Nations Unies

CRPD/C/23/D/45/2018

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

15 octobre 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 45/2018 * , **

Communication présentée par  :

Richard Sahlin (représenté par l’Association des sourds de Suède, l’Association des jeunes sourds de Suède et l’organisation non gouvernementale Med Lagen som Verktyg)

Victime(s) présumée(s)  :

L’auteur

État partie  :

Suède

Date de la communication  :

23 janvier 2018 (date de la lettre initiale)

Références  :

Décision prise en application de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 27 février 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations  :

21 août 2020

Objet  :

Processus de recrutement et modifications et ajustements appropriés du lieu de travail

Question(s) de procédure  :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond  :

Égalité et non-discrimination ; reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité ; travail et emploi ; appréciation des faits et des éléments de preuve

Article(s) de la Convention  :

3, 4 (par. 2), 5 (par. 2 et 3) et 27 (par. 1 b), g) et i))

Article(s) du Protocole facultatif  :

2 d) et e)

1.L’auteur de la communication est Richard Sahlin, de nationalité suédoise, né le 23 juin 1967. Il est sourd. Il se dit victime d’une violation des droits qui lui sont reconnus par l’article 3, le paragraphe 2 de l’article 4, les paragraphes 2 et 3 de l’article 5, et le paragraphe 1 b), g) et i) de l’article 27 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 janvier 2009. L’auteur est représenté par l’Association des sourds de Suède, l’Association des jeunes sourds de Suède et l’organisation non gouvernementale Med Lagen som Verktyg (« Avec la loi pour outil »).

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a obtenu son doctorat en droit public en 2004. Depuis lors, il a été embauché pour des contrats de courte durée dans différentes universités. Il occupe actuellement le poste de maître de conférences à l’Université d’Umeå. Il enseigne en langue des signes suédoise, et bénéficie d’une interprétation en suédois parlé.

2.2Au printemps 2015, l’Université de Södertörn, établissement public, a publié une offre d’emploi pour un poste permanent de maître de conférences en droit public. L’auteur avait déjà travaillé temporairement à l’Université de Södertörn, dont la direction savait qu’il avait besoin d’un service d’interprétation de la langue des signes. Les recruteurs, qui estimaient qu’il était le candidat le plus qualifié pour le poste, lui ont permis de donner un cours d’essai dans le cadre de la procédure de recrutement. En dépit de ses qualifications, l’université a annulé le recrutement le 17 mai 2016, arguant qu’il serait trop coûteux de financer un service d’interprétation pour garantir le droit de l’auteur à l’emploi dans des conditions d’égalité. Le coût annuel des services d’interprétation en question a été estimé à 520 000 couronnes (55 341 dollars É.-U.). L’université consacre un budget annuel de plus d’un demi-milliard de couronnes aux dépenses de personnel et, en 2016, elle a enregistré un excédent budgétaire de 187 millions de couronnes (20 millions de dollars). À aucun stade du recrutement l’université n’a cherché à se renseigner sur d’autres solutions d’adaptation des modalités de travail ou d’aménagement raisonnable ; elle n’a pas envisagé, notamment, de proposer à l’auteur des tâches adaptées qui ne nécessiteraient pas le recours à des services d’interprétation, telles que la supervision et l’évaluation des étudiants ou l’enseignement en ligne.

2.3L’auteur a porté plainte auprès du Médiateur pour la lutte contre la discrimination, lequel a intenté une procédure civile en son nom devant le tribunal du travail, estimant que la décision de retirer l’offre d’emploi était discriminatoire et contraire au paragraphe 3 de l’article 4 du chapitre 1 et au paragraphe 1 du chapitre 2 de la loi sur la discrimination (2008:567). Compte tenu de cela, le Médiateur estimait à 100 000 couronnes (10 695 dollars) le montant de l’indemnisation de la discrimination subie par l’auteur.

2.4Le 11 octobre 2017, le tribunal a estimé que l’université n’avait pas fait preuve de discrimination à l’égard de l’auteur, le recrutement ayant été annulé parce qu’il aurait été trop coûteux pour l’université de financer les services d’interprétation requis. Il a considéré qu’on ne pouvait raisonnablement exiger de l’université qu’elle acquitte des frais d’interprétation d’un montant de 520 000 couronnes par an, quel que soit le budget alloué à ses dépenses de personnel. Le tribunal du travail statue en dernier ressort dans les affaires relevant de la loi sur les procédures judiciaires relatives aux conflits du travail.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie n’a pas garanti son droit égal au travail et à des aménagements raisonnables en matière d’emploi, en violation des obligations mises à sa charge par les paragraphes 2 et 3 de l’article 5 et le paragraphe 1 b), g) et i) de l’article 27 de la Convention. Il estime que la violation de ses droits aurait pu être empêchée si l’État partie n’avait pas mis l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables à la seule charge de l’employeur. L’État partie aurait dû allouer des fonds spéciaux à cette fin sur son budget, ou aurait dû veiller à ce que les universités et les autorités publiques soient expressément tenues d’apporter des aménagements raisonnables permettant l’emploi de personnes handicapées, et à ce qu’elles disposent de fonds suffisants pour ce faire. Dans le cas de l’auteur, il n’aurait été ni excessif ni injustifié d’exiger de l’État partie qu’il apporte les aménagements raisonnables nécessaires pour lui permettre de s’acquitter des fonctions du poste pour lequel il avait postulé.

3.2L’auteur affirme en outre que l’État partie a outrepassé la marge d’appréciation dont il dispose en n’appliquant pas les normes de la Convention dans son interprétation de la législation nationale. Le jugement rendu par le tribunal du travail ne satisfait pas aux conditions énoncées dans l’observation générale no 2 (2014) du Comité, dont il ressort que les personnes handicapées ne peuvent jouir effectivement de leur droit au travail et de leurs droits en matière d’emploi tels qu’énoncés à l’article 27 de la Convention si le lieu de travail lui-même ne leur est pas accessible. Les lieux de travail doivent donc être accessibles, comme l’indique expressément le paragraphe 1 a) de l’article 9 de la Convention. Le refus d’adapter le lieu de travail constitue un acte proscrit de discrimination fondée sur le handicap.

3.3L’auteur soutient en outre que l’État partie n’a pas protégé les droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention : tant celui-ci que l’Université de Södertörn ont enregistré un excédent budgétaire pour l’exercice fiscal 2016, si bien qu’il n’était pas déraisonnable d’exiger d’eux qu’ils prennent en charge le coût des services d’interprétation de la langue des signes. Le fait que l’État partie dispose d’une marge d’appréciation ne signifie pas qu’il peut, par son comportement, faire fi des droits individuels puisqu’il n’a pas démontré que l’excédent budgétaire avait été utilisé pour répondre à un autre besoin social plus impérieux au regard des obligations découlant de la Convention.

3.4L’auteur affirme d’autre part que l’Université de Södertörn n’a pas cherché à déterminer si d’autres solutions d’aménagement raisonnable pouvaient être mises en œuvre pour lui permettre de remplir les fonctions du poste pour lequel il avait postulé. Après avoir décidé que des services d’interprétation de la langue des signes seraient trop onéreux, l’université n’a pas cherché à déterminer s’il serait possible pour l’auteur de s’acquitter d’autres tâches pour lesquelles il n’aurait pas besoin de bénéficier de services d’interprétation, notamment s’il pouvait se charger de la supervision et de l’évaluation des étudiants, ou gérer différentes questions concernant les étudiants, notamment en dialoguant en ligne. Si les tâches assignées avaient été adaptées de cette façon, le coût total aurait été considérablement réduit par rapport aux estimations présentées par l’université. Les mesures susdites auraient coûté environ 100 000 couronnes (10 695 dollars) par an. L’État partie n’a pas présenté d’éléments de preuve ni d’analyse permettant de conclure que tous les aménagements, y compris l’assignation d’autres tâches, constitueraient une charge excessive.

