Nations Unies

CCPR/C/122/D/2642/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 juin 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif concernant la communication no 2642/2015 * , **

Communication présentée par :

S. (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

19 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 17 août 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

26 mars 2018

Objet :

Expulsion vers le Bangladesh

Question(s) de procédure :

Griefs non étayés

Question(s) de fond :

Torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; refoulement

Article(s) du Pacte :

1,7 et 9

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication est S., de nationalité bangladaise, né le 6 décembre 1983. Il affirme que les droits qu’il tient des articles 1, 7 et 9 du Pacte seront violés s’il est renvoyé au Bangladesh par l’État partie. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 17 août 2015, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers le Bangladesh tant que la communication serait à l’examen. Le 4 septembre 2015, suite à cette demande adressée par le Comité à l’État partie, la Commission de recours des réfugiés a suspendu le délai fixé pour le départ de l’auteur du Danemark.

Exposé des faits

2.1L’auteur est un Bangladais de confession musulmane. Il se dit membre du Jamaat-e-Islami, un parti politique d’opposition au Gouvernement bangladais. Depuis 2007, il est considéré par ce parti comme un membre non coopératif qui doit pour cela être puni. L’auteur est affilié au parti depuis 1989, année où il a été inscrit dans une école administrée par le parti, l’Alia Madrasa. Lorsque son père est mort en 2000, il s’est retrouvé sans soutien financier. Il est donc resté vivre à l’école parce qu’elle était gratuite et fournissait gratuitement la nourriture et les vêtements. Une des conditions à remplir pour vivre à l’école était d’adhérer à la section Jeunesse du Jamaat-e-Islami. Dans le cadre de ce mouvement, l’auteur devait participer à des activités visant à promouvoir l’école et le parti, telles que le recrutement de nouveaux membres, y compris parmi les élèves d’autres écoles, la collecte de dons pour l’école et le parti, des débats sur la conception de l’islam du Jamaat-e-Islami et l’apprentissage des arts martiaux.

2.2De 2002 à 2004, l’auteur est retourné vivre chez lui mais a continué à fréquenter l’Alia Madrasa. Pendant cette période, il a enseigné les arts martiaux aux autres élèves pour qu’ils puissent se battre si des manifestations prenaient un tour violent. Il a aussi participé lui-même à des manifestations et encouragé d’autres personnes à faire de même. L’auteur indique qu’il devait amener de 5 à 10 personnes à chaque manifestation.

2.3Entre 2004 et 2006, l’auteur est devenu un membre important de la section Jeunesse du Jamaat-e-Islami et a cessé d’aller en cours. Il était chargé de planifier, préparer et conduire des manifestations, de travailler afin de gagner de l’argent pour le parti et de collecter des dons. En tant qu’instructeur en arts martiaux, l’auteur était censé se battre pendant les manifestations en cas de tensions.

2.4En octobre 2007, la famille de l’auteur lui a conseillé de cesser ses activités au sein du mouvement parce qu’elles étaient devenues dangereuses : il y avait beaucoup de manifestations dans la capitale et le parti se livrait à des activités illégales (incendiant des voitures et à des autobus, par exemple). L’auteur a peu à peu réduit ses activités. Il a pris part à une manifestation pour la dernière fois en octobre 2007. Il lui avait été demandé de se tenir à l’avant pour se battre en cas d’échauffourée, mais il a refusé et est rentré chez lui.

2.5Après que l’auteur eut désobéi au parti en quittant cette manifestation d’octobre 2007, il a été convoqué à deux reprises par des responsables du Jamaat-e-Islami, mais il a refusé d’obtempérer. Convoqué une troisième fois, il a accepté de rencontrer les intéressés à l’extérieur d’un collège pour filles. Ceux-ci l’ont sommé de s’expliquer et lui ont rappelé son engagement envers le parti. L’auteur indique qu’ils lui ont reproché la mort de membres du parti survenue à la suite de violentes échauffourées pendant la dernière manifestation, et lui ont dit qu’il « aurait affaire » à la Police bangladaise à ce sujet. Lorsque l’auteur a expliqué qu’il souhaitait quitter le parti, ils l’ont frappé avec des coups de poing américains et l’ont blessé à l’estomac avec un rasoir, blessure dont les cicatrices sont encore visibles. L’auteur a été admis dans une clinique puis transféré dans un cabinet médical privé. Il a ensuite séjourné chez sa tante à Faridpur pendant un mois environ, le temps de se remettre de l’agression. Quelques jours après celle-ci, le Jamaat-e-Islami a été accusé d’avoir commis un attentat terroriste lors d’une manifestation au cours de laquelle deux voitures avaient été incendiées et deux personnes étaient mortes brûlées. L’auteur a appris que les autorités croyaient qu’il avait un lien avec ce crime, alors qu’il n’y avait pas participé. L’auteur pense avoir été dénoncé par les responsables du Jamaat-e-Islami pour le punir d’avoir tenté de quitter le parti.

