Nations Unies

CRPD/C/23/D/73/2019

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr.générale

20novembre2020

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 73/2019 * , * *

Communication présentée par :

A. N. P. (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

A. N. P.

État partie :

Afrique du Sud

Date de la communication :

19 septembre 2017 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

28 août 2020

Objet :

Dégrèvement en faveur des personnes handicapées

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Égalité des chances ; obligations générales au titre de la Convention ; égalité devant la loi ; stéréotypes, préjugés et pratiques préjudiciables àl’égard des personnes handicapées ; accès à l’accompagnement nécessaire pour l’exercice de la capacité juridique ; égalité en matière de droit de propriété et de droit d’héritage ; accès à la justice ; prévention de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; intégrité de la personne ; droit à un niveau de vie adéquat ; protection sociale

Article(s) de la Convention :

1er, 3 (al. e)), 4 (par. 1 d)), 5 (par. 1), 8 (par. 1 b)), 12 (par. 3 et 5), 13 (par. 1), 15 (par. 2), 17 et 28 (par. 1 et 2)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 (al. d))

1.1L’auteur de la communication est A. N. P., de nationalité sud-africaine, né en 1951. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 1er, 3 (al. e)), 4 (par. 1 d)), 5 (par. 1), 8 (par. 1 b)), 12 (par. 3 et 5), 13 (par. 1), 15 (par. 2), 17 et 28 (par. 1 et 2) de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30décembre 2007. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 12novembre 2019, le Rapporteur spécial chargé des communications au titre du Protocole facultatif, agissant au nom du Comité, a décidé d’enregistrer la communication sans la transmettre à l’État partie pour observations.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés parlesparties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a de multiples handicaps et maladies chroniques, qui l’ont conduit à demander une indemnisation pour incapacité permanente. Sa demande ayant été acceptée, il a reçu chaque mois une indemnité, d’un faible montant. L’auteur vit seul dans un appartement qu’il possède avec son frère, dans un immeuble en copropriété. Depuis 2008, il soumet chaque année à l’administration du Cap une demande de dégrèvement de la taxe foncière au titre des programmes d’allégement fiscal en vigueur. Il affirme que, le montant de la taxe foncière étant bien supérieur au coût raisonnable des services fournis par la municipalité, les régimes fiscaux en faveur des personnes handicapées et des personnes âgées ayant un revenu faible ou modeste constituent un véritable outil de redistribution des richesses.

2.2Le 22mars 2011 et le 23avril 2013, l’administration du Cap a refusé d’accéder aux demandes de dégrèvement présentées par l’auteur pour les années 2008 à 2013. Le 30avril 2012 et le 23mai 2013, elle a rejeté les contestations de l’auteur auxquelles ses refus avaient donné lieu, notamment parce que celui-ci avait un revenu trop élevé. L’auteur affirme que les autorités municipales ont comptabilisé, à tort et sans aucune raison, les indemnités pour incapacité comme une composante du revenu. Il indique que la définition de «revenu mensuel brut du ménage» qui figure dans les dispositions municipales relatives à la taxe foncière permet à l’administration du Cap de considérer tout apport en capital comme un revenu, et recouvre plus de catégories de revenu que les autorités nationales n’en reconnaissent ordinairement dans leurs normes et pratiques. Il ajoute que l’administration fiscale nationale ne tient pas compte des indemnités pour incapacité dans le calcul du revenu et que le droit sud‑africain fait une différence entre les entrées de capital et les entrées de revenu. Compte tenu du montant effectif de son revenu, l’auteur aurait dû pouvoir bénéficier d’un dégrèvement total ou presque total de la taxe foncière. Il indique que ses demandes de dégrèvement pour les années 2014 à 2018 sont encore en instance, car l’administration du Cap lui oppose des exigences injustifiées et refuse de répondre clairement à ses lettres et d’expliquer sa politique.

2.3Selon l’auteur, l’administration du Cap a aussi appliqué à mauvais escient sa politique fiscale en ce qu’elle a pris en considération le revenu de l’autre copropriétaire de l’appartement, alors que, selon les dispositions relatives à la taxe foncière, il n’est tenu compte du revenu cumulé de tous les copropriétaires que si la demande d’exonération émane d’une personne morale.