3.5L’auteur estime en outre que, pour déterminer le caractère raisonnable des aménagements demandés, l’État partie n’a pas tenu compte des avantages qu’il y avait à recruter l’auteur au poste de maître de conférences. L’auteur étant handicapé, il a une bonne connaissance des droits des personnes handicapées ; il aurait pu apporter une précieuse contribution à l’Université de Södertörn en montrant que celle-ci était ouverte à tous les groupes de population sous-représentés. Avoir un maître de conférences handicapé aurait permis aux étudiants de savoir interagir avec des personnes handicapées de façon professionnelle. Le fait qu’on ne l’ait pas recruté constitue une violation de l’obligation qui incombe à l’État partie, au regard de l’article 8 de la Convention, de sensibiliser la population à la situation des personnes handicapées.

3.6Enfin, l’auteur soutient que les violations précitées doivent être envisagées à la lumière des principes généraux consacrés par l’article 3 de la Convention, en particulier des alinéas b) sur la non‑discrimination, c) sur la participation et l’intégration pleines et effectives à la société, e) sur l’égalité des chances et f) sur l’accessibilité. En annulant le recrutement, l’État partie n’a pas respecté le droit de l’auteur à l’égalité des chances en matière d’emploi dans le secteur public, en violation du paragraphe 2 de l’article 4, et des articles 5, 9 et 27 de la Convention, lus seuls et conjointement avec l’article 3.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 4 juillet 2018, l’État partie a adressé ses observations sur la recevabilité et le fond ; il estime que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement et non-épuisement des recours internes.

4.2L’État partie renvoie à la législation nationale relative à l’égalité et à la non-discrimination. Selon l’article 2 du chapitre premier de la Constitution, les institutions publiques doivent favoriser la possibilité pour tous de parvenir à la participation et à l’égalité au sein de la société, et lutter contre la discrimination fondée notamment sur le handicap. Les dispositions de la législation nationale applicables à la présente affaire sont celles de la loi relative à la discrimination. Selon l’article 4 du chapitre premier de cette loi, une accessibilité insuffisante est considérée comme une forme de discrimination. Cette disposition est entrée en vigueur en janvier 2015. Elle vise, entre autres choses, à rendre la loi relative à la discrimination conforme à la Convention.

4.3L’interdiction de la discrimination suppose en premier lieu que la personne concernée ait été « désavantagée ». Cela signifie que cette personne, qui peut par exemple s’être portée candidate à un emploi, a été placée dans une situation moins favorable ou n’a pas pu bénéficier, notamment, d’une amélioration, d’un avantage ou d’un service. Le facteur déterminant est l’existence d’une conséquence néfaste. Le fait qu’aucune mesure n’ait été prise pour améliorer l’accessibilité est un autre facteur qui entre en ligne de compte. Cela vaut aussi lorsque les mesures prises sont insuffisantes. La règle de la « situation comparable » est également décisive. Cette règle veut que l’on compare la situation de la personne présentant un handicap à celle d’autres personnes ne présentant pas ce handicap. Sur le plan professionnel, cette comparaison concerne essentiellement la capacité de la personne handicapée de faire un travail par rapport à celle des autres candidats au même poste ou d’autres employés qui ne présentent pas le même handicap. L’employeur ne doit pas considérer que le handicap de l’intéressé restreint sa capacité à faire le travail en question s’il est possible d’éliminer ou de réduire les effets de ce handicap en prenant des mesures raisonnables.

4.4Selon l’État partie, une mesure ne peut être considérée comme raisonnable que si la partie concernée est capable d’en supporter le coût. Il devrait être possible de la financer dans le cadre de l’activité ordinaire de l’entité, publique ou privée. Entre autres mesures appropriées, on peut envisager l’achat de dispositifs d’assistance fonctionnelle ou l’adaptation du lieu de travail. On peut aussi prévoir de modifier les horaires de travail, les tâches assignées ou la méthode d’organisation du travail.

4.5Le Médiateur pour l’égalité est chargé de contrôler l’application de la loi relative à la discrimination. Il peut également saisir la justice au nom d’une personne qui pense être victime de discrimination. Cette procédure n’occasionne aucuns frais pour la personne concernée. Le Médiateur doit également veiller à ce qu’il n’y ait aucune discrimination liée au handicap dans aucun domaine de la vie sociale, et à ce que chacun jouisse de l’égalité des droits et des chances indépendamment de son handicap.

4.6Le chapitre 6 de la loi relative à la discrimination contient des dispositions portant sur les règles de procédure applicables aux litiges relevant de cette loi. Ces litiges sont tranchés conformément à la loi sur les procédures judiciaires relatives aux conflits du travail, et les affaires de cette nature sont en principe portées devant le tribunal du travail, soit d’emblée en premier et dernier ressort − comme en l’espèce − soit devant le tribunal de district en premier ressort, sachant que les décisions rendues par celui-ci sont susceptibles d’appel devant le tribunal du travail.

4.7La protection garantie par la Suède contre la discrimination se fonde également sur diverses directives émises par le Conseil de l’Union européenne sur la non-discrimination, notamment sur la Directive 2000/78/CE du Conseil en date du 27 novembre 2000, qui établit un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Cette directive a été transposée en droit interne notamment dans la loi relative à la discrimination. Elle dispose, en son article 5, que les employeurs sont tenus de prendre des mesures appropriées, en fonction des besoins, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge disproportionnée. Le considérant 21 prévoit que, pour déterminer si les mesures en question entraînent une charge disproportionnée, il convient de tenir compte, en particulier, des coûts financiers et autres qu’elles impliquent, de la taille et des ressources financières de l’organisation ou de l’entreprise, et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide.

4.8En l’espèce, le tribunal du travail a calculé les coûts des services d’interprétation, en tenant compte de la subvention salariale et des aides qui pourraient être versées aux fins du financement de services d’interprétation quotidiens par le Service public de l’emploi en application du règlement 2017:462 concernant les mesures spéciales en faveur des personnes qui présentent un handicap limitant leur aptitude au travail et qui ont besoin de trouver un emploi ou d’améliorer leurs chances de conserver leur emploi. Les employeurs ont la possibilité de demander de telles subventions lorsqu’ils embauchent une personne qui présente un handicap limitant son aptitude au travail. La personne concernée doit être sans emploi et inscrite au registre des demandeurs d’emploi du Service public de l’emploi, lequel peut prendre en charge une partie de son salaire pendant la durée du contrat. Les subventions salariales visent à indemniser l’employeur pour les aménagements qui ont dû être apportés sur le lieu de travail ; leur montant varie en fonction de l’aide et des ajustements requis par l’intéressé. De concert avec l’employeur, le Service public de l’emploi planifie l’amélioration de l’aptitude au travail de l’employé concerné. Celui-ci doit percevoir un salaire et d’autres prestations, conformément aux conventions collectives du secteur concerné. Le montant de la subvention salariale est déterminé en fonction du coût salarial et de l’aptitude au travail de la personne que l’employeur souhaite embaucher. Une aide au développement professionnel peut également être versée pour financer la mise en œuvre de mesures contribuant à développer l’aptitude au travail de la personne concernée. En 2016, plus de 90 000 travailleurs handicapés recevaient différentes aides financières versées par le Service public de l’emploi. Environ 29 270 d’entre eux bénéficiaient de subventions salariales.

4.9En outre, le projet de loi de 2018 sur le budget dispose qu’il importe que chaque personne exploite ses compétences dans sa vie professionnelle. Pour que cela soit possible, il faut assurer une communication fluide entre employeurs et employés. Dans ce contexte, le Gouvernement entend accroître l’accessibilité des services d’interprétation dans le milieu professionnel pour offrir davantage de débouchés professionnels aux personnes sourdes ou sourdes et aveugles. Un budget annuel de 15 millions de couronnes a été alloué à cette fin pour la période 2018-2020. De même, une subvention annuelle de 75 millions de couronnes est spécialement prévue aux fins du financement de services d’interprétation ; les fonds alloués sont versés aux conseils de comté par la Commission nationale de la santé et de la protection sociale. Les conseils de comté mettent également en réserve environ 156 millions de couronnes sur leurs propres budgets.