2.6En décembre 2007, le cousin de l’auteur a informé celui-ci qu’il avait été inculpé dans une affaire liée à la manifestation d’octobre 2007, ajoutant que l’information avait été publiée par deux journaux nationaux, le Daily Ittefaq et le Daily Inqelab. L’auteur note que son nom avait été mal orthographié. Il ajoute qu’il a aussi appris que son nom figurait sur une liste de personnes accusées du meurtre, en août 2007, d’un célèbre professeur qui avait écrit de nombreux ouvrages sur le Jamaat-e-Islami et avait pris position contre ce parti dans des conférences universitaires. L’auteur a fourni au Comité des documents judiciaires relatifs à ces accusations.

2.7Informé de ces accusations, l’auteur s’est enfui du Bangladesh en décembre 2007. Il est arrivé en Grèce en août 2008 après être passé par l’Inde, le Pakistan, la République islamique d’Iran et « d’autres pays ». Il a vécu dans la rue en Grèce pendant plus de deux ans puis a tenté de rentrer au Bangladesh. Lorsque l’auteur est arrivé à la frontière entre l’Inde et le Bangladesh, il a appelé sa famille. Son cousin, qui est membre de la section Jeunesse du Jamaat-e-Islami, lui a dit qu’il ne devait pas entrer dans le pays parce qu’il serait tué ou emprisonné et torturé. Selon son cousin, la mère de l’auteur lui avait dit que la Police bangladaise était venue chez elle à trois reprises car elle recherchait l’auteur relativement aux accusations portées contre lui concernant le meurtre du professeur. Son cousin lui a aussi dit que, selon sa mère, la police arrêtait de jeunes membres du Jamaat-e-Islami en relation avec la mort du professeur d’université. Elle affirmait que la police frappait et torturait ces jeunes en vue d’identifier d’autres membres du parti et les emprisonnait sans procès. La mère de l’auteur affirmait en outre que des membres du Jamaat-e-Islami lui avaient dit que le parti savait que l’auteur avait survécu à l’agression commise par les deux responsables en octobre 2007. L’auteur affirme qu’après avoir entendu cela, il a décidé de repartir en Europe.

2.8Le 7 novembre 2011, après être passé par l’Inde, le Pakistan, la République islamique d’Iran, la Turquie, la Grèce et l’Italie, l’auteur est arrivé au Danemark sans documents de voyage valides. Le 8 novembre 2011, il a déposé une demande d’asile. Le 17 novembre 2011, le 25 juin 2012 et le 26 septembre 2013, la Police danoise l’a interrogé et il a exposé les motifs de sa demande d’asile. Le 15 octobre 2013, le Service danois de l’immigration a rejeté cette demande, indiquant que l’auteur avait donné des explications contradictoires sur les principaux événements ayant motivé sa demande d’asile et qu’il n’était pas crédible. Le Service de l’immigration n’était pas convaincu par les déclarations de l’auteur concernant son affiliation au Jamaat-e-Islami, les accusations portées contre lui au Bangladesh, les menaces qu’il avait reçues de membres du Jamaat-e-Islami et la manière dont il avait traduit les documents du bengali en anglais. Il soulignait de plus que le Ministère danois des affaires étrangères avait conclu le 30 août 2013 que les documents communiqués par l’auteur en ce qui concerne les accusations portées contre lui au Bangladesh n’étaient pas authentiques. Le Service danois de l’immigration a donc conclu que l’auteur n’était pas persécuté au moment de son départ et qu’il ne risquait pas de l’être à son retour. Il a aussi conclu que l’auteur ne risquait pas de subir des violences s’il était renvoyé dans son pays. Dans sa décision, le Service danois de l’immigration a informé l’auteur qu’étant donné qu’il avait une offre d’emploi qui remplissait les conditions minimales requises, il pouvait demander un permis de résidence.

