Dix-neuvième session

Compte rendu analytique de la 394e séance

Tenue au Siège, à New York, le mercredi 1er juillet 1998, à 15 heures

Président :Mme Abaka (vice-Présidente)

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (suite)

Deuxième et troisième rapports périodiques de la République-Unie de Tanzanie (suite)

La séance est ouverte à 15 h 10.

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (suite)

Deuxième et troisième rapports périodiques de la République-Unie de Tanzanie (suite)(CEDAW/C/TZA/2-3)

Mme Javate de Dios (Rapporteur du Comité) dit que, globalement, le rapport combiné est sombre et troublant. Les réformes positives, instituées depuis la présentation du rapport initial en 1990, sont insuffisantes; les comportements et les pratiques culturelles et religieuses, discriminatoires et profondément enracinées, existent toujours. La pratique de déshériter les femmes et l’oppression des veuves et de leurs enfants sont particulièrement répugnantes et doivent cesser. Le conflit entre le droit coutumier et le droit civil est utilisé pour justifier l’oppression continue des femmes, tandis que dans d’autres pays, des changements législatifs et politiques, ainsi que d’autres efforts, ont donné la préséance au droit civil, prouvant que le progrès n’est pas impossible. Elle recommande dès lors que la Tanzanie observe les nombreux modèles et précédents pour prendre des initiatives dans ce domaine.

Le Comité est très inquiet du manque apparent d’intérêt du Gouvernement sur le problème de la violence à l’égard des femmes, qui, comme le représentant de la Tanzanie l’a confirmé, est en augmentation. Il est inacceptable qu’au moins 70 femmes ont été déclarées mortes à la suite de coups et blessures de la part de leur mari ou de leur partenaire; cela souligne la nécessité pour le Gouvernement de prendre urgemment des mesures afin de régler le problème de la violence faite aux femmes.

Le Comité est perturbé par l’absence de données sur la prostitution et la traite des femmes, ainsi que sur la profanation de jeunes filles lors de pratiques de « sorcellerie ». Elle croit que pour agir sur ces questions, le Gouvernement n’a pas tant besoin de ressources plutôt que de volonté politique.

Il semble que la condition des femmes est engluée dans un cycle d’oppression, de pauvreté et d’indifférence, exacerbé par des pratiques culturelles et religieuses enracinées et par le fait que le droit coutumier établi cette oppression. Pour briser ce cercle, le Gouvernement devrait lancer une campagne d’éducation sur les droits de la femme à la mesure de l’énormité du problème, ainsi qu’une campagne de sensibilisation et de prise de conscience au sein même des instances dirigeantes, ciblant d’abord les législateurs et ensuite les juges, les policiers et la population. Quels qu’aient été les efforts du Gouvernement jusqu’ici, les rapports combinés montrent qu’il doit faire plus.

Afin de réussir cette entreprise, le Gouvernement doit soutenir les efforts des organisations non gouvernementales de femmes. L’objectif commun serait de toucher une « masse critique » de citoyens tanzaniens « éclairés » de la nouvelle génération qui changeront le climat en faveur des femmes et des générations de femmes à venir.

Mme Yung-Chung Kim fait remarquer qu’un fonds de développement pour les femmes a été créé et s’enquiert de savoir si les bénéficiaires sont sélectionnées sur une base individuelle, et si oui, quels sont les critères utilisés. Elle demande également si des fonds sont alloués à un projet ou un groupement de base, combien de femmes en bénéficient et si les femmes des régions rurales y sont inclues.

Elle exprime son inquiétude sur l’augmentation du taux d’abandon en cours de scolarité et sur la diminution du nombre de jeunes filles inscrites à l’école. Comme l’éducation est l’élément essentiel pour atteindre des buts comme l’alphabétisation et l’emploi, elle doit devenir une priorité pour le Gouvernement.

Elle fait remarquer qu’alors que le Ministère de l’éducation fait des efforts pour améliorer les programmes scolaires, en incluant la pratique de sports dans les écoles primaires et secondaires, il n’y a pas eu mention d’une révision des programmes scolaires afin d’y aborder les questions relatives aux comportements et pratiques traditionnels et aux stéréotypes sur le rôle des sexes.

Elle a appris par des sources parallèles qu’il existe un grave problème de violence contre les femmes âgées et handicapées en Tanzanie et que leurs besoins en matière de logement et de soins de santé sont ignorés. Le gouvernement devrait agir en urgence pour remédier à cette situation.

Elle exprime l’espoir que le Gouvernement se saisira rapidement du conflit entre le droit coutumier et le droit civil. Le droit coutumier ne devrait plus prévaloir sur la législation fondée sur le concept d’égalité, y compris les lois basées sur la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

Mme Lin Shangzhen applaudit les efforts du Gouvernement pour identifier et amender la législation oppressive à l’égard des femmes et pour introduire une législation qui lutte contre les pratiques coutumières telles que les mutilations génitales féminines. Il est dès lors décourageant d’apprendre que les comportements traditionnels et les normes et pratiques culturelles continuent d’entraver la mise en oeuvre des lois civiles qui sont en harmonie avec la Convention.

Elle soutient les orateurs précédents qui ont insisté sur l’importance de l’éducation et sur la nécessité d’augmenter la prise de conscience publique, et elle souligne que s’il faudra attendre encore longtemps avant que de telles traditions et pratiques, aussi omniprésentes et profondément enracinées, puissent être éradiquées, elles ne disparaîtront jamais si le Gouvernement n’intervient pas. Dès lors, elle se réjouit de voir dans le prochain rapport de la Tanzanie les détails des programmes et des plans du Ministère chargé des affaires féminines pour atteindre cet objectif.

En plus des divers projets de formation et de ceux ayant pour objectif la création d’un revenu, menés avec la coopération des donateurs bilatéraux et de divers organes des Nations Unies, elle suggère que la Tanzanie fasse appel à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), parmi d’autres agences des Nations Unies, afin de trouver l’aide supplémentaire pour régler le problème de la fourniture des soins de santé et garantir l’éducation de l’énorme population rurale.

À la demande du représentant de la République-Unie de Tanzanie, la Présidente invite M. Mwakawago, représentant permanent de la République-Unie de Tanzanie à s’adresser au Comité.

M. Mwakawago (République-Unie de Tanzanie) dit qu’il croit que le rapport combiné donne une impression excessivement négative et sans rapport avec la réalité. Le prochain rapport de son pays répondra aux questions levées et fournira les données demandées. Sur une note positive, il fait remarquer qu’à l’indépendance, en 1961, le taux général d’alphabétisation était de 85%, et qu’il était plus élevé parmi les femmes. En 1990, ce taux d’alphabétisation était de 95%, le résultat d’une campagne massive d’alphabétisation.

Pour parvenir à fournir des soins de santé et des services scolaires ainsi que de l’eau salubre à sa population isolée, le Gouvernement post-indépendance s’est embarqué dans un programme par « village ». Bien que ce programme a eu ses critiques, il a rendu possible l’enseignement primaire universel, la quasi-alphabétisation universelle de la population adulte et l’accès à l’eau salubre pour 60% de la population. A cet égard, il croit qu’une étude de l’OMS a montré que 90% de tous les problèmes de santé des pays en développement ne nécessitent pas la présence d’un médecin; ils nécessitent un environnement sain : de l’eau salubre, des sanitaires et l’élimination des ordures.

Un programme d’entraide pour lequel les gens ont fourni le travail de construction des cliniques et des centres de soins et pour lequel le gouvernement a mis à disposition experts et médecins, s’est déroulé sans entraves jusqu’à l’imposition du programme d’ajustement structurel. Aujourd’hui, entre 40 et 45% du revenu des exportations de la Tanzanie servent au remboursement du service de la dette et il ne reste pas suffisamment au Gouvernement pour faire face à l’énorme pression sur ces ressources. De plus, l’aide étrangère aux pays en développement est à son niveau le plus bas alors que la demande a gonflé en raison de l’augmentation de la population. De ce fait, il lance un appel d’urgence au Comité pour qu’il fasse ce qui est en son pouvoir pour générer l’assistance extérieure nécessaire au développement des infrastructures sociales et physiques qui empêchent les améliorations dans l’enseignement, les soins de la santé et la fourniture d’eau, autant de mesures qui ont un impact décisif sur la vie des femmes.

