NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/96/D/1614/20077 septembre 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑seizième session13‑31 juillet 2009

DÉCISION

Communication n o 1614/2007

Présentée par:

Dagmar Dvorak (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

24 novembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 13 novembre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

28 juillet 2009

Objet: Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure: Abus du droit de présenter des communications; épuisement des recours internes; fondement des griefs

Question s de fond: Égalité devant la loi; égale protection de la loi

Article s du Pacte: 14 (par. 7) et 26

Article s du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 b))

[ANNEXE] ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑seizième session

concernant la

Communication n o  1614/2007**

Présentée par:

Dagmar Dvorak (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

24 novembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 juillet 2009,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.L’auteur de la communication est Dagmar Dvorak, ayant la double nationalité américaine et tchèque, qui réside actuellement aux États-Unis d’Amérique. L’auteur est née le 23 janvier 1921 à Prague. Elle se déclare victime de violations par la République tchèque du paragraphe 7 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 22 février 1993. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1L’auteur, fille unique, est la seule héritière de sa mère qui était propriétaire d’un immeuble dans le centre de Prague. Dans cet immeuble, sa mère avait un grand appartement et, pendant l’occupation allemande, elle avait accepté un couple marié comme locataires. Ces personnes s’étant révélées très négligentes, elle s’était plainte auprès de l’Office du logement et avait demandé qu’on lui envoie d’autres locataires.

2.2Après la guerre, les sous‑locataires ont dénoncé la mère de l’auteur au Comité national de Prague parce qu’elle avait déposé une plainte auprès des autorités allemandes. La mère de l’auteur a alors été condamnée à une amende. Elle a été graciée en vertu d’une amnistie décrétée le 20 décembre 1948.

2.3Après le coup d’État communiste de février 1948, le Comité national régional a rouvert le dossier et décidé de saisir l’immeuble en application du décret no 108/1945. La mère de l’auteur a été expulsée. Elle est décédée en 1956.

2.4L’auteur a recouvré la nationalité tchèque le 30 septembre 1991. Après le renversement de l’ancien gouvernement communiste, elle a tenté de récupérer le bien qui avait été confisqué à Prague. Le tribunal régional de Prague a rejeté la demande de restitution en vertu de la loi no 87/1991 le 31 janvier 1994 au motif que l’auteur ne résidait pas en République tchèque. L’auteur a fait appel devant le tribunal municipal de Prague, qui a confirmé le 29 juin 1994 la décision rendue en première instance. L’auteur a formé un recours devant la Cour constitutionnelle qui a été rejeté le 21 novembre 1994.

Teneur de la plainte

3.L’auteur fait valoir une violation par la République tchèque du paragraphe 7 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans sa réponse du 13 mai 2008, l’État partie analyse la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il affirme que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il rappelle que les personnes qui ont le droit de solliciter la restitution de biens sont définies par l’article 3 de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. Telle qu’elle était libellée, cette disposition imposait aux demandeurs en restitution d’avoir leur résidence permanente en République tchèque ou en République slovaque. Déclarée contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle en juillet 1994, elle a été abrogée.

4.2Du fait de la décision de la Cour constitutionnelle, tous ceux qui ne remplissaient pas la condition de résidence avaient maintenant la possibilité de faire une demande de restitution. Or l’auteur n’a cependant pas présenté une nouvelle demande en vertu de la loi no 87/1991. Dans ces circonstances, l’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

4.3En outre, l’État partie note que la dernière décision rendue par une juridiction tchèque date du 21 novembre 1994. L’auteur a donc attendu plus de douze ans avant de saisir le Comité, le 24 novembre 2006. L’État partie estime que ce retard est totalement déraisonnable. Il n’ignore pas que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation des communications mais il renvoie à la jurisprudence du Comité, qui a établi qu’un délai manifestement excessif et injustifié pouvait représenter un abus du droit de plainte. L’État partie fait référence à la pratique d’autres organes de plainte internationaux, tels que la Cour européenne des droits de l’homme ou la Commission interaméricaine des droits de l’homme devant lesquels les plaintes doivent être soumises dans les six mois.

4.4Comme l’auteur n’a donné aucune explication pour justifier le retard, l’État partie invite le Comité à déclarer la communication irrecevable au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

4.5Sur le fond, l’État partie fait une distinction entre la présente affaire et les autres affaires de restitution de biens que le Comité a déjà examinées. En l’espèce, ce n’est pas la condition de nationalité requise par la loi aux fins de la restitution de biens qui est en cause.

4.6L’État partie indique que l’auteur a obtenu la nationalité tchèque dès septembre 1991, quatre jours après avoir déposé une demande à cet effet. Il explique que le tribunal de première instance a débouté l’auteur pour deux raisons. Premièrement, le transfert du titre de propriété du bien en question de la mère de l’auteur à l’État a eu lieu avant le 25 février 1948, soit en dehors de la période visée par les lois sur la restitution. Deuxièmement, l’auteur ne remplissait pas la condition relative à la résidence permanente.

4.7La cour d’appel n’a pas approuvé la constatation du tribunal de première instance qui avait considéré que la loi no 87/1991 était inapplicable ratione temporis mais a estimé que le transfert de propriété effectué en application du décret no 108/1945 n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 2 de la loi no 87/1991. La cour d’appel a considéré que la mère de l’auteur avait été reconnue coupable de sympathies avec le nazisme au terme d’une procédure administrative régulière et conformément au décret no 138/1945, lequel n’a pas été abrogé. Étant donné que les conditions préalables requises en vertu de l’article 2 aux fins du transfert de propriété à l’État n’étaient pas remplies, la cour d’appel n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur les conditions imposées pour avoir le droit de solliciter la restitution, c’est-à-dire l’obligation de résidence permanente. La Cour constitutionnelle a confirmé la décision du tribunal de première instance qui avait relevé que le transfert du titre de propriété avait eu lieu en dehors de la période visée par la loi et, en conséquence, elle ne s’est pas non plus prononcée sur la condition de résidence.

4.8Au vu des décisions des juridictions nationales, l’État partie note que le fait que l’auteur ne remplissait pas la condition de résidence n’a été qu’un motif secondaire du rejet de sa demande en première instance. En outre, cette condition a par la suite été déclarée anticonstitutionnelle par la Cour constitutionnelle. L’État partie souligne que l’auteur ne dit rien des autres raisons qui ont motivé le rejet de sa demande pas plus qu’elle n’explique en quoi ces raisons étaient discriminatoires.

4.9L’État partie rappelle que le bien a été confisqué de jure en vertu du décret no 108/1945 avant la période visée par la loi no 87/1991, bien que de facto l’expropriation ait été effective en 1953. L’État partie renvoie à la décision du Comité dans l’affaire Drobek c. Slovaquie, dans laquelle il a confirmé que la législation adoptée pour dédommager les victimes du régime communiste ne semblait pas à première vue discriminatoire parce qu’elle ne dédommageait pas les victimes des injustices commises par des régimes antérieurs.

4.10L’État partie ajoute que, même si la loi no 87/1991 avait été applicable, les conditions énoncées à l’article 2 n’étaient pas remplies. Il fait valoir que le bien a été confisqué parce que la mère de l’auteur avait été reconnue coupable de sympathie à l’égard du nazisme, ce qui constituait une infraction administrative en vertu du décret no 138/1945, et que l’affaire n’a pas de rapport avec une quelconque injustice commise par le régime communiste.

4.11En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte constitué par le jugement rendu en vertu du décret no 138/1945 et par la confiscation qui a suivi l’État partie fait observer que ces faits se sont produits avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour lui.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l ’ État partie

5.1Dans ses commentaires du 26 juin 2008, l’auteur réaffirme qu’en application de l’amnistie décrétée en 1948 la condamnation de sa mère a été annulée. La confiscation du bien cinq ans après constitue selon elle une violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte. L’auteur indique que sa mère n’a jamais été déclarée coupable de crime nazi ou de trahison.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme qu’aucun recours interne ne lui reste ouvert.

5.3L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui fait valoir que sa communication est irrecevable pour abus du droit de plainte. Elle explique que si tant d’années se sont écoulées avant qu’elle n’envoie sa communication c’est parce que ni elle ni son avocat en République tchèque ne connaissaient l’existence du Comité et ses décisions. Elle affirme que l’État partie ne rend pas publiques les décisions du Comité.

Réponses complémentaires des parties

6.1Dans une note du 11 décembre 2008, l’État partie a soumis des observations complémentaires en réponse aux commentaires de l’auteur. Il fait valoir que l’amnistie décrétée en 1948 prévoyait uniquement que certaines peines administratives mineures prononcées en vertu du décret no 138/1945 ne seraient pas exécutées mais ne les annulait pas.

6.2Pour ce qui est du manque d’information au sujet des travaux du Comité, l’État partie estime que l’explication donnée par l’auteur n’a pas de sens surtout en ce qui concerne son avocat tchèque. Il affirme que tant le Pacte que le Protocole facultatif ont été dûment publiés au Journal officiel.

7.Dans une note du 6 janvier 2009, l’auteur a fait savoir qu’elle avait engagé deux nouvelles procédures judiciaires. Le 4 juin 2004, le tribunal de district de Prague a rejeté sa demande en revendication de propriété au motif qu’il n’était pas compétent pour examiner l’exactitude des faits qui avaient donné lieu à la confiscation, laquelle avait été décidée en vertu des dispositions administratives valables. Le 25 octobre 2007, le tribunal municipal de Prague a confirmé la décision du tribunal de district. Il a ajouté que la mère de l’auteur n’était pas propriétaire du bien au moment de son décès et que l’auteur ne pouvait donc pas hériter du titre de propriété.

8.Dans une note du 3 juin 2009, l’État partie a fait parvenir des observations complémentaires au sujet du grief de violation du paragraphe 7 de l’article 14 avancé par l’auteur. Il objecte que le grief est irrecevable ratione personae étant donné que l’auteur n’est pas la victime de la violation alléguée, et ratione temporis étant donné que le bien a été confisqué avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Il ajoute que le grief est manifestement dénué de fondement puisque la mère de l’auteur n’a pas été poursuivie ou punie pour une infraction pour laquelle elle avait déjà été acquittée ou condamnée. La confiscation a été la conséquence de l’infraction administrative définie par le décret no 138/1945 qu’elle avait commise.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité note que l’auteur considère que la condition relative à la résidence permanente énoncée dans la loi no 87/1991 constitue une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité a déjà affirmé, dans des affaires précédentes, que les lois relatives aux droits à la propriété pouvaient entraîner des violations de l’article 26 du Pacte si elles étaient de caractère discriminatoire. Dans la présente affaire, il doit donc déterminer si la loi no 87/1991, telle qu’elle a été appliquée à l’auteur, était effectivement discriminatoire.

9.3Le Comité relève que le non-respect de la condition de résidence n’est pas le seul motif invoqué par le tribunal de première instance pour rejeter la demande en restitution en vertu de la loi n° 87/1991; la demande a été rejetée également ratione temporis. La cour d’appel et la Cour constitutionnelle ont à leur tour rejeté la demande en restitution en vertu respectivement de l’article 2 et de l’article premier de la loi, sans invoquer la condition de résidence.

9.4Le Comité note que la présente affaire se distingue des autres affaires de restitution de biens qu’il a eu à examiner en ce que la condition de résidence n’a pas été déterminante dans le rejet de la demande de l’auteur. Il relève en outre que, mise à part la question de la résidence permanente, l’auteur n’a pas montré en quoi la manière dont la loi no 87/1991 avait été appliquée dans son cas constituait une forme de discrimination interdite par l’article 26 du Pacte. Au vu de ce qui précède le Comité considère que cette allégation n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

9.5L’auteur a également affirmé que l’État partie avait agi en violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte. Elle n’a fait valoir aucun argument convaincant à l’appui de ce grief, qui est donc déclaré irrecevable.

10.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiqué à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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