Présentée par:

Mohammad Munaf (représenté par un conseil, Amy L. Magid)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Roumanie

Date de la communication:

13 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21 juin 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

30 juillet 2009

Objet: Évacuation de l’auteur de l’ambassade de l’État partie en Iraq par la force multinationale, procès, condamnation et risque d’application de la peine de mort en Iraq

Questions de procédure: Mandat insuffisant; victime présumée ne relevant pas de la juridiction de l’État partie; qualité de «victime»; griefs non étayés; non‑épuisement des recours internes; abus du droit de soumettre une communication

Question s de fond: Droit à la vie; notion de «crimes les plus graves»; traitement inhumain; détention arbitraire; procès inéquitable

Article s du Pacte: 6, 7, 9, 10 (par. 1 et 2) et 14 (par. 2 et 3 b), d) et e))

Article s du Protocole facultatif: 1, 2 et 5 b)

Le 30 juillet 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1539/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-seizième session

concernant la

Communication n o 1539/2006*

Présentée par:

Mohammad Munaf (représenté par un conseil, Amy L. Magid)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Roumanie

Date de la communication:

13 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 juillet 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1539/2006 présentée au nom de Mohammad Munaf en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est M. Mohammad Munaf, qui possède la double nationalité iraquienne et américaine et qui est un musulman sunnite. Il est actuellement détenu au centre de Camp Cropper, à Bagdad, matériellement sous la garde de la force multinationale en Iraq et/ou des militaires américains, et attend le réexamen de son affaire par la juridiction inférieure. Il affirme être victime de violations par la Roumanie des articles 6, 7, 9, des paragraphes 1 et 2 de l’article 10 et des paragraphes 2 et 3 b), d) et e) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil du cabinet Robins, Kaplan, Miller et Ciresi, à Minneapolis (États‑Unis d’Amérique).

1.2Le 21 décembre 2006, conformément à l’article 92 du Règlement intérieur du Comité (Mesures provisoires), le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a demandé à l’État partie de faire en sorte, dans la mesure du possible, et par toutes les voies qu’il jugerait appropriées, d’adopter toutes les mesures nécessaires pour que la vie, la sûreté et l’intégrité physique de l’auteur et de sa famille soient protégées, afin de leur éviter tout préjudice irréparable pendant que l’affaire est en cours d’examen par le Comité, et d’informer celui‑ci des mesures qu’il aurait prises conformément à cette décision.

1.3Le 7 février 2007, en réponse à la demande du Rapporteur spécial, l’État partie a indiqué, entre autres, qu’il s’oppose à la peine de mort, qu’il a demandé l’extradition de l’auteur vers son territoire pour y répondre d’accusations pénales mais que, sans qu’il y ait faute de sa part, l’auteur n’a pas été extradé (voir par. 4.6 ci-dessous). Il a aussi fait valoir qu’à la suite de la demande du Comité fondée sur l’article 92, les démarches suivantes avaient été faites par l’ambassade de Roumanie à Bagdad auprès du Ministère iraquien des affaires étrangères et du commandement de la force multinationale: l’ambassade a déclaré que la Roumanie était attachée à l’abolition de la peine capitale et qu’elle avait ratifié toutes les conventions pertinentes à cet égard; qu’aucune mesure ne devrait être prise de nature à compromettre la vie et l’intégrité physique de l’auteur; et que la peine de mort ne devrait pas lui être infligée. Au commandement de la force multinationale, il a par ailleurs été indiqué que «la Roumanie juge approprié que M. Munaf reste sous la garde de la force multinationale». L’État partie a également affirmé que, selon ses propres informations, rien n’indique que la famille de l’auteur soit de quelque façon menacée en Roumanie, et qu’elle‑même n’a demandé à bénéficier d’aucune protection de la part des autorités de l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En mars 2005, l’auteur et sa famille (son épouse roumaine et ses enfants) vivaient en Roumanie. Le 15 mars 2005, l’auteur s’est rendu en Iraq avec trois journalistes roumains, pour leur servir de traducteur et de guide. Le 28 mars 2005, ou aux alentours de cette date, les voyageurs ont été enlevés par des forces armées non identifiées. Un groupe iraquien se présentant comme la «brigade Muadh Ibn Jabal» a publiquement revendiqué l’enlèvement. Les otages ont été retenus pendant cinquante-cinq jours. Le 22 mai 2005 ou aux alentours de cette date, ils ont tous été libérés sains et saufs et emmenés à l’ambassade de Roumanie en Iraq, à Bagdad. L’ambassade a immédiatement remis l’auteur aux militaires américains, sous la garde desquels il se trouve depuis lors.

2.2Les militaires américains ont transporté l’auteur au centre de détention de Camp Cropper situé à l’aéroport international de Bagdad. Selon l’auteur, au cours de sa détention dans ce centre, il a été menacé de torture et a subi des sévices et mauvais traitements de la part de responsables tant américains que roumains qui ont tenté de lui extorquer des déclarations. Pendant plus de sept mois, il a été détenu dans une petite cellule d’isolement total. Sa famille a fait l’objet de menaces de la part de responsables américains et roumains. Les fonctionnaires ont dit à l’auteur que s’il n’avouait pas avoir joué un rôle dans l’enlèvement des journalistes roumains, lui-même, sa sœur (qui vit en Iraq) et sa femme (dont on ne sait pas bien où elle vit actuellement) subiraient des sévices sexuels. L’auteur affirme que d’autres détenus de Camp Cropper ont également été battus et torturés. Lui-même a été soumis à des fouilles corporelles pénibles et humiliantes, et il passe chaque jour vingt-trois heures en détention au secret dans une cellule d’environ 2 m2. Pendant une heure par jour, on le libère dans une «cage» avec des individus accusés de meurtre, qui le menacent d’actes de violence. Tous ses effets lui ont été confisqués à l’exception de son exemplaire du Coran et il est obligé de porter une tenue jaune réservée aux détenus condamnés.

2.3Le 12 octobre 2006, après seize mois environ de détention et de mauvais traitements présumés à Camp Cropper, l’auteur a été traduit avec cinq autres prévenus devant la Cour criminelle centrale d’Iraq pour répondre d’accusations relatives à sa prétendue implication dans l’enlèvement. Il était représenté par un avocat engagé à titre privé. L’auteur affirme que durant ce procès, il n’a pas été présumé innocent; n’a pas eu le droit d’entrer en contact avec son conseil américain (bien qu’il fût représenté par un conseil local); n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense; n’a pas été autorisé à interroger les témoins à charge ni à faire citer des témoins à décharge.

2.4Préalablement au procès, un juge de la Cour criminelle centrale avait indiqué à titre privé à l’avocat de l’auteur que les poursuites contre lui seraient abandonnées, dès lors que l’ambassade de Roumanie ne s’était pas manifestée pour appuyer les poursuites, condition nécessaire à leur maintien. Selon l’auteur, puisqu’il était accusé de l’enlèvement de citoyens roumains, la loi iraquienne interdisait qu’il soit jugé par la Cour criminelle centrale en l’absence d’une plainte officielle du Gouvernement roumain. Durant le procès devant la Cour criminelle centrale, un lieutenant américain a présenté officiellement une plainte à l’encontre de l’auteur, en prétendant avoir été autorisé par la Roumanie à le faire en son nom et à demander que l’auteur soit condamné à mort. Il affirmait que cette autorisation était attestée par une lettre signée. Cette lettre n’a pas été produite devant la Cour et ni l’auteur ni son conseil ne l’ont jamais vue. En outre, un général américain a déclaré en audience publique que tous les prévenus étaient coupables et devaient être condamnés à mort. Selon l’auteur, le juge a alors prié toutes les personnes, à l’exception de ses assistants et du lieutenant et du général américains, de quitter la salle. L’auteur et son conseil ont ainsi été exclus de la salle d’audience pendant une partie du procès. Quinze minutes plus tard, les prévenus et leurs conseils ont été de nouveau admis dans la salle, à la suite de quoi les premiers ont été déclarés coupables d’enlèvement et condamnés à mort par pendaison.

2.5Le 15 octobre 2006, quelques membres de sa famille ont rendu visite à l’auteur en détention, et il leur a alors indiqué qu’il était soumis à de mauvais traitements à la suite de sa condamnation à mort. Un soldat américain surveillait la visite, après quoi il a informé la famille qu’à l’avenir, il ne serait plus autorisé de visites ni d’appels téléphoniques. Ensuite, pendant plus d’un mois, l’auteur a été détenu au secret.

2.6Selon l’auteur, bien que l’État partie ait affirmé n’avoir autorisé aucun officier américain à s’exprimer en son nom durant le procès devant la Cour criminelle centrale iraquienne, il n’a pris officiellement aucune mesure pour éclaircir ce point auprès des autorités iraquiennes. Le 2 novembre 2006, un communiqué de presse a simplement été publié par le Ministère roumain de la justice dans lequel celui‑ci indiquait n’avoir jamais autorisé aucun responsable américain à représenter le Gouvernement roumain lors du procès devant la Cour criminelle centrale iraquienne. Selon l’auteur, bien que l’État partie ait eu connaissance de sa condamnation et de la peine prononcée, il n’a pris aucune autre mesure pour intervenir en sa faveur. Le 23 novembre 2006, l’État partie a obtenu qu’une vidéoconférence soit organisée avec l’auteur afin de recueillir sa déposition dans le cadre de la procédure pénale ouverte en Roumanie où il apparaissait en tant que prévenu en raison du rôle qu’il aurait joué dans l’enlèvement. Selon l’auteur, malgré le succès de ces négociations avec ses gardiens, l’État partie n’a nullement tenté d’obtenir sa libération ni de lui éviter la torture, un procès irrégulier ni une mort imminente.

2.7Au moment où l’auteur a présenté sa communication, la Cour de cassation iraquienne, devant laquelle il avait fait appel de sa condamnation, n’avait pas encore statué sur son pourvoi. L’auteur craignait qu’en cas de rejet il soit placé sous le contrôle du pouvoir iraquien et soumis à un traitement bien pire que celui qu’il avait subi jusqu’à présent et qui serait constitutif de torture. Selon l’auteur, le Bureau des droits de l’homme de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq confirme régulièrement la pratique généralisée de la torture dans ce pays. Par ailleurs, selon Human Rights Watch, la plupart des allégations de sévices infligés à des détenus mettent en cause le Ministère iraquien de l’intérieur. Les musulmans sunnites comme l’auteur sont soumis à un traitement particulièrement dur. L’auteur craint, en cas d’échec de son pourvoi, d’être finalement exécuté par pendaison.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie aurait commis des violations du Pacte en raison de son inaction à l’égard de l’auteur. Il allègue une violation de l’article 6, l’État partie n’ayant demandé aucune information ni assurance avant d’autoriser des officiers américains à le soustraire à la sécurité de l’ambassade de Roumanie. L’État partie n’a demandé aucune information ni assurance quant aux conditions de détention et de traitement à Camp Cropper et il n’a fait aucune enquête ni pris aucune mesure pour éviter à l’auteur le procès devant la Cour criminelle centrale iraquienne, dépourvu des garanties d’une procédure régulière. L’État partie avait connaissance de faits impliquant les forces américaines dans des sévices et tortures infligés à des détenus lorsqu’il a autorisé son transfert sous la garde des États‑Unis. Même en apprenant qu’un officier américain avait comparu au procès, en prétendant à tort qu’il se présentait au nom de l’État partie et en déposant une plainte dans laquelle il demandait la condamnation à mort de l’auteur, l’État partie n’a fait aucune enquête ni pris aucune mesure pour préciser sa position. La peine a été prononcée de manière irrégulière à l’issue d’un procès conduit sur la base d’un faux mandat d’un officier américain, mais l’État partie n’a pas effectué d’enquête ni pris de mesure pour protéger la vie de l’auteur. Celui-ci a été condamné à mort pour des faits qui n’impliquaient aucune perte de vie humaine et qui ne peuvent être considérés comme les «crimes les plus graves» aux fins du paragraphe 2 de l’article 6. Par son inaction, l’État partie a établi le lien déterminant dans la chaîne de causalité qui rendra possible l’exécution de l’auteur. Il a ainsi violé et continue de violer les dispositions de l’article 6, qui consacrent le droit à la vie.