4.10L’État partie fait observer que l’université a décidé, le 17 mai 2016, d’annuler le recrutement de l’auteur, lequel a saisi la Commission des recours dans l’enseignement supérieur pour contester cette décision. L’auteur a demandé à la Commission d’annuler la décision de l’université, affirmant que celle-ci avait enfreint l’interdiction de la discrimination en ne lui assurant pas une accessibilité suffisante. Il a également expliqué que l’université n’avait pas cherché à déterminer si l’assignation d’autres tâches ou l’utilisation d’outils technologiques pouvait permettre de réduire ses besoins en matière d’interprétation et que, selon les travaux préparatoires de la loi relative à la discrimination, l’université avait l’obligation de trouver un juste équilibre entre sa demande légitime tendant à ce qu’il bénéficie de l’égalité de traitement et la situation financière de l’établissement. L’auteur a en outre demandé que, dans l’éventualité où elle ne s’estimerait pas compétente pour se prononcer sur ce recours, la Commission renvoie l’affaire devant le tribunal administratif. À ce propos, l’État partie prend note de l’argument de l’auteur selon lequel les questions relatives à l’emploi dans le secteur public concernent les droits civils, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et son cas devrait également être examiné à la lumière de l’interdiction de la discrimination énoncée à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.

4.11Le 1er juillet 2016, la Commission a rejeté le recours et renvoyé l’affaire devant le tribunal administratif de Stockholm. Le 26 janvier 2017, le tribunal administratif a à son tour débouté l’auteur de son action, déclarant que quiconque est concerné par une décision peut, en vertu de l’article 22 de la loi relative aux procédures administratives, introduire un recours contre cette décision à condition que celle-ci le lèse et qu’elle soit susceptible de recours. Ces recours peuvent être introduits devant un tribunal administratif général, sauf lorsqu’ils concernent des décisions en matière d’emploi. La décision de l’Université de Södertörn, qui concernait une question d’emploi, ne pouvait donc pas être contestée devant un tribunal administratif au regard des dispositions précitées. Toutefois, selon l’article 3 de la loi relative aux procédures administratives, les dispositions de cette loi qui portent sur les recours s’appliquent toujours dès lors qu’il faut garantir le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, comme énoncé au paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La décision de l’université ne portait pas, selon le tribunal, sur un droit civil au sens de la Convention européenne des droits de l’homme. L’auteur a par conséquent été débouté de son recours.

4.12Comme suite à l’annulation de son recrutement, l’auteur a saisi le Médiateur pour l’égalité de la décision prise par l’université, arguant qu’il avait été victime de discrimination. Le Médiateur a décidé d’entamer une procédure de supervision. Dans ce contexte, il a écrit à l’administration de l’université le 16 juin 2016 pour lui poser plusieurs questions, notamment pour solliciter ses vues sur les déclarations que l’auteur lui avait faites. Il a notamment demandé si l’université avait la possibilité d’assigner à l’auteur d’autres tâches qui impliqueraient des coûts d’interprétation moindres. Le Médiateur a également expliqué que l’auteur proposait d’enseigner autrement qu’en présentiel, notamment : de superviser les étudiants et de leur donner des cours particuliers par courrier électronique ; de les évaluer et d’enseigner à des groupes d’étudiants sur des forums de discussion en ligne ; d’enregistrer ses cours magistraux. Il a ajouté que l’auteur avait proposé qu’on lui confie des tâches administratives et des travaux de recherche. L’université a répondu le 8 juillet 2016. Elle a expliqué avoir annoncé qu’un poste de maître de conférences en droit public était à pourvoir, poste essentiellement axé sur l’enseignement. Elle a ajouté qu’il n’aurait pas été cohérent, compte tenu de ses besoins en termes de recrutement, de modifier les attributions du poste actuel ou d’assigner les tâches pédagogiques à d’autres employés de l’établissement, pour réduire considérablement les frais d’interprétation. En outre, pour des raisons financières, l’enseignement doit presque toujours être dispensé à de grands groupes d’étudiants, et ne saurait passer par une supervision à distance de chaque élève. Pour pouvoir proposer un enseignement sur des forums de discussion en ligne ou à partir de cours magistraux préenregistrés, il faudrait apporter des changements radicaux au programme de droit public de l’Université de Södertörn, ce qui ne saurait être considéré comme raisonnable. Même si certains changements pourraient être opérés, on ne saurait attendre de ces changements qu’ils entraînent une réduction nette des besoins en matière de services d’interprétation.

4.13Le 16 novembre 2016, le Médiateur pour l’égalité a engagé une action contre l’État devant le tribunal du travail. Le 4 avril 2017, le tribunal a tenu une audience préliminaire, qui a duré une heure. L’audience principale s’est tenue le 30 août 2017, en présence non seulement des cinq juges du tribunal et du greffier, mais aussi de deux juristes de contentieux du bureau du Médiateur pour l’égalité, d’un avocat représentant l’université, de l’auteur et de deux interprètes de la langue des signes. Elle a duré une heure et 50 minutes.

4.14L’État partie affirme en outre que la mention par l’auteur de « contributions inutilisées » d’un montant de 187 millions de couronnes, qui correspondrait à l’excédent budgétaire enregistré par l’université pour l’année 2016, est inexacte. Les « contributions inutilisées » sont des fonds, versés par des sources externes essentiellement à des fins de recherche, qui n’ont pas encore été dépensés dans le cadre des activités de l’université. Ces fonds sont alloués au financement de projets de recherche particuliers et, partant, ils sont déjà mis en réserve et ne peuvent être utilisés à d’autres fins. L’auteur appelle également l’attention sur le capital de l’université, qui correspond à l’excédent susceptible d’être enregistré lorsqu’une université publique ne fait pas usage de tous les fonds publics qu’elle reçoit à des fins de recherche et d’enseignement. Le capital n’est pas une source de revenus annuelle ; les fonds qui le constituent doivent être utilisés aux fins qui ont motivé leur versement à l’université. Enfin, l’auteur fait référence à ce qu’il appelle un « excédent » de 36,5 milliards de couronnes, enregistré par l’État pour l’année 2016 ; à ce propos, il convient de noter que l’un des éléments clefs du cadre stratégique fiscal est l’élaboration rigoureuse, par les voies législatives, du budget de l’administration centrale, dans le cadre de laquelle les différentes dotations sont prévues au regard les unes des autres. Les mesures visant à promouvoir et à protéger les droits et les perspectives des personnes handicapées sont financées au titre de plusieurs postes de ce budget. En 2016, la dette nationale s’élevait à 1,292 milliard de couronnes (137,62 millions de dollars).

4.15Concernant la recevabilité de la plainte, l’État partie soutient qu’à sa connaissance, la présente affaire n’a pas déjà été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.16S’agissant de l’épuisement des recours internes disponibles, l’État partie fait observer que l’auteur a saisi la Cour administrative d’appel de Stockholm d’un recours contre la décision rendue par le tribunal administratif et que, le 7 avril 2017, la Cour a décidé de ne pas faire droit à sa demande d’autorisation de faire appel. Il lui était loisible d’introduire un pourvoi devant la Cour administrative suprême pour contester la décision de la Cour administrative d’appel, qui renvoyait d’ailleurs à une annexe contenant des informations sur les démarches à entreprendre pour introduire un pourvoi. L’auteur n’en a rien fait, alors même qu’un tel recours aurait pu déboucher sur la conclusion qu’il était en droit de contester la décision de l’université et, au bout du compte, sur un examen de sa requête tendant à ce que cette décision soit annulée. Rien ne porte à croire que ce recours n’aurait eu aucune chance d’aboutir ou aurait excédé des délais raisonnables. L’État partie considère par conséquent que l’auteur n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes.

4.17Indépendamment de l’issue de l’examen de la communication par le Comité au titre des articles 2 c) et d) du Protocole facultatif, l’État partie soutient que la communication est manifestement dénuée de fondement et partant qu’elle est irrecevable au regard de l’article 2 e) du Protocole facultatif. À ce sujet, il renvoie à ses arguments concernant le fond de l’affaire, exposés plus en détail ci-après.

