Nations Unies

CAT/OP/PRY/2

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

30 mai 2011

Français

Original: espagnol

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Rapport sur la visite de suivi au Paraguay,13-15 septembre 2010*,**

Table des matières

Paragraphes Page

I.Introduction1−83

II.Facilitation de la visite et coopération9−104

III.Observations et recommandations11−674

A.Mécanisme national de prévention11−164

B.Garanties nécessaires à la prévention de la tortureet des mauvais traitements17−395

C.Situation des personnes privées de liberté40−6710

Annexes

Liste des hauts fonctionnaires et des autres personnesque la délégation a rencontrés17

I.Introduction

1.En application du paragraphe 4 de l’article 13 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après «le Protocole facultatif»), le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après «le SPT») a effectué sa première visite de suivi au Paraguay du lundi 13 au mercredi 15 septembre 2010.

2.La visite avait pour objet de suivre l’application des observations et recommandations faites par le SPT à l’issue de sa première visite régulière dans le pays, réalisée du 10 au 16 mars 2009, qui figuraient dans le rapport sur cette visite, transmis à l’État partie le 24 août 2009, en tant que document confidentiel. En date du 8 mars 2010, le Paraguay a fait parvenir ses réponses aux recommandations et questions formulées. Le 4 juin 2010, il a fait savoir qu’il avait décidé de rendre public le rapport, qui avait été affiché sur la page Web du Ministère des relations extérieures.

3.Dans le cadre des dispositions du Protocole facultatif, le SPT a proposé à l’État partie, par une note datée du 12 avril 2010, d’effectuer une visite de suivi. L’État partie a répondu favorablement par une note datée du 22 avril 2010.

4.La délégation du SPT était composée de M. Mario Luis Coriolano et M. Wilder Tayler Souto, chef de la délégation. Elle a bénéficié de l’assistance de M. Hernán Vales et M. Ricardo Freitas Da Silva (agent de sécurité), tous deux membres du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à Genève (HCDH).

5.Pendant la visite, le SPT s’est surtout attaché à constater la suite qui avait été donnée à ses recommandations, en particulier celles qui concernaient le mécanisme national de prévention et la situation des détenus de la prison nationale de Tacumbú (Asunción) et les conditions dans les commissariats de police.

6.Outre la visite des lieux de détention, les membres du SPT ont rencontré un certain nombre de hauts responsables et de représentants de la société civile, dont le nom est donné dans l’annexe.

7.Dans le présent rapport, relatif à la première visite de suivi au Paraguay, le SPT présente ses conclusions et observations. Il rappelle également certaines des recommandations précédentes et rend compte des progrès réalisés dans l’application de celles qui ont été mises en œuvre. Pour vérifier le degré d’application des recommandations, le SPT a recueilli des renseignements auprès de différentes sources. Il s’est ainsi entretenu avec des personnes privées de liberté, des responsables du Gouvernement et des fonctionnaires ainsi qu’avec des représentants de la société civile; il a tenu compte des réponses apportées par l’État partie au rapport sur la visite de mars 2009 et des informations données par la presse.

8.Comme le rapport sur la visite initiale, le présent rapport fait partie du dialogue entre le SPT et les autres autorités paraguayennes, dont l’objet est de prévenir la torture et les autres formes de mauvais traitements. Le SPT recommande à l’État partie de rendre public le présent rapport et de le faire distribuer aux organes de l’État auxquels les recommandations s’adressent.

II.Facilitation de la visite et coopération

9.Le SPT tient à remercier les autorités paraguayennes de l’assistance qu’elles lui ont apportée avant la visite et des moyens mis à sa disposition pour faciliter le déroulement de la visite dans le pays. À une seule regrettable exception près (voir par. 41), il a toujours pu se rendre rapidement et sans obstacle dans les lieux de détention et les autorités responsables se sont montrées coopératives. Le SPT tient également à souligner qu’il a pu sans restriction rencontrer les personnes privées de liberté avec lesquelles il souhaitait s’entretenir en privé.

10.Le SPT est profondément reconnaissant au bureau au Paraguay du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) qui lui a apporté un appui logistique essentiel au bon déroulement de la visite.

III.Observations et recommandations

A.Mécanisme national de prévention

11.Après sa visite de mars 2009, le SPT avait salué le processus qui avait abouti à l’adoption du projet de loi portant création du mécanisme national de prévention ainsi que la teneur de ce texte. Il s’était toutefois déclaré préoccupé par le fait que la procédure d’examen du projet de loi était arrêtée, et avait recommandé à l’État partie de donner la priorité à l’adoption du texte en vue de pouvoir créer le mécanisme national de prévention.

12.Pendant la visite de suivi, le SPT a rencontré les autorités des différents pouvoirs de l’État, notamment des législateurs, et à cette occasion a exprimé sa profonde préoccupation face à l’absence de progrès dans l’adoption du projet. Pendant les réunions avec les législateurs, les représentants du SPT ont appris que le projet avait eu l’aval des différentes commissions du Sénat qui l’avaient étudié. Ils ont également appris que le projet de loi avait été inscrit à l’ordre du jour des prochaines sessions et que son adoption par le Sénat était imminente.

13.À la fin de la mission de suivi, le SPT a été informé de ce que le Sénat avait adopté le projet de loi. Selon la procédure législative du pays, une fois adopté par l’assemblée de dépôt (le Sénat), le projet devait aller à la Chambre des députés qui devrait l’examiner et se prononcer dans un délai de trois mois. Si aucune modification n’était apportée ou si le projet n’était pas examiné dans les délais il deviendrait automatiquement une loi et il ne manquerait plus que la promulgation par le pouvoir exécutif.

14.Le SPT est heureux d’apprendre que le projet de loi a été relancé comme le montre l’adoption par le Sénat, après avoir été en lecture pendant trois ans. Il est également heureux de voir que le Sénat n’a pas apporté de modification de fond et que le projet est fidèle à la proposition originale, que le SPT avait jugée satisfaisante. Toutefois, malgré les efforts déployés et étant donné les constatations en ce qui concerne les personnes privées de liberté faites pendant la mission de suivi, le SPT estime qu’il y a urgence à mettre en place le mécanisme national de prévention.

15.Le SPT rappelle que la création d’un mécanisme national de prévention est une obligation internationale qui incombe au Paraguay en vertu de l’article 17 du Protocole facultatif, et dont il devait s’acquitter au plus tard un an après l’entrée en vigueur de l’instrument pour lui (c’est-à-dire avant le 2 janvier 2007). Il rappelle également que cette obligation internationale incombe à tous les pouvoirs de l’État. Il considère que le fait de ne pas mettre en place, désigner ou maintenir un mécanisme national de protection conformément aux dispositions du Protocole facultatif constitue un manquement grave aux obligations internationales découlant de cet instrument et il veut croire que l’adoption du projet de loi et l’entrée en fonction d’un mécanisme national de prévention sont une affaire de mois.

16. Par conséquent , le SPT recommande au Parlement paraguayen et plus précisément à la Chambre des députés, de donner la priorité à l’examen et ensuite à l’adoption du projet de loi portant création du mécanisme national de prévention. Il recommande aussi aux autres pouvoirs de l’État d’engager le Parlement à donner la priorité au projet de loi portant création du mécanisme national de prévention e n vue de son adoption immédiate. Il recommande à l’État partie , une fois que la loi au ra été votée et promulguée, de prendre d’urgence les mesures d’ordre législatif, administratif et autre nécessaires pour que le mécanisme national de prévention entre en fonction et puisse s’acquitter effectivement de son mandat dès que possible. Enfin , le SPT demande à l’État partie de lui faire savoir avant le 15 janvier 2011 où en est la procédure parlementaire. Quand la loi portant création du mécanisme national de prévention aura été promulguée, l’État partie devrait informer périodiquement le SPT sur l’entrée en fonction du mécanisme.

B.Garanties nécessaires à la prévention de la tortureet des mauvais traitements

1.Cadre juridique

17.Qualification de la torture dans le Code pénal. Dans son précédent rapport de visite, le SPT avait déjà mentionné les lacunes dans la loi et les difficultés que dans la pratique créait la qualification de la torture telle qu’elle figure à l’article 309 du Code pénal. À ce sujet, comme l’avaient déjà demandé le Comité contre la torture, le Rapporteur spécial sur la question de la torture et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ainsi que la Commission paraguayenne pour la Vérité et la Justice, le SPT a recommandé à l’État partie de prendre sans délai les mesures législatives nécessaires pour mettre sa législation en conformité avec les dispositions des instruments internationaux relatives à la torture, en particulier avec l’article premier de la Convention contre la torture.

18.Dans sa réponse aux observations du SPT, l’État partie n’a donné aucune information sur la façon dont il entendait donner suite à cette recommandation. Toutefois, le SPT a obtenu des renseignements indiquant qu’il existait un projet de loi, soumis par un sénateur en mai 2009, visant à modifier les articles 236 et 309 du Code pénal, texte qui serait en lecture devant plusieurs commissions du Sénat. Le SPT accueille avec satisfaction cette initiative et renouvelle sa recommandation tendant à ce que la qualification pénale de la torture soit mise en conformité avec les dispositions de l’article premier de la Convention contre la torture. Il demande à l’État partie de lui faire tenir une copie du projet de loi.

19.En ce qui concerne l’absence d’incrimination de la torture dans le Code pénal militaire, le SPT avait recommandé l’introduction dans le Code pénal militaire d’une définition de la torture conforme à celle de l’article premier de la Convention contre la torture et assortie de peines à la mesure de la gravité de l’infraction. Outre la nécessité de combler ce vide juridique, le SPT rappelle que la juridiction militaire ne doit connaître que des infractions à caractère spécifiquement militaire, commises par des militaires, à l’exclusion des violations des droits de l’homme, qui relèvent de la compétence des juridictions ordinaires. L’État partie a informé le SPT qu’un projet de modification du Code pénal militaire visant à rendre le Code conforme aux dispositions de la Convention contre la torture était à l’étude. Le SPT accueille cette initiative avec satisfaction et souhaite recevoir des renseignements sur l’état d’avancement du projet.

2.Cadre institutionnel

20.Après sa première visite au Paraguay, le SPT avait relevé avec préoccupation les déficiences systémiques dans le fonctionnement de certains organismes d’État ayant pour mandat la prévention de la torture, et avait recommandé des mesures visant à corriger ces failles. Pendant la visite de suivi, le SPT a eu des réunions avec des représentants de certaines de ces institutions. Toutefois, en raison de la brièveté de la mission, il n’a pas pu rencontrer des représentants de tous les organismes mentionnés dans le premier rapport. Le Sous-Comité réitère ses recommandations précédentes qui, pour la plupart, n’ont malheureusement pas été suivies d’effet.

21.Bureau du Défenseur du peuple. Dans son rapport de visite, le SPT s’était déclaré préoccupé par la façon dont le Défenseur du peuple exerçait ses fonctions en ce qui concerne les personnes privées de liberté et avait fait un certain nombre de recommandations. Le bureau du Défenseur du peuple a donné des renseignements par écrit et verbalement, pendant une réunion, sur la façon dont il applique les recommandations.

22.Le Défenseur du peuple a fait savoir qu’il transmettait au ministère public les plaintes pour torture et mauvais traitements qu’il recevait, qu’il vérifiait la régularité de la procédure dans le cas des détenus et que des dossiers individuels étaient constitués pour chaque personne présentant une plainte. Le Défenseur du peuple a fait savoir également que la base de données dont la création avait été recommandée serait en service la semaine du 13 septembre 2009. Il a signalé en outre que le nombre de plaintes reçues était faible parce qu’en général la population ne connaissait pas son travail.

23. Le SPT recommande à l’État partie:

a) De mettre en service la base de données du bureau du Défenseur du peu p le dans laquelle doivent être compilés de façon systématique des renseignements sur le type de plaintes reçues, les résultats des enquêtes conduites et les recommandations formulées. Dans la mesure où la confidentialité ne s’en trouve pas compromise, la base de données, ou une partie, devrait être disponible sur la page Web du bureau du Défenseur du peuple;

b) D’informer le SPT sur le lancement de la base de données, sa publication sur la page Web, sa structure et son contenu;

c) De mener des campagnes d’information pour faire connaître à la population le mandat et les fonctions du bureau du Défenseur du peuple, afin d’éclairer sur ses fonctions et d’encourager la population à recourir à ses services. Cette campagne devrait comporter un volet spécial visant les lieux dans lesquels se trouvent des personnes privées de liberté;

d) De rendre publics, tout en garantissant la protection de l’identité des personnes qui veulent garder l’anonymat, les rapports sur les visites des lieux où se trouvent des personnes privées de liberté réalisées par le bureau du Défenseur du peuple, ainsi que les recommandations formulées et la suite qui leur est donnée.

24.Police nationale. Dans son rapport précédent, le SPT avait désigné la police comme étant responsable d’actes de torture et d’autres mauvais traitements sur la personne de détenus et avait recommandé un ensemble de mesures, notamment l’inspection et un audit des installations des postes de police, la formation du personnel de police, la mise en place d’un système de plaintes et d’un nouveau système de registres et l’amélioration des conditions de travail du personnel de police.

25.Au sujet de la recommandation tendant à ce que le personnel de police reçoive une formation relative à la garde des personnes privées de liberté et à d’autres questions de droits de l’homme, l’État partie a donné des renseignements sur l’introduction d’une formation aux droits de l’homme dans les différentes écoles et établissements de formation de la police, sur la signature d’un accord avec le Comité international de la Croix-Rouge pour la formation de formateurs aux droits de l’homme et sur les formations dispensées en 2009 et 2010 à environ 200 fonctionnaires de police du système 911 et des postes de police. Le SPT juge ces initiatives positives et recommande que les activités de formation aux droits de l’homme soient organisées régulièrement et périodiquement et à l’intention de tous les membres de la police dans tout le pays .

26.Le SPT accueille avec satisfaction la création, par la décision no 542 du 16 septembre 2009, du Département des droits de l’homme au sein de la Police nationale, qui a notamment pour fonctions d’inspecter les cellules des postes de police dans lesquelles les personnes privées de liberté sont placées et de procéder à leur évaluation. Il accueille également avec satisfaction le nouveau plan d’infrastructure, qui prévoit la réduction du nombre de postes de police avec des cellules de garde à vue et l’amélioration des installations existantes. Le SPT veut espérer que ces actions amélioreront les conditions de détention dans les locaux de la police qui, comme il est expliqué plus loin, sont actuellement particulièrement insatisfaisantes.

27.Le SPT accueille aussi avec satisfaction la création, par le décret no 1811 du 15 avril 2009, d’une direction des droits de l’homme au Ministère de l’intérieur, qui compte actuellement six fonctionnaires et peut devenir un élément clef du système de supervision de la police déjà demandé par le SPT. Le SPT recommande un renforc ement de la structure actuelle de la D irection des droits de l ’ homme du Ministère de l ’ intérieur.

28.Le SPT prend note des renseignements qu’il a reçus montrant le nombre d’enquêtes administratives ouvertes contre des membres de la police pour des actes de torture et d’autres mauvais traitements par la Direction de la justice de la police; au nombre de 21 en 2004 elles sont passées à 37 en 2009, les sanctions prononcées allant de huit jours d’arrêts au licenciement définitif. Il prend également note du fait que les plaintes pour mauvais traitements, outre qu’elles donnent lieu à enquête, sont transmises au ministère public qui est chargé d’ouvrir l’enquête pénale.

29. Pour accroître encore l’effet préventif de ces sanctions administratives, le SPT recommande que les statistiques montrant le nombre d’enquêtes et de sanctions prononcées soient rendues publiques, et en particulier soient portées à la connaissance des membres de la Police nationale. Il recommande en outre que le Ministère de l’intérieur suive les affaires renvoyées au ministère public. En outre, il souhaite recevoir des renseignements sur la structure et le rôle du Département des affaires internes de la Police nationale et sur les projets tendant à le renforcer, en garantissant son indépendance et son efficacité, de façon qu’il puisse conduire des enquêtes impartiales.

30.Les autorités du Ministère de l’intérieur ont reconnu la nécessité de continuer à travailler à l’établissement au siège de la police, d’un système de plaintes efficaces, protégeant les personnes qui présentent une plainte contre d’éventuelles représailles. À ce sujet, le SPT note qu’il importe de mettre en place des procédures qui permettent le traitement approprié et confidentiel des plaintes déposées par des détenus, en garantissant la protection contre d’éventuelles représailles. Des fonctionnaires du Ministère ont indiqué qu’il existait un centre de réclamation, lequel permet aux citoyens de déposer plainte en utilisant une ligne téléphonique gratuite ou le site Web du Ministère ou en se présentant en personne. À titre de mesure provisoire et en attendant la mise en place d ’un système organisé, le SPT recommande que l’existence du centre de réclamation pour les citoyens fasse l’objet d’une certaine publicité et que la population sache qu’il peut recevoir des plaintes pour actes de torture et mauvais traitements imputés à des fonctionnaires de police. Cette publicité devra comporter la création d’affiches qui devront être placées dans chaque poste de police, bien en évidence pour que toutes les personnes privées de liberté puissent en avoir connaissance, et dans les lieux où les particuliers peuvent présenter des plaintes pour mauvais traitements ou pour tout autre manquement de la part de la police. Les plaintes seront reçues par une autorité indépendante ayant faculté pour agir, par exemple la Direction des droits de l’homme du Ministère de l’intérieur; elles devront être traitées selon une procédure interne qui peut aboutir à des sanctions administratives et, le cas échéant, être renvoyées au ministère public.

31.En ce qui concerne l’amélioration des conditions de travail du personnel de police, le Ministère de l’intérieur a fait savoir qu’en 2009 il avait accordé une augmentation de salaire de 25 % aux policiers et qu’il était prévu d’élaborer une nouvelle loi sur les salaires et les primes pour les personnels spécialisés. Le SPT regrette toutefois que, d’après les renseignements disponibles, les policiers ne reçoivent toujours pas d’armes de service et doivent se les procurer eux-mêmes.

32.Pouvoir judiciaire. Pendant sa visite de suivi, le SPT a pu constater que le retard excessif dans le traitement de certaines affaires pénales continuait d’avoir des conséquences négatives pour la population carcérale, notamment la surpopulation et l’entassement et la présence dans les établissements pénitentiaires d’un grand nombre de prisonniers non condamnés. Le SPT a appris que l’une des causes de la lenteur dans le traitement des affaires était que la chambre pénale de la Cour suprême travaillait à 50 % de ses capacités parce qu’elle n’était pas au complet du fait que l’un des magistrats de la Cour suprême avait pris sa retraite et que le Congrès n’avait pas encore désigné son remplaçant. Le SPT juge cette situation regrettable et recommande à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires pour qu’un remplaçant du juge sortant soit nommé. En attendant cette nomination, il recommande d’utiliser d’autres moyens pour que la chambre pénale puisse absorber les affaires en souffrance, par exemple en désignant à titre provisoire et temporaire des juges de la Cour de cassation pour siéger à la chambre pénale.

33.Le SPT a également appris que les autorités pénitentiaires avaient l’intention de transférer des détenus dans des établissements moins peuplés de façon à atténuer ou à éviter l’entassement dans certaines prisons. Le pouvoir judiciaire est opposé à ces transferts (principalement les juges de l’exécution) faisant valoir que pour transférer un détenu d’un centre à l’autre une autorisation judiciaire est indispensable. Étant donné le taux élevé de surpopulation dans les établissements comme la prison nationale de Tacumbú, il est nécessaire que les autorités de l’État partie trouvent rapidement une solution aux difficultés qui empêchent actuellement le transfèrement de détenus dans des prisons où les conditions sont meilleures. Le STP recommande à l ’ État partie d ’ étudier des solutions réalisables pour procéder rapidement aux transferts tout en préservant les droits des détenus, en particulier le droit d ’ avoir des contacts avec leur famille et le droit à une procédure régulière.

34.Défense publique. Les représentants des services de la défense publique avec lesquels les membres du SPT se sont entretenus pendant la mission de suivi ont fait de nouveau état des problèmes que crée le manque d’autonomie actuel de l’institution, qui dépend entièrement de la Cour suprême de justice car il n’existe pas de loi portant organisation de la défense publique. Ce manque d’autonomie montre l’inégalité des moyens par rapport au ministère public qui est autonome depuis une dizaine d’années (loi no 1560/2000) et qui s’est considérablement développé par rapport à la défense publique. À titre d’exemple, il suffit de visiter les locaux des deux organes pour voir combien les ressources sont inégalement réparties: le parquet dispose de plusieurs bâtiments avec des installations modernes alors que le service de la défense publique occupe un étage du tribunal. Le salaire des procureurs est plus élevé que celui des défenseurs publics et il peut même être plus élevé que celui des juges. Ces différences dans les deux institutions dénotent une préférence des politiques publiques pour un modèle de justice qui donne la priorité aux poursuites pénales et n’accorde pas de ressources humaines et matérielles suffisantes pour le système de garanties que le service de la défense publique met en œuvre; or ce modèle n’est peut-être pas le plus approprié pour prévenir la torture et les mauvais traitements.

35.De plus, d’après des renseignements reçus par le SPT, au moment de l’établissement du présent rapport, les défenseurs publics en matière pénale étaient au nombre de 112 et les juges des juridictions pénales étaient au nombre de 272 alors que le nombre de procureurs au pénal (y compris les substituts) était supérieur à 300. Pour garantir l’indispensable égalité des armes dans le domaine de la justice pénale, il faut avoir un rapport adéquat entre défenseurs publics et procureurs et juges des différentes juridictions (par exemple un défenseur pour deux procureurs, plus un défenseur pour chaque tribunal jugeant en procédure orale, plus les effectifs nécessaires pour traiter des recours interjetés et ensuite de l’exécution des sentences), conjugué à une structure d’appui administratif et à des ressources humaines également proportionnées à ceux du ministère public et des organes juridictionnels.

36.En 2009, les défenseurs publics pénalistes ont défendu 27 654 causes, soit près de deux fois plus qu’en 2002. Les défenseurs publics assurent également la représentation de la majorité des personnes en détention provisoire. Par exemple, le SPT a appris que 70 % des personnes incarcérées dans la prison de Tacumbú étaient représentées par des défenseurs publics. Il existe à peine plus de 100 postes de défenseurs publics qui plaident dans les juridictions pénales pour adultes et pour mineurs et, au moment de la visite, 53 étaient vacants. Le système de défense publique au Paraguay est faible et engorgé et n’est pas en mesure de garantir une défense technique efficace.

37.Le SPT a appris qu’en novembre 2008 la Chambre des députés avait été saisie d’un projet de loi portant organisation de la défense publique. D’après les renseignements affichés sur la page Web du Parlement, le projet a déjà été rejeté par deux commissions et il ne semble pas que la procédure ait progressé depuis août 2009.

38.Le SPT souligne de nouveau qu’il importe de disposer d’une défense publique gratuite et techniquement qualifiée pour contribuer à la prévention de la torture et des mauvais traitements, et insiste sur la nécessité d’assurer une véritable égalité des armes entre la défense publique et le ministère public. Le SPT souligne également que la défense publique doit être indépendante du point de vue fonctionnel et autonome du point de vue budgétaire pour pouvoir s’acquitter efficacement de son travail. Le STP recommande à l ’ État partie, et en particulier au pouvoir législatif, de promouvoir l ’ initiative qui a été déposée ou tout autre projet de loi qui garantisse l ’ autonomie fonctionnelle et administrative ainsi que financière de cette institution.

39.Ministère public. Dans son rapport précédent, le SPT s’était montré préoccupé par le petit nombre de procès pour actes de torture qui avaient abouti à une condamnation (une condamnation pour 230 affaires entre 2000 et 2008). D’après les renseignements reçus du bureau du Procureur (Fiscalía) et malgré les dispositions de la loi no 1562/2000 portant organisation du ministère public (art. 24), la Fiscalía affirme ne pas avoir de pouvoir de contrôle lui permettant de vérifier l’état physique des détenus et les conditions matérielles de détention. Les représentants du SPT auraient souhaité avoir la possibilité de rencontrer le Procureur général de l’État (Fiscal General del Estado) pendant sa visite de suivi afin de parler de cette question ainsi que d’autres points, comme les fonctions de la Direction des droits de l’homme du ministère public. Or, bien que les membres de la délégation soient arrivés à l’heure au rendez-vous et après une attente de plus de quarante-cinq minutes, le Procureur général ne les a pas reçus et ils ont dû partir pour poursuivre leur programme de visite. Le SPT regrette cet état de choses car il a ainsi été empêché de formuler des recommandations complémentaires concernant cette institution essentielle pour la prévention de la torture et des mauvais traitements.

C.Situation des personnes privées de liberté

1.Locaux de la Police nationale

40.Les membres du SPT sont retournés dans trois des postes de police visités lors de sa première visite périodique: les commissariats de police nos 3 et 5 d’Asunción et le commissariat de police no 1 de San Lorenzo. Pendant ces visites, ils ont consulté les registres des personnes placées en détention et se sont entretenus avec les policiers, de rang supérieur et autre, ainsi qu’avec les personnes qui s’y trouvaient détenues.

41.En ce qui concerne le commissariat de police no 1 de San Lorenzo, le SPT regrette d’avoir à signaler, comme pour la visite précédente, le manque de coopération du chef du poste qui, cette fois, a interrompu les entretiens avec les détenus de manière très agressive et a obligé à suspendre temporairement la visite. L’incident a rapidement été réglé grâce à l’intervention du Ministère de l’intérieur. Le SPT a porté l’incident à la connaissance des autorités locales de façon que l’État partie puisse prendre des mesures. Le SPT recommande à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires pour que des incident s de ce genre ne se reproduise nt pa s à l’avenir et demande à être tenu informé d es résultat s au x quel s elles aboutiront.

42.Le SPT a constaté une absence évidente de progrès dans les domaines pour lesquels il avait fait des recommandations. Il est clairement ressorti des entretiens réalisés que les droits des détenus qui constituent des garanties contre la torture et les mauvais traitements, tels que la possibilité d’être examiné par un médecin et de communiquer avec un avocat et la notification de la détention à un proche ou à une personne de confiance, continuent d’être violés. En particulier, le SPT a malheureusement reçu cette fois encore des témoignages dignes de foi et détaillés faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements commis par des fonctionnaires de police.

43.Registre de détention. Sur la base des constatations faites lors de sa visite de suivi, le SPT regrette de noter de nouveau qu’aucune amélioration réelle n’a été apportée au système d’enregistrement des placements en détention, qui n’est toujours pas satisfaisant car il ne permet pas de bien suivre les arrivées et les départs des personnes placées en détention ni de contrôler le respect des garanties de procédure.

44.La «main courante» continue d’être le moyen privilégié d’enregistrement, bien que le SPT ait constaté qu’au moment de la visite un des commissariats de police utilisait un «registre des détenus», qui comprenait des informations sur le jour et l’heure des placements en détention. Le SPT a relevé le cas d’une personne dont l’admission et la sortie n’avaient pas été enregistrées, ce qui fait qu’il n’y a aucune preuve de son passage par le poste de police. Compte tenu de la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent les détenus, ce genre de failles avait déjà vivement préoccupé le SPT lors de sa visite précédente.

45.Le SPT a été informé de l’existence de la résolution no 176, du 10 février 2010, par laquelle le Haut-Commandement de la Police nationale ordonnait l’établissement d’un système d’enregistrement conformément à la recommandation du SPT. Comme l’a indiqué le Ministère de l’intérieur et comme le SPT a pu le vérifier lors de sa visite, cette résolution n’a pas encore été mise en œuvre. Le SPT a aussi appris qu’il était prévu d’informatiser les registres des postes de police d’Asunción. Le S PT recommande à l’État partie de mettre en œuvre immédiatement la résolution n o 176. Il recommande également que tout projet d ’ informatisation comporte les éléments qui doivent figurer, au minimum, dans les registres .

46.Information sur les droits des personnes détenues. Le SPT a été déçu de ne trouver dans aucun des trois postes de police visités le matériel d’information sur les droits des personnes détenues qu’il avait recommandé et que l’État partie avait affirmé avoir élaboré. Le SPT réitère s es recommandations à ce propos .

47.Conditions matérielles. Les conditions dans les cellules des postes de police visités sont toujours déplorables et ne satisfont pas aux exigences minimales en matière d’hygiène, de cubage d’air, de superficie minimale, d’éclairage et de ventilation. Non seulement ces conditions ne se sont pas améliorées, mais on peut affirmer qu’elles se sont dégradées depuis la visite précédente. Le SPT n’estime donc pas nécessaire de décrire de nouveau les cellules et renvoie à la description donnée dans le rapport sur la visite de 2009.

48.La seule différence entre ce qui a été constaté en mars 2009 et les conditions observées en septembre 2010 qui peut être mentionnée est la présence de lits superposés dans la cellule du commissariat de police no 1 de San Lorenzo, qui ne s’y trouvaient pas lors de la première visite. Toutefois les deux lits ne suffisaient pas pour les cinq détenus qui occupaient la cellule au moment de la visite. En outre, dans cette cellule ni dans aucune des autres qui ont été visitées ne se trouvaient de meubles comme des chaises ou des lits qui permettraient de passer des heures ou des jours en détention dans un moindre inconfort. Le SPT recommande d’équiper les cellules des postes de police d ’ un nombre suffisan t de lits ou de chaises.

49.La délégation a de nouveau été frappée par la grande différence qui existe entre les conditions matérielles dans les locaux de police et les conditions des espaces réservés aux détenus. Ainsi dans le commissariat de police no 3 elle a remarqué, à quelques mètres de la cellule, une grande pièce propre et aérée qui pourrait servir à héberger les détenus. Le SPT réitère les recommandations qu’il avait faites dans son rapport de 2009 en ce qui concerne les conditions matérielles de s cellules des postes de police .

50.Détention prolongée dans des locaux de la police. Les autorités de l’État partie ont informé le SPT que la détention prolongée dans des locaux de la police était toujours courante au Paraguay. Certains postes de police sont obligés, sur ordre même des juges, de garder pendant des mois des prévenus alors qu’ils n’ont pas l’infrastructure, le personnel, ni le budget nécessaires. Le SPT a déjà condamné cette pratique et demandé qu’il y soit mis fin immédiatement. Le SPT réitère sa recommandation et recommande en outre que le pouvoir judiciaire et le Ministère de l ’ intérieur engagent des négociations visant à trouver un accord qui permette de mettre un terme à cette pratique.

51.Allégations de torture et de mauvais traitements. Lors de leurs entretiens les représentants du SPT ont recueilli des témoignages de détenus qui disaient avoir subi des tortures et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Un détenu a raconté que les policiers l’avaient menotté puis l’avaient fait mettre à genoux tandis qu’ils écrasaient les menottes et le frappaient sur différentes parties du corps. Ils l’avaient ensuite emmené dans les toilettes et lui avaient plongé la tête dans la cuvette pleine d’urine pour obtenir des aveux. Un autre détenu a raconté que des policiers lui avaient enfoncé une serviette humide dans la bouche, ce qui lui avait donné la sensation d’étouffer, afin qu’il se déclare coupable. D’après des informations reçues pendant la visite de suivi, d’autres méthodes de torture comme le «sous-marin sec» ou la compression des testicules continuent d’être fréquentes. Le SPT note que bon nombre des mauvais traitements qu’il a mentionnés dans son rapport de visite semblent continuer à être infligés pendant la détention dans les locaux de la police. Le SPT insiste sur les recommandations formulées à l’issue de sa première visite , en particulier tendant à ce que le personnel de police reçoive périodiquement des instructions claires et catégoriques rappelant l ’ interdiction absolue et impérative de toute forme de torture et de mauvais traitements et à ce qu ’ il soit procédé sans délai à une enquête impartiale chaque fois qu ’ il existe des motifs raisonnables de croire que des tortures ou des mauvais traitements ont été commis, même en l ’ absence d ’ une plain t e en bonne et due forme.

2.Établissements pénitentiaires

52.Le SPT a visité la prison nationale de Tacumbú à Asunción et s’est entretenu avec le directeur de l’établissement et avec des détenus. Au moment de la visite, la prison comptait 3 154 détenus, dont 2 367 étaient en détention provisoire.

53.Le SPT reconnaît que des améliorations ont été apportées aux locaux: de nouvelles installations sanitaires ont été construites dans quelques-uns des quartiers, dont certains ont été rénovés, et le nombre de lits a été augmenté. En particulier, le SPT note avec satisfaction la démolition du tristement célèbre quartier d’isolement «Alcatraz» et la construction d’une nouvelle structure qui satisfait aux normes minimales concernant la superficie, l’hygiène, la lumière naturelle et la ventilation. Il note également que des mesures ont été prises pour réduire le nombre de personnes qui n’avaient pas été affectées à un quartier pénitentiaire et qui vivaient dans les couloirs («pasilleros»); les autorités ont indiqué qu’il n’y en aurait plus que 150 mais le nombre serait plus élevé selon les détenus interrogés (250 environ).

54.Ces améliorations relatives paraissent toutefois insignifiantes face à la gravité de certains des problèmes qui accablent la prison nationale de Tacumbú et peut-être le système pénitentiaire paraguayen dans son ensemble.

55.La surpopulation carcérale était toujours patente et aussi préoccupante. La prison de Tacumbú a une capacité d’environ 1 200 places mais elle accueille beaucoup plus du double de détenus. Le SPT note que le Gouvernement a fait des efforts pour qu’il y ait plus de lits à Tacumbú mais il lui semble que ces efforts ne seront pas suffisants car c’est la structure même de la prison qui est inadéquate. Il note également que le Ministère de la justice et du travail a prévu de faire construire de nouvelles prisons (Pedro Juan Caballero, Ciudad del Este, Misiones, Emboscada, etc.) et de rénover les établissements pénitentiaires existants (Emboscada). Pendant sa visite, le SPT a appris par la presse la fermeture prochaine de la prison de Tacumbú. Le SPT estime que la prison nationale de Tacumbú doit être fermée le plus tôt possible et demande à l ’ État partie confirmation de l ’ information parue dans la presse, ainsi que des renseignements sur les d ate s prévu e s pour la fermeture.

56.En ce qui concerne les «pasilleros», le SPT est d’avis que leur situation a des implications humanitaires qui requièrent des mesures urgentes. Le SPT recommande à l ’ État partie de résoudre immédiatement le problème des «pasilleros» en r amen ant leur nombre à zéro , et de garantir à chaque personne privée de liberté un lit et un toit.

57.D’après les témoignages recueillis, les actes de torture et les mauvais traitements continuent d’être couramment pratiqués par les gardiens de prison, pour qui il s’agit d’un moyen habituel d’imposer leur autorité. Les représentants du SPT se sont entretenus avec un détenu qui présentait des marques de torture, notamment une blessure ouverte et récente à la tête, une blessure ouverte et récente à la jambe, ainsi que des hématomes de forme allongée dans le dos. L’homme a indiqué qu’un gardien l’avait frappé de sa matraque la veille pour le punir de s’être battu avec un autre prisonnier. Le SPT recommande de nouveau à l ’ État partie d ’ ouvrir immédiatement une enquête impartiale sur toute allégation de torture et de mauvais traitements, conformément aux articles 12 et 13 de la Convention contre la torture. Lorsque les faits allégués mettent en cause des agents pénitentiaires, ceux-ci devront être suspendus pendant toute la durée de la procédure et être démis de leurs fonctions s ’ ils sont reconnus coupables.

58.Gestion des prisons, corruption et système de privilèges. Le SPT renvoie à ses remarques précédentes concernant la corruption et le système de privilèges illicites qui règnent dans le milieu carcéral. Il a été informé d’un certain nombre de mesures prises pour donner suite à ses recommandations. Après sa visite de suivi, le SPT est d’avis que, loin d’avoir régressé, la corruption semble s’être étendue et aggravée à la prison de Tacumbú.

59.Bien que les autorités pénitentiaires aient affirmé avoir démis de leurs fonctions les agents pénitentiaires corrompus, des détenus et d’autres personnes dignes de foi ont expliqué de façon très détaillée comment la corruption continuait de toucher tous les aspects sans exception de la vie en prison. Des «droits» continuent d’être perçus pour les différents services (tels que l’accès au médecin, l’affectation à un quartier déterminé, etc.), avec quelques ajustements. «S’il y a eu des changements», ont dit des détenus, «c’est que maintenant il faut payer plus cher pour certaines choses». Ainsi, alors qu’il n’y a guère plus d’une année il fallait payer au gardien 5 000 guaraníes pour pouvoir porter un couteau, le «prix» atteignait 50 000 guaraníes en septembre 2010. En outre, le SPT a été informé que les gardiens exigeaient illégalement de l’argent pour des choses qu’ils ne faisaient pas payer avant, comme 2 000 guaraníes pour permettre aux visiteurs de s’asseoir sur une chaise ou de récupérer leur téléphone portable qu’ils étaient obligés de laisser à l’entrée.

60.De plus, bien que des informations reçues de sources officielles indiquent que les crédits budgétaires alloués à l’alimentation devraient être suffisants pour satisfaire aux besoins des détenus dans ce domaine, les détenus s’accordent presque tous à dire − et leur impression est confirmée par les témoignages de nombreux fonctionnaires − que la nourriture n’est ni nutritive ni suffisante vu que la majeure partie est prélevée pour être vendue à l’extérieur de la prison par des personnes privées. En outre, un certain nombre de détenus on signalé que des d’effets personnels (dont des lecteurs de cassette ou de CD et des sous-vêtements neufs) avaient été soustraits par les gardiens pendant les fouilles.

61.Le SPT est extrêmement préoccupé par les informations reçues de sources dignes de foi qui indiquent que la corruption n’est pas limitée à une prison donnée ni à un niveau opérationnel. Au contraire, elle semble exister dans la quasi-totalité des établissements pénitentiaires du pays, et être très bien coordonnée et organisée. Le SPT a entendu de nombreuses allégations concordantes suggérant que cette forme de corruption organisée et de portée nationale profiterait à certains cercles politiques.

62.La corruption génère des conditions qui peuvent constituer un traitement dégradant et a des incidences négatives sur les droits fondamentaux de ceux qui la subissent. Pour les personnes privées de liberté, groupe vulnérable, ces effets sont plus importants car elles sont moins aptes à se défendre et à dénoncer les actes de corruption. Beaucoup d’exemples concrets cités à Tacumbú illustrent les effets préjudiciables: quand un détenu doit payer 15 000 guaraníes pour recevoir un médicament qu’il devrait obtenir gratuitement, il est atteint dans son droit à la santé. Quand des gardiens introduisent ou laissent entrer des stupéfiants dans la prison, ils portent également atteinte au droit des détenus à la santé et indirectement à leur droit à la vie. En outre, la corruption est intrinsèquement discriminatoire car le détenu qui soudoie acquiert un statut privilégié par rapport à ceux qui ne pratiquent pas la corruption. Ainsi, le détenu pauvre, qui peut déjà être victime de la «criminalisation de la pauvreté», subit une discrimination supplémentaire en prison parce qu’il ne peut pas participer au système de la corruption.

63.La corruption généralisée à la prison de Tacumbú a été révélée au grand jour avec la publication dans la presse, peu après la visite du SPT, d’informations sur l’existence d’un réseau de pédopornographie qui opérait depuis l’établissement. Le SPT croit savoir que les faits rapportés ont donné lieu au licenciement du directeur de la prison et à un contrôle de la Directrice des établissements pénitentiaires et de l’exécution des peines. Le SPT déplore profondément ces faits, qu’il condamne énergiquement et catégoriquement. Il recommande qu’ils fassent immédiatement l’objet d’une enquête, et que les détenus et l es fonctionnaires responsables soient traduits en justice et punis .

64.Compte tenu de l’ampleur de la corruption et de son ancrage dans le système, il faudra pour l’éliminer, outre un engagement politique très ferme, prendre un ensemble de mesures de prévention et de répression à court, à moyen et à long terme. Le SPT réitère ses recommandations précédentes et recommande en outre à l’État partie ce qui suit:

a) Procéder i mmédiatement à un audit indépendant de tous les établissements pénitentiaires du pays en commençant par la prison nationale de Tacumbú, afin d’enquêter sur les caractéristiques de la corruption, d’évaluer les risques de corruption et de formuler des recommandations sur les mesures propres à assurer le contrôle interne et externe. Ce premier audit devra être suivi d’inspections périodiques visant à vérifier la mise en œuvre des recommandations formulées;

b) Mener à l’intention des fonctionnaires et de l a p opulation en général , une campagne de sensibilisation concernant la lutte contre la corruption dans le système pénitentiaire et informer sur les effets préjudiciable s de la corruption ;

c) Élaborer, a d o pt er, puis dis tribu er un code de conduite à l’intention des agents pénitentiaires;

d) Prendre des mesures visant à promouvoi r la transparen c e dans la gestion des ressources d u système pénitentiaire, notamment en rend ant publics les budgets alloués à chaque prison, les décisions prises et l’identité des agent s responsables;

e) Augmenter le salaire des personnel s pénitentiaires de manière à garanti r une rémunération juste et adéquate , et professionnaliser et valoriser l a fonction en créan t un programme d’études pénitentiaire s ;

f) Enquêter sur les allégations de corruption et dé p o s er d es plaintes auprès du public si on soupçonne qu’une infraction a été commise .

65.Stupéfiants. Les autorités paraguayennes ont donné au SPT des informations sur la campagne «Zéro drogue» destinée à faire disparaître les stupéfiants des établissements pénitentiaires. Au cours de leur visite, les représentants du SPT ont une nouvelle fois pu constater que la drogue était partout dans la prison de Tacumbú. Par exemple, ils ont vu dans un des quartiers visités, un détenu fumer du haschisch devant eux et alors que des gardiens n’étaient pas très loin. Un détenu a montré aux membres du SPT la quantité de crack qu’il avait en sa possession, ainsi que l’instrument dont il se servait pour l’inhaler. Il leur a dit qu’un «caillou» de crack pouvait s’acheter pour seulement 3 000 guaraníes (approximativement 50 centimes de dollars des États-Unis). Plusieurs personnes interrogées ont dit que la consommation de crack avait augmenté récemment à Tacumbú, avec des effets néfastes pour les détenus.

66.Plusieurs détenus ont expliqué au SPT comment la consommation de crack, qui est hautement addictive et nuisible pour la santé, était un facteur de la situation des «pasilleros». Ainsi les détenus, − qui, comme on l’a vu précédemment, doivent payer pour vivre en cellule et obtenir d’autres services − vendent leurs effets personnels et finissent par ne plus payer la cellule et par dormir dans les couloirs, afin de pouvoir consommer cette drogue. Les compagnons de quartier mettent aussi les toxicomanes à l’écart de peur qu’ils ne les volent et en raison de l’état d’euphorie dans lequel ils se trouvent parfois. Le SPT considère que la consommation de crack et d’autres stupéfiants a inévitablement des répercussions néfastes pour les détenus. La consommation et le trafic de drogues illicites constituent des facteurs déterminants et négatifs dans les relations entre les prisonniers et entre ceux-ci et les autorités. Les drogues illicites causent divers autres problèmes tels que la violence, le pouvoir conféré aux trafiquants, l’utilisation de drogues frelatées, les dettes et le risque d’infection (notamment au VIH et à l’hépatite) chez ceux qui partagent des seringues contaminées.

67. Le SPT recommande que les autorités pénitentiaires redoublent d’efforts pour empêcher l’introduction de drogues dans la prison, pour identifier les canaux d’approvisionnement et pour organiser des campagnes de prévention (programmes de réduction des dommag es). Parallèlement , des programmes de désintoxication personnels et des traitements axés sur la réinsertion familiale de v rai ent être mis en place.

Annexe

Liste des hauts fonctionnaires et des autres personnesque la délégation a rencontrés

A.Autorités nationales

Ministère de l’intérieur

M. Rafael Filizzola, Ministre de l’intérieur

Mme Diana Vargas, Direction des droits de l’homme

Ministère des relations extérieures

M. Juan Esteban Aguirre, Direction générale de la politique multilatérale

Mme Lorena Cristaldo

Mme Lizza Estigarribia

Ministère de la justice et du travail

M. Humberto Blasco Gavilán, Ministre de la justice et du travail

M. Carlos María Aquino, Vice-Ministre de la justice et des droits de l’homme

Mme Olga María Blanco, Direction générale des établissements pénitentiaires et de l’exécution des peines

Pouvoir judiciaire

M. Víctor Nuñez, juge à la Cour suprême de justice

Mme Ana María Llanes, juge de l’exécution

Mme Nury Montiel, Directrice des droits de l’homme, Cour suprême de justice

Mme Noyme Yore, Défenseur général, bureau de la défense publique

Pouvoir législatif

Membres de la Commission des lois et de la codification, Justice et travail, du Sénat

Membres de la Commission des droits de l’homme du Sénat

Bureau du Défenseur du peuple

M. Manuel María Páez Monges, Défenseur du peuple

Mme Helem Almada Alcaraz

Mme Diana Roa

Mme María José Méndez

B.Organismes des Nations Unies

M. Lorenzo Jiménez de Luis, Représentant résident du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et Coordonateur résident des Nations Unies

M. Joaquín Cáceres Brun, Coordonnateur, PNUD

Mme Liliana Valiña, Conseillère aux droits de l’homme, HCDH

C.Société civile

Coordinadora de Derechos Humanos del Paraguay (CODEHUPY)