Nations Unies

CCPR/C/125/D/2238/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 mai 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no2238/2013 * , **

Communication présentée par :

N. P. S. S. et M. K. (représentés par un conseil, Stewart Istvanffy)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Canada

Date de la communication :

13 mars 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 mars 2013 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

29 mars 2019

Objet :

Expulsion vers l’Inde

Question(s) de procédure :

Griefs non étayés ; incompatibilité avec le Pacte

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; droit à la vie ; interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants ; garanties procédurales avant expulsion d’un étranger et droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable

Article(s) du Pacte :

2, 6, 7, 13 et 14

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1Les auteurs de la communication sont N. P. S. S. et M. K., tous deux de nationalité indienne. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2, 6, 7, 13 et 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 mai 1976.

1.2Le 25 mars 2013, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de ne pas expulser N. P. S. S. vers l’Inde tant que sa communication était à l’examen devant le Comité et de lui communiquer des renseignements concernant les documents de voyage de M. K. Le 28 mai 2013, l’État partie a demandé la levée des mesures provisoires et a informé le Comité qu’il avait délivré à M. K. des documents de voyage valides (voir par. 4.5 ci‑après). Le 21 juin 2013, le Rapporteur spécial a décidé de rejeter la demande de levée des mesures provisoires concernant N. P. S. S. et a élargi ces mesures à M. K. Les auteurs se trouvent actuellement au Canada.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 2 août 2000, des policiers du Penjab se sont présentés au domicile de N. P. S. S au Penjab pour lui demander des informations sur son cousin, soupçonné d’être « un militant ». Ils ont arrêté N. P. S. S. et l’ont interrogé et torturé. L’intéressé a été libéré deux jours plus tard.

2.2En janvier 2001, M. K. a épousé G. S. qui, à cette époque, résidait principalement en Allemagne. M. K. affirme que, pendant son mariage, sa belle-famille la traitait comme une esclave et une domestique et que, quand son époux était en Inde, il lui faisait subir des violences physiques et sexuelles. Quand elle n’a plus pu supporter ces violences, elle a demandé le divorce, mais ni son époux ni sa belle-famille ne se sont présentés au tribunal, considérant que la procédure portait atteinte à leur honneur. Le divorce a été prononcé sans que le premier époux de M. K., G. S., ne s’y oppose. En janvier 2007, les auteurs se sont mariés, avec le soutien de leur famille.

2.3La nouvelle du mariage des auteurs a été mal accueillie par la famille de G. S., qui avait des liens étroits en Inde avec la police et des responsables politiques. Plus précisément, l’oncle de G. S. était lui-même policier et son père membre du Parti du Congrès. Depuis l’Allemagne, G. S. a pris contact avec N. P. S. S. et l’a menacé de le tuer s’il ne quittait pas M. K. De plus, l’oncle et le père de G. S. se sont rendus avec des policiers au domicile des auteurs au Penjab pour les forcer à divorcer. Les auteurs ont néanmoins décidé de rester unis.

2.4Le 9 novembre 2007, des policiers du Penjab se sont de nouveau rendus au domicile des auteurs et les ont arrêtés. Au poste de police, N. P. S. S. a été interrogé et torturé. De son côté, M. K. a été interrogée, torturée et violée. Elle a ensuite été de nouveau violée, devant N. P. S. S., par un inspecteur de police. Le père de G. S. a dit à N. P. S. S. que désormais son épouse ne pourrait plus être respectée ni vivre dignement dans la société indienne. Pour protéger son épouse, N. P. S. S. s’est engagé à divorcer. Après l’intervention de nombreuses personnalités et le paiement d’un pot-de-vin conséquent, les auteurs ont été remis en liberté le 12 novembre 2007. Leurs empreintes digitales ont été relevées, ils ont dû signer des formulaires vierges, et N. P. S. S. a reçu l’ordre de se présenter chaque mois au poste de police.