2.9L’auteur a fait appel de la décision du Service de l’immigration, qui a été confirmée par la Commission danoise de recours des réfugiés le 7 janvier 2014. La Commission a considéré que lors de la procédure d’asile l’auteur avait fait des déclarations vagues et contradictoires concernant : a) le déroulement des événements ayant précédé son départ du Bangladesh, puisqu’il avait dit avoir quitté le Bangladesh tantôt en juillet 2008, tantôt en décembre 2007 ou au début de 2008 ; b) son affiliation au Jamaat-e-Islami, puisqu’il avait d’abord dit qu’il avait adhéré à ce parti en 2002 pour déclarer ensuite avoir commencé par en être un sympathisant en 2004 et en être devenu membre en 2006 ; c) sa fréquentation de l’école coranique, puisqu’il avait indiqué y avoir été scolarisé d’abord de 1998 à 2000, puis de 2000 à 2004 et en une autre occasion de 2004 à 2006 ; d) son emploi au Bangladesh, car il avait déclaré en une occasion avoir travaillé comme coiffeur et dans une fabrique de meubles de 2003 jusqu’au milieu de 2006 et n’avoir jamais travaillé auparavant, mais en une autre occasion qu’il avait travaillé à la fois dans un magasin de meubles et comme coiffeur de 2000 à 2006 ; e) les conflits avec le Jamaat-e-Islami, car si, en une occasion, il avait dit avoir été menacé par des membres de ce parti en janvier 2007 parce qu’il avait refusé de participer à certaines activités, il avait déclaré ultérieurement qu’il avait été menacé puis agressé par des responsables du parti en octobre 2007 ; f) les accusations portées contre lui au Bangladesh, car il avait initialement indiqué qu’il avait été accusé uniquement dans le cadre d’un incident au cours duquel deux personnes avaient trouvé la mort à la suite d’une manifestation pendant laquelle des voitures avaient été incendiées, pour ensuite déclarer qu’il avait été accusé dans le cadre d’une affaire relative à une manifestation qui s’était déroulée en octobre 2007 et au cours de laquelle deux membres du Jamaat-e-Islami et deux policiers étaient morts dans des affrontements violents, puis déclarer ultérieurement qu’il avait été accusé en lien avec trois incidents différents, à savoir celui mentionné plus haut, un autre, survenu en 2007 à Dhaka, dans le cadre duquel une personne avait été tuée dans une explosion et un troisième, survenu environ un an avant son départ du Bangladesh et concernant le meurtre d’un professeur d’université ; g) la manière dont il a obtenu les documents judiciaires soumis aux autorités danoises, car s’il avait d’abord dit que le tribunal avait envoyé ces documents à la police et que celle-ci les avait ensuite envoyés à l’adresse de son cousin, il avait ensuite déclaré qu’il les avait reçus de son avocat, qui s’en était procuré des copies auprès des autorités et les avait transmises à son cousin, lequel les lui avait fait parvenir ; h) la manière dont les journaux avaient eu connaissance des accusations portées contre lui − ou contre la personne dont le nom est très similaire au sien mais s’orthographie un peu différemment − car, quand on lui a demandé comment les journaux avaient été mis au courant, il a indiqué que les journalistes avaient le droit de recevoir ce type d’information s’ils en faisaient la demande à la police, mais lorsqu’on l’a informé que la publication d’informations sur une enquête en cours risquait d’entraver celle-ci, il a indiqué que l’enquête relative à cette affaire avait été ouverte il y a longtemps et que tout le monde savait qui étaient les suspects.

2.10Dans sa décision, la Commission a aussi indiqué que le Ministère des affaires étrangères avait demandé une vérification des documents judiciaires produits par l’auteur et établi une note à ce sujet. Selon cette note, datée du 30 août 2013, la vérification des documents en question a abouti à la conclusion qu’ils n’étaient pas authentiques et n’apportaient pas la preuve des accusations portées contre l’auteur au Bangladesh. Cette note indique qu’aux fins de la vérification, une visite a été effectuée au tribunal pour comparer les documents produits avec les originaux et qu’il est apparu qu’ils se rapportaient à deux affaires différentes. Le nom de l’auteur n’apparaissait dans aucun des documents relatifs aux deux affaires mentionnées dans sa demande d’asile. Son nom n’apparaissait pas non plus dans la liste des personnes accusées ni dans celle des personnes arrêtées sans avoir été accusées. Interrogé sur ces constatations, l’auteur a répondu qu’il ne savait pas comment le Ministère procédait aux vérifications et a réaffirmé qu’une instance pénale était engagée à son encontre devant le tribunal de Dhaka.

2.11La Commission a conclu que l’auteur n’avait pas été en mesure d’étayer les motifs de sa demande d’asile. Elle a aussi estimé que l’auteur n’avait pas présenté suffisamment de preuves pour établir qu’il était davantage qu’un sympathisant du Jamaat‑e‑Islami, et donc qu’il n’était pas une personnalité en vue aux yeux des autorités ou d’un quelconque parti politique. En conséquence, l’agression isolée dont il aurait été victime en octobre 2007 aux mains de responsables du parti ne pouvait justifier l’octroi de l’asile.

