Nations Unies

CCPR/C/129/D/2486/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 octobre 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2486/2014 * , **

Communication présentée par :

Siarhei Malashenak (représenté par un conseil, Mikhail Matskevich)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

2 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 2 décembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

23 juillet 2020

Objet :

Sanction de l’auteur pour tenue d’un piquet ; liberté d’expression

Question(s) de procédure :

Défaut de coopération de l’État partie

Question(s) de fond :

Liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

19

Article(s) du Protocole facultatif :

1

1.L’auteur de la communication est Siarhei Malashenak, de nationalité bélarussienne, né en 1983. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 19 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 8 octobre 2012, l’auteur a été arrêté par la police pour avoir accroché à la structure d’un pont routier, à Novopolotsk, une bannière portant le slogan « Liberté pour les prisonniers politiques bélarussiens ». L’auteur n’avait pas jugé nécessaire de demander une autorisation aux autorités de la ville pour tenir seul un piquet visant à exprimer publiquement son opinion. Le jour même, le tribunal municipal de Novopolotsk (région de Vitsiebsk) a jugé que l’auteur, en tenant un piquet non autorisé, avait enfreint le paragraphe 1 de l’article 23.34 du Code des infractions administratives (non-respect de la procédure d’organisation ou de tenue de manifestations collectives) et l’a condamné à une amende de 300 000 roubles bélarussiens (environ 35 dollars des États-Unis).

2.2À une date non précisée, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal municipal de Novopolotsk devant le tribunal régional de Vitsiebsk. Le 31 octobre 2012, le tribunal régional de Vitsiebsk a rejeté l’appel. Les demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle que l’auteur a soumises, à des dates non précisées, au Président du tribunal régional de Vitsiebsk et à la Cour suprême ont été rejetées, respectivement, le 11 avril et le 13 juin 2013. Les juridictions ont estimé que, puisque un piquet d’une personne constituait une manifestation publique selon la définition figurant dans la loi du 30 décembre 1997 relative aux manifestations publiques (telle que modifiée le 7 août 2003), l’auteur aurait dû suivre la procédure établie par ladite loi et demander une autorisation au comité exécutif de la ville de Novopolotsk.

2.3L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la sanction qu’il a reçue pour avoir exprimé son opinion constitue une violation par le Bélarus des droits qu’il tient de l’article 19 du Pacte. Il affirme que les restrictions imposées ont porté atteinte à son droit à la liberté d’expression et n’étaient nécessaires ni à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ni au respect des droits ou de la réputation d’autrui. Il soutient que les tribunaux n’ont pas expliqué en quoi ses actes avaient mis en péril la sécurité nationale, l’ordre public, la santé publique ou les droits ou la réputation d’autrui.

3.2L’auteur affirme qu’il n’a pas tenu de manifestation publique, raison pour laquelle il n’a pas demandé d’autorisation aux autorités. Nonobstant, les autorités et les juridictions du pays ont considéré que l’expression publique de son opinion constituait une manifestation publique au sens de la loi relative aux manifestations publiques et que, par conséquent, l’obligation procédurale de demander une autorisation s’appliquait. Ce faisant, elles ont restreint la liberté d’expression que lui garantit l’article 19 du Pacte.

3.3L’auteur demande au Comité de constater une violation de l’article 19 et de recommander à l’État partie de réexaminer son cas, de modifier la définition des manifestations collectives qui figure dans la loi de 1997 relative aux manifestations publiques de sorte qu’elle ne vise que les manifestations tenues par des groupes de personnes, et donc plus les piquets d’une seule personne, et de lui rembourser l’amende qu’il a dû payer.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Les 2 décembre 2014, 30 novembre 2015, 26 février 2016 et 8 décembre 2016, le Comité a demandé à l’État partie de lui faire parvenir des informations et ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la présente communication. Il regrette que l’État partie n’ait donné aucun renseignement concernant la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties sont tenus d’examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et de communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, pour autant qu’elles soient suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts car il a présenté des demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle au tribunal régional de Vitsiebsk et à la Cour suprême. Faute d’observation contraire formulée par l’État partie, le Comité ne se considère pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

5.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 19 du Pacte. Par conséquent, il déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Le Comité note que l’auteur formule deux griefs dans sa communication. Premièrement, il affirme que sa liberté d’expression a été restreinte arbitrairement puisqu’il a été sanctionné pour avoir exprimé publiquement son opinion. Deuxièmement, il avance que le fait d’assimiler l’expression publique d’une opinion par une seule personne à une manifestation publique au sens de la loi relative aux manifestations publiques et de soumettre une telle expression à autorisation préalable restreint de façon disproportionnée la liberté d’expression.

6.3Le Comité considère que la question de droit dont il est saisi consiste à déterminer si la sanction imposée à l’auteur et le fait de qualifier de manifestation publique l’expression publique d’une opinion par une seule personne constituent une violation de l’article 19 du Pacte. Les éléments dont il dispose montrent que les actes de l’auteur ont été qualifiés de manifestation publique par les tribunaux et que l’auteur a reçu une amende pour ne pas avoir demandé aux autorités de la ville l’autorisation de tenir un piquet. De l’avis du Comité, les mesures prises par les autorités, quelle que soit leur qualification juridique, constituent une limitation des droits garantis à l’auteur, en particulier du droit de répandre des informations et des idées de toute espèce visé au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

6.4Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011), où il est dit que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu. Ces libertés sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte permet que seules soient imposées à la liberté d’expression des restrictions qui sont fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre à des critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire (par. 22).

6.5Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions imposées aux droits garantis par l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées. Il constate que rien dans le dossier ne donne à penser que les autorités du pays ont examiné le cas de l’auteur à la lumière des critères de nécessité et de proportionnalité énoncés à l’article 19 du Pacte. Il constate également que l’État partie n’a pas expliqué en quoi les actes de l’auteur mettaient en péril les droits ou la réputation d’autrui, la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques, comme énoncé au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, ni pourquoi les restrictions imposées à l’auteur étaient nécessaires. Il considère que, dans les circonstances de l’espèce, les sanctions imposées à l’auteur, bien que fondées sur la législation interne, ne sauraient être considérées comme justifiées au regard du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

6.6Le Comité prend note du deuxième grief de l’auteur, qui concerne la qualification de manifestation publique attribuée de manière injustifiée à l’expression publique d’une opinion par une seule personne et l’obligation qui en découle de demander une autorisation pour une telle expression. Même s’il considère normalement que les piquets d’une seule personne ne relèvent pas de l’article 21 du Pacte sur le droit de réunion pacifique mais sont protégés par l’article 19, le Comité note qu’il appartient généralement aux États parties d’établir des règles régissant les manifestations publiques, y compris la définition de ces manifestations, pour autant que ces règles soient conformes aux dispositions des articles 19 et 21 du Pacte. En l’absence de réponse de l’État partie en l’espèce, le Comité estime qu’une règle générale soumettant l’expression publique d’opinions politiques par une seule personne à autorisation préalable ne répond pas aux critères de nécessité et de proportionnalité prévus au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Par conséquent, le Comité conclut que, dans la présente affaire, l’État partie a violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à l’auteur. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures nécessaires pour rembourser à l’auteur l’amende qu’il a payée et tous les frais de procédure qu’il a pu engager. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que de telles violations se reproduisent. À cet égard, le Comité note que l’État partie devrait réviser sa législation sur les manifestations publiques, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre du paragraphe 2 de l’article 2, afin de garantir la pleine jouissance sur son territoire des droits consacrés à l’article 19 du Pacte.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement en biélorusse et en russe.