Vingt-cinquième session
Compte rendu analytique de la 514e séance
Tenue au Siège, à New York, le lundi 9 juillet 2001, à 10 h 30
Présidente :Mme Abaka
Sommaire
Examen des rapports présentés par les États parties en vertu de l’article 18 de la Convention (suite)
Rapport initial et deuxième rapport périodique de Singapour
La séance est ouverte à 10 h 35.
Examen des rapports soumis par les États partiesen vertu de l’article 18 de la Convention (suite)
Rapport initial et deuxième rapport périodiquede Singapour (CEDAW/C/SGP/1 et 2)
À l’invitation de la Présidente, les membres de la délégation de Singapour prennent place à la table du Comité.
Un film sur la situation des femmes à Singapour est visionné.
M me Yu-Foo (Singapour), en présentant le rapport initial ainsi que le second rapport périodique de Singapour (CEDAW/C/ SGP/1 et 2), dit que depuis que Singapour a accédé à l’indépendance en 1965, le Gouvernement s’est efforcé de réaliser des progrès bénéficiant à tous les Singapouriens, sans considération de race, de langue ou de religion. La ratification de la Convention et la création en conséquence d’un comité interministériel pour en contrôler l’application ont mis l’accent sur l’égalité entre les sexes. Le rapport initial et le deuxième rapport périodique reflètent les apports des groupes de femmes qui ont été encouragées à faire part de leurs propres commentaires sur son contenu.
Des progrès notables ont été accomplis au cours des 36 dernières années pour améliorer le statut des femmes en s’appuyant sur quatre grands principes : l’égalité des chances fondée sur le mérite, la mise en valeur des ressources humaines, l’intégration des femmes et l’accumulation du capital social.
Singapour est une petite nation dépourvue de ressources naturelles. Sa population constitue son unique ressource. C’est une société pluraliste dans laquelle coexistent plusieurs races, plusieurs langues et plusieurs religions. Par conséquent, elle ne peut pas se permettre de gaspiller du potentiel humain ni de tolérer des inégalités d’accès aux opportunités mettant en jeu l’harmonie sociale.
La preuve est faite que l’éducation a été la clef du progrès à Singapour, en créant des opportunités pour les femmes et en modifiant leurs attentes à propos de leur rôle et de leur statut. La politique d’intégration des femmes, au lieu de les définir comme un groupe à privilégier, leur a donné confiance dans leur valeur intrinsèque et dans leurs compétences. L’accumulation du capital social est importante, parce que dans une société dans laquelle hommes et femmes sont perçus à travers leurs relations à autrui dans le contexte de la famille et de la communauté, l’instauration de relations plus fortes entre individus appuie et enrichit la vie de chacun.
Les quatre principes directeurs mentionnés ci-dessus, conjugués à une bonne gouvernance et à un développement économique rapide, ont produit des progrès économiques et sociaux considérables. Ainsi, en 2000, sur 174 pays, Singapour figure à la vingt-quatrième place pour l’indice du développement humain, reflétant les progrès réalisés en matière d’espérance de vie, d’éducation et de revenu. Les disparités entre hommes et femmes, mesurées par divers indicateurs, se sont sensiblement réduites.
L’état de droit prévaut à Singapour et le peuple fait résolument confiance au système juridique. Simultanément, le désir des habitants de Singapour de préserver leurs valeurs culturelles, de protéger la famille et de promouvoir la cohésion sociale a joué un rôle important dans la législation nationale pour défendre les droits et la dignité de chacun. Bien qu’il n’existe aucune législation spécifique interdisant la discrimination fondée sur le sexe, le principe d’égalité de tous devant la loi est inscrit dans la Constitution et toute personne dont les droits ont été violés peut saisir les tribunaux locaux. Les personnes qui n’ont pas les moyens de payer un avocat ont droit à l’assistance juridique.
La Charte des droits de la femme, promulguée en 1961, préserve les droits des femmes durant le mariage et après le divorce. Elle contient des dispositions sur des questions telles que l’entretien et la garde des enfants ou la validité du mariage. La Charte a été amendée en 1996 pour reconnaître le rôle de gardienne ou de gardien du foyer, lors de la répartition des biens matrimoniaux ainsi que pour offrir une plus grande protection aux membres de la famille victimes de violence intrafamiliale. Un tribunal de la famille a été fondé en 1995. Par la suite, le Centre pour l’administration du droit de la famille a été mis en place afin de coordonner les services et programmes du tribunal à l’intention des familles et des membres ayant un différend ainsi que pour leur fournir des services d’appui psychologique et de médiation.