4.18Dans l’éventualité où la communication ne serait pas déclarée intégralement irrecevable, l’État partie soutient qu’elle devrait tout de même l’être partiellement. L’auteur de la communication doit avoir soulevé devant les tribunaux nationaux tous les griefs qu’il porte à la connaissance du Comité. Dans la présente communication, l’auteur affirme que le fait que l’on n’ait entrepris aucune démarche satisfaisante pour tenter de rechercher d’autres solutions permettant de répondre à ses besoins et d’adapter ses conditions d’emploi constituait en soi une violation de son droit de bénéficier d’aménagements raisonnables. Or, il ressort du jugement rendu par le tribunal du travail que l’auteur n’a soulevé aucun grief de cette nature devant les juridictions nationales. Le litige porté devant le tribunal concernait exclusivement les coûts et le caractère raisonnable des services d’interprétation pour personnes sourdes. En d’autres termes, ainsi que l’a noté le Comité, les parties sont convenues des aménagements nécessaires, mais étaient en désaccord sur les coûts et sur la question de savoir si ces coûts constituaient ou non une charge excessive ou injustifiée. Les employés sont tenus de chercher à proposer des aménagements possibles, notamment un changement de l’organisation du travail, des horaires de travail ou des tâches assignées. Cependant, le tribunal du travail ne peut se prononcer que sur les seuls griefs soulevés par les parties au litige. En l’espèce, l’auteur n’a saisi le tribunal du travail d’aucun grief concernant l’absence de démarches visant à rechercher d’autres aménagements ; il n’appartenait donc pas au tribunal de se prononcer sur la question de savoir si l’université aurait dû effectuer de telles démarches. Rien ne porte à croire qu’un recours introduit devant le tribunal du travail concernant ces éléments n’aurait eu aucune chance d’aboutir ou aurait prolongé la procédure au-delà du raisonnable. Si l’auteur avait soulevé devant le tribunal du travail la question de l’absence de démarches visant à rechercher d’autres aménagements possibles, le tribunal aurait peut-être conclu qu’il avait été victime de discrimination. Le grief tiré par l’auteur de l’absence présumée de démarches effectuées pour rechercher des aménagements devrait par conséquent être déclaré irrecevable.

4.19S’agissant du fond, l’État partie estime que la plainte de l’auteur repose essentiellement sur l’hypothèse que l’incapacité du pays à financer des aménagements raisonnables et à définir des obligations claires en la matière fait partie des facteurs qui ont conduit aux violations présumées. À ce propos, l’État partie renvoie aux déclarations du Comité, dont il ressort que le terme « charge excessive ou injustifiée » renvoie à l’idée qu’il convient d’examiner la demande d’aménagements raisonnables compte tenu du fait qu’une charge excessive ou injustifiable peut peser sur la partie qui apporte l’aménagement et que d’autres facteurs peuvent être pris en compte, notamment les coûts financiers, les ressources disponibles (y compris les subventions publiques), la taille de la partie chargée de l’aménagement (dans son intégralité), l’effet de la modification sur l’institution ou l’entreprise concernée, les avantages pour des tierces parties, les effets négatifs sur d’autres personnes et les prescriptions de santé et de sécurité raisonnables. Rappelant la teneur de l’article 27 de la Convention, l’État partie affirme que la question centrale que soulève la présente communication est de savoir si l’évaluation par le tribunal du travail de la proportionnalité de la prestation de services d’interprétation pour personnes sourdes constitue une violation des droits que l’auteur tient des articles 5 et 27 de la Convention.

4.20À ce propos, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité. Il soutient en outre que, dans le cadre de la procédure devant le tribunal du travail, non seulement les deux parties (l’Université de Södertörn et le Médiateur pour l’égalité) ont soumis des écritures, mais une audience préliminaire et une audience principale se sont également tenues. Les deux parties ont présenté leurs vues et produit les éléments dont elles disposaient, et tous les éléments du dossier ont été examinés par le tribunal. En outre, le Médiateur pour l’égalité a participé à la procédure en qualité de plaignant à la demande de l’auteur. La cause de l’auteur a donc été défendue par une autorité publique spécialisée dans le domaine de la discrimination, ce qui a permis de garantir que son point de vue soit exprimé et que ses intérêts soient préservés. En outre, le tribunal du travail est une juridiction spécialement compétente pour examiner les plaintes pour discrimination. Or, cinq membres du tribunal du travail sont unanimement parvenus à la conclusion que le Médiateur pour l’égalité devait être débouté de son recours.

4.21Concernant l’examen de l’affaire par le tribunal du travail et l’appréciation faite par celui-ci, l’État partie souligne que le tribunal a soigneusement passé en revue l’ensemble de la jurisprudence et de la législation nationales et européennes applicables, ainsi que les dispositions de la Convention et les constatations du Comité. Il a ensuite examiné la question des frais d’interprétation, fondant son évaluation de la proportionnalité sur un coût annuel de 520 000 couronnes (55 341 dollars), tel qu’estimé par le Médiateur pour l’égalité. Il a ensuite conclu qu’en l’espèce, la demande d’amélioration de l’accessibilité reposait sur trois facteurs : l’université était un établissement public ; elle consacrait un budget important aux dépenses de personnel ; il était prévu que l’emploi en question soit exercé à plein temps. Toutefois, les coûts annuels que l’université devrait assumer pour pouvoir assurer des services d’interprétation correspondaient, dans la pratique, au salaire brut de l’auteur, sans les charges patronales. Le tribunal a en outre souligné qu’il ne s’agissait pas d’une dépense ponctuelle et que cette mesure ne profiterait pas à d’autres travailleurs handicapés. Enfin, il a estimé que rien dans la Convention, dans la directive-cadre relative à l’égalité des chances en matière d’emploi, ni dans la loi relative à la discrimination et ses travaux préparatoires ne permettait de conclure qu’il était raisonnable, en pareil cas, d’exiger d’un employeur qu’il prévoie des aménagements de cette nature moyennant un coût annuel d’environ 500 000 couronnes. Il a conclu que les aménagements que l’université aurait dû apporter pour pouvoir embaucher l’auteur n’étaient pas raisonnables et que celui-ci n’avait donc pas été victime de discrimination de la part de l’université.

4.22Le tribunal du travail a fondé son appréciation sur les critères de proportionnalité que le Comité aurait dû appliquer s’il avait procédé à une évaluation au titre des articles 2, 5 et 27 de la Convention. Dans le cadre de cette appréciation, le tribunal a dû examiner les différents facteurs financiers et tenir compte des intérêts divers des parties. S’agissant de l’argument de l’auteur concernant les conséquences néfastes que ce jugement entraînerait, selon lui, pour toutes les personnes sourdes candidates à l’emploi en Suède, l’État partie estime qu’il n’y a pas matière à interpréter aussi largement ce jugement, le tribunal ayant à l’évidence fondé sa décision sur les éléments de l’espèce. Du reste, le jugement rendu concernait uniquement les points sur lesquels le Médiateur avait choisi de faire reposer sa plainte pour discrimination.

4.23Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que la procédure interne devant le tribunal du travail et l’appréciation faite par celui-ci répondaient à des normes rigoureuses et que rien ne porte à croire qu’elles aient été arbitraires ou entachées d’irrégularités, ou qu’elles aient représenté un déni de justice. Rien ne porte à croire non plus qu’elles n’aient pas permis de protéger l’auteur contre la discrimination. Le fait que la décision du tribunal n’ait pas été favorable à l’auteur ne change en rien ce constat. Le Comité devrait par conséquent retenir que la décision rendue par le tribunal du travail ne constitue pas une violation des droits reconnus à l’auteur par les articles 5 et 27 de la Convention.

4.24Concernant le grief tiré par l’auteur du défaut de financement, l’État partie estime que rien ne semble indiquer que le tribunal du travail ait tenu compte de ce défaut présumé de financement dans sa décision. Cette partie de la communication concerne donc, de façon générale, le financement public des aménagements et relève davantage de la procédure d’établissement de rapports prévue aux articles 35 et 36 de la Convention. Dans l’éventualité où le Comité parviendrait à une conclusion différente, l’État partie estime qu’il devrait disposer d’une marge d’appréciation particulièrement large sur cette question.

4.25L’État partie soutient en outre qu’en l’espèce, des mesures de financement importantes étaient prévues pour faciliter le recrutement de l’auteur, notamment sous la forme d’une aide au financement de services d’interprétation assurés quotidiennement, et plus particulièrement, d’une subvention salariale annuelle. La subvention salariale aurait couvert près de 30 % du coût annuel des services d’interprétation, soit 220 000 couronnes (23 414 dollars) sur 740 000 (78 755 dollars). Il doit donc être considéré, dans le cas de l’auteur, que les aides financières prévues par l’État étaient suffisantes, d’autant plus que l’État devrait disposer d’une marge d’appréciation importante en la matière.