2.5Pour toutes ces raisons, les auteurs ont fui le Penjab pour se rendre à Delhi. Ils se sont toutefois rapidement rendu compte que la police était toujours à leur poursuite. De décembre 2007 à juin 2008, les auteurs ont été hébergés à Delhi par un ami. Craignant pour leur sécurité, ils ne sont jamais sortis de la maison. En raison des pressions exercées contre eux et leur famille, ils ont finalement décidé de quitter l’Inde.

2.6En juin 2008, après être passés par Singapour et Hong Kong (Chine), les auteurs sont entrés au Canada avec des visas de visiteur. Deux semaines après leur arrivée, ils ont demandé le statut de réfugié. En octobre 2010, ils ont été entendus par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Le 11 avril 2011, la Commission a rejeté leur demande au motif qu’il existait une possibilité de refuge intérieur en Inde. Les auteurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision, demande qui a été rejetée en août 2011.

2.7Leur demande de statut de réfugié ayant été rejetée, les auteurs ont déposé une demande d’examen des risques avant renvoi et une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, afin de pouvoir rester au Canada. Le 5 avril 2012, ces deux demandes ont été rejetées par deux décisions distinctes. Toutes les nouvelles preuves des risques auxquels les auteurs étaient exposés ont été écartées au motif que les auteurs avaient une possibilité de refuge intérieur en Inde et en raison de doutes quant aux documents présentés comme preuves, alors même que l’Organisation des droits de l’homme du Penjab, l’une des principales organisations des droits de l’homme de la région, en avait confirmé l’authenticité. Les auteurs ont saisi la Cour fédérale de ces décisions de rejet, mais le contrôle judiciaire leur a été refusé dans les deux cas.

2.8Le 12 octobre 2012, les auteurs, affirmant qu’ils avaient de nouvelles preuves des risques qu’ils courraient s’ils étaient renvoyés en Inde, ont déposé une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi. À titre de nouveaux éléments de preuve, ils ont soumis plusieurs affidavits d’éminentes personnalités et de membres de leur famille, qui confirmaient les faits allégués. Cette nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi n’a toutefois jamais été examinée, car la loi interdit de présenter une nouvelle demande dans les douze mois suivant la réception d’une décision de rejet. Les auteurs ne pouvaient donc pas présenter de nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi aux autorités canadiennes chargées des demandes d’asile avant le 5 avril 2013.

2.9Le 4 mars 2013, les auteurs ont formé une demande d’autorisation de soumettre au contrôle judiciaire la décision de renvoi de N. P. S. S., afin que l’exécution en soit reportée. Ils ont également déposé une requête en sursis au renvoi. Le 20 mars 2013, la Cour fédérale a refusé de connaître de cette requête.

2.10Les auteurs affirment avoir utilisé tous les moyens prévus par le droit canadien, qui ne semble pas offrir de recours utile permettant de remédier aux erreurs commises. Ils ont aussi présenté une demande de jugement déclaratoire concernant le délai d’un an à respecter avant le dépôt d’une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi.

2.11Enfin, les auteurs ont informé le Comité qu’en septembre 2011 une procédure pénale reposant sur des accusations mensongères avait été engagée en Inde contre N. P. S. S., pour des faits qui se seraient produits alors qu’il était déjà au Canada. En octobre 2011, le tribunal du sous-district de Dasuya a inscrit N. P. S. S. sur une liste de personnes recherchées, et il risquerait donc fort d’être placé en détention et torturé s’il était renvoyé en Inde.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent qu’il existe de très solides éléments de preuve démontrant qu’ils risquent toujours d’être victimes de graves sévices, d’actes de torture ou d’un crime d’honneur en Inde.

3.2Les auteurs affirment que leur droit à une procédure régulière et à un recours utile a été violé car ils n’ont pas eu la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve. Ils ajoutent que le fait de leur avoir refusé, sans examen des nouveaux éléments de preuve, l’accès à un recours administratif ou judiciaire constitue une violation de leur droit à voir leur cause entendue par une autorité compétente afin d’obtenir justice.