3.2L’auteur allègue des violations de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, puisque c’est à cause de la décision de l’État partie de le transférer sous la garde des militaires américains sans demander aucune assurance, puis de son refus de prendre des mesures pour le protéger, qu’il a été soumis à un traitement cruel, inhumain et dégradant (voir supra, par. 2.2). Depuis sa condamnation, l’auteur doit en outre assumer en connaissance de cause sa condamnation à mort, et la tenue jaune qu’il est forcé de porter lui rappelle sa condition de détenu condamné. Il affirme qu’il a déjà subi un préjudice psychologique irréparable et qu’en cas d’échec de son pourvoi, d’autres préjudices lui seront infligés par les forces de sécurité iraquiennes à domination chiite avant qu’il soit finalement pendu, ce qui constituerait en soi une violation de l’article 7 du Pacte en raison des souffrances et de l’agonie prolongées souvent inhérentes à ce mode d’exécution. Même s’il est procédé à une pendaison de la manière la plus humaine possible, la mort est rarement instantanée. L’auteur fait valoir qu’en Iraq, où les pendaisons sont pratiquées en secret et où les bourreaux apprennent empiriquement leur métier, les victimes peuvent rester conscientes tandis que la mort survient lentement par étouffement. Il allègue en outre une violation du paragraphe 2 de l’article 10 du fait qu’il n’était pas séparé des détenus condamnés avant sa condamnation.

3.3L’auteur allègue une violation de l’article 9 du Pacte au motif que l’État partie, en remettant arbitrairement l’auteur aux autorités des États‑Unis, a violé son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Il fait aussi valoir des violations de l’article 14 résultant de la procédure judiciaire iraquienne qui, selon lui, persistent tant que son pourvoi est en attente d’examen, puisqu’il serait loisible à l’État partie de prendre des mesures pour rectifier l’erreur judiciaire qui a été commise lors du procès du 12 octobre 2006. Il allègue des violations des droits garantis par les dispositions ci‑après: paragraphe 2 de l’article 14, pour n’avoir pas été présumé innocent; paragraphe 3 b) de l’article 14, pour n’avoir pas été autorisé à s’entretenir avec son conseil américain; et, bien qu’il fût représenté par un conseil, pour n’avoir pas disposé du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense; paragraphe 3 e) de l’article 14, pour n’avoir pas été autorisé à interroger les témoins à charge ni à faire citer des témoins à décharge; et paragraphe 3 d) de l’article 14, pour avoir été exclu, ainsi que son conseil, de la salle d’audience durant une partie du procès. Si l’État partie avait fait savoir à la Cour criminelle centrale iraquienne qu’il n’appuyait pas les poursuites engagées contre l’auteur, le procès et partant les violations inhérentes à celui‑ci auraient pu être évités.

3.4S’agissant de l’épuisement des recours internes, vu que l’auteur a été immédiatement transféré sous la garde matérielle des militaires américains, il n’existait et il n’existe toujours pas de recours internes à sa disposition pour contester la décision de l’État partie d’autoriser sa sortie et son transfert de l’ambassade, ainsi que son refus d’intervenir dans la procédure pénale iraquienne en sa faveur. Même si des recours judiciaires étaient disponibles, l’auteur n’y a eu nullement accès en raison de son incarcération. Il a sollicité l’intervention de l’État partie, en particulier en envoyant plusieurs lettres à l’ambassade de Roumanie à Washington, mais l’État partie n’y a pas répondu. Il a également informé l’État partie de son intention de saisir le Comité pour le cas où l’État partie refuserait de prendre des mesures en sa faveur. Le Gouvernement des États‑Unis affirme que l’auteur est juridiquement sous la garde de la force multinationale, dont fait partie la Roumanie. En conséquence, les tribunaux américains ont jusqu’à présent refusé d’affirmer leur compétence quant au principe d’habeas corpus à l’égard de quelconques gardiens américains.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 5 mars 2007, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que le mandat était insuffisant, que l’auteur ne relevait pas de la juridiction de l’État partie (extraterritorialité), qu’il n’était pas une «victime» aux fins du Protocole facultatif, qu’il n’avait pas justifié ses allégations, qu’il n’avait pas épuisé les recours internes et qu’il avait abusé du droit de soumettre une communication.

4.2Sur les faits, s’agissant des événements qui ont eu lieu en Iraq, l’État partie affirme que le 22 mai 2005, les quatre otages ont été libérés au terme d’une opération impliquant une action militaire sous commandement de la force multinationale en Iraq − la seule autorité militaire étrangère autorisée sur le territoire iraquien, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU. Les otages ont été immédiatement transférés par la force multinationale dans les locaux de l’ambassade de Roumanie à Bagdad. Les autorités roumaines ont «placé sous leur garde les trois citoyens roumains» tandis que l’auteur (qui a la double nationalité américaine et iraquienne) restait «sous l’autorité et la protection de la force multinationale». Le même jour, l’auteur a été interrogé par la force multinationale. Le 23 mai 2005, la force multinationale l’a placé en détention, au motif qu’il aurait représenté une menace pour la sécurité en Iraq. Depuis lors, il est détenu par les troupes de la force multinationale au centre de détention de Camp Cropper. L’État partie affirme que ce centre ne comporte aucune composante roumaine, étant exclusivement administré par l’armée américaine.

4.3Le 17 mai 2005, les autorités judiciaires roumaines ont engagé des poursuites pénales contre l’auteur, accusé d’infractions aux dispositions du droit pénal roumain relatives au terrorisme, en relation avec l’enlèvement. Les poursuites reposaient sur le principe de «territorialité», certains des faits allégués de préparation et d’exécution ayant été prétendument commis sur le sol roumain, et sur le principe de «personnalité», les victimes étant des citoyens roumains. L’auteur a été accusé d’actes de terrorisme et de complicité dans l’enlèvement prétendument organisé par un certain O. H.

4.4Des procureurs roumains ont participé à certaines des opérations d’enquête menées à Bagdad, avec l’accord des autorités judiciaires iraquiennes. Ils ont interrogé l’auteur et ont recueilli ses déclarations aux dates suivantes: 30 et 31 mai 2005; 26 et 27 juillet 2005; 14 et 15 septembre 2005; et 18 novembre 2006. Ils ont remarqué que l’auteur était bien traité et bénéficiait d’une nourriture correcte et de conditions d’hygiène convenables. Ils n’ont relevé aucun signe de sévices ni de contrainte physique ou morale. L’auteur n’a formulé aucune réclamation à l’encontre des autorités de la force multinationale et ne leur a pas non plus signalé d’actes de torture ou de sévices auxquels, d’après ses allégations ultérieures, il aurait été soumis durant sa détention. Les déclarations ont été recueillies en présence, soit de l’avocat iraquien de l’auteur, soit de son avocat roumain (qui s’est rendu à Bagdad pour certains des interrogatoires). Un représentant américain du centre de Camp Cropper assistait également à tous les interrogatoires, lequel a attesté du respect des droits civils et politiques de l’auteur. Tous les interrogatoires ont été enregistrés sur support audio/vidéo. Aucun des avocats n’a contesté les déclarations ni n’a dit qu’elles auraient été formulées sous la contrainte.

4.5Les procureurs roumains n’avaient pour mandat que de recueillir les déclarations de l’auteur intéressant les affaires portées devant les autorités judiciaires roumaines. Ils n’étaient pas habilités à saisir les autorités judiciaires iraquiennes d’une procédure à l’encontre de l’auteur. L’État partie confirme qu’une déclaration a été faite au nom du Ministère de la justice le 2 novembre 2006, dans laquelle il était indiqué que celui‑ci «n’avait autorisé aucun responsable américain à représenter la Roumanie au cours de la procédure judiciaire iraquienne concernant M. Mohammad Munaf». En outre, les représentants roumains de l’ambassade en Iraq n’avaient connaissance ni du procès, ni de la prétendue autorisation qui aurait été donnée par les autorités roumaines à l’officier américain. L’Ambassadeur de Roumanie en Iraq a nié avoir eu connaissance du procès et déclaré avoir pris contact avec les autorités américaines et iraquiennes pour demander des informations, mais sans succès. Le porte‑parole du Ministère roumain des affaires étrangères a également publié une déclaration dans le même sens.

4.6L’État partie fait par ailleurs état des efforts qu’il a entrepris pour faire transférer l’auteur sous sa garde par voie d’extradition. Le 24 septembre 2005, le Ministère roumain de la justice a reçu de la cour d’appel de Bucarest une demande d’extradition de l’auteur adressée aux autorités compétentes des États‑Unis conformément à une convention bilatérale d’extradition. Le 25 septembre 2005, la demande a été transmise à l’ambassade des États‑Unis à Bucarest. Les autorités américaines n’ont pas fait droit à la demande, considérant que les conditions énoncées dans le traité bilatéral n’étaient pas remplies: plus précisément, le prévenu ne se trouvait ni sur le territoire des États‑Unis ni sur un territoire occupé ou contrôlé par les États‑Unis. Son extradition était aussi considérée comme impossible parce qu’il n’existait aucun accord bilatéral d’extradition entre la Roumanie et l’Iraq et qu’en tout état de cause, la Constitution iraquienne interdit l’extradition de citoyens iraquiens.

4.7Les 19 décembre 2005, 20 mars 2006, 26 avril 2006, 26 juillet 2006, 16 octobre 2006 et 7 novembre 2006, la cour d’appel de Bucarest a adressé aux autorités judiciaires iraquiennes des demandes d’audition de l’auteur par vidéoconférence, à propos de la procédure ouverte en Roumanie. Aucune réponse déterminante n’a été reçue des autorités iraquiennes qui ont seulement indiqué que, l’auteur étant détenu par la force multinationale, elles n’étaient pas à même de répondre aux demandes de l’État partie. De même, lorsque les autorités roumaines ont à plusieurs reprises (décembre 2005, 21 mars 2006, 4 mai 2006 et 24 mai 2006) sollicité le concours des autorités américaines, celles‑ci ont considéré que de telles demandes devaient être adressées aux autorités iraquiennes. À la suite de demandes répétées aux autorités iraquiennes, celles‑ci ont autorisé l’organisation d’une vidéoconférence le 23 novembre 2006 à la cour d’appel de Bucarest avec l’aide de la force multinationale et de l’ambassade des États‑Unis à Bagdad.

4.8Le 20 février 2007, la cour d’appel de Bucarest a décidé que l’auteur devait être entendu le 27 mars 2007 dans le cadre d’une commission rogatoire. Le Ministère roumain de la justice a requis l’assistance des autorités iraquiennes à cet effet et demandé copie du dossier de l’auteur devant la Cour criminelle centrale iraquienne. Le Ministère iraquien de la justice a toutefois déclaré qu’aucune base juridique ne permettait de donner suite à la requête et que la vidéoconférence du 23 novembre 2006 avait été un service rendu à titre gracieux à la Roumanie.

4.9En ce qui concerne la recevabilité de la présente communication, l’État partie affirme qu’aucun mandat n’a été fourni par l’auteur lui‑même. C’est sa sœur qui a donné au conseil l’autorisation d’agir en son nom et elle ne fournit aucune preuve attestant avoir été autorisée à agir en son nom. Quant à l’argument selon lequel, dès lors que l’auteur est détenu au secret, il est dans l’impossibilité de donner une autorisation expresse à son conseil, l’État partie fait valoir que l’auteur est périodiquement en contact avec sa famille, ainsi qu’avec ses avocats iraquien et roumain, qu’il aurait pu autoriser à agir en son nom. Ainsi, du point de vue de l’État partie, la communication est d’emblée irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif faute d’autorisation suffisante.