4.26Selon l’État partie, en outre, bien que seules les aides publiques susmentionnées aient été prises en considération par le tribunal du travail dans sa décision, cela ne signifie qu’il n’en existe pas d’autres. Le Médiateur pour l’égalité n’a pas contesté qu’il faille calculer les coûts d’interprétation en tenant compte uniquement des aides accordées sous la forme d’une subvention salariale et d’une prise en charge des frais d’interprétation quotidiens, et n’a pas davantage remis en question l’étendue de ces aides ; le tribunal n’a donc pas pu étudier la possibilité que l’auteur puisse bénéficier d’autres aides financières.

4.27L’État partie prend note, en outre, de l’argument de l’auteur selon lequel ses droits ont été violés au motif que l’université ne s’est pas renseignée sur l’existence d’aménagements autres que l’interprétation pour personnes sourdes. Il répète que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable, et renvoie à la réponse qui a été adressée par l’université au Médiateur pour l’égalité le 8 juillet 2016 et dans laquelle celle-ci a fait savoir que la mise en place des mesures proposées supposerait que l’on modifie de façon disproportionnée le descriptif du poste de maître de conférences annoncé. L’État partie estime par conséquent que la présente communication ne fait apparaître aucune violation de la Convention.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses observations du 15 janvier 2019, l’auteur confirme qu’il n’a pas formé de pourvoi devant la Cour administrative suprême contre la décision rendue par la Cour administrative d’appel. Il affirme, toutefois, qu’il n’est pas nécessaire d’introduire un tel recours aux fins de l’épuisement des recours internes utiles. Il explique que le Médiateur pour l’égalité lui a conseillé de ne pas se pourvoir, conformément à l’article 9 du chapitre 6 de la loi sur la discrimination.

5.2L’auteur soutient également que l’État partie n’a pas décrit toutes les responsabilités du poste de maître de conférences à pourvoir. D’abord, le maître de conférences peut se consacrer à des travaux de recherche dès lors qu’il a cumulé deux années d’ancienneté. En outre, toutes les universités sont légalement tenues de proposer aux maîtres de conférences un programme professionnel qui leur donne la possibilité, à terme, de se porter candidats à des postes de professeur moins axés sur l’enseignement. Les attributions de ce poste n’exigent pas toutes le recours à des services d’interprétation. Pour s’acquitter de certaines tâches, le maître de conférences peut s’aider d’un ordinateur. L’auteur estime en outre que c’est à tort que l’État partie croit qu’il ne peut pas enseigner à de grands groupes d’élèves, avec ou sans interprète, par exemple en ligne ou selon le système de la classe inversée. De plus en plus d’universités proposent désormais ce type d’enseignement en ligne. En outre, parmi toutes les formes d’enseignement qui existent, la plupart des maîtres de conférences préfèrent les travaux dirigés à la supervision des mémoires ou à l’évaluation des dissertations. Officiellement, rien n’empêche donc l’université de procéder à une nouvelle répartition des tâches. Ces faits doivent entrer en ligne de compte aux fins de l’estimation des coûts à long terme, puisque les coûts diminueraient progressivement à mesure que la carrière de l’auteur évoluerait au poste en question.

5.3L’auteur remercie l’État partie pour les éclaircissements apportés au sujet des « contributions inutilisées » dont il est question dans le rapport annuel de 2016, contributions qui sont réservées à l’enseignement et à la recherche. Il affirme toutefois que l’université aurait enregistré un excédent net de près de 12 millions de couronnes (1 277 107 dollars) pour l’exercice fiscal 2016, et que cette somme aurait pu servir à couvrir les coûts de fonctionnement de l’université, de quelque nature qu’ils soient. Cet excédent correspond à la différence nette entre les revenus et les charges enregistrés pour l’exercice fiscal 2016.

5.4L’auteur rappelle en outre que l’université ne l’a pas averti que les aides publiques étaient insuffisantes avant de décider de mettre fin au recrutement, ce que l’État partie a omis de relever. Il dit qu’il a immédiatement contacté l’université à la suite de la décision finale pour proposer d’autres solutions occasionnant des frais d’interprétation moindres, mais que l’université n’a pas tenu compte de ces propositions. L’auteur a ensuite pris contact avec les autorités compétentes pour demander s’il leur était possible d’approuver une dérogation à l’arrêté applicable, afin d’autoriser le Service public de l’emploi à dépasser le plafond du montant des subventions salariales, fixé à 18 300 couronnes (1 948 dollars) par mois. L’État partie a renvoyé l’auteur vers le Service public de l’emploi, qui l’a informé qu’il ne pouvait rien faire. L’auteur a en outre contacté le conseil de comté de Stockholm pour lui demander s’il pouvait assurer à l’université des services d’interprétation journaliers, à raison d’un maximum de vingt heures par mois, pour lui permettre d’enseigner dans cet établissement. Le conseil lui a fait savoir que, selon la pratique en vigueur, il n’était pas en mesure de proposer de tels services.

5.5Concernant les arguments invoqués par l’État partie au sujet de la recevabilité de la communication, l’auteur répète qu’il n’a pas formé de recours contre la décision de l’université d’annuler le recrutement. Les tribunaux administratifs ne sont toutefois pas habilités à imposer à l’université qu’elle l’embauche, ni qu’elle l’indemnise pour la discrimination exercée à son égard en violation de la loi. En revanche, comme l’a noté l’État partie, ils auraient pu annuler la décision de l’établissement de mettre fin au recrutement.

5.6À ce propos, l’auteur soutient que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il ne devait épuiser qu’un seul recours parmi plusieurs recours parallèles. Il a choisi d’exercer une action civile contre l’université pour obtenir réparation. Il estime qu’on ne peut attendre de lui qu’il épuise d’autres recours parallèles. Le procès devant le tribunal du travail constituait un recours suffisant pour permettre au Comité d’examiner sa plainte. L’auteur soutient en outre que les questions soulevées par lui devaient l’être uniquement quant au fond, et non au regard des qualifications juridiques précisément définies par la Convention. La règle jura novit curia s’applique en Suède, ainsi qu’il ressort de l’arrêt NJA 1993 s. 13, dans lequel la Cour suprême a estimé que les tribunaux n’étaient pas liés par la qualification juridique des faits proposée par les parties. L’auteur considère qu’en l’espèce, le tribunal du travail, dans son jugement, a qualifié les faits en cause au regard du droit suédois et qu’avec cela, les recours internes disponibles ont été épuisés.

5.7S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il conviendrait à tout le moins de déclarer irrecevable la partie de la communication concernant l’absence de démarches visant à rechercher d’autres possibilités d’aménagement, l’auteur convient que la procédure devant le tribunal du travail ne portait pas au premier chef sur cette question. Le tribunal du travail a pu apprécier les éléments de l’espèce indépendamment des qualifications juridiques avancées par les parties à la procédure, étant entendu qu’au surplus, la question de l’absence de démarches avait à l’évidence été portée à la connaissance du Médiateur pour l’égalité par courrier, avant d’être portée à la sienne dans le cadre de la procédure. Les allégations de l’auteur concernant l’absence de démarches visant à rechercher d’autres aménagements possibles devraient donc être déclarées recevables.

5.8L’auteur estime en outre que son cas diffère de l’affaire D . L .c. Suède du fait du recours civil dont il s’est prévalu. Selon lui, à défaut de recours civil et si le Médiateur pour l’égalité ne l’avait pas dissuadé de se pourvoir devant la Cour administrative suprême, il aurait probablement introduit un recours contre la décision rendue. Toutefois, pareil recours n’aurait probablement pas abouti dans son cas.

5.9S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il devrait disposer d’une marge d’appréciation importante, l’auteur ne remet pas en question le bien-fondé de ce principe, de façon générale. Toutefois, un État ne devrait pas disposer d’une marge d’appréciation telle qu’elle entraîne la violation systématique des droits consacrés par la Convention. L’auteur renvoie à l’observation générale no 6 (2018) du Comité, dont il ressort que la lutte contre la discrimination passe nécessairement par l’imposition d’obligations transversales de réalisation immédiate, et non progressive. Apporter des aménagements raisonnables et garantir la non-discrimination en matière d’emploi sont deux mesures qui ne sauraient être soumises à une marge d’appréciation importante ; il fallait prendre immédiatement l’une et l’autre pour prévenir la violation des droits de l’auteur.