3.3Les auteurs font valoir que l’interdiction de renvoyer une personne vers un lieu où elle risque d’être torturée ou d’être victime d’une exécution extrajudiciaire est une norme fondamentale du droit international garantie par les articles 6 et 7 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 du même instrument.

3.4Les auteurs affirment que, du fait de l’impossibilité de faire examiner une affaire au fond en raison du délai d’un an qui doit s’écouler pour qu’une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi puisse être déposée, ils sont privés de tout recours utile, ce qui constitue une violation de l’article 13 du Pacte.

3.5Enfin, les auteurs soutiennent qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte en raison des « nombreuses violations du droit de chacun de voir sa cause entendue et du droit à un recours utile ». En particulier, ils mentionnent à cet égard : a) le fait que la Cour fédérale a refusé de connaître de leur requête en sursis au renvoi pour des raisons « peu convaincantes », les privant ainsi d’un procès équitable ; et b) le fait que leur deuxième demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée pour des raisons de procédure.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses observations datées du 17 mai 2013, l’État partie a informé le Comité que M. K. ne possédait pas de document de voyage valide parce que son passeport était arrivé à expiration, et que le Canada coopérait avec l’Inde en vue de lui obtenir un document de voyage, puisqu’elle faisait l’objet d’une mesure de renvoi valide.

4.2L’État partie fait valoir qu’il n’est pas approprié en l’espèce de prendre des mesures provisoires. Il soutient que les risques de torture ou de graves sévices que les auteurs disent courir sont liés à un différend familial au sujet de leur mariage.

4.3L’État partie soutient en outre que les autorités canadiennes ont évalué le risque de torture et de traitements cruels que courraient les auteurs s’ils étaient renvoyés en Inde et ont estimé que les intéressés avaient une possibilité de refuge intérieur raisonnable et pouvaient vivre dans d’autres régions de l’Inde que le Penjab. Il ajoute que rien dans la présente communication n’atteste que les auteurs n’ont pas de possibilité de refuge intérieur. L’État partie fait aussi valoir que le principe selon lequel il appartient aux personnes de chercher à réduire au minimum le risque de préjudice en se réinstallant dans une autre région de leur pays lorsque cela est possible est bien établi en droit international des réfugiés et reconnu par la jurisprudence des organes conventionnels de défense des droits de l’homme. L’État partie soutient qu’il est raisonnable d’attendre des auteurs qu’ils s’installent dans une autre région de l’Inde, où ils ne courront aucun risque que des membres de leur famille n’approuvant pas leurs choix de vie les importunent ou leur portent préjudice. Il ajoute qu’aucun des auteurs n’est une personne en vue ou engagée politiquement qui pourrait susciter l’intérêt de la police ou d’autres autorités étatiques dans l’ensemble du pays. En outre, rien ne prouve que des membres de la famille des auteurs ou de l’ancienne belle-famille de M. K. pourraient obtenir l’assistance de la police ou d’autres autorités de l’État dans toute l’Inde. L’État partie soutient que, si les auteurs courent un risque, celui-ci est purement local, ou du moins limité à la région du Penjab.

4.4En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve soumis par les auteurs à l’appui de leur deuxième demande d’examen des risques avant renvoi, déposée en octobre 2012, l’État partie fait valoir que cette demande n’a pas encore été examinée en raison des modifications récemment apportées à la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Les personnes dont la demande d’asile a été rejetée doivent désormais attendre douze mois avant de pouvoir déposer une demande d’examen des risques avant renvoi. L’État partie affirme que l’objectif est de rationaliser la procédure d’asile en évitant que la même situation soit soumise plusieurs fois à évaluation à des intervalles trop rapprochés et de dissuader les demandeurs de déposer des demandes infondées dans le but de retarder leur renvoi du Canada. Les auteurs pouvaient de nouveau déposer une demande d’examen des risques avant renvoi à compter du 5 avril 2013. En conséquence, étant donné que le droit interne ménage aux auteurs la possibilité d’une nouvelle évaluation des risques, l’État partie estime qu’il n’est pas approprié à ce stade de formuler des observations sur les nouveaux éléments de preuve joints à la communication, car ils n’ont pas encore été examinés par un agent d’examen des risques avant renvoi. Il indique que, si les auteurs ne déposent pas une deuxième demande d’examen des risques avant renvoi dans un délai raisonnable, la présente communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Il fait en outre observer que cette communication est, au moins en partie, fondée sur de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas encore été examinés par les autorités nationales.

