Nations Unies

CCPR/C/96/D/1460/2006

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

18 août 2009

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-seizième session

13-31 juillet 2009

Constatations

Communication no 1460/2006

Présentée par :

Maral Yklymova (représentée par un conseil, M. Kenneth Lewis)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Turkménistan

Date de la communication :

27 juillet 2005 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 6 mars 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

20 juillet 2009

Objet :

Arrestation et détention arbitraires, notamment assignation à résidence

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes; recevabilité ratione materiae

Questions de fond :

Arrestation et détention arbitraires; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; droit d’être informé des motifs de l’arrestation et des accusations portées; droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge et à ce que la légalité de la détention soit examinée par un juge; liberté de circulation; droit de ne pas être soumis à des immixtions arbitraires ou illégales

Article s du Pacte :

9 (par. 1, 2, 3 et 4), 12, 17, 14 (par. 3 a) et c))

Article du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

Le 20 juillet 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1460/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-seizième session)

concernant la

Communication no 1460/2006 *

Présentée par:

Maral Yklymova (représentée par un conseil, M. Kenneth Lewis)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Turkménistan

Date de la communication:

27 juillet 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1460/2006 présentée au nom de Mme Maral Yklymova en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Maral Yklymova, ressortissante turkmène résidant actuellement en Suède. Au moment où elle a soumis la communication, elle était assignée à résidence au Turkménistan. Elle se déclare victime de violations par le Turkménistan des articles 9, 12, 14 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil, M. Kenneth Lewis.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est la fille de Saparmurad Yklymov, ancien Vice‑Ministre de l’agriculture du Turkménistan. En 1997, ses parents ont obtenu le statut de réfugié en Suède, et en 2003 ils ont acquis la nationalité suédoise. En 2001, alors qu’elle étudiait au Royaume‑Uni, l’auteur a présenté plusieurs demandes de permis de résidence dans ce pays qui ont été rejetées, et elle a dû ainsi rentrer au Turkménistan à la fin de ses études.

2.2Le 25 novembre 2002, l’ancien Président turkmène Saparmurat Niyazov a été victime d’une tentative d’assassinat. En décembre 2002, M. Saparmurad Yklymov et trois autres anciens ministres ont été reconnus coupables de «complot visant à renverser le Président» et condamnés par contumace à perpétuité.

2.3Le 25 novembre 2002, l’auteur a été arrêtée par le Comité de la sécurité nationale (le KNB) qui n’a pas présenté de mandat d’arrestation et ne l’a pas informée des faits qui lui étaient reprochés. Elle a été remise en liberté le 30 décembre 2002 sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elle. Dans les mois qui ont suivi, son appartement, sa carte d’identité et son passeport ont été confisqués. Elle n’a reçu aucun document officiel attestant son arrestation et la confiscation de ses biens. Étant donné qu’il est obligatoire d’être en possession d’une carte d’identité pour pouvoir séjourner plus de trois jours à Achgabat, l’auteur n’était plus autorisée à vivre dans la ville où elle résidait. Elle a néanmoins continué à y vivre pendant quelques mois en logeant chez une tante. Toutefois, au cours de l’été 2003, à la suite de la confiscation de son appartement, l’auteur a été contrainte de quitter Achgabat; elle est alors allée habiter à Mary chez sa grand‑mère, qui l’a prise en charge jusqu’à ce qu’elle quitte le Turkménistan en juillet 2007.

2.4Bien qu’il n’y eût aucune charge contre elle, l’auteur faisait l’objet d’une surveillance constante dans la maison de sa grand-mère. La maison était gardée en permanence par des agents armés et l’auteur était tenue de se présenter régulièrement au poste de police local. Presque tous les jours, 10 à 12 agents armés fouillaient la maison, sans donner aucune explication ni présenter aucun document officiel légitimant la perquisition. Le téléphone de l’auteur avait été placé sur écoute et lorsque ses parents l’appelaient, la police prenait l’appel. Les rares fois où ses parents sont parvenus à la joindre, l’auteur leur a fait clairement comprendre qu’on la poussait à refuser tout appel téléphonique international.

2.5Au début, l’auteur était autorisée à quitter la maison pour aller faire les courses, sous surveillance toutefois, mais depuis septembre 2004 personne ne pouvait plus entrer dans la maison ni en sortir. Sept agents étaient postés en permanence à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment et la nourriture y était livrée deux fois par jour. Le 10 septembre 2004, la famille de l’auteur a appris que le KNB avait coupé sa ligne téléphonique. À partir de ce moment, l’auteur s’est trouvée dans une situation juridique floue qui ressemblait à une assignation à résidence. Elle était sous la surveillance constante d’agents armés sans qu’il n’y ait aucune base juridique aux restrictions qui lui étaient ainsi imposées. En janvier 2003, le Président a demandé à la Suède l’extradition de M. Saparmurad Yklymov.