2.12Le 10 décembre 2015, l’auteur a soumis à la Commission un certificat émis par le Bureau des droits de l’homme au Bangladesh indiquant qu’il avait été torturé au Bangladesh, que sa vie y était menacée et que de fausses accusations concernant un meurtre y avaient été portées contre lui. Il a aussi produit deux articles en bengali non datés qui indiquaient que le Jamaat-e-Islami allait bientôt être déclaré illégal au Bangladesh en raison des infractions commises par ses membres dans le cadre du mouvement de libération de 1971, et qu’un individu du même nom que l’auteur avait été accusé de trahison et était en fuite. Selon le second article, la personne concernée était un leader étudiant bien connu de l’organisation estudiantine du Jamaat-e-Islami qui avait été accusé de trahison. L’article indique aussi que d’autres affaires le concernant sont pendantes et que, par conséquent, les autorités s’intéressent à lui. La Commission a considéré la soumission de ces documents comme une demande de réouverture de la procédure d’asile et, le 12 février 2016, elle a refusé de rouvrir cette procédure. Elle a noté que, compte tenu de leur apparence, de leur contenu et de leur soumission tardive, les documents en question semblaient avoir été fabriqués pour les besoins de la cause. Elle a ajouté que l’auteur n’avait pas expliqué pourquoi ces documents n’avaient pas été présentés à un stade antérieur de la procédure d’asile. La Commission renvoie à une note publiée par le Centre norvégien d’information sur les pays d’origine (Landinfo), selon laquelle il est facile d’obtenir de faux documents au Bangladesh. Par conséquent, la Commission a repris les motifs de sa décision du 7 janvier 2014 et rejeté la demande de réouverture de la procédure présentée par l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que s’il était expulsé vers le Bangladesh, il risquerait d’être emprisonné et torturé en raison des accusations mensongères dont il fait l’objet pour des infractions commises par le Jamaat-e-Islami et parce qu’il serait considéré comme un membre de cette organisation, avec les membres de laquelle les autorités sont très dures. Il soutient qu’il serait arrêté et torturé et pourrait même être condamné à mort, en violation des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

3.2L’auteur affirme aussi qu’il est considéré comme un traître par le Jamaat-e-Islami et qu’il risquerait d’être tué pour avoir refusé de coopérer avec ce parti, dont les membres sont censés coopérer toute leur vie. Il souligne qu’il a appris de membres du Jamaat-e-Islami que le parti savait qu’il avait survécu à l’agression commise contre lui en octobre 2007 par des responsables du parti et que ceux-ci essayeraient de nouveau de le tuer. Il ajoute que les autorités bangladaises ne le protégeront pas parce que le Jamaat-e-Islami est un groupe antigouvernemental. Il considère par conséquent que son expulsion vers le Bangladesh constituerait une violation de l’article premier du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1Le 17 février 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il présente la législation nationale pertinente et fait valoir que la demande d’asile de l’auteur a été examinée dans le respect de celle-ci, en particulier de la loi sur les étrangers, qui reprend les principes énoncés à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme), conformément à ses obligations internationales relatives aux demandes d’asile. L’État partie décrit également la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés.

Recevabilité

4.2L’État partie fait observer que le grief que l’auteur tire de l’article premier du Pacte est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif. Il souligne que le droit de tous les peuples de disposer d’eux-mêmes, y compris le droit de déterminer librement leur statut politique et le droit d’assurer librement leur développement économique, social et culturel et de disposer de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, est un droit collectif. À cet égard, il renvoie à la jurisprudence du Comité, selon laquelle un particulier ne peut prétendre être victime d’une violation du droit à l’autodétermination consacré à l’article premier du Pacte, puisque cet article vise des droits conférés aux peuples.

4.3En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 9 du Pacte, l’État partie affirme qu’il n’a connaissance d’aucune affaire dans laquelle le Comité aurait considéré que l’article 9 était d’application extraterritoriale. Il renvoie à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Othman (Abu Qatada ) c. Royaume-Uni, dans laquelle la Cour a décidé de faire une application extraterritoriale de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui est similaire à l’article 9 du Pacte. Dans sa décision, la Cour a jugé ce qui suit :

[L]e refoulement d’un individu par un État contractant vers un État où il serait exposé à un risque réel de violation flagrante de l’article 5 emporterait violation de cet article. Toutefois, comme avec l’article 6, un seuil élevé doit s’appliquer. Il n’y aurait violation flagrante de l’article 5 que si, par exemple, l’État d’accueil détenait arbitrairement un requérant pendant plusieurs années sans avoir l’intention de le traduire en justice, ou si un requérant risquait d’être détenu pendant une longue période dans l’État d’accueil après avoir été condamné à l’issue d’un procès manifestement inéquitable.

4.4L’État partie considère en outre que l’auteur n’a pas démontré que son expulsion vers le Bangladesh constituerait une violation flagrante de l’article 9 du Pacte. Il estime par conséquent que ce grief est manifestement infondé et devrait être déclaré irrecevable au regard de l’article 96 du Règlement intérieur du Comité.

Fond

4.5L’État partie souligne qu’il ne juge pas opportun de formuler d’autres observations au sujet du grief que l’auteur tire de l’article premier du Pacte.

4.6En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 9, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas démontré de façon probante que son renvoi au Bangladesh constituerait une violation de cette disposition. Il note aussi que l’auteur n’a pas donné d’informations qui soient nouvelles par rapport à celles fournies aux autorités nationales pendant la procédure d’asile.