4.5Dans ses observations datées du 28 mai 2013, l’État partie a fait savoir au Comité qu’il avait obtenu un document de voyage valide pour M. K. et a demandé la levée des mesures provisoires. Il a également informé le Comité que, le 9 mai 2013, les auteurs avaient déposé une deuxième demande d’examen des risques avant renvoi, qui serait examinée en temps voulu par les autorités nationales. L’État partie fait observer que, selon la loi canadienne, cette demande ne fait pas obstacle au renvoi des auteurs en Inde.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.Dans leurs commentaires datés du 19 juin 2013, les auteurs ont informé le Comité que la requête en sursis au renvoi de M. K., alors enceinte de six mois, avait été rejetée par une décision du 12 juin 2013. Ils ajoutent que l’Agence des services frontaliers du Canada a demandé à M. K. de lui présenter un billet valide pour son retour en Inde avant le 24 juin 2013. Les auteurs soulignent qu’il est indiqué dans cette décision que ni la grossesse de M. K. ni le fait qu’une demande d’examen des risques avant renvoi soit pendante ne font obstacle au renvoi de l’intéressée. Les auteurs ont aussi informé le Comité qu’ils avaient demandé l’autorisation de faire appel de cette décision.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1Dans ses observations datées du 16 septembre 2013, l’État partie présente un résumé des faits et de la procédure en droit interne concernant la présente communication. Il affirme que la communication est irrecevable ou, à titre subsidiaire, dénuée de fondement.

6.2L’État partie affirme que les griefs des auteurs concernant des violations des articles 6 et 7 du Pacte sont insuffisamment étayés et donc irrecevables. Il fait valoir que les auteurs n’ont pas établi, même prima facie, que leur renvoi en Inde aurait pour « conséquence nécessaire et prévisible » qu’ils seraient tués ou torturés.

6.3L’État partie fait valoir que les difficultés que rencontrent les auteurs sont liées à un divorce et un remariage datant de plus de six ans. Il ajoute que ces difficultés sont locales par nature et limitées au Penjab, d’où sont originaires les auteurs. Ceux-ci n’ont pas établi qu’ils ne pourraient pas vivre à l’abri de tout risque personnel dans une autre région de l’Inde.

6.4L’État partie note que la possibilité de refuge intérieur est un élément reconnu de l’évaluation du risque en droit international, chacun devant chercher, dans la mesure du possible, à réduire le risque de préjudice en s’installant dans une autre région de son pays. Il soutient que rien, dans la présente communication, ne prouve que les auteurs ne pourraient pas vivre à l’abri des risques en dehors du Penjab. L’État partie fait observer d’une part que la Section de la protection des réfugiés, après avoir examiné les éléments de preuve et entendu les auteurs, a conclu que ceux-ci avaient effectivement des possibilités de refuge intérieur, qu’il était objectivement raisonnable d’attendre d’eux qu’ils s’installent dans une autre région du pays, et que leurs persécuteurs n’auraient vraisemblablement ni la volonté ni la capacité de les y retrouver. Cette conclusion s’appuyait sur des données compilées par le Royaume-Uni et issues de recherches danoises, américaines et canadiennes, dont il ressortait que les sikhs pouvaient s’installer en dehors du Penjab sans que la police intervienne. L’État partie souligne aussi que la Section de la protection des réfugiés a indiqué que les auteurs avaient vécu six mois à Delhi et que, même s’ils affirment n’être pas sortis pendant toute cette période, ils n’avaient eu aucun problème. Il fait observer d’autre part que l’agent d’examen des risques avant renvoi a examiné de nouveaux éléments de preuve montrant que N. P. S. S. a été inscrit sur une liste de personnes recherchées. Toutefois, il a conclu que les documents fournis par les auteurs à l’appui de cette allégation n’avaient pas de valeur probante, car ils présentaient plusieurs vices de forme. De plus, les auteurs n’ont pas su expliquer comment ils avaient obtenu ces documents. Par conséquent, l’État partie affirme que les auteurs n’ont pas établi qu’ils courraient personnellement un risque réel de subir un préjudice s’ils étaient renvoyés en Inde et n’ont fourni aucune preuve attestant que les autorités canadiennes s’étaient montrées partiales ou arbitraires, ou ne leur avaient pas permis de faire examiner leurs griefs de manière équitable et approfondie.