Il est d’avis, comme les orateurs précédents, que les traditions sociales sont lentes à mourir, et il suggère que la Division de la promotion de la femme apporte son aide en organisant des séminaires internationaux pour régler ces problèmes car ils affectent un très grand nombre de pays en développement. La Tanzanie est prête à faire sa part, mais des forces plus puissantes doivent partager ce fardeau.

La Tanzanie devrait bientôt avoir le plus grand nombre de femmes au Parlement, de juges et de commissaires régionaux et de district, dépassant les autres pays en développement, mais le Gouvernement veut faire plus. Les femmes du Parlement tanzanien ont formé un groupe qui mène des campagnes de collecte de fonds, auxquelles il a participé, visant à financer des crèches pour enfants afin de permettre à leurs mères de se libérer pour travailler. Le groupe de femmes parlementaires a initié des changements législatifs, mais leur mise en application est un processus lent dans une société démocratique comme la Tanzanie. Et quand bien même le Parlement est favorable à des réformes, il est contraint d’agir dans un environnement conservateur.

Les organisations non gouvernementales sont fortement soutenues par le Gouvernement et la société. Toutefois, malgré la bonne volonté et la motivation, de nombreuses ONG en Tanzanie manquent de ressources suffisantes et n’ont souvent que peu ou pas de formation. Une formation appropriée pourrait renforcer ces organisations et les rendre plus efficaces.

Mme Malale (Tanzanie) dit que, bien que sa délégation salue aussi bien les commentaires constructifs que les manifestations d’empathie de la part des membres du Comité, l’image qui a été peinte de la Tanzanie n’est pas entièrement juste. Toutefois, la distorsion est peut-être attribuable à l’absence de statistiques et de données explicatives, et à l’omission de nombreux développements plus positifs, en raison de la volonté de faire comprendre les obstacles rencontrés par la Tanzanie dans la mise en œuvre aussi bien de la Convention que du Programme d’action de Beijing.

La Tanzanie a fait le premier pas en faveur de l’égalité des sexes immédiatement après l’indépendance, il y a près de 30 ans. Les femmes ont été représentées dans le premier Parlement et le premier Cabinet. Même alors, le principe de salaire égal pour travail égal a été appliqué dans tous les lieux de travail et les femmes occupant un emploi ont eu droit à un congé de maternité. Les femmes tanzaniennes, ont, en fait, obtenu le droit de vote dès 1961, et la Loi sur le Mariage de 1971 a contribué à élever leur statut. Bien que ni parfaits ni appropriés, ces efforts font la démonstration de la volonté politique et de l’engagement de son gouvernement en faveur de la promotion des femmes. De nombreux progrès ont été réalisés depuis l’indépendance et les femmes tanzaniennes bénéficient de certains droits qui font encore défaut aux femmes de pays plus développés. La question, toutefois, est de savoir si toutes les femmes bénéficient de ces droits, et si oui, dans quelles mesures, et quelles mesures le Gouvernement pourrait prendre pour offrir les mêmes opportunités à tout le monde.

Le fait que le Gouvernement a nommé une commission pour examiner les lois datant de l’ère coloniale témoigne de sa sensibilité sur la question des droits de l’homme, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Cependant, une réforme juridique est un processus long, tortueux, surtout pour un pays pauvre et en développement. Les rédacteurs juridiques qualifiés sont rares, et même les copies des lois sont parfois difficiles à obtenir. Certaines lois ont toutefois été amendées, comme par exemple, la Loi spéciale sur les délits sexuels, et nombre de ces lois seront sûrement révisées d’ici la présentation par la Tanzanie de son prochain rapport périodique.

Sa délégation souhaiterait volontiers transmettre au Comité une copie du budget du Ministère chargé du développement des communautés, des affaires féminines et de l’enfance, comme demandé. Le mandat du Ministère est de définir des politiques et de coordonner les activités relatives au domaine du développement en général, et du développement des communautés en particulier. Il a été étroitement impliqué dans la création de programmes politiques dans les domaines de l’éducation, de l’aménagement du territoire, de l’eau, de la santé, de l’environnement et de l’éradication de la pauvreté, et il cherche à intégrer les questions pertinentes pour les femmes dans ces différents secteurs. A titre d’exemple, le Gouvernement a révisé non seulement les manuels scolaires mais aussi les attitudes dans les salles de classe de Tanzanie, avec, pour objectif, l’identification des moyens permettant de garantir que les filles bénéficient des mêmes droits que les garçons et puissent avoir les mêmes chances de réussite que ces derniers.