4.7L’État partie réaffirme en outre que l’auteur a manqué de crédibilité pendant la procédure d’asile. Il ajoute que la Commission de recours des réfugiés apprécie la crédibilité d’un demandeur d’asile à partir d’une évaluation globale et que, si elles semblent cohérentes et concordantes, ses déclarations sont normalement considérées comme des faits établis. Par contre, lorsque les déclarations d’un demandeur d’asile comportent des incohérences, comme dans le cas de l’auteur, la Commission tente de clarifier les raisons de ces incohérences. L’État partie rappelle en outre que, le 7 janvier 2014, la Commission a jugé que l’auteur n’avait pas été capable d’étayer ses motifs d’asile, puisqu’il avait donné des réponses évasives sur plusieurs points. Il avait également fait des déclarations incohérentes concernant le déroulement des événements qui avaient précédé son départ, y compris la période pendant laquelle il avait été membre du Jamaat-e-Islami, les activités qu’il avait menées pour ce parti, la période pendant laquelle il avait fréquenté l’école coranique, la période pendant laquelle il avait travaillé, les dates et les motifs de ses conflits avec le Jamaat‑e‑Islami, la manière dont les documents judiciaires avaient été remis à son cousin, le nom de son avocat, les articles de presse concernant les accusations portées contre lui et la date de son départ.

4.8L’État partie se réfère à chacune des incohérences susmentionnées, réaffirmant les conclusions de la Commission. Il souligne qu’en ce qui concerne les accusations qui auraient été portées contre l’auteur au sujet du meurtre d’un professeur, l’auteur a commencé par déclarer que le meurtre avait été commis le 21 août, environ un an avant qu’il ne quitte le Bangladesh, ce qui, de l’avis de l’État partie, correspond à la période allant de décembre 2006 à juillet 2007. Après avoir été informé que les documents judiciaires qu’il avait soumis indiquaient que le meurtre du professeur avait été commis en 2004, il a changé sa version des faits et affirmé qu’il avait été accusé du meurtre d’un professeur commis en 2004. L’État partie souligne aussi qu’il ressort de la vérification, effectuée par le Ministère des affaires étrangères, des documents judiciaires produits par l’auteur pendant la procédure d’asile, que l’auteur n’était pas partie aux instances pénales concernant les infractions dont il a affirmé être accusé. L’État partie conclut que, comme l’a décidé la Commission de recours des réfugiés, il n’est pas possible d’accorder une quelconque force probante à ces documents.

4.9L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas démontré qu’il était probable qu’il serait considéré comme suspect sur la base des accusations mensongères portées contre lui ou qu’il serait considéré comme une personne intéressant les autorités bangladaises, étant donné qu’il n’est pas un membre en vue du Jamaat-e-Islami mais seulement un sympathisant. La Commission n’a trouvé aucune raison précise de supposer qu’à son retour l’auteur risquerait de subir des violences de la part du Jamaat‑e‑Islami. En outre, les activités menées par l’auteur pour le Jamaat‑e‑Islami remontent à de nombreuses années. Cela est confirmé par des informations générales, notamment par un rapport de 2015 du Home Office (Ministère de l’intérieur) du Royaume-Uni, aux termes duquel :

[a]u Bangladesh, appartenir à un groupe d’opposition au gouvernement en place ou soutenir un tel groupe ne justifie pas en soi que l’on craigne des persécutions. Les décideurs doivent évaluer les demandes fondées sur la participation réelle ou supposée à l’opposition politique au gouvernement en place à partir des faits de la cause, en tenant compte de la nature des activités ou du profil politiques dont le demandeur se prévaut, de la mesure dans laquelle et des raisons pour lesquelles il a pu s’attirer l’hostilité des autorités et du niveau et de la nature de son engagement politique réel ou supposé, ainsi que de leur expérience antérieure au Bangladesh.

4.10L’État partie réaffirme que l’auteur n’a pas démontré qu’il courrait un risque réel d’être victime d’une violation de l’article 9 du Pacte s’il était expulsé vers le Bangladesh.

4.11Enfin, l’État partie rappelle qu’il convient d’accorder un poids important aux conclusions des autorités nationales et qu’il revient généralement aux organes de l’État d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans chaque affaire, à moins qu’il ne soit établi que cette évaluation a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. L’auteur n’a pas fait valoir qu’il y avait eu des irrégularités dans la prise de décisions. L’État partie note aussi que, dans la communication qu’il a présentée au Comité, l’auteur n’a pas fourni de détails nouveaux et précis sur sa situation, ce qui montre qu’il est simplement en désaccord avec les décisions rendues au niveau national et tente d’utiliser le Comité comme un organe d’appel.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 11 avril 2016, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas étayé ses allégations, l’auteur fait observer qu’il est « profondément traumatisé » en raison de l’agression qu’il a subie au Bangladesh aux mains de membres du Jamaat-e-Islami et du fait qu’il est en fuite et qu’il a vécu dans la rue et dans des camps de réfugiés pendant environ quatre ans. Il affirme que ces traumatismes ont une incidence sur sa mémoire. À ce sujet, il précise qu’il lui est difficile d’établir la chronologie des événements et qu’il a du mal à donner les dates précises d’événements qui se sont produits de nombreuses années auparavant, notamment quand il était enfant ou adolescent. De plus, sa capacité de se concentrer a diminué en raison des traumatismes dont il a souffert. Il ajoute que dans le cadre de la procédure d’asile les entretiens ont été très longs et que les mêmes questions lui étaient posées à plusieurs reprises de différentes manières. Il arrivait un moment où il n’était plus capable de se concentrer et où il répondait aux questions « dans une sorte de brouillard ».

