Comité des droits de l’homme
Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2182/2012 * , **
Communication présentée par : |
V. S. (non représenté par un conseil) |
Au nom de : |
L’auteur |
État partie : |
Bélarus |
Date de la communication : |
15 novembre 2010 (date de la lettre initiale) |
Références : |
Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 juillet 2012 (non publiée sous forme de document) |
Date des constatations : |
27 mars 2018 |
Objet : |
Conditions de détention inhumaines ; accès à la justice ; recours utile |
Question(s) de procédure : |
Épuisement des recours internes ; défaut de coopération de l’État partie |
Question(s) de fond : |
Conditions de détention ; recours utile |
Article(s) du Pacte : |
2 (par. 3 a)), 7 et 14 (par. 1) |
Article(s) du Protocole facultatif : |
2 et 5 (par. 2 b)) |
1.L’auteur de la communication est V. S., de nationalité bélarussienne, né en 1972. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par.3a)), 7 et 14 (par.1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par unconseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 23 mars 2010, l’auteur a été arrêté par des policiers et inculpé d’une infraction administrative. Le 24 mars 2010, à 02 h 40, il a été conduit au centre de détention pour délinquants de Minsk, où il a été détenu pendant sept heures, jusqu’à sa comparution devant le tribunal. Il se plaint de ce que les conditions de détention dans sa cellule au centre de détention pour délinquants étaient cruelles, inhumaines et dégradantes. Il n’y avait dans la cellule ni lits ni chaises et une unique planche en bois faisait office de lit pour lui-même et un autre détenu. Il a dû dormir tout habillé sur une simple planche. N’ayant reçu ni matelas, ni couverture, ni oreiller alors que la température à l’intérieur variait entre 10 et 14 °C, il avait constamment froid et avait du mal à dormir. En outre, les toilettes n’étaient pas séparées de l’espace commun de la cellule et il devait les utiliser devant le détenu avec lequel il partageait sa cellule, ce qui a constitué un traitement dégradant. L’auteur se plaint aussi de ce que la nourriture servie était de mauvaise qualité et trop salée, et qu’elle lui a causé des brûlures épigastriques. Ses conditions de détention lui ont causé des souffrances physiques et mentales et, dans l’ensemble, ont constitué un traitement cruel, inhumain et dégradant, en violation de l’article 7 du Pacte et des paragraphes 10, 12, 15, 19 et 20.1 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.
2.2Le 2 avril 2010, l’auteur a engagé une procédure civile devant le tribunal du district Moskovsky de la ville de Minsk, affirmant que ses conditions de détention avaient constitué une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Le 11 mai 2010, le tribunal a refusé d’engager une procédure, se déclarant incompétent et indiquant que la législation nationale prévoyait une procédure extrajudiciaire pour l’examen des plaintes concernant les conditions de détention.
2.3Le 24 mai 2010, l’auteur a formé un recours en annulation auprès du tribunal municipal de Minsk, arguant que la législation nationale mentionnée par le tribunal du district Moskovsky ne prévoyait pas de procédure pour le dépôt de plaintes après la remise en liberté et que le paragraphe 1 de l’article 60 de la Constitution garantissait à toute personne la protection de ses droits et libertés par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Le 26 août 2010, le tribunal municipal de Minsk a confirmé la décision du tribunal du district Moskovsky.
2.4L’auteur n’a adressé de demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle ni au Président du tribunal municipal de Minsk ni au Président de la Cour suprême car l’exercice de ces recours extraordinaires est laissé à la discrétion d’un juge et limité à des points de droit, ce qui signifie que l’introduction d’une telle demande ne peut pas être considérée comme un recours interne utile. Il affirme par conséquent qu’il a épuisé tous les recours internes utiles qui étaient à sa disposition.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur se dit victime d’une violation du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, en ce que l’État partie n’a pas enquêté sur l’allégation de violation des droits qu’il tient de l’article 7 et ne lui a pas accordé un recours utile au sens du paragraphe 3 a) de l’article 2.
3.2L’auteur affirme que ses conditions de détention n’étaient pas conformes à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et ont constitué une violation de l’article 7 du Pacte.
3.3L’auteur ajoute que le refus du tribunal d’examiner dûment son affaire a constitué un déni de son droit d’avoir accès aux tribunaux, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans une note verbale du 13 août 2012, l’État partie souligne qu’il n’existe pas de motif de droit d’examiner la communication, tant du point de vue de la recevabilité que du point de vue du fond. Il soutient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas formé de recours auprès du Président du tribunal municipal de Minsk ni auprès du Président de la Cour suprême. En outre, l’auteur avait le droit de contester la décision du tribunal auprès du Procureur général au titre de la procédure de contrôle, mais il ne l’a pas fait. Par conséquent, sa communication a été enregistrée en violation de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.2L’État partie indique en outre qu’il a mis fin à la procédure concernant la communication et qu’il se dissociera des constatations qui pourraient être adoptées par le Comité.
Commentaires de l’auteur concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité
5.1Dans une lettre datée du 15 janvier 2013, l’auteur soumet ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il fait valoir que, conformément à l’article 432 du Code de procédure civile, la décision d’une juridiction de cassation devient exécutoire le jour de son adoption. Par conséquent, la décision rendue le 26 août 2010 par le tribunal municipal de Minsk est devenue exécutoire le même jour. L’auteur explique aussi que les frais de procédure lui ont été remboursés, ce qui signifie qu’il a de fait été mis fin à la procédure.
5.2L’auteur ajoute qu’il n’a pas formé de recours auprès du Président du tribunal municipal de Minsk ni auprès du Président de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle car celle-ci n’aurait pas donné lieu au réexamen de son affaire. Il affirme que l’examen d’une demande de contrôle est laissé à la discrétion d’un seul fonctionnaire et ne peut pas être considéré comme un recours utile pour les raisons suivantes :
a)Il n’entraîne pas le réexamen de l’affaire ;
b)Il est effectué par un seul fonctionnaire ;
c)La décision d’examiner ou non les pièces du dossier est laissée à la seule discrétion de ce fonctionnaire ;
d)L’examen est effectué en l’absence des parties, de sorte que l’auteur n’a pas la possibilité de présenter des arguments, des propositions ou des requêtes.
5.3L’auteur fait observer en outre qu’il a fallu trois mois et demi au tribunal municipal de Minsk pour examiner son recours bien que, selon la législation, celui-ci aurait dû être examiné par la juridiction d’appel au plus tard quinze jours après sa présentation. Le tribunal a expliqué que ce retard était dû au grand nombre de recours dont il était saisi. L’auteur affirme que l’introduction d’un nouveau recours auprès du Président du tribunal municipal de Minsk et auprès du Président de la Cour suprême aurait entraîné des retards encore plus importants dans son affaire.
5.4L’auteur évoque en outre le cas de Vladislav Kovalev, qui a été exécuté avant que son recours au titre de la procédure de contrôle n’ait été examiné par le Président de la Cour suprême, ce qui montre que la procédure de contrôle au Bélarus ne saurait être considérée comme un recours utile.
5.5Se référant à la pratique établie du Comité, l’auteur souligne que seuls les recours internes qui sont à la fois disponibles et utiles doivent être épuisés. Le Comité, dans sa jurisprudence, a systématiquement conclu que les procédures de contrôle de décisions de justice passées en force de chose jugée ne constituaient pas un recours qui devait être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur avance également que, pour les motifs susmentionnés, un recours formé auprès du Bureau du Procureur général au titre de la procédure de contrôle ne constitue pas un recours utile.
Délibérations du Comité
Défaut de coopération de l’État partie
6.1Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui affirme qu’il n’existe pas de motif de droit d’examiner la communication présentée par l’auteur puisqu’elle a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, les recours internes n’ayant pas été épuisés, et que si le Comité prend une décision en l’espèce, l’État partie se dissociera de ses constatations.
6.2Le Comité fait observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, tout État partie au Pacte reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1er du Protocole facultatif). Ce faisant, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier concernés (art. 5 (par. 1 et 4)). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations, est incompatible avec lesdites obligations. Il appartient au Comité de décider si une communication doit être enregistrée. En n’acceptant pas la décision du Comité concernant l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas demandé que le Président du tribunal municipal de Minsk, le Président de la Cour suprême, ou le Bureau du Procureur général engage une procédure de contrôle des décisions rendues par les juridictions nationales. Il renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’introduction auprès du ministère public d’une demande de contrôle visant des décisions judiciaires devenues exécutoires ne fait pas partie des recours qui doivent être épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il considère également que le dépôt auprès du président d’un tribunal d’une demande de contrôle visant des décisions judiciaires passées en force de chose jugée, dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il existe une possibilité raisonnable qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Tel n’ayant pas été le cas, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.
7.4Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il a été détenu la nuit pendant sept heures dans une cellule sans lits ni chaises, avec une unique planche en bois faisant office de lit pour lui-même et un autre détenu, où la température variait entre 10 et 14 °C et où il avait constamment froid et avait du mal à dormir, où il n’y avait pas de toilettes séparées, et où on lui servait une nourriture trop salée. Selon l’auteur, les conditions de sa détention lui ont causé des souffrances physiques mentales et, dans l’ensemble, ont constitué un traitement cruel, inhumain et dégradant, en violation de l’article 7 du Pacte. Tout en soulignant que certaines conditions de détention qui reviennent à soumettre un détenu à un traitement inhumain et dégradant peuvent constituer une violation de l’article 7, le Comité renvoie au paragraphe 4 de son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi libellé : « Le Pacte ne donne pas de définition des termes employés à l’article 7, et le Comité n’estime pas non plus nécessaire d’établir une liste des actes interdits ni de fixer des distinctions très nettes entre les différentes formes de peines ou traitements interdits ; ces distinctions dépendent de la nature, du but et de la gravité du traitement infligé. ». En l’espèce, le Comité fait observer que l’auteur a été amené au centre de détention à 2 h 40 du matin pour une infraction administrative non spécifiée et a été libéré sept heures plus tard. Le Comité est d’avis que les allégations formulées par l’auteur au sujet des conditions dans lesquelles il a été détenu de nuit pendant sept heures ne suffisent pas à étayer un grief au titre de l’article 7 du Pacte. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas étayé son grief au titre de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, aux fins de la recevabilité, et déclare ce grief irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Dans ces circonstances, le Comité considère également que le grief que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.
8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :
a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.