NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/96/D/1311/200421 août 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-seizième session13-31 juillet 2009

CONSTATATIONS

Communication n o  1311/2004

Présentée par:

Ivan Osiyuk (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

11 juin 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21 septembre 2004 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

30 juillet 2009

_______________________

* Constatations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.

Objet: Procédure administrative tombant dans le champ d’application des dispositions relatives aux «accusations en matière pénale» au sens du Pacte

Questions de procédure: Recevabilité ratione materiae

Question s de fond: Garanties minimales de la défense dans une procédure pénale;

Article du Pacte: 14 (par. 3 b), d), e))

Article du Protocole facultatif: 3

Le 30 juillet 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1311/2004 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-seizième session

concernant la

Communication n o 1311/2004*

Présentée par:

Ivan Osiyuk (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

11 juin 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 juillet 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1311/2004 présentée par M. Ivan Osiyuk en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Ivan Osiyuk, de nationalité bélarussienne, né en 1932. Il se dit victime d’une violation par le Bélarus de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992.

Rappel des faits présenté s par l ’ auteur

2.1L’auteur est un retraité qui vit à Borisovka (Bélarus), sa ville natale située à environ un kilomètre de la localité de Godyn (Ukraine). Le 26 juin 2003, vers midi, il a traversé la douane et la frontière séparant le Bélarus de l’Ukraine, au volant de sa voiture privée immatriculée au Bélarus, en passant respectivement par les postes frontière de Mokrany et de Domanovo. Il allait rendre visite aux proches de sa tante, décédée le 7 mai 2003. Sur le chemin du retour, semble‑t‑il sans réfléchir et pour économiser du carburant, l’auteur a pris la route qui traverse la forêt − la route principale, où sont situés les postes frontière, est plus longue. La frontière entre le Bélarus et l’Ukraine passe par cette forêt, mais personne ne sait où exactement parce qu’il n’y a pas de ligne de démarcation, de panneau, d’inscription ou de poste frontière qui la signalent d’une façon ou d’une autre. Cette route forestière est régulièrement empruntée par les habitants locaux vivant de part et d’autre de la frontière, qui vont dans la forêt ramasser des baies et des champignons, faire paître le bétail ou faucher de l’herbe.

2.2Aux environs de 14 heures, le conducteur est tombé dans une embuscade tendue dans la forêt par un groupe de jeunes hommes armés de mitraillettes, qui se sont présentés plus tard comme des gardes frontière bélarussiens. Ils ont fouillé la voiture de fond en comble à la recherche d’argent et de marchandises mais n’ont rien trouvé. Ils ont dit à l’auteur qu’il avait franchi illégalement la frontière nationale et lui ont demandé de fournir des explications écrites. Ils lui ont dicté ce qu’il devait écrire car il était effrayé, désorienté et souffrait d’une douleur cardiaque. L’auteur affirme que les gardes du poste frontière de Mokrany ont dû lui donner des médicaments pour le cœur car il était resté pendant six heures sous la menace des armes en plein soleil, sans même avoir été autorisé à se soulager.

2.3Le même jour, un procès‑verbal administratif et douanier concernant l’auteur a été dressé par un inspecteur des douanes du poste frontière de Mokrany. L’auteur était accusé d’avoir commis une infraction à la législation administrative et douanière, visée à l’article 193‑6 (Franchissement de la frontière douanière de la République du Bélarus par des marchandises et des moyens de transport sans passer par les contrôles douaniers) du Code des infractions administratives de 1984 (Code des infractions administratives) du Bélarus. À une date non précisée, il a été accusé également d’avoir commis l’infraction administrative visée à l’article 184‑3 du Code des infractions administratives (Franchissement illicite de la frontière nationale de la République du Bélarus).

2.4Le 9 juillet 2003, un juge des affaires et des poursuites administratives du tribunal de district de Kobrin a déclaré l’auteur coupable de l’infraction administrative visée à l’article 184‑3 du Code des infractions administratives en ayant traversé illégalement la frontière nationale, et l’a condamné à une amende de 14 000 roubles. Cette décision est définitive et exécutoire.

2.5Le 30 juillet 2003, un juge du tribunal du district Moskovsky de Brest a déclaré l’auteur coupable de l’infraction administrative visée à l’article 193‑6 du Code des infractions administratives en ayant franchi la frontière douanière de la République du Bélarus avec son véhicule sans passer par le contrôle douanier, et l’a condamné à une amende de 700 000 roubles ainsi qu’à la confiscation de sa voiture (d’une valeur de 6 177 000 roubles). Cette décision est définitive et exécutoire.

2.6À une date non précisée, l’auteur a adressé au tribunal régional de Brest une demande de contrôle juridictionnel de la décision du 30 juillet 2003. Le 21 août 2003, le Président par intérim du tribunal régional de Brest a annulé la décision du tribunal du district Moskovsky de Brest au motif que le nom de l’auteur était mal orthographié dans la décision et a ordonné que l’affaire soit à nouveau entendue par le même tribunal de première instance, mais par un juge différent.

2.7À une date non précisée, l’auteur a reçu une citation à comparaître le 15 septembre 2003 pour un nouvel examen de son affaire, qu’il a dûment signée. À une date non précisée, il a présenté une contestation écrite dans laquelle il affirmait que le juge qui devait examiner l’affaire le 15 septembre 2003 n’était pas impartial. À une date non précisée, il a été fait droit à la contestation de l’auteur et l’affaire a été confiée à un autre juge. À trois reprises au moins, l’auteur a téléphoné au greffe du tribunal régional de Brest pour s’enquérir de la date à laquelle l’affaire serait examinée par le nouveau juge. À chaque fois, on lui a répondu «d’attendre la convocation». Toutefois, il n’en a jamais reçu et lorsqu’il a de nouveau appelé le greffe du tribunal régional de Brest il a appris que l’audience avait eu lieu une semaine auparavant, le 15 septembre 2003, en son absence.

2.8À cette date, un juge du tribunal du district Moskovsky de Brest a conclu que l’auteur avait commis une infraction administrative visée à l’article 193‑6 du Code des infractions administratives en ayant fait traverser la frontière douanière de la République du Bélarus à son véhicule sans passer par les contrôles douaniers, et l’a condamné à une amende de 700 000 roubles et à la confiscation de son véhicule. Dans cette décision, il est dit que l’auteur ne s’est pas présenté au tribunal, bien qu’il ait été dûment convoqué comme le montrait la signature qu’il a apposée sur la convocation. La décision est définitive et exécutoire.

2.9L’auteur affirme qu’il avait pris des dispositions pour que de nombreux habitants de Borisovka témoignent en sa faveur et confirment notamment que personne n’avait la moindre idée de l’endroit où passait la frontière entre le Bélarus et l’Ukraine ni la moindre connaissance de règles concernant le franchissement de la frontière; toutefois ni ces témoins ni l’auteur n’ont jamais été entendus lors du réexamen de l’affaire par le tribunal du district Moskovsky de Brest.

2.10À une date non précisée, l’auteur a déposé une demande de contrôle de la légalité de la décision rendue le 15 septembre 2003 par le tribunal régional de Brest. À l’appui de sa demande, il a présenté une déclaration sous serment signée d’un député de la circonscription électorale de Kobrin siégeant à la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale attestant qu’aucune démarcation ni aucune signalisation n’indiquaient où passait la frontière nationale entre le Bélarus et l’Ukraine dans le secteur en question. La demande de l’auteur a été rejetée par le Président par intérim du tribunal régional de Brest, en date du 10 octobre 2003.

2.11À une date non précisée, l’auteur a déposé une plainte auprès du Comité des douanes de la République du Bélarus. Dans sa réponse, en date du 21 octobre 2003, le Vice‑Président du Comité des douanes a informé l’auteur que, en vertu de l’article 202 du Code des infractions administratives, l’examen des affaires concernant des infractions administratives et des infractions à la législation douanière visées à l’article 193‑6 du Code des infractions administratives relevait de la compétence des tribunaux. C’est pourquoi le Comité des douanes ne pouvait pas annuler ou modifier la décision du tribunal. Cela ne pouvait être fait qu’à la suite d’une opposition à la demande de l’auteur formée par un procureur ou par une juridiction supérieure.

2.12À une date non précisée, l’auteur a introduit devant la Cour suprême une demande de contrôle de la légalité de la décision du 15 septembre 2003. Cette demande a été rejetée par le Vice‑Président de la Cour suprême le 15 décembre 2003. Une nouvelle demande de contrôle de la légalité de la décision du 15 septembre 2003 déposée par l’auteur devant la Cour suprême a été rejetée par le premier Vice‑Président de la Cour suprême le 18 mars 2004.

Teneur de la plainte

3.L’auteur invoque une violation par le Bélarus des droits garantis à l’article 14 du Pacte, au motif que les tribunaux de l’État partie n’ont pas tenu compte 1) du fait qu’il vit dans la région frontalière entre le Bélarus et l’Ukraine; 2) de son âge et de son état de santé; 3) du fait qu’il n’a causé aucun préjudice ou aucun tort aux intérêts de l’État; et 4) du fait qu’il n’existe aucune démarcation, aucune signalisation, aucune inscription ou postes frontière indiquant la douane et la frontière nationale entre le Bélarus et l’Ukraine dans la forêt en question, qui est régulièrement fréquentée par les habitants locaux vivant de part et d’autre de la frontière. Il fait ensuite observer que la sanction qui lui a été infligée en vertu de la décision rendue le 15 septembre 2003 par le tribunal du district Moskovsky de Brest est trop sévère et est injuste et inadéquate, vu que sa pension mensuelle, dont la moitié est consacrée à l’achat de médicaments, ne s’élève qu’à 103 000 roubles.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note du 26 novembre 2004, l’État partie rappelle les faits résumés plus haut aux paragraphes 2.8 et 2.11 et ajoute qu’en vertu de l’article 11 de la loi relative à la frontière nationale de la République du Bélarus, le franchissement de la frontière par les personnes, les moyens de transport et les marchandises s’effectue aux postes frontière établis. La procédure relative au franchissement de la frontière par les personnes, les moyens de transport et les marchandises impose le passage par les contrôles frontaliers et douaniers et, s’il y a lieu, un contrôle sanitaire, une quarantaine, un contrôle vétérinaire et d’autres types de contrôle.

4.2L’État partie affirme qu’il a été établi que l’auteur avait commis l’infraction. Lors de son arrestation, l’auteur a indiqué qu’il avait franchi la frontière entre le Bélarus et l’Ukraine en passant par le poste frontière et la douane de «Mokrany‑Domanovo». Pour rentrer au Bélarus, il a pris une route secondaire et n’est pas passé par les contrôles frontaliers et douaniers. L’auteur n’a pas nié qu’il avait pris cette route secondaire afin «d’économiser du carburant». Le fait que l’auteur a franchi la frontière avec son véhicule sans passer par le contrôle douanier est corroboré par le plan de la localité où il a été appréhendé, qui porte sa signature, par les rapports des gardes frontière qui l’ont arrêté et par d’autres preuves.

4.3L’État partie fait valoir que puisque pour entrer en Ukraine l’auteur avait franchi la frontière en passant par un poste de douane, il savait où se trouvait ce poste et aurait dû voir qu’il était nécessaire de faire enregistrer le passage de son véhicule en rentrant au Bélarus. C’est pourquoi le tribunal avait conclu à juste titre que l’auteur avait commis une infraction visée à l’article 193‑6 du Code des infractions administratives. La peine principale et la peine complémentaire ont été appliquées dans le plein respect de la loi. Le tribunal a tenu compte des circonstances atténuantes avant de prononcer une amende minimale. Compte tenu toutefois de la valeur du véhicule (6 177 000 roubles), qui constitue l’objet direct de l’infraction, celle-ci ne peut pas être qualifiée de mineure.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l ’ État partie

5.Dans une lettre du 24 décembre 2004, l’auteur réaffirme que les décisions des tribunaux de l’État partie sont trop sévères et injustes. Outre les arguments avancés précédemment et qui, selon lui, n’ont pas été pris en compte par les tribunaux 1) il fait valoir que, en tant que résident d’une zone frontalière entre le Bélarus et l’Ukraine, il devrait être en droit de franchir la frontière selon une procédure simplifiée; 2) il soumet une déclaration sous serment signée par 35 habitants de Borisovka, attestant que personne ne savait exactement où passait la frontière entre le Bélarus et l’Ukraine et que personne ne savait que le fait de franchir la frontière était punissable d’une amende pouvant représenter 50 à 500 fois le salaire minimum et de la confiscation du moyen de transport; 3) il fait valoir que les gardes frontière de l’État partie, au lieu de se cacher dans la forêt et de tendre une embuscade, auraient dû l’informer qu’il s’apprêtait à franchir la frontière nationale et lui ordonner de passer par le poste de douane.

Réponses complémentaires de l ’ État partie

6.1Dans une note du 26 juillet 2005, l’État partie ajoute que la sanction prévue pour cette infraction en vertu de l’article 193‑6 du Code des infractions administratives consiste en une amende pouvant représenter de 50 à 300 fois le montant du salaire minimum et en la confiscation obligatoire des marchandises et du moyen de transport qui constituent l ’ objet direct de l ’ infraction. En vertu de l’article 191 du Code des douanes, toutes les marchandises et tous les moyens de transport qui franchissent la frontière douanière de la République du Bélarus font l’objet d’un contrôle douanier. Dans la communication qu’il a soumise au Comité, l’auteur a affirmé qu’il vivait dans une région frontalière où la frontière entre le Bélarus et l’Ukraine n’était signalée d’aucune façon et qu’il n’était pas informé des conséquences qu’entraînait son franchissement. Il a fait observer que les tribunaux de l’État partie n’avaient pas tenu compte de son âge, de son état de santé et du but de sa visite en Ukraine.

6.2L’État partie affirme que, lorsque l’affaire a été examinée par le tribunal de district de Kobrin, l’auteur a admis avoir délibérément franchi illégalement la frontière nationale de la République du Bélarus. La qualification juridique de l’acte de l’auteur en vertu de l’article 193‑6 du Code des infractions administratives était correcte et la peine principale (une amende minimale) a été prononcée compte tenu des circonstances atténuantes mentionnées par l’auteur. L’application de la peine complémentaire − la saisie du moyen de transport − est rendue obligatoire par l’article 193‑6 du Code des infractions administratives. L’État partie conclut que l’argument de l’auteur selon lequel il ignorait la loi ne l’exonère pas de sa responsabilité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité note que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

7.3Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme que les droits garantis à l’article 14 du Pacte ont été violés, le Comité rappelle que le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial est garanti dans les procédures visant à décider soit du bien‑fondé d’une accusation en matière pénale contre l’intéressé soit d’une contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il rappelle qu’une accusation en matière pénale se rapporte en principe à des actes qui sont réprimés par le droit pénal interne. Toutefois, cette notion peut également être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. À ce propos, le Comité note que la notion d’«accusation en matière pénale» a une signification autonome, indépendante des classifications utilisées par le système judiciaire des États parties, et doit être comprise au sens du Pacte. Laisser aux États parties la latitude de transférer aux autorités administratives la compétence pour rendre une décision concernant une infraction pénale, y compris pour imposer une sanction en contournant ainsi l’obligation de garantir un procès équitable énoncée à l’article 14, pourrait aboutir à des résultats incompatibles avec l’objet et le but du Pacte.

7.4Le Comité doit donc déterminer si l’article 14 du Pacte est applicable dans la présente communication, c’est‑à‑dire si les sanctions imposées à l’auteur pour le franchissement illégal de la frontière nationale et le franchissement de la frontière douanière par un moyen de transport se rapporte à «une accusation en matière pénale» au sens du Pacte. En ce qui concerne les conditions relatives à «la finalité et au caractère» des sanctions, le Comité note que, bien qu’elles soient administratives selon la législation de l’État partie, les sanctions prononcées contre l’auteur visaient à réprimer, par les peines infligées, les infractions qui lui ont été imputées et à exercer un effet dissuasif sur autrui − objectifs analogues à la finalité générale du droit pénal. Le Comité note en outre que les règles de droit qui ont été enfreintes par l’auteur visent non pas un groupe précis jouissant d’un statut particulier − ce qui serait le cas par exemple d’un règlement disciplinaire − mais toute personne qui, en sa qualité de particulier, franchit la frontière nationale du Bélarus; ces règles prescrivent un certain type de comportement et rendent le non‑respect de l’obligation qui en découle passible d’une sanction punitive. Par conséquent, le caractère général des règles et la finalité de la peine, qui est à la fois dissuasive et punitive, suffisent à montrer que les infractions en question avaient, au sens de l’article 14 du Pacte, un caractère pénal.

7.5En conséquence, le Comité déclare la communication recevable ratione materiae, dans la mesure où la procédure menée pour le franchissement de la frontière par un moyen de transport entre dans le champ de «la détermination du bien‑fondé» d’une «accusation en matière pénale» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il s’ensuit que les dispositions des paragraphes 2 à 7 de l’article 14 s’appliquent également à la présente communication.

7.6Le Comité relève que, bien que l’auteur ne mentionne l’article 14 du Pacte que de manière générale, sans invoquer une violation par l’État partie d’une garantie spécifique relative à un procès équitable, ses griefs et les faits qu’il soumet semblent soulever des questions au regard des paragraphes 3 b), d) et e) de l’article 14 du Pacte en ce qui concerne la procédure menée pour le franchissement de la frontière douanière par un moyen de transport. Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité et les déclare recevables.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si la procédure à l’issue de laquelle le tribunal du district Moskovsky de Brest a déclaré, le 15 septembre 2003, que l’auteur avait commis une infraction administrative visée par l’article 193‑6 du Code des infractions administratives pour avoir fait traverser la frontière douanière de la République du Bélarus à son véhicule sans le contrôle douanier et a condamné l’auteur à une amende de 700 000 roubles ainsi qu’à la confiscation de sa voiture, a emporté une quelconque violation des droits protégés par le Pacte. Le paragraphe 3 de l’article 14 dispose que toute personne a le droit d’être présente à son procès et de se défendre elle‑même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix. Cette disposition et d’autres garanties d’une procédure régulière prévues à l’article 14 ne sauraient être interprétées comme interdisant systématiquement les procès par défaut, quelles que soient les raisons de l’absence de l’accusé. Rappelant sa jurisprudence, le Comité réaffirme que l’exercice effectif des droits énoncé à l’article 14 présuppose que toutes les mesures voulues soient prises pour informer l’accusé des chefs retenus contre lui et pour lui signifier les poursuites dont il est l’objet. En cas de procès par défaut il faut que, nonobstant l’absence de l’accusé, le nécessaire ait été fait pour notifier à ce dernier ou à ses proches la date et le lieu du procès et pour lui demander d’y assister.

8.3Le Comité reconnaît que les efforts que l’on peut raisonnablement attendre des autorités compétentes pour entrer en relation avec l’accusé ont nécessairement certaines limites. En l’espèce le Comité note que, selon la décision rendue le 15 septembre 2003 par le tribunal du district Moskovsky de Brest, l’auteur ne s’est pas présenté au tribunal bien qu’il ait reçu une convocation en bonne et due forme, comme l’atteste la signature qu’il a apposée sur cette convocation. Le Comité note également que l’auteur affirme avoir reçu et signé la convocation l’invitant à se présenter au tribunal pour l’examen de l’affaire. Toutefois, selon l’auteur, le juge initialement chargé de l’affaire a ensuite été remplacé et l’auteur n’a pas été informé de la date à laquelle le juge nouvellement désigné examinerait l’affaire bien qu’il ait régulièrement pris contact avec le greffe du tribunal régional de Brest (voir par. 2.7). Ces griefs n’ont pas été contestés par l’État partie. Le Comité note en outre que, faute d’avoir été informés de la date de l’audience, ni l’auteur ni aucun des témoins à décharge n’ont été entendus lors du procès instruit le 15 septembre 2003 par le tribunal du district Moskovsky de Brest. Dans ces conditions, le Comité conclut que l’État partie n’a pas fait preuve de la diligence voulue pour informer l’auteur de la tenue des audiences, l’empêchant de ce fait de préparer sa défense ou de participer de quelque autre manière au procès. Par conséquent, le Comité est d’avis que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient des paragraphe 3 b), d) et e) de l’article 14 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations des droits de l’auteur au regard du paragraphe 3 b), d) et e) de l’article 14 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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