Session extraordinaire

Compte rendu analytique de la 581e séance

Tenue au Siège, à New York, le mercredi 14 août 2002 , à 15 heures

Président :Mme Abaka

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18de la Convention ( suite)

Quatrième et cinquième rapports périodiques du Yémen (suite)

La séance est ouverte à 15 h 10.

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18 de la Convention (suite) ( CEDAW/C/YEM/4-5; CEDAW/PSWG/2002/EXC/ CRP.1/Add.11; CEDAW/PSWG/2002/EXC/CRP.2/Add.2)

Quatrième et cinquième rapports périodiquesdu Yémen (suite)

À l’invitation de la Présidente, M me  Kaid (Yémen) prend place à la table du Comité.

Articles 15 et 16

M me Kwaku, notant qu’au Yémen, la loi sur le statut personnel autorise le mariage des jeunes filles dès l’âge de 15 ans, demande à la délégation de clarifier la disposition selon laquelle aucun contrat de mariage ne peut être conclu si l’une des parties est mineure, « sauf justification claire » (CEDAW/C/YEM/4, par. 205). Étant donné que, conformément à cette même loi, un époux ne peut conduire sa femme au domicile conjugal que si elle est « préparée et apte aux rapports sexuels », Mme Kwaku demande qui détermine si une jeune fille est apte ou non, et si l’on procède à un examen médical. La délégation yéménite devrait fournir des chiffres, indiquant notamment le pourcentage de jeunes filles qui se marient à l’âge de 15 ans, voire plus tôt, ainsi que les sanctions pénales prises éventuellement à l’encontre des parents. La délégation devrait également évoquer le problème, chez les femmes yéménites, de fistules vaginales vésiculaires, étant donné le nombre de mariages précoces. Enfin, la délégation devrait également présenter tout programme visant à permettre aux jeunes femmes de poursuivre des études après le mariage et après un accouchement.

Le Gouvernement yéménite devrait reconsidérer très sérieusement sa décision de ne pas modifier la disposition légale qui donne au mari la maîtrise totale de sa femme. Les sociétés patriarcales utilisent souvent l’alibi de la religion pour perpétuer des pratiques discriminatoires qui, en réalité, sont d’origine culturelle.

M me Livingstone Raday se félicite de la volonté du Gouvernement yéménite d’améliorer la situation en matière d’alphabétisation des femmes, et de développer la participation des femmes à la vie de la société; mais, en même temps, l’oratrice pose la question de la capacité à atteindre ces objectifs. Elle croit savoir qu’il existe un écart de plus en plus important entre les hommes et les femmes en matière d’alphabétisation : on compte 76 % de femmes adultes analphabètes contre 33 % d’hommes adultes, mais le fossé se creuse encore au sein des générations plus jeunes – 56 % de jeunes analphabètes de sexe féminin contre 18 % de garçons. Dans ce contexte, on est sérieusement préoccupé par la fermeture, sur décision de justice, en 1999, du Centre de recherche empirique et d’étude sur les femmes, étant donné l’importance que peuvent avoir les recherches visant à des réformes juridiques concernant la situation des femmes.

Si les femmes et les jeunes filles sont opprimées au sein de la famille, elles ne sont pas en mesure de réaliser leur potentiel éducatif et professionnel. Il y a un lien direct entre les mariages précoces, l’obligation d’obéissance au mari, la polygamie, le taux des naissances extrêmement élevé et la pauvreté.

La disposition selon laquelle le consentement d’une jeune fille vierge à l’union matrimoniale « s’exprime par le silence » conduit non seulement à des débuts très problématiques pour le mariage en question, mais aussi à des pressions, de la part des familles, pour contraindre les jeunes filles au mariage. Bien que la délégation yéménite ait affirmé que le viol n’existait pas au Yémen, le journal The Yemen Observer a, semble-t-il, relaté, en mai 2000, la condamnation à 20 ans de prison d’un homme ayant violé sa fille à plusieurs reprises, ainsi que celle de la jeune fille en question à cinq ans d’emprisonnement. Mme Livingstone Raday déclare ne pas comprendre de quel crime la victime pouvait être coupable, en l’occurrence.

Le fait que les femmes n’aient pas droit à une part égale des biens matrimoniaux ou à une pension de maintien après la « période d’attente » (iddah – ou période d’attente avant de pouvoir se remarier) ne fait que contribuer à une féminisation de la pauvreté. La polygamie pose également un problème en termes économiques, dans la mesure où elle fait qu’un grand nombre d’enfants dépend financièrement d’un seul et même chef de famille.

Étant donné que la pratique de la préretraite ne peut qu’engendrer davantage de pauvreté chez les femmes âgées, l’oratrice demande si le Gouvernement yéménite a éventuellement envisagé de faire en sorte que la retraite à 55 ans ne soit qu’une option facultative. Les femmes qui ont besoin de continuer à travailler devraient y être autorisées, afin de faire vivre leur famille et de pouvoir vivre décemment elles-mêmes.

M me Goonesekere déclare que l’importance du travail des enfants, ainsi que des taux élevés de fécondité et d’analphabétisme, sont des caractéristiques de nombreux pays en développement. La discrimination à l’égard des femmes devrait être considérée avant tout comme un problème de développement; les pays qui ne résoudront pas ce problème rapidement ne peuvent aspirer à une croissance durable. C’est précisément dans ce contexte que le Comité a exprimé ses préoccupations. Les meilleures pratiques existantes montrent que, si elles sont scolarisées, les filles ne peuvent pas être exploitées en tant que travailleuses; et, ultérieurement, en tant qu’adultes, elles pourront être des partenaires actives du développement économique.

Mme Goonesekere demande instamment au Gouvernement yéménite de reconsidérer d’urgence l’âge de la majorité. En effet, un jeune garçon de 15 ans n’est pas suffisamment mûr pour se voir octroyer la « capacité contractuelle » – que ce soit à des fins matrimoniales ou professionnelles.

Contrairement à de nombreux systèmes juridiques tels qu’ils ont été constitués à l’origine, la loi islamique a reconnu de longue date qu’une femme devrait être autorisée à divorcer au motif de cruauté de son partenaire. Par conséquent, la tradition, religieuse et autre, peut avoir des aspects positifs pouvant servir de base à une réforme du Code pénal et de la Loi sur la nationalité – entre autres textes.

M me Corti se félicite de l’attention toute particulière accordée au problème des personnes âgées, tout en soulignant la vulnérabilité spécifique de ces personnes en termes de pauvreté. D’après le rapport, quelque 300 personnes âgées vivant à Sanaa, Taïz, Hodeïda et Aden ont bénéficié d’une aide spéciale, notamment en matière de logement et d’alimentation. Mme Corti demande de quelle manière se fait le choix des bénéficiaires de cette aide.

Évoquant divers autres problèmes majeurs, elle ajoute que la question du taux élevé des naissances ne peut être réglée sans l’adoption d’une politique nationale de planification familiale. Mme Corti déclare encore que, si elle a bien compris, les femmes sont soustraites à la peine de mort lors d’une grossesse et pendant une période donnée, après un accouchement. Par conséquent, la délégation devrait préciser clairement si la peine capitale est toujours en vigueur au Yémen. Elle demande également quelles dispositions contient le plan de santé quinquennal en matière de lutte contre le cancer chez les femmes.

Mme Kaid (Yémen) souligne que la loi sur le statut personnel autorise une jeune fille à se marier lorsqu’elle est « prête », mais en aucun cas avant l’âge de 15 ans. Des efforts sont déployés en vue de reporter l’âge minimum pour le mariage à 18 ans; mais il y a, dans ce domaine, une forte opposition au sein du Parlement. Il est assez difficile d’obtenir des chiffres plus précis au sujet de l’âge du mariage au Yémen. Il faut espérer que l’âge moyen pour le mariage – 20 ans chez les femmes et 22 ans chez les hommes – augmentera encore grâce à une amélioration de la situation en matière de scolarisation.

À l’heure actuelle, on compte 800 cas de séropositivité/sida parmi les ressortissants étrangers vivant au Yémen. Aussi des programmes de sensibilisation des femmes ont-ils été entrepris. Des mesures préventives ont également été prises afin de traiter le problème des rapports sexuels en dehors du mariage. Une aide médicale et psychologique est apportée aux personnes atteintes du sida.

Les jeunes filles qui se sont mariées et ont eu un enfant à un âge précoce sont encouragées à poursuivre leurs études et à participer à des programmes d’alphabétisation.

Mme Kaid ajoute que son pays fait tout ce qui est en son pouvoir pour promouvoir l’éducation des femmes, car les autorités ont la conviction que l’instruction est le fondement même de l’émancipation des femmes. En ce qui concerne l’article 40 de la loi sur le statut personnel – qui stipule qu’une épouse doit avoir l’accord de son mari pour sortir du domicile conjugal –, Mme Kaid souligne que ce texte est fondé sur une pratique culturelle. Le mariage est fondé sur le respect mutuel des deux époux; en d’autres termes, les femmes ont des responsabilités vis-à-vis de leur mari et doivent également le respecter. En réalité, les femmes yéménites peuvent fréquenter l’université ou rendre visite à leur famille; mais c’est en fait d’un point de vue moral qu’elles doivent, en permanence, informer leur époux du lieu où elles se trouvent. Cependant, Mme Kaid reconnaît qu’il y a des contradictions entre la tradition, d’un côté, et la Charia, de l’autre. En effet, la loi islamique accorde de nombreux droits aux femmes.

Au sujet de l’héritage, Mme Kaid souligne d’abord que les dépenses liées au ménage sont la prérogative exclusive du mari. En fait, le Yémen est l’un des nombreux pays musulmans où de nombreuses femmes occupent des postes élevés à l’extérieur de leur foyer et ont des salaires importants pour ces emplois. Mais, pour ce faire, les femmes doivent poursuivre des études, éventuellement à l’étranger. À l’heure actuelle, le Yémen met en œuvre des programmes avec le concours de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et d’autres organisations internationales; le Yémen participe également, avec l’Organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture (ISESCO), à un partenariat très productif, visant à la réduction de l’analphabétisme.

Même si la poursuite d’études supérieures est fondamentalement, pour les femmes, un choix personnel, Mme Kaid reconnaît que le mariage impose des limites à la femme, notamment lors d’une grossesse. De plus, les mariages précoces contribuent à augmenter le taux de fécondité. Mme Kaid se dit consciente des nombreux cas d’adultère dans son pays; toutefois, en dépit de recherches approfondies, elle n’a trouvé aucune trace du cas d’inceste mentionné par Mme Livingstone Raday. Une femme est autorisée à divorcer d’un mari violent à son égard ou envers lequel elle nourrit des sentiments de haine. Le principe religieux de la période de trois mois (ou iddah) qu’elle doit observer avant de pouvoir se remarier vise à garantir qu’elle n’est pas enceinte de son ex-mari. D’autre part, la loi islamique autorise également un homme à prendre une seconde épouse si sa première femme est stérile ou gravement malade.

En matière de nationalité, les autorités yéménites ont correctement répondu aux préoccupations du Comité. La législation yéménite autorise la double nationalité; par ailleurs, Mme Kaid est convaincue que des progrès seront accomplis sur la question du refus d’octroyer la nationalité yéménite aux enfants nés d’un mariage avec un ressortissant étranger – situation qui existe également dans les pays voisins, dotés de lois similaires.

Au sujet des personnes âgées, Mme Kaid explique que l’Islam considère comme une pratique honteuse, pour une famille, le fait d’abandonner ses membres les plus âgés. Certes, les personnes âgées sont libres de vivre dans des maisons de retraite extérieures à leur famille; il n’en reste pas moins que les familles ressentent l’obligation de veiller sur elles. Les autorités offrent un domicile ou un hébergement aux personnes âgées qui n’ont pas de parents susceptibles de s’occuper d’elles; cependant, c’est là un phénomène que l’on constate essentiellement dans les grandes villes, car le fait de placer une personne âgée en institution est beaucoup plus stigmatisé dans les villages où, grâce à une solidarité familiale plus marquée, ce phénomène est rare – même si les équipements pour personnes âgées existent. Enfin, le Fonds pour le développement social et de nombreuses organisations caritatives apportent une aide à des personnes âgées en matière de logement et d’alimentation; mais cela ne touche qu’un nombre de personnes assez faible.

Pour des raisons religieuses, la peine de mort est maintenue au Yémen. Au sujet des femmes atteintes d’un cancer du sein ou de l’utérus, Mme Kaid renvoie les membres du Comité au cinquième rapport périodique du Yémen (CEDAW/C/YEM/5, p. 69). Grâce à la prédominance de l’allaitement au sein, censé réduire les risques de cancer du sein, cette forme de cancer est plutôt rare au Yémen. De toute manière, le pays a mis en oeuvre de nombreux programmes de sensibilisation des femmes aux premiers symptômes du cancer. On crée de plus en plus de centres de traitement du cancer, ayant recours notamment à la chimiothérapie, et, même si ce type de traitement est très coûteux, l’État aide les plus démunis à en bénéficier. On n’avait pas recours, par le passé, à la radiothérapie; mais aujourd’hui, avec le concours de l’Agence canadienne de Développement international, le ministère de la Santé publique du Yémen contribue à la création d’une Unité de Radiologie.

La Présidente félicite la délégation pour sa participation au dialogue avec le Comité. Les conclusions du Comité devraient être largement diffusées à tous les niveaux du gouvernement et de la société, afin que le pays dans son ensemble puisse contribuer à garantir l’application intégrale des dispositions de la Convention, et que les femmes yéménites soient les égales des hommes. La Présidente se félicite de l’engagement de la délégation yéménite à la ratification, dans les plus brefs délais, du Protocole facultatif à la Convention, ainsi qu’à l’adoption de l’amendement au paragraphe premier de l’article 20. Elle forme l’espoir que le sixième rapport périodique du Yémen traduira une véritable amélioration non seulement de la condition des femmes, mais aussi de celle des hommes, dans la mesure où l’amélioration de la condition féminine profitera à l’ensemble de la société yéménite et stimulera le développement global du pays.

La séance est levée à 16 h 5.