6.5En ce qui concerne les « nouveaux éléments de preuve » soumis par les auteurs au Comité, l’État partie observe qu’il s’agit seulement d’affidavits émanant de particuliers et attestant du risque que les auteurs courraient s’ils retournaient dans leur ville d’origine au Penjab. Il affirme par conséquent que, cette fois encore, les auteurs n’ont pas prouvé qu’ils courraient un risque réel et prévisible de subir un préjudice sur l’ensemble du territoire indien.

6.6S’agissant des griefs que les auteurs tirent de l’article 13 du Pacte, l’État partie fait valoir qu’ils sont irrecevables parce qu’ils ne sont pas étayés.

6.7L’État partie rejette l’allégation selon laquelle l’interdiction de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi pendant douze mois constitue un manquement à ses obligations au titre de l’article 13 du Pacte. Il observe que les risques courus par les auteurs dans leur pays d’origine ont déjà été évalués en profondeur lors d’une audition devant la Section de la protection des réfugiés et une deuxième fois dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi. Il estime qu’un nouvel examen dans les douze mois n’est en général pas nécessaire. Il affirme en outre que, dans le cas où la situation dans le pays a évolué, il est possible de déposer une demande d’examen des risques avant renvoi avant la fin de ce délai. L’État partie indique aussi que les demandeurs, qui allèguent disposer de nouvelles preuves qu’ils courent un risque personnel, ont la possibilité de demander un sursis à leur renvoi. Il estime que les « nouvelles informations » qu’ils ont soumises aux autorités n’apportent pas réellement d’éléments nouveaux ; s’il en était allé différemment, le respect du délai de douze mois pendant lequel une nouvelle demande ne peut être présentée n’aurait pas été exigé.

6.8L’État partie soutient que les procédures contestées par les auteurs satisfont à toutes les garanties énoncées à l’article 13 du Pacte. Il relève : a) que la cause des auteurs a été entendue par un tribunal indépendant ; b) que les intéressés étaient représentés par un conseil ; et c) qu’ils ont pleinement eu la possibilité de participer à la procédure (oralement et par écrit), de demander le contrôle judiciaire des décisions de rejet, et de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi et une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire.

6.9L’État partie fait en outre observer que l’article 13 ne confère pas aux étrangers un droit général à l’asile ou le droit de demeurer sur le territoire d’un État partie. Une fois leurs visas de visiteur arrivés à expiration, les auteurs étaient autorisés à rester au Canada en attendant qu’il soit statué sur leur demande de statut de réfugié et leurs demandes d’examen des risques avant renvoi et de résidence permanente pour considérations humanitaires. L’État partie affirme que l’article 13 ne porte que sur la procédure et non sur les motifs de fond de l’expulsion, et que son objectif est d’éviter les expulsions arbitraires.

6.10S’agissant des griefs des auteurs concernant une violation de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme qu’ils sont irrecevables parce qu’incompatibles avec les dispositions du Pacte. Il fait valoir que la procédure contestée par les auteurs ne visait à décider ni « du bien-fondé de toute accusation en matière pénale », ni « de contestations sur [leurs] droits et obligations de caractère civil ». Il estime par conséquent que les dispositions de l’article 14 relatives aux poursuites pénales ne sont pas applicables à la présente communication.

6.11En outre, l’État partie conteste les allégations des auteurs selon lesquelles il y aurait eu de nombreuses violations du droit de chacun à ce que sa cause soit entendue ou du droit à un recours utile. Il rappelle que les risques courus par les auteurs ont fait l’objet de deux évaluations, qui ont été réexaminées par la Cour fédérale ; que les auteurs ont demandé une troisième évaluation (deuxième demande d’examen des risques avant renvoi) ; qu’ils ont présenté une demande de résidence permanente pour considérations humanitaires ; et qu’ils ont demandé l’autorisation de soumettre au contrôle judiciaire les décisions administratives de renvoi les concernant. L’État partie fait par conséquent valoir qu’on voit mal en quoi le droit des auteurs à ce que leur cause soit entendue ou leur droit à un recours utile auraient été violés. Enfin, l’État partie souligne que les auteurs sont mécontents que les autorités canadiennes aient estimé qu’ils n’avaient pas besoin d’une protection parce qu’ils pouvaient s’installer sans risque réel dans une autre région de l’Inde et il fait observer à cet égard que le fait que les auteurs ne soient pas satisfaits ne prouve pas l’existence d’une violation de leurs droits procéduraux.

6.12En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 2 du Pacte formulées par les auteurs, l’État partie fait valoir que cet article ne consacre pas un droit indépendant à un recours et ne peut pas être invoqué de manière indépendante dans une communication si aucune violation du Pacte n’aété établie. Il soutient qu’étant donné que les auteurs n’ont pas établi l’existence d’une telle violation, ces allégations sont incompatibles avec les dispositions du Pacte. Il ajoute que, quand bien même l’article 2 énoncerait un droit indépendant, cette disposition n’aurait pas été violée, car les auteurs ont eu accès à plusieurs recours utiles permettant l’examen de leurs griefs.L’État partieaffirme que les auteurs n’ont pas démontré en quoi ces procédures, prises individuellement ou dans leur ensemble, ne satisferaient pas à ses obligations.

6.13Enfin, l’État partie fait observer qu’il n’appartient pas au Comité de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve, sauf si l’appréciation des juridictions internes a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Dans le même ordre d’idées, l’État partie fait valoir que les éléments présentés par les auteurs ne permettent pas de conclure que les décisions des autorités canadiennes ont été entachées de telles irrégularités.

Commentaires des auteurs sur les observations complémentaires de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

7.1Dans des commentaires datés du 30 octobre 2015, les auteurs réitèrent leurs arguments concernant la recevabilité et le fond. Ils soutiennent que les preuves présentées sont accablantes et qu’il n’y a aucune raison objective de ne pas en tenir compte. Ils se disent victimes d’une décision « arbitraire et discriminatoire » et affirment qu’« il y a eu un déni de justice ».

7.2Les auteurs soutiennent que l’examen des risques avant renvoi ne constitue pas un recours utile propre à garantir le respect de l’interdiction de refouler des personnes qui courent un risque réel d’être torturées. Ils soutiennent que la Cour fédérale du Canada n’assure pas le respect du principe du non-refoulement et n’offre aucun recours clair et efficace aux victimes de torture qui sollicitent une protection contre l’expulsion. Ils affirment que le droit international est systématiquement méconnu dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi et de la procédure de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

7.3Les auteurs réaffirment qu’ils ont épuisé tous les recours utiles. Ils informent le Comité que leur deuxième demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée en décembre 2014 et qu’en septembre 2013, après la naissance de leur fils, ils ont déposé une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire.