5.10Renvoyant à la jurisprudence du Comité, l’auteur estime que les négociations sur les aménagements raisonnables qui ont été menées en l’espèce n’étaient pas conformes aux normes énoncées dans la Convention. Il n’a pas eu l’occasion de faire part de ses préoccupations concernant d’autres aménagements possibles, étant donné que, dans le cadre de la procédure de recrutement, le recours à des services d’interprétation était à l’évidence considéré comme le seul et unique aménagement raisonnable et approprié, et que cet aménagement lui a par la suite été refusé par l’employeur. L’auteur considère que l’université aurait dû poursuivre les négociations avec lui.

5.11L’auteur répète que le tribunal du travail n’a pas pris en considération les effets positifs qu’aurait pu avoir, sur l’attitude des étudiants et du personnel, le recrutement d’un maître de conférences sourd, qui aurait favorisé la diversité en tenant compte de la composition de la société. Il ajoute qu’un maître de conférences peut également jouer le rôle de modèle auprès des jeunes handicapés. Le tribunal du travail n’a pas pris la mesure des conséquences que pourrait avoir son jugement sur l’auteur et d’autres professionnels sourds. Tous les employeurs pourraient désormais se fonder sur celui-ci pour rejeter la candidature de personnes sourdes lorsque le poste à pourvoir est en grande partie axé sur la communication.

5.12Le défaut de financement de la part de l’université est certes un élément clef de l’affaire, mais le fait que l’État n’ait pas prévu d’aménagements raisonnables dans un établissement pourtant public constitue un déni de justice non négligeable. Comme l’a avancé l’État partie, des fonds importants peuvent être mis à disposition aux fins du financement d’aménagements raisonnables, notamment sous la forme de services d’interprétation assurés quotidiennement ou d’une subvention salariale. L’auteur souligne toutefois que l’accès à ces aides ne peut être revendiqué devant les tribunaux, puisque l’octroi de ces aides n’est pas une mesure exécutoire. L’auteur a demandé à l’administration de l’université si elle pouvait prendre contact avec des donateurs indépendants pour voir si ceux-ci pouvaient prendre en charge les coûts occasionnés par les aménagements raisonnables dont il avait besoin, mais sa démarche n’a rien donné.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Le 4 octobre 2019, l’État partie a adressé des observations complémentaires ; il maintient sa position et communique des renseignements supplémentaires.

6.2S’agissant de l’argument de l’auteur selon lequel l’excédent net de près de 12 millions de couronnes enregistré par l’université aurait pu servir à couvrir les coûts de fonctionnement de l’établissement, de quelque nature qu’ils soient, l’État partie répète que des fonds mis en réserve à des fins précises ne peuvent être alloués à d’autres fins, et qu’un établissement universitaire n’est pas une entreprise privée et n’a pas donc pas la possibilité de modifier la destination de ses fonds.

6.3Concernant l’argument de l’auteur selon lequel il n’était pas tenu de former un pourvoi contre la décision de la Cour administrative d’appel aux fins de l’épuisement des recours internes, l’État partie maintient que l’auteur aurait dû poursuivre toutes les voies judiciaires et administratives qui lui offraient une perspective raisonnable de réparation. Pour ce qui est de l’argument de l’auteur selon lequel on ne saurait lui reprocher de n’avoir pas épuisé ce recours puisque c’est le Médiateur pour l’égalité qui l’a encouragé à ne pas se pourvoir, l’État partie indique que l’auteur n’a apporté aucun élément de preuve à l’appui de cette affirmation. Il soutient en outre que, selon l’article 9 du chapitre 6 de la loi relative à la discrimination, une action en indemnisation faisant suite à une décision en matière d’emploi qui a été annoncée par un employeur du secteur public ne peut être examinée tant que la décision en cause n’est pas devenue définitive et insusceptible de recours. Au vu de l’historique législatif, cette disposition n’empêche pas que l’on puisse exercer une telle action, même lorsque la décision contestée n’est pas encore devenue définitive et insusceptible de recours. En d’autres termes, en dépit de cette disposition, le Médiateur pour l’égalité aurait pu exercer une action en indemnisation pour discrimination devant le tribunal du travail même si la décision en cause n’était pas encore devenue définitive et insusceptible de recours. Simplement, le tribunal du travail n’aurait pas pu statuer avant qu’elle le devienne. L’État partie estime par conséquent que l’auteur n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes.

6.4L’État partie maintient également que les allégations de l’auteur concernant l’absence présumée de démarches visant à rechercher d’autres aménagements possibles devraient être déclarées irrecevables. Il prend note de l’argument de l’auteur selon lequel la question de l’absence présumée de démarches effectuées à cette fin a été portée à la connaissance du tribunal du travail dans le cadre de la procédure, et le tribunal aurait pu se prononcer sur cette question conformément à la règle jura novit curia ; il soutient néanmoins que le simple fait de porter une question ou un fait à la connaissance du tribunal du travail ne permet pas à celui-ci de fonder son jugement sur cette question ou ce fait. Selon l’article 3 du chapitre 17 du Code de procédure judiciaire, un jugement ne saurait se fonder sur des éléments autres que ceux sur lesquels reposent les recours introduits par les parties. Le terme « élément » renvoie uniquement aux faits juridiques, c’est-à-dire aux allégations qu’une partie a formulées pour obtenir les mesures de réparation judiciaires visées dans le cadre de la procédure. Le tribunal n’est pas habilité à développer ni à compléter un exposé lacunaire des faits juridiques. C’est aux parties qu’il appartient d’établir le cadre de la procédure. Il incombe à chacune de désigner les éléments du dossier de procédure qui sont au fondement de l’action exercée, et le tribunal devrait limiter son examen à ces seuls éléments. Les parties doivent classer les éléments de procédure en faits ; peu importe que le tribunal considère que d’autres éléments auraient dû être pris en considération aux fins d’un recours donné si ces éléments ne sont pas présentés par les parties comme étant au fondement de l’action exercée. En l’espèce, l’auteur n’ayant pas tiré grief devant le tribunal du travail de l’absence de démarches visant à rechercher d’autres aménagements possibles, le tribunal ne pouvait se prononcer sur la question de savoir si l’université aurait dû effectuer de telles démarches. L’État partie conteste en outre que l’on puisse considérer que la mention par l’auteur de son représentant le dispense de l’obligation d’épuiser les recours internes. S’il n’était pas satisfait des services assurés par le Médiateur, l’auteur avait tout loisir de revenir sur son consentement et d’intenter une action en justice en son propre nom ou par l’intermédiaire d’un conseil.

6.5L’État partie affirme en outre que les déclarations de l’auteur concernant l’enseignement en ligne, l’enseignement en classe inversée et la réassignation des tâches concernent, de la même manière, la question des démarches visant à rechercher d’autres aménagements, et considère y avoir déjà répondu. La position adoptée par le Médiateur pour l’égalité devant le tribunal du travail consistait à dire que le coût annuel des services d’interprétation de la langue des signes s’élevait à 520 000 couronnes. Le Médiateur n’a pas avancé d’arguments juridiques de nature à démontrer qu’une réduction de ce coût était possible à long terme. L’État partie estime par conséquent que cette partie de la communication devrait également être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

6.6L’État partie fait observer ensuite que l’auteur semble soulever un nouveau grief relatif à l’« application insuffisante du droit ». À ce propos, la loi relative à la discrimination et les différentes formes de discrimination qu’elle proscrit se fondent sur le droit de l’Union européenne et avant tout sur la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Cette directive dispose, en son considérant 20, qu’il convient de prévoir des mesures appropriées, c’est-à-dire des mesures efficaces et pratiques destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap.

6.7S’agissant de l’argument de l’auteur selon lequel le maître de conférences a la possibilité de se consacrer à des travaux de recherche au bout de deux ans et la loi fait obligation à toutes les universités de prévoir un programme professionnel pour les maîtres de conférences, notamment de leur donner la possibilité de se porter candidats au poste de professeur, l’État partie soutient que ces informations sont incorrectes. En premier lieu, il était indiqué dans l’offre d’emploi qu’il pourrait être demandé au titulaire du poste d’effectuer des travaux de recherche, sous réserve que l’université obtienne les fonds nécessaires. En deuxième lieu, les universités suédoises ne sont pas tenues de mettre en place des programmes professionnels à l’intention des maîtres de conférences. Toute estimation des besoins futurs du titulaire du poste, notamment en termes de services d’interprétation, se fonderait donc essentiellement sur des spéculations. S’agissant de l’argument de l’auteur selon lequel les attributions du poste n’exigeraient pas toutes le recours à des services d’interprétation de la langue des signes, l’État partie affirme que les parties au litige devant le tribunal du travail se sont entendues sur ce point et qu’elles se sont mises d’accord sur l’étendue des services d’interprétation requis pour les besoins du poste. Le tribunal du travail a fondé son jugement sur le coût des services d’interprétation de la langue des signes estimé par le Médiateur pour l’égalité. Pour calculer ce coût, on a retranché le montant maximal de la subvention salariale annuelle prévue par l’arrêté sur les mesures spéciales en faveur des personnes présentant un handicap qui réduit leur aptitude au travail, soit près de 220 000 couronnes. Les plafonds fixés dans les textes réglementaires suédois sur les subventions découlent de considérations financières et des priorités politiques du Gouvernement. En outre, s’il est vrai que des dérogations peuvent être autorisées, ce pouvoir de dérogation n’est exercé que de façon restrictive à titre exceptionnel. Ce cas de figure peut survenir par exemple lorsqu’une année, un organisme public n’est pas en mesure, pour une raison ou une autre, de s’acquitter de l’obligation de faire rapport prévue par un arrêté. L’État partie avance par conséquent que la présente communication ne fait apparaître aucune violation de la Convention.

B.Examen de la recevabilité et examen au fond

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif, qu’il n’avait pas déjà examiné la même question et que la question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie estime en premier lieu que l’auteur n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes puisqu’il n’a pas formé de pourvoi devant la Cour administrative suprême pour contester la décision rendue le 7 avril 2017 par la Cour administrative d’appel, alors même qu’un tel recours aurait pu déboucher sur la conclusion qu’il était en droit de contester la décision de l’université et, au bout du compte, sur un examen de sa requête tendant à ce que cette décision soit annulée. Le Comité note également que, selon l’État partie, rien ne porte à croire qu’un tel recours n’aurait eu aucune chance d’aboutir ou aurait excédé des délais raisonnables. Toutefois, il relève aussi que, comme indiqué par l’État partie, le chapitre 6 de la loi relative à la discrimination comporte des dispositions sur les règles de procédure applicables aux litiges relevant de cette loi. Ces litiges sont tranchés conformément aux dispositions de la loi sur les procédures judiciaires relatives aux conflits du travail. Ils sont portés soit directement devant le tribunal du travail, qui statue en premier et dernier ressort, soit, comme c’est le cas en l’espèce, devant le tribunal de district en première instance, puis éventuellement devant le tribunal du travail en appel. En outre, selon l’article 22 de la loi relative aux procédures administratives, toute personne peut introduire un recours contre une décision rendue par le tribunal du travail dès lors que la décision en cause a des conséquences néfastes pour elle et que la question est susceptible d’appel. Selon l’article 22a de la même loi, les recours peuvent être introduits devant un tribunal administratif général, mais cette règle ne s’applique pas aux décisions concernant des questions d’emploi (voir par. 4.11 ci‑dessus). En l’espèce, comme l’a conclu le tribunal administratif, le recours introduit par l’auteur concernait à l’évidence des questions liées à l’emploi et ne pouvait donc être considéré comme relevant du droit civil. Dès lors, ainsi que le Médiateur pour l’égalité − autorité publique spécialisée dans le domaine de la discrimination (voir par. 4.20 ci‑dessus) − l’a expliqué à l’auteur, il était peu probable qu’un pourvoi devant la Cour administrative suprême lui aurait permis d’obtenir gain de cause.

7.4Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la plainte de l’auteur devrait être déclarée partiellement irrecevable, puisque l’auteur n’a pas précisément soulevé, devant le tribunal du travail, la question de l’absence de démarches visant à rechercher d’autres aménagements, et que le tribunal n’était donc pas en mesure de se prononcer sur la question de savoir si l’université aurait dû effectuer de telles démarches. À ce propos, il note également que l’auteur convient avec l’État partie que la procédure devant le tribunal du travail ne portait pas au premier chef sur la question de l’absence de démarches. Cependant, il relève aussi que cette question avait été expressément portée à l’attention du Médiateur et que l’objet de la plainte de l’auteur soulevait à l’évidence la question des aménagements raisonnables, ce qui en soi implique systématiquement qu’il faille déterminer dans quelle mesure l’employeur a envisagé d’autres aménagements. Selon la règle jura novit curia, le fait qu’un point de droit n’ait pas été expressément soulevé ne saurait donc être considéré en soi comme empêchant la juridiction saisie d’examiner une question à l’évidence soulevée par l’objet de la plainte, dès lors que cet examen ne va pas au-delà des griefs formulés dans la communication. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’auteur a épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes au regard de l’article 2 d) du Protocole facultatif.

7.5Le Comité prend note, d’autre part, de l’argument de l’État partie selon lequel la plainte de l’auteur devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 e) du Protocole facultatif pour défaut de fondement, puisque selon lui « la procédure interne devant le tribunal du travail et l’appréciation faite par celui-ci répondaient à des normes rigoureuses et […] rien ne porte à croire qu’elles aient été arbitraires ou entachées d’irrégularités, ou qu’elles aient représenté un déni de justice. Rien ne porte à croire non plus qu’elles n’aient pas permis de protéger l’auteur contre la discrimination ». Toutefois, le Comité prend également note des arguments de l’auteur selon lesquels : le recrutement au poste pour lequel il avait postulé a été annulé en raison du coût des services d’interprétation dont il aurait dû bénéficier pour pouvoir exercer les fonctions du poste ; en dehors de l’interprétation de la langue des signes, il n’a été tenu compte à aucun stade du recrutement des autres aménagements raisonnables ou solutions d’adaptation du lieu de travail proposés par l’auteur, parmi lesquels l’enseignement en ligne, auquel de plus en plus d’universités ont recours ; le tribunal du travail n’a pas dûment examiné les aménagements raisonnables proposés par l’auteur à l’université. Compte tenu de cela, le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et au paragraphe 1 de l’article 73 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

8.2En l’espèce, la question est de savoir si les décisions adoptées par les autorités nationales concernant la procédure de recrutement à laquelle l’auteur a participé constituent une violation des droits reconnus à celui-ci par les articles 5 et 27 de la Convention. Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il était considéré comme le candidat le plus qualifié pour le poste par l’université publique à laquelle il avait présenté sa candidature, néanmoins l’université a annulé le recrutement le 17 mai 2016, arguant qu’il serait trop coûteux de financer des services d’interprétation de la langue des signes pour pouvoir garantir son droit à l’emploi dans des conditions d’égalité. Il relève en outre que cette affirmation n’a pas été contestée par l’État partie.

8.3Le Comité note également que, selon l’auteur, ses droits ont été violés parce que l’université et le tribunal du travail ont incorrectement évalué la proportionnalité des coûts des services d’interprétation de la langue des signes, et n’ont pas cherché à savoir s’il existait d’autres aménagements possibles. Il relève en outre que l’auteur affirme que l’université ne l’a pas averti que les aides publiques étaient insuffisantes avant de décider de mettre fin au recrutement.

8.4Le Comité rappelle qu’aux termes des alinéas a), e), g) et i) de l’article 27 de la Convention, il incombe aux États parties : d’interdire la discrimination fondée sur le handicap dans tout ce qui a trait à l’emploi sous toutes ses formes, notamment aux conditions de recrutement, d’embauche et d’emploi, au maintien dans l’emploi, à l’avancement et aux conditions de sécurité et d’hygiène au travail ; de promouvoir les possibilités d’emploi et d’avancement des personnes handicapées sur le marché du travail, ainsi que l’aide à la recherche et à l’obtention d’un emploi, au maintien dans l’emploi et au retour à l’emploi ; d’employer des personnes handicapées dans le secteur public ; de faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés aux lieux de travail en faveur des personnes handicapées. Le Comité rappelle en outre qu’aux termes de l’article 2 de la Convention, on entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales.

8.5Dans le même ordre d’idée, le Comité rappelle que l’article 5 de la Convention interdit toutes les formes de discrimination à l’égard des personnes handicapées, y compris le refus d’aménagement raisonnable, étant entendu que l’apport d’aménagements raisonnables est une obligation qui ne peut faire l’objet d’une réalisation progressive. Ainsi, toutes les formes de discrimination sont également contraires à la Convention, et il serait inconvenant d’établir une distinction entre les violations du droit à l’égalité et à la non-discrimination en fonction de leur « degré de gravité ». Le Comité ajoute que l’obligation de procéder à des aménagements raisonnables est une obligation ex nunc, c’est-à-dire qu’elle doit être respectée dès le moment où une personne handicapée doit accéder à des situations ou à des environnements inaccessibles, ou veut exercer ses droits. À cette fin, le débiteur de l’obligation doit engager un dialogue avec la personne handicapée, en vue de la faire participer à la recherche de solutions qui lui permettent de mieux exercer ses droits et de renforcer ses capacités.

8.6Le Comité rappelle également que, pour déterminer le caractère raisonnable et proportionné des aménagements raisonnables, les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation. Il considère en outre que c’est aux juridictions des États parties à la Convention qu’il appartient généralement d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il est établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou qu’elle a constitué un déni de justice.

8.7En l’espèce, le Comité prend note de l’intervention de diverses autorités de l’État partie, chacune investie d’un mandat et de responsabilités distincts : l’université publique qui a publié une offre d’emploi et a ensuite annulé le recrutement ; le Médiateur pour l’égalité, que l’auteur a saisi pour le représenter devant les juridictions nationales compétentes ; la Commission des recours dans l’enseignement supérieur ; le tribunal du travail ; le tribunal administratif ; le Cour administrative d’appel. Pour ce qui est de l’université, le Comité estime que toute démarche tendant à consulter l’auteur pour tenter de trouver d’autres aménagements et à envisager l’apport de tels aménagements était d’emblée exclue puisque l’université n’a pas informé l’auteur que les aides publiques ne suffisaient pas à financer les ajustements nécessaires pour lui permettre de s’acquitter des fonctions du poste pour lequel il avait postulé. En d’autres termes, il n’a pas été possible d’engager le dialogue pour évaluer et renforcer la capacité de l’auteur à occuper le poste de maître de conférences permanent puisque le recrutement a été annulé avant même que l’auteur ait pu être consulté et que l’on ait pu envisager d’autres ajustements possibles.

8.8Cet absence de dialogue a influé sur la procédure judiciaire puisque, dans le cadre de celle-ci, les autorités ont accordé la place centrale, dans leur raisonnement, aux coûts de l’interprétation de la langue des signes, sans tenir compte d’autres ajustements possibles. Le tribunal du travail a ainsi examiné : le coût des services d’interprétation de la langue des signes au regard de la capacité de l’employeur à financer ces services ; les effets des mesures prises sur la capacité de l’auteur à occuper le poste en question ; la durée de l’emploi ; l’incidence des mesures adoptées en faveur de l’auteur sur d’autres personnes handicapées ; certaines aides publiques dont l’employeur et l’employé auraient pu bénéficier. Ayant examiné ces questions, le tribunal du travail a conclu que les ajustements auraient été trop onéreux.

8.9Le Comité rappelle que la recherche d’un aménagement raisonnable doit se faire dans un esprit de coopération et d’interaction et tendre vers le meilleur équilibre possible entre les besoins des employés et ceux des employeurs. Lorsqu’il s’agit d’établir les mesures d’aménagement raisonnable à adopter, l’État partie doit veiller à ce que les pouvoirs publics déterminent les aménagements efficaces susceptibles d’être apportés pour que l’employé puisse s’acquitter de ses fonctions principales. En l’espèce, le Comité note que l’auteur a cherché à plusieurs reprises à proposer d’autres aménagements à l’université ainsi qu’au Médiateur pour l’égalité, autorité publique spécialisée, dans l’espoir que celui-ci soulève la question devant les tribunaux. Dans ce contexte, il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel des mesures de financement importantes étaient prévues pour faciliter le recrutement de l’auteur, sous la forme de services d’interprétation assurés quotidiennement et d’une subvention salariale annuelle. Il relève en outre que, selon l’État partie, bien que seules les aides publiques susmentionnées aient été prises en considération par le tribunal du travail dans sa décision, cela ne signifie pas qu’il n’en existe pas d’autres, mais le fait que le Médiateur pour l’égalité n’ait pas soulevé la question a empêché le tribunal d’étudier la possibilité que l’auteur puisse bénéficier d’autres aides financières (voir par. 4.26 et 4.27). Par cette déclaration, l’État partie reconnaît la responsabilité qui incombait à ses autorités publiques d’informer dûment les parties à la procédure judiciaire des aides qui auraient pu être versées pour financer l’emploi de l’auteur. Le Comité n’exprime pas d’opinion quant à l’issue d’une analyse en bonne et due forme des autres aménagements possibles et des autres aides publiques existantes. Il estime toutefois que les autorités qui sont intervenues n’ont pas pris toutes les mesures possibles pour promouvoir la réalisation du droit des personnes handicapées au travail.

8.10Le Comité note enfin que, selon l’auteur, les pouvoirs publics n’ont pas pris en considération les effets positifs qu’aurait pu avoir, sur l’attitude des étudiants et du personnel, le recrutement d’un maître de conférences sourd, qui aurait favorisé la diversité en tenant compte de la composition de la société, et n’ont pas davantage examiné l’incidence positive que cela aurait eue sur de futurs candidats malentendants. À ce propos, le Comité note avec satisfaction que le tribunal du travail a examiné la question des avantages que le recrutement de l’auteur aurait pu avoir pour d’autres employés handicapés. Il relève toutefois que le tribunal a conclu que les services d’interprétation de la langue des signes assurés à l’auteur n’auraient pas profité à d’autres employés malentendants. Il considère que ce raisonnement était centré sur la mesure particulière prise en faveur de l’auteur, mais qu’il ne tenait pas compte de l’incidence négative qu’aurait, de façon plus générale, l’appréciation faite par le tribunal, qui dissuaderait les employeurs potentiels d’envisager de recruter des personnes malentendantes à des postes semblables à celui pour lequel l’auteur avait postulé.

8.11Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les décisions et les interventions des autorités de l’État partie ont limité la possibilité qu’ont les personnes handicapées d’être sélectionnées pour occuper des postes exigeant l’adaptation de leur environnement de travail à leurs besoins. Il estime en particulier que l’appréciation faite par le tribunal du travail des aides et des ajustements nécessaires a validé le refus d’aménagement raisonnable, ce qui a eu pour effet, dans les faits, de priver l’auteur de façon discriminatoire de la possibilité d’occuper l’emploi pour lequel il avait postulé, en violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 5 et 27 de la Convention.

C.Conclusion et recommandations

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 27 de la Convention. En conséquence, le Comité adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissant de l’auteur, l’État partie a pour obligation :

i)De lui assurer une réparation effective, y compris le remboursement de tous frais de justice qu’il aura engagés, ainsi qu’une indemnisation ;

ii)De publier les présentes constatations et de les diffuser largement sous des formes accessibles auprès de tous les segments de population.

b)De façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se produisent, et entre autres choses :

i)De prendre des mesures concrètes pour garantir que l’emploi des personnes handicapées soit favorisé dans la pratique, notamment en veillant à ce que les critères appliqués aux fins de la détermination du caractère raisonnable et proportionné des aménagements soient évalués au regard des principes consacrés par la Convention et des recommandations formulées dans les présentes constatations, et à ce qu’un dialogue soit systématiquement engagé avec la personne handicapée pour permettre la réalisation de ses droits dans des conditions d’égalité ;

ii)De veiller à ce que des formations appropriées soient régulièrement dispensées aux agents de l’État qui interviennent dans le recrutement, ainsi qu’aux membres du corps judiciaire, en particulier aux magistrats du tribunal du travail, au sujet de la Convention et du Protocole facultatif s’y rapportant, notamment de la promotion de l’emploi des personnes handicapées, conformément à la Convention, en particulier aux articles 9 et 27.

10.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité.