Nations Unies

CCPR/C/120/D/2162/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 décembre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2162/2012 * , ** , ***

Communication présentée par :

Arsen Ambaryan (non représenté par un conseil)

Au nom de :

Artur Ambaryan

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

20 avril 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 18 juin 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

28 juillet 2017

Objet :

Détention et poursuites pénales

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Torture et autres mauvais traitements ; arrestation arbitraire − détention ; procès équitable

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3 a) et b)) ; 7 ; 9 (par. 1 à 4) et 14 (par. 1, 3 a) et f) et 5)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Arsen Ambaryan, national kirghize d’origine arménienne né en 1960. Il présente la communication au nom de son frère, Artur Ambaryan, également national kirghize d’origine arménienne, né en 1968, qui exécutait une peine d’emprisonnement au Kirghizistan au moment de la soumission de la lettre initiale. Il affirme que l’État partie a violé les droits que son frère tient des articles 7, 9 (par. 1 à 4) et 14 (par. 1, 3 a) et f) et 5) du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3 a) et b)). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kirghizistan le 7 octobre 1994. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 25 février 2011, vers 14 heures, le frère de l’auteur était au volant de sa voiture dans la ville d’Och lorsqu’il a été arrêté par un véhicule dans lequel se trouvaient cinq personnes en tenue civile. Sans se présenter comme des représentants de la loi, celles-ci l’ont menotté et ont fouillé sa voiture, dans laquelle elles ont trouvé 2,7 grammes d’héroïne. L’intéressé a dit ignorer d’où venait la drogue. Au moment de la fouille, il n’avait pas été informé des raisons pour lesquelles il avait été arrêté, et il ne pouvait pas suivre la conversation entre les cinq personnes car elle était en kirghize, langue qu’il ne comprenait pas.

2.2Le frère de l’auteur a été conduit dans les locaux de l’antenne méridionale du Bureau de lutte contre le trafic de stupéfiants, où il a été soumis jusqu’à 23 h 40 à des pressions psychologiques visant à lui faire avouer qu’il était coupable de détention d’héroïne destinée à la vente. Il a été enfermé dans une pièce froide où il est resté dix heures sans eau ni repas chaud et sans pouvoir aller aux toilettes. Menotté, sans être assisté d’un avocat ni de proches, il a été interrogé et menacé par des personnes en tenue civile qui, de temps en temps, filmaient ce qui se passait. Il n’a jamais été informé de ses droits, en particulier de son droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat et d’un interprète dès le moment de son arrestation, ni des raisons de sa garde à vue.

2.3Vers 22 heures, l’auteur a reçu un appel téléphonique de son frère et, à 23 heures, il est arrivé dans les locaux du Bureau de lutte contre le trafic de stupéfiants. Ce n’est qu’à ce moment-là que, pour la première fois depuis qu’il avait été arrêté, son frère a été autorisé à utiliser les toilettes, ce qu’il a toutefois dû faire en présence des agents et menottes aux poignets. L’auteur soutient que, incapable de supporter la torture, l’humiliation et la fatigue, son frère a fait de faux aveux.

2.4Selon l’auteur, le procès-verbal de garde à vue a été établi par l’enquêteur le 25 février 2011 à 23 h 40, soit dix heures après l’arrestation de son frère, et n’indiquait pas les motifs de la détention, en violation des articles 94 et 95 du Code de procédure pénale kirghize.

2.5L’auteur soutient qu’entre 14 heures et 23 h 40, son frère a été gardé à vue illégalement et n’a pas été informé de mesures importantes prises dans le cadre de la procédure, et notamment du fait qu’il était mis en examen au pénal et qu’une expertise était en cours. Les principaux documents le visant, tels que l’ordonnance de renvoi, le procès‑verbal de garde à vue et le procès-verbal de perquisition, étaient rédigés en kirghize, et il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat ni d’un interprète, au mépris de l’article 24 de la Constitution kirghize.

2.6Le 26 février 2011 vers 2 heures du matin, le frère de l’auteur a été transféré dans un centre de détention temporaire, où on lui a enfin ôté ses menottes. Le lendemain, quarante-six heures après son arrestation, il a été interrogé en tant qu’accusé, sans toutefois être informé de ses droits, et notamment du droit de garder le silence. L’auteur soutient que rien dans le procès-verbal de l’interrogatoire n’indique que son frère ait été informé de ses droits.

2.7Le 27 février 2011, après avoir entendu les parties, le tribunal municipal d’Och a ordonné la détention provisoire du frère de l’auteur jusqu’au 25 avril au motif que l’intéressé était accusé d’une infraction grave et risquait de tenter d’échapper à la justice. Les auditions et l’interrogatoire n’ont duré que dix à quinze minutes, et le juge n’a pas mis en question le fondement légal retenu pour la détention ni envisagé de mesures de substitution à celle-ci, ce qui constitue une violation de la législation interne.

