NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/96/D/1309/200425 août 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑seizième session13‑31 juillet 2009

DÉCISION

Communication n o  1309/2004

Présentée par:

Yevgeniya Podolnova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Mikhail Podolnov (fils de l’auteur)

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

26 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21 septembre 2004 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

28 juillet 2009

Objet: Partialité présumée des tribunaux de l’État partie

Questions de procédure: Appréciation des faits et des éléments de preuve, déni de justice

Question s de fond: Présomption d’innocence

Article du Pacte: 14 (par. 2)

Article du Protocole facultatif: 2

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑seizième session

concernant la

Communication n o  1309/2004*

Présentée par:

Yevgeniya Podolnova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Mikhail Podolnov (fils de l’auteur)

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

26 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 juillet 2009,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Mme Yevgeniya Podolnova, de nationalité russe, née en 1952. Elle présente la communication au nom de son fils, M. Mikhail Podolnov, également de nationalité russe, né en 1978, qui était emprisonné dans la Fédération de Russie au moment de la soumission de la communication. L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation, par la Fédération de Russie, des droits qu’il tire du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992.

Exposé des faits

2.1Le fils de l’auteur était un jeune sergent des forces armées de la Fédération de Russie. En juillet 2000, il a été envoyé dans la République de Tchétchénie pour y participer à la seconde opération militaire. Le 16 août 2001, il dirigeait une unité de reconnaissance chargée du blocus du village de Zentoroi, dans le district de Kurchaloi de la République de Tchétchénie. L’unité avait pour mission de contrôler les déplacements des habitants et des moyens de transport, d’empêcher les rebelles ou groupes de rebelles armés d’entrer dans le village ou d’en sortir, notamment en mettant en place des points de contrôle temporaires, des postes d’observation et des patrouilles mobiles et en tendant des embuscades. Elle avait reçu l’ordre de placer en détention les personnes suspectes, en particulier celles rencontrées à l’extérieur du village de Zentoroi.

2.2Le 16 août 2001, vers 7 heures du matin, le fils de l’auteur a décidé de placer en détention Rasul Dzhamalov, qu’il soupçonnait d’appartenir à un groupe armé irrégulier et de surveiller l’activité de l’unité de reconnaissance que lui‑même dirigeait. Dzhamalov a tenté de prendre la fuite au moment où l’un des subordonnés du fils de l’auteur lui détachait les mains. Comme il n’obtempérait pas aux sommations de s’arrêter, le fils de l’auteur lui a tiré une balle dans la tête et l’a tué.

2.3Le 23 mai 2002, le fils de l’auteur a été reconnu coupable par le tribunal militaire du district du Nord‑Caucase du chef visé au paragraphe 1 de l’article 105 du Code pénal (meurtre avec préméditation); il a été condamné à neuf ans d’emprisonnement et déchu de son grade militaire. La copie du texte du jugement communiquée par l’auteur montre que le tribunal militaire du district du Nord‑Caucase a établi que Dzhamalov avait été capturé par le fils de l’auteur, avec l’aide de deux de ses subordonnés. Ceux‑ci avaient enveloppé la tête du suspect de sa veste et l’avaient conduit au cantonnement de l’unité. Sur ordre du fils de l’auteur, l’un des subordonnés avait ensuite lié les mains de Dzhamalov et l’avait emmené dans un ravin pour l’y interroger. Le tribunal a établi que Dzhamalov n’était éloigné du fils de l’auteur que de quelques mètres lorsqu’il avait été abattu d’une balle dans la tête et que, après le premier coup de feu qui, dans les faits, avait tué Dzhamalov, le fils de l’auteur avait encore tiré à deux reprises sur lui à faible distance, une fois à la tête et une fois à la poitrine, prétendument parce que l’homme montrait encore des signes de vie. Après cela, le fils de l’auteur avait traîné le corps de Dzhamalov jusque sous un arbre, où il lui avait tiré une nouvelle fois une balle dans la poitrine à faible distance et l’avait poignardé à deux reprises dans le dos avec un couteau de chasse. Le même jour, vers 2 heures de l’après‑midi, le fils de l’auteur et ses deux subordonnés avaient transporté le corps dans un véhicule blindé et l’avaient dissimulé dans des buissons à quelques kilomètres du lieu du crime afin, selon eux, d’éviter de déclencher la fureur de la population locale.