4.10L’État partie fait valoir en outre que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif et du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, dès lors que l’auteur ne se trouvait pas sur son territoire et ne relevait pas de sa compétence. Il affirme que l’auteur ne relève plus de sa juridiction depuis le 15 mars 2005, date à laquelle il a quitté l’État partie pour se rendre en Iraq avec les trois journalistes roumains. La Roumanie n’a jamais été une puissance occupante en Iraq, circonstance qui aurait pu soulever la question de la compétence extraterritoriale de la Roumanie sur le territoire iraquien et sur ses ressortissants. Depuis sa libération après la prise d’otages, l’auteur est demeuré sous la garde de la force multinationale intervenant sur le territoire iraquien avec l’accord et à la demande des autorités iraquiennes, alors que son procès se déroulait devant la Cour criminelle centrale − une juridiction nationale iraquienne qui exerce ses fonctions dans le cadre du droit iraquien. En vertu des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU, la force multinationale et le Gouvernement iraquien ont en outre convenu que la première assurerait matériellement la garde des prévenus en attente de procès devant les juridictions pénales iraquiennes sur la base du droit iraquien, puisque de nombreux établissements pénitentiaires iraquiens ont été endommagés ou détruits durant la guerre. L’auteur ne s’est jamais trouvé sous l’autorité et le contrôle effectif de l’État partie depuis son arrivée en Iraq, dès lors que la seule autorité étrangère qui s’exerce sur le territoire iraquien est celle de la force multinationale agissant en vertu d’un mandat de l’ONU. Le fait que l’État partie a échoué dans ses efforts tendant à transférer l’auteur sous sa juridiction pour qu’il réponde des accusations portées contre lui en Roumanie, ou même pour obtenir copie du dossier pénal de l’auteur en Iraq (supra, par. 4.6), démontre l’absence d’autorité ou de contrôle de l’État partie sur l’auteur, d’où découle l’absence de compétence à son égard.

4.11L’auteur lui‑même a reconnu dans sa communication ne pas relever de la juridiction de l’État partie, mais se trouver au contraire matériellement sous la garde des militaires américains, dans le cadre de la force multinationale. Cela est en outre démontré par le recours engagé par l’auteur devant les seuls tribunaux des États‑Unis pour tenter d’empêcher sa remise par les autorités américaines de Camp Cropper aux autorités iraquiennes. À cet égard, l’État partie fait référence aux décisions des tribunaux américains qui ont affirmé que l’auteur se trouvait «sous la garde d’une entité multinationale» et, partant, qu’il ne relevait ni de la compétence des États‑Unis ni de celle de l’État partie.

4.12L’État partie nie que l’ambassade de Roumanie ait «autorisé» les militaires américains à appréhender l’auteur. La libération des otages a été assurée par la force multinationale et non par les militaires américains. La présence de l’auteur à l’ambassade de Roumanie est dépourvue de toute signification juridique; il est resté sous la garde de la force multinationale et n’a jamais été transféré de jure ou de facto sous la juridiction de l’État partie. Les autorités roumaines n’avaient aucune raison de solliciter la garde de l’auteur, dès lors qu’au moment de son départ de l’ambassade, il ne devait être soumis qu’à une procédure d’interrogatoire par la force multinationale. Vu qu’à l’époque aucune information n’indiquait qu’une procédure pénale serait ensuite engagée contre lui en Iraq, les autorités de l’État partie ne pouvaient pas savoir alors s’il existait des motifs sérieux de croire qu’il risquait d’être soumis à la torture, à des sévices ou à la peine de mort, comme énoncé dans l’Observation générale no 31 du Comité. Rien ne justifiait que les autorités de l’État partie demandent qu’il soit transféré sous leur garde pour répondre d’accusations portées contre lui en Roumanie en raison de son rôle dans l’enlèvement. Ce n’est que le lendemain qu’il a été arrêté et accusé d’avoir participé à l’enlèvement des trois journalistes roumains. Selon l’État partie, l’auteur avait «demandé à se rendre à l’ambassade des États‑Unis», d’où l’on pouvait déduire qu’il voulait quitter l’ambassade de Roumanie.

4.13S’agissant de l’invocation par l’auteur de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques pour établir un lien de causalité avec la responsabilité de l’État partie à l’égard de l’auteur, l’État partie affirme que cet article ne concerne que l’inviolabilité des locaux de l’ambassade et ne s’applique pas au personnel de celle‑ci, lequel relève d’articles différents de la Convention de Vienne. La présence de l’auteur, pour un bref laps de temps à l’ambassade, n’équivaut pas au regard de la Convention de Vienne ou de toute autre disposition du droit international à un placement de l’auteur sous la garde de l’ambassade. Le personnel de l’ambassade a autorisé les représentants de la force multinationale à pénétrer dans les locaux de l’ambassade afin que les autorités roumaines puissent placer les trois citoyens roumains sous leur garde, ce qui n’a jamais été le cas de l’auteur. La déclaration à la presse, publiée le 22 mai 2005, du Président roumain selon laquelle «les trois citoyens roumains et leur guide avaient été remis à l’autorité de l’ambassade de Roumanie» doit être entendue comme visant simplement à rassurer la population roumaine et le mot «autorité» ne doit pas être interprété au sens juridique ni comme synonyme de «garde». Cela est confirmé par un autre passage de la même déclaration à la presse où il est dit que «les autorités roumaines assument désormais la garde des citoyens roumains et garantissent leur sécurité jusqu’à leur retour chez eux» (italiques ajoutés). L’État partie se réfère à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme pour démontrer que l’auteur n’a invoqué aucun principe de droit international en vertu duquel il pourrait être considéré comme relevant de la compétence de la Roumanie au seul motif que celle‑ci faisait partie d’une coalition multinationale, alors que la sécurité de la zone dans laquelle les faits allégués ont eu lieu était confiée aux États-Unis, tout comme le commandement général de la coalition.

4.14L’État partie affirme que l’auteur n’est pas une victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif, car ses allégations reposent sur des hypothèses concernant d’éventuels événements futurs, lesquels n’avaient pas même débuté lorsque l’auteur a quitté l’ambassade. L’État partie réaffirme qu’à ce moment‑là, l’auteur ne faisait l’objet d’aucune procédure pénale en Iraq et qu’il n’existait aucun mandat d’arrêt délivré à son encontre par la force multinationale. En règle générale, un État partie n’est pas tenu de garantir les droits de personnes relevant d’une autre juridiction et des violations du Pacte ne sont susceptibles de se produire lors de la remise d’un individu dans des circonstances analogues que si,à ce moment‑là, l’État pouvait établir un risque de violation − constituant une conséquence nécessaire et prévisible. En l’occurrence, les faits à l’origine de la communication − la procédure pénale en Iraq, la détention préventive sous la garde de la force multinationale et la condamnation à mort − ont débuté après la remise alléguée, indépendamment des actes supposés de l’État partie.

4.15L’État partie affirme que la communication est irrecevable faute d’éléments justificatifs, l’auteur ne démontrant ni comment sa remise alléguée à la force multinationale aurait déterminé le cours ultérieur des événements ni où se trouve le lien de causalité entre cette remise et sa situation future. Il n’a pas été démontré en quoi la détention actuelle de l’auteur est arbitraire et celui‑ci n’a fourni aucun moyen de preuve étayant l’allégation selon laquelle il aurait été torturé et maltraité en détention. D’ailleurs, les allégations de sévices ont été contredites par les conclusions des procureurs roumains qui l’ont rencontré à Bagdad. L’État partie affirme que l’auteur n’a pas démontré en quoi les actes allégués auraient porté atteinte au droit à un procès équitable. Il a bénéficié d’une assistance juridique et exercé son droit de recours. Selon l’État partie, contrairement à ce que l’auteur allègue, il ressort du paragraphe 3 de la loi iraquienne de procédure pénale que l’attitude des victimes ou celle de l’État partie dont elles relèvent n’exercent aucune influence sur l’engagement, le déroulement ou la cessation des poursuites pénales, et que l’auteur a été condamné à mort au vu de la gravité de ses actes et indépendamment de toute autorisation émanant des victimes ou de leur État d’origine.

4.16S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’État partie affirme que, malgré plusieurs rencontres avec les procureurs roumains, l’auteur n’a jamais indiqué avoir été maltraité par les membres roumains de la force multinationale. Au contraire, il a expressément déclaré qu’il n’avait aucun grief à l’encontre des autorités de l’État partie. Il a été assisté d’un avocat choisi par sa famille, et celui‑ci n’a à aucun moment appelé l’attention des procureurs roumains ou de toute autre autorité roumaine sur d’éventuels signes de violence. Les autorités judiciaires de l’État partie peuvent, d’office ou sur demande, examiner et soutenir des accusations pénales à l’encontre de membres roumains des forces multinationales. En outre, l’auteur n’a pas offert à l’État partie la possibilité de remédier à la violation alléguée du droit à un procès équitable pour ce qui est de la prétendue autorisation du lieutenant américain, vu qu’il n’a pas demandé aux tribunaux iraquiens d’interroger les autorités roumaines quant à l’existence et aux limites de cette autorisation. L’État partie n’a pas été officiellement avisé de cette autorisation ni prié d’intervenir. Les avocats de la sœur de l’auteur ont sollicité, par l’intermédiaire de l’ambassade de l’État partie à Washington, l’intervention de l’État partie dans la procédure pénale en Iraq mais cette demande n’émanait pas d’une autorité officielle en Iraq. L’ambassade a néanmoins répondu que l’autorisation visée n’existait pas et que cette réponse pouvait être utilisée au cours de la procédure pénale, en vue d’une éventuelle demande officielle émanant des tribunaux iraquiens. Il n’existait aucun moyen juridique pour l’État partie d’avoir accès à la procédure ou au dossier de l’auteur en Iraq, et la seule autre possibilité consistait à faire connaître publiquement sa position, ce qu’il a fait par le biais des médias.

4.17Enfin, l’État partie affirme que la communication est irrecevable en raison d’un abus du droit de soumettre une communication, celle‑ci ayant été portée devant le Comité près d’un an et demi après la condamnation à mort de l’auteur par les autorités judiciaires iraquiennes, alors que celui‑ci connaissait le risque d’une telle condamnation dès le début du procès. L’État partie fait valoir aussi que la communication a été soumise parce qu’il n’a pas été accédé à la demande présentée par le conseil de l’auteur à l’ambassade de Roumanie à Washington tendant à ce que celle‑ci adresse une déclaration officielle aux tribunaux iraquiens exprimant l’opposition de la Roumanie à l’imposition de la peine de mort.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 21 mai 2007, le conseil de l’auteur a commenté les observations de l’État partie. S’agissant de la validité du mandat, le conseil affirme qu’au moment où il aurait pu rédiger et présenter sa plainte, l’auteur était détenu à Camp Cropper et s’était vu refuser l’accès à son conseil américain, tandis qu’il n’avait qu’un accès limité à sa famille et à son conseil iraquien. L’auteur n’a donc pas été en mesure de présenter une plainte en son nom propre ni de désigner directement son conseil actuel pour présenter une plainte en son nom. C’est pour cette raison que la sœur de l’auteur a produit un mandat pour agir en son nom.

5.2Sur la question de la territorialité, l’auteur invoque l’article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de protéger toutes les personnes se trouvant sur leur territoire ainsi que toutes les personnes relevant de leur compétence. Ainsi, la distinction faite par l’État partie entre «autorité» et «garde» est inopérante vu que l’État partie est tenu de protéger l’auteur dès que celui‑ci pénètre sur le territoire inviolable de l’ambassade, indépendamment de toute décision de ne pas le placer ou le maintenir sous sa garde. L’inexactitude de cette distinction ressort plus clairement de la tentative de l’État partie pour faire coïncider autorité et compétence: «La Roumanie n’exerce ni autorité ni contrôle sur l’auteur − autrement dit aucune compétence à son égard.».

