Nations Unies

CCPR/C/123/D/2537/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 décembre 2018

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2537/2015 * , ** , ***

Communication présentée par :

Andrés Felipe Arias Leiva (représenté par un conseil, Víctor Javier Mosquera Marín)

Au nom de :

Andrés Felipe Arias Leiva

État partie :

Colombie

Date de la communication :

11 août 2014

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 janvier 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

27 juillet 2018

Objet :

Condamnation en premier et dernier ressort d’un ancien ministre par l’organe juridictionnel le plus élevé

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter une communication ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à une procédure régulière ; droit d’être entendu par un tribunal compétent, indépendant et impartial ; droit à la présomption d’innocence ; droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure ; égalité devant la loi ; droit de prendre part à la conduite des affaires publiques et d’être élu

Article(s) du Pacte :

7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 11, 14 (par. 1, 2, 3 a), b) et c), 5, 6 et 7), 15, 16, 17, 18, 19, 25 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Andrés Felipe Arias Leiva, de nationalité colombienne, né en 1973. Il affirme être victime d’une violation par l’État partie des droits qu’il tient des articles 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 11, 14 (par. 1, 2, 3 a), b) et c), 5, 6 et 7), 15, 16, 17, 18, 19, 25 et 26 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976.

1.2Le 21 janvier 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander à l’État partie de prendre des mesures provisoires en faveur de l’auteur au titre de l’article 92 du règlement intérieur du Comité.

1.3Le 23 mars 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément de celle du fond. Le 24 juin 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de rejeter la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

1.4Le 20 avril 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a décidé de demander à l’État partie d’envisager de prendre des mesures de protection pour prévenir tout acte de harcèlement à l’égard de l’avocat de l’auteur ou toute menace que l’on pourrait faire peser sur sa vie ou son intégrité physique en raison de son rôle dans la soumission de la présente communication, tant que celle-ci serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Entre 2005 et 2009, l’auteur a été Ministre de l’agriculture et a été responsable d’un programme agricole portant le nom de « Agro Ingreso Seguro » (revenu agricole sûr) (AIS). Aux fins de la mise en place et de l’exécution d’une partie de ce programme, l’auteur a conclu directement plusieurs accords de coopération scientifique et technologique avec l’Institut interaméricain de coopération pour l’agriculture. À une date non précisée, des irrégularités ont été constatées dans la gestion du programme AIS.

2.2L’auteur indique que, le 9 mars 2010, le Corps technique d’enquête du Bureau du Procureur général de la nation a conclu qu’il n’avait pas commis d’irrégularité. Le 19 août 2010, le Service du Contrôleur général est parvenu à la même conclusion concernant les mêmes faits.

2.3Le 12 avril 2010, le Service du Contrôleur général a ouvert une enquête préliminaire pour déterminer s’il y avait eu des irrégularités ayant des incidences fiscales dans la mise en œuvre du programme IAS, à laquelle des ressources publiques et des subventions auraient été affectées de manière irrégulière. Le 10 août 2010, le Service du Contrôleur général a décidé de classer l’enquête préliminaire.

2.4Selon l’auteur, le 13 octobre 2010, Mme V. M., qui à l’époque était journaliste au sein d’une chaîne de radio, a exprimé une opinion négative sur l’affaire de l’auteur et sur sa responsabilité pénale pour les irrégularités qui auraient été commises dans l’administration du programme de l’AIS. Par la suite, cette personne a été nommée Procureure générale de la nation et, avant d’être officiellement informée des accusations portées contre l’auteur, a participé activement à la procédure pénale engagée contre lui, sans se déporter pour avoir émis une opinion auparavant.

2.5En juillet 2011, l’auteur s’est vu infliger une sanction administrative par le Bureau du Procureur général de la nation pour les irrégularités commises lorsqu’il était responsable du programme AIS.

2.6Le 21 juillet 2011, dans le cadre d’une enquête trouvant son origine dans une plainte déposée en 2009, le Bureau du Procureur général de la nation a prononcé l’inculpation de l’auteur, en tant qu’ancien Ministre, devant le tribunal supérieur de Bogota. Le 16 septembre 2011, la Procureure générale a soumis à la Cour suprême de justice l’acte d’accusation visant l’auteur, accusé des infractions de conclusion de contrat en dehors des conditions fixées par la loi et de détournement de biens par appropriation, visées par les articles 410 et 297 du Code pénal (loi no 599 de 2000). Le 12 octobre 2011, la Procureure générale a officiellement accusé l’auteur de ces infractions et a demandé son placement en détention provisoire. L’auteur affirme que l’audience publique a eu lieu dans un théâtre, que le public a applaudi la mesure de placement en détention provisoire et que le ministère public a divulgué les numéros de téléphone de l’auteur et l’adresse de son domicile familial. La conséquence en a été que sa femme et ses enfants ont reçu des menaces par téléphone et que, deux jours après l’audience, son domicile a été cambriolé par des délinquants qui prétendaient appartenir au Bureau du Procureur général.

2.7L’auteur a été placé en détention provisoire par ordre du tribunal supérieur de Bogota. Il a sollicité sa remise en liberté à trois occasions audit tribunal, qui n’a pas accédé à sa demande car il estimait que l’auteur risquait d’influencer les témoins dans l’affaire. L’auteur affirme que le ministère public a usé de mesures dilatoires pour le maintenir en détention et a falsifié et altéré des éléments de preuve qui ont été présentés contre lui.

2.8L’auteur soutient que la juge de la Cour suprême de justice qui a conduit son procès a ordonné l’ouverture du procès de façon arbitraire, sans donner aux parties le temps nécessaire pour évaluer les éléments de preuve et préparer leur défense. L’auteur affirme qu’il a demandé à la Cour de respecter les délais prévus par la loi, afin qu’il puisse préparer sa défense.

2.9Le 14 juin 2013, le tribunal supérieur de Bogota a ordonné qu’il soit mis fin à la détention provisoire de l’auteur et que celui-ci soit remis en liberté.

2.10En octobre 2013, le Ministère de l’intérieur a procédé à une évaluation des risques pesant sur l’auteur et sur la vie des membres de sa famille, et les a déclarés personnes courant « un risque extraordinaire ». L’auteur indique que, dans ce contexte, et craignant pour sa vie et celle des membres de sa famille, il a décidé de quitter le pays et s’est rendu aux États-Unis d’Amérique le 14 juin 2014.

2.11Le 13 juin 2014, quarante-huit heures avant les élections présidentielles, la Cour suprême de justice a annoncé que l’auteur serait condamné pour irrégularités dans l’exécution du programme agricole. L’auteur affirme que la teneur de l’arrêt a été révélée à la presse à la suite d’une fuite.

2.12Le 17 juillet 2014, la Cour suprême de justice a condamné l’auteur à deux cent neuf mois (17 ans et 5 mois) de prison et à une amende de 30 800 000 000 de pesos pour les infractions de détournement de biens par appropriation et de conclusion de contrat en dehors des conditions fixées par la loi. Elle a en outre ordonné que l’auteur soit privé de ses droits civiques pour une période correspondant à celle de la peine principale et qu’il lui soit interdit d’exercer les fonctions publiques visées à l’article 122 de la Constitution, tel que modifié par l’acte législatif no 1 de 2004. Il était indiqué dans l’arrêt que celui-ci n’était pas susceptible de quelque recours que ce soit. L’auteur affirme que seulement cinq des huit juges de la Cour ont pris part à l’ensemble de la procédure pénale.

