Nations Unies

CERD/C/102/D/54/2013

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

18 décembre 2020

Français

Original : anglais

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Avis adopté par le Comité au titre de l’article 14 de la Convention, concernant la communication no 54/2013 * , **

Communication présentée par :

Lars-Anders Ågren et autres (représentés par un conseil, Mattias Åhrén, chef du Groupe des droits de l’homme du Conseil sâme)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Suède

Date de la communication :

16 septembre 2013 (date de la lettre initiale)

Date du présent avis :

18 novembre 2020

Références :

Décision prise en application de l’article 91 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 22 octobre 2013 (non publiée sous forme de document)

Objet :

Attribution de concessions minières sur un territoire traditionnel sâme

Question(s) de procédure :

Qualité de victime ; incompatibilité avec les dispositions de la Convention

Question(s) de fond :

Droit à la propriété ; droit à un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice ; droit à une protection et une voie de recours effectives

Article(s) de la Convention :

5 (al. a) et d) v)) et 6

1.1Les 15 auteurs de la communication sont Lars-Anders Ågren, Ellen Marie Anne Anti, Henrik Omma, Ole-Henrik Omma, Elle Merete Omma, Jon Mikael Labba, Inger‑Ann Omma, Marja-Kari Omma, Inger Baer-Omma, Lars-Jonas Omma, Liecelotte Omma, Morgan Omma, Lisa Omma, Per-Henning Utsi et Gun-Margret Utsi. Ils appartiennent tous au peuple autochtone sâme et sont tous membres de la communauté d’éleveurs de rennes du village de Vapsten (« les Vapsten »), qui pratique l’élevage traditionnel des rennes. Ils se disent victimes de violation par la Suède des droits qu’ils tiennent des articles 5 (al. a) et d) v)) et 6 de la Convention. Ils sont représentés par Mattias Åhrén (chef du Groupe des droits de l’homme du Conseil sâme).

1.2Les auteurs font valoir qu’en tant que membres du peuple autochtone sâme, ils ont une culture, un mode de subsistance et une langue qui leur sont propres et qui sont distincts de la culture des groupes non sâmes de la population suédoise. En particulier, l’élevage des rennes est l’élément le plus fondamental de leur identité culturelle et de leur mode de subsistance traditionnel. Les Vapsten pratiquent la transhumance en suivant les itinéraires empruntés par leurs ancêtres depuis la nuit des temps. Le territoire traditionnel de la communauté des Vapsten s’étend sur une superficie d’environ 10 000 km2, composée de 3 000 km2 de pâturages de printemps, d’été et d’automne et de 7 000 km2 de pâturages d’hiver. Toutes ces zones de pâturage revêtent une importance cruciale car, si les éleveurs n’ont pas accès à des pâturages différents selon les saisons, il leur est impossible d’élever des rennes. L’État partie a attribué à une société minière privée des concessions d’exploitation sur des terres ancestrales de la communauté. Le projet en question prévoit l’ouverture de trois mines à ciel ouvert dans l’isthme de Rönnbäcken, région dont les pâturages sont essentiels pour le cycle d’élevage des rennes des Vapsten. Chaque mine aurait sa zone industrielle et les trois sites d’exploitation seraient reliés entre eux par un réseau routier. Les activités du complexe minier provoqueraient une dispersion de poussière dans toutes les directions sur un rayon d’environ 15 km, ce qui entraînerait une dégradation de la qualité des pâturages de lichens, qui sont un élément essentiel de l’alimentation des rennes. Le complexe minier bloquerait les couloirs de transhumance entre les différentes zones de pâturage saisonnier, ce qui aurait de graves incidences sur l’élevage des rennes. Outre le triple projet de Rönnbäcken, d’autres projets industriels d’exploitation de ressources situées sur le territoire ancestral des Vapsten ont déjà été autorisés par l’État partie. En conséquence, cette communauté a déjà été privée d’une grande partie de son territoire, la superficie de ses zones de pâturage se réduit comme peau de chagrin, ce qui met réellement en péril l’élevage de rennes et représente une source de stress psychologique considérable pour les membres de cette communauté. Les auteurs considèrent donc qu’il n’est plus possible pour les Vapsten de tolérer de nouvelles concessions minières sur leur territoire. Ils soutiennent en outre qu’en attribuant une concession d’exploitation de trois mines à ciel ouvert sur des terres ancestrales où les Vapsten mènent leurs activités de subsistance traditionnelles et ce, sans recueillir préalablement leur consentement, l’État partie a violé le droit à la propriété qu’ils tiennent de l’article 5 (al. d) v)) de la Convention. En effet, en vertu du droit tant national qu’international, les Vapsten ont acquis des droits fonciers sur les zones en litige, des droits qui découlent de leur usage ancestral. S’ils sont privés de ces zones de pâturage, qui seront absorbées par les activités minières menées au titre des concessions accordées par l’État partie, et s’ils ne peuvent plus emprunter les couloirs de transhumance, les auteurs ne pourront plus pratiquer leurs activités de subsistance traditionnelles et, en conséquence, ils seront contraints de quitter leur territoire ancestral et de se réinstaller ailleurs. Les auteurs considèrent en outre que l’État partie a violé leur droit à un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice tel qu’il est consacré à l’article 5 (al. a)) de la Convention en ce qu’il a ignoré le fait qu’en vertu du droit à la non‑discrimination, les Vapsten doivent être traités comme une communauté autochtone d’éleveurs de rennes et non comme des titulaires de droits de propriété suédois. Les auteurs affirment que la législation et les politiques minières suédoises sont discriminatoires à l’égard des éleveurs de rennes sâmes, non pas parce qu’elles traitent les Sâmes différemment du reste de la population suédoise, mais précisément parce qu’elles ne leur réservent pas un traitement distinct. Selon les auteurs, cette discrimination est la cause profonde de ces violations. Enfin, les auteurs soutiennent que l’État partie a également violé leur droit à une protection et à une voie de recours effectives tel qu’il est consacré à l’article 6 de la Convention, en ce qu’il leur a refusé le droit de porter devant un tribunal la question particulière de leurs droits fonciers ancestraux, la Cour administrative suprême étant uniquement habilitée à réexaminer la façon dont la législation interne a été appliquée, alors que c’est justement la législation elle-même qui est à l’origine des violations alléguées. Les auteurs ajoutent qu’une indemnisation financière ne saurait véritablement compenser la perte d’une zone de pâturage dont dépendent les activités d’élevage de la communauté sâme et qui représente un élément essentiel de son identité culturelle et de son mode de subsistance traditionnel.

1.3Le 22 octobre 2013, en application de l’article 94 (par. 3) de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de suspendre toutes les activités minières sur le territoire traditionnel de la communauté des Vapsten tant que la communication serait à l’examen.

1.4Le 1er mai 2015, le Comité a demandé à l’État partie de lui faire parvenir des renseignements complémentaires, tout en renouvelant sa demande de mesures provisoires.

1.5Le 1er mai 2017, le Comité a déclaré la communication recevable au regard de l’article 14 de la Convention et de l’article 94 de son règlement intérieur. Premièrement, il a estimé que les auteurs avaient la qualité de victime car le simple fait que les autorités aient octroyé des concessions d’exploitation sans les consulter au préalable et sans recueillir leur consentement avait constitué une atteinte aux droits que leur reconnaît la Convention, indépendamment d’événements futurs susceptibles d’influer sur la réalisation effective des projets d’exploitation. Deuxièmement, rappelant que l’article 26 (par. 2) de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones consacre le droit des peuples autochtones de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, et soulignant qu’il avait fait sienne cette définition dans sa recommandation générale no 23 (1997), le Comité a considéré que les griefs des auteurs soulevaient des questions au regard des articles 5 (al. a) et d) v)) et 6 de la Convention. Le Comité a invité les parties à lui faire parvenir des observations et des commentaires écrits sur le fond de la communication. Pour de plus amples renseignements concernant les faits, les griefs des auteurs, les observations des parties concernant la recevabilité et la décision pertinente du Comité, voir la communication Lars- Anders Ågren et autres c. Suède (CERD/C/92/D/54/2013).

