discrimination à l’égard des femmes

Vingt-huitième session

Compte rendu de la 596ème séance

Tenue au Siège, New York, le jeudi 17 janvier 2003, à 10 heures.

Présidente:Mme Açar

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États Parties en application de l’article 18 de la Convention (suite)

Rapport initial et deuxième rapport périodique combinés de la Suisse (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports présentés par les États Parties en application de l'article 18 de la Convention (suite)

Rapport initial et deuxième rapport périodique combinés de la Suisse (suite) (CEDAW/C/CHE/1-2 et Add.1)

1. À l’invitation de la Présidente du Comité, les membres de la délégation de la Suisse prennent place à la table du Comité

2.Mme Schulz (Suisse) fait savoir à quel point sa délégation a été impressionnée par l’intérêt manifesté par le Comité pour le système fédéral suisse. Les nombreuses questions posées sur les mécanismes en jeu montrent que, de l’extérieur, ce système peut sembler fort complexe. Le système fédéral s’appuie sur la notion d’équilibre et de coopération entre la Confédération et les cantons, dans le respect de la diversité de chaque partenaire.

3.Mme Dusong (Suisse) s’étonne du nombre de membres du Comité pour qui le fédéralisme constitue un obstacle à la pleine application de la Convention. En Suisse, État fédéral, le principe de subsidiarité permet aux cantons d’assumer les droits et devoirs qui ne relèvent pas spécifiquement de la Confédération ; c’est donc aux cantons qu’incombe la responsabilité de l’application de nombreuses conventions internationales. Le droit fédéral l’emporte en cas d’incompatibilité entre deux normes. Le système fédéral comporte en fait de véritables avantages s’agissant de l’application de la Convention: il facilite le progrès et le changement, tout en respectant les droits des minorités linguistiques et culturelles ; le progrès social peut lui aussi être lancé au niveau du canton et, à terme, s’étendre à tout le pays. Et de citer quelques exemples : les femmes ont acquis le droit de vote dans certains cantons bien avant d’en jouir au niveau fédéral ; certaines structures - dont les bureaux de l’égalité entre femmes et hommes - ont été créées au niveau du canton avant d’exister à l’échelle nationale.

4.M. Spenle (Suisse) précise que dans la tradition moniste qui est celle de la Suisse, le droit interne et le droit international forment un seul ordre juridique. Dès leur entrée en vigueur, les normes du droit international font partie intégrante de l’ordre juridique et, à ce titre, doivent être respectées par toutes les autorités - fédérales, cantonales et municipales.

5.Mme Ramseyer (Suisse) fait savoir qu’il n’existe pas en Suisse de Cour constitutionnelle en tant que telle. Lors de la révision de la Constitution dans les années 1990, il a été proposé d’élargir la juridiction constitutionnelle aux lois fédérales, mais le Parlement n’a pas adopté cette proposition. La surveillance en matière constitutionnelle relève d’un réseau d’organes aux échelons cantonal et fédéral. Durant la phase préparatoire, la constitutionalité d’une loi est scrutée par le Conseil fédéral, qui communique son avis au Parlement. La juridiction constitutionnelle est extrêmement importante, car elle permet aux particuliers de déposer une plainte contre toute décision de l’État qui serait en violation d’un droit garanti par la Constitution.

6.Mme Müller (Suisse) reconnaît le danger qu’il y a à invoquer des différences fonctionnelles entre hommes et femmes pour justifier les différences de traitement qui leur est réservé. La question ne s’est toutefois jamais posée puisque aucune décision de justice ne les a invoquées pour justifier l’inégalité de traitement. Jusqu’à présent, la Convention n’a été invoquée qu’une seule fois devant le tribunal fédéral. La définition de la discrimination figurant à l’article 1 de la Convention n’a pas été intégrée dans la Constitution, car celle-ci ne comporte aucune définition ; cette fonction est du ressort des tribunaux. Le rapport de la Suisse (CEDAW/C/CHE/1-2) a été approuvé par le Gouvernement avant d’être remis au Comité.

7.Mme Schulz (Suisse), à propos des réserves à la Convention concernant le service militaire, le patronyme et les régimes de propriété entre époux, renvoie les membres du Comité aux réponses écrites données à ces questions par la délégation de son pays.

8.M. Spenle (Suisse) fait savoir que le Gouvernement est favorable au principe de l’adoption du Protocole facultatif, mais qu’en vertu de la Constitution, les cantons doivent être consultés sur les décisions de politique étrangère relevant de leur compétence. La ratification d’un traité international exige l’approbation des deux chambres du Parement.

