Nations Unies

CCPR/C/126/D/2302/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 novembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2302/2013 * , ** , ***

Communication présentée par :

Juma Nazarov et consorts (représentés par des conseils, Shane H. Brady et Philip Brumley)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Turkménistan

Date de la communication :

28 août 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 (devenu l’article 92) du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 novembre 2013(non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

25 juillet 2019

Objet :

Objection de conscience au service militaire obligatoire

Question(s) de procédure :

Défaut de coopération de l’État partie

Question(s) de fond :

Liberté de conscience ; traitement inhumain et dégradant

Article(s) du Pacte :

7 et 18 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.Les auteurs de la communication sont Juma Nazarov (premier auteur), né en 1992, Yadgarbek Sharipov (deuxième auteur), né en 1992 également, et Atamurad Suvhanov (troisième auteur), né en 1986 ; tous trois sont de nationalité turkmène. Ils affirment que le Turkménistan a violé les droits qu’ils tiennent des articles 7 et 18 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er août 1997. Les auteurs sont représentés par des conseils.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont Témoins de Jéhovah. Au printemps de 2012, le Commissariat militaire a convoqué le premier auteur pour qu’il effectue le service militaire obligatoire. L’intéressé a expliqué aux représentants du Commissariat, oralement et par écrit, que ses convictions religieuses lui interdisaient d’accomplir le service militaire, et a de surcroît fourni des documents indiquant qu’il avait des problèmes de santé justifiant une exemption. Ses arguments n’ont pas été pris en compte et il a été poursuivi sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 219 du Code pénal, qui punit le fait de se soustraire au service militaire.

2.2Le premier auteur a été jugé par le tribunal du district Azatlyksky de la ville d’Achgabat. À l’audience, il a déclaré que l’appartenance au mouvement religieux des Témoins de Jéhovah, la lecture des Saintes Écritures et les principes que ces textes lui avaient inculqués lui interdisaient d’effectuer le service militaire. Ces arguments n’ont pas été pris en compte, non plus que les documents démontrant qu’il souffrait de problèmes de santé. Le 23 juillet 2012, le tribunal du district Azatlyksky a déclaré l’auteur coupable de l’infraction visée au paragraphe 1 de l’article 219 du Code pénal et l’a condamné à un an et demi d’emprisonnement. La mère de l’auteur a immédiatement tenté d’obtenir une copie du jugement auprès du juge et de la direction de la prison en vue de la formation d’un recours. Elle n’a pas pu obtenir ce document, et le premier auteur a donc été empêché d’exercer son droit de faire appel.

2.3En octobre 2012, le deuxième auteur a été convoqué aux fins du service militaire. Il a expliqué aux représentants du Commissariat militaire, oralement et par écrit, que ses convictions religieuses lui interdisaient d’effectuer ce service. Le 25 décembre 2012, il a été déclaré coupable de l’infraction visée au paragraphe 1 de l’article 219 du Code pénal et condamné à un an d’emprisonnement par le tribunal municipal de Dashoguz. Il a reçu une copie du jugement et a été immédiatement placé dans un centre de détention temporaire où le fait d’être Témoin de Jéhovah lui a valu d’être battu et humilié tous les jours pendant les dix jours qui ont précédé son transfèrement dans une colonie pénitentiaire. Il n’a pas déposé plainte contre l’administration pénitentiaire ni contre une autre administration car il avait peur de subir des représailles de la part des autorités de la prison et d’être encore davantage brutalisé. Le 17 janvier 2013, le tribunal régional de Dashoguz a rejeté le recours qu’il avait formé contre sa condamnation.