Observations de l’État partie sur le fond

2.1Dans une lettre datée du 16 octobre 2017, l’État partie affirme que les faits décrits dans la communication ne font apparaître aucune violation des droits dont les auteurs jouissent en vertu de la Convention. Il renvoie tout d’abord à la législation interne régissant l’attribution de concessions minières et le droit des Sâmes de pratiquer l’élevage collectif des rennes, entre autres ; ensuite, il applique ces dispositions aux faits exposés dans la communication ; enfin, il formule des observations sur le fond.

Législation nationale pertinente

2.2L’attribution de concessions minières est régie par la loi relative aux minéraux et par le Code de l’environnement. Les demandes de concessions d’exploitation sont soumises à l’Inspecteur en chef des mines, accompagnées d’une notice d’impact sur l’environnement dans laquelle sont décrits les effets potentiels des activités planifiées sur les personnes, les animaux, les plantes, la terre, l’eau, l’air, le climat, le paysage, le milieu culturel, la santé humaine et l’environnement. En outre, cette notice doit comprendre une analyse des effets que pourraient avoir les projets visés dans la demande de concession et d’autres activités sur l’élevage des rennes, le cas échéant, ainsi qu’une description de leurs effets cumulés potentiels. Lorsque la concession demandée porte sur une zone considérée comme d’intérêt national aussi bien pour l’élevage des rennes que pour l’extraction minière, l’organe chargé de l’examen de la demande doit déterminer lequel de ces intérêts doit prévaloir. Selon l’État partie, la préservation de l’intérêt national aux fins de l’extraction minière consiste à protéger les zones qui renferment des substances et des minéraux précieux contre des mesures qui pourraient être un obstacle important à leur extraction, et la préservation de l’intérêt national aux fins de l’élevage des rennes s’entend de la protection des zones revêtant une grande importance pour l’élevage des rennes contre des mesures susceptibles d’entraver fortement cette activité. Lorsqu’une demande de concession d’exploitation est soumise, les propriétaires fonciers concernés et les autres parties prenantes en sont informés. Ils reçoivent la notice d’impact sur l’environnement et ont la possibilité de former un recours. Une fois qu’une concession d’exploitation est attribuée, des permis environnementaux et des permis de construire doivent être demandés. Le tribunal chargé de l’environnement et du territoire est l’organe compétent pour examiner les demandes de permis environnemental et déterminer les conditions ou termes et les restrictions dont les opérations d’exploitation doivent être assorties.

2.3La loi sur l’élevage des rennes régit les droits fonciers des Sâmes et leur droit collectif de pratiquer l’élevage des rennes. Ce dernier est une prérogative du peuple sâme fondée sur un usage ancestral, qui est exercée par les membres d’un village sâme. D’après cette loi, d’autres personnes que les Sâmes peuvent être titulaires de droits fonciers dans les zones utilisées par ceux-ci pour élever des rennes et ce, en vertu d’un droit d’occupation, d’un bail ou d’un droit d’usage.

2.4L’État partie signale en outre que, conformément à la loi, les individus dont les droits fondamentaux ont été violés peuvent réclamer une indemnisation et que la législation prévoit des dispositions interdisant la discrimination, en particulier le fait de réserver un traitement défavorable aux membres d’un groupe minoritaire en raison de leur origine ethnique, de leur couleur de peau ou d’autres caractéristiques analogues.

Précisions sur les faits de l’espèce

2.5L’État partie donne des précisions et renseignements complémentaires sur les faits tels qu’ils sont résumés par le Comité dans sa décision concernant la recevabilité de la communication. Ainsi, il rappelle que des consultations ont eu lieu entre des représentants de la société minière et les habitants du village sâme : a) une réunion préparatoire et une visite du site (juin 2008) ; b) un recensement des besoins du village sâme de Vapsten et une autre visite du site (novembre 2008) ; c) un premier projet de rapport sur l’état d’avancement du projet a été élaboré en juin 2009 ; d) un deuxième projet de rapport a été établi le 10 octobre 2009 ; e) le rapport final sur l’état d’avancement du projet a été publié le 11 octobre 2009. Selon l’État partie, deux à six représentants du village sâme de Vapsten ont participé à ces réunions organisées par la société minière et ont signalé un certain nombre de risques liés au projet. Enfin, dans un rapport consacré aux effets du projet sur l’élevage des rennes, une société de conseil, mandatée par la société minière, a notamment recommandé l’adoption d’une série de mesures de réduction des dommages, préconisant notamment que les dépôts de sable, les mines à ciel ouvert, les routes et les clôtures soient placés de telle manière que le bétail ne puisse pas se disperser dans ces zones. Selon l’État partie, la société minière a déclaré que plusieurs des recommandations qui lui avaient été adressées étaient judicieuses et pouvaient être appliquées.

2.6En février 2010, la société minière a soumis des demandes de concession d’exploitation concernant les zones Rönnbäcken K no 1 et Rönnbäcken K no 2. Le dossier de ces demandes a été envoyé au conseil d’administration du comté de Västerbotten, aux titulaires de droits fonciers concernés et aux parties prenantes, y compris au village sâme de Vapsten, afin que les intéressés fassent des observations. Le village sâme de Vapsten a déclaré que, si ces demandes de concessions étaient agréées, des zones d’une importance vitale seraient perdues et le couloir de transhumance passant par Rönnbäcken deviendrait impraticable, ce qui constituerait un obstacle à l’élevage des rennes. Le conseil d’administration du comté de Västerbotten a néanmoins conclu qu’il n’y avait aucune raison de ne pas accorder les concessions demandées, à condition que les activités d’exploitation minière tiennent compte autant que possible des besoins des éleveurs de rennes.

2.7Le 23 juin 2010, l’Inspecteur en chef des mines a décidé d’accorder des concessions d’exploitation pour les sites Rönnbäcken K no 1 et no 2, à condition que la société minière organise des consultations annuelles avec le village sâme de Vapsten afin de définir avec celui-ci les mesures à prendre pour atténuer les répercussions négatives causées par les opérations minières sur l’élevage des rennes. Le village sâme de Vapsten a interjeté appel de cette décision auprès du Gouvernement, qui a rejeté le recours au motif que l’élevage des rennes pouvait se poursuivre dans la région. Le village sâme a saisi la Cour administrative suprême d’une demande de contrôle juridictionnel de la décision. La Cour a annulé la décision au motif qu’elle ne reposait pas sur une analyse de la question de savoir lequel des intérêts nationaux opposés − l’extraction minière ou l’élevage de rennes − devait prévaloir, et elle a demandé que l’affaire soit réexaminée.

2.8En décembre 2011, avant que la nouvelle décision relative aux demandes de concessions concernant les sites de Rönnbäcken K no 1 et no 2 ne soit rendue ou que l’analyse demandée par la Cour administrative suprême ne soit communiquée, la société minière avait sollicité une concession d’exploitation pour le site de Rönnbäcken K no 3. Selon la notice d’impact sur l’environnement, le projet était compatible avec l’élevage de rennes. Le dossier de la demande a été adressé au conseil d’administration du comté de Västerbotten ainsi qu’aux titulaires de droits fonciers concernés et aux parties prenantes, y compris au village sâme de Vapsten, afin que les intéressés formulent des observations. Le 1er octobre 2012, l’Inspecteur en chef des mines a décidé d’accorder une concession d’exploitation pour le site de Rönnbäcken K no 3, à condition que la société minière organise des consultations annuelles avec le village sâme de Vapsten et s’emploie à réduire au minimum les répercussions négatives des opérations minières sur l’élevage des rennes. Le village sâme de Vapsten a interjeté appel de cette décision auprès du Gouvernement, demandant que les trois affaires soient examinées conjointement.

2.9Le 22 août 2013, les recours formés contre les trois décisions d’octroi de concessions ont été rejetés au motif que la zone considérée comme d’intérêt national aux fins de l’élevage des rennes était considérablement plus vaste que les zones couvertes par les concessions d’exploitation, de sorte que ces concessions ne s’appliqueraient qu’à une petite partie des zones disponibles pour l’élevage des rennes. En conséquence, les auteurs avaient la possibilité de pratiquer leurs activités d’élevage ailleurs. Le 29 octobre 2014, la Cour administrative suprême a rejeté la demande de contrôle juridictionnel soumise par les auteurs, statuant que la décision du Gouvernement au sujet des trois concessions d’exploitation était à confirmer.

