NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/96/D/1280/200418 août 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-seizième session13-31 juillet 2009

CONSTATATIONS

Communication n o 1280/2004

Présentée par:

Akbarkhudzh Tolipkhuzhaev (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Akhrorkhuzh Tolipkhuzhaev (fils décédé de l’auteur)

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

6 mai 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 6 mai 2004 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

22 juillet 2009

Objet: Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable et recours à la torture pendant l’enquête préliminaire

Questions de procédure: Non-respect d’une demande de mesures provisoires de protection

Question s de fond: Aveux forcés; privation arbitraire de la vie découlant d’une condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable

Articles du Pacte: 6 (par. 1, 4 et 6), 7, 9 (par. 1 à 4), 10, 14 (par. 1 à 4) et 16

Article du Protocole facultatif: 2

Le 22 juillet 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations du Comité concernant la communication no1280/2004 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-seizième session concernant la Communication n o 1280/2004 *

Présentée par:

Akbarkhudzh Tolipkhuzhaev (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Akhrorkhuzh Tolipkhuzhaev (fils décédé de l’auteur)

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

6 mai 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 juillet 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1280/2004 présentée au nom de M. Akhrorkhuzh Tolipkhuzhaev en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est M. Akbarkhudzh Tolipkhuzhaev, de nationalité ouzbèke, né en 1951. Il présente la communication au nom de son fils, Akhrorkhuzh Tolipkhuzhaev, également de nationalité ouzbèke, né en 1980, qui, au moment de la présentation de la communication, était emprisonné en Ouzbékistan et en attente d’exécution après avoir été condamné à mort par le tribunal militaire d’Ouzbékistan le 19 février 2004. L’auteur affirme que son fils est victime de violations, par l’État partie, des droits qui lui sont reconnus aux paragraphes 1 et 4 de l’article 6, aux articles 7, 9 et 10, aux paragraphes 1 à 3 de l’article 14 et à l’article 16 du Pacte.

1.2Le 6 mai 2004, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution de M. Tolipkhuzhaev tant que l’examen de la communication serait en cours. Le 27 juin 2004, l’État partie a informé le Comité que, le collège militaire de la Cour suprême d’Ouzbékistan ayant invalidé la sentence prononcée à l’encontre de M. Tolipkhuzhaev le 25 mai 2004, son dossier avait été renvoyé au tribunal militaire d’Ouzbékistan pour nouvel examen.

1.3Le 15 mars 2005, le Comité a reçu une information officieuse selon laquelle le fils de l’auteur aurait pu avoir été exécuté début mars. La question a été évoquée au cours de l’examen du deuxième rapport périodique de l’État partie concernant l’application du Pacte, les 21 et 22 mars 2005. La délégation de l’État partie a donné au Comité des informations d’où il ressortait qu’il avait été sursis à l’exécution de M. Tolipkhuzhaev en attendant l’examen de son cas par le Comité.

1.4Le 13 avril 2005 toutefois, l’auteur a fourni au Comité la copie d’un certificat de décès indiquant que son fils avait été exécuté le 1er mars 2005. Le même jour, le Comité, agissant par l’intermédiaire de sa présidente, a adressé au Représentant permanent de l’Ouzbékistan auprès de l’Office des NationsUnies à Genève une lettre dans laquelle il faisait part de sa consternation et de sa très vive préoccupation concernant l’exécution de la victime présumée, et demandait de promptes explications par écrit. Dans une note verbale datée du 23 avril 2008, l’État partie a expliqué que le 12 avril 2004 M. Tolipkhuzhaev avait refusé de solliciter la grâce présidentielle. Il a été exécuté après que le jugement rendu le 19 février 2004 fut devenu exécutoire. Selon l’État partie, la note verbale transmise par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme dans laquelle il était demandé de surseoir à l’exécution de la victime présumée tant que l’examen de la communication serait en cours n’est parvenue à la Cour suprême d’Ouzbékistan qu’après l’exécution de la victime présumée.

1.5Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 28 décembre 1995.

Rappel des faits présenté s par l ’ auteur

2.1Le 19 février 2004, M. Akhrorkhuzh Tolipkhuzhaev, qui était alors officier, a été déclaré coupable et condamné à mort par le tribunal militaire d’Ouzbékistan pour le meurtre des enfants de l’un de ses anciens commandants, meurtre qui visait à camoufler le vol de bijoux, d’une somme d’argent et d’autres objets commis au domicile de ce dernier le 17 juillet 2001. Après avoir commis le crime, M. Tolipkhuzhaev s’est enfui au Kazakhstan, où il a été ensuite arrêté. Il a été transféré à Tachkent le 13 septembre 2002.

2.2Le 24 mars 2004, le collège militaire de la Cour suprême d’Ouzbékistan a confirmé la sentence. Au moment où il a présenté sa communication, l’auteur a affirmé qu’une demande de grâce avait été déposée auprès du Bureau du Président, mais qu’aucune réponse n’avait été reçue.

2.3Selon l’auteur, la condamnation à mort de son fils était illégale étant donné que les tribunaux ont repris le point de vue des enquêteurs, ont manqué à leur devoir d’impartialité et d’objectivité et ont fondé leurs conclusions sur des aveux de son fils obtenus par la torture au début de l’enquête. La culpabilité de son fils et son implication dans les meurtres n’ont pas été établies au-delà de tout doute raisonnable, ni pendant l’enquête préliminaire, ni à l’audience. La peine était excessivement sévère et injustifiée, et elle ne correspondait pas à la personnalité de son fils, qui était un homme bon et tranquille, aimant le travail et n’ayant jamais commis de crime auparavant. Le tribunal aurait apprécié de façon erronée les preuves portées au dossier et ignoré des éléments prouvant l’innocence de son fils.

2.4L’auteur réaffirme qu’au cours de l’enquête préliminaire son fils a été battu et torturé par les policiers, qui l’ont contraint à s’avouer coupable. Il renvoie à un arrêt de la Cour suprême daté du 20 novembre 1996 dans lequel la Cour a déclaré que les éléments de preuve obtenus par des méthodes d’enquête non autorisées n’étaient pas recevables; en l’espèce, les tribunaux ont refusé d’examiner les allégations de torture et de coups formulées par son fils.

2.5À l’audience, le fils de l’auteur a nié avoir commis les meurtres. Il a reconnu s’être rendu au domicile de son ancien commandant le 17 juillet 2001, mais celui-ci était absent. M. Tolipkhuzhaev connaissant bien la famille, il a été invité à attendre son ami dans l’appartement. Là, il a vu un portefeuille ouvert contenant des bijoux et a décidé de le voler. À un moment donné, lorsque la fille de son ami a quitté la pièce, il s’est emparé du portefeuille et a pris la fuite. Plus tard dans la même journée, il a décidé de restituer les bijoux et est revenu à l’appartement. Là, il a découvert les corps des enfants de son ami. Craignant d’être accusé de ces meurtres, il s’est enfui au Kazakhstan, où il a été arrêté et renvoyé en Ouzbékistan le 13 septembre 2002. Après son retour en Ouzbékistan, il a été battu et torturé par les enquêteurs et contraint de faire des aveux écrits concernant les meurtres.

2.6L’auteur donne des précisions sur le traitement auquel la police a soumis son fils: plusieurs policiers l’ont soulevé à maintes reprises avant de le laisser violemment tomber sur le sol en ciment. M. Tolipkhuzhaev a commencé à saigner de la bouche. Plus tard, il a constaté la présence de sang dans son urine, et s’est mis à cracher du sang. Quand les enquêteurs l’ont emmené au centre de détention avant jugement, le fonctionnaire de garde et le médecin du centre ont l’un et l’autre refusé d’accepter M. Tolipkhuzhaev dans l’établissement compte tenu de son état. Le fils de l’auteur a été alors ramené au poste de police, où on lui a administré des soins.

2.7L’auteur fait valoir que son fils aurait dû être transféré au centre de détention avant jugement le 16 septembre 2002, mais qu’il n’y a été conduit que le 24 septembre 2002. Les fonctionnaires du centre ont de nouveau refusé de l’y admettre car son corps était couvert d’ecchymoses. Le 26 septembre 2002, le fils de l’auteur a été une nouvelle fois conduit au centre de détention, où il s’est heurté de nouveau à un refus d’admission. Cette fois-ci toutefois, il a demandé aux autorités du centre de détention de le garder dans l’établissement, sans quoi, disait‑il, les policiers le tueraient. Il a été alors admis dans le centre de détention. Là, M. Tolipkhuzhaev a continué d’uriner et de cracher du sang, il avait des douleurs et ne pouvait pas dormir. Il a demandé de l’aide et un médecin (A.) l’a examiné et lui a prescrit un traitement. Selon l’auteur, tout cela a été consigné dans les dossiers médicaux du centre de détention. L’avocat de M. Tolipkhuzhaev a demandé au tribunal de première instance d’examiner ces dossiers, mais cela n’a pas été fait.

2.8L’auteur fournit d’autres exemples de cas dans lesquels le tribunal a refusé d’examiner d’autres éléments de preuve ou d’interroger des témoins:

a)L’avocat de M. Tolipkhuzhaev a demandé au tribunal d’interroger le médecin et le fonctionnaire qui étaient de garde dans le centre de détention avant jugement entre le 13 et le 26 septembre, mais sa demande serait restée sans réponse;

b)L’avocat a produit un document établi par un médecin du Ministère de l’intérieur, attestant que M. Tolipkhuzhaev avait été soumis à la torture. Toutefois, au lieu d’ouvrir une enquête, le tribunal a ignoré cet élément de preuve. En outre, M. Tolipkhuzhaev a affirmé qu’il serait en mesure d’identifier ceux qui l’avaient torturé, mais le juge a refusé de vérifier cette affirmation;

c)Le tribunal a refusé d’interroger deux membres du personnel infirmier du centre de détention pour vérifier s’ils savaient quelque chose concernant le traumatisme costal dont souffrait M. Tolipkhuzhaev et s’ils connaissaient l’existence d’autres traumatismes, et pour déterminer si ces traumatismes avaient été consignés dans les dossiers médicaux du centre. Le tribunal a refusé d’interroger le médecin (A.) qui avait administré des soins au fils de l’auteur;

d)Le tribunal n’a pas pris en considération un document établi par un médecin de l’établissement UYa 64-1 de Tachkent, d’où il ressort que durant sa détention M. Tolipkhuzhaev a été blessé aux côtes, aux bras et aux jambes;

e)Le tribunal a refusé de faire comparaître quatre compagnons de cellule de M. Tolipkhuzhaev qui auraient pu témoigner que celui-ci avait été soumis à la torture et à des mauvais traitements;

f)Le fils de l’auteur et son conseil ont l’un et l’autre fait observer au tribunal que M. Tolipkhuzhaev avait été arrêté le 13 septembre 2002, mais n’avait été conduit dans un centre d’enquête que le 26 septembre 2002, et non pas le 16 septembre 2002 comme l’exigeait la loi. Ils ont affirmé que ces dates étaient consignées dans le registre du Département de Tachkent du Ministère de l’intérieur. Ils ont demandé au tribunal d’examiner le registre et le juge aurait accepté de le faire, mais ne l’aurait jamais examiné dans les faits. Ce qui précède montre que le tribunal de première instance a manqué d’objectivité et de professionnalisme dans cette affaire.

2.9Selon l’auteur, le droit de son fils d’assurer sa défense a également été violé. Durant les premières phases de l’enquête, M. Tolipkhuzhaev n’était pas représenté par un conseil et n’était pas informé de ses droits procéduraux. Conformément à la législation ouzbèke, la présence d’un avocat est obligatoire dans toutes les affaires où l’accusé est passible de la peine de mort. En outre, lors de l’examen en appel de l’affaire, la juridiction d’appel du tribunal militaire a cité comme témoins les anciens défenseurs de M. Tolipkhuzhaev et le procureur les a interrogés. Les avocats en question auraient témoigné contre leur ancien client, violant ainsi non seulement la loi et les droits de la victime présumée mais également les règles déontologiques de la profession.

2.10L’auteur ajoute encore qu’un témoin a affirmé à l’audience que le jour du crime, deux individus avaient demandé où se trouvait l’appartement du père des personnes assassinées. Selon ce témoin, les individus en question étaient arrivés dans le quartier à bord d’une voiture noire. Peu après, elle les avait vus quitter précipitamment les lieux en voiture après être sortis de l’appartement en courant. Cela a été confirmé par un autre témoin. Le tribunal aurait toutefois ignoré ces dépositions.

2.11L’auteur affirme de surcroît qu’aucun des actes et conclusions d’expertise n’établit qui a commis les meurtres. Immédiatement après le crime, les enquêteurs ont procédé à une perquisition avec des chiens. Ces derniers ont pris trois directions différentes. Sur les lieux du crime, les enquêteurs ont relevé 10 séries d’empreintes digitales, mais aucune ne correspondait à celles de M. Tolipkhuzhaev.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que son fils a été condamné à mort illégalement, à l’issue d’un procès inéquitable, et qu’il a été fait recours à la torture pendant l’enquête pour qu’il s’avoue coupable. L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits de son fils visés aux paragraphes 1 et 4 de l’article 6, aux articles 7, 9 et 10, aux paragraphes 1 à 3 de l’article 14 et à l’article 16 du Pacte.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 27 juin 2004, l’État partie a informé le Comité que le 3 juillet 2002 le tribunal municipal d’Almaty (Kazakhstan) avait déclaré M. Tolipkhuzhaev coupable de vol et l’avait condamné à trois ans d’emprisonnement.

4.2Le 19 février 2004, le tribunal militaire d’Ouzbékistan a déclaré M. Tolipkhuzhaev coupable du meurtre de deux enfants commis dans des circonstances aggravantes le 17 juillet 2001 à Tachkent, de vol au domicile de leurs parents et de désertion des formes armées ouzbèkes. M. Tolipkhuzhaev a été condamné à mort pour ces crimes. Le 26 mars 2004, la juridiction d’appel du tribunal militaire a confirmé la condamnation à mort.

4.3L’État partie ajoute que le 25 mai 2004 le collège militaire de la Cour suprême a annulé la décision de la juridiction d’appel du tribunal militaire, au motif qu’un certain nombre de circonstances n’avaient pas été examinées, et il a renvoyé l’affaire pour nouvel examen.

4.4Le 23 avril 2008, l’État partie a ajouté que le 12 avril 2004 M. Tolipkhuzhaev avait refusé de déposer une demande de grâce, ce dont l’administration présidentielle avait été notifiée. Une fois que le jugement a acquis force de chose jugée, la condamnation à mort a été exécutée. L’État partie affirme enfin que la demande de mesures provisoires adressée par le Comité a été reçue par la Cour suprême d’Ouzbékistan après l’exécution du condamné.

5.Il a été demandé à l’auteur de présenter ses commentaires sur les observations de l’État partie, mais aucune réponse n’a été reçue malgré l’envoi de deux rappels (en 2008 et 2009, respectivement).

Non-respect de la demande de mesures provisoires du Comité

6.1Lorsqu’il a présenté sa communication le 6 mai 2004, l’auteur a informé le Comité que son fils était détenu dans le quartier des condamnés à mort. Le 27 juin 2004, l’État partie a fait savoir au Comité que le dossier pénal de la victime présumée avait été renvoyé pour complément d’information. Au cours de l’examen par le Comité du deuxième rapport périodique de l’État partie concernant l’application du Pacte, en mars 2005, le Comité a demandé des éclaircissements sur cette affaire. L’État partie a répondu que M. Tolipkhuzhaev n’avait pas été exécuté. Le 23 avril 2008 toutefois, l’État partie a affirmé que la victime présumée avait de fait été exécutée après que le jugement rendu par le tribunal militaire le 19 février 2004 fut devenu exécutoire. Le Comité note que, nonobstant les affirmations manifestement contradictoires de l’État partie sur cette question précise, il demeure incontesté que la victime présumée a été exécutée alors même que la communication présentée en son nom avait été enregistrée au titre du Protocole facultatif et qu’une demande de mesures provisoires de protection avait été dûment adressée à l’État partie, qui l’avait reçue, comme l’atteste à tout le moins la réponse de l’État partie datée du 27 juin 2004, même si ce dernier affirme que ces informations ont été communiquées à la Cour suprême après l’exécution.

6.2Le Comité rappelle que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui affirment être victimes de violations de droits reconnus dans le Pacte. En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité afin que celui-ci puisse examiner les communications qui lui sont ainsi soumises et, après les avoir examinées, faire part de ses constatations à l’État partie et à l’intéressé (art. 5, par. 1 et 4). Un État partie contrevient à ces obligations s’il prend une quelconque mesure susceptible d’empêcher le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations.

6.3Indépendamment des violations du Pacte qui peuvent lui être imputées dans une communication, un État partie contrevient gravement à ses obligations au titre du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation présumée du Pacte, ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. En l’espèce, l’auteur affirme que son fils s’est vu dénier des droits qui lui sont garantis par différents articles du Pacte. Étant donné que la présente communication lui a été notifiée, l’État partie a contrevenu à ses obligations au titre du Protocole facultatif en procédant à l’exécution de la victime présumée avant que le Comité n’ait pu achever l’examen de l’affaire, formuler ses constatations et les lui communiquer.

6.4Le Comité rappelle que les demandes de mesures provisoires de protection en application de l’article 92 de son règlement intérieur et conformément à l’article 39 du Pacte sont essentielles au rôle qui lui est confié en vertu du Protocole facultatif. Le non-respect de ce principe, en particulier par une action irréparable comme, en l’espèce, l’exécution de M. Tolipkhuzhaev, compromet la protection des droits consacrés dans le Pacte qui est assurée par le Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité constate, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

7.3Le Comité a pris note des griefs de l’auteur tirés du paragraphe 4 de l’article 6 et des articles 9 et 16 du Pacte. Il constate que l’auteur énonce ces griefs en des termes vagues et généraux, sans préciser quels actes ou omissions des autorités de l’État partie constituent une violation des droits de son fils protégés par les dispositions du Pacte susmentionnées. En l’absence de toute autre information à cet égard, le Comité considère que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4L’auteur a invoqué également une violation des droits de son fils visés au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Le Comité constate toutefois que l’auteur n’a soumis aucune autre information à ce sujet. Dans ces conditions, il considère également que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’avoir été suffisamment étayée.

7.5Le Comité considère que les autres griefs énoncés dans la communication sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et il les déclare recevables en tant qu’ils soulèvent d’autres questions au regard des articles 6, 7 et 10, et des paragraphes 1 et 3 de l’article 14 du Pacte.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2L’auteur affirme que son fils a été battu et torturé par la police immédiatement après son transfert du Kazakhstan en Ouzbékistan, et a été ainsi contraint de s’avouer coupable. L’auteur donne des précisions concernant les mauvais traitements infligés à son fils et affirme que de nombreuses plaintes formées à ce propos ont été ignorées par les tribunaux. L’État partie ne réfute pas expressément ces griefs, se contentant plutôt d’affirmer que la culpabilité du fils de l’auteur a été pleinement établie.

8.3Le Comité rappelle que les plaintes formées pour mauvais traitements contraires à l’article 7 doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales de l’État partie. S’il apparaît, à la lecture de la copie du jugement du tribunal militaire, que cette juridiction a effectivement examiné les allégations de torture de M. Tolipkhuzhaev dans le cadre du réexamen de l’affaire pénale le 29 octobre 2004, et qu’elle les a rejetées, le Comité considère toutefois que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie n’a pas apporté la preuve que ses autorités avaient examiné avec diligence et de manière satisfaisante les allégations de torture formulées par l’auteur, que ce soit dans le cadre de la procédure pénale interne ou dans celui de la présente communication. En conséquence, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité conclut ainsi que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M. Tolipkhuzhaev visés à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief de l’auteur tiré de l’article 10 du Pacte.

8.4Le Comité considère qu’en l’espèce, les tribunaux − et cela n’a pas été contesté par l’État partie − n’ont pas traité comme il convenait les plaintes de la victime concernant les mauvais traitements auxquels la police l’aurait soumise et n’ont pas accordé l’attention voulue aux nombreuses demandes du fils de l’auteur et de son conseil pour que plusieurs témoins soient interrogés, et d’autres éléments de preuve soient examinés à l’audience, à ce propos. Le Comité considère que de ce fait les procédures pénales dans l’affaire de M. Tolipkhuzhaev ont été entachées d’irrégularités, ce qui fait douter du caractère équitable du procès pénal dans son ensemble. En l’absence de toute observation utile à ce sujet de l’État partie, et sans qu’il y ait lieu d’examiner séparément chacun des griefs de l’auteur à cet égard, le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les faits tels que présentés font apparaître une violation distincte des droits du fils de l’auteur visés au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.5L’auteur invoque enfin une violation de l’article 6 du Pacte, dans la mesure où M. Tolipkhuzhaev a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable au cours duquel les dispositions de l’article 14 n’ont pas été respectées. Le Comité rappelle que la condamnation à la peine de mort à l’issue d’un procès dans lequel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Dans l’affaire à l’examen, la condamnation à mort de M. Tolipkhuzhaev a été prononcée et exécutée, en violation du droit à un procès équitable, tel que garanti par l’article 14 du Pacte, et également, par conséquent, en violation de l’article 6 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 6 et 7 et des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

10.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile comprenant le versement d’une indemnisation appropriée et l’engagement de poursuites pénales pour établir les responsabilités concernant les mauvais traitements subis par M. Tolipkhuzhaev. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

-----