2.4Le 17 décembre 2004, le troisième auteur a été condamné à un an et demi d’emprisonnement, sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 219 du Code pénal, pour avoir refusé d’effectuer le service militaire. Il a été libéré quatre mois plus tard, après avoir été gracié par décret présidentiel. Toutefois, le 13 décembre 2012, il a reçu une nouvelle convocation. Il a encore une fois expliqué aux représentants du Commissariat militaire, oralement et par écrit, que ses convictions religieuses lui interdisaient d’accomplir le service militaire. Le 13 mars 2013, le tribunal municipal de Dashoguz l’a déclaré coupable de l’infraction visée au paragraphe 1 de l’article 219 du Code pénal et condamné à un an d’emprisonnement. Il a reçu une copie du jugement et a été immédiatement placé en état d’arrestation. Pendant sa détention, il a été frappé et humilié parce qu’il était Témoin de Jéhovah. Il n’a pas déposé plainte contre l’administration pénitentiaire ou une autre administration car il avait peur de subir des représailles de la part des autorités de la prison et d’être encore davantage brutalisé. Dès le prononcé du jugement, il a fait appel de sa condamnation auprès du tribunal régional de Dashoguz, qui a renvoyé le recours au tribunal municipal pour examen. Il ne s’est pas vu notifier de décision, mais suppose qu’il a été débouté puisqu’il est toujours en détention.

Teneur de la plainte

3.1Les trois auteurs disent avoir été victimes, pendant leur détention, des traitements inhumains et dégradants décrits ci-après, au mépris de l’article 7 du Pacte.

3.2Les auteurs affirment que leur placement en détention pour objection de conscience doit en soi être considéré comme un traitement inhumain et dégradant. Ils renvoient aux décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Bayatyan c. Arménie (requête no 23459/03) et dans d’autres affaires similaires dans lesquelles la Cour a estimé que le fait pour l’État partie de refuser aux membres de minorités religieuses la possibilité de servir la société au même titre que leurs concitoyens participait d’un grand manque de respect à leur égard.

3.3Les deux premiers auteurs soutiennent que les conditions dans lesquelles ils ont été détenus dans la colonie pénitentiaire LBK-12 de Seydi (Turkménistan) ont incontestablement aussi constitué une peine ou un traitement inhumain et dégradant. Les conditions de détention dans cette colonie ont été décrites dans le détail dans d’autres communications soumises au Comité, notamment, Nasyrlaiev c. Turkménistan (CCPR/C/117/D/2219/2012). Dans ses observations finales de 2011, le Comité contre la torture s’est dit profondément préoccupé par les allégations nombreuses et concordantes dénonçant la pratique généralisée de la torture et des mauvais traitements à l’encontre des détenus au Turkménistan (CAT/C/TKM/CO/1, par. 6). Dans un rapport de 2010, l’association des avocats indépendants du Turkménistan a décrit la LBK-12 comme une colonie pénitentiaire surpeuplée où il y avait pénurie de nourriture, de médicaments et de produits d’hygiène personnelle. Selon le rapport, les détenus étaient maltraités risquaient fort de contracter la tuberculose. Ce risque a été constaté par le Comité international de la Croix-Rouge, qui a estimé que les prisons turkmènes étaient des foyers de la maladie.

3.4Le deuxième auteur ajoute que, pendant ses dix premiers jours de détention, qu’il a passés en quarantaine, il a été chaque jour frappé, humilié, et de manière générale gravement maltraité.

3.5Le troisième auteur soutient que les conditions de détention au centre de détention DZ/D7 sont constitutives de peine ou traitement inhumain ou dégradant. Dans la déclaration qu’il a faite le 21 mars 2013 (dans le cadre de la préparation de la communication), son frère allègue que, lorsqu’il lui a rendu visite le 19 mars 2013, il s’est clairement aperçu que les autorités le maltraitaient gravement et qu’il avait été battu et humilié en raison de ses convictions. En outre, le troisième auteur savait que sa conversation avec son frère était écoutée. Il a dit à son frère qu’il ne serait pas rapidement transféré dans une colonie pénitentiaire car les autorités voulaient le « briser ».

3.6Le troisième auteur avance que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte en le poursuivant pour une infraction pour laquelle il avait déjà été condamné. Il a été condamné à deux reprises pour avoir refusé d’accomplir le service militaire, ayant persisté à agir selon sa conscience.

3.7Les trois auteurs allèguent que le fait de les avoir poursuivis, déclarés coupables et incarcérés au motif qu’ils ont refusé d’effectuer le service militaire obligatoire pour des raisons de convictions religieuses et de conscience constitue une violation des droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. Ils font observer qu’ils ont fait savoir aux autorités turkmènes qu’ils étaient disposés à s’acquitter de leur devoir civiques en accomplissant un service de remplacement, mais la législation de l’État partie ne prévoit pas cette possibilité.

3.8Les auteurs demandent au Comité d’inviter l’État partie : a) à les innocenter des accusations portées contre eux sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 219 du Code pénal ; b) à leur offrir une indemnisation appropriée pour le préjudice moral subi du fait de leur persécution et de leur condamnation et de les dédommager des frais de justice engagés.

3.9En ce qui concerne l’obligation d’épuisement des recours internes, le premier auteur soutient qu’il n’a pas pu interjeter appel de sa condamnation car les autorités ont refusé de lui fournir une copie du jugement et, sans ce document, aucun acte d’appel n’aurait été recevable. Il affirme en outre que, en tout état de cause, former un recours n’aurait servi à rien. Le deuxième auteur et le troisième ont pu saisir le tribunal régional de Dashoguz d’un recours fondé sur l’article 18 du Pacte et contester leurs condamnations au motif qu’elles reposaient sur leurs convictions religieuses. Ils estiment donc avoir satisfait à l’obligation d’épuiser les recours internes concernant ce grief. Ils n’ont pas déposé plainte pour dénoncer les traitements contraires à l’article 7 du Pacte qui leur ont été infligés car ils craignaient de subir des représailles brutales de la part des autorités de la prison et d’être encore davantage brutalisés. Les auteurs soutiennent donc qu’ils ont épuisé les recours internes en ce qui concerne tous leurs griefs.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.Par des notes verbales en date des 2 janvier 2014 et 23 février 2015, l’État partie a confirmé que les trois auteurs avaient été poursuivis et condamnés sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 219 du Code pénal et qu’ils avaient purgé leur peine dans la colonie pénitentiaire LBK-12.

Défaut de coopération de l’État partie

5.Les 15 mai, 30 octobre et 24 novembre 2014 et le 10 mars 2015, le Comité a prié l’État partie de présenter des observations détaillées concernant la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate toutefois qu’il n’a à ce jour reçu aucune observation de l’État partie, à l’exception de la confirmation que les auteurs ont effectivement été poursuivis et condamnés pour s’être soustraits au service militaire. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information concernant la recevabilité ou le fond de la communication et rappelle qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie est tenu de lui soumettre par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité accordera le crédit voulu aux allégations dûment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes disponibles. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il estime que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4S’agissant des allégations selon lesquelles les auteurs ont subi des mauvais traitements pendant leur détention, en de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité constate que les auteurs n’ont pas fourni suffisamment d’informations ou d’éléments de preuve montrant qu’ils ont été particulièrement soumis à des mauvais traitements ou détenus dans des conditions difficiles. En outre, les intéressés ne se sont pas plaints aux autorités des violations alléguées. Le Comité estime qu’étant donné le peu d’éléments qui figurent dans le dossier et l’absence d’explication détaillée de la part des auteurs et de leurs conseils, même si l’État partie n’a pas contesté les griefs formulés dans la communication, ceux-ci n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Le Comité estime aussi que les auteurs n’ont pas étayé leurs affirmations selon lesquelles leur détention elle-même constituait une violation de l’article 7 du Pacte. Au vu des circonstances présentées par les auteurs, il conclut que ces allégations ne sont pas suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le troisième auteur dit avoir été accusé et condamné à deux reprises à raison de la même infraction, d’abord en décembre 2004 puis en mars 2013, ce qui constituerait une violation des droits garantis par le paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte. Le Comité constate toutefois que l’intéressé n’a soumis aucun document (copie des mandats d’arrêt, des décisions de justice ou des registres d’écrou) de nature à confirmer sa condamnation de 2004 et à établir qu’il a été condamné une deuxième fois à raison de la même infraction. En conséquence, le Comité estime que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et la déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité estime que les auteurs ont suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs soulevés au titre du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. En l’absence de tout autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare recevable la partie de la communication qui concerne les griefs soulevés par les auteurs au titre du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs des auteurs, qui estiment que les droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte ont été violés car il n’existe pas, dans l’État partie, de service de remplacement au service militaire obligatoire et leur refus d’effectuer le service militaire en raison de leurs convictions religieuses leur a de ce fait valu d’être poursuivis au pénal et emprisonnés.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 22 (1993) sur la liberté de pensée, de conscience et de religion, dans laquelle il a dit que le caractère fondamental des libertés consacrées au paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte était reflété dans le fait que le paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte interdit toute dérogation à l’article 18, même en cas de danger public exceptionnel. Le Comité rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que, si le Pacte ne mentionne pas explicitement le droit à l’objection de conscience, l’existence de ce droit peut néanmoins être induite de l’article 18 en ce que l’obligation d’utiliser la force meurtrière peut être totalement inconciliable avec la liberté de pensée, de conscience et de religion. Le droit à l’objection de conscience est inhérent au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il permet à toute personne d’être exemptée du service militaire obligatoire si ce service ne peut être concilié avec le droit d’avoir et de manifester la religion ou les convictions de son choix, et son exercice ne doit pas être entravé par des mesures coercitives. Un État peut, s’il le souhaite, obliger l’objecteur de conscience à effectuer un service civil de remplacement ailleurs que dans l’armée et dans un cadre exempt de tout contrôle militaire, sachant que le service de remplacement ne doit pas revêtir un caractère punitif et doit présenter un véritable intérêt pour la société et être compatible avec le respect des droits de l’homme.