5.3S’agissant de l’affirmation selon laquelle l’État partie ignorait que l’auteur serait détenu en Iraq, l’auteur fait valoir que les propres troupes de l’État partie étaient membres de la force multinationale et ont participé à «la planification et l’engagement» de l’opération ayant conduit à sa libération. Les autorités roumaines ont également bénéficié de l’aide du Ministre iraquien de l’intérieur et des troupes sous commandement de la force multinationale. L’État partie a mené sa propre enquête à propos de l’auteur qui a abouti à l’engagement de poursuites pénales à son encontre en Roumanie le 17 mai 2005, soit cinq jours avant l’opération de libération. Pour toutes ces raisons, l’État partie ne devait pas être surpris qu’un jour seulement après avoir été remis à l’autorité de l’ambassade de Roumanie puis soustrait à celle‑ci, l’auteur ait été placé en détention à Camp Cropper. Il était ensuite logique qu’il soit traduit devant la Cour criminelle centrale pour y être jugé et il était aussi aisément prévisible qu’il serait en définitive transféré à la garde des Iraquiens, ce qui doit constituer la prochaine étape.

5.4L’auteur réaffirme que l’État partie n’a procédé à aucune enquête ni demandé aucune assurance avant d’autoriser des officiers américains à l’évacuer de l’ambassade. Quant à l’argument selon lequel l’ambassade n’a jamais autorisé le lieutenant américain à agir en son nom, l’auteur affirme que l’État partie n’est jamais intervenu devant la Cour criminelle centrale iraquienne pour rétablir la vérité. Il n’a pas fait non plus de déclaration à cet égard à l’intention de la Cour de cassation iraquienne qui examinera son pourvoi. L’État partie s’est abstenu de prendre une telle mesure alors que c’est peut‑être là la seule démarche nécessaire pour empêcher l’exécution de l’auteur. Selon ce dernier, en tant que partie au deuxième Protocole facultatif, l’État partie doit être tenu de prendre de telles mesures minimales afin de protéger les personnes forcées de quitter son territoire.

5.5S’agissant de l’épuisement des recours internes, vu que l’auteur a été soustrait au ressort du système judiciaire roumain, il ne disposait d’aucun recours interne pour contester le refus de l’État partie d’empêcher son départ forcé. La poursuite de sa détention l’empêche toujours d’engager une telle action. Par l’intermédiaire de son conseil, l’auteur a sollicité l’intervention des autorités exécutives de l’État partie, mais le Gouvernement n’a pas répondu. Pour ce qui est de la date de présentation de sa communication au Comité, l’auteur affirme que, depuis sa mise en détention le 23 mai 2005, il n’a eu qu’un accès très limité à des personnes extérieures au centre de détention. La famille de l’auteur ou son conseil américain n’ont disposé de la totalité des faits énoncés dans la communication que peu de temps avant la présentation de celle‑ci. Une fois que ces faits ont été mis au jour, un délai supplémentaire a été nécessaire pour explorer la disponibilité de recours internes sous la forme des demandes d’intervention des autorités exécutives de la Roumanie. Quant à l’affirmation selon laquelle les efforts du conseil en vue d’obtenir une telle intervention de l’État partie en faveur de l’auteur avant la présentation de la communication au Comité indiqueraient que celle‑ci constituerait un abus du droit de soumettre une communication, l’auteur fait valoir que la plainte inclut l’ensemble de la correspondance entre son conseil et l’ambassade à Washington et qu’il est tout à fait prêt à s’en expliquer. Son conseil a sollicité une intervention des autorités exécutives pour s’acquitter de son obligation éthique de sauvegarder la vie et l’intégrité physique de son client. La communication a été différée à deux reprises pour permettre à l’État partie de prendre des mesures d’assistance à l’auteur. Il a été considéré que de nouveaux reports étaient impossibles pour la sauvegarde de la vie et de l’intégrité physique de l’auteur.

Réponse complémentaire concernant la recevabilité

6.1Le 18 janvier 2008, l’État partie a fait parvenir au Comité trois notes verbales. Deux portent la date du 23 novembre 2007 et ont été adressées par l’ambassade de Roumanie à Bagdad, l’une au Ministère des affaires étrangères de la République d’Iraq et l’autre à la force multinationale en Iraq. Dans ces notes, l’ambassade se référait à la décision récente (aucune date n’était indiquée) de la Cour de cassation iraquienne, qui de toute évidence confirmait la condamnation à mort de l’auteur; elle réaffirmait l’opposition de l’État partie à la peine capitale (voir par. 1.2) et soulignait qu’elle avait escompté que la Cour de cassation annule et non confirme la condamnation à mort. L’État partie demandait aussi aux autorités de la République d’Iraq de revoir leur décision afin d’assurer la protection de la vie et de l’intégrité physique de l’auteur et faisait savoir à la force multinationale qu’il estimait approprié que l’auteur reste sous sa garde. La troisième note verbale, datée du 30 novembre 2007, était une réponse de l’état‑major de la force multinationale indiquant que l’auteur demeurait sous sa garde en application d’une ordonnance de la Cour fédérale des États‑Unis rendue pour des motifs sans rapport avec sa condamnation et que tant que «l’affaire ne serait pas réglée» la force multinationale suivrait les instructions légales qu’elle recevrait de la Cour criminelle centrale d’Iraq. La force signalait que son rôle était limité et qu’elle n’interférait pas dans une décision d’un juge iraquien qui avait prononcé une peine sous l’autorité d’une juridiction souveraine, légalement constituée.

6.2Le 10 mars 2008, des journaux ayant rapporté que le jugement initial rendu par la Cour criminelle centrale d’Iraq concernant l’auteur avait été annulé, le Rapporteur spécial a demandé des éclaircissements à l’État partie sur le stade d’avancement de l’affaire et des renseignements concernant le lieu où se trouvait l’auteur. Il lui a également demandé la traduction du paragraphe 3 de la loi iraquienne de procédure pénale, à laquelle l’État partie fait référence dans ses observations en date du 5 mars 2007, d’où il ressort, selon l’État partie, que l’attitude des victimes ou celle de l’État partie dont elles relèvent n’exercent aucune influence sur l’engagement, le déroulement ou la cessation des poursuites pénales. Le 19 mars 2008, l’État partie a répondu que la position qu’il exposait dans ses observations du 5 mars 2007 découlait des dispositions du paragraphe 3 (reproduit à la lettre dans l’annexe 14), selon lequel une procédure pénale «ne peut être mise en mouvement que si la partie lésée ou son représentant dépose une plainte» pour un certain nombre d’infractions énumérées intégralement au paragraphe A. Les infractions pour lesquelles l’auteur a été condamné ne figurent pas dans cette liste, ce qui donne à penser que, dans des cas autres que ceux qui sont mentionnés, la procédure pénale est engagée d’office. Ainsi, l’engagement de la procédure ne dépend pas de l’attitude de la victime ou de celle de l’État partie dont elle relève contrairement à ce que l’auteur allègue. L’État partie a par ailleurs confirmé les informations données par la presse, selon laquelle la Cour suprême iraquienne a annulé le jugement rendu par les juridictions inférieures contre l’auteur, décision dont l’État partie a pris acte avec satisfaction. D’après les informations publiées dont on dispose, la Cour suprême a estimé que l’absence et la perte de certains éléments de preuve empêchaient l’auteur de bénéficier de toutes les garanties d’un procès équitable. Selon l’État partie, cette décision témoigne du caractère régulier de la procédure devant les autorités iraquiennes et rend sans objet la crainte que la peine de mort soit appliquée.

6.3Le 27 mars 2008, l’État partie a présenté la traduction d’une note verbale datée du 11 mars 2008, adressée par les autorités iraquiennes à l’État partie, dans laquelle elles confirment que «la Cour fédérale de cassation a décidé d’annuler le jugement rendu contre l’accusé (Mohammed Munaf) et de renvoyer l’affaire devant le tribunal spécialisé pour mener plus loin la procédure d’investigation afin d’établir son rôle dans l’affaire et d’enregistrer la déclaration relative à l’enlèvement des journalistes faite en leur nom. Il a été décidé de placer l’intéressé en détention jusqu’à ce que l’affaire soit conclue et la décision finale rendue.».

Dé cis ion d e r ecevabilité*

7.1À sa quatre‑vingt‑douzième session (mars-avril 2008), le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

7.2Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel le mandat fourni par la sœur de l’auteur au conseil, l’autorisant à agir au nom de l’auteur, était insuffisant, et que le conseil n’avait donc pas qualité pour agir en son nom. Le Comité a observé que l’auteur était détenu depuis la présentation et l’enregistrement de la communication et qu’il existait des éléments de preuve écrits fournis par la sœur de l’auteur autorisant le conseil à agir au nom de son frère. Le Comité s’est référé à sa jurisprudence, ainsi qu’à l’article 90 b) de son règlement intérieur en admettant la légitimité d’une autorisation dans de telles circonstances. Il a conclu en conséquence que le représentant de l’auteur avait suffisamment qualité pour agir en son nom et que la communication n’était pas considérée comme irrecevable pour ce motif.

7.3Pour ce qui est des arguments de l’État partie relatifs à l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que l’auteur était détenu en Iraq depuis la présentation de sa communication et qu’il avait entrepris la seule action connue de son conseil pour exercer un recours, sous la forme d’une demande d’intervention des autorités exécutives. L’État partie n’avait pas indiqué de moyens par l’intermédiaire desquels la saisine de ses propres tribunaux aurait pu permettre de remédier aux griefs de l’auteur. Le Comité a pris note de l’argument selon lequel, aux fins d’épuiser les recours internes relatifs au grief de procès inéquitable devant les tribunaux iraquiens, l’auteur aurait dû saisir les tribunaux iraquiens de la question de savoir si l’État partie avait ou non autorisé les poursuites à son encontre. Le Comité a noté que la condition d’épuisement des recours internes s’applique à l’égard de l’État partie à l’encontre duquel la communication est présentée et qu’ainsi, à supposer même qu’un tel grief ait pu être porté devant les tribunaux iraquiens, l’auteur n’avait pas à exercer de tels recours. Pour ces motifs, le Comité a considéré qu’il n’avait pas été démontré que l’auteur disposait de recours internes qu’il était tenu d’épuiser, aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.4Quant à l’argument relatif à l’abus du droit de soumettre une communication, le Comité ne considérait pas qu’un délai d’un an et demi à compter de la survenance des faits de l’affaire, en particulier lorsqu’au nombre de ces faits figure l’imposition de la peine de mort, constituait un retard injustifié, et il ne considérait pas non plus que la présentation d’une communication au Comité à la suite de plusieurs tentatives pour obtenir réparation par le biais de l’autorité exécutive de l’État partie fût constitutive d’un tel abus. Le Comité considérait donc que la communication n’était pas irrecevable pour ce motif.

7.5Le Comité a pris note des derniers arguments de l’État partie, à savoir que l’auteur ne se trouvait pas sur son territoire ni ne relevait de sa juridiction, qu’il ne devrait pas être considéré comme une «victime» au sens de l’article premier du Protocole facultatif et que ses allégations étaient insuffisamment étayées car fondées sur des événements dont aucun n’avait eu lieu au moment où l’auteur avait dû quitter l’ambassade et dont, en conséquence, l’État partie n’avait pu avoir connaissance. Il a pris note également de l’argument selon lequel ces événements ne constituaient pas la conséquence nécessaire et prévisible de son transfert de l’ambassade, d’où il résultait que le lien nécessaire de causalité n’existait pas. Le Comité a rappelé sa jurisprudence selon laquelle un État partie peut, en principe, être responsable des violations des droits d’une personne commises par un autre État si la conséquence nécessaire et prévisible de la soustraction de cette personne à sa juridiction constitue une violation de ses droits reconnus par le Pacte. Il a relevé à cet égard que, relativement à ces questions, l’État partie avait déjà engagé des poursuites pénales internes à l’encontre de l’auteur sur le fondement de sa participation présumée à ce même incident qui fait l’objet de la présente communication, et qu’il avait participé à la planification et à l’engagement de la mission destinée à libérer les otages. En conclusion, le Comité était d’avis que ces questions étaient intimement liées au fond de l’affaire et qu’il serait préférable de les traiter dans leur intégralité à ce stade de l’examen de la communication.