2.4L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles. Ses requêtes et recours auprès des plus hauts représentants de l’administration du Cap (maire, maire adjoint, président du conseil municipal, responsable des finances, responsable de l’administration de la municipalité, responsable des services juridiques, ombudsman et conseillers de quartier) ont été écartés ou ignorés. L’auteur soupçonne que ses demandes ont été rejetées sans égard pour la loi, simplement parce que telle était la volonté du maire adjoint. Il a rencontré personnellement des membres de l’administration municipale et, à cette occasion, a été prié d’exposer les motifs pour lesquels les indemnités pour incapacité qu’il avaient reçues ne devraient pas être considérées comme une composante de son revenu. Or, l’auteur estime qu’il ne devrait pas avoir à étayer une demande qui ne visait qu’à la bonne application de la loi. Il indique en outre que sa demande, une fois motivée, n’a pas reçu toute l’attention voulue. Bien que cela n’eût pas lieu d’être, il a ensuite été prié de fournir des preuves de dépenses. Il considère que l’administration du Cap n’a pas répondu de manière pertinente au courriel qu’il avait envoyé en réaction à la décision rendue le 30avril 2012. Alors qu’il avait mis en évidence certains des vices de cette décision, l’administration du Cap s’est contentée de lui répondre que la décision rendue était définitive (functus officio) et qu’il avait donc épuisé les recours internes. L’auteur estime que l’administration du Cap ne s’est pas montrée juste et responsable.

2.5De plus, à compter de décembre 2013, l’auteur a saisi la Commission sud-africaine des droits de l’homme, le Bureau du Protecteur public, les autorités de la province du Cap-Occidental, le Cabinet du Président et d’autres administrations publiques, de requêtes pour violations de la Convention. Il signale que ces instances n’ont généralement pas donné suite à ses demandes et que, lorsqu’elles l’ont fait, les réponses fournies étaient factuellement inexactes et trompeuses, n’étayaient pas la décision rendue par l’administration du Cap et ne proposaient pas de mesures de réparation.

2.6En décembre 2013, l’auteur a saisi la Commission sud-africaine des droits de l’homme, qui n’a pas donné suite et a renvoyé la requête au Bureau du Protecteur public, que l’auteur avait également saisi directement. Le Bureau du Protecteur public a rejeté la requête et n’a pas accusé réception des éléments nouveaux que l’auteur lui avaient communiqués. Plusieurs fois, il a tenté de classer l’affaire. L’auteur n’a pas reçu d’accusé de réception pour les éléments nouveaux qu’il avait transmis ni de réponse sur le fond de l’affaire, bien que le Bureau du Protecteur public ait proposé de rouvrir le dossier et de rencontrer les membres de la Commission sud‑africaine des droits de l’homme.

2.7L’auteur a également saisi trois services de l’administration de la province du Cap‑Occidental, qui n’ont accordé aucune attention à sa requête ou n’y ont pas donné suite avec la détermination et l’énergie requises. Ses réclamations face au traitement que ces services avaient réservé à son affaire n’ont pas non plus été suivies d’effet.

2.8Le Cabinet de la Présidence a attribué un numéro de référence à la requête de l’auteur, mais n’a pas donné suite. L’auteur affirme que ses requêtes auprès de l’Auditeur général, du Ministère de la gouvernance coopérative, du Ministère des femmes, des enfants et des personnes handicapées, de la Commission de la fonction publique et du Ministère de la justice ont été complètement ignorées ou ont suscité peu d’intérêt et de réactions.

2.9Des fonctionnaires de la municipalité du Cap ont informé l’auteur qu’il avait la possibilité d’engager une action en réparation, mais l’auteur a jugé que cette option n’était manifestement pas viable pour une personne en mauvaise santé et en difficulté financière. De plus, s’il choisissait de saisir la justice, l’argent des contribuables servirait à assurer la défense de l’administration du Cap.

2.10L’auteur considère que les décisions rendues au sujet de ses demandes de dégrèvement sont non seulement illégales au regard de la Constitution de l’État partie et des dispositions de l’administration du Cap relatives à la taxe foncière, mais aussi déraisonnables et arbitraires, car d’autres personnes dans la même situation que lui ont bénéficié d’un dégrèvement. D’ailleurs, les services municipaux compétents lui ont confirmé que les indemnités pour incapacité qu’il avait reçues n’auraient pas été comptabilisées comme une composante du revenu si elles avaient fait l’objet d’un versement unique, et non de versements périodiques. L’auteur affirme que son cas n’est probablement pas isolé et que d’autres personnes handicapées et personnes âgées ont pu être victimes de violations comparables de la Convention par l’État partie.

2.11L’auteur met en doute les compétences des fonctionnaires de l’administration du Cap qui ont traité ses demandes. Il requiert qu’une évaluation soit menée afin de déterminer si les fonctionnaires en question étaient dûment et suffisamment qualifiés, les informations qu’il avait demandées en application de la loi sur la promotion de l’accès à l’information ne lui ayant été fournies que partiellement et tardivement. De plus, la consultation des dossiers des services fiscaux municipaux révèle que le processus de prise des décisions n’a pas été enregistré ni documenté et que d’autres documents importants font défaut. L’auteur considère que les personnes chargées de traiter son affaire ne l’ont pas fait avec le professionnalisme voulu et demande que celles‑ci fassent l’objet d’une enquête pour faute professionnelle.

2.12En outre, l’auteur conteste la note de communication interne non datée de l’administration du Cap concernant son affaire. Au vu de cette note, qui établit que les contribuables doivent avoir des ressources limitées pour bénéficier d’un dégrèvement et que toutes les dérogations autorisées par les dispositions municipales relatives à la taxe foncière ont été appliquées, il considère que les autorités municipales ont mis en question son droit au dégrèvement, bien qu’il ne soit pas riche ni solvable à long terme, et que sa présumée capacité de paiement se fonde uniquement sur les capitaux restreints qu’il a reçus sous la forme d’indemnités pour incapacité.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le refus de l’administration du Cap de lui accorder une assistance sociale sous la forme d’un dégrèvement de la taxe foncière constitue une violation du droit à la protection sociale qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention. Il affirme aussi qu’il a été contraint de payer des montants excessifs à l’administration fiscale, en violation du droit à un niveau de vie adéquat qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 28, et privé arbitrairement du droit à la propriété qu’il tient du paragraphe 5 de l’article 12. Il affirme également qu’il a été victime de violations du droit à l’égalité qu’il tient de l’alinéa e) de l’article 3 et du paragraphe 1 de l’article 5 ainsi que du droit de ne pas être soumis à des traitements dégradants qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 15. Il affirme en outre que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 17, car le stress et les facteurs physiques et mentaux auxquels il a été exposé ont eu des effets négatifs prévisibles sur son intégrité physique et mentale et ont augmenté sensiblement le risque pour lui de décéder prématurément.

3.2De plus, l’auteur considère que le fait que l’administration du Cap et d’autres organes de l’État partie n’ont pas donné suite à ses demandes de réparation avec équité et indépendance constitue une violation du droit d’accès à la justice qu’il tient du paragraphe 1b) de l’article 8 et du paragraphe 1 de l’article 13 de la Convention. Il ajoute qu’il ne s’est pas vu notifier son droit de faire appel dans la décision rendue par les services fiscaux municipaux en date du 22mars 2011 et que, lorsqu’il a contesté cette décision, il n’a pas été informé de ses droits ni autorisé à présenter des observations ou à fournir des renseignements complémentaires.

3.3L’auteur ajoute qu’il a été victime d’une violation du droit au respect de la vie privée en ce que, premièrement, l’administration du Cap a pris inutilement la décision de lui renvoyer les documents sensibles qu’il lui avait transmis, au risque que ces documents soient perdus, et s’est trompée d’adresse ; deuxièmement, l’administration du Cap a déclaré ne pas avoir reçu les documents envoyés, alors que les services postaux ont confirmé le contraire, et n’a donc pas protégé comme il le fallait des informations confidentielles ayant trait à sa santé et sa situation financière ; troisièmement, l’auteur a été prié de fournir des renseignements sur ses dépenses, bien que cela ne fût pas nécessaire.