2.8Au cours de son interrogatoire par le tribunal, le frère de l’auteur s’est plaint d’avoir été torturé par les agents auxquels il avait eu affaire. Ni le tribunal ni le ministère public n’ont réagi à ses allégations et ordonné l’ouverture d’une enquête. L’auteur allègue que son frère n’avait rien dit au ministère public des actes de torture qu’il avait subis parce qu’il craignait d’être victime de représailles et de nouveau torturé. Renvoyant aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Avadanov c. Azerbaijan et aux instructions nos 70 et 75 du Procureur général, l’auteur avance que le procureur, qui a assisté aux auditions et à l’interrogatoire et était informé des allégations de torture, aurait dû ordonner l’ouverture d’une enquête indépendamment du fait que le frère de l’auteur ne l’avait pas demandé. L’auteur tire aussi argument d’un rapport de Human Rights Watch pour soutenir que le ministère public refuse souvent d’enquêter sur les allégations de torture.

2.9Les 3 et 9 mars 2011, le conseil du frère de l’auteur a interjeté appel de la décision rendue par le tribunal municipal d’Och le 27 février 2011 auprès du tribunal régional, lequel, siégeant en formation de trois juges, l’a débouté le 22 mars. L’auteur affirme qu’en statuant en formation collégiale, le tribunal régional a enfreint les dispositions de l’article 132-1 du Code de procédure pénale, qui dispose que les appels relèvent d’un juge unique.

2.10Le 8 avril 2011, le conseil du frère de l’auteur, D. T., a saisi la Cour suprême du Kirghizstan d’une demande de contrôle juridictionnel des décisions des 27 février et 22 mars 2011 par lesquelles le tribunal municipal et le tribunal régional d’Och avaient respectivement ordonné et confirmé la mise en détention provisoire du frère de l’auteur à titre de mesure de sûreté. Le 19 mai, s’appuyant sur le paragraphe 4 de l’article 383 du Code de procédure pénale, la Cour suprême a rejeté cette demande au motif que le tribunal de première instance avait déjà examiné l’affaire au fond. L’auteur fait observer que ni son frère ni le conseil de celui-ci, D. T., n’ont assisté aux débats. Il soutient que la notification de l’audience du 19 mai 2011 n’est parvenue à Och que le lendemain et que c’est à tort que les notes d’audience indiquent la présence du conseil. Il ajoute que rien dans le paragraphe 4 de l’article 383 du Code de procédure pénale ne permet de penser que l’examen d’une affaire au fond justifie l’abandon de la procédure de contrôle juridictionnel.

2.11Le 25 avril 2011, soit cinquante jours après son arrestation, le frère de l’auteur a reçu copie de l’acte d’inculpation le concernant, daté du 22 avril 2011, dans lequel il était mis en cause pour trafic de stupéfiants en bande organisée. Le 27 avril, le tribunal municipal d’Och a décidé de prolonger sa détention sans indiquer sur quel fondement légal cette décision reposait. Ni l’intéressé ni son conseil n’étaient présents à l’audience, et le droit interne ne prévoit aucune possibilité de recours contre cette décision. L’auteur avance qu’au 25 avril 2011, son frère était détenu sur la base de l’acte d’inculpation du 22 avril, et que, entre le 25 avril et le 7 juillet, date du prononcé du jugement, il a été victime de détention arbitraire et illégale.

2.12Le procès en première instance s’est ouvert le 12 mai 2011 au siège du tribunal municipal d’Och. Le 7 juillet, le frère de l’auteur a été reconnu coupable de trafic de stupéfiants en bande organisée et condamné à une peine de neuf ans d’emprisonnement. L’auteur a demandé une copie du jugement en langue russe. En août, il a été informé qu’il devrait préalablement s’acquitter des frais de traduction. Il soutient que, en ne lui fournissant pas de version russe du jugement, l’État partie a violé le droit de son frère d’être informé des accusations portées contre lui dans une langue qu’il comprend.

2.13Les 15 juillet et 2 septembre 2011, l’auteur et son frère ont chacun interjeté appel auprès du tribunal régional d’Och, qui les a déboutés le 6 octobre 2011. Les 22 et 25 novembre 2011, respectivement, ils ont saisi la Cour suprême d’une demande de contrôle juridictionnel. Par une décision du 9 février 2012, la Cour a refusé d’examiner la demande de l’auteur et a rejeté celle de son frère.

2.14Le 22 mai 2012, le frère de l’auteur a été transféré du centre de détention provisoire no 5 d’Och au centre pénitentiaire no 10 de Jalal Abad pour y exécuter le restant de sa peine. Le 19 juillet, l’auteur a été informé par voie d’huissier qu’en application du jugement, les biens de son frère, y compris l’appartement de celui-ci, seraient confisqués.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que son frère est victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2, car au cours de ses trois premiers jours de privation de liberté, des agents l’ont torturé pour lui extorquer des aveux.

3.2L’auteur soutient également que son frère est victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte car il a été arrêté le 25 février 2011 à 14 heures sans être informé des raisons de son arrestation et le procès-verbal de garde à vue n’a été établi qu’à 23 h 40 .

3.3L’auteur avance que les droits que son frère tient du paragraphe 2 de l’article 9 et des paragraphes 3 a) et f) de l’article 14 du Pacte ont été violés car l’intéressé n’a pas été informé rapidement des accusations portées contre lui, ne pouvait pas comprendre l’acte d’inculpation étant donné qu’il est de langue maternelle russe et que le document était rédigé en kirghize, et n’a pas reçu de traduction du jugement en russe.

3.4L’auteur avance également que les droits que son frère tient du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte ont été violés car la détention provisoire ordonnée par le tribunal municipal d’Och le 27 février 2011 n’était pas fondée en droit et le tribunal n’a pas envisagé de mesures de substitution.

3.5L’auteur soutient que les dispositions du paragraphe 4 de l’article 9 et du paragraphe 5 de l’article 14 ont été enfreintes parce que son frère a été privé du droit de contester la légalité de sa détention auprès de la Cour suprême. Il avance que, entre le 25 avril 2011 et le 7 juillet, date du prononcé du jugement, la détention de son frère était arbitraire et illégale en ce qu’elle reposait uniquement sur le fait que l’intéressé avait été inculpé et déféré au tribunal de première instance. Il ajoute que, en rejetant la demande par laquelle il la priait d’examiner la légalité de la détention de son frère, le 19 mai 2011, la Cour suprême a enfreint les droits garantis à celui-ci par le paragraphe 4 de l’article 9 et le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

3.6L’auteur soutient également qu’il a été porté atteinte aux droits que son frère tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte car la formation collégiale du tribunal régional d’Och n’était pas conforme aux dispositions du droit interne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une communication du 4 octobre 2012, l’État partie présente ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il indique que, le 7 juillet 2011, le frère de l’auteur a été reconnu coupable d’une infraction visée aux paragraphes 1 et 2 de l’article 274-2 du Code pénal et condamné à une peine de neuf ans d’emprisonnement. Le 25 février 2011, la police avait arrêté l’intéressé pour détention d’héroïne lors d’une opération menée par l’antenne méridionale du Bureau régional de lutte contre le trafic de stupéfiants, qui relève du Département des affaires intérieures. Le 23 avril, l’enquête s’est terminée et l’affaire a été portée devant le tribunal. Le 6 octobre, le tribunal régional d’Och a rejeté le recours formé contre le jugement rendu en première instance le 7 juillet. Néanmoins, conformément au paragraphe 3 de l’article 4-1 de la loi d’amnistie adoptée à l’occasion du vingtième anniversaire de l’indépendance du Kirghizistan, il a réduit de deux tiers la durée de la peine restant à exécuter. Le 9 février 2012, la Cour suprême a rejeté la demande de contrôle juridictionnel de l’arrêt du 6 octobre 2011 présentée par le frère de l’auteur.

4.2L’État partie indique que le conseil du frère de l’auteur a interjeté appel de la décision rendue par le tribunal municipal d’Och le 27 février 2011 auprès du tribunal régional d’Och, lequel, siégeant en formation de trois juges, l’a débouté le 22 mars. Il conteste l’argument selon lequel la formation collégiale du tribunal était contraire aux dispositions de l’article 132-1 du Code de procédure pénale car celui-ci prévoit que les appels relèvent d’un juge unique. Selon lui, le tribunal a respecté les dispositions de l’article 31-4 du Code de procédure pénale, aux termes duquel les juridictions d’appel saisies d’affaires pénales siègent en formation de trois juges.

4.3Le 19 mai 2011, la Cour suprême a interrompu la procédure de contrôle juridictionnel engagée à la demande du conseil du frère de l’auteur au motif que l’enquête était terminée et que, le 12 mai, le tribunal municipal d’Och avait commencé à examiner l’affaire au fond. Quant aux arguments selon lesquels la détention provisoire doit être l’exception, la décision rendue par le tribunal municipal d’Och le 27 février 2011 était dénuée de fondement légal et le tribunal n’a pas envisagé de mesures de substitution à la détention, l’État partie soutient que l’article 267-1 du Code de procédure pénale donne toute latitude au tribunal pour ordonner ou non la détention provisoire et ne l’oblige pas à motiver sa décision.

4.4L’État partie soutient également que la Cour suprême a interrompu la procédure de contrôle juridictionnel car le tribunal de première instance a rendu une nouvelle décision qui l’a rendue inutile.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans une communication du 10 décembre 2012, l’auteur reprend ses arguments initiaux. Il maintient que, à compter du moment où il a été arrêté, le 25 février 2011 à 14 heures, jusqu’à 23 h 40 le même jour, son frère a été soumis à des actes de torture et à des menaces (traitements cruels) qui l’ont conduit à s’accuser lui-même. L’auteur avance que l’État partie n’a pas contesté ces allégations ni indiqué quand, comment et par qui une enquête aurait été menée à leur sujet.

5.2L’auteur soutient que l’État partie n’a pas répondu au grief qu’il tire du paragraphe 4 l’article 9, à savoir que l’affaire n’a pas été portée rapidement devant le tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de la détention de son frère, et il réitère les observations formulées dans sa lettre initiale. Il avance que le simple fait que la Cour suprême ait donné suite à la demande de contrôle juridictionnel présentée par le conseil de la défense montre qu’elle avait suffisamment d’éléments pour annuler la décision de mise en détention provisoire et ordonner une mesure de substitution.

5.3L’auteur maintient que son frère a été injustement condamné pour une infraction liée à la détention de stupéfiants et que les tribunaux n’ont pas tenu compte de ses arguments, en violation de l’article 14 du Pacte. Selon lui, les éléments de preuve à charge n’étaient pas recevables car ils avaient été obtenus sur « provocation policière » dans le contexte d’une opération « d’infiltration ». L’auteur soutient de nouveau que le tribunal n’a pas apprécié les éléments de preuve et interrogé les témoins comme il se devait, et conteste en particulier la qualité des expertises qui ont conduit à déterminer que la substance trouvée dans la voiture de son frère était de l’héroïne. En outre, l’auteur soutient que les opérations « d’infiltration » échappent à tout contrôle judiciaire et que la justice n’a pas tenu compte du fait que l’infraction dont son frère était accusé avait été « provoquée » par la police.

5.4L’auteur rappelle que son frère n’a pas reçu de version russe du jugement, ce qui a porté atteinte à son droit d’être informé des accusations portées contre lui dans une langue qu’il comprend et de bénéficier de l’assistance gratuite d’un interprète. Lorsque l’intéressé a interjeté appel, il disposait seulement d’une traduction officieuse du jugement et n’avait pas reçu de version du dossier dans une langue qu’il comprenait.

5.5L’auteur prie le Comité de conclure à des violations des droits que son frère tient de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec les paragraphes 3 a) et b) de l’article 2, les paragraphes 1 à 4 de l’article 9 et les paragraphes 1, 3 a) et f) et 5 de l’article 14. Le Comité devrait recommander à l’État partie de mener une enquête approfondie sur les allégations de torture, de poursuivre les responsables, de réviser le jugement prononcé contre son frère, d’annuler la confiscation de l’appartement de celui-ci et de modifier la procédure judiciaire et administrative applicable aux personnes arrêtées pour trafic de stupéfiants lors d’opérations « d’infiltration ». L’auteur demande en outre que son frère soit indemnisé pour les violations subies (à raison de 5 000 euros pour préjudice moral et 7 200 euros pour préjudice matériel au titre de la durée de l’emprisonnement, plus 25 000 euros pour la confiscation de son appartement).

Observations complémentaires

Observations de l’État partie

6.1Dans une communication du 19 juin 2013, l’État partie soutient de nouveau qu’au cours de son opération, la police a découvert 2,7 grammes d’héroïne dans la voiture du frère de l’auteur. Il souligne que l’analyse chimique no 74, datée du 25 février 2011, a confirmé que la substance trouvée sous le siège avant du véhicule était de l’héroïne.

6.2L’État partie indique que la demande de contrôle juridictionnel du jugement a été refusée au motif qu’elle émanait de l’auteur et que celui-ci n’avait pas présenté d’autorisation de son frère. Quant à la demande de contrôle présentée par le frère de l’auteur, elle a été examinée et rejetée.

6.3L’État partie nie que de nombreuses violations de la loi aient été commises au cours de l’opération de police et de l’enquête et du procès qui ont suivi. Il conteste la théorie selon laquelle le tribunal a considéré les actes de torture allégués par le frère de l’auteur comme des faits admis et avance que, contrairement à ce que l’auteur soutient, il a bel et bien traité la question de la torture présumée dans les observations qu’il a présentées au Comité. L’État partie renvoie au jugement du 7 juillet 2011, dont il ressort qu’au cours de l’instruction, le frère de l’auteur a avoué sous la pression des policiers être coupable d’une partie des faits reprochés, mais rejette l’interprétation de l’auteur, selon qui le tribunal a admis que l’intéressé avait été torturé. Dans ce jugement, le tribunal a conclu qu’en soutenant qu’il avait subi des mauvais traitements, n’avait commis aucune infraction liée aux stupéfiants et était victime d’une mise en scène de la police, le frère de l’auteur cherchait à échapper à sa responsabilité pénale et à éviter d’être puni pour l’infraction commise. L’État partie ajoute que l’enquêteur a interrogé l’intéressé à trois reprises et que celui-ci a admis qu’une dénommée D. lui avait fourni la drogue. Sur la base de ce témoignage, la police a perquisitionné au domicile de D., où elle a trouvé 3,35 grammes d’héroïne.

6.4L’État partie rejette en outre l’argument selon lequel de multiples violations de la loi ont été commises durant l’arrestation et la détention du frère de l’auteur et nie notamment avoir porté atteinte au droit à la liberté garanti à celui-ci ou à ses droits de bénéficier de l’assistance d’un avocat et d’un interprète, d’être informé des accusations portées contre lui dans une langue qu’il comprend et de garder le silence. L’État partie soutient que, le 25 février 2011, le frère de l’auteur s’est vu communiquer un document rédigé en langue russe dans lequel étaient énoncés ses droits et obligations, document qu’il a reconnu par écrit avoir reçu. À ce stade initial de la procédure, l’intéressé était représenté par un défenseur privé, M. M., et a été interrogé en qualité de suspect en russe et en la présence de son conseil. Le 27 février, il a été informé en russe des accusations portées contre lui. C’est également en russe et en la présence de son avocat qu’il a été interrogé en tant qu’accusé. Au cours de son interrogatoire, il a partiellement reconnu sa culpabilité, expliquant qu’avec son coaccusé B. A., il avait acheté et transporté la drogue en vue de la revendre. Partant, l’État partie rejette l’argument selon lequel le droit du frère de l’auteur de ne pas témoigner contre lui-même a été violé. 

6.5L’État partie soutient que, comme prévu à l’article 231 du Code de procédure pénale, le frère de l’auteur a pu bénéficier des services d’un interprète et avait accès aux pièces du dossier, de même que son conseil et son interprète. Il reconnaît que le jugement a été rédigé en kirghize et que, le 10 août 2011, le frère de l’auteur a demandé au président du tribunal municipal d’Och qu’une version russe lui soit fournie. Toutefois, le frère de l’auteur ne s’est pas acquitté des frais de traduction correspondants. Dans une lettre du 24 août, le tribunal a rappelé au conseil que, conformément à l’article 146-1 du Code de procédure pénale, les frais liés à la traduction d’actes étaient à la charge de la partie intéressée.

6.6L’État partie soutient que le frère de l’auteur ne s’est pas plaint au parquet municipal d’Och d’avoir été torturé pendant sa garde à vue et que, dans la lettre qu’il a adressée au Procureur général du Kirghizistan le 24 octobre 2012, son conseil ne faisait pas mention d’actes de torture infligés à son client par la police. Enfin, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les experts qui ont procédé à l’analyse chimique de la substance retrouvée dans la voiture de l’intéressé n’ont pas précisé par quelle méthode ils étaient parvenus à la conclusion qu’il s’agissait d’héroïne, l’État partie soutient que l’analyse a été effectuée suivant le protocole prévu dans le guide établi à l’intention des experts par le Ministère de l’intérieur.

Observations de l’auteur

7.1Dans ses observations complémentaires du 30 septembre 2013, l’auteur maintient que son frère a été torturé et s’en est plaint auprès du tribunal. Le 4 avril 2013, le parquet municipal d’Och a interrogé le frère de l’auteur au sujet de la communication présentée au Comité. Le 5 avril, l’auteur a déposé plainte auprès du Procureur général du Kirghizistan, arguant que les actes du parquet revenaient à exercer des pressions sur son frère en l’absence du conseil de celui-ci et demandant que des poursuites pénales soient engagés contre les policiers impliqués. Le 10 mai, le Procureur général a confirmé la décision du parquet municipal de ne pas engager de poursuites. Par une lettre du 14 juin, l’auteur a notamment fait savoir au Procureur général qu’il n’avait pas reçu copie de cette décision. Il soutient qu’il était dans l’impossibilité de contester le classement de l’affaire, ce qui, selon la loi, doit être fait dans les sept jours à compter de la date à laquelle la partie en a informée, car il n’avait pas été prévenu de l’ouverture de l’enquête préliminaire et ne savait pas qui l’avait menée, ni par qui et pour quel motif le classement avait été décidé.

7.2De nouveau, l’auteur soutient que le tribunal n’a pas dûment apprécié les éléments de preuve et conteste les conclusions de l’analyse chimique et le jugement. Il avance que le conseil de son frère n’a pas été autorisé à contre-interroger un témoin important et que son témoignage a été tenu secret. Il soutient en outre que son frère n’a pas bénéficié d’un procès équitable car la procédure « d’infiltration » à laquelle la police recourt n’est pas soumise à un contrôle judiciaire indépendant et impartial. Il rappelle que le parquet n’a pas réagi aux allégations de torture formulées par son frère à l’audience et n’a rendu visite à l’intéressé en prison que le 4 avril 2013, c’est-à-dire près de deux ans après son arrestation, et seulement parce que le Comité avait été saisi d’une communication. L’auteur maintient en outre que le ministère public n’est pas un organe indépendant ; selon lui, il sert des intérêts conflictuels puisqu’il doit d’une part superviser l’enquête et diriger les poursuites et, d’autre part, protéger les prévenus contre tous actes de torture de la part des organes chargés de l’enquête, en conséquence de quoi les personnes torturées en garde à vue n’ont aucun recours efficace.

7.3L’auteur réaffirme que son frère a été privé de la possibilité d’interjeter appel du jugement prononcé contre lui car il n’a pas reçu de copie de ce jugement dans une langue qu’il comprend. L’auteur avance que l’État partie a reconnu ce fait comme établi, se contentant d’arguer que la pratique consistant à faire payer les traductions n’était pas contraire au Code de procédure pénale. Il conteste cet argument et renvoie au paragraphe 3 de l’article 147-1 dudit Code, selon lequel les frais de procédure liés à l’interprétation sont à la charge de l’État.

7.4Le 3 février 2015, l’auteur a informé le Comité que, le 13 novembre 2014, le tribunal municipal d’Och avait ordonné la libération anticipée de son frère. Selon lui, toutefois, celui-ci reste une victime au regard du Protocole additionnel car l’État partie n’a pas admis les violations des droits consacrés par le Pacte ni offert de réparation correspondante.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, selon qui le frère de l’auteur n’a pas dit aux représentants du parquet municipal d’Och qu’il avait été victime de torture pendant sa garde à vue pas plus que, dans sa lettre du 24 octobre 2012 adressée au Procureur général du Kirghizistan, le conseil de l’intéressé n’a allégué que son client avait été torturé par la police. Le Comité note toutefois que l’auteur soutient que son frère s’est plaint au tribunal d’avoir été torturé par des policiers et s’est abstenu de dénoncer ces faits au parquet parce qu’il craignait d’être victime de représailles et de subir de nouveaux actes de torture. Le Comité note également que, deux ans plus tard, le 10 mai 2013, le Procureur général a rejeté la requête du 5 avril 2013 par laquelle l’auteur dénonçait la conduite du parquet municipal d’Och (qui avait interrogé son frère comme suite à la saisine du Comité) et demandait que les policiers soient poursuivis au pénal. En conséquence, le Comité estime que les conditions prévues au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies et que rien ne l’empêche d’examiner le grief soulevé.

8.4Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui affirme que des policiers ont maltraité son frère pendant sa garde à vue afin de lui extorquer des aveux. Le frère de l’auteur a dit avoir été brutalisé et torturé par des policiers qui l’ont forcé à faire un témoignage écrit contre M. T. Comme l’indique notamment le jugement rendu par le tribunal municipal d’Och le 7 juillet 2011, il a soulevé ce grief auprès des autorités nationales, et l’État partie ne l’a pas contesté. Le Comité constate en outre que le tribunal n’a pas ordonné de complément d’enquête. À ce sujet, il prend note de la thèse de l’État partie, qui affirme que le frère de l’auteur cherchait à échapper à sa responsabilité pénale et que ni lui ni son conseil ne se sont plaints d’actes de torture auprès du ministère public. Il note aussi que les allégations du frère de l’auteur ne sont étayées par aucun certificat médical. Compte tenu des éléments dont il dispose, le Comité n’est pas en mesure de conclure que le frère de l’auteur a été soumis à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Faute d’informations plus précises émanant de l’auteur à cet égard, il conclut que les allégations de l’auteur au titre de l’article 7 n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité note que l’auteur allègue des violations des dispositions des paragraphes 1 et 3 de l’article 9 du Pacte, soutenant que, le 25 février 2011, son frère a été arrêté et gardé à vue de 14 heures à 23 h 40 sans être informé des raisons de son arrestation et de sa privation de liberté et que, le 27 février 2011, le tribunal municipal d’Och a ordonné son placement en détention provisoire sans que la loi ne le justifie. Le Comité constate toutefois que le tribunal municipal a autorisé la détention provisoire jusqu’au 25 avril 2011 dans le cadre de la procédure pénale qui était en cours et conformément à la législation interne, motif pris de ce que l’intéressé était accusé d’une infraction grave et risquait de tenter de se soustraire à la justice. Il estime que l’auteur n’a pas expliqué en quoi l’arrestation et la détention provisoire de son frère étaient contraires au droit interne ou arbitraires au sens de l’article 9 du Pacte. Partant, il estime que les griefs soulevés ne sont pas recevables au regard de l’article 2 du Protocole additionnel en ce qu’ils sont dénués de fondement.

8.6En ce qui concerne l’allégation, au titre du paragraphe 2 de l’article 9, selon laquelle le frère de l’auteur n’a pas été informé dans le plus court délai des motifs de son arrestation et des accusations portées contre lui dans une langue qu’il comprend, le Comité prend note des observations de l’État partie, selon qui la communication entre la police et le frère de l’auteur au moment de son placement en détention s’est faite en russe ; le frère de l’auteur était représenté par un conseil privé ; son interrogatoire en tant que suspect et prévenu a été mené en russe en présence de son conseil, et il a été informé en russe des accusations portées contre lui. En l’absence de réfutation plus précise de l’auteur à cet égard, le Comité conclut que les allégations de l’auteur n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire du paragraphe 4 de l’article 9 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, à savoir que : a) du 25 avril 2011 jusqu’au prononcé du jugement, le 7 juillet, la détention de son frère était arbitraire et illégale en ce qu’elle reposait sur le seul fait que l’intéressé avait été inculpé et déféré au tribunal de première instance ; b) son frère et lui ont été privés du droit de contester la légalité de la détention devant la Cour suprême du Kirghizistan, celle-ci ayant refusé d’examiner la demande de contrôle juridictionnel présentée par l’auteur et rejeté celle présentée par son frère. Le Comité estime que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire de l’article 14 du Pacte à propos de l’examen des éléments de preuve et de l’interrogatoire des témoins. Il relève en particulier que l’auteur conteste le jugement prononcé contre son frère, l’appréciation qui a été faite des preuves matérielles, le fait que la défense n’ait pas été autorisée à contre-interroger un témoin clef, X., qui avait participé à l’opération « d’infiltration » menée par la police, les méthodes employées par les témoins experts et le résultat des expertises, le recours à la procédure « d’infiltration » et le fait que le tribunal régional d’Och ait siégé en formation de trois juges. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il appartient aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation interne dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que cette appréciation ou cette application a été manifestement arbitraire ou entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice, ou que le tribunal a d’une quelconque autre façon manqué à son obligation d’indépendance et d’impartialité. En l’espèce, le Comité constate que les éléments dont il est saisi ne permettent pas de conclure que l’examen des éléments de preuve et l’interrogatoire des témoins par le tribunal ont été arbitraires. Les éléments versés au dossier ne permettent pas davantage de conclure que la formation dans laquelle le tribunal a siégé n’était pas conforme à la législation interne. Le Comité estime donc que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés et ne sont pas recevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé ses autres griefs, qui soulèvent des questions au regard du paragraphe 3 a) et f) de l’article 14 du Pacte, et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 a) et f) de l’article 14, à savoir que son frère, dont la langue maternelle est le russe, n’a pas été informé dans le plus court délai des motifs de son arrestation et de la nature des accusations portées contre lui, par écrit et dans une langue qu’il comprenait, ne pouvait pas comprendre l’acte d’inculpation le concernant car celui-ci n’était disponible qu’en kirghize, et n’a pas reçu de traduction du jugement en russe. L’État partie conteste ces allégations, soutenant que le frère de l’auteur a pu bénéficier de l’assistance d’un interprète et a eu accès aux pièces du dossier, de même que son conseil et son interprète. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que la personne arrêtée doit être informée des motifs de son arrestation dans une langue qu’elle comprend. Le Comité rappelle également que le droit de toute personne accusée d’une infraction pénale d’être informée dans le plus court délai et de façon détaillée, dans une langue qu’elle comprend, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle, consacré à l’alinéa a) du paragraphe 3, est la première des garanties minimales prévues dans l’article 14 en matière de procédures pénales. On peut satisfaire aux conditions précises de l’alinéa a) du paragraphe 3 en énonçant l’accusation soit verbalement − sous réserve d’une confirmation écrite ultérieure − soit par écrit, à condition de préciser aussi bien le droit applicable que les faits généraux allégués sur lesquels l’accusation est fondée. Étant donné que l’acte d’inculpation est un document essentiel de la procédure pénale, le Comité juge indispensable que la personne accusée en comprenne pleinement la teneur et que l’État fasse tout le nécessaire pour lui en fournir gratuitement la traduction dans une langue qu’elle comprend. En l’absence d’autres informations dans le dossier, il convient donc d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, selon qui son frère ne pouvait pas comprendre l’acte d’inculpation, disponible uniquement en kirghize. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que le frère de l’auteur tient du paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte.

9.3En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le frère de l’auteur ne pouvait pas comprendre la langue employée à l’audience, le Comité rappelle aussi que le droit de l’accusé de se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience, conformément à l’alinéa f)du paragraphe 3 de l’article 14, consacre un autre aspect des principes de l’équité et de l’égalité des armes dans les procédures pénales ; ce droit existe à tous les stades de la procédure orale, et vaut également pour les étrangers et pour les nationaux. Le Comité fait observer, cependant, que des services d’interprétation étaient disponibles tout au long de la procédure, comme cela est consigné dans les notes d’audience. Il conclut donc que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation des droits que le frère de l’auteur tient du paragraphe 3 f) de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient du paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, notamment d’indemniser le frère de l’auteur pour les violations subies. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de Yuval Shany, José Manuel Santos Pais et Christof Heyns

1.Nous regrettons de ne pouvoir nous joindre aux autres membres du Comité pour conclure que l’État partie a violé les droits garantis au paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte.

2.Le frère de l’auteur a été arrêté le 25 février 2011 dans le cadre d’une opération « d’infiltration » menée par l’antenne méridionale du Bureau de lutte contre le trafic de stupéfiants du Département des affaires intérieures du Kirghizistan. Lors de la fouille de sa voiture, 2,7 grammes d’héroïne ont été trouvés (par. 2.1). Bien que le frère de l’auteur ait déclaré à l’époque qu’il ignorait d’où venait l’héroïne, il était certainement au courant, à compter de ce moment, des chefs d’inculpation possibles liés à la possession de drogue.

3.Il n’est pas contesté non plus que, le 27 février 2011, le frère de l’auteur, qui parle russe et a reçu un acte d’inculpation rédigé en kirghize, a été informé en russe des accusations portées contre lui, qu’il était représenté par un conseil privé pendant l’interrogatoire (qui a eu lieu en russe) et que l’État lui a assigné un interprète avec lequel il a pu examiner son dossier (par. 6.4 et 6.5). L’auteur n’a pas donné d’informations complémentaires qui nous permettraient de conclure que l’État partie n’avait pas informé son frère dans le plus court délai et en détail, dans une langue qu’il comprenait, de la nature des accusations portées contre lui (compte tenu notamment des faits exposés au paragraphe 2 ci-dessus). Par conséquent, nous sommes d’avis que cette partie de sa plainte n’est pas fondée et aurait dû être jugée irrecevable.

4.Il semble à cet égard que le fait que l’État partie n’ait pas fourni au frère de l’auteur une traduction écrite de l’acte d’inculpation détaillant les charges retenues contre lui (par. 9.2) ait largement influencé la conclusion de violation à laquelle est parvenue la majorité du Comité. Nous ne souscrivons pas à cet aspect des présentes constatations.

5.Si nous convenons que, compte tenu de leur importance pour le processus pénal, les chefs d’inculpation doivent être précisés dans un document écrit, il ne nous semble pas nécessaire ou raisonnable d’exiger des États qu’ils traduisent ce document sous forme écrite dans la langue particulière utilisée par l’inculpé lorsqu’il existe d’autres moyens efficaces de permettre à celui-ci d’être pleinement informé des accusations portées contre lui. Nous estimons qu’il n’a pas été démontré, en l’espèce, que les mesures prises par l’État partie − en particulier, la désignation d’un interprète et le plein accès au dossier de l’affaire (qui comprenait l’acte d’inculpation) − étaient insuffisantes ou portaient atteinte au droit du frère de l’auteur à un procès équitable, étant donné, notamment, que l’intéressé était représenté par un conseil tout au long de la procédure.

6.En conséquence, nous estimons qu’il n’est pas suffisamment établi que les droits que l’auteur tient du paragraphe 3 a) de l’article 14 ont été violés dans les circonstances de l’espèce.