2.13En août 2014, l’auteur a demandé l’asile politique aux États-Unis pour lui et sa famille.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 11, 14 (par. 1, 2, 3 a), b) et c), 5, 6 et 7), 15, 16, 17, 18, 19, 25 et 26 du Pacte.

3.2L’auteur affirme que sa détention provisoire longue et injustifiée et les conditions dans lesquelles s’est tenue l’audience d’inculpation (par. 2.6) ont constitué un traitement cruel, inhumain et dégradant, contraire à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

3.3En ce qui concerne les paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte, l’auteur affirme que son droit à la liberté et à la sécurité a été violé par les actes décrits dans le paragraphe précédent, et par le fait que sa mise en détention provisoire a été ordonnée sans motif justifiant cette mesure. Le placement de l’auteur en détention provisoire était injustifié et n’était pas nécessaire dans son cas. L’auteur ajoute qu’il a été inculpé pour des infractions contre l’administration publique et que de telles infractions ne sont considérées comme graves dans aucun ordre juridique. Ses demandes d’annulation de la mesure de détention provisoire ont été rejetées arbitrairement par les autorités judiciaires.

3.4L’auteur affirme être victime d’une violation de son droit à l’égalité devant les tribunaux et à un « procès équitable », garanti par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il n’a pas été soumis au même traitement que d’autres coaccusés pendant le procès, étant le seul à avoir été placé en détention provisoire pendant « de nombreux mois ». Sa peine n’était pas proportionnée à la gravité de l’infraction et d’autres coaccusés jugés pour les mêmes faits ont été condamnés à des peines plus légères. Pendant le procès, il n’y a pas eu égalité des armes, car de manière générale le ministère public a davantage de pouvoirs lui permettant de recueillir et de présenter des éléments de preuve que la défense de l’accusé. L’auteur n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. L’auteur affirme que la Procureure générale n’était pas impartiale car elle avait un conflit d’intérêts découlant de problèmes personnels l’ayant opposée à son avocat dans le passé et elle s’était prononcée sur l’affaire de l’auteur lorsqu’elle travaillait comme journaliste pour une chaîne de radio. Par ailleurs, la juge rapporteuse de la Cour suprême de justice, qui a conduit le procès et a élaboré le projet d’arrêt de la Cour, a invoqué un empêchement à l’ouverture du procès, considérant qu’elle avait un conflit d’intérêts parce qu’elle était partie, en qualité de victime, à une autre procédure pénale engagée contre d’autres membres du Gouvernement de l’ancien Président Uribe, pour la surveillance illégale dont des magistrats de la Cour auraient fait l’objet. Cependant, la Cour n’a pas accepté sa demande et elle a continué de diriger le procès et a même élaboré le projet d’arrêt.

3.5L’auteur affirme que le droit à la présomption d’innocence, garanti par le paragraphe 2 de l’article 14, a également été violé du fait que la Procureure générale avait exprimé son opinion sur son affaire avant d’occuper cette fonction, quand elle était journaliste. Il considère que le fait que, dans le rapport d’activités du Bureau du Procureur général pour 2011, il soit fait état de son affaire dans la section intitulée « Cas à forte incidence » constitue également une violation de son droit à la présomption d’innocence. En outre, la Cour suprême de justice a évalué et apprécié les éléments de preuve produits pendant le procès de manière inappropriée, de sorte qu’elle a condamné l’auteur malgré le fait que ses actes n’étaient pas constitutifs de l’infraction de détournement de biens et qu’il n’ait pas conclu de contrat en dehors des conditions fixées par la loi.

3.6L’auteur affirme qu’il n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, en violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. Un rapport de la police judiciaire en date du 9 mars 2010, dans lequel il était indiqué que le Corps technique d’enquête du Bureau du Procureur général de la nation avait conclu que l’auteur n’avait pas commis d’irrégularité, n’a pas été admis comme élément de preuve par la Cour suprême de justice. Par ailleurs, la Cour a également rejeté la demande de l’auteur tendant à ce qu’il soit procédé à un test graphologique ayant pour objet de contester un document admis comme élément de preuve. La présidence de la République a également refusé de communiquer à l’auteur les procès-verbaux des séances du Conseil des ministres au cours desquelles le programme AIS avait été débattu.

3.7L’auteur soutient qu’il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable, en violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

3.8L’auteur affirme que la procédure de jugement des hauts fonctionnaires par la Cour suprême de justice en premier et dernier ressort prévue par l’article 235 de la Constitution est contraire au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Dans l’affaire le concernant, l’auteur n’a pas eu la possibilité de faire appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées par la Cour dans son arrêt du 17 juillet 2014.

3.9L’auteur affirme également que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 6 de l’article 14 car, comme il n’y a pas de juge ou de tribunal qui soit habilité à le faire, un autre juge n’a pas été en mesure d’annuler ultérieurement sa condamnation.

3.10L’auteur affirme qu’il a été jugé deux fois pour les mêmes faits, en violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte. En juillet 2011, le Bureau du Procureur général de la nation a infligé une sanction administrative à l’auteur pour des irrégularités commises dans le cadre du programme AIS, alors qu’il était Ministre. Cependant, la responsabilité de ces irrégularités lui a été imputée sans qu’il soit établi qu’il y ait eu intention délictueuse de sa part. Par la suite, les mêmes faits ont fait l’objet de la procédure pénale menée devant la Cour suprême de justice, laquelle a débouché sur sa condamnation. L’auteur ajoute que d’autres entités publiques avaient conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve indiquant que sa responsabilité pénale était engagée. Ainsi, par exemple, le ministère public avait initialement écarté l’idée que l’auteur puisse être pénalement responsable des irrégularités commises concernant les subventions accordées dans le cadre du programme AIS, le Service du contrôleur général avait classé l’enquête préliminaire, et le tribunal administratif de Cundinamarca, dans le cadre d’un procès engagé contre le conseiller juridique du Ministère − auquel l’auteur n’était pas partie −, avait conclu que les accords de coopération scientifique et technologique n’étaient pas illégaux.

3.11En ce qui concerne l’article 15 du Pacte, l’auteur affirme qu’il a été condamné pour des actes ou des omissions qui n’étaient pas des infractions, puisqu’il y avait absence de responsabilité en vertu de l’article 32 (par. 10) 1)) du Code pénal. La conclusion d’accords de coopération scientifique et technologique était fondée sur la conception commune que l’on en avait au sein du Ministère de l’agriculture et parmi ses experts juridiques et techniques, de sorte qu’en tout état de cause, l’auteur aurait commis une erreur d’une nature qui excluait sa responsabilité pénale. Même si tel n’était pas le cas et qu’il avait commis un acte fautif, en l’absence d’intention délictueuse cet acte ne serait pas passible de sanctions pénales. Il a donc été condamné pour des actions ou omissions qui n’étaient pas des infractions.