Examen au fond

2.10L’État partie affirme que l’octroi de concessions d’exploitation ne constitue pas une violation de l’article 5 (al. d) v)) de la Convention. En effet, le droit de pratiquer l’élevage des rennes tel qu’il est garanti aux Sâmes par la législation suédoise n’est pas un droit foncier et ne sous-entend pas l’existence d’un titre officiel ou d’un droit de propriété relatif aux terres concernées. Il s’agit d’un droit d’usufruit sur les terres et les ressources hydriques, qui permet aux Sâmes de pourvoir à leurs besoins et à ceux de leurs rennes.

2.11L’État partie rappelle que le droit à la propriété n’a pas un caractère absolu et que ce droit peut faire l’objet de restrictions au nom de l’intérêt public. Les autorités ont pris en considération les intérêts respectifs des parties lorsqu’elles ont examiné le point de savoir si les concessions demandées étaient compatibles avec la loi, et rien ne montre que la décision d’accorder la priorité à l’extraction minière plutôt qu’à l’élevage des rennes était erronée. L’État partie souligne en outre que, pour le cas où le Comité conclurait que les droits des auteurs ont fait l’objet de restrictions, ces restrictions étaient réellement nécessaires et proportionnées à l’objectif légitime qu’il poursuit. En effet, les zones visées par les trois concessions sont beaucoup plus restreintes que la superficie totale du village sâme de Vapsten, et la zone considérée comme d’intérêt national aux fins de l’élevage des rennes est nettement plus vaste que les trois zones en question ; en conséquence, si l’élevage de rennes devenait réellement impossible dans ces zones, cela n’impliquerait pas que le village sâme ne pourrait pas pratiquer cette activité ailleurs. En outre, les activités minières concernent principalement l’extraction du nickel, métal que l’État partie importe, et − aspect qui complique encore l’affaire − les minéraux découverts se trouvent dans une certaine zone et ne peuvent pas être déplacés ailleurs, tandis que les rennes peuvent paître dans d’autres pâturages. Enfin, les auteurs ont soumis une demande d’indemnisation pour erreur ou négligence dans l’exercice de l’autorité publique dans le cadre de l’octroi de concessions, mais cette requête a été rejetée. Les auteurs ont ensuite soumis une demande d’indemnisation pour atteinte au droit de propriété et au droit à un procès équitable, et pour erreur ou négligence dans l’exercice de l’autorité publique, mais leur requête a également été rejetée au motif qu’ils avaient obtenu une audience et qu’aucune violation n’avait été commise. L’État partie en conclut que les restrictions dont les droits des auteurs ont fait l’objet ne sont pas contraires à la Convention.

2.12Selon l’État partie, l’interprétation de la notion de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qui est énoncée notamment à l’article 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, est sujette à controverse. La Déclaration n’ayant pas un caractère juridiquement contraignant, cette notion ne suppose pas l’existence d’un droit de veto collectif. L’État partie renvoie aux conclusions du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, qui a estimé que les consultations devaient être menées de bonne foi dans le but de parvenir à un accord, et que leur objectif devait être la recherche du consensus, de la compréhension réciproque et la prise de décisions par consensus ; or, le consentement peut ne pas être requis lorsque les droits des peuples autochtones concernés doivent être soumis à des restrictions nécessaires et proportionnées à un objectif valable de l’État.

2.13L’État partie précise en outre qu’avant de soumettre sa demande de concession d’exploitation, la société a effectué des forages au moyen d’un tracteur forestier équipé d’une foreuse, et analysé des carottes de forage prélevées sur le site visé dans la demande de concession afin de déterminer si la minéralisation détectée était suffisante pour que des activités minières puissent être lancées, mais qu’elle n’a pas l’intention de demander un permis environnemental en raison du niveau actuel du cours du nickel sur le marché. L’État partie estime donc prématuré d’examiner le point de savoir si les possibilités des auteurs de pratiquer l’élevage des rennes seraient indûment limitées.

2.14En ce qui concerne l’article 5 (al. a)) et l’article 6 de la Convention, l’État partie affirme que, pour déterminer s’il y a eu violation des obligations de fond en matière de prévention, protection et réparation, le Comité doit tout d’abord chercher à savoir si un acte de discrimination raciale a été commis, étant donné que la Convention ne garantit pas certains droits en tant que tels mais tend à offrir une protection contre la discrimination raciale. Selon l’État partie, l’article 5 (al. a)) de la Convention n’a pas été violé car en l’espèce il n’y a pas eu d’acte de discrimination raciale, les auteurs étant traités sur un pied d’égalité avec les propriétaires fonciers touchés par le projet minier. En particulier, l’État partie soutient que les auteurs ont été consultés dans la mesure requise par la législation nationale relative aux concessions minières comme l’aurait été n’importe quelle autre partie prenante, et qu’ils n’ont pas apporté la preuve qu’ils avaient été victimes de discrimination fondée sur leur origine ethnique au cours de la procédure interne. En outre, selon l’État partie, il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention car la possibilité de soumettre une demande de contrôle juridictionnel à la Cour administrative suprême satisfait au droit des auteurs de former un recours contre l’attribution des concessions minières.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

3.1Dans une lettre datée du 31 janvier 2018, les auteurs affirment qu’en accordant trois concessions minières sur le territoire traditionnel d’une communauté d’éleveurs de rennes sans recueillir leur consentement et sans même examiner la question de savoir si le fait de les priver de ces terres constituait une violation de leurs droits de propriété, l’État partie a violé l’article 5 (al. d) v)) de la Convention.

3.2Les auteurs rappellent qu’en vertu du droit international des droits de l’homme, le fait pour un peuple autochtone d’utiliser traditionnellement des terres selon ses pratiques culturelles particulières génère des droits de propriété. Ils rappellent en particulier la recommandation générale no 23 (1997) et renvoient à l’article 26 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui traite des droits fonciers des peuples autochtones sur les territoires qu’ils utilisent traditionnellement. Les auteurs font valoir que la jurisprudence de l’État partie reconnaît aussi que l’utilisation traditionnelle des terres par les communautés d’éleveurs de rennes sâmes ne leur confère pas uniquement un droit d’usufruit, mais qu’elle établit aussi des droits fonciers, même si la législation minière suédoise fait abstraction des droits fonciers des communautés d’éleveurs de rennes sâmes pour ce qui est de leurs territoires ancestraux. Les auteurs affirment que leurs droits ont été établis par la coutume car ils se déplacent avec leurs rennes sur leur territoire ancestral, qui s’étend sur environ 10 000 km2 de pâturages de printemps, d’été, d’automne et d’hiver, en suivant les couloirs de transhumance empruntés par leurs ancêtres depuis la nuit des temps. Leurs droits fonciers ne sont pas fondés sur la loi relative à l’élevage des rennes mais sur le régime foncier coutumier. En effet, les droits des peuples autochtones sur leurs territoires ancestraux existent indépendamment de la législation nationale et, en conséquence, le fait que cette législation ne confère pas de titre officiel de propriété à ces communautés n’est pas pertinent au regard du droit international des droits de l’homme. Un aspect crucial de la discrimination structurelle dont sont victimes les peuples autochtones est précisément l’absence de reconnaissance officielle de leurs droits fonciers, raison pour laquelle les organes internationaux chargés de la protection des droits de l’homme n’ont jamais considéré que la reconnaissance officielle de titres fonciers était une condition que les minorités autochtones devait remplir pour obtenir la reconnaissance de leurs droits fonciers, car s’agissant des peuples autochtones, le droit à la propriété n’a pas nécessairement à prendre la forme d’un titre de propriété reconnu par l’État ; il peut aussi se présenter sous d’autres formes établies par l’usage coutumier. Ainsi, l’expression « droit à la propriété » recouvre des types de droits propres aux peuples autochtones, dont les traditions et lois coutumières particulières peuvent prévoir un régime foncier totalement différent de celui qui est institué par le droit interne. Cette conception de ce droit est conforme à l’article 5 (al. d) v)) de la Convention, même si les dispositions dudit article ne traitent que du droit à la propriété. Il ressort du droit international en général et de la jurisprudence du Comité en particulier que l’interprétation du droit à la propriété a clairement évolué dans les contextes où celui-ci est appliqué aux peuples autochtones.

3.3La communauté des éleveurs de rennes sâmes du village de Vapsten pratique l’élevage traditionnel dans le nord du pays, dans une zone s’étendant depuis les montagnes bordant la frontière de la Norvège jusqu’aux régions forestières proches de la côte baltique. Cette bande de territoire d’ouest en est, qui est leur terre ancestrale, occupe une place centrale dans l’élevage des rennes traditionnel des Sâmes, selon lequel le bétail doit avoir accès à des zones de pâturage différentes en fonction des saisons, suivant un cycle annuel. L’une des étapes cruciales de ce cycle annuel d’élevage est précisément la zone centrale du territoire sâme, l’isthme de Rönnbäcken, où des concessions minières ont été accordées en violation de leur droit à la propriété tel qu’il est consacré à l’article 5 (al. d) v)) de la Convention. Ainsi, les activités minières porteraient incontestablement atteinte au droit à la propriété de la communauté puisque, comme le reconnaît l’État partie lui-même, l’élevage de rennes et l’extraction minière sont des activités incompatibles.

3.4À cet égard, comme l’a constaté le Comité dans sa décision du 1er mai 2017 concernant la recevabilité de la communication, le fait de priver la communauté sâme de cette zone sans la consulter et sans recueillir son consentement préalable, libre et éclairé constitue une restriction de ses droits de propriété contraire à la Convention.

3.5En ce qui concerne l’obligation incombant à l’État partie en vertu du droit international de consulter toute communauté sâme touchée par un projet d’exploitation de ressources situées sur son territoire, les auteurs affirment que, même si l’État partie persiste à dire que la communauté a été consultée, le Comité a déjà conclu à juste titre que tel n’a pas été le cas. Les Vapsten ont seulement été autorisés à formuler des suggestions et à peaufiner le projet de façon qu’il tienne légèrement compte des besoins des éleveurs de rennes mais, selon les auteurs, ces activités ne sauraient être assimilées à des consultations au sens du droit international. Il faut qu’il y ait une collaboration étroite avec la communauté concernée et une volonté réelle et sincère de parvenir à un consensus pour que l’on puisse parler de consultations.

3.6En ce qui concerne l’obligation suprême incombant à l’État partie en vertu du droit international d’obtenir le consentement préalable, libre et éclairé de toute communauté sâme touchée par un projet minier, les auteurs rappellent que l’un des corollaires du droit fondamental à un bien traditionnel ou un territoire ancestral est le droit de contrôler l’accès à la terre tel qu’il est énoncé à l’article 26 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui a été approuvée par les organes conventionnels de l’ONU. Ce texte réaffirme que les droits fonciers des peuples autochtones englobent le droit de ces peuples de donner ou de refuser de donner leur consentement aux entreprises qui souhaitent accéder à leurs terres lorsque les activités d’extraction risquent d’avoir des répercussions particulièrement négatives sur les activités de subsistance traditionnelles des peuples autochtones. Les auteurs renvoient en outre à un rapport du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones selon lequel l’expropriation de terres utilisées par les peuples autochtones constitue une restriction aux droits de propriété des autochtones et que des intérêts purement commerciaux ou le souci de générer des recettes ne sauraient constituer un objectif public valable, et encore moins dans les cas où les bénéfices engendrés par les activités extractives vont principalement à des entités privées. D’après les auteurs, l’État partie est passablement sélectif dans ses renvois au rapport du même Rapporteur spécial car il omet le passage de ce document dans lequel on peut lire qu’« aucune activité extractive ne devrait être menée sur les territoires des peuples autochtones sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » ou que les exceptions autorisées à la règle générale doivent avoir une portée limitée. L’État n’est légalement fondé à restreindre ce droit que dans des « cas exceptionnels », et à condition que certains critères soient respectés. Les auteurs affirment que les autorités suédoises n’ont même pas vérifié si le critère de proportionnalité − élément essentiel de toute évaluation préalable à une expropriation − était rempli. Les concessions ont été accordées sans même que les autorités aient tenté de savoir si les conditions strictes applicables dans les cas où il n’est pas nécessaire d’obtenir le consentement des personnes touchées étaient réunies. En effet, ayant agi sans le consentement des auteurs, l’État partie était tenu de démontrer que la décision d’attribution des concessions était motivée par un objectif légitime et qu’elle était proportionnée à celui-ci. Cependant, le cadre législatif ne prévoit pas d’obligation pour l’État partie de déterminer si l’octroi d’une licence est compatible avec le droit de propriété de la communauté d’éleveurs de rennes touchée ; en conséquence, l’État partie s’est uniquement concentré sur la question de l’importance de l’élevage des rennes pour la culture suédoise en général. L’affirmation de l’État partie selon laquelle, si la communauté sâme ne pouvait pas pratiquer l’élevage des rennes sur l’isthme de Rönnbäcken, elle poursuivrait cette activité ailleurs, ne tenait pas compte des effets cumulés, du fait qu’il y avait déjà d’autres mines sur le territoire de la communauté des Vapsten et du fait que, dans des litiges antérieurs relatifs à des concessions d’exploitation, l’isthme de Rönnbäcken avait été défini comme une zone de pâturage de remplacement où les activités d’élevage pouvaient également être menées. Les auteurs subissent des conséquences déraisonnablement lourdes résultant de cette atteinte à leurs droits. Les activités du complexe minier auront des répercussions négatives fondamentales et multiples sur l’élevage de rennes. En effet, même si le complexe minier n’occupe pas la majeure partie de la superficie totale du territoire ancestral des Vapsten, les activités extractives entraîneront une destruction de pâturages qui revêtent une importance vitale pour la communauté des éleveurs de rennes au printemps et à l’automne et, en raison de la topographie, elles couperont le seul couloir de transhumance reliant les zones de pâturage des montagnes de l’ouest et les zones de pâturage des forêts de l’est. Les auteurs illustrent leur propos en comparant leur territoire à une maison. Les marches de l’escalier reliant le premier et le deuxième étage ne font peut-être que quelques mètres carrés mais, si on les retire, tout le deuxième étage devient inaccessible. Les auteurs considèrent en outre que le fait que les autorités n’ont pas cherché à convenir d’une indemnisation constitue une circonstance aggravante pour ce qui est de la proportionnalité, mais ils soulignent qu’une indemnisation n’aurait aucun sens puisque que la perte de cette zone ne saurait être réparée par une compensation financière.

3.7En outre, les auteurs estiment que l’État partie a violé leur droit à un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice tel qu’il est consacré à l’article 5 (al. a)) de la Convention car, en accordant des concessions minières sur des terres autochtones, les autorités suédoises n’ont pas tenu compte du droit fondamental des Vapsten en tant que communauté autochtone d’éleveurs de rennes (et non en tant que titulaires de droits de propriété suédois) de ne pas subir de discrimination en ce qui concerne l’exercice du droit à la propriété. En effet, la législation et les politiques minières suédoises sont discriminatoires à l’égard des éleveurs de rennes sâmes, non pas parce qu’elles les traitent différemment du reste de la population suédoise, mais justement parce qu’elles ne font aucune distinction entre les uns et les autres et font totalement abstraction des particularités de la culture autochtone sâme, dont la survie dépend de l’élevage des rennes. En mettant leur mode de subsistance traditionnel et l’essence même de leur identité culturelle en situation de péril imminent, les activités minières ont des conséquences dévastatrices pour les Sâmes, qui n’affectent cependant pas le reste de la population suédoise. Ainsi, étant donné que leur mode de subsistance est tributaire de la nature, les Sâmes sont touchés de manière disproportionnée par les activités minières, qui ont en elles‑mêmes un effet discriminatoire et qui constituent une discrimination à l’égard des Sâmes. Selon les auteurs, le caractère discriminatoire de la législation minière est à l’origine de ces violations, et toutes les violations de leurs droits sont directement causées par la législation qui, en ne tenant pas compte de leurs particularités, ne traite pas les communautés d’éleveurs de rennes sâmes sur le même pied que les titulaires de droits fonciers suédois. À ce propos, les auteurs rappellent que le droit à la non-discrimination sous-entend non seulement que des situations analogues doivent être traitées de façon identique, mais aussi que les personnes qui ont une autre culture que celle du groupe majoritaire de la population doivent bénéficier d’un traitement différencié. Ils renvoient à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle les lois qui n’impliquent pas en elles-mêmes de discrimination inacceptable mais qui ont des effets préjudiciables et disproportionnés sur les membres d’un groupe particulier sont discriminatoires. Les auteurs rappellent en outre que le Comité et la Rapporteuse spéciale sur les droits des peuples autochtones, dans son rapport sur le peuple sâme dans la région Sápmi, ont déjà appelé l’attention de l’État partie sur le fait que cet aspect de sa législation minière n’était pas conforme à la Convention.

3.8Enfin, les auteurs considèrent que l’État partie a également violé leur droit à une protection et une voie de recours effectives tel qu’il est énoncé à l’article 6 de la Convention en ce qu’ils n’ont pas eu accès à une institution nationale ayant compétence pour examiner la question de l’expropriation foncière sous l’angle du droit fondamental à la propriété. En effet, la législation minière suédoise ne leur permet pas de porter des allégations de violation du droit à la propriété devant les tribunaux nationaux, et la Cour administrative suprême est uniquement habilitée à examiner la façon dont la législation nationale a été appliquée, alors que c’est justement la législation elle-même qui est à l’origine des violations alléguées. Les auteurs font valoir que la procédure d’examen des demandes de permis environnementaux ne prévoit pas d’analyse du droit fondamental à des biens ancestraux ni d’évaluation visant à déterminer s’il convient de ne pas autoriser des activités minières en raison de leurs répercussions néfastes sur l’élevage des rennes ; le seul objectif de cette procédure est de définir les mesures d’atténuation à prendre. Les auteurs renvoient à un message électronique reçu par la communauté des Vapsten le 16 septembre 2015, dans lequel le tribunal chargé de l’environnement et du territoire confirme qu’il n’existe aucun cas de jurisprudence dans lequel un projet d’exploitation minière n’a pas été autorisé par la justice. En outre, comme la Cour administrative suprême n’examine pas la question de savoir s’il y a eu violation du droit à la propriété, les auteurs soutiennent qu’ils n’ont pas eu accès à une voie de recours effective. Ils rappellent à l’appui de ce grief que, dans une affaire similaire, le tribunal chargé de l’environnement et du territoire avait refusé d’examiner les incidences de l’exploitation d’une mine sur l’élevage des rennes, malgré la demande expresse qu’il avait reçue en ce sens des Vapsten, le tribunal estimant que les objections soulevées par les Vapsten avaient déjà été examinées au stade de l’octroi de la licence et n’étaient donc pas d’une nature telle qu’elles pouvaient être prises en compte au stade de l’examen du permis environnemental. Enfin, les auteurs font valoir à l’appui de leur grief de violation de l’article 6 de la Convention que les propriétaires fonciers suédois peuvent bénéficier d’une indemnisation adéquate correspondant à la pleine valeur de leurs biens sur le marché, alors qu’aucune compensation financière ne saurait réparer la perte subie par les peuples autochtones sâmes lorsqu’ils sont privés d’un pâturage qui est indispensable à la pratique de l’élevage des rennes et qui constitue l’essence même de leur identité culturelle et de leur mode de subsistance traditionnel.

Observations complémentaires de l’État partie

4.1Dans une lettre datée du 1er février 2019, l’État partie réaffirme que l’emploi par les auteurs de l’expression « droit de propriété » est source de confusion car, selon lui, il ne s’agit pas d’un droit foncier mais d’un droit d’usufruit, et les auteurs ne détiennent pas de titre foncier établi en bonne et due forme.

4.2L’État partie réaffirme également que le village sâme de Vapsten a été consulté pendant toute la durée de la procédure interne dans toute la mesure requise par les dispositions du droit international relatives à l’octroi de concessions minières, et que les autorités n’ont ménagé aucun effort pour parvenir à un consensus avec toutes les parties concernées.

4.3L’État partie précise que la pondération des différents intérêts en jeu repose sur une approche publique, c’est-à-dire que seuls les intérêts publics sont pris en compte et qu’aucun intérêt privé lié au bien foncier en cause n’est pris en considération. Les zones qui revêtent une importance pour l’élevage des rennes en vertu du Code de l’environnement relèvent de l’intérêt public, tandis que le droit particulier des auteurs de pratiquer l’élevage des rennes relève d’un intérêt privé, étant donné qu’il s’agit d’un droit civil relatif à l’utilisation de biens immobiliers.

4.4L’État partie explique en outre que, du point de vue de la géologie internationale, le substrat rocheux de la Suède a un potentiel géologique unique pour ce qui est de l’extraction minière et les activités d’extraction représentent un aspect essentiel de l’histoire suédoise. La présence de gisements dans le substrat rocheux est le résultat de processus géologiques et, par conséquent, l’exploitation de gisements miniers ne peut pas être délocalisée, contrairement à d’autres sites d’activités industrielles. Selon l’État partie, l’approvisionnement de la société en métaux et minéraux dont elle a besoin requiert une législation permettant à une partie intéressée de demander un permis d’extraction de métaux et de minéraux, quel que soit le propriétaire foncier du terrain concerné. En effet, lorsqu’un prospecteur découvre un gisement potentiellement rentable et souhaite lancer des activités d’extraction, il doit soumettre une demande de concession d’exploitation. La décision d’attribution d’une concession d’exploitation précise le nom de la société autorisée à extraire les métaux ou les minéraux et contient une mention indiquant que ses dispositions s’appliquent également au propriétaire du bien foncier, qu’il ait donné son consentement ou non, ce qui est l’objectif principal du système d’octroi de concessions.

Observations complémentaires des auteurs

5.1Dans une lettre datée du 31 octobre 2019, les auteurs font part de leur perplexité face à l’attitude de l’État partie, qui semble persister à mettre en doute le fait que leur droit à la propriété, qu’ils tiennent de l’article 5 (al. d) v)) de la Convention, est protégé par la Convention.

5.2Les auteurs relèvent que l’État partie reconnaît que les décisions d’attribution des concessions minières, qui prévoient la mise en place d’un complexe composé de trois mines à ciel ouvert et d’infrastructures associées sur les terres ancestrales des Vapsten, ont été adoptées sans que les droits fonciers des intéressés soient pris en considération et qu’en fait, l’examen de la demande de concession consiste uniquement à déterminer lequel des deux intérêts publics opposés (l’exploitation minière et l’élevage des rennes) doit prévaloir. Les auteurs affirment que l’État partie n’a pas procédé aux deux vérifications qu’il est tenu de faire en vertu de la Convention afin de s’assurer de la légalité de concessions empiétant sur des terres autochtones, à savoir vérifier que ces concessions ne risquent pas de causer aux peuples autochtones concernés un préjudice au-delà du seuil autorisé par la loi (obligation matérielle liée au droit), et celle de vérifier que les peuples autochtones concernés ont été dûment consultés (obligation procédurale liée au droit).

5.3Les auteurs réaffirment en outre que le tribunal chargé de l’environnement et du territoire n’est pas habilité à interdire le projet au motif qu’il aurait des répercussions négatives excessives sur l’élevage des rennes, car il est uniquement compétent pour définir les conditions d’exploitation ; la réparation financière est fixée par un autre tribunal. Le calcul de l’indemnisation à accorder se justifie lorsque la partie lésée est un titulaire de droits de propriété suédois, mais pas lorsque la partie lésée est une communauté d’éleveurs de rennes sâmes, pour laquelle tout préjudice causé à sa terre est également un préjudice causé à sa culture, à son organisation sociale, à son mode de subsistance et à son identité.

5.4Les auteurs en concluent que la législation suédoise établit une discrimination structurelle à l’égard des communautés d’éleveurs de rennes sâmes. Ils renvoient à la recommandation générale no 32 (2009) du Comité, dans laquelle celui-ci souligne que l’expression « non-discrimination » n’implique pas l’application obligatoire d’un traitement uniforme lorsqu’il existe des différences importantes de situation entre un individu ou un groupe et un autre ou, en d’autres termes, si la différence de traitement est motivée par des éléments objectifs et raisonnables, que le fait de traiter de manière égale des personnes ou des groupes dont la situation est objectivement différente constitue une discrimination de fait, comme le serait l’application d’un traitement inégal à des personnes dont la situation est objectivement la même, et que l’application du principe de non-discrimination exige la prise en compte des caractéristiques des groupes (par. 8). Les auteurs rappellent en outre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle il y a violation lorsque les États n’appliquent pas un traitement différent à des personnes dont les situations sont sensiblement différentes. Les auteurs affirment qu’en tant que communauté autochtone d’éleveurs de rennes sâmes, ils sont profondément différents du point de vue culturel du reste de la population suédoise pour ce qui est de l’expropriation de terres à des fins d’exploitation minière.

Délibérations du Comité

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention et à l’article 95 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations et de tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis par les parties.

a.Article 5 (al. d) v)) de la Convention

i.Arguments avancés par les parties

6.2Le Comité note tout d’abord que, selon les auteurs, le droit à la propriété qu’ils tiennent de l’article 5 (al. d) v)) de la Convention a été violé en ce que l’État partie a accordé, sans leur consentement, une concession d’exploitation de trois mines à ciel ouvert sur le territoire ancestral où ils pratiquent une activité traditionnelle de subsistance, ce qui menace concrètement l’élevage des rennes et place une pression psychologique énorme sur les membres de la communauté.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui estime que l’emploi par les auteurs de l’expression « droit de propriété » prête à confusion car le droit des Sâmes de pratiquer l’élevage des rennes tel qu’il est garanti par la législation suédoise n’est pas un droit foncier : il ne s’agit pas d’un titre ou d’un droit de propriété portant sur la terre en question, qui aurait été décerné en bonne et due forme, mais uniquement d’un droit d’usufruit. Le Comité prend également note de l’argument des auteurs qui soulignent qu’en vertu du droit international des droits de l’homme, l’utilisation ancestrale et coutumière de terres par des peuples autochtones génère des droits de propriété et qu’en conséquence, les droits de ces peuples sur leurs territoires ancestraux existent indépendamment de la législation nationale. Selon les auteurs, l’existence d’un titre foncier n’est pas une condition préalable à la reconnaissance de droits de propriété autochtones car l’une des caractéristiques principales de la discrimination structurelle dont sont victimes les peuples autochtones est précisément l’absence de reconnaissance officielle de leurs droits fonciers. Les auteurs estiment que, s’agissant des autochtones, le droit à la propriété n’a pas nécessairement à prendre la forme d’un titre de propriété reconnu par l’État. À ce propos, ils rappellent la recommandation générale no 23 (1997) du Comité, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ainsi que les rapports du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, dans lesquels l’expression « droit à la propriété » employée dans la Convention est considérée comme englobant également les régimes de propriété des peuples autochtones, l’interprétation du droit à la propriété ayant nettement évolué lorsqu’il est appliqué aux peuples autochtones. La communauté d’éleveurs de rennes sâmes du village de Vapsten, qui pratique l’élevage en suivant les traditions sâmes, utilise les mêmes couloirs de transhumance que ses ancêtres depuis des temps immémoriaux. En conclusion, les auteurs affirment que, même si la législation minière et la loi relative à l’élevage des rennes ne tiennent pas compte des normes pertinentes du droit international des droits de l’homme, leurs droits de propriété ont été établis par l’usage ancestral.

ii.Champ d’application

6.4.En ce qui concerne le champ d’application de l’article 5 (al. d) v)) en l’espèce, le Comité note que la communication ne soulève pas la question de la détermination juridique des droits de propriété des Sâmes au regard du droit national, en d’autres termes, s’il s’agit d’un droit de propriété foncière ou d’un droit d’usufruit, mais bien la question de savoir si les faits relatifs aux concessions minières, dont le Comité est saisi, soulèvent une question de violation de la Convention.

iii.Principes pertinents

6.5Le Comité rappelle sa recommandation générale no 23 (1997) dans laquelle il demande aux États parties de reconnaître et de protéger le droit des populations autochtones de posséder, de mettre en valeur, de contrôler et d’utiliser leurs terres, leurs ressources et leurs territoires communaux et, lorsqu’ils ont été privés des terres et territoires qui, traditionnellement, leur appartenaient ou, sinon, qu’ils habitaient ou utilisaient, sans leur consentement libre et informé, de prendre des mesures pour que ces terres et ces territoires leur soient rendus (par. 5). Comme il l’a rappelé dans sa décision concernant la recevabilité, ces normes du droit des droits de l’homme sont également énoncées dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en faveur de laquelle la Suède a voté. L’article 26 se lit comme suit :

1.Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis.

2.Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis.

3.Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés.

6.6Le Comité constate que, pour ce qui est de la raison d’être de ces principes, les liens étroits que ces peuples ont avec la terre doivent être reconnus et considérés comme le fondement essentiel de leur culture, de leur vie spirituelle, de leur intégrité et de leur survie économique. Leur relation à la terre ne se résume pas à des questions de possession et de production ; il s’agit en fait d’un élément matériel et spirituel dont ils doivent bénéficier pleinement afin de préserver leur patrimoine culturel et de le transmettre aux générations futures. À cet égard, la réalisation du droit foncier des peuples autochtones peut également conditionner l’exercice du droit à la vie en tant que tel et être un moyen de prévenir leur extinction en tant que peuple.

6.7Dans ce contexte, le Comité rappelle que le fait d’ignorer le droit inhérent des peuples autochtones à utiliser et exercer leurs droits fonciers et de s’abstenir de prendre des mesures appropriées pour faire respecter, dans la pratique, leur droit de donner un consentement préalable, libre et éclairé chaque fois que leurs droits sont susceptibles d’être touchés par des projets réalisés sur leurs territoires traditionnels, constitue une forme de discrimination car il a pour effet de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les peuples autochtones, dans des conditions d’égalité, de leurs droits sur leurs territoires ancestraux, leurs ressources naturelles et, par conséquent, leur identité.

iv.Application de ces principes en l’espèce

6.8Le Comité constate que l’État partie n’a pas nié que le village de Vapsten faisait partie du territoire ancestral des auteurs. Il constate également que la Cour administrative suprême a reconnu que l’utilisation traditionnelle des terres par les communautés d’éleveurs de rennes sâmes avait généré des droits de propriété, compte tenu de la prescription immémoriale ainsi que du droit coutumier. Le Comité constate aussi que la Convention sâme nordique, négociée par les gouvernements des pays nordiques et les parlements sâmes de la Finlande, de la Norvège et de la Suède, et fondée sur les dispositions du droit international en vigueur avec pour objectif de les appliquer dans le contexte nordique, établit que l’accès à la terre et à l’eau est le fondement de la culture, de la langue et de la vie sociale des Sâmes, et de ce fait, elle garantit les droits de propriété individuels et collectifs des Sâmes sur leurs terres et leurs ressources ancestrales.

6.9Le Comité rappelle que, dans les passages de ses précédentes observations finales traitant de l’application, par la Suède, de l’article 5 de la Convention, il s’est inquiété de la situation des droits fonciers des Sâmes, en particulier des droits relatifs à la chasse et à la pêche qui sont menacés par, entre autres, la privatisation de territoires sâmes traditionnels. Il a recommandé, à plusieurs reprises, que le pays adopte une législation qui établisse et protège les droits fonciers traditionnels des Sâmes, rende compte de la place centrale qu’occupe l’élevage des rennes dans le mode de vie des peuples autochtones de Suède, et consacre le droit au consentement préalable, libre et éclairé, conformément aux normes internationales.

6.10Le Comité estime nécessaire d’examiner les griefs des auteurs selon lesquels l’État partie n’a pas consulté la communauté sâme d’éleveurs de rennes du village de Vapsten ni obtenu son consentement préalable, libre et éclairé avant d’accorder des concessions minières sur son territoire traditionnel. Il note que les concessions ont une validité de vingt‑cinq ans et confèrent au titulaire des droits d’extraction et d’exploitation du nickel, du fer, du chrome, du cobalt, de l’or, de l’argent, du platine et du palladium. En ce qui concerne l’affirmation des auteurs selon laquelle l’État partie n’a pas respecté les obligations que lui impose l’article 5 (al. d) v)) de la Convention, le Comité considère que, même si le droit à la propriété n’a pas un caractère absolu, les États parties doivent respecter le principe de proportionnalité lorsqu’il s’agit de limiter ou de réglementer les droits fonciers des peuples autochtones, compte tenu de leur situation propre, décrite ci-dessus (par. 6.5 à 6.7 et suivants), afin de ne pas mettre en danger les moyens de subsistance de la communauté et de ses membres.

6.11Le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle les trois concessions d’exploitation minière ayant motivé la présente communication, ajoutées aux projets industriels que l’État partie a autorisés sur le territoire ancestral des Vapsten, mettraient ceux‑ci dans l’impossibilité de continuer d’assurer leur subsistance selon leur mode de vie traditionnel et qu’ils seraient donc contraints de quitter leur territoire ancestral et de se réinstaller ailleurs. La communauté sâme touchée n’a pu que formuler des suggestions sur le triple projet, ce qui, selon les auteurs, ne saurait être assimilé à des consultations puisque de véritables consultations supposent une collaboration étroite avec la communauté intéressée et une volonté réelle et sincère de parvenir à un consensus. Les auteurs soutiennent que l’État partie doit recueillir leur consentement préalable, libre et éclairé au vu de telles incidences particulièrement négatives. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie qui estime que l’octroi de concessions d’exploitation ne constitue pas une violation de l’article 5 (al. d) v)) de la Convention car rien ne montre que la décision d’accorder la priorité à l’intérêt national aux fins de l’extraction minière plutôt qu’à l’intérêt national aux fins de l’élevage des rennes était erronée. Selon l’État partie, si le Comité devait conclure que les droits des auteurs ont été restreints, il devrait constater que cette restriction était nécessaire et proportionnée à l’objectif valable de l’État. En effet, l’extraction du nickel est importante et, comme les gisements sont situés dans une certaine zone, elle ne peut être effectuée ailleurs, alors que les rennes peuvent être déplacés dans d’autres pâturages. De plus, le village sâme de Vapsten a été consulté, mais la législation permet au Gouvernement d’accorder une licence d’exploitation minière, quel que soit le propriétaire du terrain et sans le consentement préalable de ce dernier. Ainsi, selon l’État partie, aucune discrimination raciale n’est prouvée en l’espèce puisque les auteurs, qui sont traités sur un pied d’égalité avec les propriétaires fonciers concernés par le projet, ont été consultés comme toute partie concernée, dans la mesure requise par le droit national applicable en matière de concessions minières.

6.12Le Comité considère que l’État partie, dont le raisonnement est erroné, n’a pas respecté l’obligation que lui impose le droit international de protéger la communauté des éleveurs de rennes sâmes du village de Vapsten en les consultant suffisamment et effectivement lors de l’octroi de concessions.

6.13L’interdiction de la discrimination raciale établie dans la Convention exige que les États parties garantissent à quiconque relevant de leur juridiction la jouissance de droits égaux en droit et en fait. En application de l’article 2 (par. 1 c)), chaque État Partie doit prendre des mesures efficaces pour revoir les politiques gouvernementales nationales et locales et pour modifier, abroger ou annuler toute loi et toute disposition réglementaire ayant pour effet de créer la discrimination raciale ou de la perpétuer là où elle existe. Les États doivent prendre des mesures positives pour permettre la réalisation des droits humains des peuples autochtones, soit en supprimant les derniers obstacles, soit en adoptant des mesures législatives et administratives spécifiques, et ce afin de s’acquitter des obligations que lui impose la Convention.

6.14Dans sa recommandation générale no 23 (1997), le Comité a en particulier demandé aux États parties de reconnaître que la culture, l’histoire, la langue et le mode de vie propres des peuples autochtones enrichissent l’identité culturelle d’un État, de les respecter et de promouvoir leur préservation, car ils ont été et restent menacés. Il rappelle que les droits fonciers des peuples autochtones se distinguent de que l’on entend communément par droit de propriété en droit civil, et considère que l’élevage de rennes n’est pas un « exercice récréatif de plein air » comme le qualifie l’Inspecteur en chef des mines dans sa décision, mais un élément central de l’identité culturelle et du mode de subsistance traditionnel des auteurs.

6.15En effet, la reconnaissance des droits fonciers des communautés sâmes et de leur droit collectif de pratiquer l’élevage des rennes, fondé sur un usage ancestral, entraîne l’obligation de respecter et protéger ces droits dans la pratique. C’est notamment parce qu’il est nécessaire de préserver leur culture et leurs moyens de subsistance que les États parties devraient adopter des mesures concrètes pour que ces peuples soient effectivement consultés et participent à la prise de décisions. Le Comité rappelle ce qu’il a précisé dans sa recommandation générale no 32 (2009), à savoir qu’il convient de faire la différence entre la notion inacceptable de « droits distincts » et les droits acceptés et reconnus par la communauté internationale pour garantir l’existence et l’identité de groupes tels que les minorités, les peuples autochtones et d’autres catégories de personnes dont les droits sont également acceptés et reconnus dans le cadre des droits de l’homme universels (par. 26). Les droits aux terres traditionnellement occupées par les peuples autochtones sont des droits permanents, reconnus comme tels dans les instruments relatifs aux droits de l’homme, y compris ceux adoptés dans le cadre de l’ONU et des institutions spécialisées des Nations Unies.

6.16Le Comité a maintes fois réaffirmé que l’absence de consultation appropriée des peuples autochtones pouvait constituer une forme de discrimination raciale et relever du champ d’application de la Convention. Le Comité adhère à l’approche fondée sur les droits de l’homme du consentement libre, préalable et informé en tant que norme découlant de l’interdiction de la discrimination raciale, qui est la principale cause sous-jacente de la plupart des discriminations subies par les peuples autochtones.

6.17Le Comité note en outre qu’il incombe aux États parties de fournir la preuve qu’ils s’acquittent de cette obligation, soit directement en organisant et en menant des consultations de bonne foi et en vue de parvenir à un consensus, soit indirectement en fournissant des garanties suffisantes quant à la participation effective des communautés autochtones et en veillant à ce que toute tierce partie accorde effectivement le poids voulu aux arguments de fond soulevés par ces communautés. Le Comité considère que, dans ce type de contexte, l’obligation de consulter, incombe à l’État et ne saurait être déléguée sans supervision à une entreprise privée, surtout s’il s’agit de l’entreprise même qui a un intérêt commercial dans l’exploitation des ressources situées sur le territoire des peuples autochtones. Comme l’a fait observer le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, le fait de confier à une entité privée une obligation d’État en matière des droits de l’homme, outre qu’il n’exonère pas l’État de sa responsabilité première, n’est sans doute pas non plus souhaitable et peut être même problématique parce que les intérêts privés, qui ont en général un but lucratif, ne peuvent jamais se concilier totalement avec les intérêts des peuples autochtones en cause. En l’espèce, en déléguant le processus de consultation à la société minière sans garanties effectives et donc en manquant à son devoir de respecter les droits fonciers de la communauté d’éleveurs de rennes sâmes du village de Vapsten, l’État partie n’a pas respecté ses obligations internationales.

6.18En outre, le Comité considère que des études d’impact environnemental et social devraient faire partie du processus de consultation des peuples autochtones et devraient être réalisées par des entités indépendantes ayant les compétences techniques requises avant l’attribution d’une concession liée à un projet de développement ou d’investissement ayant des incidences sur des territoires traditionnels. Sur la base de telles études, des consultations doivent être organisées à un stade précoce et avant la conception du projet − pas seulement lorsqu’il est nécessaire d’obtenir une autorisation. Elles ne doivent pas partir de l’idée préconçue selon laquelle le projet doit nécessairement être réalisé et elles supposent une communication constante entre les parties. Le Comité rappelle que, parce que l’État partie a repéré et admis la possibilité de retombées incertaines sur la communauté des éleveurs de rennes sâmes du village de Vapsten, il lui incombe d’autant plus, dans le contexte du processus d’octroi de concessions, d’imposer un cadre strict aux études et de superviser leur réalisation, afin de limiter autant que possible les incidences sur l’élevage des rennes. Bien que les autorités administratives aient jugé qu’un équilibre entre opérations minières et l’élevage des rennes était nécessaire, la procédure elle-même ne permet pas d’y parvenir puisque, selon l’État partie, lorsqu’un prospecteur découvre un gisement potentiellement rentable et souhaite lancer des activités d’extraction, il doit soumettre une demande de concession d’exploitation. La décision d’attribution d’une concession d’exploitation précise le nom de la société autorisée à extraire les métaux ou les minéraux et contient une mention indiquant que ses dispositions s’appliquent également au propriétaire du bien foncier, qu’il ait donné son consentement ou non, ce qui est l’objectif principal du système d’octroi de concessions.

6.19Le Comité constate que la procédure d’octroi des concessions est, dans la pratique, dissociée de celle d’octroi du permis environnemental, puisque le tribunal chargé de l’environnement et du territoire est compétent pour examiner les demandes de permis environnemental et déterminer les conditions ou termes et les restrictions dont les opérations d’exploitation doivent être assorties, une fois qu’une concession d’exploitation est attribuée. En d’autres termes, le processus de consultation a lieu à un stade de la procédure où, de l’aveu même de l’État partie, il est « prématuré d’examiner le point de savoir si les possibilités des auteurs de pratiquer l’élevage des rennes seraient indûment limitées ».

6.20Il n’appartient pas au Comité de décider quel intérêt public doit prévaloir sur un même terrain, à savoir, d’une part, l’extraction minière ou, d’autre part, « la protection des zones revêtant une grande importance pour l’élevage des rennes contre des mesures susceptibles d’entraver fortement cette activité ». En revanche, il incombait à l’État partie de trouver un équilibre dans les faits, et pas seulement en théorie ou in abstracto, de savoir et d’indiquer à la communauté des éleveurs de rennes sâmes du village de Vapsten, dans le cadre des consultations, où ils pouvaient trouver d’autres lieux de pâturage, et de s’acquitter de son obligation de mener un processus de consultation efficace. Le développement et l’exploitation des ressources naturelles, en tant qu’intérêt public, n’exonèrent pas les États parties de leur obligation de s’abstenir de toute discrimination à l’égard d’une communauté autochtone qui dépend de la terre en question, discrimination qui consiste à appliquer mécaniquement une procédure de consultation sans garanties ou preuves suffisantes que le consentement préalable, libre et éclairé des membres de la communauté peut être effectivement recherché et obtenu.

6.21.En l’espèce, l’État partie n’a pas montré en quoi la procédure d’attribution des trois concessions minières, en application de la loi relative aux minéraux et du Code de l’environnement avait correctement tenu compte des normes antérieures et des droits particuliers des auteurs.

6.22À la lumière de ces observations, compte tenu du manque de considération accordée aux droits fonciers des auteurs dans le cadre de l’attribution des concessions minières, le Comité conclut que les droits que les auteurs tiennent de l’article 5 (al. d) v) de la Convention ont été violés.

b.Article 5 (al. a) de la Convention

6.23Le Comité a également pris note des griefs que les auteurs tirent de l’article 5 (al. a)) de la Convention, selon lesquels l’État partie a violé leur droit à l’égalité de traitement devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice en accordant des concessions minières sur leurs terres ancestrales sans tenir compte de leur droit fondamental à la propriété. En particulier, les auteurs affirment que la législation et les politiques minières sont discriminatoires à l’égard des éleveurs de rennes sâmes, non pas parce qu’elles les traitent différemment du reste de la population suédoise, mais précisément parce qu’elles ne font aucune distinction entre les uns et les autres, faisant abstraction des particularités de l’identité culturelle des Sâmes, de leur mode de subsistance traditionnel et du fait que leur survie dépend de l’élevage des rennes. Selon les auteurs, le droit à la non-discrimination suppose que les Vapsten soient traités comme une communauté autochtone d’éleveurs de rennes plutôt que comme de simples détenteurs de droits de propriété suédois. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas été victimes de discrimination raciale fondée sur leur origine ethnique car ils sont traités sur un pied d’égalité avec les propriétaires fonciers concernés par le projet.

6.24Le Comité considère qu’en l’espèce, les auteurs n’ont pas suffisamment étayé le grief qu’ils tirent de l’article 5 (al. a)) de la Convention. Par conséquent, il n’est pas en mesure de déterminer si l’État partie a violé les dispositions de cet article.

c.Article 6 de la Convention

6.25En ce qui concerne les griefs que les auteurs tirent de l’article 6 de la Convention, le Comité considère que la question principale est de déterminer si l’État partie a rempli les obligations mises à sa charge par cet article, à savoir d’assurer aux auteurs une protection et une voie de recours effectives en cas de dommage résultant de l’octroi de trois concessions minières sur leur territoire ancestral. Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle ils n’ont eu accès à aucune institution nationale en mesure d’analyser le droit fondamental à des biens ancestraux et de déterminer s’il convenait de ne pas autoriser les activités minières en raison de leurs répercussions néfastes sur l’élevage des rennes par les Sâmes. Lorsqu’ils appliquent la législation minière, le tribunal de l’environnement et du territoire et la Cour administrative suprême sont uniquement habilités à examiner la façon dont la législation interne a été appliquée, alors que c’est justement la législation elle-même qui est à l’origine des violations alléguées. Les auteurs renvoient à des affaires analogues dans lesquelles les autorités compétentes ont refusé d’examiner leurs recours. Ils ajoutent que les propriétaires fonciers suédois peuvent bénéficier d’une indemnisation correspondant à la pleine valeur du marché, alors qu’aucune compensation financière ne saurait réparer la perte subie par les peuples autochtones sâmes lorsqu’ils sont privés d’un pâturage qui revêt une importance vitale pour l’élevage des rennes et qui constitue l’essence même de leur identité culturelle et de leur mode de subsistance traditionnel. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie, selon lequel n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention puisque la possibilité d’un contrôle juridictionnel par la Cour administrative suprême satisfait au droit des auteurs de former un recours contre la décision d’attribution des concessions.

6.26Le Comité rappelle que l’article 6 offre une protection aux victimes si leurs plaintes sont défendables au regard de la Convention et note que l’État partie n’a présenté aucun élément de preuve au sujet des recours internes susceptibles d’accorder réparation ou satisfaction adéquates pour le préjudice subi par les auteurs du fait de l’inefficacité du processus de consultation accompagnant l’octroi des concessions minières. Le Comité note également que, dans le cadre du contrôle juridictionnel, la Cour administrative suprême n’examine pas la viabilité de l’élevage des rennes sur les terres restantes.

6.27Le Comité rappelle également que lorsque des peuples autochtones ont été privés des terres et territoires qui, traditionnellement, leur appartenaient ou, sinon, qu’ils habitaient ou utilisaient, sans leur consentement libre et informé, l’État doit prendre des mesures pour que ces terres et ces territoires leur soient rendus. Ce n’est que dans les cas où il est factuellement impossible de le faire que le droit à la restitution devrait être remplacé par le droit à une indemnisation juste, équitable et rapide, qui devrait, dans la mesure du possible, se faire sous forme de terres et territoires.

6.28Le Comité constate que l’État partie reconnaît que les décisions d’attribution des concessions minières ont été prises sans tenir compte des droits de propriété des auteurs. Le Comité est d’avis que l’impossibilité d’obtenir un contrôle juridictionnel effectif d’une décision dans laquelle le droit fondamental des peuples autochtones à leur terre ancestrale est remis en cause résulte précisément du fait que les communautés autochtones sont traitées par l’État partie comme des propriétaires fonciers privés touchés par les opérations minières, sans que l’irréversibilité possible des conséquences que ces opérations peuvent avoir sur ces communautés soit dûment prise en considération.

6.29Dans la mesure où ni le tribunal chargé de l’environnement et du territoire ni la Cour administrative suprême n’ont pu, dans leurs décisions, examiner la question de l’expropriation foncière sous l’angle du droit fondamental des auteurs à leur territoire ancestral, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 6 de la Convention.

7.Dans les circonstances de l’espèce, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention, considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des dispositions des articles 5 (al. d) v)) et 6 de la Convention.

8.Le Comité recommande à l’État partie de fournir un recours utile à la communauté des éleveurs de rennes sâmes du village de Vapsten en réexaminant effectivement l’attribution de concessions minières, après une procédure appropriée concernant le consentement préalable, libre et éclairé. Il lui recommande également de modifier sa législation afin de rendre compte du statut des Sâmes en tant que peuple autochtone dans la législation nationale applicable aux terres et aux ressources, et de consacrer les normes internationales relatives au consentement préalable, libre et éclairé. L’État partie est invité en outre à diffuser largement le présent avis du Comité et à le faire traduire dans sa langue officielle ainsi que dans la langue des auteurs.

9.Le Comité prie l’État partie de lui soumettre, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet au présent avis.