NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/96/D/1483/2006

18 août 2009

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑seizième session

13 ‑ 31 juillet 2009

CONSTATATIONS

Communication N o 1483/2006

Présentée par:

M. Philémon Basongo Bondonga (représenté par un conseil Maître Dieudonné Diku)

Au nom de:

M. Baudouin Basongo Kibaya (père de l’auteur)

État partie:

République démocratique du Congo

Date de la communication:

10 mars 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 juillet 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

30 juillet 2009

Objet: Torture du requérant aux mains des forces armées

Question de procédure: Epuisement des voies de recours internes

Questions de fond: Interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants ;

Articles du Pacte: 7 et 2 (par. 3 (c) )

Articles du Protocole facultatif: 2, 4 (par. 2) et 5 (b).

Le 30 juillet 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1483/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre‑vingt‑seizième session

concernant la

Communication n o 1483/2006 *

Présentée par:

M. Philémon Basongo Bondonga (représenté par un conseil Maître Dieudonné Diku)

Au nom de:

M. Baudouin Basongo Kibaya

État partie:

République démocratique du Congo

Date de la communication:

10 mars 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30juillet 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1483/2006 présentée au Comité des droits de l’homme par Philémon Basongo Bondonga en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication datée du 10 mars 2004 est Philémon Basongo Bondonga,, citoyen de la République démocratique du Congo, né à Kinshassa le 25 mai 1984, qui présente la communication au nom de son père, M. Baudouin Basongo Kibaya, citoyen de la République démocratique du Congo, né à Kisangani le 15 mai 1954 et décédé le 7 mars 2004 d’une cause étrangère aux faits ci-après exposés. L’auteur affirme que son père est victime de violations par la République démocratique du Congo de l’article 7 et du paragraphe 3 c) de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la République démocratique du Congo le 1er novembre 1976.

Les fait s tels que présentés par l’auteur

2.1Le 23 avril 2001, le lieutenant Basongo Kibaya s’est fait extorquer son arme de service par le commandant Albert Kifwa Mukuna, commandant du district de Lukunga dont le siège est situé au camp Lufungula. Il en informe aussitôt sa hiérarchie pour éviter d’être puni pour pertes d’armes. A la suite de cette dénonciation, le commandant Albert Kifwa Mukuna ordonne son arrestation le 30 avril 2001. Le même jour, vers 23h, le même commandant accompagné de ses deux gardes du corps, Joel Betikumesu et John Askari, se rend dans la cellule où est détenu Baudouin Basongo Kibaya, et ordonne de lui administrer 400 coups de fouet aux fesses. A la suite des tortures ainsi infligées, M. Baudouin Basongo Kibaya deviendra sexuellement impuissant.

2.2 Le 4 mai 2001, M. Baudouin Basongo Kibaya porte plainte près le Parquet Général de la Cour d’Ordre Militaire pour arrestation arbitraire et tortures corporelles contre le commandant Albert Kifwa Mukuna. En octobre 2002, après plusieurs mois d’instruction, le Parquet militaire fixe l’affaire devant la Cour d’Ordre Militaire. Le 29 janvier 2003, la Cour d’Ordre Militaire a condamné le commandant Albert Kifwa Mukana à 12 mois de servitude pénale principale et à 250.000 Francs congolais de dommages et intérêts (soit l’équivalent de 400 dollars américains), alors que ses deux gardes du corps ont écopé chacun de six mois de servitude pénale.

2.3Le Ministère public chargé de l’exécution des peines a laissé le commandant Albert Kifwa Mukuna et ses deux gardes du corps en liberté, malgré la condamnation.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte relatif aux droits civils et politiques et du paragraphe 3 c) de l’article 2 du Pacte.

3.2L’auteur estime que la sanction infligée à ses tortionnaires par la Cour d’Ordre Militaire a été anormalement clémente et qu’il ne pouvait pas exercer les voies de recours utiles. En outre, il estime que cette sanction n’a pas été exécutée, alors que l’exécution des sanctions est du ressort du Ministère Public.

3.3En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur fait valoir que l’arrêt de la Cour d’Ordre Militaire n’était pas susceptible de recours ordinaire, puisque celle-ci statuait en premier et dernier ressort. Il renvoie aux termes de la loi 023/2002 du 18 novembre 2002 portant code de justice militaire et dont l’article 378 dispose que « les effets attachés aux décisions rendues par la Cour d’Ordre Militaire coulées en force de chose jugée ne sont pas régies par la Présente Loi ». Bien plus, cette Cour a été supprimée en mars 2003 et ne rendait ses arrêts que sur dispositif, ne délivrant pas de grosse, ni de copie de celle-ci. L’auteur indique également qu’en droit congolais, les conditions d’un pourvoi sont l’incompétence et la violation de la loi notamment ; aucun de ces cas ne correspondant à l’espèce soumise au Comité.

Non ‑coopération de l’État partie

4.Sous couvert de notes verbales datées du 18 juillet 2006, du 8 juin 2007, du 29 juillet 2008 et du 18 février 2009, l’État partie a été prié de communiquer au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information pertinente relative à la recevabilité ou au fond des allégations de l’auteur. Il rappelle qu’en vertu du Protocole facultatif l’Etat concerné doit soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence d’une réponse quelconque de la part de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Ayant pris note des arguments de l’auteur concernant l’épuisement des voies de recours internes et compte tenu de la non‑coopération de la part de l’État partie, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication. Le Comité estime en outre qu’en ce qui concerne les articles 7 et 2 paragraphe 3 (c) du Pacte, les faits évoqués par l’auteur sont suffisamment étayés. Il déclare donc la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2En ce concerne le grief de la violation de l’article 7 et à l’article 2 paragraphe 3 (c), le Comité note que l’auteur affirme que son père a été détenu et a reçu des coups de fouet, sur ordre du commandant Albert Kifwa Mukuna, par ses gardes du corps, pour avoir dénoncé l’extorsion de son arme. Le Comité note également que l’auteur affirme que le Ministère Public n’a pas veillé à l’exécution de la décision relativement légère rendue par la Cour d’Ordre Militaire, puisque les personnes condamnées ne l’ont jamais exécutée. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie qui pourrai t contredire les allégations de l’auteur , le Comité estime que les faits portés à sa connaissance font apparaître une violation de l’article 7 conjointement avec l’article 2 du Pacte.

Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément à l’article 5, paragraphe 4, du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits qui lui ont été présentés font ressortir une violation de l’article 7, conjointement à l’article 2 du Pacte.

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’Etat partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris une indemnisation appropriée. L’Etat partie est tenu de mettre en exécution la décision de la Cour d’Ordre Militaire du 29 janvier 2003. L’Etat partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

En adhérant au Protocole facultatif, l’Etat partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. Conformément à l’article 2 du Pacte, l’Etat partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’Etat partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constations. L’Etat partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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