Nations Unies

CCPR/C/128/D/3076/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 juin 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par.4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3076/2017 * , **

Communication présentée par :

Isabel López Martínez, Gladys Cecilia Rincón de Múnera, Nadín José Múnera Rincón, Adolfo Múnera Rincón,Gladys Cristina Múnera Rincón, María Camila Múnera Cepeda et Fredy Alberto Sepúlveda Pineda (representés par Melik Özden, du Centre Europe-Tiers monde (CETIM), et Franklin Castañeda, de la Fundación Comité de Solidaridad con los Presos Políticos (FCSPP))

Au nom de :

Adolfo de Jesús Múnera López, les auteurs et le syndicat SINALTRAINAL

État partie :

Colombie

Date de la communication :

9 septembre 2015

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 15 décembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

11 mars 2020

Objet :

Meurtre d’un syndicaliste

Question(s) de procédure :

Qualité de victime, défaut de fondement des griefs, épuisement des recours internes, abus du droit de présenter des communications

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile, droit à la vie, droit à la sécurité de la personne, droit au respect de la vie privée, droit à la liberté d’association

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6 (par. 1), 9 (par. 1 et 5), 14 (par. 6), 17 et 22

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication, datée du 9 septembre 2015, sont Isabel López Martínez, Gladys Cecilia Rincón de Múnera, Nadín José Múnera Rincón, Adolfo Múnera Rincón, Gladys Cristina Múnera Rincón et María Camila Múnera Cepeda, tous de nationalité colombienne, qui présentent la communication en leur nom et au nom de leur proche, Adolfo de Jesús Múnera López, de nationalité colombienne, né le 17 septembre 1957 et tué le 31 août 2002, et Fredy Alberto Sepúlveda Pineda, de nationalité colombienne, qui présente la communication au nom du Syndicat national des travailleurs de l’industrie agro-alimentaire (SINALTRAINAL). Les auteurs dénoncent une violation des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 9 (par. 1 et 5), 14 (par. 6), 17 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Ils sont représentés. La Colombie a ratifié le Protocole facultatif se rapportant au Pacte le 29 octobre 1969, et celui-ci est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1M. Múnera López était un dirigeant syndical et un responsable politique local, connu pour son engagement en faveur des droits des travailleurs. Il vivait à Barranquilla et travaillait dans une usine d’embouteillage, filiale d’une grande multinationale, depuis le 27 avril 1983. Il faisait partie du conseil de direction du SINALTRAINAL.

2.2Les auteurs décrivent le climat de violence antisyndicale qui régnait entre 1996 et 2004. Pendant cette période, des syndicalistes ont été persécutés sur la base de dénonciations et d’accusations du parquet leur prêtant des liens avec les rebelles, ce qui a donné aux groupes paramilitaires un prétexte pour s’attaquer à eux. Les auteurs citent les cas de nombreux syndicalistes qui ont été arrêtés, inculpés puis finalement innocentés, ainsi que de syndicalistes qui ont été victimes de menaces et de violences. Ils affirment que cette violence est liée à la grève que le SINALTRAINAL a menée en 1995 et qui a eu de graves répercussions sur la production de l’usine d’embouteillage dans laquelle travaillait M. Múnera López et, par voie de conséquence, sur la multinationale dont l’usine était une filiale. En 2001, le SINALTRAINAL a engagé une action contre la multinationale devant le tribunal de district de Miami, aux États-Unis d’Amérique, où se trouve le siège de l’entreprise. Selon les auteurs, depuis 2004, 9 membres du SINALTRAINAL qui travaillaient pour la multinationale ont été tués, dont 4 en représailles de leurs revendications syndicales ; 38 travailleurs ont dû quitter la ville où ils résidaient ; et 67 ont reçu des menaces de mort. Les auteurs affirment que cette violence antisyndicale était en grande partie le fait de groupes paramilitaires. Ils indiquent que l’État partie a favorisé la création de groupes d’autodéfense en adoptant des textes tels que le décret-loi no 356 de 1994, qui réglementait les activités des coopératives de sécurité appelées les « CONVIVIR » et a permis d’armer des civils, de financer leurs activités et de leur faire suivre un entraînement militaire, mettant ainsi la sécurité des citoyens en danger. Ce décret-loi a par la suite été déclaré anticonstitutionnel mais, selon les auteurs, l’État partie n’a pas pris toutes les mesures voulues pour empêcher les groupes armés qui avaient été constitués en vertu de ce texte de continuer de commettre de graves violations des droits de l’homme.

2.3Le 6 mars 1997, des agents de police du département de l’Atlántico ont perquisitionné au domicile de M. Múnera López. Ils étaient munis d’un ordre de perquisition délivré par le Bureau du Procureur général dans le cadre d’une enquête ouverte contre M. Múnera López et deux autres personnes pour rébellion et collaboration avec l’Armée de libération nationale (ELN). Après avoir saisi plusieurs objets personnels de M. Múnera López à son domicile, les agents de police se sont rendus sur son lieu de travail et ont forcé la serrure de son casier, dans lequel ils ont pris d’autres objets lui appartenant, parmi lesquels un carnet qui contenait les noms de ses camarades syndicalistes, lesquels, selon les auteurs, ont ensuite reçu des menaces. D’après les auteurs, deux dirigeants de la multinationale auraient guidé les agents de police jusqu’au domicile de M. Múnera López aux fins de la perquisition.

2.4Dans le cadre de l’enquête susmentionnée, le 29 octobre 1998, le procureur délégué près les juges régionaux de la ville de Barranquilla a ordonné le placement de M. Múnera López en détention provisoire pour rébellion. Celui-ci a formé un recours contre cette décision, et n’a pas été arrêté. Le 5 février 1999, le procureur délégué près le tribunal national a annulé le mandat d’arrêt ainsi que la décision de mise en détention. Le 28 septembre 1999, la procureure déléguée du parquet no 51 a mis fin à la procédure pénale faute d’éléments suffisants pour justifier la poursuite de l’enquête.