9.Mme Schulz (Suisse), en réponse aux questions concernant les institutions favorisant l’égalité, précise qu’elles sont au nombre de quatre à constituer le réseau national en faveur de l’égalité. Le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, qu’elle-même dirige, relève de l’administration fédérale et rend directement compte au Ministère de l’intérieur. Le Bureau peut faire des propositions mais ne peut donner des ordres aux autres bureaux fédéraux ou aux bureaux cantonaux. Le budget du Bureau fédéral a augmenté de 117 pour cent entre 1996 et 2003; une part conséquente des crédits correspondant à cette augmentation a été consacrée à promouvoir l’égalité dans la vie professionnelle. L’effectif du Bureau a plus que doublé depuis sa création en 1998, passant de 4 à 11 postes.

10.Mme Freivogel (Suisse) fait valoir qu’un autre volet du système, la Commission fédérale pour les questions féminines, ne fait pas partie de l’administration fédérale ; il s’agit d’une commission extraparlementaire dont le rôle consiste à faire des analyses de la situation des femmes, à faire des recommandations et à mener des projets dans le cadre de partenariats. La Commission examine les projets de loi dans le domaine de l’égalité entre hommes et femmes et peut y proposer des amendements. De plus, 16 des 26 cantons et cinq grandes villes comptent des bureaux de l’égalité, dotés de ressources plus ou moins importantes. Enfin, la Conférence suisse des déléguées à l’égalité entre femmes et hommes regroupe tous les services et bureaux officiels de promotion de l’égalité entre hommes et femmes, aux niveaux fédéral, cantonal et municipal.

11.Mme Haug (Suisse), passant aux questions concernant les stéréotypes sexuels, juge qu’il est probable que l’effort prolongé pour obtenir le droit de vote a freiné d’importantes réformes législatives dans des domaines tels que le droit matrimonial et la participation politique. Cela dit, il est impossible de déterminer l’existence d’une telle relation de cause à effet, car les stéréotypes sexuels sont imputables à de nombreux facteurs, lesquels évoluent avec le temps.

12.Il n’existe aucune statistique, aucune étude sur la discrimination à l’égard des femmes immigrées en fonction de leur religion.

13.Mme Groux (Suisse), en réponse aux questions sur la place des femmes dans l’enseignement supérieur, précise qu’il y a autant de femmes que d’hommes inscrites dans les établissements universitaires, mais que les femmes sont moins bien représentées dans les cursus de hautes études spécialisées, initialement axés sur l’économie et les matières techniques, dans lesquelles, par tradition, les femmes étaient minoritaires. Ces établissements comptent désormais des cursus en sciences sociales et en sciences de l’éducation, où les femmes sont majoritaires. Il n’existe pas de statistiques sur les taux d’abandon scolaire par sexe.

14.S’agissant des stéréotypes dans les médias et la publicité, la Commission suisse pour la loyauté en matière de publicité, composée de représentants des consommateurs, des média et des publicitaires, est habilitée à recevoir des plaintes de particuliers concernant les publicités sexistes, et peut interdire ces publicités.

15.Mme Haug (Suisse), en réponse aux questions sur la place des femmes dans les médias, fait savoir qu’entre 1970 et 1990, la part des journalistes de sexe féminin est passée de 19,5 à 32,8 pour cent. En revanche, les femmes ne représentent que 15,4 pour cent des directeurs et directeurs de rédaction.

16.Mme Ramseyer (Suisse), expliquant la faible représentation des femmes dans l’administration fédérale, dit que les données les plus récentes, remontant à 2002, montrent que 25,4 pour cent des employés fédéraux sont des femmes. Parmi les administrations fédérales, c’est le Ministère de la défense qui est le plus gros employeur, un secteur traditionnellement masculin. Si l’on exclut ce Ministère des statistiques, la part des femmes passe à 32,8 pour cent. Dans la plupart des ministères, les femmes représentent plus de 40 pour cent du personnel, et la part des femmes continue de progresser, malgré les récentes compressions de personnel. Les fonctionnaires bénéficient tous d’horaires souples et de la possibilité de travailler à temps partiel, ainsi que d’allocations pour garde d’enfants.

17.Mme Freivogel (Suisse) fait savoir que le Conseil national a reporté la révision prévue de son système d’évaluation des postes par sexe. Cependant, en partie grâce à l’issue favorable d’affaires d’égalité des chances portées devant les tribunaux, plusieurs cantons ont procédé à la révision de leurs grilles salariales. Face au risque d’être poursuivis, de nombreux cantons et communes sont en train de corriger des inégalités et font appel à des spécialistes pour les aider à étudier la question de la discrimination sexuelle.

18.Hélas, la situation des salaires est différente dans le secteur privé, car l’État ne peut y intervenir. Les syndicats et les associations professionnelles devraient faire pression sur les entreprises, notamment en ayant recours à la grève.

19.Mme Ramseyer (Suisse), en réponse à une question de Mme Schöpp-Schilling sur la jurisprudence de la Cour suprême fédérale en matière de différences de salaire entre hommes et femmes, précise que la décision dont il est rendu compte au paragraphe 371 du rapport a rencontré une certaine opposition en Suisse. Étant donné les textes juridiques et les jugements récents, on peut toutefois s’attendre à ce que la jurisprudence n’en soit pas affectée avant de nombreuses années.

20.En réponse à une question posée par Mme Patten, Mme Ramseyer confirme que l’article 3 de la loi sur l’égalité entre les sexes interdit la discrimination à l’égard d’une femme sous prétexte qu’elle serait enceinte. L’article 336c du Code suisse des obligations interdit aux employeurs de mettre fin à un contrat de travail durant la grossesse et pendant les 16 semaines suivant l’accouchement. Aucune dérogation à cette disposition n’est possible, disposition que les tribunaux appliquent de manière stricte. Mme Ramseyer confirme que les droits des employées de maison sont protégés par les dispositions régissant le droit ordinaire s’appliquant aux employés de maison.

21.Mme Dusong (Suisse), évoquant la question de la violence dont les femmes sont victimes, dit que la sensibilité à la violence familiale progresse en Suisse. C’est aux cantons qu’incombe la responsabilité en matière policière et judiciaire, et plusieurs cantons ont mis en place des groupes de travail pour créer des réseaux d’aide aux victimes. Au niveau national, la législation est en cours de modification pour faire en sorte que les victimes soient mieux protégées et les auteurs de violences sanctionnés plus sévèrement. En 2002, une centaine d’agents de police et de magistrats ont suivi pendant une semaine un stage de formation des formateurs sur l’appui aux victimes, organisé par l’Institut suisse de police. Des cours analogues sont désormais organisés au niveau des cantons. En 2003, une campagne nationale de grande envergure va être lancée sur la violence familiale, campagne qui briserait le silence entourant la question, du moins faut-il l’espérer. Mme Dusong ajoute que la recommandation générale 19 serait prise en compte par les cantons lors de la mise en place de mesures pour lutter contre la violence à l’égard des femmes.

22.M. Naudi (Suisse), en réponse à une série de questions sur la condition des femmes étrangères, précise que le Conseil national n’a pas jugé utile de cesser de délivrer des visas aux femmes venant travailler en Suisse comme danseuses de cabaret, étant donné que ces visas leur confèrent une protection juridique. Cela dit, le Gouvernement est conscient que d’autres mesures s’imposent pour suivre la situation de près et, le cas échéant, il modifiera les conditions d’accès au pays. À l’heure actuelle, les cantons sont habilités à délivrer aux danseuses de cabaret étrangères un permis de travail valable huit mois au plus. Une fois ce permis expiré, les danseuses sont tenues de quitter le pays, mais peuvent revenir l’année suivante dans les mêmes conditions. Ces danseuses doivent être âgées de 20 ans au moins. Leurs conditions de travail donnent lieu à des inspections par les autorités cantonales ; de plus, la police procède à des vérifications ponctuelles sur les lieux de travail.

23.Rien ne montre que l’augmentation du nombre de prostituées est imputable au trafic de femmes. Cela étant, dans certains cantons, des prostituées étrangères ont contracté des mariages blancs avec des ressortissants suisses afin d’obtenir un permis de résidence.

24.Il est peu probable que les femmes ayant fait l’objet d’un trafic se voient octroyer l’asile en Suisse, car il serait difficile de prouver qu’elles ont été persécutés - directement ou indirectement - par un État et non par un particulier. La Suisse joue un rôle dynamique dans les mesures prises à l’échelle internationale pour protéger les femmes victimes d’un trafic qui sont rapatriées dans leur pays d’origine en finançant des projets menés sous la houlette de l’Organisation internationale pour les migrations et des organisations non gouvernementales. Le Gouvernement suisse se propose également de faire figurer dans la nouvelle loi sur les étrangers une disposition prévoyant l’aide à la réintégration pour les personnes quittant la Suisse.

25.S’agissant de questions de nature législative, M. Naudi dit que l’article 196 du Code pénal, consacré exclusivement au trafic d’êtres humains, est sur le point d’être modifié : il y sera spécifiquement question du trafic d’organes et du travail forcé. Le trafic d’êtres humains est passible d’une peine de 6 mois à 20 ans de prison ; il n’est pas envisagé d’augmenter ces peines.

26.Mme Ramseyer (Suisse) dit qu’étant donné que la Suisse est un pays d’accueil pour des immigrées venues d’Afrique, quelque 6,700 filles vivant en Suisse ont subi des mutilations génitales. Heureusement, il existe dans les grandes villes des structures d’aide pour les femmes ayant subi cette pratique.

27.Mme Freivogel (Suisse) dit que la Cour suprême fédérale a explicitement reconnu que la Constitution suisse permettait l’introduction de mesures positives pour promouvoir l’égalité, y compris la mise en place de quotas. La Cour suprême a jugé admissible l’instauration de systèmes de quotas pour les organes dont les membres ne sont pas directement élus, mais a estimé que le recours aux quotas fixes axés sur les résultats ne l’était pas pour les organes dont les membres sont élus, car ce serait alors porter atteinte à la liberté électorale des citoyens. La Cour a aussi explicitement jugé licites les quotas électoraux, vu qu’ils ne garantissent pas un résultat spécifique et qu’ils ne portent pas atteinte à la liberté des électeurs.

28.Il existe déjà plusieurs quotas au niveau national : par exemple, les comités extraparlementaires doivent compter au moins 30 pour cent de femmes.

29.Mme Haug (Suisse), en réponse à la question de Mme Morvai sur les tendances économiques, précise qu’entre 1997 et 2001, le PNB de la Suisse a augmenté, et que, durant cette période, les salaires ont progressé de 1,3 pour cent en termes réels et que les salaires des femmes ont augmenté plus que ceux des hommes (1,9 pour cent par rapport à 1,1 pour cent). Les femmes sont plus susceptibles de relever de la catégorie « salariés pauvres », et ce risque s’accroît lorsqu’il s’agit de femmes travaillant dans le cadre d’un contrat à durée déterminée ou d’étrangères.

30.Mme Schulz (Suisse) fait observer que des réponses plus détaillées aux questions posées par les membres du Comité se trouve dans le document distribué. En guise de conclusion, elle dit que la lutte pour obtenir l’égalité de droit et de fait est mouvante et incessante. Dans une Suisse multilingue et multiethnique, le respect des minorités est impérative, mais tout changement important de la législation ou de la Constitution doit être initié au niveau populaire – la gouvernance du haut vers le bas est une impossibilité. Pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention dans le pays tout entier, il faut une structure nationale dynamique de promotion des femme, dotée des ressources nécessaires; il convient de plus d’établir une stratégie d’intégration de l’égalité entre hommes et femmes dans l’ensemble des politiques. Dans l’immédiat, la priorité est double : accroître la participation des femmes à la vie professionnelle et à la vie publique ; prévenir toutes formes de violences à l’égard des femmes.

31.La Présidente attend avec impatience le jour où la définition de la discrimination telle que figurant dans la Convention sera intégrée dans le droit interne suisse. Parlant en son nom propre, elle dit mal comprendre pourquoi l’État présentant le rapport n’est pas en mesure de communiquer des chiffres sur la situation des femmes immigrées. L’expérience montre que ces femmes sont souvent victimes de discriminations fondées non seulement sur leur sexe, mais aussi sur leur race ou leur religion, et sont susceptibles également de subir des pratiques discriminatoires au sein de leur propre culture. Elle prie instamment la Suisse d’examiner de près cette question et d’établir des statistiques pertinentes sur l’emploi, l’éducation, la santé et la violence.

32.La Présidente invite également la Suisse à revenir le plus rapidement possible sur les réserves émises à l’égard de la Convention. En ce qui concerne le Protocole facultatif, elle prie instamment le Gouvernement et la société civile de déployer tous les efforts pour sensibiliser les cantons en vue de créer un climat propice à la ratification.

33.Mme Schulz (Suisse) fait savoir au Comité qu’il existe bel et bien des statistiques sur l’emploi et la formation des immigrées. Une information plus complète figurera dans le rapport suivant.

34.Mme Dusong (Suisse) fait observer que manque de statistiques ne signifie nullement manque d’action. Les autorités cantonales sont conscientes des difficultés vécues par les immigrées - dans certains cantons, celles-ci peuvent représenter jusqu’à 30 pour cent de la population féminine - et ont déjà pris diverses mesures, dont la mise en place de centres de formation et d’enseignement des langues, pour s’y attaquer. Mme Dusong assure aux membres du Comité que leurs observations serviront à diligenter les travaux dans ce domaine.

La séance est levée à 11 h.25.