Nations Unies

CCPR/C/124/D/2020/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 novembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2020/2010*,**

Communication présentée par :

Sharon McIvor et Jacob Grismer (représentés par Gwen Brodsky)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Canada

Date de la communication :

24 novembre 2010 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 décembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

1er novembre 2018

Objet :

Admissibilité au statut d’Indien en tant que descendant des Premières Nations par la lignée maternelle (discrimination)

Question(s) de procédure :

Griefs non étayés ; statut de victime ; non‑épuisement des recours internes ; recevabilité ratione temporis

Question(s) de fond :

Protection de la loi ; minorités ; droit d’avoir sa propre vie culturelle ; peuples autochtones ; discrimination fondée sur le genre

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 et 3 a)), 3, 26 et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

1er, 2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Sharon McIvor, née en 1948, et son fils, Jacob Grismer, né en 1971. Ils sont tous deux de nationalité canadienne et appartiennent aux Premières Nations. Ils vivent à Merritt (Colombie-Britannique). Ils se disent victimes d’une violation par le Canada des droits qu’ils tiennent des paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2, de l’article 3, de l’article 26 et de l’article 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976. Les auteurs sont représentés par un conseil, Gwen Brodsky.

Exposé des faits

2.1Depuis au moins 1906, le droit canadien prévoit que le statut d’Indien, construction juridique créée et utilisée pour régir de nombreux aspects de la vie des membres des Premières Nations, se transmet de façon patrilinéaire, excluant la lignée maternelle.

2.2En droit canadien, le statut d’Indien confère d’importants avantages matériels et immatériels. Les avantages matériels comprennent le droit de demander une couverture de santé élargie et une aide financière pour les études postsecondaires, ainsi que certaines exonérations fiscales. Les avantages immatériels concernent l’identité culturelle. Ils comprennent la capacité de transmettre le statut et consistent aussi en un sentiment d’identification et d’appartenance. Les auteurs indiquent que le statut d’Indien confère de la dignité.

2.3Les auteurs sont des descendants de Mary Tom, femme des Premières Nations née en 1888, qui appartenait à la bande indienne de Lower Nicola. La fille de Mary Tom, Susan Blankenship, est la mère de Sharon McIvor. Le père de Susan Blankenship était d’origine néerlandaise, et aucun de ses ancêtres ne faisait partie des Premières Nations. Susan est née en 1925 ; selon la loi sur les Indiens en vigueur à l’époque, elle ne pouvait pas être enregistrée comme Indienne, le statut se transmettant uniquement par le père.

2.4Lorsque Sharon McIvor et ses frères et sœurs sont nés, aucun d’entre eux ne pouvait prétendre au statut d’Indien, car cela aurait supposé une transmission matrilinéaire. Le 14 février 1970, Sharon a épousé Charles Terry Grismer, qui n’était pas un descendant des Premières Nations. Ils ont eu trois enfants, dont Jacob Grismer.

2.5Jusqu’en 1985, en vertu de la législation concernant l’admissibilité au statut d’Indien, les Indiennes qui épousaient un non-Indien perdaient leur statut, et leurs enfants ne pouvaient se prévaloir de leur ascendance maternelle pour être reconnus comme Indiens.

2.6La loi sur les Indiens, dans sa version révisée, est entrée en vigueur le 17 avril 1985. Elle régit l’admissibilité au statut d’Indien et définit la catégorie d’inscription à laquelle peuvent prétendre les Indiennes et leurs descendants. Cette loi visait à mettre un terme à la discrimination sexiste, mais les auteurs affirment qu’elle n’a pas atteint son but et n’est pas suffisamment correctrice, puisqu’elle reprend et intègre dans le nouveau régime la prééminence des hommes et de la transmission patrilinéaire.

2.7Sharon McIvor ne pouvait prétendre au plein statut d’Indien conféré par l’inscription au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6 de la nouvelle loi sur les Indiens de 1985. Selon les modalités prévues par le paragraphe (1) c) de l’article 6, qui lui étaient applicables au moment de la soumission de la communication, elle ne pouvait transmettre que partiellement le statut d’Indien à son fils Jacob, et ne pouvait pas le transmettre à ses petits‑enfants. Son frère, quant à lui, pouvait prétendre à l’inscription au registre des Indiens en application du paragraphe (1) a) de l’article 6, et pouvait transmettre le plein statut à ses propres enfants et le statut à ses petits-enfants. Cette différence est uniquement fondée sur le sexe, car Sharon McIvor et son frère ont la même ascendance, et les familles qu’ils ont fondées suivent le même schéma.

2.8Le 23 septembre 1985, Sharon McIvor a déposé une demande d’inscription au registre des Indiens pour elle-même et ses enfants. Le registraire des Affaires autochtones et du Nord Canada a estimé qu’elle pouvait être inscrite en vertu du paragraphe (2) de l’article 6 de la loi sur les Indiens, et non du paragraphe (1) de l’article 6, son père n’étant pas indien. L’auteure a contesté cette décision, qui a néanmoins été confirmée par le registraire le 28 février 1989.

2.9Le 18 juillet 1989, les auteurs ont formé un recours contre la décision du registraire. Le 13 mai 1994, ils ont aussi contesté la constitutionnalité de l’article 6 de la loi de 1985 sur les Indiens, soutenant que celui-ci n’était pas conforme à la Charte canadienne des droits et libertés. Ils ont aussi fait état d’une violation des articles 2 (par. 1 et 2), 3, 23, 24 (par. 1 et 3), 26 et 27 du Pacte.

2.10Le 2 avril 1999, Jacob Grismer a épousé une femme qui ne descendait pas des Premières Nations. Il ne peut pas transmettre le statut d’Indien à ses enfants, et ne peut pas bénéficier du plein statut conféré par l’inscription au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6, son admissibilité au statut étant fondée sur son ascendance maternelle. Si c’était son père, et non sa mère, qui était Indien inscrit, il bénéficierait lui-même du plein statut conféré par l’inscription au paragraphe (1) a) de l’article 6 et pourrait le transmettre à ses enfants.

2.11Le 8 juin 2007, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé que l’article 6 de la loi révisée de 1985 contrevenait à la Charte en ce qu’il créait une discrimination fondée sur le sexe et la situation matrimoniale à l’égard des personnes nées avant le 17 avril 1985 qui étaient d’ascendance indienne par leur mère, et des Indiennes qui avaient épousé des non-Indiens.

2.12L’État partie a fait appel de cette décision auprès de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique. Dans sa décision du 6 avril 2009, la Cour d’appel a confirmé le caractère discriminatoire de l’article 6 de la loi révisée de 1985 sur les Indiens, sur un fondement toutefois plus restreint : elle s’est concentrée sur l’objectif affiché du Gouvernement de « préserver les droits acquis » et a estimé que les alinéas a) et c) du paragraphe (1) de l’article 6 n’enfreignaient la Charte qu’en ce qu’ils conféraient aux personnes auxquelles s’appliquait la règle « mère/grand-mère » des droits plus étendus que ceux dont ils auraient bénéficié avant 1985. L’unique disposition discriminatoire de la loi de 1985 dont la Cour a estimé qu’elle était injustifiée était celle qui prévoyait d’accorder un traitement préférentiel à un sous-ensemble restreint de descendants d’un Indien de sexe masculin. Elle a déclaré inopérants les alinéas a) et c) du paragraphe (1) de l’article 6 de la loi révisée de 1985 sur les Indiens, tout en suspendant l’effet de sa décision afin de laisser à l’État partie le temps de modifier sa législation.

2.13Les auteurs affirment que la décision de la Cour d’appel ne constitue pas une réparation. Elle n’a pas eu pour effet de rendre les petits-enfants de Sharon McIvor admissibles à l’inscription ni de permettre aux auteurs d’être inscrits au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6. La demande d’autorisation de pourvoi a été rejetée le 5 novembre 2009, sans que la raison en soit précisée.

2.14En mars 2010, le Gouvernement a présenté le projet de loi C-3 portant modification de la loi révisée de 1985 sur les Indiens. Selon les auteurs, ce projet de loi faisait suite à la décision de la Cour d’appel et, la Cour suprême ayant rejeté leur demande d’autorisation de se pourvoir contre cette décision, il aurait été vain de former un nouveau recours. En outre, toute tentative visant à contester le fait que le législateur n’ait pas entièrement corrigé les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes contenues dans le projet de loi C-3 aurait donné lieu à une procédure judiciaire excessivement longue.

2.15Le 3 août 2015, la Cour supérieure du Québec a rendu, dans une affaire concernant un tiers, une décision selon laquelle les paragraphes (1) a), c) et f) et (2) de l’article 6 de la loi sur les Indiens portaient atteinte de manière injustifiée à la protection contre la discrimination fondée sur le sexe garantie par la Charte. Elle a toutefois suspendu l’effet de sa décision pour une durée initiale de dix-huit mois, afin de donner au Parlement le temps de procéder aux modifications législatives nécessaires. Le Gouvernement a fait appel de cette décision, mais a ensuite abandonné la procédure et entamé l’élaboration d’un nouveau texte. Le 25 octobre 2016, le projet de loi S-3 a été présenté au Sénat. Sharon McIvor a été entendue en tant que représentante de l’Union of British Columbia Indian Chiefs par le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes et à titre personnel par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

2.16Le 7 novembre 2017, le Gouvernement a proposé de nouvelles modifications du projet de loi S-3. La majorité des dispositions est entrée en vigueur le 22 décembre 2017.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que la hiérarchie fondée sur le sexe qui est consacrée par l’article 6 de la loi de 1985 sur les Indiens et qui détermine l’inscription au registre des Indiens constitue une violation des articles 26 et 27 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 3, en ce qu’elle crée une discrimination fondée sur le sexe à l’égard des personnes nées avant le 17 avril 1985 qui sont d’ascendance indienne par leur mère et à l’égard des Indiennes nées avant cette date qui ont épousé un non-Indien. Ils estiment qu’en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, ils ont droit à un recours utile contre la violation des droits qu’ils tiennent des articles 26 et 27 lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 3 du Pacte.

Article 26 du Pacte

3.2À cause de la hiérarchie fondée sur le sexe à laquelle obéit l’inscription au registre, Sharon McIvor a souffert d’une forme d’exclusion sociale et culturelle. Elle a pu constater que, dans les communautés des Premières Nations, l’estime portée aux personnes varie grandement selon qu’elles sont ou non inscrites au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6. Elle a vécu la stigmatisation associée au fait d’être une femme « projet de loi C-31 », nom donné aux femmes qui relèvent de la sous-catégorie définie au paragraphe (1) c) de l’article 6. Cette dénomination sous-entend que ces femmes sont inférieures aux hommes de leur communauté et « moins indiennes » qu’eux. Cela concerne aussi les enfants de l’auteure, à qui elle n’a pas pu transmettre le statut, ce qui a fait naître chez elle un sentiment d’infériorité. Ses enfants ont grandi sans pouvoir bénéficier des avantages matériels liés au statut qui étaient prévus par la loi de 1985, tels qu’une couverture de santé élargie et une aide au financement des études postsecondaires.

3.3Jacob Grismer a profondément souffert de ne pas être inscrit au registre des Indiens en application du paragraphe (1) a) de l’article 6 depuis 1985. Il a toujours vécu sur les terres de ses ancêtres indiens à Merritt, en Colombie-Britannique. Pendant ses années d’école secondaire, il a été isolé et stigmatisé parce qu’il n’avait pas le statut d’Indien. Ainsi, plus jeune, il voulait participer aux activités traditionnelles de pêche et de chasse. Il accompagnait parfois des amis ou des membres de sa famille dotés du statut d’Indien quand ils allaient pêcher sur le Fraser mais, n’ayant pas le statut, il ne pouvait pas conditionner le poisson pêché par les autres. Il n’a jamais appris les techniques traditionnelles de chasse et de pêche, ce qu’il vit comme une grande perte. Étant donnée la souffrance que lui a causée la négation de son identité culturelle, il juge très préoccupant que ses enfants ne soient pas admissibles au statut d’Indien inscrit. Il veut que l’État reconnaisse leur héritage de membres des Premières Nations, notamment qu’ils aient accès aux pratiques culturelles traditionnelles de la communauté. C’est le privilège qu’il aurait si son seul parent indien n’était pas de sexe féminin.

3.4Les modifications introduites en 2011 avec l’adoption de la loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens n’ont pas permis aux auteurs d’obtenir le plein statut conféré par l’inscription au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6, alors que les personnes auxquelles s’applique la règle « mère/grand-mère » se sont vu reconnaître ce statut. Grâce à cette loi, les petits-enfants de Sharon McIvor auraient pu être admissibles au statut, mais l’égalité des auteurs avec les autres bénéficiaires du statut, égalité qui leur est inhérente, n’a pas été officiellement reconnue.

3.5Étant inscrite au registre des Indiens au titre du paragraphe (1) c) de l’article 6 de la loi révisée sur les Indiens de 1985, Sharon McIvor avait droit aux mêmes avantages matériels que les personnes inscrites en vertu de la disposition précitée. Elle ne bénéficiait toutefois pas de la pleine reconnaissance du statut associée au paragraphe (1) a) de l’article 6. Dans sa décision de 2009, la Cour d’appel a estimé, à tort, que la discrimination à l’égard des lignées maternelles pouvait ne pas constituer une discrimination fondée sur le sexe si plusieurs générations étaient concernées. Le traitement préjudiciable réservé par la loi sur les Indiens aux lignées maternelles constitue une discrimination fondée sur le sexe, même si ceux qui sont touchés sont les petits-enfants et les arrière-petits-enfants − et non les enfants − des femmes qui n’ont pu transmettre leur statut uniquement en raison de leur sexe.

3.6La discrimination inscrite à l’article 6 de la loi sur les Indiens ne répond pas à un but légitime, objectif ou raisonnable au sens du Pacte. Les auteurs contestent les conclusions de la Cour d’appel selon lesquelles la préservation des droits acquis est un objectif légitime qui justifiait la création de différentes catégories de statut. Le plein statut reconnu aux personnes inscrites au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6 ne serait d’aucune façon entamé par l’élargissement de ce statut à d’autres personnes.

3.7En raison de la discrimination persistante inscrite dans la loi de 1985, les auteurs ne peuvent pas bénéficier du plein statut associé au paragraphe (1) a) de l’article 6. En revanche, le frère de Sharon McIvor et ses enfants bénéficient de ce statut. Par conséquent, les petits-enfants du frère de Sharon McIvor auront également ce statut et pourront le transmettre à leurs propres enfants. Les effets de cette hiérarchie discriminatoire fondée sur le sexe se répercuteront donc pendant des générations.

Article 27, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 3 du Pacte

3.8L’une des composantes essentielles de l’identité culturelle est la capacité de chacun de transmettre cette identité à ses descendants, laquelle est étroitement liée à l’identité culturelle de la personne. La transmission intergénérationnelle revêt d’autant plus d’importance au vu des questions pressantes qui se posent quant à la perpétuation et à la survie des traditions culturelles. L’article 6 de la loi sur lesIndiens refuse aux femmes (ainsi qu’à leurs descendants, filles et garçons) le droit de pleinement jouir de leur identité culturelle dans des conditions d’égalité entre hommes et femmes, en violation de l’article 27, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 3 du Pacte. Il les prive de la capacité de transmettre leur identité culturelle aux générations suivantes en toute égalité avec les hommes de leur communauté et leur refuse la légitimité conférée par le plein statut.

3.9Le droit des personnes autochtones d’avoir leur propre culture a été reconnu à plusieurs reprises dans la jurisprudence du Comité comme un aspect essentiel des droits garantis par l’article 27. La formation d’un sentiment d’identification et d’appartenance à un groupe et la reconnaissance de cette appartenance par le reste du groupe sont un aspect fondamental du droit de chacun d’avoir sa propre culture. L’identité culturelle est définie par des processus complexes et comprend des éléments tant objectifs que subjectifs. Toutefois, en adoptant des dispositions législatives à ce sujet, l’État joue un rôle direct dans la formation de l’identité culturelle des individus et des communautés auxquelles ils appartiennent.

Article 2 (par. 3 a)) du Pacte

3.10L’État partie n’a pas assuré aux auteurs un recours utile contre la violation des droits qu’ils tiennent des articles 26 et 27 lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 3 du Pacte. Les modifications apportées à la loi sur les Indiens en 2011 n’ont pas mis fin à la discrimination inscrite à l’article 6 de cette loi. Conformément à la loi modifiée, les petits-enfants des femmes des Premières Nations qui ont épousé un homme n’appartenant pas aux Premières Nations ne peuvent prétendre qu’au statut associé au paragraphe (2) de l’article 6, tandis que les petits-enfants d’hommes ayant le statut d’Indien qui ont épousé une femme n’appartenant pas aux Premières Nations sont admissibles au statut associé au paragraphe (1) a) de l’article 6 s’ils sont nés avant le 17 avril 1985.

3.11La décision de 2009 de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et le refus de la Cour suprême du Canada d’autoriser les auteurs à se pourvoir contre cette décision ont privé les intéressés de la réparation qu’ils avaient obtenue devant la juridiction du fond. Seules l’élimination de la préférence accordée aux Indiens de sexe masculin et à la filiation patrilinéaire et la confirmation du droit des descendants d’une Indienne, y compris d’une Indienne qui a épousé un homme n’appartenant pas aux Premières Nations, au plein statut associé au paragraphe (1) a) de l’article 6 pourront constituer une réparation suffisante.

Observations sur la recevabilité

4.1L’État partie a adressé des observations sur la recevabilité et le fond les 29 août 2011, 28 février 2012, 28 juin 2016, 28 février 2017, 29 novembre 2017, 31 janvier 2018 et 10 août 2018. En plus de leur lettre initiale du 24 novembre 2010, les auteurs ont adressé des commentaires sur la recevabilité et le fond les 6 et 16 décembre 2011, 20 juin 2016, 16 mars 2017 et 12 mai 2018.

Ratione temporis

État partie

4.2Les allégations des auteurs reposent en grande partie sur la discrimination dont ont été victimes par le passé les femmes des Premières Nations au titre des versions successives de la loi sur les Indiens avant 1985. Les allégations de caractère général et les allégations portant sur l’application aux auteurs de critères antérieurs à 1985 ne relèvent pas de la compétence du Comité au titre du Protocole facultatif. Toute discrimination résiduelle résultant de la révision de 1985 de la loi sur les Indiens a été corrigée par les modifications de 2011.

Auteurs

4.3Les griefs portent uniquement sur les effets du régime d’inscription postérieur à 1985. La seule raison pour laquelle on pourrait croire le contraire est que ce régime a intégré et maintenu la discrimination créée par les régimes antérieurs.

Ratione personae

État partie

4.4Certains aspects de la communication sont irrecevables parce que les auteurs ne peuvent démontrer que les préjudices qu’ils disent avoir subis sont imputables à l’État. Leseffets perçus ou réels des dispositions en vertu desquelles les auteurs peuvent prétendre au statut d’Indien sur leurs relations sociales et culturelles devraient être attribués à leur famille et à leur environnement social et culturel, et non à l’État.

Auteurs

4.5La communication ne porte pas sur des violations commises par des acteurs non étatiques, mais sur le comportement de l’État partie, qui a mis en place et maintenu un régime législatif qui crée une discrimination fondée sur le sexe. Après avoir vécu plus d’un siècle sous un régime imposé par l’État qui définit qui a le droit de se dire indien, les peuples autochtones considèrent le droit légal à l’inscription comme une confirmation ou une validation de leur « indianité », ce qui est une question distincte de la capacité de transmettre leur statut et d’accéder à certains avantages matériels conférés par ce statut.

Statut de victime

État partie

4.6D’après la jurisprudence du Comité, lorsque l’État partie a remédié à une incompatibilité présumée avec le Pacte, nul ne peut prétendre être victime d’une violation du Pacte au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Les auteurs ont porté avec succès leurs allégations de discrimination devant les tribunaux canadiens et ont obtenu une réparation qui répond efficacement à leurs griefs. Compte tenu des modifications apportées en 2011, les auteurs n’ont pas étayé l’allégation selon laquelle ils sont victimes de discrimination en raison des distinctions opérées dans les critères d’admissibilité au statut d’Indien. En conséquence, la communication est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif en ce qui concerne les allégations de discrimination fondées sur les articles 2 (par. 1), 3, 26 et 27 du Pacte.

Auteurs

4.7La loi sur les Indiens de 1985 telle que modifiée en 2011 et 2017 conserve l’essentiel de la discrimination fondée sur le sexe instaurée par les dispositions relatives à l’inscription, que les auteurs ont contestée avec succès devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, et empêche totalement les auteurs d’accéder au plein statut associé au paragraphe (1) a) de l’article 6.

Actio popularis

État partie

4.8Certains aspects de la communication, qui portent sur les difficultés que poseraient les critères d’admissibilité prévus par la loi révisée de 1985 sur les Indiens, sont irrecevables en ce que les auteurs ne peuvent démontrer qu’ils sont victimes du préjudice qu’ils décrivent.

Auteurs

4.9Les auteurs affirment que le plein statut associé au paragraphe (1) a) de l’article 6 est réservé aux personnes qui peuvent établir qu’elles avaient droit à l’inscription au titre du régime discriminatoire qui était en vigueur précédemment. Leur action n’est pas une contestation de la loi par voie d’actio popularis. La hiérarchie fondée sur le sexe consacrée par la loi révisée de 1985 les touche personnellement et directement, et les modifications de 2011 et2017 n’ont pas mis fin à la discrimination dont ils sont victimes.

Non-épuisement des recours internes

État partie

4.10Un certain nombre des problèmes que poseraient les critères d’admissibilité, problèmes qui ne concernent pas les auteurs, sont actuellement examinés dans le cadre d’une procédure judiciaire interne. Les griefs des auteurs au sujet de ces questions n’ont pas été dûment portés devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique (en première instance), laCour d’appel ou la Cour suprême du Canada (dans la demande d’autorisation de pourvoi) pour la simple raison que les faits exposés par les auteurs ne permettaient pas de les soulever. Ces aspects de la communication sont donc irrecevables pour non‑épuisement des recours internes au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

Auteurs

4.11Les auteurs répètent qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles.

Observations sur le fond

Article 26 lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 3 du Pacte

État partie

5.1La nouvelle loi sur les Indiens de 1985 conférait à plusieurs catégories de personnes le droit de s’inscrire au registre des Indiens : le paragraphe (1) a) de l’article 6, notamment, s’appliquait aux personnes qui avaient le droit d’obtenir le statut le 16 avril 1985 et visait à préserver les droits acquis précédemment ; le paragraphe (1) c) s’appliquait aux personnes dont le statut était restauré par la loi révisée de 1985 − à savoir, celles dont le nom avait été omis ou retranché de la liste des personnes ayant le statut d’Indien (registre des Indiens) parce qu’il s’agissait, notamment, de femmes ayant épousé un non-Indien ou de leurs descendants. Le paragraphe (2) s’appliquait aux hommes et aux femmes dont l’un des parents était en droit d’obtenir le statut en vertu d’un des alinéas du paragraphe (1).

5.2En avril 1985, la loi sur les Indiens a été modifiée de manière à inclure les nouvelles dispositions sur l’inscription et l’appartenance à une bande. Dans l’affaire McIvor, la Cour d’appel a conclu que la loi de 1985 visait sincèrement à mettre un terme à la discrimination fondée sur le sexe et que le Gouvernement avait agi de bonne foi en adoptant cette loi.

5.3La loi sur les Indiens ne prévoit qu’un seul statut d’Indien ; soit les personnes remplissent les conditions requises pour obtenir le statut, soit elles ne les remplissent pas. La révision de 1985 de la loi sur les Indiens n’a pas créé différentes catégories de statut ou différents degrés d’« indianité ». Les règles régissant l’admissibilité au statut d’Indien sont énoncées à l’article 6 de la loi sur les Indiens telle que modifiée. Les alinéas du paragraphe (1) de cet article (en particulier les alinéas a), c) et e)) sont essentiellement des dispositions transitoires qui mettent en évidence, pour les personnes nées avant 1985, l’évolution des critères d’admissibilité entre le régime d’inscription de 1951, celui de 1985, et celui de 2011. Pour toutes les personnes nées après 1985, les dispositions les plus pertinentes sont le paragraphe (1) f) et le paragraphe (2).

5.4Après les modifications apportées en 2011, Sharon McIvor était toujours admissible au statut au regard des critères énoncés au paragraphe (1) c) de l’article 6. Son fils pouvait prétendre au statut d’Indien au regard des nouveaux critères énoncés au paragraphe (1) c. 1) de ce même article et les enfants de son fils au regard des critères énoncés au paragraphe (2). Ils’agissait des mêmes dispositions que celles dont leurs cousins pourraient se prévaloir s’ils pouvaient prétendre au statut d’Indien au motif qu’ils avaient un grand‑père indien et non une grand-mère indienne.

5.5Les enfants d’une personne admissible à l’inscription en application du paragraphe (1) de l’article 6 sont également admissibles à l’inscription, que leur deuxième parent soit admissible ou pas. Lorsqu’une personne admissible à l’inscription en application du paragraphe (1) a un enfant avec un non-Indien, cet enfant est admissible en application du paragraphe (2), lequel prévoit la possibilité d’appliquer la règle dite de l’« exclusion après la deuxième génération », puisqu’un enfant issu de l’union d’une personne admissible en application du paragraphe (2) et d’un non-Indien ne peut obtenir le statut d’Indien, quel que soit le sexe du grand-parent ou du parent admissible. Le statut d’Indien est perdu après deux générations successives d’enfants issus de l’union d’un Indien ou d’une Indienne et d’une personne non indienne.

5.6Les modifications apportées en 2011 ont supprimé les effets négatifs qu’avaient les critères d’admissibilité de1985 sur les personnes se trouvant dans une situation semblable à celle des auteurs en faisant en sorte que les enfants de personnes ayant retrouvé le statut d’Indien relèvent des critères énoncés au paragraphe (1) de l’article 6, faisant ainsi reculer d’une génération l’exclusion après la deuxième génération dans les familles concernées. Les petits-enfants de Sharon McIvor se retrouvent ainsi sur un pied d’égalité avec les personnes qui n’ont également qu’un seul grand-parent admissible, mais de sexe masculin.

5.7Les modifications apportées en 2011 ont également supprimé la distinction opérée dans les modifications de 1985 et corrigé tout effet que celle-ci pourrait avoir eu sur les auteurs. Contrairement à ce que prétendent ceux-ci, il n’existe aucune discrimination en droit ou dans la pratique entre les personnes qui relèvent de l’alinéa a) du paragraphe (1) de l’article 6 et celles qui relèvent de l’alinéa c) de ce même paragraphe. Soit les personnes sont admissibles à l’inscription au registre des Indiens en vertu de la loi sur les Indiens, soit elles ne le sont pas. Il n’existe pas de « sous-catégorie » de personnes qui auraient un statut inférieur d’Indien. Les différents paragraphes de l’article 6 précisent les divers critères d’admissibilité à l’inscription.

5.8Toutes les personnes admissibles à l’inscription en vertu de l’article 6 ont les mêmes droits au regard de la loi, et les pouvoirs publics ne font entre elles aucune distinction − quece soit dans le traitement qui leur est réservé ou dans le versement de prestations − sur le fondement de la disposition de l’article 6 sur laquelle se fonde leur admissibilité à l’inscription. Lorsque le Gouvernement fédéral alloue des fonds aux bandes indiennes, sur la base du nombre de membres de la bande qui ont le statut d’Indien, toutes les personnes ayant le statut sont prises en considération. Il n’y a donc pas de violation de l’article 26 du Pacte.

5.9La seule différence qui subsiste dans les critères d’admissibilité après les modifications de 2011 est celle qui est établie entre le paragraphe (1) et le paragraphe (2) de l’article 6. Il s’agit de la règle de l’exclusion de la deuxième génération. Toutefois, cette règle n’a pas été contestée par les auteurs et elle n’établit pas de distinction entre les personnes en fonction de leur sexe.

5.10Si le Comité devait conclure qu’une distinction est faite entre l’alinéa a) du paragraphe (1) et les alinéas c) et c.1) de ce même paragraphe, il convient de souligner que cette distinction n’est pas discriminatoire, puisqu’il ne s’agit que d’une distinction d’ordre rédactionnel. Chaque disposition correspond à un cheminement différent, lié à l’histoire de la personne, vers l’obtention du statut. De telles distinctions sont nécessaires pour rendre les choses plus claires, mais n’ont pas d’effet négatif sur certaines personnes en fonction de caractéristiques personnelles qui seraient expressément définies ou pourraient être déduites par analogie.

5.11Le paragraphe (1) a) de l’article 6 vise toutes les personnes qui avaient le statut d’Indien avant 1985, année où la loi sur les Indiens a été modifiée. À l’époque, le Gouvernement s’était fixé pour politique non seulement de mettre fin à la discrimination à l’égard des femmes dans les critères d’admissibilité, mais aussi, entre autres, de faire en sorte que personne ne perde le statut acquis au regard des critères d’admissibilité antérieurs. Le paragraphe (1) c) de l’article 6 vise les personnes qui avaient été privées du statut d’Indien pour diverses raisons, notamment les femmes qui avaient perdu leur statut en épousant un non-Indien, et qui ont retrouvé leur statut en application des critères de 1985.

5.12La préservation des droits acquis − entre autres, le fait que nul ne devrait perdre le statut acquis antérieurement − est un objectif légitime et la division du paragraphe (1) de l’article 6 en plusieurs alinéas permettant de définir clairement les divers critères d’admissibilité dont peuvent relever les personnes nées avant 1985 était une approche rédactionnelle raisonnable. Les auteurs recherchent des critères qui fonderaient l’admissibilité sur la « filiation matrilinéaire » sans qu’il soit tenu compte du nombre de générations séparant la personne concernée de son ancêtre indienne. L’admissibilité des auteurs à l’inscription au registre des Indiens est fondée sur la restauration du statut de Sharon McIvor elle-même et non sur la restauration du statut de l’un ou l’autre de ses lointains ancêtres, qu’ils soient hommes ou femmes.

5.13Les revendications des auteurs pourraient avoir des implications pour des personnes qui auraient une très lointaine ancêtre qui aurait été victime d’une discrimination fondée sur le sexe. L’État partie n’est pas tenu, au regard du Pacte, de corriger les actes discriminatoires qui ont précédé l’entrée en vigueur du Pacte. Si l’on excepte les disparités dans l’application de la règle de l’exclusion de la deuxième génération, dont les effets sur les auteurs ont été corrigés par les modifications de 2011, la révision de 1985 a eu, dans une très large mesure, un effet rétroactif en ce qu’elle a permis que les ancêtres des personnes en vie actuellement soient considérées comme pouvant être réinscrites, afin que le problème soit résolu pour leur descendance.

5.14Le 29 novembre 2017, l’État partie a adopté le projet de loi S-3, qui visait à élargir l’admissibilité à l’inscription à toutes les personnes nées avant le 17 avril 1985 descendant de femmes ayant perdu leur statut en raison de leur mariage avec un non-Indien, avec effet rétroactif depuis l’adoption de la loi de 1869 sur l’émancipation graduelle. Cette modification était assujettie à une clause prévoyant une entrée en vigueur différée, qui permettait de consulter les Premières Nations et d’autres groupes autochtones sur les modalités et le moment de sa mise en application. Laplupart des dispositions du projet de loi S-3 sont entrées en vigueur le 22 décembre 2017, mais d’autres prendront effet à une date qui doit être fixée par décret.

5.15Les modifications qui ne sont pas encore entrées en vigueur prévoient que toutes les personnes de la lignée maternelle ont droit au même statut que les personnes de la lignée paternelle, quel que soit le nombre de générations qui les séparent de l’aïeule qui a perdu son statut en se mariant, et peuvent comme elles transmettre le statut à leurs enfants. Le projet de loi S-3 met également fin à la différence de traitement entre les membres d’une même famille selon qu’ils sont admissibles à l’inscription en vertu de leur lignée maternelle ou de leur lignée paternelle, ce qui donne à tous les descendants d’Indiennes ayant perdu leur statut entre 1869 et 1985 après avoir épousé un non-Indien le même droit que les descendants d’Indiens de sexe masculin d’être inscrits au registre. Les modifications restructureront également les dispositions de la loi sur les Indiens relatives à l’inscription afin que les personnes qui auraient auparavant obtenu le statut d’Indien en application du paragraphe (1) c) de l’article 6 de la loi soient admissibles à l’inscription en vertu du nouveau paragraphe (1) a.1) du même article. Ces modifications sont conformes à la demande des auteurs. Même si sa date d’entrée en vigueur n’est pas encore connue, le projet de loi contient de nombreuses garanties qui obligent le Gouvernement à rendre compte au Parlement de l’application de la loi.

5.16L’État partie a conscience que les personnes inscrites en application de la loi sur les Indiens sont très attachées à la possibilité de transmettre leur statut à leurs enfants. Il a également conscience des liens importants, pour certains Canadiens autochtones, entre le statut d’Indien et leur identité personnelle en tant qu’autochtones. L’État partie conteste que le traitement différencié réservé aux descendants d’Indiennes nés avant 1951 constitue une violation des dispositions du Pacte, mais reconnaît qu’il existait d’importantes inégalités historiques liées au traitement réservé aux femmes autochtones avant 1951 au regard de la loi sur les Indiens. Il a conscience que l’admissibilité à l’inscription en vertu du paragraphe (1) a) de l’article 6 revêt une importance particulière pour certaines personnes, comme les auteurs, qui ont été victimes de discrimination fondée sur le sexe dans le passé. C’est pourquoi le Parlement a adopté dans le projet de loi S-3 des modifications en vertu desquelles les personnes qui se trouvent dans la situation des auteurs seront admissibles en vertu du paragraphe (1) a) de l’article 6. Le projet de loi S-3 met fin aux iniquités susdites qui subsistent dans la loi sur les Indiens en élargissant l’admissibilité aux personnes qui étaient auparavant touchées par la « date limite de 1951 ». L’État partie regrette que les femmes autochtones et leurs descendants aient été victimes pendant si longtemps de discrimination et d’autres inégalités. Il considère que la correction de ces inégalités constitue une étape importante vers la réconciliation avec les peuples autochtones.

Auteurs

5.17La loi révisée de 1985 telle que modifiée en 2011 exclut toujours de l’admissibilité à l’inscription des femmes des Premières Nations et leurs descendants qui auraient le droit à l’inscription si la discrimination fondée sur le sexe était complétement supprimée.

5.18Les modifications de 2011 ont amélioré la situation de Jacob Grismer, qui est désormais admissible à l’inscription au titre du paragraphe (1) c.1) de l’article 6 et peut par conséquent transmettre le statut à ses enfants. En revanche, le frère de Sharon McIvor et tous ses enfants sont inscrits en vertu du paragraphe (1) a) de l’article 6, différence qui est uniquement fondée sur le sexe. La loi telle que modifiée en 2011 ne traite pas Jacob Grismer et ses cousins sur un pied d’égalité : lui n’est pas admissible à l’inscription au titre du paragraphe (1) a), alors que ses cousins le sont. Bien que les auteurs jouissent des avantages matériels du statut pour eux-mêmes, ils ne jouissent pas encore de tous les avantages immatériels, en particulier la légitimité et le statut social, sur un pied d’égalité avec leurs pairs.

5.19L’assertion de l’État partie selon laquelle il n’y a qu’un seul statut d’Indien est erronée. Le statut associé au paragraphe (1) a) de l’article 6 et les avantages immatériels qui y sont liés (la capacité de transmettre le statut et la légitimité et le statut social conférés par le statut) sont incontestablement supérieurs à ceux qui sont associés aux paragraphes (1) c) et(2), même si les avantages matériels (accès aux programmes sociaux et exonérations fiscales) sont les mêmes. De plus, les personnes inscrites au titre du paragraphe (1) c) sont stigmatisées dans les communautés autochtones. Les communautés des Premières Nations ont le sentiment que les « vrais » Indiens sont ceux qui sont inscrits au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6. De telles différences ne sont pas simplement une question de perception individuelle.

5.20L’État partie affirme que les dispositions du paragraphe (1) c) de l’article 6 sont transitoires. Toutefois, les auteurs continuent d’être directement touchés par la discrimination qui reste inscrite dans la loi révisée de 1985 après les modifications de 2011 et de 2017, et dont pâtiront aussi les générations à venir. Les modifications de 2017 qui sont déjà entrées en vigueur n’offrent pas de réparation aux auteurs. Elles élargissent une forme de statut inférieur accordé en vertu du paragraphe (1) c) à de nouveaux sous-groupes, mais ne remettent pas en cause la hiérarchie discriminatoire fondée sur le sexe qui existe entre le paragraphe (1) a) et le paragraphe (1) c).

5.21Dans leurs commentaires du 12 mai 2018, les auteurs ont réaffirmé que le régime d’inscription mis en place par l’État partie continuait de privilégier les pères et la filiation patrilinéaire. Même si l’État partie affirme que la distinction entre l’inscription au titre au paragraphe (1) a) de l’article 6 et l’inscription au titre du paragraphe (1) c) du même article repose sur des critères raisonnables et objectifs et que la différence de traitement fondée sur le sexe est justifiée parce qu’elle préserve les « droits acquis », la préservation des droits acquis ne saurait constituer un objectif légitime du traitement différentiel des personnes, puisque les droits acquis précédemment l’ont été en vertu d’une hiérarchie sexuelle établie par l’État partie. Cela est incompatible avec l’objet et le but du Pacte et avec le caractère fondamental des garanties d’égalité et d’égale protection. En outre, les droits acquis antérieurement ne seraient pas diminués si l’on étendait pleinement le plein statut offert par l’inscription au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6 aux femmes autochtones, y compris aux femmes qui ont épousé des non-Indiens et aux descendants de la lignée maternelle, y compris aux descendants de femmes reconnues comme Indiennes, mariées ou non, qui auparavant ne pouvaient pas être inscrits parce que leur père n’était pas Indien.

5.22Le projet de loi S-3 n’a pas supprimé le fondement de la discrimination, qui réside dans la hiérarchie établie entre les paragraphes (1) a) et (1) c) de l’article 6. Bien qu’il contienne une disposition (art. 2.1) qui pourrait donner droit au plein statut associé au paragraphe (1) a) de l’article 6 aux femmes autochtones comme Sharon McIvor et à leurs descendants, cette disposition n’est pas en vigueur. Elle a fait l’objet d’une clause de report qui ne fixe pas de date pour son entrée en vigueur, et sa mise en œuvre a été reportée sine die.

5.23L’introduction de l’article 2.1 dans le projet de loi S-3 représente en quelque sorte une victoire morale pour les auteurs. Par cette disposition, connue comme la version gouvernementale de ce que l’on appelle l’« application universelle du paragraphe (1) a) de l’article 6 », l’État partie reconnaît que la seule solution, pour corriger la discrimination fondée sur le sexe inscrite à l’article 6 de la loi sur les Indiens, est d’accorder le plein statut associé au paragraphe (1) a) de l’article 6 à toutes les Indiennes et à tous leurs descendants nés avant 1985, au même titre qu’aux Indiens de sexe masculin et à leurs descendants nés avant cette même année. En proposant ces dispositions supplémentaires, l’État partie a montré qu’il savait comment résoudre le problème. Il déclare qu’en application de la version gouvernementale de l’« application universelle du paragraphe (1) a) de l’article 6 », toutes les personnes auront le droit au même statut que les personnes de la lignée paternelle, quel que soit le nombre de générations qui les sépare de leur ancêtre indienne qui a perdu son statut après son mariage, et que les personnes des deux lignées pourront transmettre leur statut de la même manière. Il est manifeste que cette modification a pour objectif d’éliminer la hiérarchie fondée sur le sexe. Si cette modification entrait en vigueur, les auteurs auraient enfin droit d’être inscrits au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6.

5.24Toutefois, aucune date n’ayant été fixée pour l’entrée en vigueur de l’article 2.1, la modification n’a aucune valeur juridique et la réparation qui serait accordée aux auteurs est totalement hypothétique. De plus, le projet de loi S-3 ne prévoit aucun mécanisme permettant d’assurer l’entrée en vigueur de l’article, ce qui vide celui-ci de son sens en tant que disposition législative.

5.25Les dispositions du projet de loi S-3 qui sont déjà en vigueur n’ont aucunement changé la situation inégalitaire dont souffrent les auteurs. Sharon McIvor reste reléguée au statut inférieur et stigmatisé conféré par l’inscription au titre du paragraphe (1) c). Elle ne peut ni avoir le statut associé au paragraphe (1) a) ni transmettre ce statut à son enfant.

5.26L’État partie tente de se justifier d’avoir suspendu l’effet de la clause de l’« application universelle du paragraphe (1)a) de l’article 6 » du Gouvernement pour une période indéfinie en expliquant qu’il souhaite consulter les membres des Premières Nations. Rien ne justifie que l’État partie tienne des consultations pour savoir s’il faut ou non maintenir la discrimination dans la loi. Il n’est pas non plus nécessaire de tenir des consultations sur la discrimination dans le système d’inscription au registre des Indiens. L’État partie mène des consultations sur cette discrimination depuis des décennies, et ces consultations sont une tactique qui lui permet de retarder l’élimination de la discrimination fondée sur le sexe. On ne saurait accepter de nouveaux atermoiements au regard du Pacte.

5.27Par conséquent, les auteurs demandent au Comité de conclure qu’ils ont le droit d’être inscrits au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6 de la loi sur les Indiens.

Article 27 du Pacte

État partie

5.28Les auteurs n’ont pas dénoncé ni étayé comme il se doit une violation de leur droit de jouir de leur culture. Tous deux sont membres de la bande indienne de Lower Nicola (qui fait partie de la Nation Nlaka’pamux), et la question en jeu est celle de savoir s’ils peuvent jouir de la culture Nlaka’pamux telle qu’elle est pratiquée par cette bande. Ils n’ont pas apporté la preuve d’une quelconque violation de leur droit de jouir de la culture particulière de leur groupe autochtone. En outre, le Comité a estimé qu’une entrave ne doit pas être systématiquement considérée comme un déni de droits au sens de l’article 27.

5.29La loi actuelle sur les Indiens n’impose aucune limite à la capacité des auteurs d’avoir leur propre vie culturelle, de pratiquer leur religion ou de parler leur langue. La question est de savoir si les effets d’une mesure adoptée par l’État sont « si importants » qu’ils privent effectivement les auteurs du droit d’avoir leur propre vie culturelle. Dans toutes ses constatations au titre de l’article 27, le Comité a fait référence à des effets préjudiciables tangibles établis par des preuves solides.

5.30Les auteurs ne disent pas qu’ils n’ont pas le droit de vivre sur la réserve de leur bande. C’est la bande indienne de Lower Nicola, et non les pouvoirs publics, qui décide qui vit sur les réserves de la bande sur la base de la liste de ses membres.

5.31Le statut d’Indien n’est qu’un des aspects de l’identité des personnes admissibles à l’inscription. Le régime prévu par la loi pour déterminer l’admissibilité à l’inscription ne définit pas − et ne peut définir − la dignité d’une personne. De plus, l’admissibilité à l’inscription au titre de l’un ou l’autre des paragraphes de l’article 6 n’est pas un marqueur de légitimité, que ce soit sur le plan personnel ou culturel, excepté dans la perception des auteurs, peut-être renforcée par l’attitude de leur famille et de leur communauté. Cela ne peut être attribué à l’État partie.

5.32Les auteurs font un trop grand amalgame entre identité culturelle et statut d’Indien. Le statut d’Indien n’est pas une approximation juridique d’une culture des Premières Nations quelle qu’elle soit ; c’est ce qui permet de déterminer l’éligibilité d’une personne à une série de prestations spécifiques fournies par l’État partie. Depuis la révision de 1985, le statut d’Indien et l’appartenance à une bande indienne sont deux choses distinctes. L’appartenance à une bande est plus étroitement liée à l’identité culturelle que le statut d’Indien puisque les bandes sont des communautés de personnes qui partagent la même culture.

Auteurs

5.33Les auteurs ont démontré que leur droit à l’exercice et à la jouissance de leur culture dans des conditions d’égalité, en particulier leur droit à la pleine jouissance de leur identité culturelle autochtone, était sensiblement entravé. La formation d’un sentiment d’identification et d’appartenance à un groupe, et la reconnaissance de cette identité et de cette appartenance par les autres membres du groupe constituent un aspect fondamental du droit d’une personne de jouir de sa culture. La capacité qu’a la personne de transmettre son identité culturelle est également un élément clef de cette identité.

5.34L’État partie cherche à éviter d’être tenu responsable des effets, au sein des communautés autochtones, de la discrimination fondée sur le sexe qui est inscrite dans la loi. Compte tenu du rôle que le Canada a joué dans l’imposition d’une définition patriarcale de l’Indien aux communautés des Premières Nations et du fait que le régime canadien d’inscription au registre des Indiens continue de privilégier les hommes et leurs descendants, la discrimination fondée sur le sexe que dénoncent les auteurs se poursuit.

5.35Le Pacte impose à l’État partie de garantir et de respecter le droit des femmes autochtones à l’exercice et à la jouissance de la culture des Premières Nations dans des conditions d’égalité, dans les réserves et en dehors, dans leurs communautés locales et dans la communauté des Premières Nations et des personnes d’ascendance autochtone dans tout le Canada. Lorsque l’État partie affirme que le statut d’Indien ne constitue pas une reconnaissance officielle de l’identité culturelle de la personne, il feint de ne pas connaître les effets néfastes du régime discriminatoire qu’il a mis en place pour l’inscription au registre des Indiens. Au regard du Pacte, toutefois, l’obligation qu’a l’État de garantir l’égalité et la non‑discrimination s’étend aux effets directs et indirects du comportement de l’État partie lorsqu’il promulgue et maintient le régime d’inscription.

Article 2 (par. 3) du Pacte

État partie

5.36Le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ne peut pas être invoqué isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Les allégations de violation des articles 26 et 27 n’ayant pas été étayées, il n’y a pas lieu de conclure à une violation du paragraphe 3 de l’article 2. En outre, les auteurs ont non seulement eu accès à des recours utiles, mais ils ont également obtenu gain de cause dans leurs affaires.

Auteurs

5.37Les auteurs soutiennent qu’ils n’ont pas eu accès à un recours utile. Ils prient le Comité : a) de demander au Canada de prendre immédiatement des mesures pour garantir que le paragraphe (1) a) de l’article 6 du régime d’inscription au registre des Indiens établi par la loi de 1985 sur les Indiens, et rétabli par les projets de loi C-3 et S-3, soit interprété ou modifié de façon à donner le droit d’être inscrites sur le registre aux personnes qui, auparavant, ne jouissaient pas de ce droit en vertu de cette disposition à seule raison du traitement préférentiel accordé aux Indiens par rapport aux Indiennes nées avant le 17 avril 1985 et aux personnes d’ascendance indienne par leur père par rapport aux personnes d’ascendance indienne par leur mère nées avant cette même date ; b) de conclure qu’ils ont le droit d’être inscrits au registre au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6 de la loi révisée de 1985 ou du paragraphe (1) a) de l’article 6 de la même loi dans sa version modifiée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée partiellement irrecevable pour non-épuisement des recours internes, au motif que les auteurs n’ont pas défendu leurs allégations devant les juridictions canadiennes car ils n’avaient pas qualité pour faire valoir ces allégations. Le Comité note toutefois aussi que les auteurs ont contesté la constitutionnalité de l’article 6 de la loi révisée de 1985 sur les Indiens au regard de la Charte canadienne, invoquant également les articles 2 et 26 du Pacte, que, le 8 juin 2007, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué en leur faveur et conclu que l’article 6 de la loi révisée de 1985 violait la Charte canadienne en ce qu’il établissait une discrimination fondée sur le sexe et la situation matrimoniale, et que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé le 6 avril 2009 que l’article 6 de cette loi était discriminatoire, mais sur un fondement plus restreint. à la suite de cette décision, les auteurs ont demandé l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada, ce qui leur a été refusé. Le Comité considère que les auteurs ont dûment épuisé les recours internes à leur disposition et qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les allégations des auteurs, dans la mesure où elles ont trait à la révision de 1951 de la loi sur les Indiens, devraient être exclues ratione temporis de la compétence du Comité, car elles concernent la perte par Sharon McIvor de son statut, qui s’est produite avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour le Canada. Le Comité note toutefois que les auteurs affirment que l’élément central de leur grief est la discrimination qui serait inhérente aux critères d’admissibilité énoncés à l’article 6 de la loi sur les Indiens, telle que révisée en 1985 puis modifiée en 2011 et 2017, critères qui ont été définis après l’entrée en vigueur des instruments pertinents pour l’État partie. Le Comité considère par conséquent qu’il n’est pas empêché, ratione temporis, d’examiner les allégations des auteurs portant sur la révision de 1985, et les modifications apportées en 2011 et en 2017.

6.4Le Comité note également que l’État partie conteste la recevabilité au motif que le préjudice qu’auraient subi les auteurs et les effets sur leurs relations sociales et culturelles ne sont pas attribuables à l’État. Toutefois, il note que les auteurs affirment que leur grief porte sur les effets discriminatoires du régime mis en place par l’État pour l’inscription des Indiens, à savoir tant sur les effets des actions de l’État que sur ceux causés par des acteurs non étatiques ou résultant des actions de ces acteurs. Le Comité considère par conséquent qu’il n’est pas empêché, ratione personae, d’examiner les griefs des auteurs.

6.5Le Comité note que l’État partie estime que certains aspects de la communication sont irrecevables parce que les auteurs dénoncent une série de problèmes ressentis concernant les critères d’admissibilité définis dans le cadre de la révision de 1985 de la loi sur les Indiens, qui ne s’appliquent pas à leur situation et dont ils ne peuvent pas par conséquent démontrer qu’ils sont victimes. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle une personne, homme ou femme, ne peut se prétendre victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif que s’il est effectivement porté atteinte à ses droits. L’application concrète de cette condition est une question de degré. Néanmoins, aucun individu ne peut, dans l’abstrait et par voie d’actio popularis, contester une loi ou une pratique en déclarant celle-ci contraire au Pacte. Le Comité note toutefois que les auteurs font valoir que leur communication porte sur l’application à leur situation particulière du cadre juridique créé en vertu du paragraphe (1) de l’article 6 de la loi sur les Indiens. Le Comité considère donc que les auteurs peuvent se dire victimes d’une violation des droits qui leur sont reconnus par le Pacte au sens de l’article premier du Protocole facultatif.

6.6Le Comité note que l’État partie affirme que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ne peut pas être invoqué isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif, mais il observe que les auteurs ont invoqué cette disposition au sujet d’une violation présumée de leurs droits au titre des articles 26 et 27, lus conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 3 du Pacte. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication recevable.

6.7Le Comité considère en outre que les griefs soulevés par les auteurs au titre des articles 2 (par. 1 et 3), 3, 26 et 27 du Pacte ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel, jusqu’en 1985, la loi sur les Indiens favorisait les hommes indiens et leurs descendants de sexe masculin et retirait le statut aux Indiennes qui épousaient des non-Indiens, tout en refusant également le statut aux enfants qui étaient issus des Premières Nations par la voie matrilinéaire. Les auteurs soutiennent que, malgré les modifications législatives apportées en 2011 et 2017, ils continuent d’être directement touchés par la discrimination qui resterait inscrite dans la loi sur les Indiens. Bien qu’ils admettent jouir des avantages matériels du statut, ils affirment qu’ils ne jouissent pas de tous les avantages immatériels du statut dans des conditions d’égalité avec leurs pairs, et en particulier de la capacité de transmettre le plein statut conféré par l’inscription au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6 et de la légitimité sociale conférée par ce statut, en violation des articles 2 (par. 1), 3 et 26 du Pacte. Les auteurs soutiennent en outre que la discrimination qui reste inscrite à l’article 6 de la loi sur les Indiens telle que modifiée les prive, eux-mêmes ainsi que d’autres femmes et leurs descendants, du droit de jouir pleinement de leur identité culturelle dans des conditions d’égalité en tant que membres des Premières Nations, en violation de l’article 27 du Pacte.

7.3Le Comité note que les auteurs affirment que la loi révisée de 1985, telle que modifiée en 2011, ne leur reconnaissait pas le droit d’être enregistrés en application du paragraphe (1) a) de l’article 6, contrairement au frère de Sharon McIvor et à tous ses enfants. Cette différence est fondée uniquement sur le sexe, car Sharon McIvor et son frère sont issus de la même lignée et les familles qu’ils ont fondées suivent le même schéma. Alors que son frère bénéficie du statut conféré par l’inscription au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6 et peut le transmettre à ses enfants nés avant le 17 avril 1985, après l’adoption des modifications de 2011, Sharon McIvor a continué de bénéficier uniquement du statut associé au paragraphe (1) c) de l’article 6, qui serait inférieur et dont les titulaires seraient stigmatisés, et ne peut ni bénéficier du statut associé au paragraphe (1) a) ni le transmettre à son enfant. De plus, les auteurs affirment que les modifications apportées à la loi en 2017 ont laissé cette situation discriminatoire fondamentalement inchangée puisque les dispositions adoptées à ce jour ont étendu le statut inférieur associé au paragraphe (1) c) à de nouveaux sous-groupes, sans modifier la hiérarchie discriminatoire fondée sur le sexe qui existe entre le paragraphe (1) a) et le paragraphe (1) c).

7.4Le Comité note que l’État partie a fait d’importants efforts, ces dernières années, pour corriger les distinctions encore établies en fonction du sexe par la loi sur les Indiens, et notamment que des modifications ont été apportées à cette loi en 2017 et que la plupart sont entrées en vigueur. Toutefois, l’article 2.1, que les auteurs considèrent comme crucial pour leur situation puisqu’il accorde le statut associé au paragraphe (1) a) sur la base de la lignée maternelle comme de la lignée paternelle, n’est pas entré en vigueur. Les auteurs affirment que, si ces dispositions entraient en vigueur, la discrimination fondée sur le sexe serait éliminée et ils auraient droit au statut conféré par l’inscription au titre du paragraphe (1) a), mais que cette perspective reste hypothétique.

7.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’existe qu’un seul statut d’Indien, ouvrant droit à des avantages matériels tels que des prestations de santé, une aide financière et des exonérations fiscales, et que toutes les personnes inscrites en vertu de l’article 6 bénéficient de ces avantages dans des conditions d’égalité. Il note en outre que, selon l’État partie, le paragraphe (1) a) de l’article 6 vise toutes les personnes qui avaient le statut d’Indien avant 1985, alors que le paragraphe (1) c) vise celles qui ont été privées du statut d’Indien pour diverses raisons, notamment les femmes qui ont perdu leur statut en épousant un non-Indien. L’État partie affirme donc qu’il n’existe aucune discrimination de fait ou de droit entre les personnes visées au paragraphe (1) a) et celles visées au paragraphe (1) c), que la préservation des droits acquis est un objectif législatif légitime qui justifie l’établissement d’une distinction, que la différence entre les différents paragraphes de l’article 6 de la loi sur les Indiens est uniquement de nature rédactionnelle, l’objectif étant de décrire les différents critères donnant droit au statut, et que les alinéas du paragraphe (1), notamment les alinéas a), c) et e), sont des dispositions transitoires qui s’appliquent aux personnes nées avant 1985. Par conséquent, il n’existe pas de « sous‑catégorie » d’Indiens qui auraient un statut inférieur et les différences de traitement que pourraient subir les personnes inscrites au titre du paragraphe (1) c) de l’article 6 dans l’accès aux avantages immatériels ne sauraient être imputées à l’État partie.

7.6Le Comité rappelle que le principe de l’égalité de traitement entre les sexes s’applique en vertu des articles 2 (par. 1), 3 et 26 du Pacte. Il rappelle en outre son observation générale no 18 (1989) sur la non-discrimination, selon laquelle le Pacte interdit toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur quelque motif que ce soit, y compris le sexe, et ayant pour but ou pour effet de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, de l’ensemble des droits et des libertés. En l’espèce, le Comité note que la loi sur les Indiens, telle que révisée en 1985, puis modifiée en 2011 et 2017, continue d’établir une distinction en fonction du sexe. Il note en outre que, selon l’État partie, cette distinction sera supprimée et toutes les personnes appartenant à la lignée maternelle auront droit au même statut que les personnes appartenant à la lignée paternelle lorsque la disposition supplémentaire du projet de loi S‑3 entrera en vigueur (voir par. 5.15, supra). Le Comité constate toutefois qu’à l’heure actuelle, ces modifications ne sont pas encore entrées en vigueur et que la loi sur les Indiens maintient donc la distinction en fonction du sexe. Il note que les tribunaux nationaux ont également conclu que l’article 6 de la loi révisée de 1985 sur les Indiens était discriminatoire après les modifications apportées en 2011.

7.7Le Comité rappelle son observation générale no 18 et sa jurisprudence connexe, selon lesquelles toute différenciation ne constitue pas une discrimination si elle est fondée sur des critères raisonnables et objectifs et si le but visé est légitime au regard du Pacte. Il doit par conséquent déterminer si, dans les circonstances de la présente communication, la distinction établie en fonction du sexe par la loi sur les Indiens telle que modifiée est fondée sur des critères raisonnables et objectifs et répond à un but légitime.

7.8à ce propos, le Comité note que Sharon McIvor est traitée différemment de son propre frère au regard de la loi sur les Indiens et, comme l’admet l’État partie, ne bénéficie pas du statut conféré par l’inscription au titre de l’alinéa a) du paragraphe (1) de l’article 6, à la différence des personnes de la lignée paternelle, et ne peut transmettre le statut à sa descendance dans les mêmes conditions que son frère. Le Comité prend également note de l’argument des auteurs selon lequel, du fait de la discrimination fondée sur le sexe qui est inscrite dans la loi sur les Indiens, ils sont stigmatisés au sein de leur communauté et privés de la pleine possibilité d’avoir leur propre vie culturelle, en commun avec les autres membres de leur groupe autochtone. Les auteurs soutiennent qu’ils ne sont pas considérés comme de « vrais » Indiens ; Sharon McIvor est traitée comme une « femme loi C-31 » et, après la révision de 1985 de la loi sur les Indiens, Jacob Grismer n’a pas pu participer à part entière aux activités traditionnelles de chasse et pêche. Les auteurs affirment que la pratique séculaire consistant, pour l’État partie, à définir qui est indien a amené les autochtones à considérer le droit à l’inscription au registre des Indiens comme la confirmation ou la validation de leur « indianité ». Ils affirment également que la distinction qui est établie de longue date dans la loi sur les Indiens entre les personnes de la lignée paternelle, dont le statut est reconnu, et les personnes de la lignée maternelle, a contribué à stigmatiser ces dernières et que cette stigmatisation se perpétue du fait du statut juridique différent conféré aux personnes de la lignée maternelle par la loi telle que modifiée.

7.9L’État partie avance que touteffet, perçu ou réel, que pourrait avoir, sur les relations sociales et culturelles des auteurs, le statut qui leur est conféré par la loi sur les Indiens, telle que modifiée, du fait des dispositions de cette loi en vertu desquelles ceux-ci peuvent prétendre au statut d’Indien, devrait être attribué à la famille et à l’environnement social et culturel des intéressés, et non à l’État (voir par.4.4). L’État partie reconnaît toutefois que la loi sur les Indiens telle que modifiée établit encore une distinction en fonction du sexe, distinction qui serait éliminée par les dispositions portant modification de cette loi qui ne sont pas encore entrées en vigueur (voir par. 5.15). Il a conscience du lien important qui existe, aux yeux de certains Canadiens autochtones, entre le statut d’Indien et leur identité personnelle en tant qu’autochtones. Il est aussi conscient de la discrimination et des autres iniquités que les femmes autochtones et leurs descendants ont subies par le passé et sait que l’admissibilité à l’inscription au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6 revêt une signification particulière pour certaines personnes, comme les auteurs, qui ont été victimes, par le passé, de discrimination fondée sur le sexe. Les dispositions portant modification de la loi sur les Indiens qui ne sont pas encore en vigueur et qui prévoient l’admissibilité de ces personnes ont été adoptées eu égard à cela (voir par. 5.16). Le Comité considère qu’une telle distinction discriminatoire entre les membres d’une même communauté risque d’entraver et de compromettre le mode de vie des personnes concernées.

7.10Le Comité rappelle son observation générale no 23 (1994) sur les droits des minorités, dans laquelle il a relevé que l’article 27 consacrait un droit qui était conféré aux individus appartenant à des groupes autochtones et qui était distinct ou complémentaire des autres droits dont toute personne pouvait jouir en vertu du Pacte. La culture peut revêtir de nombreuses formes et s’exprimer notamment par un certain mode de vie associé à l’utilisation des ressources naturelles, en particulier dans le cas des populations autochtones, et peut inclure des activités traditionnelles comme la pêche et la chasse. C’est pourquoi il faut prendre des mesures positives de protection non seulement contre les actes commis par l’État partie lui-même, par l’entremise de ses autorités législatives, judiciaires ou administratives, mais également contre les actes commis par d’autres personnes se trouvant sur le territoire de l’État partie.

7.11 Le Comité rappelle également que l’interdiction de la discrimination énoncée dans le Pacte s’applique non seulement à la discrimination en droit, mais aussi à la discrimination de fait, qu’elle soit exercée par les pouvoirs publics, par la communauté, par des particuliers ou par des organismes privés. Il rappelle en outre que l’application du principe d’égalité suppose parfois de la part des États parties l’adoption de mesures temporaires spéciales visant à atténuer ou à supprimer les conditions qui font naître la discrimination interdite par le Pacte ou contribuent à la perpétuer. En l’espèce, l’État partie reconnaît à la fois qu’il existe une différence de traitement fondée sur le statut et que les dispositions supplémentaires du projet de loi S-3 qui ne sont pas encore entrées en vigueur donneront aux personnes issues de la lignée maternelle le droit au même statut que celui auquel peuvent prétendre les personnes issues de la lignée paternelle. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la distinction fondée sur le sexe qui existe dans les différents alinéas du paragraphe (1) de l’article 6 de la loi révisée de 1985 sur les Indiens telle que modifiée est justifiée par l’objectif légitime de préserver les droits acquis. Toutefois, l’État partie n’a pas démontré en quoi le fait de reconnaître aux auteurs le même statut au titre du paragraphe (1) a) de l’article 6 porterait atteinte aux droits acquis par d’autres. Il n’a donc pas démontré que le but annoncé était fondé sur des motifs objectifs et raisonnables. Le Comité conclut, par conséquent, que la distinction fondée sur le sexe qui reste inscrite au paragraphe (1) c) de l’article 6 de la loi sur les Indiens est constitutive de discrimination, ce qui porte atteinte au droit des auteurs d’avoir leur propre vie culturelle en commun avec les autres membres de leur groupe. Il conclut donc également que les auteurs ont démontré l’existence d’une violation des articles 3 et 26 du Pacte, lus conjointement avec l’article 27.

7.12Compte tenu de ses précédentes conclusions, le Comité décide de ne pas examiner séparément les autres griefs soulevés par les auteurs au titre du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits reconnus aux auteurs par les articles 3 et 26 du Pacte, lus conjointement avec l’article 27.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de veiller à ce que le paragraphe (1) a) de l’article 6 de la loi révisée de 1985 sur les Indiens, ou de cette loi telle que modifiée, soit interprété de manière à autoriser l’inscription au registre de toutes les personnes, dont les auteurs font partie, qui n’avaient pas auparavant le droit d’y être inscrites au titre de cette disposition à seule raison du traitement préférentiel accordé aux Indiens par rapport aux Indiennes nées avant le 17 avril 1985 et aux personnes d’ascendance indienne par leur père par rapport aux personnes d’ascendance indienne par leur mère nées avant cette date ; b) de prendre des mesures pour mettre fin à la discrimination qui persiste dans les communautés des Premières Nations et résulte de la discrimination fondée sur le sexe inscrite dans la loi sur les Indiens. En outre, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour éviter que de telles violations ne se reproduisent.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.