Le programme de développement des communautés a été conçu pour toucher des femmes au niveau local. Avec l’aide d’organisations non gouvernementales et des médias, les responsables du développement des communautés ont mené des campagnes pour mettre en œuvre les principes de la Convention, et éduquer, sensibiliser et changer les comportements des hommes et des femmes en ce qui concerne les coutumes et les traditions qui empiètent sur les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. Ils ont abordé des sujets comme le viol, la violence conjugale, le droit de succession et les restrictions alimentaires. Ils étaient impliqués dans la mise en œuvre de programmes touchant à la livraison d’eau, aux soins de santé primaires, y compris les vaccinations et au développement de l’enfant.

La liste des questions du Comité est arrivée tard et le Gouvernement a eu peu de temps pour préparer ses réponses. Trois documents seront utiles : le premier est « Hommes et Femmes en Tanzanie », une brochure préparée par le Bureau des statistiques; le second est « Sous-programme pour la promotion des femmes », qui dresse la liste des mesures prises par la Tanzanie pour remplir les quatre engagements pris à la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes de Beijing. Ces mesures comprennent le renforcement de la capacité du Ministère à s’impliquer aussi bien dans les questions relatives aux femmes que dans la promotion de la participation d’autres secteurs à incorporer les questions de l’égalité des sexes dans la création et la mise en œuvre de politiques, et dans la conduite de programmes de soutien et d’éducation. Le troisième est un rapport additionnel au second et au troisième rapports périodiques de la Tanzanie.

Sa délégation a entrepris de fournir plus d’information dans son prochain rapport. Il ne faudrait toutefois pas oublier que malgré la volonté politique et des réformes législatives, le statut de la femme ne peut être amélioré sans ressources. Le Gouvernement dépense actuellement 40% des revenus restant après le paiement du service de la dette à l’enseignement de base, aux soins de santé primaires et à la fourniture d’eau. El Nino a provoqué des dommages importants aux infrastructures nationales, et les routes rurales, essentielles pour les femmes, doivent être reconstruites. La Tanzanie fera ce qu’elle peut avec les ressources à disposition.

La Présidente dit que la Tanzanie doit être applaudie pour avoir hébergé plusieurs conférences humanitaires importantes, dont la Conférence sur les Stratégies d'Arusha pour la promotion de la femme en Afrique au-delà de la Décennie des Nations Unies pour la femme, un modèle essentiel pour les femmes de ce continent. De plus, la Tanzanie se sent concernée par le grand nombre de réfugiés en Afrique, et elle est le siège du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Les ajustements structurels et le paiement du service de la dette nationale constituent un poids extraordinaire pour les pays en développement et mettent une pression significative sur le budget des services sociaux. Elle est d’accord que, dans ces circonstances, et pour atteindre l’égalité des droits pour les femmes, la communauté internationale doit s’attendre à fournir l’assistance nécessaire.

La Tanzanie a ratifié la Convention sans réserve, un pas politique osé. Le Comité espère que la volonté politique d’atteindre l’égalité des femmes demeure forte. L’incapacité à atteindre pleinement l’égalité des sexes en Tanzanie découle de l’échec à se conformer aux termes des articles 1, 2, 16 et dans une moindre mesure, à l’article 4. Le Gouvernement devrait redoubler ses efforts pour remédier à cette situation. Quand un groupe particulier de gens a souffert de discrimination sur une longue période de temps, des mesures temporaires doivent être prises pour redresser le déséquilibre. Mais des mesures de discrimination positive doivent être basées sur une compréhension des termes de l’article 4 et ils doivent être renforcés par des mesures qui encouragent la conformité de manière à éviter les risques de revers. La Tanzanie devrait considérer la possibilité de demander l’aide d’autres pays africains pour régler la persistance des pratiques religieuses, coutumières et traditionnelles, préjudiciables aux femmes, un problème qu’ils ont en commun. Faisant remarquer que le Rapporteur spécial sur l’intolérance religieuse, qui s’est exprimé durant la dernière session, a offert son assistance aux États parties pour lutter contre ces pratiques traditionnelles, elle exprime sa confiance dans le fait que la Tanzanie fera de son mieux pour se joindre à cette entreprise.

La séance est levée à 16 h 15.