Dans le cas de femmes musulmanes, les droits personnels sont régis par la loi sur l’administration du droit islamique de 1966. En vertu de cette loi, des tribunaux spéciaux ont été mis en place pour statuer, lorsque les deux parties sont musulmanes, sur des différends ayant trait à des questions telles que le mariage, la dissolution du mariage et le divorce.
Son gouvernement a adopté une démarche interministérielle multidisciplinaire pour lutter contre la violence au foyer, mettant en place un réseau qui couvre toute l’île pour permettre aux victimes d’accéder aux services appropriés. Il existe des programmes de soutien psychologique obligatoires et d’autres qui ne le sont pas, dont les fonctions sont la réhabilitation des auteurs de violences intrafamiliales ainsi que l’appui aux victimes et à leurs enfants. Des programmes d’éducation du public ont été lancés pour sensibiliser davantage à la violence au foyer.
Le Code pénal protège les femmes de toute une série de crimes sexuels tels que décrits aux paragraphes 6.10 à 6.13 du rapport initial. Il importe de noter que les femmes ne sont pas soumises aux châtiments corporels. La pornographie est interdite, et les sites web pornographiques sont bloqués tandis que le Code de pratique publicitaire dispose qu’aucune publicité ne peut, de façon directe ou indirecte, discriminer de façon abusive ou dénigrer un sexe, une race ou une religion. Les comités civiques exercent un rôle de contrôle des médias.
Les progrès réalisés dans le domaine de la santé se reflètent dans une amélioration considérable des indicateurs sanitaires, notamment pour les femmes. Par exemple, en 1999, l’espérance de vie à la naissance pour ces dernières s’élevait à 80 ans, le taux de mortalité infantile est descendu à 3,3 pour 1 000 naissances vivantes en comparaison d’un taux de 8 pour 1 000 en 1980, le taux de mortalité maternelle est tombé à 0,1 pour 1 000 naissances vivantes et mort-nés, l’un des plus bas au monde. Le Comité national pour la santé des femmes a été mis en place en 1997 pour examiner leurs problèmes de santé et proposer de nouveaux programmes pour combler les lacunes existantes.
L’augmentation rapide du nombre de personnes âgées, majoritairement des femmes, pose des problèmes dans le domaine de la prestation des soins de santé. Le niveau d’instruction des femmes âgées de 65 ans et plus est considérablement plus bas que celui des hommes du même âge; leurs économies sont également moindres, ce qui signifie qu’elles seront davantage dépendantes de leurs enfants sur le plan financier. Son gouvernement continuera d’examiner les difficultés confrontant les femmes âgées de manière à être en mesure de satisfaire au mieux leurs différents besoins.
Singapour attache une importance considérable à l’éducation, à la formation et à l’apprentissage permanent en vue de préparer les citoyens à une économie axée sur les connaissances. Au cours des 35 dernières années, le taux d’alphabétisation a augmenté de 20 % chez les hommes et de 46 % chez les femmes. Celles-ci représentent actuellement 50 % des étudiants universitaires et 46 % des étudiants de l’enseignement polytechnique. Suite à l’entrée en vigueur de la loi sur l’enseignement obligatoire en janvier 2003, les études primaires sont devenues obligatoires dans les écoles publiques. En pratique, les taux d’inscription primaire et secondaire sont quasiment universels, sans grande différence entre garçons et filles. Le taux moyen d’abandons scolaires entre 1997 et 1999 a été de 0,3 %, les filles représentant 45 % du ce total.
La participation des femmes à la main-d’œuvre est passée de 20 % en 1965 à 56 % en 2000. En outre, les femmes sont aujourd’hui mieux représentées dans les fonctions mieux payées ainsi que dans les domaines traditionnellement réservés aux hommes, notamment la technologie de l’information. Elles occupent des postes de direction opérationnelle et de direction générale dans des entreprises du secteur des services. La principale préoccupation dans le domaine de l’emploi concerne les travailleurs plus âgés, en particulier les femmes qui, en raison de leur niveau d’instruction moins élevé, sont remplacées par du personnel plus jeune. Son gouvernement a lancé de nombreux programmes de formation et de recyclage pour tenter de résoudre ce problème. Il a également créé un fonds pour l’éducation permanente pour améliorer les compétences à tous les niveaux ainsi que pour promouvoir la valeur de l’éducation permanente. Bien que les femmes ne soient pas contraintes au service militaire, elles ont la latitude de trouver un emploi au sein des forces armées, en bénéficiant des mêmes possibilités que les hommes en matière d’emploi et de carrière.