5.2L’auteur ajoute qu’en raison de la méthode utilisée par les autorités danoises pendant les entretiens, il lui était difficile de répondre précisément. Une fois que les questions étaient traduites par l’interprète, il commençait à répondre mais l’agent qui conduisait l’entretien l’interrompait pour lui demander d’abréger ses réponses. Par conséquent, à chaque fois qu’il donnait des détails, l’interprète était interrompu par l’agent et la traduction ne pouvait donc pas être prise en considération.

5.3Ces difficultés sont aggravées par les différences entre les calendriers musulman et européen. L’auteur indique que, lorsqu’il était enfant ou adolescent, il était habitué au calendrier musulman et que lorsqu’il a été interrogé sur les faits qui s’étaient produits à cette époque, il lui a été difficile de donner des dates précises au regard du calendrier européen car, par exemple, un mois du calendrier musulman peut être à cheval sur deux mois du calendrier européen. De plus, l’interprète lui-même n’était pas capable de traduire précisément certaines dates selon le calendrier européen.

5.4Pour ce qui est des incohérences relevées par l’État partie concernant sa scolarité, son travail et son affiliation au Jamaat-e-Islami, l’auteur indique qu’il ne peut pas être certain de la date précise à laquelle il a commencé à fréquenter l’école coranique. Il ajoute qu’il suivait les cours de cette école lorsqu’il y vivait, mais qu’il a continué à la fréquenter après être retourné vivre chez lui. Il y a également eu une période pendant laquelle il n’était pas élève de l’école mais y avait conservé des liens parce qu’il était sympathisant du Jamaat-e-Islami. S’agissant de son travail, il indique qu’il travaillait quand il pouvait pour rapporter de l’argent à sa famille. L’auteur affirme que, comme il n’avait pas d’emploi fixe et que ces activités − à savoir l’école, le travail et son affiliation au Jamaat-e-Islami − se chevauchaient, il lui est très difficile de donner des dates précises aux autorités danoises.

5.5En outre, l’auteur renvoie à un rapport de 2014 du Département d’État des États-Unis d’Amérique, selon lequel il y a, au Bangladesh, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des cas de torture et de mauvais traitements par les forces de sécurité, ainsi que des arrestations arbitraires et des détentions provisoires prolongées. Il renvoie également au rapport annuel 2014/15 d’Amnesty International, qui indique que la police torture régulièrement les personnes placées en détention. L’auteur souligne que, selon ce rapport, les actes de torture et autres mauvais traitements sont répandus et commis dans l’impunité. L’auteur renvoie en outre à un rapport établi en 2015 par Human Rights Watch, selon lequel des milliers de membres de l’opposition et de manifestants ont été arrêtés et qu’un certain nombre d’entre eux sont toujours détenus. Ce rapport indique qu’au Bangladesh les membres des forces de sécurité qui commettent des violences continuent de jouir d’une impunité quasi totale, même si ces violences sont constatées par des acteurs indépendants. L’auteur conclut que, compte tenu des informations générales ci‑dessus, il a démontré qu’il risquait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements s’il était renvoyé au Bangladesh.

5.6En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les documents judiciaires qu’il a soumis lors de la procédure d’asile n’ont aucune force probante, l’auteur indique qu’il ne peut pas se prononcer sur la note du 30 août 2013 établie par le Ministère des affaires étrangères car il n’y a jamais eu accès.

5.7Il ajoute que la décision du 12 février 2016 par laquelle la Commission a rejeté les documents qu’il avait soumis le 10 décembre 2015 est erronée parce qu’il n’est pas possible de rejeter de tels documents au motif qu’ils sont faux en se fondant sur « leur apparence ». En outre, le fait que la Commission ait rejeté ces documents parce que l’auteur avait auparavant soumis des documents qui n’avaient pas été jugés authentiques est inacceptable, car cela semble impliquer qu’une personne qui a soumis une fois des documents considérés comme n’étant pas authentiques ne peut jamais produire de documents authentiques. Pour ce qui est de la référence faite par l’État partie au rapport de Landinfo, selon lequel il est facile d’obtenir de faux documents au Bangladesh, l’auteur note que cette affirmation ne permet pas de conclure que les documents qu’il a présentés sont des faux. Il estime que la Commission a fondé sa décision sur l’apparence de ces documents et non sur des éléments de preuve ou des faits bien établis.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 2 décembre 2016, l’État partie a communiqué des informations complémentaires. Il réaffirme que l’auteur n’a fourni aucune information nouvelle concernant les motifs initiaux de sa demande d’asile. Pour ce qui est des difficultés invoquées par l’auteur lorsqu’il affirme qu’il a du mal à se concentrer et à établir la chronologie des événements en raison de traumatismes, l’État partie fait observer que la Commission est consciente qu’on ne peut attendre des personnes qui ont été torturées ou victimes de violences qu’elles fasse une relation précise, cohérente et détaillée de tous les événements les ayant amenées à demander l’asile. Toutefois, en l’espèce, l’auteur a fait des déclarations inexactes et contradictoires et a répondu de manière évasive à des questions précises. De plus, l’auteur fait devant le Comité des déclarations incompatibles avec celles qu’il a faites dans le cadre de la procédure d’asile. L’État partie réaffirme par conséquent qu’il souscrit aux conclusions formulées par la Commission dans sa décision du 7 janvier 2014.