2.5Les auteurs affirment qu’en raison de la perquisition à son domicile et de l’enquête qui a été ouverte contre lui, M. Múnera López est apparu comme un allié de l’ELN, et est devenu la cible de menaces anonymes. Pour se protéger, il s’est installé avec sa famille chez sa mère, dans le quartier El Bosque de Barranquilla, et il a dû s’éloigner de la ville à plusieurs reprises. Il a également été obligé de demander l’autorisation de s’absenter de son travail, pour sa propre sécurité, autorisation qui lui a été refusée. À compter de 2001, les menaces se sont intensifiées : les parents de M. Múnera López recevaient par téléphone des menaces de mort contre leur fils ; des individus armés patrouillaient en motos de grosse cylindrée autour de leur domicile, et plusieurs personnes, circulant dans une voiture sans plaque d’immatriculation, ont interrogé les voisins pour savoir où M. Múnera López se trouvait.

2.6Le 29 avril 1997, l’usine d’embouteillage qui employait M. Múnera López l’a informé qu’elle résiliait son contrat en raison de son absentéisme prolongé. En juillet 1997, celui-ci a déposé une demande de réintégration auprès du tribunal du travail no 7 de la circonscription judiciaire de Barranquilla, qui a statué en sa faveur le 22 mai 2001, déclarant que son licenciement était illégal et ordonnant qu’une indemnisation lui soit versée. La partie défenderesse a formé un recours en révision contre cette décision, de sorte que celle-ci n’est devenue définitive qu’après que la septième chambre de la Cour constitutionnelle a statué, le 13 novembre 2003.

2.7Étant donné les menaces qu’il recevait depuis le 6 mars 1997, M. Múnera López a informé les autorités des risques auquel il était exposé et a sollicité à cinq reprises une protection auprès de différentes institutions de l’État. La première fois, le 22 avril 1997, il a écrit au bureau régional du Défenseur du peuple de Barranquilla. La deuxième fois, le 7 décembre 2001, face à l’aggravation de la situation, il a saisi la Commission des droits de l’homme du Sénat d’une demande de protection urgente pour persécutions politiques et menaces de mort. La troisième fois, le 4 février 2002, il a écrit à la coordonnatrice de l’unité de protection du Département des droits de l’homme du Ministère de l’intérieur. La quatrième fois, le 4 mars 2002, avec le concours de la Fundación Comité de Solidaridad con los Presos Políticos, il a écrit au Comité de réglementation et d’évaluation des risques pour demander à bénéficier du Programme de protection des dirigeants syndicaux et des défenseurs des droits de l’homme. Enfin, le 8 mars 2002, il a déposé une plainte pénale contre x auprès de la direction régionale du Bureau du Procureur général de la Nationet sollicité une nouvelle fois des mesures de protection.

2.8Le 5 août 2002, le Comité de réglementation et d’évaluation des risques du Ministère de l’intérieur a accordé à M. Múnera López une protection humanitaire pour une période de trois mois, qui prévoyait notamment un accompagnement aux fins de son départ forcé de Barranquilla, ainsi qu’une aide financière. Des cinq demandes de protection que M. Múnera López a faites, c’est la seule à laquelle les pouvoirs publics ont donné suite.

2.9Le 31 août 2002, M. Múnera López a été tué de plusieurs coups de feu alors qu’il sortait du domicile de sa mère, accompagné de sa sœur. Les auteurs indiquent qu’il est le trente-huitième dirigeant syndical à être assassiné à Barranquilla depuis 1999.

2.10Le 26 août 2004, les auteurs ont saisi le tribunal administratif du département de l’Atlántico d’une demande de réparation contre le Ministère de l’intérieur, la police, le Département administratif de sécurité et l’État pour manquement à l’obligation qui leur incombait de protéger un citoyen en danger, dans laquelle ils réclamaient que la responsabilité de ces entités publiques soit reconnue et que celles-ci soient condamnées au versement d’une indemnisation pour les préjudices matériels et moraux causés aux membres de la famille de la victime.

2.11Le 28 mars 2005, le tribunal pénal no 5 de la circonscription judiciaire de Barranquilla a identifié l’auteur matériel du meurtre de M. Múnera López et l’a condamné à une peine de dix-sept ans d’emprisonnement. Il est indiqué dans le jugement que la victime a été tuée en raison de ses fonctions de dirigeant syndical et de responsable politique local ainsi que de ses liens présumés avec la guérilla colombienne (cette allégation a été examinée par les autorités judiciaires, qui ont conclu qu’elle était sans fondement), et que les faits portent à croire que le meurtre a été commis par un tueur à gages ou par une personne agissant à la manière d’un tueur à gages, ou au moins à l’envisager comme une possibilité. Le condamné a fait appel du verdict devant le tribunal supérieur de la circonscription judiciaire de Barranquilla, qui, le 21 juillet 2005, a confirmé sans réserve la condamnation prononcée en première instance. Un recours en cassation a été formé contre cette décision devant la Cour suprême de justice, qui l’a rejeté le 18 mai 2006, rendant ainsi la décision de première instance définitive. Selon les auteurs, bien que la possibilité que le meurtre ait été commis à l’instigation d’un tiers ait été évoquée, la justice n’a jusqu’à présent identifié personne qui soit susceptible d’être l’instigateur.

2.12Le 24 novembre 2010, le tribunal administratif du département de l’Atlántico a rejeté la demande de réparation déposée contre les pouvoirs publics au motif que M. Múnera López s’était lui-même mis en danger, notamment en ne quittant pas Barranquilla. Les auteurs n’ont pas formé de recours contre cette décision. Toutefois, ils affirment qu’un tel recours ne saurait être considéré comme un recours utile en cas de violation particulièrement grave des droits de l’homme, notamment en cas de violation du droit à la vie.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs dénoncent une violation des droits que M. Múnera López tenait des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 9 (par. 1), 17 et 22 du Pacte, ainsi que des droits que les membres de sa famille tiennent du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Ils dénoncent également, au nom du SINALTRAINAL en sa qualité de victime collective, une violation du droit à la liberté d’association protégé par l’article 22 du Pacte.

3.2Les auteurs affirment que l’État partie a violé le droit à la vie protégé par l’article 6 du Pacte en ne donnant pas la suite voulue aux demandes de protection de la victime. Ils renvoient à un arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dans lequel l’État partie est déclaré responsable d’avoir permis la mise en place d’un cadre juridique qui a contribué à la création de groupes paramilitaires. La Cour indique également dans cet arrêt que l’État partie n’a pas pris suffisamment de mesures de prévention et de protection en faveur de la population civile, dont la sécurité était menacée par les actions de ces groupes. En l’espèce, les auteurs estiment que les accusations sans fondement formulées par les autorités colombiennes (voir les paragraphes 2.3 à 2.5 supra) ont contribué à faire de M. Múnera López une cible et à le mettre en danger de mort, ainsi que l’indique le jugement du 28 mars 2005 rendu par le tribunal pénal no 5 de la circonscription judiciaire de Barranquilla (voir le paragraphe 2.11 supra). Les auteurs soulignent que, d’après des statistiques du Bureau du Procureur général de la Nation, 44 % du nombre total de crimes commis contre des syndicalistes entre 2001 et 2011 avaient le même mobile et ont été perpétrés par des groupes paramilitaires.

3.3Les auteurs affirment aussi que l’État partie a violé l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 6 (par. 1) du Pacte car il a manqué à son obligation de garantir un recours utile en ne faisant pas procéder à une enquête sur les instigateurs du meurtre, ni sur les éventuelles pratiques irrégulières de la multinationale pour laquelle travaillait M. Múnera López. D’après les auteurs, l’entreprise a des liens avec des groupes paramilitaires et serait, avec la complicité de l’État, impliquée dans le meurtre. Selon eux, le parquet colombien n’a pas enquêté sur la possibilité que les attaques perpétrées par les groupes paramilitaires contre des syndicalistes travaillant pour la multinationale se soient intensifiées sur instruction des dirigeants de celle-ci, ce qui constitue une atteinte à leur droit à la vérité.

3.4Les auteurs dénoncent une violation du droit à la sécurité de la personne que M. Múnera López tenait de l’article 9 du Pacte, car il n’a pas bénéficié de la protection dont il avait besoin, comme expliqué au paragraphe 3.2.

3.5Les auteurs font valoir que l’enquête pénale qui a été ouverte contre M. Múnera López, dans le cadre de laquelle son domicile et son lieu de travail ont été perquisitionnés, a donné lieu à une immixtion arbitraire dans sa vie privée et son domicile, en violation de l’article 17 du Pacte. Ces événements ont contribué à le stigmatiser, ce qui a déclenché la persécution dont il a été victime, les menaces de mort, qu’il a commencé à recevoir le 6 mars 1997 et qui l’ont contraint à se réfugier chez sa mère, n’ayant plus cessé jusqu’à son assassinat.

3.6Les auteurs affirment que le rejet de la demande de réparation par le tribunal administratif du département de l’Atlántico constitue une violation des droits que les membres de la famille de M. Múnera López tiennent du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Ils considèrent que cette décision revient à faire peser sur la victime la responsabilité de sa mort puisqu’elle nie la responsabilité de l’État partie dans celle-ci. Dans leurs commentaires sur la recevabilité de la communication, les auteurs font valoir également que la décision par laquelle le tribunal administratif du département de l’Atlántico a refusé d’accorder réparation aux proches de M. Múnera López constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 9 et du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte.

3.7Enfin, les auteurs dénoncent la persécution politique dont M. Múnera López a été victime en raison de ses activités en tant que dirigeant syndical, persécution que la perquisition à son domicile et l’enquête qui l’a suivie ont contribué à aggraver en alimentant les conjectures quant à ses liens présumés avec la guérilla, ce qui a entraîné son renvoi de l’usine d’embouteillage, lequel a par la suite été déclaré illégal. Les auteurs estiment par conséquent que l’État a une responsabilité directe dans les menaces dont M. Múnera López a été la cible ainsi que dans son meurtre. Selon eux, il n’y a pas eu de véritable enquête sur le lien de causalité entre les activités syndicales de la victime et son meurtre. Les auteurs estiment que tout ce qui précède fait apparaître une violation du droit à la liberté d’association que tenait M. Múnera López de l’article 22 du Pacte.

3.8Les auteurs soulignent en outre qu’en excluant toute responsabilité de l’État partie dans le meurtre, le tribunal administratif du département de l’Atlántico a exclu l’exercice du droit à restitution, indemnisation et réadaptation ou réhabilitation collective, grâce auquel des organisations criminelles auraient pu être démantelées et des organisations comme le SINALTRAINAL auraient pu obtenir les moyens de poursuivre leurs activités sans risque pour leur sécurité. Les omissions et les actions de l’État partie en l’espèce et dans d’autres affaires analogues concernant des membres du SINALTRAINAL constituent aussi une violation du droit que le SINALTRAINAL, en tant que collectivité, tient de l’article 22. Les auteurs affirment que l’article premier du Protocole facultatif n’empêche pas des individus de faire valoir que les actions ou omissions affectant des personnes morales et entités similaires constituent une violation des droits et libertés que leur reconnaît le Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 12 février 2018, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité de la communication. Il affirme que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif étant donné qu’elle est dénuée de fondement et qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications.

4.2L’État partie estime que la communication ne mentionne aucun fait susceptible d’engager sa responsabilité. Premièrement, pour ce qui est des allégations d’immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée de M. Múnera López, il fait observer que la perquisition était légale, puisqu’elle avait été ordonnée conformément aux procédures applicables. La décision de mise en détention provisoire et le mandat d’arrêt rendus contre M. Múnera López étaient eux aussi conformes à la loi, et c’est également en conformité avec la loi que M. Múnera López a pu les contester et obtenir leur annulation. Il n’y a donc eu aucun manquement de la part des autorités publiques. Par conséquent, l’on est fondé à conclure que l’État partie a pleinement respecté son droit interne ainsi que le Pacte.

4.3En ce qui concerne le droit de M. Múnera López à la liberté d’association, ce n’est pas l’État partie, mais une entité privée pour laquelle celui-ci travaillait, qui a enfreint ses droits syndicaux en résiliant son contrat de travail. En revanche, les autorités judiciaires de l’État partie ont reconnu qu’il avait été porté atteinte aux droits de M. Múnera López et ont ordonné sa réintégration ainsi que le versement des salaires qui lui étaient dus et d’une indemnisation.

4.4Pour ce qui est du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, l’État partie affirme que les mesures voulues ont été prises pour protéger M. Múnera López. Il fait notamment valoir que, le 2 janvier 2002, les autorités compétentes ont prié M. Múnera López de leur soumettre des documents aux fins de l’examen de sa demande d’admission au bénéfice du Programme de protection. Bien que celui-ci n’ait pas fourni les documents requis, le Comité de réglementation et d’évaluation des risques, à la demande du Comité politique du SINALTRAINAL et du Comité Solidaridad con los Presos Políticos (CSPP), a décidé le 24 juillet 2002 de lui accorder, pour raisons humanitaires, une aide financière d’un montant de 2 781 000 pesos. Le premier versement a été effectué le 16 août 2002. Cette aide lui avait été accordée à la condition qu’il reste à Bogotá D.C., pour sa propre sécurité. Cependant, ignorant ces règles élémentaires et sans préavis, M. Múnera López est revenu à Barranquilla, où il a été tué le 31 août 2002. On ne peut par conséquent pas considérer qu’il y a eu un quelconque manquement de la part des autorités publiques.

4.5Eu égard à ce qui précède, l’État partie conclut que la communication ne s’appuie sur aucune preuve ni aucun argument de droit valable, et qu’elle est par conséquent irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

4.6L’État partie note en outre que les faits concernés se sont produits il y a plus de quinze ans, entre 1998 et 2002, et que la condamnation des auteurs du meurtre, jugée insuffisante et inadéquate par les auteurs de la communication, a été prononcée le 28 mars 2005. Par ailleurs, le dernier recours formé par les auteurs contre l’État a été rejeté le 24 novembre 2010 par le tribunal administratif du département de l’Atlántico. Le fait que la communication porte sur des événements très anciens et qu’elle ait été présentée plus de cinq ans après le rejet du dernier recours formé par les auteurs est constitutif d’un abus du droit de présenter des communications au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires des auteurs concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Dans leurs commentaires du 9 mai 2018, les auteurs répondent aux arguments de l’État partie concernant l’irrecevabilité de la communication. Ils affirment que la procédure pénale engagée contre M. Múnera López ainsi que la perquisition à son domicile étaient arbitraires, l’objectif de ces mesures étant de le soumettre à une surveillance et à un harcèlement continus pour l’empêcher de poursuivre ses activités syndicales. L’une comme l’autre ont eu pour effet de le mettre en danger en le faisant passer pour un guérillero dans un contexte marqué par la violence paramilitaire et antisyndicale.

5.2En réponse à l’affirmation de l’État partie selon laquelle ce sont précisément les autorités judiciaires qui ont protégé le droit de M. Múnera López à la liberté d’association, les auteurs affirment que dans sa décision concluant à l’illégalité du licenciement de M. Múnera López, la Cour constitutionnelle n’a évoqué que les droits salariaux de l’intéressé ; elle ne s’est pas prononcée sur le caractère antisyndical du licenciement. En outre, le licenciement est la conséquence des actes des autorités publiques, puisqu’il a été motivé par l’absentéisme prolongé de M. Múnera López, lequel était dû à la procédure pénale engagée contre lui par l’État partie. L’État n’a fait procéder à aucune enquête sur les menaces et le harcèlement dont M. Múnera López était l’objet et qui visaient à entraver l’exercice de son droit à la liberté d’association.

5.3Pour ce qui est du droit de M. Múnera López à la sécurité de sa personne, les auteurs estiment que les mesures de protection qui ont été prises à son égard n’étaient pas proportionnées au risque qu’il courait, puisqu’elles se limitaient à une modeste aide financière, qui lui a en outre été versée tardivement et partiellement, et qu’elles ne prévoyaient aucune mesure concrète de protection. Les auteurs affirment en outre que le Centre de réglementation et d’évaluation des risques n’a pas voulu procéder à une évaluation technique du niveau de risque dans le cas de M. Múnera López, alors que celle‑ci aurait permis de mettre en place une protection effective. Les menaces qui pesaient sur M. Múnera López faisaient suite aux dénonciations qui avaient déclenché l’ouverture d’une procédure pénale contre lui. Ont également contribué à mettre M. Múnera López en danger la législation nationale, en ce qu’elle a favorisé la création de groupes paramilitaires, et les actions d’institutions comme le Département administratif de sécurité, qui, selon les auteurs, ont divulgué des informations recueillies par les services du renseignement sur des dirigeants syndicaux, des enseignants et d’autres personnes persécutées par les groupes paramilitaires.

5.4Les auteurs affirment que l’État partie n’a pas fait procéder à une enquête sur les menaces, la surveillance et le harcèlement dont M. Múnera López a fait l’objet pendant les cinq ans qui ont précédé son meurtre, malgré les plaintes que celui-ci avait déposées à ce sujet. Le parquet n’a donc pas suivi la procédure habituelle puisqu’il n’a mené aucune investigation ni pris aucune mesure concrète. De même, pour ce qui est de l’enquête sur le meurtre de M. Múnera López, les auteurs estiment que, compte tenu de la nature du crime et du fait que la victime était un dirigeant syndical menacé pour des raisons politiques, l’enquête n’aurait pas dû se limiter à identifier l’auteur matériel de l’infraction afin qu’il soit traduit en justice ; elle aurait aussi dû viser à en identifier les instigateurs, et ce, d’autant plus que le tribunal pénal no 5 de la circonscription de Barranquilla a conclu que M. Múnera López avait été tué, entre autres mobiles, en raison de ses fonctions de responsable politique local. L’obligation d’enquêter est en outre étroitement liée au droit à la vérité des membres de la famille de la victime, du SINALTRAINAL et des habitants du quartier El Bosque de Barranquilla.

