NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/96/D/1397/2005

17 août 2009

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-seizième session

13 - 31 juillet 2009

CONSTATATIONS

Communication n o  1397/2005

Présentée par:

Pierre Désiré Engo (représenté par un conseil, Charles Taku)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Cameroun

Date de la communication:

30 mars 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 17 mai 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

22 juillet 2009

Objet: détention prolongée du requérant sans jugement.

Question de procédure: épuisement des voies de recours internes.

Questions de fond: détention arbitraire, non-respect du délai raisonnable de jugement : conditions de détention.

Articles du Pacte: 9; 10, paragraphe 1 ; 14, paragraphes 2, et 3 (a), (b), (c) et (d)

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5, par. 2 b).

Le 22 juillet 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1397/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt- seizième session

concernant la

Communication n o 1397/2005 *

Présentée par:

Pierre Désiré Engo (représenté par un conseil, Charles Taku)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Cameroun

Date de la communication:

30 mars 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 juillet 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication No 1397/2005 présentée par Pierre Désiré Engo, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 30 mars 2005, est Pierre Désiré Engo, citoyen camerounais, actuellement détenu à la Prison centrale de Yaoundé. Il se déclare victime de violations de la part du Cameroun de l’article 9 ; de l’article 10 ; des paragraphes 2, et 3 (a), (b), (c), et (d) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil, Charles Taku. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Cameroun le 27 septembre 1984.

Rappel des faits :

L’auteur était le directeur général de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) du Cameroun jusqu’au 3 septembre 1999, date à laquelle il fut arrêté. Depuis cette date, il est détenu à la Prison Centrale de Yaoundé.

La CNPS et l’Entreprise Six International ont créé la société Prévoyance Immobilière de Gestion de Travaux (PIGT) pour la gestion de biens immobiliers appartenant au Fonds National d’Assurance. Le 1er Juillet 1998, M. Atangana Bengono, alors manager de la PIGT, a cessé ses fonctions pour une appropriation présumée illégale de fonds. La CNPS décida alors de suspendre toutes les opérations bancaires de la PIGT pour prévenir tout autre acte de corruption, comme ceux supposés s’être produits à la PIGT. L’auteur fait valoir qu’il a été la cible de plusieurs procès lié à ces affaires.

Le 11 décembre 1998, dans une première procédure, M. Atangana Bengono a déposé plainte avec constitution de partie civile contre l’auteur pour tentative de détournement de deniers publics, détournement de deniers publics, suppression de preuves, faux et usages de faux (Ministère public et M. Atangana Bengono et CNPS c. M. Engo et autres). Le 23 décembre 1998, l’auteur a lui-même déposé plainte avec constitution de partie civile contre M. Atangana Bengono et autres pour tentative de détournement de deniers publics, suppression et fabrication de preuves, faux et usage de faux en écritures privées de commerce ou de banque. Le Magistrat-Instructeur a ouvert l’information judiciaire le 19 février 1999, au cours de laquelle la CNPS a porté plainte contre l’auteur pour détournement de deniers publics et a déclaré se constituer partie civile. Le Magistrat-Instructeur a décidé du traitement des affaires en deux procédures distinctes. Dans le cadre de la première procédure, le 26 août 1999, à la suite d’un interrogatoire de première comparution, l’auteur a été inculpé libre. Le 3 septembre 1999, lors de l’interrogatoire au fond, le Magistrat-Instructeur a d’après l’auteur prétendu qu’il ressortait de cette même plainte deux nouvelles infractions (trafic d’influence et intérêt dans un acte), il a inculpé l’auteur et l’a mis sous mandat de dépôt. Après exploitation des rapports des experts, des résultats de la commission rogatoire internationale, des réquisitions à banques émises, auditions des témoins, l’information judiciaire a établi qu’il y avait charges suffisantes contre l’auteur pour détournement de deniers publics, favoritisme, trafic d’influence et corruption. L’information judiciaire a été clôturée et l’auteur renvoyé devant le Tribunal de grande instance du Mfoundi. L’affaire a été renvoyée à plusieurs reprises, le Président du Tribunal a retenu la solution de suspensions successives de sa session jusqu’au dénouement de l’affaire, pour éviter les renvois classiques, jugés trop long. Le 23 juin 2006, le Tribunal de grande instance du Mfoundi condamne l’auteur à quinze ans de prison ferme, le jugeant coupable de coaction de détournement de deniers publics et favoritisme et corruption. M. Atangana Bengono est également débouté de sa constitution de partie civile comme non fondée.

Une deuxième procédure (Ministère public et Ayissi Ngono c. MM. Engo et Atangana Bengono) résulte de la requête de M. Ayissi Ngono pour émission de chèque sans provision du 29 décembre 1998. A la requête de l’auteur, M. Ayassi Ngono et M. Atangana Bengono ont été cités à comparaitre devant la même juridiction, pour y répondre des faits d’extorsion de signature, tentative d’escroquerie et chantage. Les deux procédures ont été liées le 18 mai 1999. Le 18 janvier 2000, le Tribunal de première instance de Yaoundé a rendu sa décision condamnant l’auteur à six mois d’emprisonnement ferme pour émission de chèque sans provision, ainsi qu’à payer une somme de 10.000.000 F CFA à titre de dommages-intérêts à M. Ayissi Ngnono, et décerne mandat de dépôt à l’audience contre l’auteur. Toutes les parties ont relevés appel de cette décision, dont l’auteur le 23 février 2000. D’après l’auteur, l’audience en appel n’a jamais eu lieu, pour des raisons inconnues. Le 24 août 2000, l’auteur a demandé la levée d’écrou car il avait servi sa peine, mais sans résultat. Le dossier de procédure est d’après l’Etat partie en cours de transmission à la Cour d’appel du Centre.

La troisième procédure (Ministère public et CNPS c. MM. Engo, Dippah et autres) résulte d’une plainte déposée le 27 décembre 1999 par la CNPS contre un certain M. Dippah et autres pour faux, usage de faux et détournement de deniers publics. Le 23 mai 2000, le Procureur de la République a ouvert une information judiciaire pour faux, usage de faux et détournements de deniers publics contre, entre autre, l’auteur et M. Dippah. Ils ont été placés sous mandat de dépôt tandis que les autres inculpés ont été laissés en liberté. L’auteur reçoit une ordonnance de renvoi devant la barre le 11 avril 2002. Le 22 novembre 2002, le Tribunal de grande instance du Mfoundi a rendu son jugement, déclarant l’auteur coupable de complicité de détournement et le condamnant à dix ans d’emprisonnement ferme, ainsi que paiement de dommages-intérêts. L’auteur a interjeté appel le 22 novembre 2002. Le 27 avril 2004, la Cour d’appel du Centre a rendu un arrêt confirmant le jugement quant à l’auteur. L’auteur s’est pourvu en cassation le même jour, et le dossier a été transmis à la Cour suprême le 19 janvier 2005. Le 22 juin 2006, la Cour suprême s’est prononcée pour le rejet du pourvoi en cassation. L’auteur indique que ses avocats n’ont pas été convoqués à l’audience de la Cour suprême.

La quatrième procédure résulte d’une citation directe les 15 et 18 octobre 2001 de M. Atangana Bengono contre l’auteur, aux fins de répondre des préventions de commentaires tendancieux, fausses nouvelles et diffamation. Au soutien de son action, M. Atangana Bengono a indiqué que, le 11 décembre 1998, il a déposé plainte avec constitution de partie civile contre l’auteur pour tentative de détournement de deniers publics. Alors que l’affaire se trouvait encore à l’instruction, le journal « La Nouvelle Presse » relatait la procédure judiciaire. Le 10 avril 2003, le Tribunal a déclaré l’action publique éteinte du fait du désistement du requérant le 29 avril 2002, et l’a condamné aux dépens. Le Ministère public a relevé appel de cette décision le 17 avril 2003. Le dossier de procédure est en cours de transmission à la Cour d’appel du Centre.

La cinquième procédure résulte de la commission rogatoire internationale émise par le Magistrat-Instructeur dans l’affaire M.P. et M. Atangana Bengono et CNPS c. M. Engo et autres (voir paragraphe 2.3), aux fins de déterminer l’origine et le montant des fonds déposés dans les comptes de l’auteur à Paris. Elle a trait à un virement de 250 millions FF, et eu égard à l’importance de ce montant, le Parquet s’est saisi des faits et a ouvert une nouvelle information judiciaire. Le 15 février 2005, le procureur a notifié à l’auteur un nouveau mandat de dépôt, et il a été inculpé de détournement de deniers publics. Une commission rogatoire internationale a été émise le 7 mars 2005.

Teneur de la plainte

L’auteur soutient que son droit à la liberté et à la sécurité de la personne (article 9 du Pacte) a été violé. Il affirme qu’il a été arrêté sans mandat et détenu arbitrairement, dans de mauvaises conditions, en violation de l’article 10, paragraphe 1, du Pacte, et sans être informé des charges retenues contre lui dans les diverses procédures. A cet égard, après son incarcération en 1999, l’état de santé de l’auteur s’est détérioré. Il a développé un glaucome. Malgré le besoin de soins médicaux, il a été empêché de contacter ses médecins pendant les deux premières années de détention, en dépit de demandes à répétition au procureur et à d’autres instances. Il a fallu l’intervention de la Croix Rouge pour qu’il soit examiné par ses médecins. En raison du refus de soins à l’auteur, sa vision s’est détériorée. L’auteur a adressé plusieurs courriers aux autorités afin d’exposer ses problèmes médicaux et ses conditions de détention.

L’auteur soutient également que son droit à un procès juste et équitable (article 14, paragraphes 2 et 3, alinéas (a), (b), (c) et (d)) ont été violés par l’Etat partie. L’auteur soutient en outre que les droits de la défense et d’autres exigences du droit à procès juste et équitable ont été violés dans son cas, en raison notamment de sa détention excessivement longue, du harcèlement dont ses avocats ont été les victimes, du refus de lui communiquer les rapports d’expertise judiciaire, la saisie et la confiscation des documents devant servir à sa défense, ainsi que du fait que l’Etat n’a rien fait pour faire cesser la campagne menée par les medias publics le présentant comme coupable avant l’heure.

Il indique qu’en janvier 2000, l’avocat de l’auteur et son assistant furent pris en filature et arrêtés par quatre hommes armés qui les ont menacé et ont dérobé tous les documents liés à l’affaire Engo. Le lendemain de cet incident, l’étude du deuxième avocat Camerounais de l’auteur a été fouillée et mise à sac.

Le 24 mars 2001, l’auteur s’est adressé à deux avocats du Barreau de Paris. Il leur a expliqué notamment qu’il avait appris que le Procureur enquêtait sur ses comptes bancaires parisiens et bruxellois avec l’aide des autorités judicaires françaises, alors que telle démarche ne lui avait jamais été formellement notifiée. Le plaignant, M. Atangana Bengono, a écrit à l’Ambassade de Cameroun à Paris le 4 mai 2001 afin que la demande de visa des avocats soit refusée. Les avocats ont donc été empêchés de défendre l’auteur. En juin 2001, l’auteur a demandé au procureur de la République et au Tribunal d’autoriser ses avocats à le visiter. Cette demande est demeurée sans suite. Un visa a été refusé à un autre avocat contacté par l’auteur, par l’Ambassade du Cameroun à Paris en mai 2002. En mai 2002, devant le refus des autorités Camerounaises de délivrer un visa à l’un des avocats parisiens de l’auteur pour pouvoir venir plaider à Yaoundé, tous les avocats Camerounais ont refusé de plaider tant que leurs confrères parisiens ne seraient pas autorisés à venir.

Le 3 mars 2003, le substitut du procureur a écrit une lettre pour bloquer un compte bancaire de l’auteur. Ceci a compromis la capacité de l’auteur à s’acquitter des frais et honoraires des avocats et a porté atteinte à son droit à la défense. Les 22 octobre 2003 et 12 avril 2004, le procureur de la République a perquisitionné la cellule de l’auteur et son domicile, et a saisi des documents devant servir à la défense de ce dernier et ce, sans mandat.

L’auteur a aussi été l’objet d’autres accusations publiques dans la presse. Le 29 août 2003, le journal « La Nouvelle Expression » a publié un article accusant l’auteur de trafic d’armes. L’enquête sur cette charge est d’après l’auteur apparemment toujours en cours, alors que l’Etat partie indique qu’aucune procédure judiciaire n’est suivie contre l’auteur pour traficc d’armes. De plus, les média d’Etat continuent d’alimenter une propagande contre l’auteur, en dépit de nombreuses requêtes adressées au procureur, au Ministre de la Justice et and au directeur général de la Radio-Télévision du Cameroun, pour la faire cesser. L’auteur, qui est resté longtemps fidèle au gouvernement Camerounais, attribue son incarcération à l’estime croissante dont il jouissait dans la population. Il affirme qu’en 1994, il avait fondé une ONG destinée à aider les plus pauvres du pays et qu’en 1999, il avait informé la population de l’ouverture prochaine de bureaux de sa fondation à travers tout le pays. Dans la même période, Transparency International a critiqué l’échec du gouvernement dans la lutte contre la corruption. L’auteur se considère comme un bouc émissaire que le gouvernement utilise dans sa lutte contre la corruption.

En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le 27 octobre 1999, il a sollicité sa mise en liberté provisoire adressée à M. Le Ministre de la Justice, lequel n’a pas répondu. Le 10 janvier 2000, l’auteur a adressé une plainte au Ministre de la Justice à propos de la violation de ses droits par le procureur de la République de Yaoundé. Aucune action n’a été entreprise par le Ministre. Le 7 juin 2000, les avocats de l’auteur ont effectué une demande aux fins de levée du mandat de dépôt adressée au Procureur de la République, qui d’après eux viole les principes de droit en matière de saisine car le Magistrat-Instructeur ne peut lui-même étendre son information à des faits nouveaux ni se saisir d’office.

Le 3 septembre 2001, l’auteur a introduit une autre plainte devant le procureur de la République à propos du retard excessif du procès et de sa longue détention préventive, se reposant sur l’article 9, paragraphe 3, du Pacte. Il a exigé un procès rapide ou sa mise en libération provisoire. Une autre requête aux fins de mise en liberté fut introduite devant le Procureur de la République près les Tribunaux de Yaoundé, indiquant que l’auteur est en détention provisoire depuis le 3 septembre 1999, soit depuis plus de deux ans à la date de la requête. L’auteur prétend que toutes les voies de recours internes ont été épuisées.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

Le 17 novembre 2005, l’État partie conteste, à titre principal, la recevabilité de la communication au motif que toutes les procédures engagées contre l’auteur sont encore en cours devant les juridictions internes. Les lenteurs enregistrées ont plus été le fait de ses avocats qui, en multipliant les exceptions et les demandes de mise en liberté, ont alourdi et retardé considérablement les procédures. Subsidiairement, l’Etat partie fait valoir que la communication est non-fondée et ne relève aucune violation des dispositions du Pacte.

Quant à l’arrestation et la détention de l’auteur, l’Etat partie fait valoir qu’ayant été placé sous mandat de dépôt et conduit à la Prison centrale de Yaoundé après son inculpation dans le cadre d’une information judicaire régulièrement ouverte contre lui, son incarcération ne saurait être qualifiée d’arbitraire.

L’Etat partie soutient que les faits de détournement de fonds publics reprochés à l’auteur étant constitutifs de crime au sens du Code pénal camerounais, ce dernier ne peut se prévaloir d’une mise en liberté de droit prévue par le Code d’instruction criminelle, en raison de la nature et de la gravité desdites infractions. Ses demandes de mise en liberté ont été rejetées dans les formes et les délais prévus par la loi. De plus, l’Etat partie affirme que l’auteur n’a pas saisi le Tribunal de Grande Instance d’une demande de mise en liberté provisoire, comme le prévoit l’ordonnance 72/4 du 26 août 1972 en cas de rejet de sa demande par le magistrat instructeur.

L’Etat partie rejette l’argument de l’auteur que des poursuites ont été engagées contre lui pour des infractions dont l’initiative des poursuites est dévolue au parquet, se référant à l’article 63 du Code d’instruction criminelle qui dispose que « toute personne qui se prétendra lésée par un crime ou délit pourra en rendre plainte et se constituer partie civile devant le juge d’instruction ». Ainsi la plainte de M. Atangana Bengono est une voie légale de mise en mouvement de l’action publique. En outre, le juge d’instruction est saisi in rem et non des qualifications des infractions contenues dans la plainte. Par ailleurs, le défaut d’intérêt entraine l’irrecevabilité de l’action civile devant le juge de fond et non l’irrecevabilité de l’action publique qui est automatiquement mise en mouvement dès le paiement de la consignation par le plaignant.

Pour ce qui est de « la nullité de la procédure prise dans la prétendue saisine d’office du magistrat-instructeur », l’Etat partie indique que suite aux dispositions des articles 128 et 133 du Code d’instruction criminelle, le magistrat-instructeur n’est pas lié par les qualifications pénales que le plaignant a cru pouvoir donner aux faits allégués. Par ailleurs, conformément à l’article 134 du même Code, le magistrat-instructeur dirige l’information judiciaire contre les personnes dénommées dans la plainte et contre toutes celles qu’elle fait découvrir ultérieurement. C’est donc à juste titre que l’auteur a été inculpé. Quant aux allégations de l’auteur que le principe non bis in idem a été violé, il ne peut prétendre que les poursuites intentées à son encontre reposaient sur les mêmes faits. D’abord traduit en justice pour émission de chèque sans provision, il sera ensuite poursuivi pour divers détournements de deniers publics et tentative de faux et usage de faux. Les faits constitutifs de ces infractions prévues aux articles 253, 184 et autres du Code pénal sont complètement différents. Dans le cadre de l’information judiciaire ouverte pour des faits précis, des faits nouveaux ont été découverts (virement de 25 milliards F CFA), et il était donc judicieux pour le Parquet d’ouvrir une information judiciaire distincte.

Sur la question de la violation des droits de la défense, l’Etat partie fait valoir que les rapports d’expertise judiciaire et tous les autres documents sur lesquels le magistrat instructeur s’est appuyé ont été communiqués à l’auteur, et que ses observations ont été recueillies avant la clôture de la procédure. Sur les saisies présumées des pièces du dossier, l’Etat partie fait valoir qu’elles concernaient des documents comptables litigieux. Ces saisies ont été effectuées tant au domicile de l’auteur que dans sa cellule, dans le strict respect de la légalité. Quant aux obstacles, aux menaces et aux agressions rencontrées par les avocats de l’auteur, l’Etat partie relève qu’aucun tribunal n’en a été saisi et que, par ailleurs, un des avocats de l’auteur s’est vu délivrer, par deux fois (les 22 juillet et 6 septembre 2002), un visa d’entrée au Cameroun aux fins d’assister son client aux audiences des 2 août et 10 septembre 2002.

Relativement aux conditions de détention de l’auteur, l’Etat partie fait valoir qu’il est un détenu de droit commun et traité humainement comme tous les détenus Camerounais. L’Etat partie s’efforce de respecter, dans la limite de ses possibilités et compte tenu de son niveau de développement, les règles minima de détention. Il ajoute que les allégations de l’auteur selon lesquelles il avait besoin d’un traitement médical régulier n’ont pas de fondement, compte tenu qu’il a toujours voulu passer outre l’avis du médecin de la prison. Sur les prétendus obstacles à son suivi médical, l’Etat partie ajoute qu’il a bénéficié et continue de bénéficier de l’assistance des médecins de son choix.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité et le fond

Les 22 janvier, 17 mars et 30 juin 2006, et sur la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur soutient que l’Etat partie n’a pas exposé de façon intelligible les voies de recours internes mises à sa disposition. Il ne conteste pas l’authenticité des pièces fournies par l’auteur à l’appui de ses affirmations. L’Etat partie n’a pas fourni de preuves documentaires à l’appui de ses dires, ni des affaires et procédures soi-disant engagées, telles numéro d’affaire ou copie de jugements. Ceci ne permet pas au Comité de statuer sur le caractère effectif et raisonnable desdits recours.

L’auteur affirme qu’il n’a pas accès à des recours efficaces qui n’excèdent pas des délais raisonnables dans la deuxième procédure (voir paragraphe 2.4). L’Etat partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur qu’il n’a pas de recours car il y a eu un déni de justice. De plus, l’Etat partie n’explique pas les délais dans la procédure. A l’appui, il indique, entre autres, que l’appel de sa condamnation à six mois d’emprisonnement pour émission de chèques sans provision, en mai 2000, est encore en cours devant la Cour d’appel, alors même que sa peine est purgée depuis le 16 novembre 2000. Il estime également avoir épuisé les recours internes quant aux demandes de mise en liberté sous caution, et que les recours mentionnés par l’Etat partie n’avaient aucune chance d’aboutir et n'étaient pas disponibles. Par ailleurs, la multiplicité des mandats d’arrêts dans les procédures décrites aux paragraphes 2.3 et 2.7 ont rendus les recours difficiles. Il a été maintenu en détention sur la base d’une autre affaire pendante, en violation de la présomption d’innocence et des droits de la défense, et ce en violation des articles 9, 10, et 14 du Pacte.

L’auteur réaffirme que son arrestation et sa détention ont été arbitraires et qu’il a été arrêté sans mandat. Il relève que l’Etat partie ne conteste pas cette situation et que l’Etat partie ne conteste pas les pièces versées au dossier comme preuve de la détérioration de son état de santé, qui nécessite des soins médicaux spécialisés qui ne sont pas disponibles en prison. Il invoque de nouveau les articles 9 et 14 du Pacte, et fait valoir que son maintien en prison pour diverses affaires l’empêche de préparer sa défense. Il indique à cet égard que ses comptes bancaires ont été bloqués, ce qui ne lui permet pas de choisir ses avocats, que ses avocats ne sont pas informés des dates de renvoi des affaires en cours, et qu’en protestation, ses avocats français se sont désistés le 29 mars 2006.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

L’Etat partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles. L’auteur, à son tour, affirme ne pas disposer de recours internes utiles, et que, en tout état de cause, les recours et appels toujours en cours ont été excessivement prolongés. De l’avis du Comité, la question des délais dans l’épuisement des voies de recours internes est intimement liée à l’allégation de délais excessifs sur le fond et devrait, dès lors, être examinée dans le contexte du fond de la communication.

Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations au titre des articles 9, 10 et 14, aux fins de la recevabilité, et les déclare recevables en conséquence.

Examen au fond

Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Eu égard aux griefs de violations de l’article 9, le Comité note que l’auteur a été mis sous mandat de dépôt le 3 septembre 1999, suite à une plainte avec constitution de partie civile, de l’ouverture d’une information judiciaire et d’un interrogatoire. Le Comité estime qu’il a donc été privé de liberté pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi, et il n’y pas eu violation de l’article 9 du Pacte quant aux allégations d’arrestation arbitraire. Quant aux allégations de détention arbitraire, dans le cadre de la première procédure l’auteur est en détention depuis le 3 septembre 1999, et a fait l’objet d’un premier jugement du Tribunal de grande instance du Mfoundi le 23 juin 2006 (dans l’affaire Ministère public et C.N.P.S., Atangana Bengono c. Engo et autres), soit près de sept ans après son incarcération. Le Comité estime que ceci constitue en soi une violation de l’article 9, paragraphe 3, du Pacte

Quant aux allégations de l’auteur qu’il n’a pas été informé des charges retenues contre lui dans le plus court délai dans chacune des procédures, le Comité relève que l’Etat partie ne répond pas précisément sur ce point, mais qu’il se contente d’indiquer que l’auteur a été placé sous mandat de dépôt et conduit en prison après son inculpation, dans le cadre d’une information judiciaire régulièrement ouverte contre lui, et que dès lors son incarcération ne saurait être qualifiée d’arbitraire. En l’absence d’information détaillée de l’Etat partie établissant que l’auteur a été informé dans le plus court délai des motifs de son arrestation sur chacune des procédures, le Comité doit accorder tout son poids à l’allégation de l’auteur selon laquelle il n’a pas été informé de toutes les charges retenues contre lui dans les plus bref délais. En l’espèce, le Comité conclut à une violation de l’article 9, paragraphe 2, du Pacte.

Eu égard aux allégations de l’auteur qui soutient que les recours existants pour contester sa détention ne sont ni effectifs, ni disponibles, le Comité rappelle que l’auteur et ses conseils ont introduits une demande de levée d’écrou, puis la liberté provisoire à diverses reprises. L’Etat partie précise que ses demandes de mise en liberté ont été rejetées dans les formes et délais prévus par la loi, et que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours disponibles, s’étant abstenu de saisir le Tribunal de Grande Instance de sa demande de mise en liberté provisoire. Au contraire, le Comité relève que, à titre d’exemple, la demande de mise en liberté provisoire du 3 septembre 2001 au dossier était adressée au Procureur de la République près les Tribunaux de Yaoundé. Le Comité relève également que l’auteur indique que le Procureur a, à quatre reprises, refusé la liberté provisoire. Dans le cas d’espèce, le Comité estime que l’auteur a eu le droit d’introduire des recours afin que celui-ci statue sur la légalité de sa détention, comme il est prévu au paragraphe 4, de l’article 9, du Pacte, et que les éléments aux dossiers ne permettent pas de conclure à une violation de l’article 9, paragraphe 4, du Pacte.

L’auteur soutient également que ses conditions de détention ont été inhumaines, notamment en raison du refus des autorités de lui permettre d’avoir accès à des soins médicaux appropriés, refus à l’origine de la détérioration importante de sa vue. L’Etat partie fait valoir que l’auteur bénéficie de l’assistance médicale appropriée, pourvue par le médecin de la prison. Il ne répond cependant pas aux allégations de l’auteur quant à la nécessité d’avoir accès à des soins médicaux plus spécialisés, ni ne conteste le fait que l’ophtalmologue de la CNPS, médecin traitant de l’auteur, a constaté une sévère dégradation de la vue de ce dernier. L’Etat partie, en l’occurrence, ne démontre pas comment il a fourni l’assistance médicale appropriée exigée par l’état de l’auteur, en dépit des sollicitations de ce dernier. De l’avis du Comité, cela constitue une violation de l’article 10, paragraphe 1, du Pacte.

Sur les allégations de violations de l’article 14 et notamment de son paragraphe 2, le Comité constate d’abord que l’auteur affirme que son droit à la présomption d’innocence est violé. Les informations diffusées sur son cas par les medias d’Etat sont évoquées pour étayer cette affirmation. L’auteur a adressé des lettres aux autorités compétentes pour faire cesser la diffusion de telles informations, et ces lettres sont restées sans suite. L’Etat partie ne conteste pas cette situation. Le Comité rappelle que le droit pour un prévenu d’être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par un tribunal compétent est garanti par le Pacte. Le fait que, dans les circonstances de la présente affaire, les medias d’Etat ont à diverses reprises fait passer l’auteur pour coupable avant son procès et ont publié des articles de presse à cet effect, en soi constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

Le Comité note que l’auteur affirme avoir attendu plusieurs mois pour être informé des accusations portées contre lui et avoir accès aux pièces du dossier. Sur cette question, l’Etat partie ne répond pas précisément et se contente de déclarer que l’auteur a eu accès à toutes les pièces du dossier, sans en apporter la justification. Le Comité conclut sur ce point une violation de l’article 14, paragraphe 3 (a).

Concernant les difficultés faites à l’auteur pour préparer sa défense, le Comité note que l’Etat partie répond qu’un avocat à Paris a reçu deux visas afin de pouvoir assister son client à deux audiences en 2002. Cependant, l’Etat partie ne répond aux allégations selon lesquelles deux des avocats du Barreau de Paris, commis par l’auteur, ont été empêchés de venir au Cameroun pour assister leur client en mai 2001 et mai 2002, ce qui a d’ailleurs conduit à un refus des avocats Camerounais de plaider ; l’Etat partie ne conteste pas non plus l’authenticité de la lettre datée du 4 Mai 2001 dans laquelle un accusateur de l’auteur demande à l’ambassadeur du Cameroun à Paris d’empêcher la venue desdits avocats. Les personnes accusées d’infractions pénales ont le droit de communiquer avec les conseils de leur choix ; cela est une garantie de procès juste et équitable, prévue par l’article 14, paragraphes 3 (b) et (d), du Pacte. L’Etat partie n’a pas contesté le droit de l’auteur d’être représenté par des avocats français, et que ces avocats étaient autorisés à le représenter devant les juridictions de l’Etat partie. Le fait que l’auteur ait rencontré des obstacles significatifs dans ses démarches pour communiquer avec ces avocats constitue donc une violation des droits à la défense prévus à l’article 14, paragraphes 3 (b) et (d).

Le Comité constate également que l’auteur, détenu depuis 1999, n’a reçu qu’un jugement définitif pris à son égard le 22 juin 2006 par la Cour suprême dans une des affaires engagée contre lui (voir paragraphe 2.5), ainsi qu’un jugement du Tribunal de grande instance le 23 juin 2006 dont il semble ne pas avoir relevé appel (voir paragraphe 2.3). Or, l’article 14, paragraphe 3 (c), du Pacte confère aux individus le droit d’être jugé sans retard excessif. L’Etat partie justifie le retard accusé dans les différentes procédures engagées contre l’auteur par la complexité des affaires et, surtout, par la multiplication des recours introduits par ce dernier. Le Comité rappelle que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte garantit un droit à l’appel, et que l’exercice de ce droit ne saurait être justificatif de retards déraisonnables dans le déroulement des procès, puisque la règle contenue dans l’alinéa (c) du paragraphe 3 de l’article 14 s’applique également à ce procès en appel. En conséquence, le Comité considère que, dans les circonstances de la présente affaire, le fait qu’une période de huit ans se soit écoulée depuis l’arrestation de l’auteur, avant que les juridictions d’appel et de cassation n’aient rendu de décision définitive, et qu’une série de procédures en appel continue d’être en cours depuis 2000, constitue une violation de l’article 14, paragraphe 3 (c), du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation des paragraphes 2 et 3, de l’article 9, du paragraphe 1, de l’article 10, et des paragraphes 2 et 3 (a), (b), (c) et (d) de l’article 14 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, résultant dans sa libération immédiate et l’apport de soins ophtalmologiques appropriés. L’État partie est, en outre, tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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