6.2L’État partie ajoute que dans le cadre de la procédure d’asile l’auteur a eu la possibilité d’expliquer les incohérences de sa relation des faits. De plus, lors de son audition par la Commission, l’auteur a eu à répondre à des questions détaillées sur les incohérences contenues dans ses déclarations. L’État partie conclut que l’allégation de l’auteur selon laquelle il ne pouvait pas faire de déclarations précises en raison des traumatismes qu’il avait subis ne justifie pas une évaluation différente de sa crédibilité.

6.3En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives aux modalités des entretiens et aux services d’interprétation pendant la procédure d’asile, l’État partie indique que l’auteur n’a jamais fait état de problèmes à ce sujet devant les autorités nationales ou dans sa lettre initiale au Comité. Il relève que l’auteur a signé les procès-verbaux datés du 8 novembre 2011 et du 25 juin 2012 après qu’on lui en eut donné lecture. Il est expressément indiqué dans le deuxième de ces procès-verbaux que l’auteur n’a eu aucune difficulté à comprendre l’interprète. Durant toute la procédure d’asile, l’auteur a été averti qu’il importait qu’il donne les informations les plus détaillées et exactes possibles et signale toute difficulté qu’il pourrait avoir à comprendre l’interprète. Par conséquent, l’État partie considère que l’auteur n’a pas établi qu’il y ait eu, pendant sa procédure d’asile, d’importants problèmes de compréhension dus aux services d’interprétation ou à des raisons similaires.

6.4L’État partie réaffirme que, selon les informations disponibles sur la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh, y compris les rapports cités par l’auteur, celui-ci n’a pas établi qu’à son retour il risquerait probablement de faire l’objet de violences de la part des autorités bangladaises ou du Jamaat-e-Islami, étant donné qu’il n’est pas une personnalité en vue de cette organisation et qu’il a seulement démontré qu’il en était un sympathisant.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité fait observer que l’auteur a présenté une demande d’asile au Danemark qui a été définitivement rejetée par la Commission de recours des réfugiés le 7 janvier 2014, et il note que l’État partie ne conteste pas que l’auteur a épuisé les recours internes. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le grief que l’auteur tire de l’article premier du Pacte devrait être déclaré irrecevable au motif qu’un particulier ne peut se prétendre victime d’une violation du droit à l’autodétermination, parce que cette disposition concerne des droits conférés aux peuples. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence selon laquelle il n’a pas compétence au regard du Protocole facultatif pour examiner des griefs portant sur une violation du droit à l’autodétermination protégé par l’article premier du Pacte. Il réaffirme que la procédure instituée par le Protocole facultatif permet aux particuliers de dénoncer une violation de leurs droits individuels, et rappelle que ces droits sont ceux qui sont énoncés dans la partie III (art. 6 à 27) du Pacte. Il s’ensuit que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif.

7.5Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle, s’il était renvoyé dans son pays, les droits qu’il tient de l’article 9 du Pacte seraient violés parce qu’il ferait l’objet d’une arrestation arbitraire et pourrait même être condamné à mort, étant donné qu’il a été accusé de plusieurs infractions commises par le Jamaat-e-Islami et qu’il est membre de cette organisation. Le Comité note aussi que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’a pas démontré qu’il pourrait y avoir une violation flagrante de l’article 9 dans l’État d’accueil et que, par conséquent, cette disposition ne peut pas trouver à s’appliquer dans un contexte extraterritorial. Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte exige des États parties qu’ils respectent et garantissent à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte. Ils sont de ce fait tenus, notamment, de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout autre pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite. À cet égard, le Comité relève que l’auteur n’a pas fourni suffisamment d’informations à l’appui du grief qu’il tire de l’article 9 du Pacte pour que le Comité puisse conclure que ses allégations concernant la privation de liberté dénoteraient un préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations selon lesquelles l’État partie violerait l’article 9 et il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité prend également note de l’allégation de l’auteur selon laquelle il serait soumis à la torture ou à des mauvais traitements s’il était renvoyé au Bangladesh, parce qu’il serait persécuté en tant que membre du Jamaat-e-Islami et que les autorités sont très dures avec les membres de cette organisation. Le Comité considère que les faits tels que présentés par l’auteur soulèvent des questions au regard de l’article 7 du Pacte et conclut par conséquent que l’auteur a adéquatement expliqué, aux fins de la recevabilité, les raisons pour lesquelles il craint que son renvoi forcé au Bangladesh l’expose à un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Le Comité déclare donc cette partie de la communication recevable et va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004), sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il mentionne l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité indique aussi que le risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Tous les faits et circonstances pertinents doivent donc être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

8.3Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, l’appréciation des autorités de l’État partie doit se voir accorder un poids important et que, de manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner les faits et les éléments de preuve en vue d’établir l’existence du risque susmentionné, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement erronée, ou représente un déni de justice.

8.4Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel l’État partie n’a pas pris en considération le fait que, s’il était expulsé, il risquerait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements parce qu’il est membre du Jamaat-e-Islami et qu’il a mené plusieurs activités pour le compte de ce parti, notamment la planification, la préparation et la conduite de manifestations, qu’il a travaillé afin de gagner de l’argent pour le parti, qu’il a collecté des dons et qu’il devait se battre pendant les manifestations en cas de tensions. Le Comité prend également note du grief de l’auteur selon lequel il a été faussement accusé de crimes commis par le Jamaat-e-Islami et, s’il était renvoyé dans son pays, il serait arrêté et torturé, étant donné que les autorités nationales sont très dures avec les membres du Jamaat-e-Islami et qu’il est très fréquent que les détenus soient torturés au Bangladesh. Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel la Commission de recours des réfugiés a procédé à un examen complet et approfondi des éléments de preuve soumis par l’auteur et estimé qu’il n’était pas crédible car il avait fait des déclarations contradictoires concernant l’époque où il était membre du Jamaat‑e‑Islami, les activités qu’il menait pour le parti, les dates des périodes pendant lesquelles il fréquentait l’école coranique, les périodes pendant lesquelles il a été employé, ses conflits avec le Jamaat-e-Islami et le moment où ces conflits ont eu lieu, les accusations portées contre lui, la remise à son cousin des documents judiciaires relatifs à ces accusations, le nom de son avocat, les articles de presse ayant trait auxdites accusations et la date de son départ du pays.

8.5Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel, l’auteur n’ayant pas établi qu’il était davantage qu’un sympathisant du Jamaat-e-Islami, il n’est pas une personnalité en vue aux yeux des autorités ou de partis politiques. Le Comité prend aussi note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle, eu égard à la note du Ministère danois des affaires étrangères en date du 30 août 2013, les documents judiciaires soumis par l’auteur lors de la procédure d’asile indiquant que celui-ci est accusé d’avoir commis deux crimes dont le meurtre d’un professeur ne peuvent être considérés comme authentiques. Le Comité note également que l’auteur affirme n’avoir jamais vu cette note et ne pas savoir de quelle manière le Ministère a procédé à la vérification des documents judiciaires. Le Comité note toutefois que les informations figurant au dossier ne permettent pas de conclure que l’auteur ait jamais demandé à voir cette note ni demandé des explications sur la manière dont elle avait été établie. Il prend de plus note de l’argument de l’État partie selon lequel le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions des autorités nationales, en particulier à celles de la Commission de recours des réfugiés qui est, en l’espèce, la mieux placée pour apprécier les faits.

8.6Le Comité prend également note de l’allégation de l’auteur selon laquelle, pendant la procédure d’asile, il lui était difficile de se concentrer et d’établir la chronologie des faits en raison de ses traumatismes, et il prend note de ses objections concernant la manière dont les entretiens ont été menés et les problèmes qu’il a rencontrés s’agissant des services d’interprétation. Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a accepté et signé les procès-verbaux des entretiens conduits pendant la procédure d’asile après qu’ils lui eurent été lus et il était même expressément indiqué, dans l’un de ces procès-verbaux, que l’auteur n’avait rencontré aucun problème concernant les services d’interprétation. Le Comité relève en outre que l’auteur n’a fourni aucune preuve à l’appui de son allégation selon laquelle les contradictions relevées lors de la procédure d’asile étaient dues à un traumatisme. Il relève également que l’auteur n’a pas répondu à l’argument de l’État partie selon lequel il n’a jamais fait état de problèmes concernant les modalités des entretiens ou les services d’interprétation et il a signé les procès-verbaux d’entretien. Le Comité relève de surcroît que l’auteur n’a pas signalé d’irrégularités dans la procédure de prise de décisions du Service danois de l’immigration ou de la Commission de recours des réfugiés et considère par conséquent que, si l’auteur est en désaccord avec les conclusions factuelles de la Commission de recours des réfugiés, il n’a pas montré qu’elles étaient arbitraires ou manifestement erronées, ni qu’elles équivalaient à un déni de justice.

8.7Au vu de ce qui précède, le Comité ne saurait conclure que les informations dont il dispose montrent que l’auteur courrait un risque personnel et réel de subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte s’il était renvoyé au Bangladesh.

8.8Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteur vers le Bangladesh, si elle était exécutée, ne violerait pas les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte.