Nations Unies

CCPR/C/96/D/1582/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

7 septembre 2009

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Quatre-vingt-seizième session

13-31 juillet 2008

Décision

Communication no 1582/2007

Présentée par:

Vera Kudrna (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

23 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 20 novembre 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

21 juillet 2009

Objet:

Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure:

Abus du droit de présenter une communication

Questions de fond:

Égalité devant la loi; égale protection de la loi sans discrimination d’aucune sorte

Article du Pacte:

26

Article du Protocole facultatif:

3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-seizième session)

concernant la

Communication no 1582/2007*

Présentée par:

Vera Kudrna (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

23 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 juillet 2009,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Mme Vera Kudrna, de nationalité américaine et anciennement ressortissante tchécoslovaque, née en 1934 et résidant actuellement aux États‑Unis. Elle se déclare victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur et son mari ont quitté la Tchécoslovaquie en septembre 1965. Elle a perdu la nationalité tchécoslovaque le 12 mars 1976 et a acquis la nationalité américaine le 30 avril 1976.

2.2L’auteur était propriétaire de la moitié d’une villa à Prague. Sa part de la villa a été confisquée après qu’elle eut quitté le pays et appartient aujourd’hui à la municipalité. L’auteur a été réhabilitée par la loi no 119/1990, mais son bien ne lui a jamais été restitué car elle ne remplissait pas la condition de nationalité.

2.3Le 17 octobre 1995, l’auteur a engagé une action devant le tribunal de district du sixième arrondissement de Prague, qui l’a déboutée au motif qu’elle avait confirmé ne pas satisfaire à la condition de nationalité fixée par la loi no 87/1991. Elle a fait appel de cette décision devant le tribunal municipal de Prague, qui a rejeté le recours le 16 juin 1998. Elle a ensuite formé un recours devant la Cour suprême, qui a été rejeté le 18 décembre 1998 au motif que l’auteur, ayant acquis la nationalité américaine et perdu la nationalité tchécoslovaque, ne répondait pas aux critères fixés dans la loi no 87/1991 relative à la restitution de biens. L’auteur a alors saisi la Cour constitutionnelle, qui l’a déboutée le 15 novembre 1999 pour les mêmes motifs.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que le refus de l’État partie de lui restituer son bien au motif qu’elle ne satisfait pas à la condition de nationalité constitue une discrimination fondée sur la nationalité, autrement dit une violation de l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 4 février 2008, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2En ce qui concerne la question de la recevabilité, l’État partie estime que la communication est irrecevable en tant qu’elle constitue un abus du droit de plainte, du fait que l’auteur a attendu plus de sept ans après la décision de la Cour constitutionnelle, rendue le 15 novembre 1999, pour adresser une communication au Comité. L’État partie reconnaît qu’aucun délai précis n’est fixé pour présenter une communication au Comité, mais il renvoie au délai prévu par d’autres instances internationales, notamment le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale − six mois après l’épuisement des recours internes −, pour montrer que l’auteur a laissé passer un laps de temps déraisonnable en l’espèce. Même si l’État partie était disposé à tolérer une certaine souplesse dans l’application d’une règle de ce type, il ne saurait considérer comme raisonnable un délai supérieur à un an. Il fait valoir que l’auteur n’a pas présenté de motifs raisonnables et objectifs, tels que des faits nouveaux, pour expliquer pourquoi elle avait tardé à présenter une communication au Comité. L’État partie souscrit à l’opinion dissidente formulée par M. Amor dans l’affaire Zdenek Ondracka c. République tchèque, et note que la jurisprudence du Comité sur ce point manque de cohérence.

4.3L’État partie fait valoir également que la communication est irrecevable ratione temporis, étant donné que le bien de l’auteur a été confisqué en 1966, bien avant la ratification du Pacte et du Protocole facultatif par la République socialiste tchécoslovaque.

4.4Sur le fond, l’État partie renvoie aux observations qu’il a présentées antérieurement au Comité au sujet d’affaires analogues, et souligne que les lois relatives à la restitution de biens, y compris la loi no 87/1991, avaient un double objectif: d’une part, atténuer les conséquences d’injustices commises sous le régime communiste et, d’autre part, permettre de mener à bien une vaste réforme économique en vue d’établir une économie de marché efficace. Comme il n’était pas possible de réparer toutes les injustices commises dans le passé, des conditions restrictives avaient été fixées, notamment la condition de nationalité, dont le but essentiel était d’inciter les propriétaires à entretenir correctement les biens dans le cadre du processus de privatisation. Il n’y a pas lieu pour l’État partie de répéter les arguments à l’appui de sa politique qu’il a déjà exposés à propos d’autres communications relatives à des affaires de propriété de biens en République tchèque.

Commentaires de l’auteur

5.Dans une réponse datée du 2 juillet 2008, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie, réitérant les arguments présentés précédemment et indiquant qu’elle n’avait pas saisi le Comité immédiatement après que la Cour constitutionnelle eut rendu son arrêt parce qu’elle espérait une modification de la loi, comme il y en avait déjà eu, modification qui lui aurait évité d’avoir à présenter une communication au Comité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il constate en outre que l’auteur a épuisé les recours internes.

6.3Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que la communication devait être déclarée irrecevable en raison du long délai qui s’est écoulé entre la décision judiciaire définitive rendue sur cette affaire et la présentation de la communication au Comité. Le Comité note que le Protocole facultatif ne fixe pas de délais pour la présentation d’une communication. C’est seulement dans des circonstances exceptionnelles que la longueur du délai de soumission d’une communication peut entraîner l’irrecevabilité de celle-ci. À ce sujet, le Comité relève que l’auteur a attendu plus de sept ans après la date de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle avant de présenter sa communication au Comité. Pour justifier ce délai, l’auteur se borne à faire valoir qu’elle escomptait une modification de la loi relative au critère de la nationalité, ce qui lui aurait évité de s’adresser au Comité. En revanche, elle n’a fourni aucune précision sur le point de savoir ce qui la portait à croire qu’une telle modification serait adoptée. Elle n’a pas non plus démontré que le corps législatif envisageait même une telle modification. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que ce délai est si peu raisonnable et si excessif qu’il constitue un abus du droit de présenter une communication, ce qui rend la présente communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Rafael Rivas Posada

Le Comité des droits de l’homme a déclaré la communication présentée par Mme Vera Kudrna contre la République tchèque irrecevable pour cause d’abus du droit de présenter une communication, considérant comme «peu raisonnable» et «excessif» le délai écoulé avant la présentation de ladite communication. Je suis en désaccord avec cette décision pour deux raisons fondamentales.

La première a trait au problème souvent rencontré par le Comité lorsqu’il est appelé à se prononcer sur ce qui constitue un délai excessif dans la présentation des communications, seul motif à ce jour pour invoquer l’abus du droit de plainte et, par conséquent, déclarer une communication irrecevable. Chacun sait que ni le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ni le Règlement intérieur du Comité ne fixent de délai pour la présentation des communications; en revanche, le Protocole prévoit, sans toutefois préciser en quoi il consiste, que l’abus du droit de présenter une communication est un motif d’irrecevabilité. Comme le Protocole facultatif ne dit mot des délais admissibles, le débat a porté sur l’utilité d’un critère sur lequel se fonderait la décision d’irrecevabilité pour présentation tardive et, en même temps, sur le rapport existant entre délai excessif et abus du droit de présentation d’une communication en tant que motif d’irrecevabilité. À ce jour, le Comité n’a pas trouvé de formule pour fixer un délai de présentation des communications, question qui a donné lieu à d’interminables débats et à une jurisprudence incohérente et inconstante, avec ce résultat que les décisions sont souvent contradictoires et, dans bien des cas, arbitraires. Le Comité a, par le passé, déclaré recevables des communications présentées dans des délais de trois, quatre, cinq et même sept ans, dans certains cas sans tenir compte des raisons possibles de ces délais, et dans d’autres, y compris dans les allégations de violation de l’article 26 du Pacte par la République tchèque, de circonstances propres à l’État partie qui peuvent expliquer le retard de présentation des communications.

Dans la décision qui nous occupe, le Comité s’est écarté des décisions qu’il a rendues dans la plupart des affaires précédentes où il avait conclu à la recevabilité des communications présentées après un délai considérable, et a estimé qu’il n’y avait pas de justification acceptable en l’espèce. Or, dans plusieurs affaires précédentes relatives à des allégations de violation de l’article 26 du Pacte par la République tchèque, le Comité avait déclaré recevables les communications présentées plusieurs années après que leurs auteurs avaient épuisé les recours internes, indépendamment des motifs que ceux‑ci avaient pu invoquer pour expliquer le délai. La conclusion du Comité me paraît ici injustifiée puisqu’il applique un critère différent du critère utilisé dans le passé pour trancher des affaires similaires.

Mon second motif de désaccord tient au caractère discriminatoire de la décision du Comité. En décidant de justifier sa décision par le délai excessif pour lequel l’auteur de la communication n’a pas donné d’explication convaincante, le Comité a appliqué à celui‑ci un traitement différent de celui qu’il a accordé à d’autres plaignants alléguant des violations de l’article 26, qui ont reçu un traitement favorable en ce sens que, malgré les délais dans lesquels elles ont été présentées, leurs communications ont été jugées recevables et les décisions rendues par la République tchèque déclarées contraires à l’article 26. En conséquence, Mme Kudrna est victime d’une discrimination injuste, ce qui constitue un acte de discrimination assez singulier de la part du Comité qui a déclaré irrecevable une allégation de discrimination présentée contre l’État partie.

Tant que subsisteront les incertitudes actuelles concernant les délais acceptables pour la présentation des communications et la définition de l’abus de droit d’en présenter comme motif d’irrecevabilité, les difficultés que rencontre le Comité lorsqu’il est saisi d’affaires comme celle-ci subsisteront aussi, avec des conséquences préjudiciables sur la nécessaire cohérence de la jurisprudence du Comité.

Pour ces motifs, je considère que le Comité aurait dû déclarer recevable la communication no 1582/2007, sans que la présente opinion puisse être considérée comme préjugeant du fond de l’affaire, qui portait sur la question de savoir si la position de l’État partie constituait ou non une violation de l’article 26.

(Signé) Rafael Rivas Posada

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport du Comité à l’Assemblée générale.]