8.En conséquence, le 2 avril 2008, le Comité a déclaré la communication recevable et a prié l’État partie de soumettre par écrit des explications ou déclarations apportant des éclaircissements sur l’affaire et indiquant les mesures qu’il pourrait avoir prises à cet égard. Dans cette perspective, l’État partie était prié en particulier de préciser dans quelle mesure il connaissait ou soupçonnait de manière raisonnable le prétendu comportement délictueux de l’auteur, dans quelle mesure d’autres États ou autorités en avaient connaissance et s’il avait envisagé, avec tout autre État ou autorité, comment régler la question de la responsabilité de l’auteur pour ce comportement.

Observations de l’État partie sur le fond

9.1Dans une réponse datée du 8 janvier 2009, l’État partie a indiqué que, le 24 avril 2008, la cour d’appel de Bucarest avait condamné l’auteur à une peine de dix ans d’emprisonnement pour crimes commis sur le territoire de l’État partie, en l’occurrence le crime relatif à «la constitution de groupes terroristes et à la participation à de tels groupes, au financement d’actes de terrorisme et à la complicité d’activités terroristes». Les autorités de l’État partie étudient les différentes possibilités de faire en sorte que cette peine soit appliquée à l’encontre de l’auteur, étant donné qu’il continue d’être détenu en Iraq.

9.2Pour ce qui est de la décision de recevabilité prise par le Comité, l’État partie fait valoir que le Comité a différé l’examen de la recevabilité, en particulier en ce qui concerne la question de la compétence, ayant décidé d’examiner les arguments y relatifs dans le contexte de l’examen sur le fond. Il demande au Comité de réexaminer sa décision concernant la recevabilité, comme il est autorisé à le faire en vertu de l’article 99, paragraphe 4, de son règlement intérieur.

9.3L’État partie réitère les arguments qu’il a fait valoir précédemment, à savoir que l’auteur ne relève plus de sa compétence puisqu’il a quitté la Roumanie le 15 mars 2005. Il ne se trouve pas «sous le pouvoir ou le contrôle effectif» de l’État partie, comme prescrit par l’Observation générale no 32 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte. Selon l’État partie, étant donné que la règle générale veut que la juridiction soit territoriale et, seulement à titre exceptionnel, extraterritoriale, pour que l’exception puisse s’appliquer il doit être prouvé qu’il existe un lien de cause à effet entre l’action des agents d’un État et les actes subséquents allégués. Ainsi, pour que la responsabilité de l’État partie soit engagée, il faudrait démontrer que l’auteur était sous le pouvoir ou le contrôle effectif des autorités roumaines et qu’il y avait un lien de causalité entre les agents roumains et les violations alléguées invoquées.

9.4L’État partie fournit des informations détaillées sur la nature de la force multinationale en Iraq, le rôle des contingents roumains au sein de cette force multinationale et l’attribution générale de compétences de la force multinationale en vertu du droit international. Il fait valoir, entre autres, que, d’après le site officiel de la force multinationale, depuis 2003 la Roumanie a déployé 5 200 hommes à l’appui de l’opération Libération de l’Iraq. Les troupes étaient affectées à deux divisions multinationales différentes, celle du Centre-Sud et celle du Sud-Est. Il réaffirme que le personnel roumain n’avait pas accès au centre de détention de Camp Cropper, à l’exception du personnel dispensant des soins médicaux. Il se réfère à une réponse du Secrétariat de l’ONU sur la question de l’attribution de compétences des forces de maintien de la paix, faisant suite à la demande de la Commission du droit international, pour démontrer que, même si la force multinationale devait être considérée sur le même plan qu’une mission de maintien de la paix de l’ONU, il est indéniable que les troupes roumaines n’ont jamais été investies d’un commandement ou d’un contrôle effectifs qui les rendraient responsables au plan international pour les actes de la force multinationale. L’État partie se réfère également aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme à l’appui du même argument. De plus, l’État partie n’était pas en mesure de garantir le respect des droits définis dans le Pacte sur le territoire iraquien, étant donné que la responsabilité de garantir ces droits incombait à l’Iraq, en tant qu’État souverain. Il n’existe aucun principe du droit international en vertu duquel l’auteur relèverait de la compétence de la Roumanie au seul motif que celle‑ci fournissait des contingents à une coalition multinationale, dès lors que la sécurité dans la zone où les faits allégués ont eu lieu était confiée aux États‑Unis et que le commandement général de la coalition était effectivement dévolu aux États‑Unis.

9.5L’État partie réaffirme que l’auteur ne relevait pas de sa compétence à la suite de sa libération avec les trois autres otages, le 22 mai 2005, par la force multinationale. Du 28 mars 2005 jusqu’au 22 mai 2005, il a été considéré par les autorités roumaines comme une victime. Bien que, après avoir enquêté sur les circonstances du départ de l’auteur et des journalistes pour l’Iraq, les autorités roumaines aient soupçonné qu’il était impliqué sur le territoire roumain dans des actes criminels en relation avec le terrorisme, elles n’avaient pas de raison de penser qu’il n’était pas prisonnier aux mains d’un groupe terroriste, avec les journalistes roumains. En outre, les soupçons de l’État partie ne portaient que sur les actes survenus sur le territoire roumain avant le départ des quatre personnes pour Bagdad. Ce qui a transpiré ensuite à Bagdad n’aurait pas pu être considéré une conséquence directe de ces actes, étant donné qu’il était objectivement impossible de vérifier le sérieux et l’authenticité des affirmations des terroristes. Il n’y avait aucune raison de douter du sérieux des menaces proférées par les terroristes selon lesquelles les quatre otages seraient tous exécutés et, jusqu’à leur libération, les autorités roumaines craignaient que l’auteur n’ait été exécuté. L’État partie affirme que la force multinationale ne se substitue pas aux autorités iraquiennes mais aide à maintenir la paix et la sécurité en Iraq. Il s’ensuit qu’elle n’avait pas le pouvoir de remettre l’auteur, qui n’était pas citoyen roumain, aux autorités roumaines si celles-ci le demandaient. Le pouvoir de le faire appartenait en dernier ressort aux autorités iraquiennes, auxquelles s’appliquent les dispositions du droit international relatives à l’extradition.

9.6L’État partie réaffirme que l’auteur ne relevait pas de sa compétence au seul motif qu’il avait été brièvement présent à l’ambassade de Roumanie. Il n’avait pas quitté de force l’ambassade et, au moment de son départ, il n’y avait pas de risque que ses droits soient violés. Ses conseils ont admis, dans la demande d’ordonnance de certiorari qu’ils ont déposée devant la Cour suprême des États‑Unis, que l’auteur lui-même avait demandé à être emmené à l’ambassade des États‑Unis. Son départ était donc un acte effectué de son plein gré, à sa demande, et non une mesure qui lui avait été imposée par la force multinationale ou par les autorités roumaines. L’auteur n’avait pas sollicité la protection de l’ambassade en formulant, par exemple, une demande d’asile. Tout en reconnaissant qu’il a une obligation de protéger, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité dans les affaires d’extradition, d’expulsion ou de refoulement, dans lesquelles l’analyse du risque potentiel qu’une personne pourrait courir dans la juridiction de retour est faite sur la base des éléments dont dispose l’État partie au moment du transfert. Or, au moment où l’auteur a demandé à être emmené à l’ambassade des États‑Unis ni les autorités iraquiennes ni la force multinationale n’avaient manifesté la moindre intention de l’arrêter ou de le poursuivre sous un quelconque chef d’accusation. Compte tenu du principe de la présomption d’innocence, c’est aussi se livrer à des conjectures que d’accuser les autorités roumaines d’avoir su, avant même que la moindre procédure soit engagée contre l’auteur en Iraq, qu’il était coupable, qu’il serait jugé et puis condamné à mort. À son départ de l’ambassade, les autorités de l’État partie pensaient qu’il serait interrogé par la force multinationale et n’étaient pas conscientes qu’il serait par la suite interné à Camp Cropper pour «des raisons impératives de sécurité». C’était seulement au cours de cet interrogatoire que des éléments relatifs à l’implication de l’auteur dans l’enlèvement avaient été mis au jour. Sa détention avait été réexaminée par un tribunal de la force multinationale composé de trois juges, l’auteur étant présent à l’audience et ayant eu la possibilité de faire une déclaration et de faire citer les témoins disponibles.

9.7Quant à la question de la présence devant la Cour criminelle centrale d’Iraq d’un officier américain qui aurait affirmé représenter les autorités roumaines, l’État partie réitère qu’à aucun moment il n’a habilité qui que ce soit à le représenter devant les tribunaux iraquiens, étant donné qu’il n’était pas partie à cette procédure. Cela ressort clairement de l’arrêt rendu par la Cour suprême annulant la condamnation de l’auteur, arrêt qui mentionne uniquement les victimes roumaines − à savoir les trois journalistes − en tant qu’anciennement parties à la procédure, et ne contient aucune mention de la Roumanie. En outre, aucune disposition du droit pénal iraquien n’établit de lien entre l’accusation et l’inculpation d’un individu et le consentement exprès de la victime. Comme les conseils de l’auteur devant la Cour suprême des États‑Unis l’ont admis, «le Gouvernement roumain a nié à plusieurs reprises avoir autorisé le lieutenant Pirone à parler en son nom». La lettre qui aurait autorisé l’officier à agir au nom de l’État partie, comme l’a reconnu le conseil de l’auteur, ne figure pas au dossier du tribunal; ni l’auteur ni son conseil ne l’ont vue et ils n’ont pas été en mesure d’élucider dans quelles circonstances elle aurait été obtenue. Aucun rôle officiel n’a été attribué à cet officier et son opinion n’a pas été déterminante pour les conclusions de la cour. En outre, l’auteur n’a pas été à même d’indiquer quelles dispositions établissent un lien entre sa condamnation et la demande expresse de l’État partie.

9.8L’État partie souligne que, du fait qu’il n’est pas impliqué dans les procédures devant la force multinationale ni dans la procédure devant les tribunaux iraquiens, il n’a pas connaissance des informations auxquelles ont accès les autorités d’autres États concernant le comportement délictueux allégué de l’auteur; en conséquence, il lui est impossible de fournir des renseignements plus détaillés que ceux qu’il a déjà fournis, en réponse aux deux dernières demandes qui lui ont été adressées par le Comité. En dépit de leurs efforts répétés, les autorités roumaines n’ont pas reçu la coopération nécessaire des autorités iraquiennes dans l’affaire concernant l’auteur, ce qu’elles ne peuvent que regretter.

9.9Sur le fond des allégations au titre de l’article 6, l’État partie indique que «l’évacuation» était en fait la conséquence directe de la volonté exprimée par l’auteur de se rendre à l’ambassade des États‑Unis, à un moment où ni l’ambassade de Roumanie, ni l’auteur ne pouvaient prévoir que le tribunal de la force multinationale déciderait de l’interner et de renvoyer son dossier devant la Cour criminelle centrale d’Iraq pour des procédures pénales. Si l’auteur avait été averti de ces éventualités, il aurait assurément sollicité, à tout le moins, une protection humanitaire. Plusieurs faits n’étaient pas encore apparus au moment de son départ: c’est seulement après l’avoir interrogé que la force multinationale a considéré qu’il était impliqué dans l’enlèvement; la décision de la force multinationale n’était pas finale, étant donné que le tribunal devait ordonner son arrestation et décider s’il menaçait, par son comportement, la sécurité nationale; enfin, le tribunal a renvoyé son dossier devant la Cour criminelle centrale d’Iraq mais sa condamnation n’était pas le résultat inconditionnel de son départ de l’ambassade, car la Cour aurait pu conclure qu’il ne pouvait être soupçonné d’avoir commis le moindre crime et le relâcher. L’État partie nie avoir échoué à protéger l’auteur en refusant d’intervenir devant la Cour iraquienne et nie avoir délivré la moindre autorisation à un officier américain pour appuyer sa condamnation. L’État partie s’est toujours inscrit en faux publiquement contre ces deux allégations. Toutefois, l’auteur n’a pas montré pourquoi lui‑même ou son conseil, en tant que parties à la procédure, n’auraient pas pu demander à la Cour iraquienne de faire la lumière sur cet aspect.

9.10Quant aux allégations au titre des articles 7 et 10, l’État partie indique qu’aucun élément n’a été produit pour les étayer, hormis une preuve testimoniale secondaire que rien n’est venu corroborer et qui a été contredite de manière flagrante par la conclusion des procureurs roumains qui se sont entretenus à plusieurs reprises avec l’auteur pendant sa détention à Bagdad, et par son épouse, qui a confirmé aux autorités roumaines que son mari «se portait relativement bien». En fait, devant la Cour suprême des États‑Unis, l’auteur avait demandé à ne pas être transféré à la garde des Iraquiens, étant donné que dans de tels lieux de détention il courrait le risque de mauvais traitements. L’auteur n’a pas évoqué devant les tribunaux américains les mauvais traitements qu’il aurait subis à Camp Cropper.

9.11Quant aux conditions de détention dans les prisons iraquiennes, l’État partie note que la Cour suprême des États-Unis a conclu à l’absence de risque réel de torture, en se fondant sur les rapports du Département d’État relatifs à la situation des droits de l’homme en Iraq. Bien que ces rapports admettent que dans certains centres de détention sous la garde des Iraquiens la situation des droits de l’homme suscite des préoccupations, le Ministère de la justice iraquien satisfait aux normes internationales relatives au traitement des détenus dans ses établissements pénitentiaires et l’auteur, s’il est transféré, sera placé dans l’un de ces établissements. L’État partie accorde l’importance voulue aux conclusions de la Cour suprême des États-Unis, car elle est la mieux à même d’évaluer le risque personnel que court un citoyen américain d’être soumis à des mauvais traitements. Quant à la façon dont la peine de mort est appliquée en Iraq, l’État partie considère que rien dans son comportement n’a conduit à cette situation et souligne que, en tout état de cause, le débat sur cette question est théorique dès lors que la Cour suprême d’Iraq a annulé la sentence de mort et ordonné une nouvelle enquête et un nouveau procès qui pourraient déboucher sur un résultat différent.

9.12En ce qui concerne l’article 9, l’État partie renvoie à sa version des faits et à son argument selon lequel l’auteur a quitté l’ambassade de son plein gré, accompagné par des membres de la force multinationale, pour se rendre à l’ambassade de l’État dont il est ressortissant. Il note que la Cour suprême des États-Unis a considéré que le tribunal de la force multinationale composé de trois juges offrait toutes les garanties nécessaires, notamment quant à la légalité et au caractère non arbitraire de son arrestation et de sa détention. De surcroît, cette question n’a pas été portée par l’auteur devant les tribunaux américains avant le stade de l’appel.

9.13En ce qui concerne l’article 14, l’État partie renvoie à la loi iraquienne de procédure pénale pour démontrer que la procédure satisfait aux exigences générales du procès équitable. Il se réfère à ses remarques précédentes quant au rôle allégué d’un officier américain (par. 9.7), ainsi qu’au fait que la Cour suprême d’Iraq, qui a réexaminé la condamnation à mort de l’auteur, a accordé à celui-ci le bénéfice du doute. La Cour suprême d’Iraq a annulé la condamnation à mort de l’auteur, au motif que les témoignages des victimes et de l’un des prévenus faisaient défaut et que la sentence ne reflétait pas la nature effective du crime. Il n’a pas été fait mention de la question de l’autorisation qui aurait été délivrée à l’officier américain par les autorités roumaines. L’auteur n’a fourni aucun élément de preuve étayant les autres allégations, notamment aucune copie de la requête formulée pour interroger les témoins à charge, contacter son conseil américain ou disposer du temps et des facilités nécessaires pour sa défense. Il n’a même pas fourni une copie de son pourvoi contre sa condamnation à mort. Pour ces raisons, l’État partie considère que l’auteur n’a pas étayé ces allégations.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

10.1Le 12 mars 2009, l’auteur a maintenu qu’il était sous le «pouvoir ou le contrôle effectif» de l’État partie pendant le temps qu’il a passé à l’ambassade de Roumanie. C’était l’État partie lui‑même qui avait choisi de traiter l’auteur différemment des trois autres otages. L’argument de l’État partie selon lequel la force multinationale n’avait pas «la compétence nécessaire pour remettre M. Munaf … aux autorités roumaines si celles-ci le demandaient», n’est pas fondé, étant donné que l’État partie n’a jamais demandé à ce que l’auteur reste sous sa garde. L’argument selon lequel la force multinationale n’exerçait pas la même compétence sur l’auteur du fait qu’il n’est pas citoyen roumain que sur les trois autres otages ne s’appuie sur aucune résolution ni autre décision ou document des Nations Unies. Selon l’auteur, la différence de traitement était imputable au choix délibéré de l’État partie de ne pas demander ou conserver sa garde. Le fait qu’il n’est pas citoyen roumain n’exonère pas l’État partie de son devoir de le protéger. Il reconnaît qu’au moment du départ de l’ambassade, il n’avait aucune raison de penser qu’il courait le moindre danger et n’avait donc aucune raison de solliciter la protection de l’État partie. Toutefois, la protection des droits fondamentaux est une obligation absolue et il faut reconnaître que l’absence de demande expresse de protection contre une violation n’exonère pas l’État partie de cette obligation.

10.2Selon l’auteur, au moment où il a été évacué de l’ambassade, l’État partie disposait d’informations qui auraient dû l’amener à conclure qu’il existait un risque réel que les droits garantis par le Pacte soient violés, ce qui aurait dû déclencher à tout le moins une enquête pour déterminer où il serait emmené et ce qui risquait de lui arriver. L’auteur note que l’argument de l’État partie selon lequel il entretenait seulement des soupçons au sujet de l’implication de l’auteur dans des activités criminelles sur le territoire roumain est incompatible avec ses observations antérieures concernant la recevabilité, dans lesquelles il indiquait avoir eu des informations quant à la possibilité que l’auteur ait été impliqué dans la préparation de l’enlèvement, et avec le fait que des poursuites pénales ont été engagées contre lui le 17 mai 2005. En outre, l’État partie a fourni un mémorandum signé par le procureur public roumain, qui décrit l’enquête ouverte contre l’auteur après le 5 avril 2005. D’après ce mémorandum, des enquêteurs roumains se sont rendus à Bagdad avec le consentement du Gouvernement iraquien pour entendre la déposition des témoins inculpés pour actes de terrorisme par les autorités iraquiennes, l’audition ayant eu lieu entre le 19 et le 21 mai 2005 au siège de la Brigade criminelle à Bagdad. Il est donc clair que les autorités roumaines savaient que les autorités iraquiennes arrêtaient spécifiquement des citoyens iraquiens. Elles savaient que les autorités iraquiennes disposaient des mêmes informations que l’État partie concernant les soupçons à l’égard de M. Munaf et elles auraient dû en conclure que les autorités iraquiennes le suspecteraient elles aussi. En outre, bien que les réponses roumaines ne précisent pas si les autorités de la force multinationale étaient présentes à l’audition des témoins, l’État partie aurait pu raisonnablement conclure qu’elles avaient accès à toute information dont disposait l’Iraq et qu’elles étaient au courant des intentions de l’Iraq à l’égard de M. Munaf.

10.3Quant à la question adressée par le Comité à l’État partie lui demandant s’il a envisagé avec tout autre État ou autorité comment régler la question de la responsabilité de l’auteur pour un tel comportement délictueux, l’auteur note que l’État partie explique ce qu’il a fait à cet égard en se contentant d’indiquer qu’il s’est efforcé de s’assurer la coopération des autres autorités pour l’enquête et les poursuites pénales qu’il avait lui‑même diligentées. L’État partie a choisi de ne pas s’informer et de ne demander aucune assurance concernant ce qui pourrait arriver à l’auteur une fois qu’il aurait été évacué de l’ambassade.

10.4L’auteur se réfère à sa condamnation le 24 avril 2008 par la cour d’appel de Bucarest, sur la base de laquelle il formule plusieurs nouvelles allégations. Notant qu’il est détenu en Iraq depuis le 23 mai 2005, il affirme être victime d’une violation de l’article 14, paragraphe 3 b), au motif qu’il n’a pas disposé du temps et des facilités suffisants pour préparer sa défense, ainsi que d’une violation de l’article 14, paragraphe 3 d), au motif qu’il n’était pas présent à son procès.

10.5L’auteur reconnaît que la Cour de cassation a pleinement appuyé ses allégations concernant la violation des droits garantis par l’article 14 durant son procès devant la Cour criminelle centrale d’Iraq. Le 25 janvier 2005, la sœur de l’auteur a reçu de celui-ci un appel téléphonique lui indiquant que ses effets personnels avaient été confisqués. Après cet appel, l’auteur a été maintenu au secret pendant plus de quatre semaines, au cours desquelles ni sa famille ni son avocat iraquien n’ont été autorisés à lui parler. Il a été transféré à de multiples reprises durant de cette période mais, pour finir, il a été ramené à Camp Cropper la dernière semaine.

Réponse complémentaire de l’auteur

11.Le 20 avril 2009, le conseil de l’auteur a fourni des informations actualisées sur l’affaire. Elle indique qu’elle n’a pas été en mesure de contacter l’auteur directement mais qu’elle croit comprendre, d’après ce que lui a dit sa famille, que le tribunal iraquien a requis l’aide des autorités roumaines pour enquêter sur l’affaire. D’après le conseil, le juge d’instruction iraquien a demandé l’audition des trois journalistes roumains qui avaient été enlevés. Six mois après la demande initiale, et après l’envoi de multiples lettres au Gouvernement de l’État partie, ce dernier a répondu en offrant de permettre au juge d’instruction iraquien de venir recueillir la déposition des témoins dans l’État partie. Étant donné que les dispositions du droit iraquien concernant le déroulement de l’instruction et de la procédure pénale ne permettent pas l’audition de témoins en dehors de l’Iraq, le tribunal iraquien a demandé que les trois témoins soient mis à disposition afin que leur témoignage soit recueilli et transmis par satellite de Roumanie en Iraq. À ce jour, le Gouvernement de l’État partie n’a pas répondu à cette demande. Tant que l’État partie n’aura pas donné de réponse, le tribunal iraquien ne peut poursuivre son enquête et la procédure engagée contre l’auteur n’avancera pas. Il s’ensuit que sa détention, qui dure déjà depuis quatre ans, se poursuivra.

Réponses complémentaires de l’État partie

12.1Le 15 mai 2009, l’État partie a contesté les allégations formulées par l’auteur dans sa réponse du 20 avril 2009. Il fait valoir que les autorités roumaines ont reçu seulement deux lettres de l’administration iraquienne, auxquelles elles ont dûment répondu. Le 29 octobre 2008, le Ministère des affaires étrangères a reçu des autorités judiciaires iraquiennes une demande d’information complémentaire concernant les trois victimes de l’enlèvement. En janvier 2009, l’État partie a répondu que pour être conforme aux exigences du droit roumain, une telle demande devait être formulée selon certaines modalités et inclure notamment certaines garanties, en particulier les assurances de réciprocité. De telles exigences sont nécessaires étant donné qu’il n’existe pas d’accord international entre la Roumanie et l’Iraq concernant l’entraide judiciaire internationale en matière pénale. Le 17 avril 2009, l’État partie a reçu des autorités iraquiennes une demande analogue, à laquelle il a répondu en demandant à nouveau, entre autres, des assurances de réciprocité. À la date d’envoi des observations complémentaires, les autorités iraquiennes n’avaient pas répondu à cette note verbale.

12.2Le 13 mai 2009, le Ministère roumain des affaires étrangères a reçu une autre note verbale du Ministère iraquien des affaires étrangères contenant des informations sur la base desquelles la Chambre d’instruction centrale a décidé, le 13 avril 2009, de charger l’attaché consulaire de l’ambassade d’Iraq à Bucarest de recueillir le témoignage des trois journalistes roumains dans le cadre d’une commission rogatoire. Cette note a été envoyée au Ministère de la justice qui examine la question et informera les autorités iraquiennes en temps voulu. L’État partie réaffirme qu’il a adressé de nombreuses demandes aux autorités iraquiennes afin d’apporter son assistance pour l’audition de M. Munaf, y compris sur commission rogatoire, demandes auxquelles les autorités iraquiennes ont répondu par la négative. En outre, l’État partie a informé les autorités iraquiennes de la condamnation de M. Munaf en Roumanie et leur a demandé d’envisager d’appliquer le principe non bis in idem, au cas où une enquête serait ouverte à son encontre en Iraq pour les mêmes crimes que ceux pour lesquels il était déjà poursuivi en Roumanie. L’État partie n’a pas encore reçu de réponse à cette demande. Enfin, l’État partie nie avoir informé les autorités iraquiennes de la possibilité qu’un juge d’instruction iraquien se rende en Roumanie pour recueillir le témoignage des trois journalistes roumains, une telle possibilité n’étant pas prévue aux termes du droit roumain.

12.3Le 5 juin 2009, l’État partie a répondu aux commentaires formulés par l’auteur le 12 mars 2009. Il réitère les arguments qu’il a précédemment fait valoir en ce qui concerne la recevabilité. Selon lui, l’auteur n’a pas étayé ses nouvelles allégations de violations de l’article 14 par la cour d’appel de Bucarest dans son arrêt rendu le 24 avril 2008. Les avocats de l’auteur étaient conscients, au moins depuis les 30 et 31 mai 2005, que des poursuites étaient engagées contre l’auteur dans l’État partie et ils auraient pu demander des informations auprès de sa sœur ou de ses conseils en Roumanie concernant son affaire. Dans sa réponse de mai 2007, l’État partie lui‑même a fait référence à ces poursuites. Ainsi, selon lui, la formulation de ces allégations par l’auteur deux ans après avoir été informé des faits y relatifs constitue un abus du droit de soumettre une communication au Comité. L’État partie affirme également que l’auteur n’a pas épuisé les recours, étant donné qu’il ne s’est pas pourvu devant la cour d’appel de Bucarest et ce, en dépit du fait qu’il a disposé d’un délai supplémentaire en raison de sa condamnation par contumace. En outre, l’auteur peut encore se prévaloir de l’une des voies de recours extraordinaires offertes dans l’État partie.

12.4L’État partie apporte des éclaircissements concernant l’argument qu’il avait fait précédemment valoir, à savoir que l’absence de demande expresse de protection de la part de l’auteur n’impliquait pas qu’il ait commis la moindre faute en omettant de formuler une telle demande mais que, en dehors de la question de savoir si l’État partie aurait dû partir de l’hypothèse d’une violation éventuelle de ses droits, il n’y avait aucune autre circonstance qui aurait impliqué de la part des autorités roumaines la responsabilité de réagir. Pour l’État partie, l’allégation selon laquelle la Roumanie disposait d’informations qui auraient dû l’amener à conclure qu’il existait un risque réel que les droits de l’auteur soient violés n’a pas été corroborée et demeure une simple hypothèse. L’État partie n’a jamais contesté que certains des actes allégués de préparation et d’exécution qui ont conduit à l’enlèvement ont été commis sur le sol roumain; il a simplement précisé que les investigations menées par les autorités roumaines portaient uniquement sur les actes de préparation et d’exécution qui avaient été perpétrés sur le territoire de l’État partie. Les autorités de l’État partie ne pouvaient pas enquêter sur ce qui s’était passé en territoire iraquien. En tout état de cause, les arrestations effectuées par les autorités iraquiennes n’impliquaient pas automatiquement la culpabilité de l’auteur et auraient pu tout aussi bien déboucher sur la conclusion selon laquelle les éléments de preuve étaient insuffisants pour poursuivre la procédure.

12.5Quant à l’argument selon lequel l’État partie aurait dû demander aux autorités iraquiennes ou à la force multinationale comment elles entendaient procéder avec l’auteur, l’État partie réaffirme qu’à l’époque il pensait que la force multinationale avait l’intention de soumettre l’auteur à une procédure d’interrogatoire qui se déroulerait à l’ambassade des États‑Unis. Cela avait d’ailleurs été confirmé par la Cour suprême des États‑Unis dans sa décision concernant l’affaire Munaf c. Geren. L’État partie indique qu’il a fait connaître sa position tant à la force multinationale qu’aux autorités iraquiennes et que, le 28 mai 2009, il avait une nouvelle fois demandé aux autorités iraquiennes de réviser leur politique concernant la peine de mort en vue d’abolir cette dernière.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

13.1Avant d’examiner la plainte sur le fond, le Comité note que l’auteur formule de nouvelles allégations dans sa réponse du 20 avril 2009, après la décision du Comité concernant la recevabilité. Le Comité relève que ces allégations ont trait à la conduite de la procédure pénale à son encontre devant la cour d’appel le 24 avril 2008. Il note que l’État partie conteste ces allégations, notamment au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés puisque l’auteur n’a pas fait appel de sa condamnation en dépit du délai supplémentaire qui lui a été accordé pour ce faire. Tout en notant que l’auteur lui-même était et demeure détenu en Iraq, le Comité constate qu’il n’a fourni aucune raison expliquant pourquoi il n’aurait pas pu charger son conseil roumain de se pourvoir en appel en son nom. Le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré qu’il avait épuisé les recours internes en ce qui concerne ses nouvelles allégations; en conséquence, il décide que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif.

13.2Quant à la demande formulée par l’État partie dans ses observations sur le fond, tendant à ce que le Comité réexamine la recevabilité de l’ensemble de la communication, le Comité réitère la constatation qu’il a formulée dans sa décision de recevabilité, à savoir que les arguments de l’auteur devraient être analysés dans le cadre de l’examen sur le fond.

13.3Le Comité renvoie à sa décision concernant la recevabilité, dans laquelle il a estimé que certains des arguments invoqués à l’appui de la non-recevabilité étaient intimement liés au fond de l’affaire et qu’ils devraient donc être examinés à ce stade. Le Comité a formulé cet avis sur la base, notamment, des allégations sérieuses émises par l’auteur, des contradictions entre l’État partie et l’auteur sur plusieurs points de fait et de l’absence d’information suffisante quant à la mesure dans laquelle l’État partie avait connaissance du comportement délictueux allégué de l’auteur. Le Comité rappelle qu’il a adressé d’autres demandes à l’État partie dans sa décision de recevabilité, demandes auxquelles tant l’État partie que l’auteur ont eu de nouvelles possibilités de répondre.

Examen au fond

14.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

14.2La principale question que doit examiner le Comité est celle de savoir si, en autorisant l’auteur à quitter les locaux de l’ambassade de Roumanie à Bagdad, l’État partie a exercé sa compétence sur lui d’une façon qui l’exposait à un risque réel de devenir victime de violations des droits que lui confèrent les articles 6, 7, 9, 10, paragraphe 1, et 14 du Pacte, risque qu’il aurait pu raisonnablement anticiper. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle un État partie peut être responsable de violations extraterritoriales du Pacte, s’il constitue un lien dans la chaîne de causalité qui rendrait possible des violations dans une autre juridiction. Il s’ensuit que le risque d’une violation extraterritoriale doit être une conséquence nécessaire et prévisible et doit être déterminé sur la base des éléments dont l’État partie avait connaissance au moment des faits: en l’occurrence, au moment où l’auteur a quitté l’ambassade.

14.3S’il existe des désaccords sur certains faits de l’affaire, les deux parties s’entendent néanmoins sur les éléments suivants: l’auteur a été conduit à l’ambassade, où il est resté quelques heures; il a demandé expressément à se rendre à l’ambassade des États‑Unis en raison de sa double nationalité; il ignorait alors lui-même qu’il pourrait faire ultérieurement l’objet de poursuites pénales en Iraq et qu’il aurait donc pu avoir besoin de la protection de l’État partie. Ce dernier point a été confirmé dans les commentaires de l’auteur sur le fond (par. 10.1).

14.4À la lumière des réponses fournies tant par l’État partie que par l’auteur aux questions traitées par le Comité dans sa décision de recevabilité, il est clair que l’État partie était impliqué dans l’engagement et la planification de l’opération visant à libérer les otages et que l’auteur avait été inculpé (et ultérieurement jugé coupable) d’avoir commis des actes délictueux sur le territoire de l’État partie, actes relatifs à l’enlèvement en Iraq proprement dit. L’auteur affirme que l’administration iraquienne avait fourni une certaine assistance à l’État partie concernant l’enquête qu’il avait diligentée sur les délits commis par l’auteur en Roumanie. Il fait valoir que, par suite de cette coopération, l’État partie n’aurait pas dû être «surpris» (par. 5.3) d’apprendre que l’auteur avait été inculpé le lendemain de son départ. Toutefois, le Comité ne considère pas que parler de «surprise» revienne à dire que l’État partie savait que des violations du Pacte étaient une conséquence nécessaire et prévisible du départ de l’auteur de l’ambassade. De même, il ne considère pas que l’ensemble de ces informations, même si on les examine dans leur totalité, prouvent ou même donnent à penser que l’État partie aurait su ou aurait dû savoir, au moment du départ de l’auteur, que des poursuites pénales seraient ultérieurement engagées contre lui en Iraq. Pas plus qu’il n’aurait pu savoir que le déclenchement de ces poursuites aurait entraîné pour lui un risque réel d’être reconnu coupable dans des circonstances contraires à l’article 14, soumis à des mauvais traitements en violation des articles 7 et 10, condamné à mort en violation de l’article 6 et éventuellement exécuté en violation du paragraphe 2 de l’article 6.

14.5Le Comité note qu’au moment de son départ de l’ambassade, l’État partie pensait que l’auteur prendrait simplement part à une procédure d’interrogatoire et il n’avait donc aucune raison de ne pas donner suite à sa demande spécifique de se rendre à l’ambassade des États‑Unis, en particulier étant donné qu’il possédait la double nationalité. Le Comité considère que les allégations de l’auteur selon lesquelles l’État partie savait qu’il en irait autrement, étaient et demeurent en fait de simples hypothèses. À cet égard, le Comité note que depuis le moment même où il a soumis sa communication, l’auteur n’est plus sous le coup d’une condamnation à mort en Iraq, son inculpation et sa condamnation ayant été annulées en attendant un complément d’enquête. En outre, l’auteur reconnaît qu’en annulant sa condamnation, la Cour de cassation a répondu à ses allégations au titre de l’article 14, concernant les procédures pénales engagées devant la Cour criminelle centrale d’Iraq. De l’avis du Comité, le fait que la procédure engagée contre l’auteur n’a pas encore été menée à son terme et qu’après réexamen certains de ses griefs, tout au moins, ont été pris en compte, corrobore l’argument de l’État partie selon lequel il ne pouvait pas savoir, au moment où l’auteur a quitté l’ambassade, que celui-ci courait le risque d’une violation des droits que lui confère le Pacte.

14.6Pour les raisons susmentionnées, le Comité ne peut conclure que l’État partie a exercé sa compétence sur l’auteur d’une façon qui exposait celui-ci à un risque réel de devenir victime d’une quelconque violation des droits que lui confère le Pacte.

15.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés ne font pas apparaître de violation de l’un quelconque des articles du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion dissidente de M. Ivan Shearer, Sir Nigel Rodley et M. Yuji Iwasawa concernant la décision de recevabilité

Nous ne pouvons souscrire à la décision par laquelle la présente communication est déclarée recevable. De notre point de vue, aucun fait nouveau ne peut apparaître au stade de la procédure quant au fond qui permettrait de conclure à une violation des droits de l’auteur en vertu du Pacte. On ne saurait imposer encore à l’État partie l’obligation de répondre à une plainte manifestement erronée.