2.4Il ressort du jugement rendu par le tribunal militaire du district du Nord‑Caucase que Dzhamalov, qui habitait le village, était âgé de 17 ans au moment de sa mort. Le tribunal a établi que le fils de l’auteur avait été convoqué au bureau du procureur militaire le 18 août 2001. Le jour suivant, il avait avoué l’homicide et indiqué aux autorités l’endroit où se trouvait le corps. À l’audience, il a expliqué qu’il avait tiré sur Dzhamalov «mécaniquement», pour l’empêcher de s’enfuir, et qu’il n’avait aucun souvenir des actes qu’il avait commis par la suite. Sa déposition antérieure s’appuyait sur la description des faits donnée par son subordonné, qu’il jugeait digne de foi. Le tribunal a estimé que le fils de l’auteur n’avait pas de motifs suffisants pour ouvrir le feu sur l’adolescent Dzhamalov, étant donné que sa tentative de fuite ne constituait pas une menace réelle pour le fils de l’auteur et ses subordonnés, et que la fuite aurait pu être empêchée par d’autres moyens que des blessures physiques. Selon la déposition du fils de l’auteur et les témoignages de ses subordonnés, Dzhamalov, s’il s’efforçait d’éviter les contacts avec les militaires, n’avait toutefois pas opposé de résistance et n’avait pas eu un comportement agressif lors de sa capture. En outre, il n’avait sur lui aucun objet qui eût pu constituer un danger pour le fils de l’auteur et ses subordonnés.

2.5Le tribunal militaire du district du Nord‑Caucase a examiné les éléments de preuve psychologiques et psychiatriques relatifs à l’état psychique du fils de l’auteur dont il disposait, qui indiquaient que, bien que l’intéressé fût sain d’esprit, il souffrait d’épuisement imputable au stress de combat et de «troubles du combattant» dus à un séjour prolongé dans la zone de combat de la République de Tchétchénie, et qu’il avait des réactions agressives face à toute menace extérieure. Le tribunal a souscrit à la conclusion de l’expert que, vu les circonstances, les facteurs susmentionnés pouvaient avoir contribué à l’image défavorable que le fils de l’auteur avait eue de Dzhamalov − qu’il n’avait pas considéré comme un civil − et à l’enchaînement singulier de ses propres actes ainsi qu’à «un exercice moins satisfaisant de sa fonction de chef de l’unité de reconnaissance». Le tribunal a pris en considération tous ces facteurs avant de déclarer le fils de l’auteur coupable de meurtre avec préméditation (crime passible de six à quinze ans d’emprisonnement) au titre du paragraphe 1 de l’article 105 du Code pénal, plutôt que de meurtre avec circonstances aggravantes (passible de huit à vingt ans d’emprisonnement, de la peine de mort ou de l’emprisonnement à perpétuité) au titre du paragraphe 2 de l’article 105 comme l’avait requis l’accusation. Il a estimé en outre que les aveux livrés par le fils de l’auteur, ainsi que sa conduite et son raisonnement positifs au cours de la seconde opération militaire dans la République de Tchétchénie, avant les faits en question, constituaient des circonstances atténuantes.

2.6Le tribunal militaire du district du Nord‑Caucase a acquitté le fils de l’auteur du chef visé au paragraphe 3 de l’article 286 du Code pénal (abus d’autorité). Il a estimé que, compte tenu de la nature militaire de la mission qui avait été confiée à l’unité de reconnaissance et de la brièveté de la détention de Dzhamalov avant sa tentative de fuite, la décision du fils de l’auteur d’interroger Dzhamalov sans en informer préalablement ses supérieurs ne pouvait pas être interprétée comme un abus d’autorité patent au sens de l’article 286 du Code pénal.

2.7Le fils de l’auteur a fait appel du jugement devant la chambre militaire de la Cour suprême le 13 juin 2002, et a été débouté le 3 octobre 2002. La Cour a rejeté la requête de l’avocat du fils de l’auteur tendant à la requalification des faits en infraction relevant de l’article 109 du Code pénal (homicide involontaire) et à l’application d’une peine assortie d’un sursis. La Cour a estimé que le fait que, après avoir atteint Dzhamalov une première fois à la tête, le fils de l’auteur, au lieu de lui apporter une aide médicale, lui avait tiré trois autres balles à la tête et à la poitrine et l’avait poignardé à deux reprises dans le dos excluait l’hypothèse de l’homicide involontaire. La Cour a conclu à l’intention criminelle directe du fils de l’auteur de tuer Dzhamalov.