3.12L’auteur affirme être victime d’une violation par l’État partie des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 19 et de l’article 26 du Pacte, la procédure pénale engagée contre lui s’inscrivant dans le cadre de persécutions dont il fait l’objet de la part du Gouvernement actuel de l’État partie en raison de ses opinions politiques et de son opposition au processus de paix mené entre le Gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Il affirme que les autorités persécutaient les candidats potentiels à l’élection présidentielle qui a eu lieu le 15 juin 2014. Il est également victime de discrimination pour les mêmes motifs, laquelle l’empêche de jouir de ses droits civils et politiques, en particulier le droit de faire appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées contre lui par la Cour suprême de justice.

3.13Enfin, l’auteur affirme que l’ensemble de ces faits constituent une violation du droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine garanti par le paragraphe 1) de l’article 10 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par une note verbale en date du 23 mars 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication et a demandé au Comité de déclarer celle-ci irrecevable.

4.2L’État partie affirme que la communication présente les faits de manière déformée, partiale et inexacte et qu’elle comporte des jugements de valeur et des interprétations tendancieuses de principes de droit. En ce qui concerne les faits de l’espèce, il indique que, dans le cadre d’une plainte déposée en 2009, le ministère public, conformément à l’article 251 de la Constitution, a prononcé l’inculpation de l’auteur, en tant qu’ancien Ministre de l’agriculture et du développement rural, devant le tribunal supérieur de Bogota, le 21 juillet 2011. Le 12 octobre, le ministère public a mis l’auteur en accusation devant la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice, chargée de juger l’auteur.

4.3Le ministère public a demandé le placement de l’auteur en détention provisoire car certains éléments de preuve indiquaient qu’il y avait un risque d’entrave au bon fonctionnement de la justice. Le 21 juillet 2011, le tribunal supérieur de Bogota, agissant dans l’exercice de fonctions de contrôle des garanties, a ordonné le placement de l’auteur en détention provisoire, à l’issue d’une audience publique à laquelle a pris part le Bureau du Procureur général de la nation. Le 14 juin 2013, les autorités judiciaires ont annulé cette mesure car le ministère public avait achevé de recueillir les éléments de preuve, ce qui écartait le risque d’entrave au bon fonctionnement de la justice. L’auteur a continué de comparaître pendant la procédure ; cependant, bien qu’il ait été convoqué, il ne s’est pas présenté au prononcé de l’arrêt de la Cour suprême de justice. Il ne s’est pas non plus présenté par la suite à la Cour et, au moment de la soumission des observations de l’État partie au Comité, il ne s’était pas présenté pour accomplir sa peine.

4.4L’État partie donne une description détaillée des dispositions de la Constitution, des dispositions législatives et de la jurisprudence relatives à l’immunité applicable aux ministres du Gouvernement, et des procédures d’enquête et de jugement en matière pénale dont est chargée la chambre pénale de la Cour suprême de justice. Selon la jurisprudence de ses tribunaux nationaux, le jugement de fonctionnaires par la Cour n’est pas contraire au droit à une procédure régulière et le principe du double degré de juridiction en matière pénale n’est pas absolu, car il ne fait pas partie des éléments fondamentaux du droit à une procédure régulière. Il peut y avoir des exceptions à ce principe, à condition qu’elles soient raisonnables, proportionnées et conformes au droit à l’égalité et aux garanties les plus essentielles d’une procédure régulière.

4.5Le Pacte et les autres instruments relatifs aux droits de l’homme n’induisent pas d’obligation de garantir le double degré de juridiction dans le cadre des procédures pénales applicables aux hauts fonctionnaires jouissant de l’immunité. Les États parties disposent d’une importante marge de manœuvre pour définir les procédures et concevoir des mécanismes efficaces de protection des droits et ne sont pas tenus de prévoir un deuxième degré de juridiction dans le cadre des procédures pénales applicables aux hauts fonctionnaires jouissant de l’immunité. Le fait que ces personnes, en leur qualité de hauts fonctionnaires jouissant de l’immunité, soient jugées par la plus haute juridiction pénale est en soi une manière de garantir pleinement leur droit à une procédure régulière. L’État partie soutient qu’on ne saurait interpréter le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte comme faisant obligation de prévoir un « deuxième degré de juridiction », puisque dans le texte de cette disposition il est fait expressément référence à une « juridiction supérieure ». L’expression « juridiction supérieure » peut être interprétée comme impliquant l’obligation de porter l’affaire devant une juridiction aux qualités académiques et professionnelles supérieures, propres à garantir une juste appréciation des faits dont elle est saisie.

4.6Dans l’affaire de l’auteur, le 17 juillet 2014, la chambre pénale, statuant en premier et dernier ressort, a rendu un arrêt de condamnation de l’auteur pour les infractions de détournement de biens au profit de tiers et de conclusion de contrats en dehors des conditions fixées par la loi. La procédure pénale n’était pas motivée par des considérations politiques. Dans l’acte d’accusation, le ministère public a indiqué que l’auteur, en tant que Ministre de l’agriculture, ne s’était pas conformé aux principes et aux règles qui régissent la passation de contrats par l’État lors de l’élaboration et de la conclusion de trois accords avec l’Institut interaméricain de coopération pour l’agriculture, pendant la mise en œuvre desquels des ressources ont été fournies illégalement à des particuliers, au détriment du patrimoine de l’État. La tâche de la Cour suprême de justice s’est limitée à établir la responsabilité pénale de l’auteur ; la Cour n’a pas porté d’appréciation sur la finalité ou l’importance du programme AIS.

4.7La Cour suprême de justice a conduit le procès de l’auteur dans le respect de toutes les garanties auxquelles celui-ci avait droit en tant qu’accusé. Ainsi, par exemple, pour garantir le droit de l’auteur à la défense, le 16 mai 2012, la chambre pénale n’a pas donné effet à l’acte de procédure accompli immédiatement après l’audience préparatoire et a fixé la date d’ouverture du procès au 14 juin 2012. Lors de l’audience de mise en accusation, le 12 octobre 2011, la juge rapporteuse de la Cour et un autre magistrat se sont déclarés empêchés de déterminer quel était le stade de la procédure auquel il convenait de limiter le nombre de représentants des victimes afin qu’il corresponde au nombre des défenseurs. Cet empêchement était fondé sur le fait que les deux magistrats avaient engagé un recours en protection constitutionnelle contre la décision sur la même question rendue par la chambre pénale dans un procès intenté contre deux fonctionnaires rattachés à la présidence de la République accusés de surveillance illégale de diverses personnes, dont des magistrats de la Cour, et d’écoutes téléphoniques illégales visant ces personnes, procédure dans laquelle il leur avait été reconnu la qualité de victime. Dans ce contexte, la chambre pénale a rejeté l’empêchement invoqué, estimant notamment qu’il n’y avait pas de lien direct ou indirect entre cette décision et l’affaire de l’auteur, sur laquelle ces magistrats devaient statuer. En outre, au cours du procès, l’auteur n’a pas invoqué de motifs de récusation de ces magistrats.

4.8La déclaration de culpabilité de l’auteur et la peine imposée à celui-ci ne constituaient pas une violation du principe non bis in idem. Si l’auteur a bien fait l’objet d’enquêtes de nature fiscale, disciplinaire et pénale pour des faits liés à la gestion du programme AIS, l’objet, la finalité et la portée de ces procédures étaient distincts de ceux de la procédure pénale. En outre, elles n’étaient pas parfaitement identiques.

4.9La peine imposée par la Cour suprême de justice à l’auteur n’est pas disproportionnée est n’est pas fondée sur des critères discrétionnaires, mais sur les règles imposées par la loi aux fins d’individualisation de la peine, comme la Cour l’a expliqué en détail dans son arrêt. Les autres personnes poursuivies pénalement qui ont été condamnées à des peines plus légères s’étaient vu accorder des avantages pour avoir collaboré avec la justice et avoir permis une clôture anticipée du procès, ce qui peut valoir des réductions de peine importantes.

4.10L’article 339 du Code de procédure pénale prévoit que, lors de l’audience de mise en accusation, les parties font part des motifs d’empêchement des autorités en ce qui concerne leur participation. Cependant, dans la procédure pénale engagée contre l’auteur, aucune des parties n’a fait valoir que la Procureure générale avait un conflit d’intérêts. En outre, la Procureure générale a délégué la conduite de l’affaire au dixième Procureur près la Cour suprême de justice, qui a représenté le ministère public à l’audience préliminaire et pendant le procès.

4.11L’auteur a disposé de tous les moyens voulus pour présenter des éléments de preuve pendant la procédure. Toutefois, conformément à l’article 359 du Code de procédure pénale, les parties et les intervenants peuvent demander au juge d’exclure, de rejeter ou de déclarer irrecevables des éléments de preuve illégaux, par exemple lorsqu’ils ne présentent pas d’utilité ou sont redondants, ou lorsqu’ils ont pour objet de prouver des faits notoires ou qui, pour d’autres motifs, n’ont pas besoin d’être démontrés. Par ailleurs, l’auteur a disposé du temps nécessaire pour préparer sa défense. L’audience préparatoire s’est tenue en 12 séances, qui ont eu lieu entre le 14 décembre 2011 et le 14 mai 2012, période de temps pendant laquelle l’auteur a sollicité et obtenu une suspension de la procédure dans l’attente de réponses à ses nombreuses demandes d’informations et de documents. Le défenseur de l’auteur a participé activement et les droits de toutes les parties et de tous les intervenants ont été garantis. Les pièces versées au procès, pour la plupart des documents publics, ont été obtenues et versées selon les formalités voulues, et étaient susceptibles d’être contestées. Toutes les preuves produites ont été dûment appréciées par la Cour suprême de justice, comme en témoignent les considérants très complets et détaillés de l’arrêt.

4.12Les demandes d’obtention des procès-verbaux du Conseil des ministres et de réalisation d’un test graphologique formulées par l’auteur ont été soumises pendant l’audience de contrôle des garanties, et les autorités judiciaires ont examiné les motifs de la demande, sa pertinence et son opportunité.

4.13La Cour suprême de justice n’a jamais ordonné le placement de l’auteur en détention provisoire, cette décision tout comme celle de suspendre ou de révoquer cette mesure relevant de la compétence exclusive du tribunal supérieur de Bogota, qui a agi comme juge exerçant des fonctions de contrôle des garanties.

4.14L’État partie soutient que l’auteur demande en fait au Comité d’agir comme un organe d’appel pour traiter des questions qui ont été dûment tranchées par la Cour suprême de justice, en particulier celle de sa responsabilité pénale, parce qu’il est en désaccord avec la procédure judiciaire et la décision dont il a fait l’objet. Par conséquent, la communication doit être déclarée irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.15L’État partie considère que la communication constitue un abus du droit de présenter une communication et qu’elle est de ce fait irrecevable au regard de l’article 96 du règlement intérieur du Comité. Il évoque de manière détaillée certains passages de la communication et affirme que celle-ci contient des informations fausses, déformées, incomplètes et peu claires, comme cela a été souligné précédemment (par. 4.2 à 4.13).

4.16La communication ne satisfait pas au critère de recevabilité énoncé au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur disposait de divers moyens pour contester la déclaration de culpabilité prononcée par la Cour suprême de justice, comme le recours en révision des arrêts exécutoires de la Cour, en vertu de l’article 192 du Code de procédure pénale, le recours en protection constitutionnelle prévu par la Constitution et la demande en nullité d’actes de procédure pour preuve illicite, incompétence du juge ou violation des garanties fondamentales, en vertu des articles 455 à 458 du Code de procédure pénale.

4.17L’État partie renvoie aux observations formulées dans les paragraphes ci-dessus et affirme que les griefs de violation des droits garantis par le Pacte soulevés par l’auteur sont manifestement dénués de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans des notes en date du 19 avril et du 16 et du 17 juillet 2015, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il y affirme que sa communication satisfait aux critères de recevabilité énoncés dans le Protocole facultatif et reprend les griefs de violation formulés dans sa lettre initiale.

5.2L’auteur réaffirme que les poursuites pénales engagées à son encontre constituaient une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Les recours évoqués par l’État partie (par. 4.16) ne permettent pas un examen au fond de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. Le recours en révision ne peut pas être formé contre ce type d’arrêt de la Cour suprême de justice. Le recours en protection constitutionnelle n’est pas utile car les dispositions qui prévoient que les personnes jouissant de l’immunité sont jugées par la Cour, en premier et dernier ressort, ont rang constitutionnel, de sorte qu’il n’est pas possible de demander à un juge de protéger un droit qui n’est pas visé par la Constitution. Par ailleurs, conformément à l’article 181 du Code de procédure pénale, le pourvoi en cassation peut être formé « contre les jugements rendus en deuxième instance dans le cadre des procédures ». Le recours en révision est un recours extraordinaire, de sorte qu’il ne permet pas de débattre dans le cadre du procès visé, mais lorsque celui-ci est achevé et qu’un nouvel élément de preuve apparaît, ou lorsqu’il y a un changement de jurisprudence ou lorsque apparaît un nouvel élément qui permet de rouvrir le débat ; cependant, il ne permet pas de contester ce qui a déjà été jugé de manière définitive.

5.3Les normes qui régissent les procédures pénales engagées contre des hauts fonctionnaires jouissant de l’immunité devant la Cour suprême de justice agissant en premier et dernier ressort, qui prévoient que les déclarations de culpabilité et les condamnations prononcées par celle-ci ne peuvent pas être soumises à une juridiction supérieure, violent l’article 26 du Pacte en déniant le droit visé par cet article à certains fonctionnaires.

5.4La procédure engagée contre l’auteur et, en particulier, l’action du ministère public étaient motivées par des considérations politiques.

5.5L’auteur n’a pas récusé la juge rapporteuse de la Cour suprême de justice au motif qu’elle avait un conflit d’intérêts. Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas de tels conflits. En outre, la Cour elle-même a rejeté la demande d’empêchement formulée par la juge. Les autres juges de la Cour qui ont pris part à quelques-unes des étapes du procès auraient également dû se récuser pour conflit d’intérêts car ils se trouvaient dans la même situation que la juge rapporteuse.

5.6La tenue de l’audience d’inculpation et la présentation d’une demande de mesure de sûreté dans un théâtre constituaient un traitement inhumain et de nature à dénigrer l’auteur.

5.7L’auteur affirme que la durée de son placement en détention provisoire, qui a été de deux ans, excédait « largement les délais pendant lesquels il pouvait être maintenu en détention ».

5.8L’auteur affirme que les éléments de preuve qu’il a sollicités au cours de la procédure et qui ont été rejetés par la Cour suprême de justice étaient appropriés, pertinents et utiles.

5.9Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l’auteur fait observer que la Cour suprême de justice elle-même a indiqué dans sa décision que celle-ci « n’[était] pas susceptible de quelque recours que ce soit ». Par conséquent, il ne dispose pas de recours adéquat et utile permettant de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées par la Cour en premier et dernier ressort. Les autres recours auxquels l’État partie fait référence ne sont pas non plus adéquats et utiles (par. 5.2).

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note en date du 21 octobre 2015, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication et a réaffirmé que celle-ci ne satisfaisait pas aux critères de recevabilité énoncés dans le Protocole facultatif. L’État partie a repris en particulier ses arguments concernant le défaut de fondement des griefs soulevés par l’auteur.

6.2L’État partie affirme de nouveau qu’il considère que la procédure pénale engagée contre l’auteur devant la Cour suprême de justice ne constitue pas une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

6.3La procédure pénale, la déclaration de culpabilité et la peine prononcées ne constituaient pas non plus une violation du droit à l’égalité devant les tribunaux et devant la loi, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14 et à l’article 26 du Pacte.

6.4La détention de l’auteur a été ordonnée dans le cadre de la procédure pénale engagée contre lui par les autorités judiciaires, conformément à la loi ; par conséquent, cette mesure ne constituait pas une violation de l’article 9 du Pacte. La procédure pénale ne constituait pas non plus une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte. La déclaration de culpabilité prononcée par la Cour suprême de justice et la peine imposée à l’auteur ne constituent pas une violation des droits que l’auteur tient de l’article 15 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur le fond

7.1Le 3 décembre 2015, l’auteur a soumis des observations sur le fond de la communication et a repris les griefs de violation du Pacte qu’il avait déjà soulevés.

7.2En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, l’auteur ajoute qu’une détention provisoire de longue durée peut également avoir, de manière indirecte, une incidence sur la présomption d’innocence.

7.3Il y a eu des incohérences entre les situations de fait dont l’auteur était accusé et celles pour lesquelles il a finalement été condamné, ce qui a constitué une violation du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.

7.4La procédure pénale engagée contre l’auteur a constitué une violation de l’article 11 du Pacte.

7.5L’auteur affirme qu’il a été victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 16 du Pacte car, avec sa famille, il a été contraint de quitter l’État partie pour des raisons de sécurité, et d’établir sa résidence aux États-Unis. En 2014, l’auteur s’est rendu au consulat de l’État partie à Miami, où les fonctionnaires consulaires l’ont humilié et ont arbitrairement conservé son passeport pour l’empêcher d’accomplir des démarches, le privant ainsi du droit à la personnalité juridique.

7.6La déclaration de culpabilité de l’auteur et sa condamnation constituent une violation des droits qu’il tient de l’article 25 du Pacte car elles l’empêchent à jamais d’être élu à une charge publique ou d’être fonctionnaire et, de ce fait, il ne pourra pas être candidat dans des élections ou prendre part directement à la direction des affaires publiques.

Renseignements complémentaires

8.1Par des lettres en date du 15 juillet et du 26 août 2016, du 10 février et du 12 juin 2017 et du 21 mars 2018, l’auteur a informé le Comité du fait que, le 24 avril 2015, la Cour constitutionnelle avait déclaré inconstitutionnels plusieurs articles du Code de procédure pénale qui ne prévoyaient pas la possibilité de contester tous les jugements de condamnation auprès du supérieur hiérarchique ou fonctionnel, et avait prié instamment le Congrès de la République de réglementer pleinement le droit de contester tous les jugements de condamnation, dans un délai d’un an, faute de quoi il faudrait considérer que tous les jugements de condamnation peuvent être contestés.

8.2En l’absence de législation adoptée par le Congrès, le 22 avril 2016 l’auteur a informé la Cour suprême de justice qu’il contestait l’arrêt rendu contre lui le 17 juillet 2014.

8.3Le 28 avril 2016, la Cour suprême de justice a rendu une décision dans laquelle elle indiquait que la décision de la Cour constitutionnelle s’appliquait aux jugements qui n’étaient pas exécutoires au 24 avril 2016. Le 25 mai 2016, la Cour suprême de justice a déclaré irrecevable la demande de l’auteur.

8.4Le 18 janvier 2018, le législateur, par l’acte législatif no 01 de 2018, a modifié la Constitution pour garantir aux ministres le droit au double degré de juridiction en matière pénale.

8.5Compte tenu de cette modification de la Constitution, le 22 février 2018, l’auteur a formé un recours auprès de la Cour suprême de justice. Le 7 mars 2018, un juge de la Cour a déclaré le recours irrecevable.

9.1Le 12 juin 2018, l’État partie a présenté des observations additionnelles et a maintenu sa position s’agissant du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, réaffirmant que cette disposition n’avait pas été violée.

9.2Pour ce qui concernait les allégations de l’auteur relatives à la violation de l’article 25 du Pacte, l’État partie a souligné que la Cour suprême de justice avait déclaré l’auteur coupable d’avoir conclu des contrats en dehors des conditions fixées par la loi et d’avoir détourné des biens par appropriation, et l’avait condamné à « l’interdiction d’exercer des fonctions publiques » prévue par l’article 122 de la Constitution. Le droit de participer à la direction des affaires publiques et celui d’être élu peuvent faire l’objet de restrictions, pour autant que celles-ci satisfassent aux principes de légalité, d’objectivité, de rationalité et de proportionnalité, comme c’est le cas pour l’auteur.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles car il disposait de divers moyens de contester l’arrêt de condamnation rendu par la Cour suprême de justice le 17 juillet 2014 (par. 4.16). Le Comité prend également note des affirmations de l’auteur selon lesquelles ces recours n’étaient pas appropriés et utiles (par. 5.2). Le Comité relève que la Cour elle-même a indiqué dans sa décision que celle-ci « n’était susceptible d’aucun recours » (par. 2.12) ; que l’État partie n’a pas expliqué en quoi les recours mentionnés dans ses observations seraient utiles dans le cas de l’auteur ; et que lesdits recours ne permettent pas d’obtenir un examen au fond de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. L’État partie n’ayant pas formulé d’objection quant à l’épuisement des recours internes en ce qui concerne les autres griefs soulevés par l’auteur, le Comité considère que les conditions prévues au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