3.4L’auteur demande qu’il soit remédié à la situation, notamment par la protection de ses droits, la garantie de non-répétition des violations, l’annulation des décisions rendues au sujet de ses demandes de dégrèvement et le paiement de dommages et intérêts.

Observations complémentaires de l’auteur

4.1Le 2octobre 2017, l’auteur a soumis des observations complémentaires, dans lesquelles il maintient avoir épuisé tous les recours internes disponibles. L’auteur déclare que ses démarches l’ont occupé pendant près de quatre années et qu’il serait déraisonnable de les prolonger, au vu de leur inefficacité. Dans ses observations en date du 4octobre 2017, il ajoute que, ses moyens financiers ne lui permettant pas de porter son affaire devant un tribunal et son état de santé ne lui permettant pas de supporter l’épreuve que cela représenterait, il a cherché à obtenir réparation auprès d’autres instances. Il signale que son revenu n’est que de 6000 rand par mois, et que le tarif d’un avocat se situe entre 2000 et 3000 rand de l’heure, en Afrique du Sud.

4.2Le 26septembre et les 7, 10 et 24décembre 2019, l’auteur a soumis d’autres observations complémentaires, dans lesquelles il faisait observer que, si des mesures de réparation n’étaient pas accordées en temps voulu, ses demandes de dégrèvement pour les années 2013 à 2020, sur lesquelles aucune décision n’avait encore été rendue, risquaient d’être rejetées. Ses requêtes auprès de différents services de l’administration du Cap et d’autres autorités avaient continué d’être ignorées ou de rester sans suite concrète.

4.3Le 10juin 2020, l’auteur a signalé que l’administration du Cap n’avait toujours pas accédé à ses demandes de dégrèvement, ni répondu à ses lettres. Il conteste la régularité du classement de son affaire par le Bureau du Protecteur public et dit ne pas savoir si une quelconque autre mesure a été prise par la Commission sud-africaine des droits de l’homme.

B.Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

5.2Le Comité prend note de la déclaration de l’auteur, qui affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles, comme l’exige l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif. L’auteur a porté le rejet de ses demandes de dégrèvement à l’attention de plusieurs services de l’administration du Cap ainsi qu’à celle de la Commission sud‑africaine des droits de l’homme, du Bureau du Protecteur public, des autorités de la province du Cap‑Occidental, du Cabinet de la Présidence et d’autres administrations publiques. Le Comité prend aussi note que l’auteur a choisi de saisir les autorités susmentionnées parce que ses moyens financiers ne lui permettaient pas de porter son affaire devant un tribunal et son état de santé ne lui permettait pas de supporter l’épreuve que cela représenterait. Enfin, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle, si une procédure était engagée, l’administration du Cap paierait ses frais de justice avec l’argent des contribuables.

5.3Le Comité rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’épuiser les voies de recours interne s’il n’y a objectivement aucune chance de les voir aboutir, mais que de simples doutes sur l’efficacité des recours internes ne dispensent pas l’auteur de l’obligation de les épuiser. Il considère que l’auteur n’a pas démontré que sa requête n’aurait objectivement aucune chance d’aboutir en cas de saisine de la justice sud‑africaine. Il constate que l’observation de l’auteur sur le montant élevé des honoraires d’avocat est de nature générale. L’auteur n’a pas précisé s’il avait cherché à obtenir une aide juridictionnelle gratuite ou peu onéreuse afin de pouvoir engager des poursuites ou si une telle démarche était déraisonnable pour lui compte tenu des circonstances. De plus, l’auteur n’a fourni aucun élément de fond qui démontre que son état de santé l’empêchait de saisir la justice sud‑africaine, y compris par l’intermédiaire d’un avocat. Enfin, le Comité considère que l’allégation selon laquelle les procédures judiciaires coûtent de l’argent aux contribuables n’a aucun lien avec l’obligation mise à la charge de l’auteur d’épuiser les recours internes. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les dispositions de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif l’empêchent d’examiner lacommunication.

C.Conclusion

6.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 (al. d)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.