7.4Les auteurs font valoir que les preuves qu’ils ont soumises montrent qu’ils sont toujours en danger et qu’ils courent de nouveaux risques et qu’elles n’auraient donc pas dû être écartées. Ils soutiennent que l’analyse des autorités canadiennes a été arbitraire et erronée et a constitué un véritable déni de justice. Ils se disent choqués du peu de cas que les autorités canadiennes ont fait de la lettre de l’Organisation des droits de l’homme du Penjab produite en tant que nouvel élément de preuve.

7.5Les auteurs soutiennent que le rejet de leur demande d’examen des risques avant renvoi pour des motifs purement procéduraux, en dépit de tous les éléments montrant qu’il existait un risque réel de torture, est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et aux obligations internationales du Canada en matière de droits de l’homme. Ils affirment qu’une décision politique a été prise de refuser d’accorder aux sikhs victimes de torture une protection au Canada au motif qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur en Inde, et que les agents d’examen des risques avant renvoisont formés à rejeter leurs demandes. Ces agents ne sont donc ni indépendants ni impartiaux. Les auteurs soutiennent que le rejet de la plupart des nouveaux éléments de preuve qu’ils ont présentés, au motif qu’ils concernaient des allégations qui avaient déjà été formulées, est un exemple de ce manque d’impartialité. Ils affirment également que la décision de la Cour fédérale de ne pas surseoir à leur expulsion montre qu’ils n’ont pas eu accès à un recours utile. Ils font observer qu’ils ont été déboutés au motif qu’ils alléguaient les mêmes risques que précédemment. Ils affirment que le système de justice canadien ne prévoit « aucun moyen de corriger les erreurs manifestes qui pourraient avoir pour conséquence la torture ou la mort ». Les auteurs soutiennent qu’étant donné que la Cour fédérale contrôle uniquement la procédure mais ne connaît pas du fond de l’affaire, sa saisine ne constitue pas un recours utile au sens de l’article 2 du Pacte.

7.6Les auteurs font observer que de nombreux sikhs victimes de torture se voient refuser une protection internationale au Canada et sont expulsés vers l’Inde en raison d’un grave malentendu quant à ce qui constitue une possibilité de refuge intérieur. Ils estiment que cette possibilité ne devrait être retenue que lorsque la victime de torture bénéficie de la protection de l’État ou dispose d’une autre solution raisonnable. Ils soutiennent qu’ayant été pris pour cible par les autorités étatiques de l’Inde et le parti politique dominant, ils ne peuvent pas vivre dans une autre région de l’Inde. Ils disent avoir de nombreuses preuves de la pression policière qu’ils continuent de subir et des recherches dont ils font toujours l’objet. Par le passé, des membres de leur famille ont été pris pour cible en raison de leurs activités politiques et ont été torturés ou victimes de disparitions forcées. Les auteurs soutiennent qu’il y a suffisamment de preuves pour affirmer que leur cas est de nature à attirer l’attention des autorités.

7.7Les auteurs soutiennent qu’ils n’ont pas de possibilité de refuge intérieur et qu’en droit des réfugiés les personnes prises pour cible par des représentants de l’État sont généralement considérées comme n’ayant pas de possibilité réaliste de refuge intérieur. Ils ajoutent qu’il n’existe pas de possibilité de réinstallation dans une autre région de l’Inde pour les personnes dans leur situation.

7.8Les auteurs affirment que les procédures canadiennes d’analyse des risques en cas de renvoi souffrent de carences graves et systémiques qui entraînent actuellement des violations massives du droit international. Ils soutiennent que les décisions issues de l’examen des risques avant renvoi les concernant ont été adoptées sans tenir compte du contexte, à savoir les violations des droits de l’homme dont sont victimes les sikhs et la culture d’impunité dont bénéficie la police du Penjab.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer s’il est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. En l’absence d’objection de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les conditions requises par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