10.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable pour abus du droit de présenter une communication (par. 4.15). Il fait toutefois observer qu’une simple divergence d’opinion entre l’État partie et l’auteur de la communication à propos des faits, de l’application de la loi, et de la pertinence de la jurisprudence des tribunaux nationaux du Comité, qui seraient applicables en l’espèce, ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication. Par conséquent, le Comité considère que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.5Le Comité prend note des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, selon lesquels l’État partie a violé son droit à la liberté et à la sécurité. L’auteur soutient que la mesure de placement en détention provisoire prise à son encontre n’était pas justifiée, que ses demandes d’annulation de cette mesure ont été rejetées par le tribunal supérieur de Bogota et que la durée de cette mesure a excédé les délais pendant lesquels il pouvait légalement être maintenu en détention (par. 3.3 et 5.7). Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel le placement de l’auteur en détention provisoire a été ordonné par le tribunal compétent et que cette mesure a été maintenue pendant environ un an et sept mois, conformément à la loi. Le Comité prend note de ce que, le 21 juillet 2001, le tribunal supérieur de Bogota a ordonné le placement de l’auteur en détention provisoire. Selon l’État partie, cette mesure a été prise à la demande du ministère public, parce qu’il y avait un risque d’entrave au bon fonctionnement de la justice. Cette mesure a été annulée le 14 juin 2013 par le même tribunal parce que le ministère public avait achevé de recueillir les éléments de preuve et que ce risque avait donc été écarté (par. 4.3, 4.13 et 6.4). L’auteur n’ayant pas contesté ces affirmations, le Comité considère que les griefs tirés de l’article 9 du Pacte n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et conclut qu’ils sont irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité prend note des affirmations de l’auteur selon lesquelles : l’État partie a violé ses droits à l’égalité devant les tribunaux et devant la loi et à un procès équitable, droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 14 et l’article 26 du Pacte, car il n’a pas fait l’objet du même traitement que d’autres coaccusés pendant le procès ; la peine imposée par la Cour suprême de justice était disproportionnée ; il n’y a pas eu égalité des armes entre la défense et le ministère public au cours du procès ; la Procureure générale avait préalablement exprimé une opinion sur l’affaire de l’auteur et la juge rapporteuse de la Cour suprême de justice avait un conflit d’intérêts (par. 3.4). Le Comité prend également note des arguments de l’État partie, qui affirme : que la procédure engagée contre l’auteur était le type de procédure applicable aux personnes qui, en raison des fonctions qu’elles exercent comme hauts représentants de l’État, jouissent de l’immunité ; que la juge rapporteuse ne s’est déclarée empêchée que s’agissant de déterminer le stade de la procédure auquel il convenait de limiter le nombre de représentants des victimes, mais que la chambre pénale de la Cour suprême de justice a rejeté l’empêchement invoqué, estimant qu’il n’y avait pas de lien direct ou indirect entre l’affaire dans le cadre de laquelle la magistrate avait qualité de victime et l’affaire de l’auteur ; et que la Procureure générale a délégué la conduite de l’affaire à un autre procureur, qui a pris part à l’audience préliminaire et au procès (par. 4.4, 4.5, 4.7, 4.10 et 6.3). En ce qui concerne la peine prononcée, l’État partie soutient qu’elle n’est pas disproportionnée et qu’elle est conforme aux règles imposées par la loi aux fins d’individualisation de la peine, compte tenu du fait que l’auteur était un haut fonctionnaire et le principal responsable de l’entité publique dont il avait la charge, et indique que les coaccusés qui ont été condamnés à des peines plus légères s’étaient vu accorder des avantages pour avoir collaboré avec la justice et avoir permis une clôture anticipée du procès (par. 4.9). Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.7Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire des paragraphes 2 et 3 a), b) et c) de l’article 14 du Pacte, selon lesquels : son droit à la présomption d’innocence a été violé par l’État partie (par. 3.5) ; il n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; les autorités lui ont refusé l’accès à des éléments de preuve et la Cour suprême de justice a rejeté des éléments de preuve essentiels pour sa défense ; et il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable (par. 3.6, 3.7, 5.8, 7.2 et 7.3). Le Comité prend également note des observations de l’État partie, qui affirme que l’auteur a eu accès à toutes les facilités nécessaires pour préparer sa défense et pour présenter des éléments de preuve pendant le procès et que toutes les preuves ont été dûment appréciées par les autorités judiciaires (par. 4.6, 4.11 et 4.12). Le Comité constate que les griefs de l’auteur concernant le caractère essentiel des preuves non acceptées et l’éventuelle absence de jugement dans un délai raisonnable ne sont pas suffisamment étayés. Qui plus est, ses griefs concernent essentiellement l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il appartient aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, qu’elles ont été manifestement entachées d’erreurs ou qu’elles ont représenté un déni de justice. Le Comité a examiné les éléments présentés par les parties, notamment l’arrêt de la Cour suprême de justice, et il considère que ceux-ci ne permettent pas d’établir que la procédure pénale menée contre l’auteur était entachée de telles irrégularités. Il estime par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief de violation des droits qu’il tient des paragraphes 2 et 3 a), b) et c) de l’article 14 du Pacte, ce qui le rend irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.8Le Comité prend note des griefs formulés par l’auteur au titre du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, selon lesquels il a été jugé deux fois pour les mêmes faits (par. 3.10). Le Comité constate toutefois que les informations communiquées par les parties (par. 4.8) ne permettent pas de conclure que la sanction imposée à l’auteur par le Bureau du Procureur général de la nation, dans le cadre d’une procédure administrative disciplinaire, équivalait à une sanction de caractère pénal, et rappelle que la garantie de cette disposition du Pacte s’applique aux seules infractions pénales et non aux mesures disciplinaires qui ne sont pas une sanction pour une infraction pénale au sens de l’article 14 du Pacte. Par conséquent, le Comité estime que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.9Le Comité prend note du grief soulevé par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, selon lequel il a été condamné pour des actes ou des omissions qui n’étaient pas des infractions. L’auteur affirme, pour l’essentiel, qu’il n’a pas été prouvé pendant le procès que ses actes correspondaient aux éléments constitutifs de ces infractions, qu’il avait commis une erreur d’une nature qui excluait sa responsabilité pénale et qu’il n’avait pas agi avec une intention délictueuse (par. 3.11). Le Comité constate toutefois que l’auteur ne prétend pas que les infractions de détournement de biens par appropriation et de conclusion de contrats en dehors des conditions fixées par la loi, pour lesquelles il a été condamné par la Cour suprême de justice, n’étaient pas prévues au moment des faits. Par conséquent, le Comité considère que les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et conclut qu’ils sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.10Le Comité prend note des griefs de l’auteur selon lesquels l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 1 de l’article 17, et des articles 18, 19 et 26 du Pacte, du fait de la forme sous laquelle certaines audiences ont été tenues, des considérations politiques qui ont motivé la procédure pénale engagée contre lui, de son placement en détention provisoire et des conséquences qu’a eues cette procédure (par. 3.2, 3.12, 3.13, 5.3, 5.4 et 5.6). Le Comité estime que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.11Le Comité prend note de l’affirmation d’ordre général de l’auteur selon laquelle les droits qu’il tient de l’article 11, du paragraphe 6 de l’article 14 et de l’article 16 du Pacte ont été violés par l’État partie (par. 3.1, 3.9, 7.4 et 7.5). Néanmoins, il constate qu’il ne peut pas être déduit des informations dont il est saisi et, en particulier, des informations fournies par l’auteur, qu’une violation de ces droits a pu être commise dans les circonstances de l’espèce et que ces griefs sont manifestement dénués de fondement. En conséquence, le Comité conclut que ces griefs sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.12Le Comité prend note des griefs formulés par l’auteur au titre du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 25 du Pacte (par. 3.8, 5.2 et 7.6). Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel ces griefs doivent être déclarés irrecevables pour défaut de fondement (par. 4.17, 6.1 et 9.2). Il considère cependant que les griefs de l’auteur ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Le Comité conclut donc que le grief que l’auteur soulève au titre du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 25 du Pacte est recevable, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle la procédure pénale dont il a fait l’objet a constitué une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, étant donné qu’il n’existe pas de mécanisme lui permettant de faire appel de la décision et de demander l’examen par une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées par la chambre pénale de la Cour suprême de justice le 17 juillet 2014 (par. 3.8 et 6.4). La Cour constitutionnelle ayant déclaré inconstitutionnels plusieurs articles du Code de procédure pénale qui ne prévoyaient pas la possibilité de contester tous les jugements de condamnation auprès du supérieur hiérarchique ou fonctionnel, et une modification ayant été apportée à la Constitution, l’auteur a formé deux recours contre l’arrêt de la Cour suprême de justice, lesquels ont été déclarés irrecevables le 25 mai 2016 et le 7 mars 2018, respectivement (par. 8.1 à 8.3 et 8.5).