2.8À une date non précisée, le fils de l’auteur a adressé au Présidium de la Cour suprême une requête en révision extraordinaire de son affaire pénale. Dans sa requête, le fils de l’auteur contestait le point de vue juridique adopté par son avocat, qui voulait faire requalifier les faits d’infraction du paragraphe 1 de l’article 105 en infraction à l’article 109 du Code pénal, car il estimait que les griefs retenus contre lui n’étaient pas constitutifs de l’infraction visée par l’article 109 du Code pénal. Il a fait valoir en outre qu’il avait tiré sur Dzhamalov dans le plein respect à la fois des dispositions réglementaires des forces armées de la Fédération de Russie et des ordres de sa hiérarchie, que l’homme était mort après le premier coup de feu et que, par conséquent, ses actes ne pouvaient pas être qualifiés de meurtre, étant donné qu’ils ne réunissaient pas les éléments constitutifs de l’infraction visée au paragraphe 1 de l’article 105 du Code pénal. Selon lui, la décision du tribunal était fondée sur des considérations politiques liées au fait que Zentoroi était le village des ancêtres du Président de la République de Tchétchénie. La décision du tribunal avait été influencée en outre par le fait qu’en juin 2001 le fils de l’auteur avait été décoré pour sa «bravoure militaire» dans la conduite d’une opération militaire ayant permis la capture d’un chef de guerre tchétchène. Après qu’il eut été décoré, le fils de l’auteur avait reçu des menaces de la population locale à de nombreuses reprises.

2.9Le 22 avril 2003, un juge de la Cour suprême a rejeté la requête du fils de l’auteur demandant l’ouverture d’une procédure de recours en révision extraordinaire. Il a considéré que rien ne venait étayer les griefs du fils de l’auteur concernant l’existence d’ordres de la hiérarchie militaire d’utiliser la force meurtrière à l’encontre de personnes non identifiées, le rassemblement d’un groupe armé irrégulier dans le village de Zentoroi, la coopération de Dzhamalov avec ce groupe et le caractère politique de sa propre condamnation.

2.10À une date non précisée, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le 19 décembre 2003 la Cour, siégeant en formation de trois juges, a déclaré sa requête (no 30876/03) irrecevable au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a considéré que la décision finale aux fins de l’application du paragraphe 1 de l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme avait été rendue le 3 octobre 2002 et que, par conséquent, la requête avait été introduite après l’expiration du délai de six mois.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son fils a été reconnu à tort coupable de meurtre avec préméditation, car les tribunaux de l’État partie n’ont pas tenu compte du fait qu’il avait agi en pleine conformité avec les dispositions du règlement des forces armées, qui avait rang de loi fédérale et auquel tous les militaires étaient tenus de se soumettre. Elle joint un extrait du règlement des garnisons et des services de surveillance des forces armées de la Fédération de Russie adopté par le Ministère de la défense en 1994. Le paragraphe 201 de ce règlement dispose qu’un militaire doit «adresser à toute personne détenue qui tente de s’échapper la sommation “Halte ou je tire” et, dans le cas où l’intéressé n’obtempère pas, utiliser son arme contre lui». L’auteur renvoie à la conclusion du tribunal militaire du district du Nord‑Caucase, qui a considéré que son fils n’avait pas de motifs suffisants pour ouvrir le feu sur Dzhamalov puisque sa tentative de fuite ne constituait pas une menace réelle pour le fils de l’auteur et ses subordonnés, et elle fait valoir que cette conclusion va à l’encontre du règlement des garnisons et des services de surveillance et de l’ensemble des circonstances de l’espèce. L’auteur soutient que le règlement en question fait obligation à tous les militaires d’exécuter les ordres et d’accomplir les tâches militaires qui leur sont donnés par leur hiérarchie. L’unité de reconnaissance de son fils se trouvait à proximité du village de Zentoroi pour mener à bien une mission militaire précise et la tentative de fuite de Dzhamalov, qui était détenu légalement, compromettait l’exécution de cette mission.

3.2L’auteur fait valoir que, pour qu’une personne puisse être reconnue coupable de meurtre avec préméditation conformément au paragraphe 1 de l’article 105 du Code pénal, il doit exister des preuves de relations d’hostilité ou d’une bagarre entre l’intéressé et la victime, ou d’une volonté de vengeance de la part de l’intéressé, et qu’aucun élément de ce type n’avait été établi par les tribunaux de l’État partie dans l’affaire de son fils. En outre, pour reconnaître un accusé coupable d’une infraction, le tribunal doit indiquer dans son jugement l’élément matériel de l’infraction qui lui est imputée, les preuves qui l’attestent, ainsi que l’élément moral et le mobile de l’infraction. L’auteur relève que le jugement du tribunal militaire du district du Nord‑Caucase ne fait référence à aucun motif pour lequel son fils aurait pu tuer intentionnellement Dzhamalov. De plus, étant donné que la première balle tirée à la tête avait tué Dzhamalov, les actes que son fils avait commis par la suite ne pouvaient avoir aucune incidence sur la qualification des faits qui lui étaient reprochés. L’auteur conclut que le droit de son fils à la présomption d’innocence visé au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte a été violé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations datées du 17 janvier 2005, l’État partie rappelle les faits présentés plus haut dans les paragraphes 2.1 à 2.4, 2.7 et 2.9 et affirme que la condamnation du fils de l’auteur était légale, fondée et justifiée. Il indique que la culpabilité du fils de l’auteur, qui a intentionnellement tué l’adolescent Dzhamalov, a été établie sur la base de l’ensemble des preuves examinées par le tribunal, dont la crédibilité n’est aucunement mise en doute. Les tribunaux ont examiné de façon complète et approfondie les éléments de preuve confirmant les motifs et le but des actes de l’intéressé, son intention délictueuse ainsi que son mode opératoire, et ont exposé leur analyse dans les décisions qu’ils ont rendues.

4.2L’État partie affirme que le fils de l’auteur avait l’intention criminelle directe de tuer Dzhamalov. Le motif qui avait déterminé ses actes était d’empêcher Dzhamalov de quitter le lieu où il était détenu. Toutefois, la détention de Dzhamalov était illégale et justifiait la façon dont il avait agi par la suite. En outre, il avait été établi que Dzhamalov était un civil qui, le jour de sa mort, gardait un troupeau. Le fils de l’auteur n’avait aucun motif de le capturer, ni de l’empêcher de quitter le lieu où il était détenu, pas plus que de recourir à la force meurtrière contre lui.

4.3L’État partie réfute le grief de l’auteur qui prétend que son fils a agi en pleine conformité avec les dispositions réglementaires des forces armées. Il renvoie à l’article 11 du règlement régissant le service intérieur dans les forces armées de la Fédération de Russie, en vertu duquel les militaires peuvent utiliser une arme en dernier ressort à des fins strictement définies: a) pour assurer la protection de militaires ou de civils contre une attaque mettant en péril leur vie ou leur santé, lorsqu’il n’existe pas d’autres moyens de les protéger; b) pour capturer un individu qui a commis une infraction ou qui a été pris en flagrant délit de commission d’une infraction grave et dangereuse, s’il oppose une résistance armée; c) pour capturer un individu armé s’il refuse d’obtempérer à l’ordre de déposer son arme et s’il n’existe pas d’autres moyens ou méthodes pour mettre fin à sa résistance, le capturer ou s’emparer de son arme.

4.4L’article 12 du règlement concernant le service intérieur dispose que l’utilisation d’une arme doit être précédée d’un avertissement annonçant l’intention de l’utiliser, et que, lorsqu’ils emploient une arme, les militaires doivent prendre toutes les mesures possibles pour assurer la sécurité d’autrui et, si nécessaire, apporter une assistance médicale aux victimes. Il est interdit d’utiliser une arme contre une femme ou un mineur. L’État partie soutient que, en ouvrant le feu sur Dzhamalov, le fils de l’auteur a également violé les dispositions du règlement concernant le service intérieur.

4.5Enfin, l’État partie conteste la recevabilité de la communication en invoquant le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il fait valoir que ni l’auteur, ni son fils ne se sont prévalus du recours visé au paragraphe 4 de l’article 406 du Code de procédure pénale, qui prévoit la possibilité de demander au Président de la Cour suprême ou à l’un de ses assesseurs d’exercer un recours en révision extraordinaire de l’affaire pénale concernant M. Podolnov.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 16 février 2005, l’auteur fait valoir que les arguments avancés par l’État partie ne sont pas corroborés par les circonstances de l’espèce. Elle réaffirme que le jugement rendu dans l’affaire concernant son fils ne mentionne ni les motifs, ni le but des actes de son fils, ni une intention délictueuse ou un mode opératoire de celui‑ci. Elle ajoute que l’État partie n’explique pas quels autres moyens son fils aurait pu utiliser pour empêcher Dzhamalov de s’enfuir, compte tenu en particulier du caractère confidentiel de la mission militaire assignée à son unité de reconnaissance, raison pour laquelle précisément il avait reçu une arme équipée d’un silencieux.

5.2L’auteur réfute l’allégation de l’État partie qui affirme que les actes de son fils étaient motivés par le souci d’empêcher Dzhamalov de quitter le lieu où il était détenu, et que sa détention était illégale. Elle réaffirme que Dzhamalov était détenu dans le cadre de la mission militaire de l’unité et en exécution d’ordres de supérieurs. S’il était parvenu à s’échapper, il aurait révélé l’endroit où se trouvait l’unité de reconnaissance, ce qui aurait compromis l’exécution de la mission et aurait pu entraîner la mort de militaires. Bien que le jugement rendu dans l’affaire de son fils ne fasse pas référence aux dispositions réglementaires des forces armées auxquelles il s’était conformé, l’auteur fait valoir qu’un coup de semonce sonore comme le prescrit l’une de ces dispositions aurait également révélé l’emplacement de l’unité de reconnaissance. Elle ajoute en outre qu’au moment de sa capture, Dzhamalov n’avait sur lui aucune pièce d’identité attestant qu’il était alors âgé de 17 ans et 6 mois, et que rien ne permettait d’affirmer que son fils savait que Dzhamalov était mineur.

5.3L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie qui dit que les recours internes n’ont pas été épuisés et fait valoir qu’elle‑même, son fils et l’avocat de son fils ont saisi le Président de la Cour suprême de nombreuses requêtes tendant à l’ouverture d’une procédure de révision extraordinaire. Elle communique copie des requêtes ainsi adressées au Président de la Cour suprême en date du 28 décembre 2002, du 10 janvier 2003, du 30 décembre 2003, du 15 janvier 2004 et du 9 avril 2004. Toutes ces requêtes ont été rejetées.

Réponses complémentaires de l’État partie

6.Dans une réponse datée du 27 juillet 2005, l’État partie a retiré l’objection qu’il avait formulée concernant la recevabilité de la communication au motif du non‑épuisement des recours internes. Concernant le fond, il réfute l’argument de l’auteur qui affirme que les actes de son fils étaient déterminés exclusivement par la mission militaire consistant à organiser le blocus du village de Zentoroi, et que son fils n’avait aucun autre motif de recourir à la violence contre Dzhamalov. L’État partie affirme au contraire que le meurtre de Dzhamalov, puis la dissimulation de son corps par M. Podolnov, n’étaient dus ni à la mission militaire confiée à ce dernier, ni à la situation qui en découlait. L’intention directe du fils de l’auteur de tuer Dzhamalov est confirmée par le fait qu’il avait tiré encore plusieurs fois sur Dzhamalov et l’avait poignardé dans le dos alors que celui‑ci ne constituait plus une menace pour les militaires. Le tribunal militaire du district du Nord‑Caucase a procédé à un examen approfondi des motifs qui avaient déterminé les actes du fils de l’auteur et a souscrit aux conclusions de l’expert selon lesquelles l’intéressé souffrait d’épuisement imputable au stress de combat et de «troubles du combattant».

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a vérifié qu’une plainte similaire formée par l’auteur avait été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme siégeant en formation de trois juges le 19 décembre 2003 (requête no 30876/03) du fait qu’elle avait été soumise après l’expiration du délai de six mois. Toutefois, les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 n’empêchent pas le Comité d’examiner la présente communication, étant donné que la Cour européenne n’est plus saisie de l’affaire et que l’État partie n’a pas émis de réserve à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3Concernant la règle de l’épuisement des recours internes prévue au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité note que l’État partie a retiré l’affirmation selon laquelle des recours internes étaient encore ouverts à l’auteur.

7.4Eu égard au grief de l’auteur qui affirme que le droit de son fils à la présomption d’innocence a été violé parce que les tribunaux de l’État partie n’ont pas tenu compte du fait qu’il avait agi dans le plein respect des dispositions réglementaires des forces armées et que ses actes étaient déterminés par la mission militaire particulière assignée à son unité par la hiérarchie, le Comité note que ce grief porte essentiellement sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve. Le Comité, rappelant sa jurisprudence, réaffirme qu’il appartient généralement aux tribunaux de l’État partie d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. À cet égard, le Comité note que, dans les faits, les tribunaux et les autorités de l’État partie ont examiné tous les arguments présentés par l’auteur à ce sujet et ont conclu que le mode opératoire de son fils n’était dû ni à la mission militaire assignée à son unité de reconnaissance, ni à la situation qui avait découlé des activités de l’unité à proximité du village de Zentoroi.

7.5En conséquence, à partir des éléments dont il est saisi, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, que la décision des tribunaux de l’État partie était arbitraire ou constituait un déni de justice. Il conclut ainsi que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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