8.4Le Comité note que les auteurs affirment que, s’ils étaient renvoyés en Inde, les droits qu’ils tiennent des articles 6 et 7 du Pacte seraient violés. Il relève toutefois qu’après un examen approfondi, la Section de la protection des réfugiés de la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande d’asile au motif que : a) ils avaient une possibilité raisonnable de fuite interne, étant donné que leurs difficultés étaient locales par nature et limitées au Penjab, d’où ils sont originaires ; b) ils n’avaient pas établi qu’il leur serait impossible de vivre à l’abri de tout risque personnel dans une autre région de l’Inde que le Penjab ; et c) ils n’avaient pas démontré qu’ils avaient eu des problèmes quand ils vivaient à Delhi, ni fourni la moindre preuve de l’existence d’un risque concret de préjudice dans cette ville. La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié formée par les auteurs a été rejetée par la Cour fédérale. L’agent d’examen des risques avant renvoi, faisant valoir qu’il existait une possibilité de fuite interne et que les nouveaux documents soumis par les auteurs n’avaient pas de valeur probante (voir par. 6.4), a estimé qu’il n’y avait pas de raison sérieuse de croire que la vie des intéressés serait menacée ou que ceux-ci seraient victimes d’un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. La Cour fédérale a aussi refusé d’autoriser le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’examen des risques avant renvoi. Enfin, la demande de résidence permanente dans l’État partie pour considérations d’ordre humanitaire déposée par les auteurs a été rejetée au motif que les intéressés n’avaient pas démontré qu’ils seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’ils étaient renvoyés en Inde.

8.5Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle c’est en règle générale aux autorités des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Il ne ressort pas des informations dont dispose le Comité que les procédures devant les autorités de l’État partie aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé les griefs qu’ils tirent des articles 6 et 7 du Pacte aux fins de la recevabilité et déclare ces griefs irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité note que les auteurs affirment que le délai de douze mois que les personnes dont la demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée doivent laisser s’écouler avant de présenter une nouvelle demande les a privés de tout recours utile, en violation de l’article 13 du Pacte. Il note que cet article impose à l’État partie de respecter plusieurs conditions en matière d’expulsion des étrangers, et que les expulsions doivent être réalisées « conformément à la loi ». Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, dans ce contexte, le terme « loi » renvoie au droit interne de l’État partie concerné, dont les dispositions pertinentes doivent bien entendu être conformes aux dispositions du Pacte. Il rappelle également que l’interprétation du droit interne est essentiellement du ressort des juridictions et des autorités de l’État partie concerné, et qu’il ne relève pas du pouvoir ou des fonctions du Comité de déterminer si les autorités compétentes de l’État partie en cause ont correctement interprété et appliqué le droit interne dans l’affaire qui lui est soumise en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, à moins qu’il soit établi qu’elles ne l’ont pas interprété ou appliqué de bonne foi ou qu’il y ait manifestement eu un abus de pouvoir. En l’espèce, il ne ressort pas des informations dont dispose le Comité que les procédures devant les autorités de l’État partie aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé les griefs qu’ils tirent de l’article 13 du Pacte aux fins de la recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7En ce qui concerne les griefs que les auteurs tirent de l’article 14 du Pacte, à savoir que leur droit à ce que leur cause soit entendue et leur droit à un recours utile n’ont pas été respectés, le Comité rappelle qu’aux fins du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, la notion de « contestations sur [l]es droits et obligations de caractère civil » renvoie à la nature du droit en question et non au statut de l’une des parties. En l’espèce, la procédure concerne le droit des auteurs de bénéficier d’une protection sur le territoire de l’État partie. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, la procédure relative à l’expulsion d’un étranger ne relève pas de la détermination de « droits et obligations de caractère civil » au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Il conclut que la procédure d’expulsion des auteurs ne relève pas du paragraphe 1 de l’article 14 et que le grief soulevé à ce titre est irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.8Enfin, pour ce qui est des griefs que les auteurs tirent de l’article 2 du Pacte, le Comité rappelle que les dispositions de cet article, qui énoncent des obligations générales à la charge des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Le Comité considère par conséquent que les griefs des auteurs à cet égard ne sauraient être accueillis et les déclare donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication, par l’intermédiaire de leur conseil.