Nous nous en tiendrons à ce que nous estimons être une absence totale de lien territorial ou juridictionnel entre l’auteur et l’État partie, conformément aux dispositions de l’article 2 du Pacte. L’établissement d’un lien de cette nature est indispensable pour qu’une communication concernant ledit État puisse être jugée recevable.

Les faits relatifs à cet aspect de l’affaire ne semblent pas être contestés. L’auteur a été emmené à l’ambassade de Roumanie à Bagdad avec les autres otages libérés par des membres de la force multinationale. Les trois otages libérés sont demeurés à l’ambassade dans l’attente que soit organisé leur rapatriement en Roumanie. M. Munaf, qui a la double nationalité iraquienne et américaine, a quitté l’ambassade, accompagné par la force multinationale, demandant à être transféré à l’ambassade des États-Unis. Il n’a pas sollicité la protection de l’ambassade de Roumanie en lui soumettant une demande d’asile ni n’a exprimé le souhait de rester dans ses locaux. Rien n’atteste qu’il a quitté l’ambassade autrement que de son plein gré. Ce n’est que le jour suivant que M. Munaf a été arrêté par la force multinationale au motif qu’il aurait commis une infraction.

On peut seulement conclure, de notre point de vue, que la présente communication a été artificiellement présentée comme une plainte contre la Roumanie, partie au Protocole facultatif, pour appeler indirectement l’attention sur de prétendues violations du Pacte par l’Iraq et les États-Unis. Aucun de ces deux États n’étant partie au Protocole facultatif, l’auteur serait dans l’impossibilité d’engager une procédure contre eux devant le Comité.

(Signé) M. Ivan Shearer

(Signé) Sir Nigel Rodley

(Signé) M. Yuji Iwasawa

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion dissidente de M. Walter Kälin concernant la décision de recevabilité

Je ne suis pas en mesure de me rallier à l’opinion de la majorité qui considère que la présente communication est recevable. Je considère que les faits de l’espèce, bien qu’ils soient contestés dans une certaine mesure par les parties, sont suffisamment clairs pour permettre de conclure que la communication aurait dû être déclarée irrecevable.

L’État partie affirme que l’auteur ne se trouvait plus sur son territoire et ne relevait plus de sa compétence depuis le 15 mars 2005, date à laquelle il a quitté l’État partie pour se rendre en Iraq. Il affirme également que, s’il est vrai que l’auteur a été emmené à l’ambassade de Roumanie, il n’a jamais été soustrait à la garde de la force multinationale et n’a pas été remis à la Roumanie.

La question fondamentale qui se pose en l’espèce est de savoir si la Roumanie exerce sa compétence sur l’auteur. Le point de départ pour examiner cette question est l’article 2 du Pacte, aux termes duquel les États parties s’engagent «à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte…», et l’article premier du Protocole facultatif autorisant le Comité à «recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction» (italiques ajoutés). En conséquence, le Comité a interprété l’expression «particuliers relevant de sa juridiction» comme faisant référence, non pas au lieu où la violation est survenue mais plutôt à la relation entre l’individu et l’État, par rapport à la violation de l’un quelconque des droits reconnus dans le Pacte. Cette position a été confirmée et explicitée dans l’Observation générale no31 du Comité, dans laquelle celui-ci a clairement énoncé «qu’un État partie doit respecter et garantir à quiconque se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte même s’il ne se trouve pas sur son territoire» (italiques ajoutés). Il a poursuivi en disant que la jouissance des droits reconnus dans le Pacte n’est pas limitée aux citoyens des États parties et que le principe s’applique aussi à quiconque se trouve «sous le pouvoir ou le contrôle effectif des forces d’un État partie opérant en dehors de son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi, telles que les forces constituant un contingent national affecté à des opérations internationales de maintien ou de renforcement de la paix». Ainsi, le critère est non pas de savoir, comme le soutient l’État partie, si l’auteur se trouvait sous sa «garde» ou son «autorité» ou si sa garde avait été transférée à la force multinationale, mais d’établir si l’auteur se trouvait sous le «pouvoir ou le contrôle effectif» de l’État partie aux fins de l’obligation incombant à celui-ci de respecter et de garantir les droits reconnus dans le Pacte.

À cet égard, j’admets les faits suivants: la libération de l’auteur et des otages roumains a été opérée au cours d’un raid mené par un contingent militaire sous le commandement de la force multinational en Iraq, dont la présence en Iraq a été autorisée par le Conseil de sécurité. Comme l’a confirmé l’auteur, le contingent de la force multinationale ayant directement participé à la libération des otages n’incluait aucun soldat roumain. La participation de l’État partie, comme ce dernier ne l’a pas contesté, était limitée à la phase «d’engagement et de planification» de l’opération. Le contingent qui a effectué l’opération a emmené les otages ainsi que l’auteur à l’ambassade de Roumanie à Bagdad. De là, l’auteur a été emmené par la force multinationale à Camp Cropper, où il est depuis détenu. Camp Cropper est un centre de détention de la force multinationale dans lequel, comme l’a démontré l’État partie, il n’y avait cependant aucun personnel roumain durant la période considérée.

En conséquence, la présente affaire pose trois questions. D ’ abord, il faut examiner si l’État partie est responsable des violations dont l’auteur dit avoir été victime du fait de la détention, du procès et de la sentence dont il a fait l’objet en raison de la présence de l’État partie au sein de la force multinationale. Ensuite, il faut examiner si l’État partie, en laissant l’auteur être emmené hors des locaux de l’ambassade, a exercé sa compétence à son égard d’une manière qui l’a exposé à un risque réel d’être victime de violations des droits reconnus par les articles 6, 7, 9, 10, paragraphe 1, et 14 du Pacte qu’il pouvait raisonnablement prévoir. Enfin, il faut se demander si l’État partie a exercé sa compétence à l’égard de l’auteur en s’abstenant comme cela est allégué, après le départ de l’auteur de l’ambassade, d’intervenir en sa faveur au cours du procès devant la Cour criminelle centrale iraquienne, omission qui, selon l’auteur, a rendu possible la violation de ses droits.

S’agissant de la première question, je constate que, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il pourrait être considéré qu’un État partie exerce sa compétence à l’égard d’une personne dans le cadre d’une «opération internationale de maintien ou de renforcement de la paix», comme indiqué dans l’Observation générale no 31, en la présente occurrence, l’État partie n’était pas lui-même représenté au sein du contingent de la force multinationale qui a libéré les otages. Ainsi, le rôle que l’État partie a joué dans la libération, par le biais de sa participation à l’engagement et à la planification de l’opération, était trop indirect pour que l’auteur se trouve, avant son arrivée à l’ambassade, sous son pouvoir ou son contrôle effectif, selon la définition du Pacte et du Protocole facultatif. On parvient à la même conclusion pour ce qui est de la détention de l’auteur par la force multinationale à Camp Cropper après son départ de l’ambassade, étant donné qu’aucun personnel originaire de l’État partie n’était présent dans ce centre de détention durant la période considérée, ainsi que du procès devant la Cour criminelle centrale iraquienne. Il n’existe aucun principe établi de droit international en vertu duquel l’auteur relèverait de la compétence de l’État partie au seul motif que celui-ci fait partie d’une coalition avec l’État qui a placé l’auteur en détention et qui contrôlait Camp Cropper. Ainsi, on ne peut considérer que l’auteur se trouve sous le pouvoir ou le contrôle effectif de l’État partie depuis son départ de l’ambassade et sa mise en détention ultérieure à Camp Cropper. De mon point de vue, la communication est donc irrecevable dans la mesure où il y est affirmé que le traitement de l’auteur durant sa détention à Camp Cropper, son procès et la sentence de mort qui en est résultée sont directement imputables à l’État partie et constituent des violations du Pacte par celui-ci.

Pour ce qui est de la deuxième question et des allégations de l’auteur selon lesquelles sa remise à la force multinationale ayant conduit à sa condamnation à mort violerait les droits qui lui sont reconnus par le Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir que les États parties sont tenus de ne pas soustraire, par quelque moyen que ce soit, des personnes à leur juridiction s’il peut être raisonnablement prévu qu’elles seront exposées à un risque réel d’être maltraitées. La même obligation incombe à l’État partie qui a aboli la peine de mort à l’égard d’une personne qui encourt la peine capitale dans un autre pays. En l’espèce, la question se pose de savoir si l’auteur pouvait être réputé se trouver «sous le pouvoir ou le contrôle effectif» de l’État partie du fait de sa présence dans son ambassade à Bagdad. Je relève que l’enchaînement précis des faits survenus à l’intérieur de l’ambassade le 22 mai 2005 est contesté par les parties au différend, mais que celles-ci reconnaissent i) que l’auteur se trouvait dans les locaux de l’ambassade et ii) qu’il n’a été arrêté qu’après avoir quitté l’ambassade. En droit international, un État partie exerce pleinement sa juridiction sur les locaux diplomatiques et sur les actes de toutes les personnes qui s’y trouvent. Il en est ainsi quel que soit le degré exact du contrôle de fait que le personnel de l’ambassade et la force multinationale ont pu exercer sur l’individu. Dans ces conditions on peut dûment considérer que dans la journée du 22 mai 2005 l’auteur relevait légalement de la compétence de l’État partie lorsqu’il se trouvait dans son ambassade en Iraq.

Toutefois, même si nous admettons que l’État partie exerçait sa juridiction sur l’auteur pendant que celui-ci se trouvait dans les locaux de l’ambassade, la question demeure de savoir si l’auteur a suffisamment justifié, aux fins de la recevabilité, son allégation selon laquelle l’État partie était à même de prévoir raisonnablement les violations imminentes des droits qui lui sont reconnus par les articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte résultant de la détention, du procès et de la sentence dont il a fait l’objet par la suite. À cet égard, l’explication de l’État partie selon laquelle l’auteur a demandé à être conduit à l’ambassade des États-Unis et le fait que l’auteur n’a jamais prétendu avoir demandé au personnel de l’ambassade de lui assurer une protection, tout comme la brièveté et les circonstances de la présence de l’auteur dans les locaux de l’ambassade sont des éléments majeurs à prendre en compte. Je considère que dans ces conditions l’auteur n’a pas suffisamment justifié, aux fins de la recevabilité, son allégation selon laquelle les autorités de l’État partie étaient à même de prévoir raisonnablement les prétendues violations des droits que lui reconnaît le Pacte.

La dernière question consiste à déterminer si l’État partie exerce sa juridiction à l’égard de l’auteur pour ce qui touche au fait allégué qu’il s’est abstenu d’intervenir auprès des autorités compétentes durant et après le procès devant la Cour criminelle centrale iraquienne, malgré des demandes à cet effet de son conseil. Le refus d’agir en faveur d’une personne se trouvant à l’étranger peut être considéré comme un exercice pertinent de compétence, à condition qu’il existe un lien véritable entre l’État et la personne considérée. Dans la présente affaire, l’auteur a affirmé que, en vertu de la loi iraquienne applicable, l’État partie devait autoriser le procès de l’auteur et la sentence de mort prononcée contre lui parce que les victimes étaient ses propres ressortissants, et qu’il était donc censé jouer un rôle direct dans le procès. Une telle possibilité juridique d’empêcher l’imposition de la peine de mort au cours d’un procès qui violerait prétendument l’article 14 serait, à mon avis, suffisante pour créer un lien véritable entre l’État partie et l’auteur. Je note cependant que le seul article invoqué par les parties à la procédure qui pourrait être pris en considération est l’article 3 de la loi iraquienne de procédure pénale qui exige une demande de la partie lésée pour des infractions spécifiées. Toutefois, l’enlèvement ne figure pas dans la liste contenue à l’article 3 et l’auteur n’a visé aucune autre disposition spécifique du droit iraquien pour étayer son affirmation selon laquelle, dans la présente affaire, l’accord de l’État partie aurait été nécessaire. Le Comité aurait donc dû conclure que l’auteur n’a pas suffisamment justifié, aux fins de la recevabilité, son allégation selon laquelle l’État partie aurait violé l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 6 de protéger sa vie.

(Signé) M. Walter Kälin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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