11.3Le Comité prend note également des arguments de l’État partie selon lesquels on ne saurait interpréter le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte comme faisant obligation de prévoir un « deuxième degré de juridiction », puisque dans le texte de cette disposition il est fait expressément référence à une « juridiction supérieure » ; que l’expression « juridiction supérieure » peut être interprétée comme impliquant la nécessité de porter l’affaire devant une juridiction aux qualités académiques et professionnelles supérieures, propres à garantir une juste appréciation des faits dont elle est saisie ; que les États parties disposent d’une importante marge de manœuvre pour définir les procédures et concevoir des mécanismes efficaces de protection des droits, et ne sont pas nécessairement tenus de prévoir un deuxième degré de juridiction en matière pénale pour les hauts fonctionnaires qui jouissent de l’immunité parlementaire ; et que le fait que ces personnes, en leur qualité de hauts fonctionnaires jouissant de l’immunité, soient jugées par la plus haute juridiction pénale est en soi une manière de garantir pleinement leur droit à une procédure régulière (par. 4.4, 4.5 et 6.2).

11.4Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. Il rappelle également que l’expression « conformément à la loi » ne doit pas s’entendre comme laissant l’existence même du droit à cet examen à la discrétion des États parties. Même si la législation de l’État partie peut disposer, dans certaines circonstances, qu’une personne, en raison de sa charge, doit être jugée par un tribunal d’un rang supérieur à celui qui serait normalement compétent, cette circonstance ne peut à elle seule porter atteinte au droit de l’accusé à l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par un tribunal. En l’espèce, l’État partie n’a pas fait état d’une voie de recours permettant à l’auteur de demander l’examen de la déclaration de culpabilité et de sa condamnation par une autre juridiction. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

11.5Le Comité prend note des allégations de l’auteur, selon lesquelles l’arrêt de la Cour suprême de justice du 17 juillet 2014 constitue une violation des droits qu’il tient de l’article 25 du Pacte, car il l’empêche à jamais d’être élu à une charge publique ou d’être fonctionnaire (par. 7.6).

11.6Le Comité rappelle que l’article 25 du Pacte consacre et protège le droit de tout citoyen de participer à la direction des affaires publiques, le droit de voter et celui d’être élu, et le droit d’avoir accès à la fonction publique. Quelle que soit la forme de la constitution ou du gouvernement qu’adopte un État, l’exercice de ces droits par les citoyens ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs prévus par la loi, et qui soient raisonnables et objectifs. Le Comité rappelle aussi que, si le motif de suspension du droit de vote et du droit de se présenter à une charge élective est la condamnation pour une infraction commise, cette mesure doit être en rapport avec l’infraction et la sentence. Il rappelle enfin que, quand la condamnation est clairement arbitraire ou qu’elle équivaut à une erreur manifeste ou à un déni de justice, ou que les actes judiciaires donnant lieu à la condamnation portent atteinte au droit à un procès équitable, la restriction des droits protégés par l’article 25 peut devenir arbitraire.

11.7Le Comité constate que, le 17 juillet 2014, la Cour suprême de justice a déclaré l’auteur coupable de malversation de fonds par appropriation et de conclusion de contrats ne respectant pas les conditions établies par la loi. Tenant compte du fait que l’auteur était condamné pour avoir commis des infractions portant atteinte au patrimoine de l’État, la Cour l’a aussi condamné à l’interdiction d’exercer des fonctions publiques. Dans ses observations, l’État partie ne réfute pas le caractère permanent de l’interdiction. Au contraire, il soutient que cette mesure a été imposée par la Cour dans le cadre d’une procédure pénale juste, et que celle-ci était légale, objective, raisonnable et proportionnée (par. 9.2). En outre, le Comité relève que la Cour suprême de justice a également ordonné la privation de l’auteur de ses droits civiques pour une période correspondant à celle de la peine principale (dix-sept ans et cinq mois) et que l’auteur n’a pas contesté cette mesure. Dans ce contexte, le Comité doit déterminer si la privation à vie des droits garantis par l’article 25, appliquée après l’exécution de la peine principale, est compatible avec le Pacte. À cet égard, le Comité considère que la lutte contre la corruption et la protection des fonds publics et, donc, de l’intérêt public visant à préserver l’ordre démocratique sont des buts que les États parties peuvent légitimement rechercher. Ainsi, un État partie peut légitimement vouloir restreindre le droit d’exercer des fonctions publiques des personnes qui ont été condamnées pour corruption. À cette fin, l’État partie ne peut prononcer de restrictions à vie de l’exercice de droits consacrés à l’article 25 du Pacte que dans des cas exceptionnels, dans lesquels des infractions graves ont été commises, et lorsque les circonstances propres à la personne condamnée le justifient. Toute interdiction doit être fondée sur des motifs objectifs et doit être prévisible. En l’espèce, le Comité constate que l’auteur a été déclaré coupable d’infractions graves commises dans l’exercice de ses fonctions de Ministre de l’agriculture, poste de fonctionnaire le plus élevé du Ministère, et que ces infractions ont gravement porté atteinte au patrimoine de l’État. Ayant établi la responsabilité pénale de l’auteur, la Cour suprême de justice a automatiquement ordonné une restriction à vie des droits garantis par l’article 25 du Pacte, conformément à l’article 122 de la Constitution, modifiée par l’acte législatif no 1 de 2004, en vigueur au moment des faits considérés (voir supra, note 1). La durée de cette interdiction excède considérablement celle de la peine principale imposée à l’auteur. Le Comité observe que l’interdiction prévue à l’article 122 de la Constitution est formulée dans des termes vagues et qu’elle n’est pas limitée dans le temps, et que ses conditions d’imposition sont elles aussi formulées dans des termes vagues, ce qui en limite la prévisibilité. En outre, à la lumière des informations que lui ont communiquées les parties, le Comité relève que la Cour suprême de justice n’a pas fait une évaluation suffisamment individualisée de la proportionnalité de la restriction des droits que l’auteur tient de l’article 25 du Pacte. Dans le dispositif de son arrêt, dans lequel elle a imposé l’interdiction en question, la Cour n’a pas expressément pris en considération les circonstances particulières des infractions graves pour lesquelles l’auteur a été condamné. La Cour n’a pas non plus expliqué en quoi les circonstances particulières de l’affaire pouvaient justifier l’imposition d’une restriction à vie. À la lumière de ces éléments, le Comité considère que les informations disponibles ne lui permettent pas de conclure qu’en l’espèce les restrictions à vie des droits que l’auteur tient de l’article 25 du Pacte par la Cour suprême de justice sont proportionnées. Par conséquent, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits garantis à l’auteur par l’article 25 du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 25 du Pacte.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. Le Comité considère qu’en l’espèce, ses constatations sur le fond de la communication constituent une réparation suffisante de la violation constatée. L’État partie est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent, et de revoir sa législation pour faire en sorte que toute restriction des droits à l’accès à la fonction publique et du droit d’être élu soit raisonnable et proportionnée, et fondée sur une évaluation individualisée de chaque cas.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.

Annexe

[Original : anglais]

Opinion individuelle (concordante) de Sarah Cleveland

1.J’approuve la constatation par le Comité d’une violation du droit de l’auteur de faire examiner la déclaration de culpabilité le concernant, reconnu au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, ainsi que la décision du Comité selon laquelle ses constatations sur le fond des griefs de l’auteur constituent une réparation suffisante de la violation constatée. Je joins la présente opinion pour expliquer la façon dont je comprends la conclusion du Comité selon laquelle il y a également eu violation des droits garantis à l’auteur par l’article 25 du Pacte.

2.Ainsi que l’observe le Comité, conformément à l’article 25, les États peuvent avoir un intérêt légitime à interdire l’exercice de fonctions publiques à un individu qui a eu un comportement criminel grave. Tout comme les limites de durée des mandats publics, de telles restrictions peuvent servir l’intérêt public en promouvant une gouvernance véritablement démocratique et en garantissant la participation effective de la population à la vie politique. Toutefois, ces restrictions d’accès aux fonctions publiques doivent être consacrées par la loi et doivent être objectives et raisonnables. Elles doivent être proportionnées à la gravité de l’infraction et doivent être imposées dans le respect des garanties procédurales.

3.Une interdiction permanente d’exercer une fonction publique peut satisfaire ces critères dans certaines circonstances, comme le relève le Comité. C’est particulièrement vrai lorsqu’un haut fonctionnaire commet des infractions graves, comme des actes de corruption de grande envergure portant atteinte aux biens publics.

4.L’obligation de veiller à ce qu’une interdiction à vie d’exercer des fonctions publiques soit proportionnée à la situation particulière de l’intéressé peut être respectée d’au moins deux façons. Premièrement, une interdiction permanente automatique pourrait n’être appliquée qu’à un nombre limité de cas, c’est-à-dire en relation avec un ensemble clairement défini d’infractions graves, commises par des fonctionnaires de haut niveau appartenant à un groupe bien délimité. Comme l’ancien membre du Comité Gerald Neuman l’a fait observer, une grande diversité d’États disposent expressément dans leur Constitution que l’inéligibilité est une conséquence possible, voire obligatoire, de la destitution.Deuxièmement, une loi pourrait prévoir de manière plus large la possibilité d’interdire l’accès à des fonctions publiques, mais son application serait subordonnée à une évaluation judiciaire indépendante de la proportionnalité de l’interdiction au vu des circonstances de chaque cas particulier.

5.En l’espèce, la disposition de la Constitution colombienne en vigueur à l’époque imposait d’interdire à jamais, de manière automatique, l’exercice de fonctions publiques à toute personne déclarée coupable d’infractions portant atteinte au patrimoine de l’État. Cette disposition ne précisait pas quelles infractions étaient visées. Elle ne disait rien non plus du degré de gravité des infractions ni de leur impact sur le patrimoine de l’État, et ne limitait pas l’application de l’interdiction automatique aux fonctionnaires de haut rang. Enfin, l’État partie n’a pas laissé entendre que la portée de cette disposition avait été limitée ou que son sens avait été éclairci par interprétation judiciaire. Cette disposition relevait donc de la deuxième des catégories envisagées ci-dessus, pour laquelle une évaluation individuelle de la proportionnalité serait exigée.

6.Mes collègues concluent que la disposition constitutionnelle était donc trop vague pour que la sanction soit prévisible. Cela peut être vrai si l’on considère l’ensemble des crimes qui peuvent entrer dans son champ d’application. Néanmoins, en ce qui concerne les faits de l’espèce, l’application de l’interdiction automatique à vie d’exercer des fonctions publiques aux personnes déclarées coupables d’infractions « touchant le patrimoine de l’État » était totalement prévisible. Le Comité souligne que l’auteur a été déclaré coupable d’avoir détourné suffisamment de fonds publics pour se voir infliger une peine d’emprisonnement de dix-sept ans et cinq mois et une amende d’environ 12 187 765 euros.

7.Le Comité conclut également que l’application automatique de l’interdiction prévue par la Constitution pourrait avoir des conséquences disproportionnées et que la Cour suprême n’a pas évalué la proportionnalité de l’interdiction à vie par rapport à la situation particulière de l’auteur. Toutefois, rien dans l’opinion du Comité ne laisse penser que, si la Cour suprême avait procédé à une telle évaluation, l’interdiction à vie d’exercer des fonctions publiques aurait été disproportionnée en l’espèce. L’auteur était Ministre de l’agriculture, un fonctionnaire de haut rang. Il a été déclaré coupable de faits de corruption de grande ampleur ayant porté atteinte aux fonds publics, pour un montant de plusieurs millions de dollars, et l’infraction était constituée par des actions menées alors qu’il était en exercice. Il a donc été déclaré coupable de grave abus de confiance et de détournement de fonds publics durant l’exercice de pouvoirs très étendus.

8.La Cour suprême avait évidemment connaissance de ces faits au moment où elle a ordonné l’interdiction dans le cas d’espèce. Il est également tout à fait possible que la Cour ait évalué la proportionnalité de l’interdiction à la situation de l’auteur et qu’elle ait conclu que la mesure était proportionnée, mais qu’elle n’ait pas exposé son raisonnement, compte tenu du caractère catégorique de la disposition constitutionnelle. L’État partie n’a cependant pas indiqué qu’une telle analyse de la proportionnalité ait été réalisée, ou que la décision de la Cour suprême devrait être respectée sur cette base.

9.En définitive, le Comité conclut à une violation essentiellement parce que la Cour suprême n’a pas formellement constaté que l’interdiction à vie d’exercer des fonctions publiques était proportionnée en l’espèce. Cette interprétation concorde également avec la conclusion du Comité selon laquelle ses constatations constituent une réparation suffisante de la violation constatée. Sur cette base, j’approuve la décision du Comité dans la présente affaire.