en cas de conflit de compétence entre différentes juridictions, quels sont les cas dans lesquels le bureau du Procureur spécial peut exercer sa compétence et être habilité à connaître d’infractions données commises contre des femmes.

20.Le Comité prend note des dispositions prises par l’État partie pour traiter des cas de violences commises à Ciudad Juárez contre les femmes, notamment de la création en 2004 du bureau du Procureur spécial chargé de connaître des infractions liées aux homicides de femmes commis à Ciudad Juárez, ainsi que de la Commission pour la prévention et l’élimination de la violence contre les femmes à Ciudad Juárez. Il constate néanmoins avec préoccupation que nombre des meurtres et disparitions de plus de 400 femmes enregistrés à Ciudad Juárez depuis 1993 sont toujours impunis et que des actes de violence, y compris des meurtres, continuent de se produire à Ciudad Juárez. Il est également préoccupé par les renseignements selon lesquels aucune mesure n’aurait été prise pour établir la responsabilité de plus de 170 agents de l’État qui auraient commis des infractions disciplinaires ou pénales dans le cadre de l’enquête sur ces affaires, y compris en ayant recours à la torture pour obtenir des aveux.

L’État partie devrait:

a) Intensifier ses efforts pour retrouver et sanctionner dûment les responsables de ces délits;

b) Enquêter sur les allégations d’actes de torture commis afin d’obtenir des aveux et sanctionner les agents de l’État responsables de ces actes;

c) Intensifier ses efforts pour donner effet pleinement aux recommandations formulées par le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes à l’issue de l’enquête réalisée au titre de l’article 8 du Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

21.Le Comité est préoccupé d’apprendre qu’à ce jour une indemnisation n’aurait été versée à des victimes d’actes de torture sur décision de justice que dans deux cas.

L’État partie devrait, conformément à l’article 14 de la Convention, garantir à toute victime d’un acte de torture le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible, tant par des mesures législatives que dans la pratique.

22.Le Comité est préoccupé par les rapports indiquant qu’en dépit de dispositions légales interdisant cette pratique, les autorités judiciaires continuent d’accorder valeur probante aux aveux obtenus par la violence physique ou psychique, si ceux‑ci sont corroborés par d’autres moyens de preuve.

L’État partie devrait garantir qu’aucune déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme preuve, directe ou indirecte, dans aucune procédure, conformément à l’article 15 de la Convention, sauf contre une personne accusée de torture, comme preuve du fait que la déclaration a bien été formulée.

23.Le Comité prie l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures adoptées pour donner effet aux recommandations contenues dans les présentes observations finales. Il recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures appropriées pour garantir l’application de ces recommandations, notamment en les faisant parvenir aux membres du Gouvernement et du Congrès ainsi qu’aux autorités locales, afin qu’elles soient dûment examinées et suivies d’effet.

24.Le Comité recommande à l’État partie de diffuser largement les rapports présentés par l’État partie au Comité ainsi que les présentes conclusions et recommandations, y compris dans les langues autochtones, sur les sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales.

25.Le Comité demande à l’État partie de lui adresser, dans le délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 14, 16, 19 et 20 des présentes observations finales.

26.L’État partie est invité à soumettre ses cinquième et sixième rapports, qui seront considérés comme le sixième rapport périodique, au plus tard le 31 décembre 2010.

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