Vingt-sixième session

Compte rendu analytique de la 538e séance

Tenue au Siège, à New York, le mardi 22 janvier 2002, à 10 heures

Présidente :Mme Abaka

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18 de la Convention (suite)

Rapport initial des Fidji (suite)

La séance est ouverte à 10 h 20.

Examen des rapports présentés par les États partiesconformément à l’article 18 de la Convention (suite)

Rapport initial des Fidji (suite) (CEDAW/C/FJI/1)

À l’invitation de la Présidente, la délégation des Fidji prend place à la table du Comité.

M me  Salabula (Fidji), répondant à certaines questions posées par les membres du Comité, dit qu’une large gamme d’organisations non gouvernementales ont participé à la rédaction du rapport et que le Gouvernement avait fait circuler une liste de leurs noms aux membres du Comité.

En juillet 2000, le Cabinet fidjien et le grand Conseil des chefs ont souscrit à un schéma directeur pour la protection et la promotion des autochtones d’origines fidjienne et rotumane, qui tend à créer un environnement propice à une action législative et à des changements de politiques, afin de permettre aux Fidjiens et aux Rotumans d’exercer leurs droits à l’autodétermination et de renforcer leurs possibilités. Les Fidjiens et les Rotumans constituent 51 % de la population des Fidji, se reproduisent plus rapidement que la population dans son ensemble, sont propriétaires de la plupart des terres et ont des droits de propriété coutumiers et des droits de pêche traditionnels sur plus de 80 % des terres. Assurer la primauté de leurs intérêts et leur participation équitable à la vie de la nation est donc une condition nécessaire à la paix, à la stabilité et au développement durable des Fidji.

Le Ministère des femmes et de la culture a demandé au Gouvernement d’intégrer une perspective sexospécifique dans le schéma directeur en vue de permettre aux femmes fidjiennes et rotumanes de bénéficier d’une part équitable des possibilités et des avantages. Le Gouvernement reconnaît l’importance de cette initiative et a demandé à tous les ministères et départements de contribuer à la formulation de plans sur 10 et 20 ans. En outre, il a lancé des programmes locaux afin de sensibiliser les communautés autochtones aux objectifs fixés.

Bien qu’il n’existe aucune législation incorporant la Convention dans le droit interne, la ratification a débouché sur une réforme législative. Les articles 42 et 43 de la Constitution garantissent également le respect de la Convention. L’article 42 crée une commission des droits de l’homme qui a, entre autres, pour fonction de faire des recommandations au Gouvernement en ce qui concerne le respect de la loi sur les droits de l’homme. La Convention est donc une réalité.

Les Fidji n’ont qu’une seule femme juge et elle a en fait invoqué la Convention dans ses décisions. La Convention a également été citée dans un jugement rendu par la Magistrates Court. Comme la Constitution garantit les principes de l’égalité et de la non-discrimination, directe ou indirecte, fondée sur des caractéristiques ou des circonstances réelles ou supposées, notamment le sexe, le Gouvernement a été obligé d’élaborer des programmes et des politiques visant à appliquer l’égalité entre les sexes.

La Bulubulu, pratique essentielle à la communauté autochtone d’origine fidjienne est utilisée pour régler les conflits et renforcer les liens de parenté. Malheureusement, l’acceptation de la bulubulu a conduit de nombreuses femmes victimes de délits sexuels à ne pas déclarer le crime ou à accepter la libération de l’auteur du crime ou la réduction de la peine qui lui est infligée. Le Gouvernement s’efforce de remédier à ces abus et d’accroître la sensibilisation à la nature néfaste de cette pratique. Certaines familles refusent d’avoir recours à la bulubulu, d’autres l’acceptent tout en laissant le processus juridique suivre son cours. Une réforme juridique est en cours afin de codifier les options et les directives pénales et d’éliminer les pratiques informelles de sentence qui se sont glissées dans le système juridique.

Il n’y a qu’une seule femme juge à la Cour suprême. Quatre femmes sont actuellement membres de la Magistrates Court et deux ont démissionné à la suite du coup d’État de mai 2000. Malheureusement, la plupart des projets de loi qui ont précédé le coup devront être à nouveau soumis au Parlement. La réforme de la référence à la preuve a conduit à la formulation de deux projets de loi, le projet de preuve en matière civile, qui était prêt à être signé par le Président avant le coup et le projet de preuve en matière pénale, qui améliorerait la législation en matière de collaboration, un domaine intéressant les femmes. Des organisations non gouvernementales ont été consultées à diverses étapes de la réforme juridique.

La Commission des droits de l’homme est un organe indépendant et autonome chargé d’enquêter sur les allégations de violation des droits de l’homme et de traitement injuste dans l’emploi. Bien qu’elle ne suive pas l’application de la Convention, conformément à la loi sur les droits de l’homme et les termes de toute autre loi écrite, elle protège les droits de l’homme de toutes les personnes aux Fidji et encourage leur respect et elle est financée par le Parlement et d’autres sources. Aux termes de la loi, ces fonds doivent être suffisants pour satisfaire les besoins de la Commission et garantir son indépendance et son impartialité. Elle est présidée par l’Ombudsman, nommé par le Président; l’un de ses premiers membres était une femme.

Le Bureau de l’Ombudsman a été créé en 1970 mais a malheureusement été sous-utilisé comme moyen de recours dans les cas de plaintes de discrimination et de traitement injuste. La Commission des droits de l’homme et le Bureau de l’Ombudsman sont les seuls moyens d’obtenir réparation en cas de violation des droits de l’homme.

Le Gouvernement a entrepris d’intégrer une démarche soucieuse d’équité entre les sexes dans toutes les politiques, les programmes et les projets gouvernementaux, un audit sur le plan de l’égalité des sexes sera par conséquent incorporé dans la stratégie. À l’heure actuelle, l’audit est un projet pilote des Ministères de la santé et de l’agriculture. Les indicateurs du développement seront identifiés et les résultats mesurés en vue de détecter les écarts entre les sexes et d’intégrer les questions sexospécifiques dans les politiques.

La délégation fidjienne a fait circuler un organigramme du Ministère des femmes. Le budget pour chaque ministère est d’abord approuvé par le Parlement et ensuite examiné par le Cabinet et d’autres organes. Les membres des équipes spéciales gouvernementales sont sélectionnés de manière à assurer la participation des organisations gouvernementales et de la société civile à leurs travaux. Le Département de la sécurité sociale a été le Président de l’Équipe spéciale chargée de la question de la violence contre les femmes et les enfants.

Le plus grand obstacle à la jouissance par les femmes de leurs droits sociaux et culturels est le manque de compréhension du lien entre l’équité entre les sexes et le développement. Les croyances sociales et culturelles sont profondément ancrées dans les deux sexes. Le Ministère offre des programmes d’autonomisation sociale et culturelle, couvrant des sujets tels que la connaissance du droit, l’éducation des votants et la formation aux fonctions de direction, aux compétences, au règlement des conflits et l’autonomisation économique. Il met en évidence les préoccupations stratégiques des femmes aux niveaux national et communautaire et prévoit de dispenser, en coopération avec des organisations de la société civile, une formation aux questions sexospécifiques au sein du Gouvernement. Vu les ressources limitées disponibles, cela représente une tâche énorme.

Bien qu’en août 2001, le taux de participation des femmes aux conseils d’administration, conseils et commissions ait été de 18,9 %, la cible fixée dans le plan d’action en faveur des femmes est de 30 à 50 % d’ici à 2008. Le Ministère des femmes gère une base de données sur les femmes qualifiées et fournit des noms lorsque cela est nécessaire pour la nomination aux conseils d’administration et aux comités. La plupart des femmes membres de tels conseils sont des membres actifs d’organisations de la société civile.

Le programme du Gouvernement pour la réduction de la pauvreté fournit une assistance familiale aux personnes incapables de travailler du fait de leur âge, d’un handicap ou de maladie; finance la construction d’habitations pour les sans-abri; et offre aux familles pauvres des fonds d’amorçage pour des projets générateurs de revenus. Le Ministère des femmes gère un programme de microcrédit qui fournit une formation aux compétences aux femmes, administre des professionnels, et offre des programmes d’alphabétisation juridique, de santé en matière de procréation et d’autonomisation sociale. Le Ministère du commerce a également un régime de microfinancement qui fournit une aide aux femmes pauvres.

Le National Women’s Advisory Council est composé d’experts en droit et en sciences sociales ainsi que de femmes activistes et d’universitaires qui sont nommés pour un mandat de deux ans. Leur mandat a expiré en 2001 et le Ministère examine actuellement les mécanismes institutionnels mis en place pour la mise en œuvre du Plan d’action en faveur des femmes.

Il n’existe aucune législation spécifique prévoyant un traitement égal pour un travail de valeur égale. Les femmes ont commencé à entrer sur le marché du travail au début des années 50, en tant que sténographes, infirmières et enseignantes. Elles commencent maintenant à se porter candidates à des postes traditionnellement occupés par des hommes. En 1999, la Commission de la fonction publique a mis en place une politique des chances égales qui fournit une directive et une norme pour les autres organes gouvernementaux; le Département de la police a adopté une politique des chances égales en 1994. Toutefois, la loi sur l’emploi est dépassée et doit être alignée sur les normes internationales minima des droits de l’homme. Le Gouvernement s’efforce d’introduire une nouvelle législation sur les relations industrielles compatible avec la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Parmi les mesures adoptées récemment figure un amendement protégeant les femmes travaillant la nuit.

Les employées de maison sont connues sous le nom de « filles de maison ». Aux termes de la loi sur l’emploi, le personnel domestique est composé de personnes travaillant dans une habitation non associée à un commerce, entreprise ou profession et peuvent être des cuisiniers, domestiques, bonnes d’enfants, jardiniers, blanchisseuses, gardes ou chauffeurs. La loi prévoit des contrats verbaux juridiquement contraignants, le droit à un paiement en temps voulu, le droit à une notification de licenciement ou à un paiement en lieu de notification, la protection contre le licenciement sommaire et le droit de recevoir une rémunération au moment du licenciement et interdit la déduction sur les salaires pour raison de mauvais travail ou de négligence.

Ce n’est que récemment que la violence domestique a commencé à être considérée comme une question publique et un crime. Des campagnes par les médias et des ateliers communautaires sont organisés pour améliorer la prise de conscience de ce problème et les stéréotypes commencent à changer. En outre, les Ministères des femmes, de la santé et de l’éducation réalisent des programmes de formation communautaire afin de promouvoir la responsabilité partagée au foyer; des programmes semblables sont exécutés par des organisations non gouvernementales et des organisations de la société civile.

Le Ministère des femmes, en coopération avec le Programme des Nations Unies pour le développement, offre aux fonctionnaires des programmes de formation aux questions sexospécifiques; il prévoit d’élargir ce programme à tous les secteurs du Gouvernement, notamment dans les régions rurales, dans le but de créer un environnement gouvernemental non discriminatoire. Il a également l’intention, en coopération avec le Ministère de l’agriculture, d’introduire l’audit sur le plan de l’égalité des sexes en 2002, et d’offrir une formation aux compétences en matière d’analyse de l’impact sexospécifique. L’Académie de police a également intégré une perspective soucieuse des questions d’égalité entre les sexes dans tous les aspects de ses programmes de formation. Deux officiers de police ont suivi une formation aux questions sexospécifiques et l’un d’entre eux a été formé en vue de dispenser une formation. Le Département de la police, un employeur offrant des chances égales aux deux sexes, encourage les femmes à se porter candidates à des postes de haut rang.

Les organisations féminines ont œuvré avec les médias pour faire prendre conscience des stéréotypes sexuels aux journalistes, particulièrement lorsqu’il s’agit de faire état de crimes tels que le viol. Le reportage sensationnel et parfois inexact de tels cas tend à perpétrer les opinions fausses populaires et à représenter les victimes comme étant, en dernier lieu, responsables de l’assaut. Il faut déployer des efforts concertés pour améliorer l’image des femmes dans les médias et pour rendre les médias plus réceptifs aux questions féminines et aux besoins en matière de développement.

Passant aux questions de l’article 6, Mme Salabula dit que la Commission chargée de la réforme juridique a recommandé que la prostitution soit décriminalisée et soit plutôt réglementée. La police considère la prostitution comme un problème économique et a suggéré que le Gouvernement y remédie en accroissant les prestations d’aide familiale et les allocations de subsistance pour les mères célibataires. Des rapports anecdotiques suggèrent que les prostituées sont exploitées du fait de leur vulnérabilité et que des officiers de police ont utilisé leurs services. Le Gouvernement devrait également examiner les récentes déclarations faites par des travailleuses migrantes chinoises qui ont été recrutées pour des emplois légitimes mais qui en fait se sont trouvées forcées à se prostituer.

La violence contre les femmes et les enfants est la violation des droits de l’homme la plus répandue et a représenté un obstacle majeur à la participation des femmes au développement. Certaines formes de violence bien ancrées ne sont pas reconnues comme des crimes par la société, étant expliquées comme des « disciplines familiales » et par conséquent ignorées. Parallèlement à un changement des politiques et de procédures en cas de mauvais traitements des enfants, il est essentiel d’avoir recours à une législation pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et des enfants.

En ce qui concerne l’article 7 et la participation des femmes à la vie publique, l’article 38 de la Constitution encourage l’égalité des sexes et la non-discrimination. Le Gouvernement actuel est attaché à la parité entre les sexes dans les postes de prise de décisions. À cette fin, le Ministère des femmes œuvre en coopération avec une équipe spéciale pour parvenir à un équilibre en vue de mettre en œuvre le plan d’action en faveur des femmes. L’objectif stratégique d’équilibre entre les sexes dans la prise de décisions consiste à promouvoir une représentation équilibrée et la pleine participation des femmes dans les structures du pouvoir et à créer un environnement propice à l’égalité des chances dans le secteur public, le secteur privé et l’éducation.

Passant à la question de l’éducation, Mme Salabula dit que le Gouvernement élabore le programme d’enseignement. Les écoles gérées par des organisations religieuses ont des programmes spéciaux d’enseignement de la religion auxquels tous les étudiants participent, mais chaque étudiant a le droit à la liberté de religion. Tous les postes d’enseignant, y compris ceux de haut niveau, sont annoncés ouvertement et les femmes ont des chances égales. Les bourses sont annoncées publiquement et une démarche préférentielle a été adoptée pour assurer l’équité. Le Gouvernement prévoit d’offrir une formation à la magistrature et aux forces de police en matière d’égalité entre les sexes.

Pour ce qui est de la santé, aux Fidji, la tabagie a été identifiée comme un risque important en matière de santé. Des données ventilées par sexe sur la tabagie ne sont pas disponibles, mais des preuves indirectes montrent qu’une large proportion de femmes fument. Afin de renverser la tendance, des taxes ont été imposées sur le tabac et les cigarettes. Le Ministère de la santé a entrepris une campagne médiatique encourageant la vasectomie en tant que possibilité de contrôle des naissances, mais vu la stigmatisation de cette forme de contraception, les hommes n’y ont pas répondu.

Passant à la question des femmes rurales, Mme Salabula dit que, par le passé, la sécurité sociale n’était pas un problème pour les femmes rurales du fait du filet de sécurité fourni par la famille élargie dans les villages. Avec les changements survenus dans la structure familiale et la migration vers les villes, les personnes âgées nécessitant une aide doivent s’adresser au Gouvernement et aux organisations en dehors de la famille. Le Gouvernement s’efforce de résoudre la question de l’accès au crédit des femmes rurales. Aux Fidji, les ressources terriennes et marines sont propriété commune et les femmes ont accès à ces ressources, bien que peu d’entre elles aient une propriété individuelle.

Des préoccupations ont été exprimées quant à plusieurs aspects de la loi sur la famille et un projet de loi sur la famille couvrant nombre des questions préoccupantes, a été présenté au Parlement. Malheureusement, les événements politiques ont repoussé son examen, mais il sera à nouveau présenté dans un avenir proche et un financement pour la première phase de la réforme structurelle est déjà assuré. Traditionnellement, les garçons ont un avantage sur les filles en ce qui concerne l’héritage. Cet aspect de la loi est également à l’examen.

Enfin, Mme Salabula dit que les réponses aux questions restantes seront fournies dans le prochain rapport périodique.

M me  Schöpp-Schilling prie instamment le Gouvernement de poursuivre les réformes juridiques mises en route avant le coup d’État. Tout en reconnaissant l’importance du schéma directeur concernant la communauté fidjienne et l’intégration des questions sexospécifiques, il convient de ne pas désavantager les femmes d’autres groupes ethniques. Le Gouvernement devrait appliquer toutes les mesures spéciales temporaires à toutes les femmes des Fidji. Elle espère que les Fidji continueront à utiliser leur vibrante société civile pour mettre en œuvre la Convention.

M me  Goonesekere dit que la justiciabilité des droits dans le secteur privé doit être éclaircie. Les politiques sont peut-être adéquates pour réglementer le secteur public, mais des lois se sont révélées nécessaires pour remédier à la discrimination dans le secteur privé.

La Présidente dit qu’elle est heureuse de savoir que la ratification d’un instrument international conduit à son application dans le droit interne aux Fidji, particulièrement du fait que le Protocole facultatif à la Convention a été ratifié. Il serait bon de savoir si les juges masculins comme les juges féminins invoquent la Convention dans leurs décisions.

Bien que le Comité reconnaisse l’importance des pratiques culturelles, toute pratique ayant un impact négatif ou discriminatoire sur les femmes doit être modifiée, particulièrement s’agissant de la violence sexuelle. Il est nécessaire d’accroître la prise de conscience de l’impact de la pratique de bulubulu sur les victimes d’un crime tel que le viol. Elle est préoccupée par le fait que les tribunaux qualifient la violence domestique de « discipline familiale ». La recommandation générale No 19 du Comité sur la violence au foyer pourrait être utile pour sensibiliser à ce problème en tant que problème de développement. La prostitution est également un problème grave et l’attitude de la police et des médias crée une grande préoccupation. La pauvreté force souvent les femmes à se prostituer et il faut explorer toutes les possibilités de leur fournir d’autres moyens de gagner leur vie.

Les Fidji, en se conformant à la Convention, montrent l’exemple aux pays des îles du Pacifique et elle espère que leur expérience sera largement disséminée dans la sous-région.

La séance est levée à 11 h 45.