5.5Les auteurs font valoir que la décision par laquelle le tribunal administratif du département de l’Atlántico a refusé d’accorder réparation aux proches de M. Múnera López constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 5 de l’article 9 et du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte.

5.6En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la communication constitue un abus du droit de présenter des communications, les auteurs font observer que l’État partie reconnaît que les investigations se sont poursuivies jusqu’au 24 novembre 2010.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 8 juin 2018, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il y réaffirme ses observations sur la recevabilité, à savoir qu’il n’a pas la moindre responsabilité dans les faits qui ont conduit à la mort de M. Múnera López.

6.2En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, l’État partie réaffirme qu’une protection a été accordée à M. Múnera López, bien que celui‑ci n’ait pas fourni les documents demandés par l’administration, et que cette protection supposait qu’il ne revienne pas dans la zone où sa sécurité était menacée, condition qu’il n’a pas respectée. En outre, les faits ont déjà donné lieu à une enquête et les auteurs (sic) du meurtre ont été condamnés, verdict qui a été confirmé par la plus haute juridiction judiciaire du pays, à savoir la Cour suprême de Justice.

6.3Pour ce qui est des allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 17 du Pacte, l’État partie souligne que la perquisition et le placement en détention provisoire ont été ordonnés dans le strict respect de la loi. En outre, le 29 septembre 1999, la procureure déléguée du parquet no 51 a décidé de clore l’enquête et aucune charge n’a été retenue contre M. Múnera López. Les autorités ont donc agi en toute légalité et dans le respect de toutes les garanties d’une procédure régulière, et M. Múnera López n’a pas été victime d’une arrestation arbitraire ni d’immixtions illégales dans sa vie privée.

6.4Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 22 du Pacte, l’État partie réaffirme que les autorités judiciaires colombiennes ont reconnu à M. Múnera López le droit consacré par cet article, et que c’est l’entreprise multinationale qui l’a licencié qui a violé ce droit.

6.5En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie affirme que M. Múnera López a eu la possibilité d’exercer des recours, qui ont abouti, pour faire reconnaître les violations subies. Il y a notamment lieu de souligner qu’un procureur de rang supérieur a annulé la décision de mise en détention provisoire et le mandat d’arrêt pris contre M. Múnera López et qu’il a clos l’enquête à son sujet. Pour ce qui est des droits au travail de M. Múnera López, sa réintégration ainsi que le versement, à ses ayants droit, des salaires dus et d’une indemnisation dûment indexés ont été ordonnés par décision de justice, laquelle a été confirmée par la Cour constitutionnelle le 13 novembre 2003. Enfin, pour ce qui est du meurtre de M. Múnera López, les auteurs matériels ont été condamnés à une peine de dix-sept ans d’emprisonnement par le tribunal pénal no 5 de la circonscription judiciaire de Barranquilla, et les proches de la victime ont pu intenter une action en réparation contre l’État auprès du tribunal administratif du département de l’Atlántico.

Commentaires des auteurs concernant les observations de l’État partie sur le fond

7.1Le 20 octobre 2018, les auteurs ont soumis leurs commentaires concernant les observations de l’État partie sur le fond. Ils estiment que l’État partie n’a pas apporté d’éléments suffisants pour prouver qu’il s’est acquitté de l’obligation qui lui incombait de garantir les droits de M. Múnera López. Ils soulignent que l’État partie ne tient pas compte du contexte national et local dans lequel les faits se sont produits, ni du lien déterminant entre les fonctions de dirigeant syndical de M. Múnera López et son meurtre.

7.2Les auteurs réaffirment que la décennie 2000 a été marquée par un climat de violence généralisée instauré par des groupes armés illégaux, majoritairement des groupes paramilitaires dont l’objectif principal était d’étendre leurs activités liées au trafic de drogues et au crime organisé, qu’ils finançaient par le rançonnement des commerçants, le racket, la conclusion d’accords avec des entrepreneurs et des éleveurs, la création d’entreprises de sécurité et de surveillance s’occupant d’éliminer les personnes désignées comme cibles et la corruption des institutions publiques. Les auteurs réitèrent leur argument selon lequel l’État partie a favorisé la création de ces groupes par l’adoption de certains textes de loi.

7.3Les affrontements entre ces groupes paramilitaires se sont particulièrement durcis dans le département de l’Atlántico et sa capitale, Barranquilla, où résidait M. Múnera López, entraînant une augmentation du nombre d’homicides, qui s’élevait à 788 en 2002. Cette situation a perduré jusqu’à la démobilisation massive des paramilitaires en 2006, laquelle a été suivie d’une résurgence des groupes criminels. En outre, entre 2000 et 2010, 44 syndicalistes de différents secteurs ont été assassinés, dont 16 étaient des enseignants. Trente-cinq de ces meurtres se sont produits entre Barranquilla et Soledad. Bien que ces actes soient imputables aux groupes paramilitaires, les auteurs estiment que l’État partie, du fait de sa connivence avec ces groupes ou de son inertie face à leurs agissements, en porte aussi la responsabilité. Le Comité lui-même a relevé avec préoccupation que des agents de l’État partie étaient impliqués dans les agressions perpétrées contre des dirigeants syndicaux et que les auteurs de tels actes semblaient jouir d’une totale impunité.

7.4En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle M. Múnera López a bénéficié d’une protection adéquate bien qu’il n’ait pas fourni les renseignements qui lui avaient été demandés, les auteurs font valoir que c’est grâce à la diligence et à l’insistance dont ont fait preuve le CSPP et le SINALTRAINAL, compte tenu de la gravité des risques que courait M. Múnera López, que celui-ci a obtenu une aide. Celle-ci lui est parvenue presque cinq mois après le dépôt de sa demande de protection, sans qu’il ait été procédé à une évaluation technique du niveau de risque, ainsi que le prévoit la procédure en vigueur. Les auteurs affirment que l’État partie disposait des moyens et des programmes nécessaires pour assurer la sécurité physique de M. Múnera López et lui garantir la protection de la loi, et qu’il aurait notamment dû faire procéder à une enquête sur les menaces que celui-ci recevait et qu’il a signalées aux autorités à plusieurs reprises, en vain, au cours des cinq années qui ont précédé sa mort. Les auteurs estiment que la protection doit être proportionnée au risque propre à l’activité de chacun, et que M. Múnera López, en sa qualité de syndicaliste, avait besoin d’une protection renforcée. Dans le jugement de condamnation rendu contre l’auteur matériel du meurtre par le tribunal pénal no 5 de la circonscription judiciaire de Barranquilla le 28 mars 2005, il est indiqué que le meurtre est indubitablement lié aux fonctions de dirigeant syndical et de responsable politique local de la victime, ainsi qu’à ses liens présumés avec la guérilla colombienne (cette allégation a été examinée par les autorités judiciaires, qui ont conclu qu’elle était sans fondement). En outre, d’autres responsables politiques locaux faisant partie de l’entourage de M. Múnera López ont été tués par des tueurs à gages, ce qui aurait dû alerter les autorités quant au risque que celui-ci courait. Les auteurs estiment aussi qu’il y a eu un manque de coordination entre les entités publiques chargées de la protection de M. Múnera López, en particulier entre le Bureau du Procureur général de la Nation, la police et le Défenseur du peuple.

7.5Pour ce qui est des griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 17 du Pacte, les auteurs affirment qu’en l’espèce, la perquisition a certes été réalisée conformément à la procédure prévue par la loi, mais qu’elle était néanmoins indue et arbitraire car elle avait été ordonnée dans un but illégitime, qui était de stigmatiser la victime. Les auteurs affirment que, selon le témoignage de M. Múnera López, au moment de la perquisition, des individus dans des camionnettes de la multinationale qui l’employait avaient guidé les autorités jusqu’à son domicile et avaient menacé sa famille. Ils rappellent que la décision de mise en détention provisoire et le mandat d’arrêt qui avaient été pris contre M. Múnera López ont été annulés plus de deux ans après la perquisition. La perquisition et l’enquête pénale arbitraire contre M. Múnera López ont été effectuées par des agents de l’État, ont porté atteinte à sa vie privée et l’ont placé dans une situation de risque qui lui a coûté la vie.

7.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 22 du Pacte, les auteurs considèrent que l’État partie a, par ces actes, joué un rôle dans le licenciement de M. Múnera López, notamment en contribuant à faire croire que celui-ci avait des liens avec la guérilla, de sorte qu’il n’a plus pu venir travailler, sa sécurité étant en danger, et qu’il a fini par être licencié. D’autres facteurs ont porté atteinte au droit de M. Múnera López à la liberté d’association, notamment la situation d’insécurité dans laquelle il s’est trouvé et l’inertie de l’État, qui n’a rien fait pour le protéger. Certes, la Cour constitutionnelle a reconnu les droits salariaux de M. Múnera López, mais elle n’a ordonné aucune mesure de réparation en faveur du SINALTRAINAL pour le préjudice causé par la poursuite de l’un de ses dirigeants.

7.7Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 3 de l’article 2, les auteurs réaffirment que M. Múnera López, en sa qualité de dirigeant syndical, aurait dû bénéficier d’une protection spéciale, élément qui n’a pas été pris en considération dans le jugement de condamnation prononcé contre l’auteur du meurtre, ni dans la décision du tribunal administratif du département de l’Atlántico. Le fait que la victime était un dirigeant syndical renforce l’obligation de faire la lumière sur son meurtre. Le procureur, dans son réquisitoire devant le tribunal pénal no 5 de la circonscription judiciaire de Barranquilla, a souligné le lien probable entre les fonctions de dirigeant syndical de la victime et son meurtre. En outre, le tribunal pénal no 5 a condamné l’auteur matériel du meurtre et reconnu que celui-ci avait agi sur instruction, et qu’il ne s’agissait pas d’un acte isolé mais d’un acte prémédité, commis selon un mode opératoire déjà observé à l’égard d’autres responsables politiques locaux ou dirigeants syndicaux, qui avaient eux aussi été victimes de campagnes de dénigrement et accusés d’avoir des liens avec la guérilla, pour être finalement lavés de ces accusations par le parquet. Les auteurs estiment par conséquent que les autorités auraient dû poursuivre l’enquête afin d’identifier l’instigateur ou les instigateurs du meurtre, ce qui aurait contribué à la reconnaissance de leur droit à la vérité et à la lutte contre l’impunité en Colombie. Les auteurs considèrent également que le recours formé devant le tribunal administratif du département de l’Atlántico pour obtenir réparation, qui a été rejeté, n’était pas un recours utile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note du grief des auteurs alléguant une violation du droit à la liberté d’association du SINALTRAINAL, représenté par son président. Le Comité rappelle son observation générale no 31, dans laquelle il indique que les bénéficiaires des droits reconnus par le Pacte sont les individus. Bien que le Pacte ne mentionne pas, hormis en son article premier, les droits des personnes morales ou entités ou collectivités analogues, la liberté d’association, à l’instar d’autres droits, peut être exercée collectivement. Le fait que la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications soit restreinte aux seules communications soumises par un individu ou au nom d’un individu (art. 1 du Protocole facultatif) n’empêche pas un tel individu de faire valoir que les actions ou omissions affectant des personnes morales et entités similaires constituent une violation de ses propres droits. Le Comité note que, en l’espèce, les auteurs ne font pas valoir que les faits concernés constituent une violation du droit du président du SINALTRAINAL ; ils affirment que ces faits constituent une violation du droit à la liberté d’association du syndicat lui-même, en tant que personne morale. Par conséquent, le Comité estime que ce grief est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif.

8.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Selon l’État partie, l’ordre de perquisition a été pris conformément à la loi en vigueur et la décision ordonnant le placement de M. Múnera López en détention provisoire a été ultérieurement annulée. Le Comité prend également note des allégations des auteurs qui affirment que l’ordre de perquisition était arbitraire en ce que son objectif était en réalité de nuire à la réputation de M. Múnera López. Le Comité note cependant que les auteurs n’ont pas expliqué en quoi cette mesure était arbitraire ni apporté de preuves à l’appui de leurs dires. Ils ont certes produit un rapport du parquet établissant une corrélation entre les dénonciations et les homicides, laquelle a été confirmée par le jugement du tribunal pénal no 5 de la circonscription judiciaire de Barranquilla, mais cela ne signifie pas que ces dénonciations avaient pour but de stigmatiser les personnes concernées ; cela montre seulement que les personnes qui en ont fait l’objet ont par la suite été harcelées, menacées et victimes de violences. Le Comité relève en outre que M. Múnera López n’a à aucun moment été arrêté. Il en conclut donc que les auteurs n’ont pas fourni d’éléments suffisants pour établir que l’ordre de perquisition et la décision de mise en détention provisoire étaient arbitraires, et considère par conséquent que les griefs tirés de l’article 17 du Pacte sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Pour les mêmes raisons, et compte tenu de ce que les auteurs ont fait état dans des communications écrites postérieures de violations du paragraphe 5 de l’article 9 et du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte sans étayer leurs allégations, et de ce que M. Múnera López n’a jamais fait l’objet d’une condamnation définitive, le Comité conclut que les griefs tirés du paragraphe 5 de l’article 9 et du paragraphe 6 de l’article 14 sont eux aussi irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas étayé leur grief selon lequel le licenciement de M. Múnera López constitue une violation de son droit à la liberté d’association, puisque les autorités ont reconnu qu’il y avait eu violation de ce droit et ont ordonné le versement d’une indemnisation aux ayants droit de M. Múnera López, qui était alors déjà décédé. Les auteurs affirment que la décision ne faisait pas référence au caractère antisyndical du licenciement et que celui-ci avait été causé par les actions des autorités publiques puisqu’il était motivé par l’absentéisme prolongé de M. Múnera López, lequel était dû à la procédure pénale engagée contre lui par l’État partie. Le Comité réaffirme que les allégations selon lesquelles la perquisition et les dénonciations dont M. Múnera López a été l’objet étaient arbitraires n’ont pas été suffisamment étayées, et note que les autorités ont reconnu que son licenciement était abusif. Le Comité considère par conséquent que le grief des auteurs selon lequel le licenciement abusif de M. Múnera López constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte sont insuffisamment étayés et sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité note que, selon l’État partie, les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur grief selon lequel il y a eu violation du droit de M. Múnera López à la sécurité de sa personne et de son droit à la vie, étant donné qu’une protection lui a été accordée mais qu’il n’a pas respecté l’interdiction qui lui avait été faite de revenir dans la zone où il était en danger. Le Comité note que M. Múnera López a été la cible de menaces puis assassiné en raison de ses fonctions de dirigeant syndical, ainsi que l’ont confirmé les autorités judiciaires de l’État partie, et estime par conséquent que les griefs des auteurs selon lesquels la protection accordée était inadéquate pour protéger les droits que tenait M. Múnera López de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et qu’il doit les examiner quant au fond.

8.7Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication constitue un abus du droit de présenter des communications étant donné le temps qui s’est écoulé depuis les faits. L’alinéa c) de l’article 99 du règlement intérieur du Comité dispose :

« En principe, un abus du droit de présenter une communication ne peut pas être invoqué pour fonder une décision d’irrecevabilité ratione temporis au motif de la présentation tardive de la plainte. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. ».

Le Comité note que la décision du tribunal administratif du département de l’Atlántico, dans laquelle sont traités des aspects généraux concernant les allégations formulées en l’espèce, date du 24 novembre 2010, et que la communication soumise au Comité a été reçue le 9 septembre 2015, soit moins de cinq ans après la dernière décision rendue par les juridictions internes compétentes. Par conséquent, le Comité conclut que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter des communications.

8.8Le Comité note que, selon les auteurs, le rejet, par le tribunal administratif du département de l’Atlántico, du recours visant à faire reconnaître la responsabilité de l’État, celui-ci ayant manqué à son obligation de protéger une personne en danger qui, du fait de sa position de dirigeant syndical, avait besoin d’une protection spéciale, constitue une violation du droit à réparation qu’ils tiennent du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le Comité considère que les auteurs invoquent le paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Il relève que les auteurs n’ont pas fait appel de la décision susmentionnée. Il note également que l’État partie n’a pas invoqué l’irrecevabilité de ces griefs pour non-épuisement des recours internes. Les auteurs font valoir en outre qu’un recours de ce type ne peut pas être considéré comme un recours utile dans le cas d’une violation particulièrement grave des droits de l’homme, notamment en cas de violation du droit à la vie. Le Comité rappelle sa jurisprudence, qui établit que l’on ne saurait considérer que des recours disciplinaires et administratifs constituent des recours adéquats et utiles au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte en cas de violation particulièrement grave des droits de l’homme, notamment en cas de violation présumée du droit à la vie. Par conséquent, le Comité conclut qu’en l’espèce, les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner les griefs tirés du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

8.9Le Comité ne voit aucun autre obstacle à ce que les griefs susmentionnés soient déclarés recevables. Il considère donc que les griefs que tirent les auteurs du paragraphe 1 de l’article 6, du paragraphe 1 de l’article 9, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, sont recevables, et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note du grief des auteurs selon lequel l’État partie est responsable de la violation du droit de M. Múnera López à la sécurité de sa personne, de son droit à la vie et de son droit à la liberté d’association parce qu’il ne lui a pas assuré une protection suffisante eu égard aux menaces que celui-ci avait reçues et dénoncées. Le Comité rappelle son observation générale no 36 (2018) sur le droit à la vie, qui dispose que l’obligation de protéger ce droit par la loi recouvre également l’obligation pour les États parties d’adopter toutes lois et autres mesures appropriées pour protéger le droit à la vie contre toutes les menaces raisonnablement prévisibles, y compris celles émanant de particuliers ou d’entités privées. Les États parties ont donc l’obligation d’exercer la diligence voulue en prenant des mesures positives raisonnables, qui ne leur imposent pas une charge disproportionnée, pour répondre aux menaces raisonnablement prévisibles pour la vie émanant de particuliers ou d’entités privées dont le comportement n’est pas imputable à l’État. L’obligation de protéger le droit à la vie exige des États parties qu’ils prennent des mesures de protection spéciales en faveur des personnes en situation de vulnérabilité dont la vie est exposée à un risque particulier en raison de menaces spécifiques ou de schémas de violence préexistants. Sont concernés notamment les défenseurs des droits de l’homme et les syndicalistes. En outre, les États parties doivent réagir promptement et efficacement pour protéger les personnes qui sont exposées à une menace spécifique. Le Comité prend note de la position de l’État partie, qui estime que la protection accordée à M. Múnera López était suffisante, mais qu’elle supposait que celui‑ci ne se rende pas dans la zone où il était menacé, condition qu’il n’a pas respectée, mettant ainsi sa vie en danger, ce qui lui a été fatal. Le Comité note que − fait qui n’a pas été contesté − M. Múnera López s’est rendu à Barranquilla, où il a été assassiné, à peine deux semaines après avoir reçu l’aide destinée à financer son départ, enfreignant ainsi les règles dont était assortie la protection qui lui avait accordée.

9.3Compte tenu de ce qui précède, le Comité souligne que l’obligation qui incombe à l’État partie consiste à prendre des mesures positives raisonnables, et que, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’État a estimé que la première mesure raisonnable à prendre était de faire en sorte que M. Múnera López quitte la zone où il était en danger, et de lui apporter une aide financière. Or, c’est M. Múnera López lui-même qui est allé contre cette mesure en revenant dans ladite zone, où il a été tué. Par conséquent, les informations dont le Comité dispose ne lui permettent pas de conclure que l’État partie ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait d’exercer la diligence voulue pour protéger la sécurité de M. Múnera López, son droit à la vie et son droit à la liberté d’association conformément au paragraphe 1 et l’article 6 et au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9.4Le Comité prend également note du grief des auteurs selon lequel l’État partie a violé le paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, étant donné qu’il n’a pas garanti le droit à un recours utile en ne cherchant pas à identifier les instigateurs du meurtre. Le Comité rappelle à ce sujet que, aux termes de son observation générale no 36 sur le droit à la vie, un élément important de la protection de ce droit est l’obligation qu’ont les États parties, lorsqu’ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance de privations de la vie résultant potentiellement d’actes illégaux, de faire procéder à une enquête et, le cas échéant, d’engager des poursuites contre les auteurs présumés de tels actes. Cette obligation, qui fait implicitement partie de l’obligation de protéger, est renforcée par l’obligation générale de garantir les droits reconnus dans le Pacte, établie au paragraphe 1 de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, et l’obligation d’offrir un recours utile aux victimes de violations des droits de l’homme et à leurs proches, énoncée au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Les enquêtes et poursuites auxquelles donnent lieu les privations présumées illégales de la vie devraient être menées conformément aux protocoles internationaux pertinents, notamment le Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les homicides résultant potentiellement d’actes illégaux, et doivent permettre de garantir que les responsables soient traduits en justice, de promouvoir l’établissement des responsabilités et de prévenir l’impunité, d’éviter le déni de justice et de tirer les enseignements voulus pour revoir les pratiques et méthodes employées afin d’empêcher de nouvelles violations. Les États parties doivent, entre autres, prendre des mesures appropriées pour établir la vérité sur les faits ayant abouti à la privation de la vie, notamment les raisons pour lesquelles certains individus ont été visés, et sur quelle base juridique, et les procédures appliquées par les forces de l’État avant, pendant et après le moment où la privation de la vie a eu lieu et pour identifier le corps des personnes qui ont perdu la vie.

9.5En l’espèce, le Comité note que le tribunal pénal no 5 de la circonscription judiciaire de Barranquilla a estimé que la victime avait clairement été tuée en raison de ses fonctions de dirigeant syndical et de responsable politique local ainsi que de ses liens présumés avec la guérilla colombienne (cette allégation a été examinée par les autorités judiciaires, qui ont conclu qu’elle était sans fondement), et que les faits portent à croire que le meurtre a été commis par un tueur à gages ou par une personne agissant à la manière d’un tueur à gages, ou au moins à l’envisager comme une possibilité. En d’autres termes, pour les autorités judiciaires, M. Múnera López a été assassiné en raison de ses fonctions de dirigeant syndical et, très probablement, à l’instigation d’une ou de plusieurs personnes. En outre, le fait que de nombreux meurtres de syndicalistes et d’autres responsables politiques locaux ont été commis dans cette région au cours de la même période porte à croire que ces meurtres, y compris celui de M. Múnera López, ont un ou plusieurs instigateurs. Les conclusions du rapport du Bureau du Procureur général de la Nation soumis par les auteurs indiquent qu’aucune enquête n’a été ouverte en vue d’identifier les instigateurs de ces meurtres, et qu’il faudrait entreprendre des investigations pour identifier et condamner les individus qui ont fomenté de tels actes, ont convaincu ou persuadé des tiers de les commettre ou leur en ont donné l’ordre. Le Comité note que l’État partie, en réponse à l’allégation concernant l’absence d’enquête, rappelle que l’auteur matériel du meurtre a été condamné. Toutefois, il n’apporte aucun élément quant aux mesures prises pour identifier les instigateurs du meurtre. Par conséquent, en l’absence d’informations montrant que l’État partie s’est acquitté de son obligation d’exercer la diligence voulue pour établir la vérité sur les faits qui ont abouti au meurtre de M. Múnera López, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits que tiennent M. Múnera López et les membres de sa famille du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les éléments dont il dispose font apparaître une violation, par l’État partie, du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, à l’égard de M. Múnera López et des membres de sa famille auteurs de la communication.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de mener une enquête rapide, approfondie et efficace, ainsi qu’impartiale, indépendante et transparente sur les circonstances du meurtre de M. Múnera López aux fins d’établir la vérité ; b) de communiquer aux auteurs de la communication faisant partie de la famille de M. Múnera López des informations détaillées concernant les résultats de l’enquête ; c) de leur accorder une indemnisation adéquate, y compris pour couvrir, dans une mesure raisonnable, les frais judiciaires engagés. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.