L’engagement de son gouvernement à l’égard du principe d’une rémunération identique entre hommes et femmes pour un travail de même valeur s’est manifesté par sa décision de ratifier la Convention pertinente de l’Organisation internationale du Travail. En fait, ce principe est appliqué depuis longtemps à Singapour, l’écart des salaires entre hommes et femmes est largement explicable par le niveau d’instruction plus bas des femmes âgées ainsi que par le désir des femmes de placer la famille avant la carrière. Les enquêtes montrent qu’une proportion notable de femmes continue de choisir de renoncer à la carrière pour fonder une famille.
Son gouvernement estime qu’imposer des quotas n’est pas rendre justice aux femmes. Dans la vie politique et publique, par exemple le fait qu’il n’y ait que six femmes au Parlement sur 92 députés constitue néanmoins un progrès sur la situation prévalant il y a 14 ans lorsque aucune femme n’était membre du Parlement. Aussi longtemps qu’elle n’a pas de casier judiciaire, rien ne s’oppose à ce qu’une femme entre en politique, crée son parti ou se présente comme candidate. D’un autre côté, la question de la participation politique des femmes n’a fait l’objet d’aucune mesure. À l’heure actuelle, il existe une femme ministre dans le service public, mais 25 % des ministres adjoints sont des femmes, 42 % sont juges dans les tribunaux de première instance et 11 % dans les tribunaux de grande instance. L’Ambassadeur de son pays à Washington est une femme.
À Singapour, les valeurs familiales et la famille étendue priment sur les conditions économiques et sur un cadre législatif robuste favorisant le bien-être des hommes et des femmes ainsi que sur l’État et la communauté. Le Gouvernement réexamine les politiques et les programmes pour renforcer la famille, notamment pour aider les femmes à concilier les obligations professionnelles et familiales. Diverses mesures en faveur de la famille ont été récemment annoncées. Dans la fonction publique, plusieurs initiatives ont été lancées en octobre 2000, telles que le congé payé lors du mariage et le congé parental, le télétravail et les horaires flexibles. En outre, diverses modalités sont mises en place pour aider les mères qui travaillent, notamment des incitants fiscaux et le financement de garderies d’enfants.
Le Ministre du développement communautaire et des sports a nommé un comité d’éducation publique de la famille qui accorde une grande priorité au partage des responsabilités entre époux dans le ménage. Garçons et filles étudient l’économie ménagère à l’école et une sensibilisation accrue se fait jour sur l’importance du rôle du père dans l’éducation des enfants. Le Centre for Fathering (Centre de paternité, Singapour), un organisme sans but lucratif, cherche à former les pères aux compétences parentales. Un comité interministériel chargé de l’application de la Convention a été créé en juillet 1996 pour suivre sa mise en œuvre et inciter tous les ministères à exercer un suivi permanent des politiques affectant les femmes.
Singapour a adopté une démarche participative en dialoguant avec les organisations féminines, des organisations non membres ainsi que des organisations non gouvernementales et des organismes publics. Les femmes disposent de nombreuses voies de communication pour faire entendre leur voix sur les politiques qui les concernent, notamment sur la Convention et dans les débats au Parlement.
En ce qui concerne les réserves relatives à la Convention, elle dit que la pratique de son gouvernement, avant d’accéder à une convention internationale, est de s’assurer de ses possibilités d’appliquer pleinement les obligations qu’il a contractées. Par conséquent, ce sont ces réserves qui permettent à Singapour d’accéder à la Convention. Au cours de la préparation du deuxième rapport périodique, son gouvernement a accordé la plus grande attention à la possibilité de retirer ses réserves; toutefois, dans le contexte actuel des lois en vigueur, des valeurs et des usages, leur maintien s’est avéré pour l’instant nécessaire.
Bien que Singapour ait, dans une large mesure, respecté les obligations inscrites aux articles 2 et 16 de la Convention, la Constitution garantit aux minorités la liberté de culte et de pratiques religieuses personnelles. Ces dispositions constitutionnelles sont indispensables pour préserver les équilibres délicats de la société multiraciale et multiculturelle de Singapour, avec ses quatre cultures dominantes : chinoise, malaise, indienne et eurasienne. Par conséquent, vu que certaines dispositions de la loi sur l’administration du droit islamique pourraient ne pas être tout à fait conformes avec la Convention, son gouvernement a estimé qu’il fallait maintenir les réserves à propos de ces articles afin de respecter le droit des citoyens musulmans d’observer leurs règles personnelles et les lois de leur religion. En outre, le paragraphe 2 de l’article 12 interdit expressément toute discrimination dans certains domaines de la vie publique ou privée pour motifs de religion, de race, d’origine ou de lieu de naissance.
S’agissant de la question de la nationalité en fonction de l’ascendance, elle fait remarquer que le paragraphe 1 de l’article 122 de la Constitution accorde la citoyenneté aux enfants nés à l’étranger pour autant que le père possède la nationalité singapourienne de naissance ou par naturalisation et que la naissance soit déclarée dans l’année. Un enfant né à l’étranger d’une mère de nationalité singapourienne et d’un père étranger doit faire l’objet d’une demande de naturalisation. La raison principale est d’accorder d’abord au père étranger la possibilité de faire enregistrer son fils ou sa fille pour leur donner la nationalité de son propre pays. Singapour ne reconnaît pas la double nationalité et, selon les valeurs et normes dominantes, c’est principalement au père qu’incombe la responsabilité de l’enfant. Par conséquent, son gouvernement a jugé nécessaire de maintenir ses réserves.
La loi sur l’emploi n’est pas d’application pour les personnes dans des postes de direction ou de confiance, ni pour les marins ni pour les employées de maison. Cette exclusion n’étant pas basée sur le sexe, elle ne discrimine pas les femmes qui travaillent, bien qu’elle puisse donner l’impression que Singapour ne respecte pas intégralement l’article 11 de la Convention. Bien qu’il n’existe pas de législation s’appliquant spécifiquement aux travailleurs qui ne sont pas couverts par la loi sur l’emploi, un employé pénalisé par des pratiques injustes peut demander une assistance au Ministère de la main-d’œuvre ou saisir les tribunaux civils pour obtenir satisfaction.
Le paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention invite les États parties à soumettre à l’arbitrage tout différend concernant l’interprétation de la Convention qui n’a pas pu être réglé par voie de négociation. Singapour a fait part de ses réserves à cet égard, ainsi qu’expressément autorisé par le paragraphe 2 de l’article 29, réaffirmant son droit concernant sa politique intérieure. Son gouvernement a émis des réserves semblables lors de son accession à d’autres conventions. Ces réserves n’ont pas constitué un frein aux progrès des femmes à Singapour; le Gouvernement les réexamine périodiquement.
Dans l’ensemble, les politiques et la législation de Singapour sont neutres à l’égard des sexes. Des différences existent cependant, comme l’obligation du service militaire, les modifications toujours possibles dans la législation, les politiques et les procédures en fonction des besoins de la société. La situation des femmes sera améliorée par une participation accrue à la vie politique et publique, par un partage plus équitable des responsabilités familiales et l’inscription des femmes dans les domaines d’enseignement principalement réservés aux hommes.
Son gouvernement continuera de revoir la législation en vigueur afin de protéger les droits des femmes et des filles et d’assurer l’égalité de leurs droits en qualité de citoyennes. Les femmes plus jeunes sont aujourd’hui plus instruites que les hommes du même groupe d’âge; moins d’entre elles abandonnent l’école et un plus grand nombre poursuit des études supérieures. Alors que les femmes plus âgées ont gardé en mémoire les attitudes et les comportements du passé, pour les femmes plus jeunes, l’égalité entre les sexes ne constitue pas un problème.
Notant que le futur s’avère très positif pour les femmes à Singapour, elle souligne que la société évolue, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, ainsi que ses lois et ses politiques. Elle ajoute qu’elle serait sincèrement honorée si les membres du Comité se rendaient à Singapour pour y constater par eux-mêmes la condition et le statut des femmes; ils y rencontreraient des hommes et des femmes en mesure d’attester que les idéaux de la Convention sont une réalité de leur vie quotidienne.
La Présidente rend hommage à l’État partie pour la qualité des rapports dont le Comité a été saisi, pour les mesures prises pour intégrer les questions féminines dans la plupart des ministères, pour le niveau élevé d’instruction et d’espérance de vie atteint par les femmes à Singapour ainsi que pour avoir réussi à éliminer la dette extérieure du pays. Néanmoins, elle se déclare profondément préoccupée par les réserves émises par le Gouvernement à propos de la Convention qui donnent l’impression que l’amélioration de la condition des femmes à Singapour s’inscrit dans un cadre de protection sociale plutôt que dans le cadre des droits de l’homme.
M me Gabr félicite l’État partie pour la qualité de ses rapports et pour sa présentation orale. Singapour a atteint un niveau élevé de développement humain, mais il convient de garder à l’esprit qu’améliorer le statut des femmes constitue une composante essentielle de ce développement et beaucoup reste encore à faire.
Elle appuie les observations de la Présidente à propos des réserves et invite le Gouvernement à réexaminer sa position. Prenant la parole en sa qualité de musulmane et de ressortissante d’un État musulman, elle tient à souligner que l’Islam n’exige pas de telles réserves. En particulier, elle ne comprend pas pourquoi le Gouvernement a estimé nécessaire d’introduire des réserves à propos de l’article 11 de la Convention.
M me Livingstone Raday exprime sa vive satisfaction de reconnaître le développement économique et social de Singapour et ne voit pas pourquoi un progrès similaire n’a pas été réalisé dans le domaine des droits des femmes; en particulier, elle se demande pourquoi la discrimination fondée sur le sexe ne peut être intégrée à l’interdiction constitutionnelle de discrimination et pourquoi il n’est pas possible d’avoir une garantie constitutionnelle d’égalité entre les sexes. Les réserves du Gouvernement ne sont pas appropriées pour un pays aussi avancé et les membres de sa délégation invitent le Gouvernement à les retirer. Par exemple, les femmes appartenant à des communautés minoritaires devraient bénéficier des mêmes garanties juridiques que les autres femmes, et la notion que l’homme est chef de famille est une relique du passé patriarcal du pays.
M me Schöpp-Schilling invite à son tour le Gouvernement de Singapour à examiner à nouveau ses nombreuses réserves, ainsi que la possibilité d’inclure dans la Constitution des dispositions spécifiques interdisant la discrimination fondée sur le sexe. Il est essentiel que le Comité obtienne des statistiques complètes, ventilées selon le sexe, sur tous les secteurs de la société afin de permettre une véritable comparaison entre la situation des hommes et celle des femmes. Rappelant les notions de discrimination intentionnelle et de discrimination de facto contenues dans l’article premier de la Convention, elle se demande si le Gouvernement et le système judiciaire de Singapour comprennent vraiment ces concepts et si le Gouvernement fait réellement un effort pour déceler les formes de discrimination indirecte ainsi que les barrières invisibles empêchant les femmes d’accéder à une véritable égalité. De meilleures informations statistiques permettraient de contribuer à identifier les cas de discrimination indirecte, par exemple de savoir si les employés de maison qui sont exclus du champ d’application de la loi sur l’emploi sont principalement des femmes. De meilleures statistiques seraient utiles en général pour chacun des articles de la Convention.
M me Achmad fait également part de sa préoccupation à propos des réserves de Singapour tout en invitant l’État partie à retirer celles qui sont fondées sur des considérations religieuses. Elle rappelle le nombre croissant de femmes qui sont chefs de famille et souligne la nécessité de garanties constitutionnelles en matière d’égalité entre les sexes. La démarche adoptée par le Gouvernement de Singapour accorde une trop grande importance à la famille et au rôle de la femme en tant qu’épouse et gardienne du foyer. Au contraire, il est indispensable de modifier les rapports de pouvoir entre hommes et femmes et plutôt que d’aider les femmes à supporter un fardeau supplémentaire, il conviendrait davantage de commencer à construire un véritable partenariat et d’instaurer l’égalité en rejetant les stéréotypes culturels traditionnels.
M me Shin relève qu’à Singapour le principal obstacle à un plus grand progrès en faveur de l’égalité des femmes semble être l’adhésion à ce que l’on pourrait définir comme valeurs asiatiques, notamment l’importance de la famille et le rôle de l’homme comme chef du foyer et principal soutien de famille. Cette conception est incompatible avec la définition de la discrimination énoncée à l’article premier de la Convention et, en dépit de l’accent placé sur le partage des responsabilités entre hommes et femmes, Singapour doit complètement abandonner l’idée qu’au sein de la famille, la femme est principalement responsable de l’éducation des enfants et du ménage. À son tour, elle invite le Gouvernement à réfléchir aux définitions de la discrimination énoncées à l’article premier et de retirer ses réserves à propos des articles 2, 9 et 11, qui sont des articles fondamentaux de la Convention.
M me Manalo dit que la ratification de la Convention implique l’acceptation de ses objectifs, notamment l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Les réserves de l’État partie semblent peu conformes à ces objectifs. La ratification implique également être disposé à écarter les barrières traditionnelles et culturelles telles que les conceptions patriarcales de la famille et de la société, et cependant, la Constitution ne contient aucune disposition spécifique portant sur la discrimination fondée sur le sexe. Les questions liées à l’égalité entre les sexes semblent toujours être d’importance secondaire et, par conséquent, elle invite instamment l’État partie à en faire une priorité législative et politique. À cette fin, l’État partie devrait rapidement retirer ses réserves aux articles 2, 9, 11, 16 et 29 dans la mesure où celles-ci ont pour effet d’annuler de nombreuses obligations découlant de la Convention. Elle se demande également comment la notion d’intégration des femmes est perçue par l’ensemble de la société singapourienne.
M. Melander fait remarquer que les restrictions imposées par Singapour sur l’entrée, le séjour, l’emploi et le départ des étrangers impliquent une certaine discrimination en matière d’immigration et il se demande s’il y a une discrimination quelconque à l’égard des femmes en droit et en fait.
M me Corti déplore également l’absence de protection constitutionnelle contre la discrimination fondée sur le sexe. Notant le poids attaché à l’importance de la famille, elle déclare que, compte tenu du rôle important joué par les femmes dans la famille, il est d’autant plus essentiel de mettre en avant leurs droits et de les protéger. Elle déplore les réserves de Singapour à propos de l’article 2 de la Convention. En ce qui concerne les principes d’égalité et de mérite, elle se demande s’il existe des règles, des lois ou des critères permettant d’évaluer les mérites relatifs de chaque individu et si cette évaluation est vraiment neutre à l’égard des deux sexes.
M me Taya dit que, bien que la Constitution garantisse l’égalité de chacun devant la loi, il n’existe aucun véritable cadre légal pour définir ou prévenir la discrimination, notamment la discrimination indirecte, conformément à la Convention. Bien que la famille soit sans nul doute importante, à un moment où davantage de femmes entrent sur le marché du travail, et compte tenu du vieillissement de la population et d’un taux de fécondité relativement faible, il est d’autant plus important que les rôles des hommes et des femmes au sein de la famille soient fondés sur un véritable partenariat ainsi que stipulé dans la Charte des femmes. Il est tout aussi important que des définitions de la discrimination ainsi que les dispositions de la Convention soient incorporées dans la législation nationale.
M me Goonesekere note non seulement l’absence dans la Constitution de dispositions spécifiques contre la discrimination fondée sur le sexe, mais également de mécanismes de mise en vigueur en vue de faire respecter ses dispositions relatives à l’égalité. Le principe du mérite implique l’égalité des chances et elle se demande si une femme d’une famille pauvre ou une femme occupant un poste de direction, auxquelles on aurait dénié leur droit au congé de maternité, peuvent saisir les tribunaux pour des motifs constitutionnels, et si le caractère constitutionnel d’une loi relative à la discrimination fait l’objet d’un examen. Cette loi est-elle abrogée si elle est jugée inconstitutionnelle? Bien qu’elle soit consciente que la Convention n’est pas directement applicable à Singapour, elle se demande si les tribunaux y font référence dans leurs décisions. Finalement, s’agissant des réserves émises par Singapour à propos de l’article 29, citant son droit de maintenir sa politique intérieure, elle souligne que la ratification entraîne l’acceptation de normes internationalement reconnues et que les politiques nationales ne peuvent être légitimement invoquées pour justifier le fait de ne pas appliquer la Convention.
M me Gaspard exprime également son vif regret à propos des réserves de l’État partie concernant l’article 2 de la Convention ainsi que sa préoccupation que l’application de la loi islamique soit susceptible d’engendrer une double discrimination – d’abord à l’égard des femmes et ensuite entre femmes de différentes religions. Elle se demande si, en application des articles 2, 5 et 16 de la Convention, des campagnes ont été lancées soit par le Gouvernement, soit par des ONG avec l’appui du Gouvernement, pour pallier les effets discriminants entraînés par l’application de la loi islamique. Elle relève que divers pays musulmans ont adopté des codes de la famille interdisant ou limitant la polygamie et réglementant de façon stricte la répudiation de l’épouse qui est autorisée dans certaines interprétations du Coran.
M. Melander demande si l’État partie a l’intention d’abolir les châtiments corporels tels que la bastonnade, qui représente une discrimination à l’égard des hommes singapouriens. Les valeurs asiatiques traditionnelles ne sauraient être invoquées pour justifier cette pratique inhumaine et dégradante qui est sans doute un reliquat du colonialisme britannique. Il est pertinent de soulever cette question dans le cadre de la Convention vu que cette dernière est l’un des très rares instruments des droits de l’homme ratifié par Singapour.
M me Achmad se félicite de la participation des organisations non gouvernementales dans l’élaboration du rapport de l’État partie et espère qu’elles contribueront à persuader le Gouvernement de retirer les réserves exprimées à l’égard de la Convention. Dans le cadre de la définition de la discrimination contenue à l’article premier de la Convention, le principe du mérite ne saurait garantir l’égalité que si toutes les personnes mises en concurrence pour un poste ont le même niveau et jouissent de conditions semblables. Elle n’est pas du tout certaine que c’est le cas entre hommes et femmes à Singapour. En outre, les mesures nationales ne devraient pas être exclusivement axées sur les femmes – par exemple, les politiques et programmes gouvernementaux visant à appuyer et à aider les familles, particulièrement les femmes, pour concilier leurs obligations professionnelles et familiales (CEDAW/C/SGP/2, par. 7) devraient également favoriser la participation des hommes aux responsabilités du ménage, au-delà de l’éducation des enfants. À l’inverse de l’État partie, elle estime que l’intégration des femmes s’avère essentielle.
Elle se félicite de l’initiative de la Singapore Broadcasting Authority (Autorité de télédiffusion de Singapour) pour combattre les stéréotypes concernant les femmes et les filles ainsi que la commercialisation du sexe et la violence à l’encontre des femmes et des filles (CEDAW/C/SPG/2 par. 2.3), mais elle fait remarquer que, pour être efficace, le Gouvernement ainsi que les autres instances concernées par l’égalité des femmes doivent en assurer le suivi. La Muslim Family Campaign 2000 (Campagne pour la famille musulmane 2000) qui a porté principalement son attention sur le rôle du fils, devrait être complétée par une étude sur les petites filles ainsi que par des études sur les différentes étapes de la vie telles que le mariage, la maternité ou l’avance en âge. Des connaissances spécifiques de cette nature sont susceptibles de constituer une contribution utile pour éliminer les stéréotypes.
M me Ferrer Gómez, se référant au rôle du Ministère du développement communautaire et des sports et du Comité pour la famille (CEDAW/C/SPG/1) se déclare préoccupée par l’absence de mécanismes spécifiques pour réaliser l’égalité entre les sexes, mécanismes qui s’avèrent indispensables pour améliorer la participation des femmes à la vie économique, politique, culturelle et sociale. Ainsi que d’autres membres du Comité l’ont déjà souligné, il est regrettable que le Gouvernement ne considère pas l’intégration des femmes comme une question très importante.
Elle se demande pour quelle raison les rapports de l’État partie ne font nulle part référence à un programme d’action spécifique comme suite donnée à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes et pour mettre en œuvre les 12 domaines critiques définis dans le Programme d’action de Beijing. Si une telle stratégie de suivi existe effectivement, une description de son contenu, de son contrôle et des mécanismes d’évaluation serait utile.
Elle souhaiterait également recevoir des informations supplémentaires sur la teneur et le suivi de la Déclaration de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) sur la promotion des femmes dans la région, signée en 1988 par Singapour et les pays voisins de l’ANASE.
L’État partie devrait fournir des renseignements sur la façon dont le Ministère du développement communautaire et des sports coordonne, assure le suivi et évalue les activités des autres ministères responsables d’aspects spécifiques de la condition des femmes ainsi que les activités des ONG. Elle aimerait davantage de détails sur le résultat de la séance de travail avec les organisations non gouvernementales organisée par le Gouvernement pour examiner son rapport initial.
M me Feng Cui se félicite du travail accompli par le Conseil des associations féminines de Singapour qui jouit d’une renommée mondiale. Elle aimerait savoir, avec davantage de détails, dans quelle mesure le Ministère du développement communautaire et des sports se consacre à la condition des femmes vu qu’il n’a pas été créé spécialement dans ce but. Elle aimerait également des précisions sur ses rapports avec le Comité interministériel nouvellement créé, qui se concentre exclusivement sur les questions féminines ainsi que sur sa composition. L’État partie devrait décrire les mécanismes de ce comité interministériel pour contrôler l’application de la Convention ainsi que son statut et ses responsabilités au sein de l’ensemble du Gouvernement. Des informations sur la procédure existante pour porter plainte au motif de discrimination fondée sur le sexe seraient utiles.
M me Schöpp-Schilling, se référant au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention s’interroge sur l’affirmation du Gouvernement de Singapour qui déclare que des mesures temporaires spéciales ne s’avèrent pas nécessaires pour atteindre l’égalité de fait, tout en soulignant que ces mesure ne sont pas discriminatoires. Le niveau de représentation des femmes dans la vie politique ainsi que dans les domaines de l’emploi et de l’éducation indique que c’est l’opposé qui est vrai. Même s’il n’y avait aucune discrimination directe à l’égard des femmes dans la société singapourienne, il reste à y faire disparaître les discriminations passées imprégnant la tradition et les valeurs culturelles ainsi que les reliquats du régime colonial. Les mesures temporaires spéciales ne doivent pas nécessairement être extrêmes (par exemple les quotas); il existe une multiplicité de mesures graduelles, notamment les objectifs de formation ainsi que l’appui accordé aux femmes qui se lancent dans la vie politique, qui pourraient être mises en œuvre. L’efficacité de ces mesures de discrimination positive ont fait leurs preuves dans les pays européens, peu enclins au départ à les appliquer. Elle invite instamment l’État partie à rechercher les domaines dans lesquels il est nécessaire d’accélérer la réalisation de l’égalité de fait ainsi qu’à prendre les mesures appropriées à cet effet.
M me Livingstone Raday fait sienne les observations de Mme Schöpp-Schilling et souhaite que la délégation fournisse des chiffres pour étayer son affirmation sur l’absence de discrimination à l’égard des femmes à Singapour. En particulier, il serait utile d’obtenir une ventilation selon le grade du pourcentage considérable de femmes dans le service public ainsi que des données sur les études qu’elles ont faites, ceci en vue de déterminer s’il existe ou non un obstacle à la promotion des femmes lié à leur niveau d’instruction. Elle souhaiterait également obtenir des statistiques sur le nombre de femmes dans les facultés des universités ventilées selon le grade, allant de chargée de cours au titre le plus élevé de professeur ordinaire.
M me Myakayaka-Manzini se félicite des progrès réalisés par Singapour dans sa lutte contre la pauvreté et d’autres inégalités qui affligent la plupart des pays en développement. Ainsi que l’a observé Mme Schöpp-Schilling, les mesures temporaires spéciales au titre du paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention s’avèrent efficaces pour éliminer les inégalités historiques entre hommes et femmes et ne sauraient en aucun cas être assimilées à des mesures discriminatoires. Elle recommande le recours à ces mesures, notamment dans les domaines de l’éducation, de la vie politique et des sports où apparaissent des inégalités criantes entre hommes et femmes. La discrimination positive n’interfère pas avec un système fondé sur la méritocratie, mais plutôt le complète.
M me Corti félicite l’État partie pour les progrès réalisés en matière d’élimination des stéréotypes sexuels dans les médias et de l’application de la législation relative à la censure pour interdire la représentation de stéréotypes à des fins commerciales et l’importation de matériels pornographiques. Elle souhaiterait obtenir une clarification à propos du pouvoir d’intervention du Ministère de l’information et des arts en application de cette loi qui apparemment ne s’étend pas au secteur de la publicité.
La séance est levée à 13 h 5.