2.6Le 20 mai 2003, l’auteur a obtenu un permis de résidence permanente en Suède. Cependant, les citoyens turkmènes ne sont pas autorisés à quitter le pays sans un visa de sortie et depuis 2000 ils ont même besoin d’une autorisation spéciale de la police pour se rendre dans les régions turkmènes voisines en Ouzbékistan. Après septembre 2004, la procédure permettant d’obtenir cette autorisation a été encore durcie. L’auteur n’avait aucune possibilité d’obtenir un visa de sortie. Toute tentative de quitter le pays sans ce document aurait pu entraîner de nouvelles représailles contre l’auteur et ses proches. De toute façon, toute évasion était rendue impossible par le fait que l’auteur était placée sous surveillance permanente et que les autorités connaissaient son apparence physique. L’auteur a demandé à quitter le pays au cours de l’été 2003, mais l’autorisation lui en a été refusée.

Teneur de la plainte

3.1En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir qu’il lui était impossible de former un recours puisqu’aucune décision de justice n’avait été rendue dans son cas. Au printemps 2003, l’auteur et sa tante ont essayé d’entrer en contact avec le représentant de l’Organisation des Nations Unies à Achgabat, à la suite de quoi elles ont été convoquées au bureau du Procureur où elles ont été notifiées de ce toute nouvelle tentative de prendre contact avec l’Organisation des Nations Unies entraînerait leur placement en détention pour «atteinte à l’ordre public».

3.2L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9, du fait qu’elle a été arbitrairement privée de sa liberté entre le 25 novembre et le 30 décembre 2002. Elle se déclare victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 9 parce qu’elle n’a pas été informée des motifs de son arrestation, et invoque une violation du paragraphe 4 du même article concernant la légalité de sa détention. Elle considère qu’elle est victime depuis septembre 2004 d’une arrestation arbitraire, étant donné qu’elle n’a pas été informée des motifs de son assignation à résidence et qu’elle n’a pas eu la possibilité d’introduire un recours pour faire contrôler la légalité de sa privation de liberté, ce qui constitue une violation des paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 9.

3.3L’auteur fait valoir que l’obligation de se présenter au poste de police local constituait une violation de ses droits visés au paragraphe 1 de l’article 12 et que, conformément au paragraphe 3 de ce même article, son droit de circuler librement ne pouvait être restreint puisqu’aucune charge ne pesait contre elle. Elle invoque également une violation du paragraphe 1 de l’article 12 du fait qu’elle a été contrainte de déménager d’Achgabat à Mary et qu’on lui a interdit de retourner dans son village natal.

3.4L’auteur se déclare également victime d’une violation du paragraphe 3 a) et c) de l’article 14, car si le traitement auquel elle était soumise laissait supposer que des charges pénales pesaient contre elle, elle n’en a pas été notifiée et n’a pas été jugée sans retard excessif. Enfin, l’auteur invoque une violation de l’article 17, étant donné que son domicile a été l’objet de perquisitions sans mandat, qu’elle a été privée de communications téléphoniques et que son appartement, son passeport et sa carte d’identité ont été confisqués.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur

4.Dans une note datée du 14 avril 2008, l’État partie a confirmé que l’auteur n’avait été inculpée d’aucun délit et a nié qu’elle ait été persécutée par les autorités. Il a fait valoir qu’en juillet 2007, l’auteur était allée rejoindre de son plein gré sa famille en Suède avec sa grand‑mère, Nurbibi Barabinskaya.

5.1Le 28 août 2008, l’auteur a confirmé qu’il avait été mis fin à sa détention en juillet 2007, mais que cette décision n’était intervenue qu’après quatre années d’assignation à résidence et à la suite du décès du Président Niyazov le 21 décembre 2006. Elle a alors fui en Turquie avec sa grand‑mère, avant de se rendre en Suède. Elle maintient ses griefs initiaux et relève que l’État partie ne nie pas directement le fait qu’elle a été privée de liberté pendant plusieurs années. Elle estime que les explications de l’État partie sont vagues et que ce dernier n’a pas réfuté les faits présentés par elle. L’auteur affirme qu’elle a été contrainte de quitter le pays parce qu’elle ne figurait pas dans le registre national, qu’elle avait perdu son travail et tous ses biens et que ses amis avaient peur d’être vus en sa compagnie.

5.2Le 26 janvier 2009, l’auteur a donné une liste détaillée des événements qui s’étaient produits au Turkménistan pendant la période en question ainsi qu’une liste de tous les diplomates étrangers qui avaient connaissance de sa situation avec lesquels elle était en contact pendant son assignation à résidence. Elle précise les dates et les heures auxquelles elle a rencontré les diplomates et ajoute qu’elle a reçu des mises en garde lui demandant de ne plus avoir de contact avec des diplomates étrangers. Dans la liste des faits survenus, elle explique qu’elle a adressé une lettre de plainte au bureau du Procureur général et au Ministère de l’intérieur (on ne sait pas clairement sur quoi portaient les plaintes).

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’auteur concernant le non‑épuisement des recours internes selon lequel aucune décision de justice n’ayant été rendue, elle était dans l’impossibilité formelle de faire recours devant les autorités judiciaires. Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté ce grief et n’a fourni aucune information sur les recours judiciaires que l’auteur aurait pu exercer ou pourrait encore exercer. Il prend note aussi des efforts déployés par l’auteur (par. 5.2) pour obtenir la levée de l’assignation à résidence. Le Comité considère ainsi qu’il n’y a pas de raison de déclarer la communication irrecevable pour non‑épuisement des recours internes et estime qu’elle satisfait aux conditions faites au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 a) et b) de l’article 14, le Comité note que l’État partie et l’auteur constatent l’un et l’autre qu’aucune charge ne pesait en fait contre l’auteur. Pour cette raison, le Comité considère que ces griefs sont irrecevables ratione materiae, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4Étant donné qu’aucune autre question ne se pose quant à la recevabilité de la communication, le Comité considère que les griefs tirés des paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 9, de l’article 12, du paragraphe 1 de l’article 12, et de l’article 17 sont recevables.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité rappelle que le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte dispose que tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne et que nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. Il rappelle également que l’assignation à résidence peut aussi engendrer des violations de l’article 9. Le Comité note que l’État partie a simplement nié que l’auteur ait été inculpé ou persécuté par les autorités turkmènes, mais qu’il ne conteste pas l’affirmation de l’auteur qui dit avoir été arrêtée et détenue du 25 novembre 2002 au 30 décembre 2002 et assignée à résidence pendant près de quatre ans, de l’été 2003 à juillet 2007, sans motif légal. Pour cette raison, le Comité considère que l’auteur a été privée de sa liberté pendant ces deux périodes et que ces détentions étaient arbitraires, faits qui constituent des violations du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.3Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que, dans les deux cas, elle n’a pas été notifiée des motifs de son arrestation ni des charges pesant contre elle. L’État partie ne conteste pas cette affirmation. Pour cette raison, le Comité conclut que les droits de l’auteur visés au regard du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte ont été violés.

7.4Le Comité note que l’auteur affirme qu’elle n’a pas eu la possibilité de contester la légalité des deux détentions. L’État partie n’a pas répondu sur ce point. Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 4 de l’article 9, l’examen judiciaire de la légalité de la détention doit prévoir la possibilité d’ordonner la libération du détenu si la détention est déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte, en particulier celles du paragraphe 1 de l’article 9. En conséquence, et en l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité conclut que les droits que tient l’auteur du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte ont été violés.

7.5Pour ce qui est des griefs de l’auteur concernant son droit de circuler librement, le Comité rappelle que l’article 12 du Pacte garantit à quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un État le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence. En l’absence de toute explication de l’État partie à ce sujet − si ce n’est qu’il nie d’une façon générale que les autorités turkmènes s’en soient prises à l’auteur − pour justifier les restrictions imposées à cette dernière, conformément au paragraphe 3 de l’article 12, le Comité est d’avis que les restrictions imposées à la liberté de circulation et de résidence dans le cas de l’auteur constituent des violations du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte.

7.6Enfin, en l’absence de toute information de l’État partie à ce sujet, le Comité estime que les perquisitions sans motifs de son domicile, la privation de communications téléphoniques et la confiscation de son appartement, de son passeport et de sa carte d’identité (par. 3.4) constituent une immixtion arbitraire dans sa vie privée, sa famille et son domicile, conformément aux dispositions de l’article 17 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par le Turkménistan des paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 12 et de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours effectif, consistant notamment en une indemnisation adéquate. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]