7.4En l’espèce, le Comité constate qu’il ne fait aucun doute que le refus des auteurs d’effectuer le service militaire obligatoire découle de leurs convictions religieuses. Il rappelle que réprimer le refus d’effectuer le service militaire obligatoire dans le cas de personnes dont la conscience ou la religion interdit l’usage des armes est incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. Il rappelle également que, lorsqu’il a examiné le deuxième rapport périodique de l’État partie, en mars 2017, il s’est déclaré préoccupé par la persistance des autorités turkmènes à ne pas reconnaître le droit à l’objection de conscience et à poursuivre et détenir les Témoins de Jéhovah refusant d’effectuer le service militaire obligatoire.Le Comité conclut qu’en l’espèce, l’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile aux auteurs. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie a l’obligation, notamment, de prendre les mesures voulues pour que toute mention de leur condamnation soit effacée de leur casier judiciaire et de leur accorder une indemnisation adéquate. Il est également tenu de prendre les mesures voulues pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité réaffirme que le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte donne à l’État partie l’obligation de réviser sa législation afin de garantir le droit à l’objection de conscience consacré au paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, par exemple en prévoyant la possibilité d’être exempté du service militaire ou d’accomplir un service civil de remplacement.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe

[Original : Français]

Opinion individuelle partiellement dissidente d’Hélène Tigroudja

1.Si je suis d’accord avec la décision du Comité de constater la violation de l’article 18 du Pacte, en revanche, je ne peux soutenir celle de déclarer irrecevable l’ensemble des griefs relatifs à l’article 7 du Pacte, soit l’interdiction des mauvais traitements, qui me semble en contradiction avec la jurisprudence bien établie du Comité relativement au même type d’allégations, dans le même contexte et contre le même État partie.

2.En ce qui concerne l’article 7 du Pacte, les griefs des auteurs dans la présente affaire sont de trois ordres : d’abord, les auteurs disent avoir fait l’objet de brutalités lors de leur arrestation ou de leur détention ; ensuite, ils soulèvent le caractère inhumain de leur placement en détention, puisque ce sont leurs convictions religieuses qui les empêchaient de remplir leurs obligations militaires ; enfin, ils se plaignent des conditions de détention dans la colonie pénitentiaire (par. 3.3, 3.4 et 3.5).

3.Je me range à l’avis du Comité concernant les deux premiers griefs, qui auraient pu être davantage étayés. En revanche, la question des conditions de détention aurait dû faire l’objet d’un examen plus attentif, suivant la jurisprudence antérieure du Comité.

4.En effet, dans un grand nombre de ses constatations, le Comité a accepté l’offre de preuves, qui n’était pas substantiellement différente, démontrant à la fois que la colonie pénitentiaire dans laquelle étaient détenus les auteurs des communications se situait dans un désert, aux conditions climatiques extrêmes en hiver comme en été ; qu’elle présentait des conditions d’hygiène et de vie déplorables ; qu’elle n’offrait aucune possibilité d’accès par des organismes tels que le Comité international de la Croix-Rouge ; et, surtout, que les détenus étaient dans l’impossibilité totale de se plaindre de leur traitement, sous peine de représailles.

5.Dans ces affaires, quatre éléments fondamentaux ressortent : premièrement, le Comité a accepté, pour étayer les conditions de détention, des informations générales telles qu’un rapport de 2010 produit par des avocats indépendants. Deuxièmement, le Comité a fait siennes les observations finales du Comité contre la torture sur le rapport initial du Turkménistan, détaillant les conditions de détention inhumaines dans la colonie pénitentiaire. Troisièmement, le Comité a relevé que compte tenu des risques de représailles et du fait qu’il n’existait pas de voies de recours internes effectives, les auteurs n’avaient pas à les épuiser. Quatrièmement, le Comité a, à plusieurs reprises, choisi de soulever d’office la violation de l’article 10 du Pacte, alors même que les auteurs ne l’avaient pas invoquée.

6.L’on peut donc raisonnablement déduire de cette jurisprudence antérieure du Comité qu’il existe des conditions objectives de détention dans la colonie pénitentiaire contraires au Pacte. Or, dans le présent cas, pour expliquer sa décision d’irrecevabilité, le Comité indique de manière laconique que les auteurs n’ont pas fourni suffisamment d’informations ou d’éléments de preuve permettant de penser qu’ils ont été personnellement soumis à des mauvais traitements ou détenus dans des conditions difficiles, et qu’ils ne se sont pas plaints aux autorités des violations alléguées. Le Comité estime qu’étant donné le peu d’éléments qui figurent dans le dossier et l’absence d’explication détaillée de la part des auteurs et de leurs conseils, les griefs n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité même si l’État partie n’a pas contesté les allégations (par. 6.4).

7.Ce passage est difficilement compréhensible. D’une part, il est admis par le Comité lui-même que le droit interne n’offre aucune voie de recours. Il n’est donc pas cohérent de tenir compte de l’absence de plainte auprès des autorités nationales comme preuve du caractère non étayé du grief. L’État partie, qui ne se défend pas, ne fait par ailleurs état d’aucune amélioration de ses procédures nationales. D’autre part, la colonie pénitentiaire étant exposée à des conditions climatiques extrêmes, reconnues comme telles par le Comité dans les affaires précitées, ainsi qu’à une absence d’hygiène − non réfutée par l’État partie −, il est curieux d’exiger des auteurs qu’ils démontrent en être « personnellement » victimes, ce climat extrême et insalubre s’imposant à toutes les personnes en détention dans la colonie pénitentiaire. Que les auteurs, en l’espèce, n’aient pas contracté la tuberculose n’est pas pertinent dans la mesure où dans ses décisions antérieures, le Comité attache de l’importance aux conditions climatiques très rudes dues aux fortes chaleurs de l’été et au froid glacial de l’hiver, ainsi qu’à l’absence de séparation entre les détenus sains et ceux souffrant de la maladie.

8.Aussi, pour ces raisons, non seulement le grief au titre de l’article 7 du Pacte aurait dû être déclaré recevable, mais les conditions de détention auraient dû conduire le Comité à conclure à la violation du Pacte.