Vingt-deuxième session
Compte rendu analytique de la 455e séance
Tenue au Siège, à New York, le mardi 25 janvier 2000, à 15 heures
Présidente:Mme Kim Yung-Chung (Vice-Présidente)
Sommaire
Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18 de la Convention (suite)
Rapport initial et deuxième et troisième rapports périodiques de la République démocratique du Congo (suite)
En l’absence de M me González, M me Kim Yung-Chung, Vice-Présidente, prend la présidence.
La séance est ouverte à 15 h 5
Examen des rapports présentés par les États partiesconformément à l’article 18 de la Convention (suite)
Rapport initial et deuxième et troisièmerapports périodiques de la Républiquedémocratique du Congo (suite) (CEDAW/C/ZAR/1, CEDAW/C/ZAR/2 et Add.1 et CEDAW/C/COD/1)
À l’invitation de la Présidente, la délégation de la République démocratique du Congo prend place à la table du Comité.
Observations générales
M me Aouij salue les efforts déployés par la République démocratique du Congo pour rétablir l’état de droit et honorer les obligations que lui imposent les traités internationaux qu’elle a signés, en particulier la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’oratrice a la certitude que les femmes seront de très précieux acteurs du développement et de la société civile une fois la paix rétablie et la réforme législative menée à bien. Elle se demande si le Gouvernement a procédé à d’éventuelles évaluations de son programme triennal minimum 1997-2000. Elle s’enquiert également des mesures visant à amender les lois discriminatoires à l’égard des femmes que sont notamment les restrictions à leur liberté de se déplacer et de choisir leur domicile, les atteintes à leur droit de conclure des contrats, de travailler, d’administrer leurs biens ou d’embrasser la magistrature sans le consentement de leur mari, ainsi que la persistance de la pratique dégradante de la dot. Les femmes encourent des peines plus sévères que les hommes dans les affaires d’adultère et le rapport ne mentionne aucune mesure prise pour lutter contre le phénomène très répandu de la polygamie. Toutefois, elle se félicite de la création du Conseil national de la femme, des Conseils provinciaux de la femme proches de la réalité sur le terrain et d’un Ministère des affaires féminines, ainsi que de la rédaction d’une nouvelle Constitution assortie de dispositions explicites sur l’égalité des sexes et les droits des femmes. À terme, toute la législation nationale, notamment le Code de la famille, le Code pénal et le Code du travail, devra être harmonisée avec les dispositions de la nouvelle Constitution.
M me Manalo félicite l’État partie pour ses rapports précis, transparents et sincères ainsi que pour ses efforts pour faire appliquer la Convention et rétablir la démocratie. Elle se fait l’écho des appels à une paix rapide, laquelle est essentielle pour garantir les droits des femmes; elle dit que les rapports imputent à l’état de guerre l’absence dans le pays d’un programme d’éducation universelle et d’un parlement. Elle souhaiterait obtenir des informations sur des mesures ou programmes spécifiques qui visent à instaurer l’égalité de facto des femmes, en particulier les actions de lutte contre les pratiques coutumières et traditionnelles, comme les mutilations génitales et la polygamie, et contre les représentations stéréotypées de l’infériorité de la femme. L’État partie devrait, dit-elle, préciser quel est le ministère véritablement chargé des questions féminines. Elle se demande si la République démocratique du Congo s’applique à amplifier l’action des organisations non gouvernementales qui jouent un rôle essentiel dans le renforcement de la société civile et la concrétisation des droits des femmes. Elle déplore que la République démocratique du Congo ne dispose d’aucun programme d’aide en faveur des femmes dans les microentreprises, qui représentent une grande part du produit national, ni d’aucun mécanisme de protection des femmes en périodes de conflit ou contre la polygamie, la traite, la prostitution et la violence dans la famille. Enfin, elle souhaite connaître les actions concrètes menées par le Gouvernement pour associer les femmes aux efforts de développement postconflit.
Article 2
M me Goonesekere dit qu’il est essentiel de surveiller de près l’exercice des droits des femmes et des enfants en temps de guerre, en particulier dans un pays où près de la moitié de la population a moins de 14 ans, groupe d’âge composé pour plus du tiers de fillettes. Elle convient de la nécessité d’harmoniser toutes les branches du droit, notamment le droit civil, le droit pénal et le droit coutumier, avec la nouvelle Constitution conformément à l’article 2 de la Convention. À ce sujet, l’État partie pourrait souhaiter examiner l’expérience de l’Afrique du Sud qui a adopté une nouvelle Constitution tout en permettant d’assurer son application effective.
Elle souligne la contradiction entre la garantie constitutionnelle de la primauté des traités internationaux sur la législation nationale et l’incapacité des pouvoirs publics à se conformer à certaines dispositions de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de plusieurs conventions de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Enfin, elle abonde dans le sens du paragraphe 9 de l’article 2 de la Convention en vertu duquel l’État partie doit abroger toutes ses dispositions discriminatoires sur l’adultère.
Article 3
M me Ouedraogo demande si l’État partie dispose de ressources suffisantes pour mettre en œuvre ses programmes en faveur des femmes. Elle souhaiterait être informée sur le pourcentage du budget national alloué à cette fin et fait observer que les députées pourraient jouer un rôle essentiel en faisant campagne pour l’obtention de crédits. Elle insiste sur la nécessité de maintenir le statut du ministère chargé des affaires féminines et s’enquiert des modalités d’application de la Convention dans le cadre du plan d’action en cours d’élaboration par la République démocratique du Congo. Elle apprécierait également des informations sur le dispositif national de protection des droits des femmes et sur d’éventuelles mesures de discrimination positive prises par le Conseil national de la femme à cet effet eu égard aux obstacles à la participation des femmes à la vie publique. Se référant au rapport initial de l’État partie, elle dit qu’une description du mode de fonctionnement du pouvoir législatif durant la phase de transition gouvernementale aiderait le Comité à formuler des recommandations sur l’instauration de quotas et sur d’autres approches garantissant l’exercice des droits des femmes.
Article 5
M me Khan félicite l’État partie pour ses rapports sincères et clairs mais insiste sur la nécessité pour le Gouvernement de s’employer à modifier les pratiques traditionnelles et culturelles discriminatoires. À cet égard, Mme Khan souhaite obtenir une description plus claire de la polygamie en République démocratique du Congo et, en particulier, connaître le statut juridique des épouses supplémentaires. Elle se demande si les autorités envisageraient d’interdire la pratique de la dot dans le cadre d’une révision du Code de la famille. L’État partie compte un impressionnant dispositif de défense des droits des femmes, notamment un ministère responsable des affaires féminines et un Conseil national de la femme, et a pu recenser dans son troisième rapport les obstacles aux progrès dans les domaines comme la santé et l’éducation. Il n’est donc pas aisé de dire au juste pourquoi l’État partie a tant de mal à mettre ses programmes en œuvre. Il serait utile d’analyser les causes de ces difficultés (le manque de ressources, la coordination insuffisante, par exemple).
M me Ouedraogo dit que les stéréotypes, malheureusement très répandus dans de nombreux pays africains, valorisent les femmes uniquement comme épouses et mères. Pire encore, certaines traditions persistent qui assimilent les femmes à des objets, telles le lévirat qui veut que le frère d’un défunt épouse la veuve de celui-ci. Certaines traditions congolaises comportent néanmoins des traits positifs. Le rapport initial du pays signale, par exemple, que, chez les Lunda, ce sont les femmes qui gardaient les armoiries du chef à son décès pour les transmettre à son successeur. Une vaste diffusion médiatique des contes et légendes populaires relatant de telles traditions pourrait contribuer à faire évoluer les mentalités sur le long terme. L’oratrice propose que l’appareil national de promotion de la femme associe le ministère responsable de la culture ou des communications à la diffusion d’une image positive des femmes.
L’oratrice dit que le Comité national sur les mutilations génitales féminines pourrait bénéficier de l’expérience de comités analogues créés dans d’autres pays africains. Son propre pays, le Burkina Faso, a poursuivi une stratégie de diffusion de l’information sur les incidences néfastes des mutilations génitales féminines auprès des moteurs d’opinion dans toutes les régions du pays, notamment les chefs traditionnels, les chefs religieux musulmans et les responsables d’organisations de femmes rurales, en leur demandant de coopérer à la diffusion du message. Le succès considérable de cette stratégie montre qu’une action nationale clairement définie, pourvu qu’elle soit vigoureusement mise en œuvre, peut avoir des effets positifs même face à des problèmes délicats et profondément enracinés.
Article 7
M me Corti reconnaît qu’il est difficile de faire progresser la situation des droits des femmes en période de conflit et exprime sa solidarité aux femmes et enfants morts victimes de la guerre injuste menée en République démocratique du Congo. Elle signale, par ailleurs, que les femmes congolaises ont montré leur aptitude à contribuer à l’effort de guerre et à jouer des rôles non traditionnels, s’attirant ainsi la bonne volonté des pouvoirs publics dont elles pourraient tirer profit une fois la paix rétablie. Le Ministère des affaires sociales et de la famille ne doit pas perdre de vue que nul progrès n’est possible sans volonté et pressions politiques.
Au nombre des obstacles à la participation politique des femmes, le rapport fait état d’attitudes invétérées et du manque de solidarité parmi les femmes elles-mêmes peu enclines à accorder leurs suffrages à des candidates. Dans de nombreux pays, ces caractéristiques accompagnent souvent l’amélioration de la condition féminine et doivent être enrayées par l’éducation à l’autonomisation. L’appareil national de promotion de la femme doit entreprendre une campagne majeure d’éducation des femmes à la démocratie et à l’action politique de manière à combler le « déficit démocratique » qui ressort clairement des statistiques communiquées au Comité et dont souffrent même les comités populaires récemment créés en vue de décentraliser l’exercice du pouvoir.
L’État partie devrait donner de plus amples détails sur le partenariat avec les organisations non gouvernementales mentionné dans les rapports. Les organisations vouées aux intérêts des femmes ne semblent pas manquer, mais un renforcement du dialogue et des contacts entre le Gouvernement et ces organisations pourrait rendre leur action plus efficace. Lors de son exposé, la délégation a signalé que plusieurs organisations non gouvernementales se sont regroupées autour d’une plate-forme commune contre la violence à l’égard des femmes pour défendre l’adoption d’une loi en la matière. L’oratrice souhaiterait en connaître davantage sur cette plate-forme, sur les groupes participants et sur les chances de voir leur action aboutir.
Article 9
M me Goonesekere dit qu’il importe de féliciter l’État partie pour ses règles relatives à la nationalité autorisant la transmission de la nationalité de la mère ou du père à ses enfants et garantissant le droit des femmes de conserver leur nationalité indépendamment de celle de leurs époux. Toutefois, ces règles relatives à la nationalité sont quelque peu amoindries dans la mesure où elles relèvent du Code de la famille qui restreint fortement la capacité juridique des femmes mariées, notamment leur droit d’acquérir un passeport sans le consentement de leurs époux. La cohérence veut que soit levée cette restriction à l’obtention du passeport. La question de la nationalité est si fondamentale qu’elle pourrait éventuellement être élevée au rang constitutionnel ou faire l’objet d’une loi distincte.
Article 10
M me Corti félicite l’État partie d’inscrire l’éducation pour tous dans sa constitution au rang de droit fondamental bien que la réalité du pays dans ce domaine est très éloignée de l’objectif fixé. Les principales préoccupations de l’oratrice sont celles des rapports et concernent en l’occurrence les très faibles taux de fréquentation et de réussite scolaires chez les filles ainsi que les taux très élevés d’analphabétisme des femmes rurales. La baisse constante de la part du budget national allouée à l’éducation est troublante même si l’on tient compte de la guerre.
Dans sa présentation orale, la délégation a déclaré que l’éducation du pays combine deux systèmes éducatifs : un ancien et un nouveau. L’oratrice souhaiterait obtenir des précisions à ce sujet, savoir dans quelle mesure la scolarité est gratuite et connaître le ratio entre écoles publiques et écoles privées. Elle apprécierait également tout renseignement sur l’accès à des informations spécifiques d’ordre éducatif tendant à assurer la santé et le bien-être des familles, notamment l’information sur la planification familiale (art. 10 h) de la Convention).
Article 11
M me Khan se dit heureuse de constater que l’État partie reconnaît le droit des femmes au travail, ainsi qu’à l’avancement et à la stabilité professionnels. Elle partage les préoccupations exprimées dans les rapports sur les dispositions discriminatoires du Code du travail, notamment l’interdiction faite à une femme d’entrer sur le marché du travail si son époux s’y oppose. L’impossibilité pour les femmes fonctionnaires de prendre un congé l’année où elles ont déjà eu un congé de maternité traduit l’incapacité à comprendre que le congé de maternité n’est pas une faveur spéciale mais un droit reconnaissant à la maternité son rôle social majeur. Elle a lu avec intérêt que des conventions collectives ont modifié certaines dispositions discriminatoires du Code du travail dans le privé, témoignant d’une certaine influence des syndicats dans le secteur. Elle souhaiterait obtenir plus d’informations à ce sujet et savoir également si d’éventuelles mesures ont été prises pour modifier ces dispositions discriminatoires dans le secteur public.
Quoique conçue comme une mesure de protection, l’interdiction faite aux femmes de travailler la nuit leur ferme l’accès à de nombreux métiers et constitue souvent un obstacle à leur avancement. Aussi cette interdiction devrait-elle uniquement s’appliquer aux femmes enceintes ou ayant des problèmes de santé. Elle souhaite savoir si d’éventuelles dispositions du Code du travail, comme les dispositions relatives au salaire minimum, s’appliquent au secteur informel.
Pour ce qui est des retraites, autre domaine de discrimination à l’égard des femmes, l’État partie devrait préciser si toutes les épouses de mariages polygames ont droit à une part de la pension de réversion.
Dans la mesure où de nombreuses femmes travaillent dans des microentreprises et où leur capacité à être titulaires de titres fonciers n’est pas clairement établie, l’oratrice demande si le Gouvernement envisage de mettre en place des programmes de microcrédit dispensant les femmes d’offrir des garanties.
Article 12
M me Abaka fait remarquer qu’il n’est pas surprenant de constater la dégradation des services de santé et la hausse de la mortalité maternelle en période de guerre. De même, le conflit armé, dit-elle, a considérablement compliqué la collecte des données et la mise en œuvre d’initiatives dans les divers domaines intéressant le Comité. Elle espère que la paix sera bientôt rétablie et que l’État partie réaffectera alors les ressources, actuellement mobilisées pour l’effort de guerre, afin de répondre aux besoins urgents des secteurs comme la santé et l’éducation.
Elle dit que la contraception est peu pratiquée, en particulier en regard de plusieurs pays voisins dotés de traditions culturelles similaires. Elle espère que l’État partie saura profiter de leur expérience pour promouvoir une plus grande utilisation des méthodes contraceptives dans la planification familiale. Elle se dit troublée de constater que l’article 178 du Code pénal interdit l’étalage, la distribution ou la vente de contraceptifs alors même que le pays s’est doté d’un Programme en faveur des naissances souhaitées; elle estime que l’État partie devrait préciser laquelle de ces deux orientations est véritablement mise en œuvre. Elle se demande si la hausse du nombre de grossesses chez les adolescentes est due à l’augmentation des cas de viols perpétrés durant le conflit armé.
Elle déplore fortement que, dans une tribu en particulier, les femmes célibataires sont assimilées à des sorcières et soumises à des actes de violence. D’autres pays africains en proie à des superstitions similaires ont mis en œuvre des programmes et promulgué des lois pour les combattre; il importe d’urgence que le Gouvernement mette un terme à ces pratiques en se dotant d’une nouvelle législation et de programmes de sensibilisation. Les initiatives de lutte contre les mutilations génitales féminines constituent un autre domaine où le Gouvernement pourrait tirer profit de l’expérience réussie d’autres pays africains.
Article 14
M me Ouedraogo félicite l’État partie pour les données, ventilées par sexe, communiquées dans ses rapports. Il conviendrait de réexaminer le plan d’action en cours de préparation pour qu’il donne la priorité aux femmes rurales, généralement les plus en butte à la discrimination dans les domaines comme la santé et l’éducation. Le rôle des femmes dans la perpétuation des mentalités et pratiques traditionnelles constitue souvent un obstacle majeur à leur avancement, et il serait utile d’examiner comment leur quotidien se ressent des formes de discrimination à leur égard, en particulier durant leurs grossesses et par rapport à leurs fonctions maternelles. Il importe avant tout de mieux sensibiliser les femmes à leurs droits, en particulier en zones rurales; il conviendrait d’informer et d’éduquer les femmes en la matière et de faire connaître le texte de la Convention.
Article 15
M me González dit que l’égalité devant la loi est essentielle au plein exercice des droits des femmes. Les femmes de la République démocratique du Congo se heurtent à de nombreux obstacles en la matière, notamment le manque d’informations et de connaissances sur leurs droits. Par exemple, la violence dans la famille est contraire à la loi, mais les femmes congolaises ont rarement les connaissances, l’instruction ou l’estime de soi nécessaires pour intenter des actions en justice.
L’oratrice se dit très préoccupée par le sort de filles congolaises âgées de 8 à 12 ans qui se prostituent par ignorance ou parce qu’elles sont malades, ou bien parce qu’elles ont été abandonnées par leurs parents. Il incombe d’urgence aux femmes du monde entier de prendre toutes les mesures possibles pour arracher ces enfants à cette terrible tragédie qui les expose aux risques de maladies sexuellement transmissibles, notamment le VIH/sida, et menace ainsi gravement leur santé.
Article 16
M me Goonesekere dit que la notion d’autorité absolue du mari au sein du ménage est omniprésente et nie les droits des femmes dans de nombreux domaines comme la nationalité et l’emploi en dépit du caractère officiellement favorable aux femmes d’une grande partie de la législation de l’État partie. Cette notion réside au cœur de la discrimination indissociable de la législation congolaise et est contraire à de nombreux articles majeurs de la Convention. L’oratrice se demande d’où vient la notion d’autorité du mari car aussi bien le Code Napoléon que la common law anglaise l’invoquent uniquement dans le cas des femmes mariées et non pour les femmes non mariées du ménage.
L’âge précoce du mariage fixé à 15 ans, voire 14 ans, selon les rapports de l’État partie, est préjudiciable à la santé et à l’éducation des jeunes femmes. Le Gouvernement devrait le modifier au regard des prescriptions du droit international auxquelles il a souscrit.
La séance est levée à 16 h 45.