Nations Unies

CCPR/C/126/D/2989/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

23 août 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2989/2017 * , **

Communication présentée par :

I. A. (représenté par un conseil, Stanislovas Tomas)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Lituanie

Date de la communication :

7 juin 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité (art. 92 du nouveau règlement), communiquée à l’État partie le 12 juin 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

26 juillet 2019

Objet :

Extradition vers le Bélarus

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ;fondementdesgriefs ;abusdudroitdeprésenterunecommunication

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; conditions de détention ; recours utile ; procès équitable ; droits familiaux ; vote et élections

Article(s )du Pacte :

2 (par. 3 a)), 7, 10 (par. 1), 14 (par. 1), 17 et 25 b)

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est I.A., de nationalité bélarussienne, né en 1982. Il affirme qu’en l’extradant vers le Bélarus, la Lituanie violerait les droits qu’il tient des articles 2 (par. 3 a)), 7, 10 (par. 1), 14 (par. 1), 17 et 25b) du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Lituanie le 20février 1992.

1.2Le 12 juin 2017, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur (art. 94 du nouveau règlement), le Comité, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’accueillir la demande de mesures provisoires formulée par l’auteur et a prié l’État partie de ne pas expulser celui-ci vers le Bélarus tant que la communication serait à l’examen devant le Comité.

1.3Le 12 juillet 2017, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément de celle du fond et l’a prié de retirer la demande de mesures provisoires. Le 3 août 2017, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé de suspendre l’examen de la communication en raison du non-épuisement des recours internes et de lever la demande de mesures provisoires.

1.4Le 29 décembre 2017 à la lumière des éléments nouveaux de l’affaire, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de reprendre l’examen de la communication et de rétablir la demande de mesures provisoires.

Exposé des faits

2.1L’auteurdirigeaitunesociétéprivéeauBélarus.Le8juin2009,ilaétéinculpéautitredesparagraphes3et4del’article210duCodepénalbélarussien(appropriationdebiensàgrandeettrèsgrandeéchelleparabusdefonctions).Le10juin2009,unenquêteurduDépartementdesaffairesintérieuresdudistrictMoskovskyàMinskaordonnésonplacementendétentionprovisoireauCentrededétentionavantjugementno1deMinsk,décisionquiaétéapprouvéeparleBureauduProcureurdudistrictMoskovsky.L’auteuraquittéleBélarusàunedatenonprécisée.Le23juin2009,unmandatd’arrêtfédéralaétélancépourleretrouver.Unmandatd’arrêtinterétatiqueetunmandatinternationalontétérespectivementdélivréscontreluien2009 également,puisenavril2014.Le16octobre2013,lesaccusationsretenuescontreluiontétémodifiéesdesortequ’ellesreposentsurlesparagraphes3et4del’article209duCodepénalbélarussien(appropriationfrauduleusedebiensàgrandeettrèsgrandeéchelleparabusdefonctions).

2.2En2012,l’auteurestarrivéenLituanieoùilaobtenu,endécembre2013,unpermisdeséjourtemporaire.Le11novembre2014,ilétéarrêtéparlapolicedeVilniuspuislibérésouscautionle12novembre2014, souslaconditionqu’ilseprésenterégulièrementauxservicesdepolice.Le17novembre2014,leBureauduProcureurgénéraldeLituanieareçuunedemanded’extraditionémanantduBureauduProcureurgénéralduBélarus.Cettedemandeétaitfondéesurl’accordde1992entrelaLituanieet le Bélarusrelatif à l’entraide judiciaire et aux relations judiciaires en matières civile, familiale et pénale.

2.3Le23décembre2014,l’auteuradéposéunedemanded’asileetdeprotectionsubsidiaireauprèsduDépartementdesmigrationsduMinistèrelituaniendel’intérieur.Ilfaisaitprincipalementvaloirdanssademandequ’ilavaitfaitl’objetdepersécutionsdelapartdesautoritésbélarussiennesentre2007et2009,puisdenouveauen2014,enraisondesesactivitésd’hommed’affaires.Ilprétendaitquelesaccusationsquipesaientcontreluiétaientfabriquéesdetoutespiècesetquelespersécutionsàl’encontredugroupesocialdesentrepreneurs,auquelilappartenait,étaientmonnaiecouranteauBélarus.LeDépartementdesmigrationsarejetésademandele27octobre2016,estimantqu’iln’yavaitaucuneraisondepenserquelespoursuitespénalesquilevisaientétaientfondéessurdesmotifspolitiquesouque,demanièregénérale,leshommesd’affairesétaientexposésàdespersécutionsauBélarus.

2.4L’auteuraintroduitunrecourscontrecettedécisiondevantletribunaladministratifrégionaldeVilniusle15novembre2016.IlaffirmaitqueleDépartementdesmigrationsn’avaitpasexaminélesélémentsinvoquésàl’appuidesarequête,notammentlaquestiondesavoirs’ilbénéficieraitd’unprocèséquitableencasderenvoidanssonpaysd’origineetsilesconditionsdedétentionauBélarusétaienthumaines.Le3février2017,letribunaladministratifrégionaldeVilniusarejetésonrecours,relevantentreautresqu’ilavaitindiquélorsdesonentretieninitialdu31décembre2009avoirquittéleBélaruspourfairedesaffairesenLituanieetquelesdonnéesenregistréesauxfrontièresmontraientqu’ilyétaitretournéàdiversesreprisesaprès2009.Letribunalaestiméquel’auteurn’avaitpasétabliqu’ilcouraitpersonnellementlerisqued’êtresoumisàlatortureouauxtraitementsinhumainsoudégradantsauxquelsilprétendaitêtreexposéenraisondequalitéd’hommed’affaires.Letribunalaégalementfaitobserverquel’enquêtecriminellevisantl’auteurneparaissaitnidisproportionnéenidiscriminatoireetqueledroitlituanienprévoyaitpourl’infractionencauseunesanctionsimilaire.

2.5Le16février2017,l’auteurasaisilaCouradministrativesuprême.Ilaexpliquéqu’ilvoulaitfairedesaffairesenLituaniecarilconsidéraitcepayscommesûretqu’ilavaitquittéleBélarusenraisondesmenacesquipesaientsurlui,pouréviterdesubirdesmesuresderépression.Ilnes’étaitrenduàdiversesreprisesauBélarusqu’envued’obtenirlerenouvellementdesonvisapourlaLituanie.Iln’étaitplusretournédanssonpaysd’originedepuis2013,dateàlaquelleilavaitobtenuunpermisdeséjourenLituanie.Le17mai2017,laCouradministrativesuprêmearejetélepourvoidel’auteurparunarrêtdéfinitif.L’auteuraffirmequ’ayantétédéboutédesademanded’asileetdeprotectionsubsidiaire,ilvaêtreextradéversleBélarus.

2.6Àunedatenonprécisée,l’auteuraprésentéunerequêtedevantlaCoureuropéennedesdroitsdel’homme(CEDH).Àunedateégalementnonprécisée,laCourarejetélademandeenindicationdemesuresprovisoiresdel’auteuretcelui-ciaretirésarequête.

2.7L’auteurrenvoieàplusieursrapportsémanantd’organisations non gouvernementales (ONG) bélarussiennesfaisantétatdeconditionsdedétentioninhumainesauCentrededétentionavantjugementno1deMinsk,oùilseraitplacéencasd’extraditionversleBélarus.Seloncesdocuments,lasurfacemoyennedescellulesdecetétablissementestde15m2pour15à18détenus.Pourlesrepas,cinqcuillèressontmisesàladispositionde15personnespendant trente minutes.Enhiver, lesmurssontcouvertsdeglaceetenétéilssuintentetsontcouvertsdemoisissures.Lesdétenussontautorisésàsortiràl’airlibrependant trente minutesunefoistouslesdeuxjours.Lessoinsmédicauxfournissontinsuffisants.L’auteursouffredepolyarthriterhumatoïdeetilasubiuneopérationenLituaniedanslecadred’untraitementcontrelabactérieStreptococcus pneumoniae.L’auteuraffirmequeleCentrededétentionavantjugementno1nedisposepasdesinfrastructuresnécessairespourpermettreauxdétenusd’avoirdescontactsphysiquesavecleurfamille,etqu’ilnepourradoncpasavoirderelationsintimesavecsonépouse.Ilfaitvaloirqu’auBélarus,selonl’ONG Viasna, 1 accusésur540seulementestacquitté.Ils’appuiesurcetargumentpouraffirmerqu’ilnepourraitbénéficierd’unprocèséquitables’ilétaitextradéversleBélarus.Ilfaitégalementvaloirquedanscepayslesdétenusnesontpasautorisésàvoter.

Teneur de la plainte

3.1L’auteuraffirmequeladécisiondelaCouradministrativesuprêmelituanienneluirefusantlaprotectionsubsidiaire,quipermetdel’extraderversleBélarusoùilseraincarcéréauCentrededétentionavantjugementno1,violelesdroitsqu’iltientdel’article7etduparagraphe1del’article10duPacte,comptetenudesconditionsdedétentiondanscetétablissement.

3.2L’auteuraffirme,enoutre,quesonextraditionconstitueraituneviolationduparagraphe1del’article14duPactecardesfonctionnairesbélarussiensontdéjàessayédeluisoutirerdespots-de-vin.Desurcroît,ilfaitvaloirquelaCouradministrativesuprêmelituaniennen’apasordonnéquedesdiplomateslituanienssoientprésentslorsdesonprocèsetqueleBélarusn’appliquepaslesconstatationsduComité.

3.3L’auteuraffirme,deplus,qu’euégardàl’impossibilitéd’avoirdesrelationsintimesavecsonépouse car cette possibilité est absente au Centrededétentionno1commen’importequelautrecentrededétentionauBélarus,l’Étatpartievioleraitenprocédantàsonextraditionlesdroitsàlavieprivéeetàlaviedefamillequ’iltientdel’article17duPacte.

3.4Enfin,l’auteuraffirmequel’Étatpartievioleraitledroitdevotequiluiestgarantiparl’article25b)duPacte,carl’ordrejuridiquebélarussiennereconnaîtpasauxdétenusledroitdevoter.

3.5L’auteurprieleComitédeconstateruneviolationdesdroitsqueluigarantissentlesarticlessusmentionnésduPacteetdedemanderàl’Étatpartiedesuspendrelaprocédured’extraditiondontilfaitl’objettantquelacommunicationseraàl’examen,derouvrirsondossieretdeluiaccorderuneindemnisationcouvrantlesfraisafférentsàlaprocédure,ainsiquedesdommages-intérêts.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1L’État partie a présenté ses observations dans une note verbale du 11 juillet 2016 dans laquelle il affirme que la communication est irrecevable car elle n’est pas suffisamment étayée au regard des exigences de l’article 3 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et il prie le Comité de retirer sa demande de mesures provisoires. Il affirme, en outre, que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes utiles qui lui sont ouverts et qu’il induit le Comité en erreur au sujet des recours internes disponibles.

4.2Le 17 novembre 2014, l’État partie a reçu du Bureau du Procureur général du Bélarus une demande d’extradition visant l’auteur. Le 19 octobre 2015, le Bureau du Procureur général de Lituanie a transmis au tribunal régional de Vilnius la demande d’extradition de l’auteur vers le Bélarus. La procédure d’extradition a toutefois été suspendue eu égard à la procédure pendante de demande d’asile de l’auteur. Une fois celle‑ci close, le tribunal régional de Vilnius a repris, le 30 mai 2017, le cours de la procédure d’extradition et il a adressé à l’auteur une citation à comparaître et informé son avocat de l’audience qui se tiendrait le 14 juin 2017. Tenant compte de la demande de mesures provisoires du Comité en date du 12 juin 2017, que l’auteur a présentée au tribunal le 14 juin 2017, ce dernier a reporté l’audience prévue au 30 août 2017.

4.3L’État partie explique que la procédure administrative relative à la demande d’asile de l’auteur et la procédure menée devant les juridictions ordinaires en ce qui concerne son extradition constituent des voies de droit distinctes et que le seul lien existant entre elles est le fait que la procédure d’asile pendante ait un effet suspensif sur la procédure d’extradition. Les décisions prononcées par le tribunal régional de Vilnius en matière d’extradition sont susceptibles de recours. Le Code pénal lituanien (art. 9, par. 3) énonce des critères précis au regard desquels les demandes d’extradition sont examinées par les tribunaux. Ces critères sont différents de ceux pris en considération dans le cadre des demandes d’asile. La question de l’extradition de l’auteur vers le Bélarus n’a pas été évoquée au cours de la procédure d’asile.

4.4L’État partie fait valoir que la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la CEDH sont directement applicables par les tribunaux lituaniens. Les juridictions internes appliquent les normes découlant de l’article 3 de la Convention dans les affaires de traitements dégradants de détenus dans les prisons lituaniennes. L’article 3 couvre des situations telles que celle de l’auteur, et les juridictions nationales sont donc tenues d’évaluer si une personne serait soumise en cas d’extradition à un traitement interdit par l’article 3 de la Convention.

4.5Compte tenu de ce qui précède, l’État partie fait valoir que la communication de l’auteur induit le Comité en erreur puisque la procédure devant le tribunal de première instance prévue dans le cadre de l’examen de la demande d’extradition dont l’intéressé fait l’objet n’y est pas mentionnée. En matière d’extradition, les procédures nationales ont un effet suspensif. Le caractère prématuré de la demande de mesures provisoires montre que la communication de l’auteur vise donc très probablement à prolonger la procédure interne d’extradition.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 25 juillet 2017, l’auteur a présenté ses commentaires au sujet des observations formulées par l’État partie, en insistant sur le fait que les mesures provisoires devaient être maintenues. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, il soutient que dans le contexte de l’extradition il n’existe aucune obligation formelle d’épuisement de tous les recours internes, l’imminence de l’expulsion exigeant cependant que l’on utilise des voies de recours internes permettant d’obtenir la suspension du renvoi. Il réaffirme toutefois avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

5.2L’auteur fait valoir que les juridictions ordinaires chargées d’examiner la demande d’extradition dont il fait l’objet ne pourront infirmer l’arrêt définitif de la Cour administrative suprême dans lequel celle-ci estime que l’auteur n’est pas fondé à obtenir la protection subsidiaire sur le fondement des conditions de détention au Centre de détention avant jugement no1 et du non-respect du droit à un procès équitable au Bélarus. L’État partie n’a pas fait état d’une seule affaire dans laquelle des juridictions ordinaires auraient rejeté une demande d’extradition visant un demandeur d’asile débouté.

5.3L’utilité des procédures devant les juridictions ordinaires se borne à leur effet suspensif sur le renvoi.

5.4L’auteur affirme que l’un des principes essentiels des mesures provisoires est que la demande à cet effet doit être présentée en temps utile et aussi tôt que possible. Il n’y avait donc aucune raison d’attendre la décision définitive sur l’extradition, d’autant plus que l’auteur avait déjà soulevé la question du caractère dégradant des conditions de détention et du non-respect du procès équitable au Bélarus devant les juridictions administratives. Si une décision de justice définitive sur l’extradition avait déjà été prononcée, l’auteur aurait été extradé et il n’aurait pas eu la possibilité de présenter une demande de mesures provisoires. Le Comité n’aurait pas disposé de suffisamment de temps pour la traiter.

Observations complémentaires des parties

Auteur

6.Le 21 août 2017, l’auteur a réitéré sa demande de mesures provisoires. Il affirme que, depuis qu’il a été débouté de sa demande d’asile, il ne possède plus aucun document l’autorisant à séjourner en Lituanie.

État partie

7.Le 1er septembre 2017, l’État partie a réagi aux informations supplémentaires fournies par l’auteur en réaffirmant que les procédures d’asile et d’extradition sont distinctes et indépendantes l’une de l’autre. Il indique que l’auteur ne sera pas extradé tant que sa communication sera à l’examen devant le Comité. Il ajoute que le statut juridique de l’auteur pourrait être réexaminé compte tenu du raisonnement et de l’appréciation des faits auxquels auront procédé les tribunaux dans le cadre de la procédure d’extradition.

Auteur

8.1Le 28 décembre 2017, l’auteur a fourni de nouvelles informations se rapportant à l’épuisement des recours internes dans la procédure d’expulsion. Le 6 novembre 2017, le tribunal régional de Vilnius a prononcé l’extradition de l’auteur vers le Bélarus. Le 15 décembre 2017, la Cour d’appel de Lituanie a rejeté le recours de l’auteur contre cette décision en la confirmant. L’auteur a demandé au Comité le rétablissement de la demande de mesures provisoires.

8.2Les juridictions lituaniennes ont estimé que les critères de l’extradition étaient satisfaits et qu’il n’y avait aucun motif de rejeter la demande d’extradition des autorités bélarussiennes. Elles ont fait référence à la conclusion à laquelle sont parvenus les tribunaux administratifs dans la procédure de demande d’asile de l’auteur, selon laquelle il n’y avait pas lieu de considérer que les poursuites pénales engagées contre l’intéressé reposaient sur des motifs politiques ou discriminatoires. Elles ont rejeté les griefs de l’auteur concernant le risque de violation de ses droits au titre des articles 7, 10 (par. 1), 14 (par. 1), 17 et 25 b) du Pacte en cas d’extradition vers le Bélarus. Elles ont déclaré que l’extradition est régie par un accord bilatéral entre la Lituanie et le Bélarus et qu’elle est fondée sur le principe de la confiance mutuelle dans le fait que l’État étranger va honorer ses obligations internationales. Elles n’ont pas la possibilité de vérifier les allégations de l’auteur. En particulier, elles ne sont pas en mesure d’évaluer les conditions de détention dans un pays étranger, et le sont encore moins de constater que celles-ci violent les dispositions d’un traité international auquel l’État requérant est partie. Les juridictions internes n’ont pas trouvé de motifs permettant de conclure que les droits et libertés fondamentaux de l’auteur ne seront pas garantis par le Bélarus.

Observations de l’État partie sur le fond

9.1Dans une note verbale en date du 18 mai 2018, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication, affirmant que les allégations de l’auteur devraient être considérées comme infondées au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, en raison de leur caractère abstrait et du fait que les autorités nationales ont examiné le cas de l’intéressé sur la base des garanties prévues par la législation nationale.

9.2L’État partie fait valoir qu’après avoir repris l’examen de la demande d’extradition visant l’auteur, qui avait été suspendu parce que le Comité avait accueilli sa demande en indication de mesures provisoires, le tribunal régional de Vilnius a tenu des audiences les 30 août, 19 septembre et 9 octobre 2017. Le tribunal a tenu compte des allégations de l’auteur qui affirmait que son extradition constituerait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison des conditions de détention dans les prisons du Bélarus. Il a noté que la mesure de détention provisoire mentionnée par l’auteur était fondée sur le fait qu’une enquête pénale était en cours et que l’auteur ne se trouvait pas au Bélarus, qu’il n’était par conséquent pas possible de prévoir si elle serait appliquée une fois que l’auteur aurait été extradé. L’État partie fait valoir que la législation bélarussienne prévoit la possibilité de contester une mesure de détention provisoire. Une fois que l’auteur aura été extradé, il est possible que la détention soit remplacée par une mesure plus légère.

9.3Le 6 novembre 2017, le tribunal régional de Vilnius a fait droit à la demande d’extradition de l’auteur formulée par le Procureur général. Lorsqu’il a examiné les allégations de l’auteur, le tribunal a dûment tenu compte des conclusions auxquelles les tribunaux administratifs sont parvenus dans le cadre du dossier de demande d’asile de l’auteur, ainsi que du fait qu’il était retourné de temps en temps au Bélarus après 2009. La Cour d’appel de Lituanie a statué définitivement sur la demande d’extradition le 15 décembre 2017. Le 4 janvier 2018, le Bureau du Procureur général a suspendu l’extradition de l’auteur jusqu’à l’issue de l’examen du dossier par le Comité.

9.4L’État partie fait valoir qu’aux termes de la législation nationale pertinente, les autorités nationales sont tenues de veiller à ce qu’une personne ne soit pas extradée s’il y a des motifs sérieux de croire qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable dans le pays requérant. Le paragraphe 3, alinéa 8, de l’article 9 du Code pénal et le paragraphe 3, alinéa 8, de l’article 71 du Code de procédure pénale lituaniens disposent qu’il ne sera pas procédé à l’extradition s’il « existe d’autres motifs prévus par les instruments internationaux auxquels la Lituanie est partie ». Le Pacte fait partie des instruments visés par cette disposition. La Convention européenne, dont l’article 3 est applicable en l’espèce, en fait également partie et elle est directement applicable en Lituanie. Les juridictions nationales chargées de statuer sur les demandes d’extradition sont tenues de se conformer aux principes consacrés dans la Convention européenne. L’État partie cite deux affaires dans lesquelles des demandes d’extradition ont été rejetées au motif que les intéressés ont obtenu l’asile et en application du principe de non-refoulement.

9.5Dans ses allégations, l’auteur mentionne les conditions générales de détention au Bélarus, affirmant qu’il sera placé dans le Centre de détention avant jugement no1 à Minsk. L’État partie soutient que les allégations de l’auteur sont vagues et abstraites et que les tribunaux nationaux n’ont pas été en mesure de les examiner de manière approfondie lorsqu’ils ont statué sur la demande d’extradition dont il fait l’objet. L’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans des affaires d’extradition similaires où la Cour a refusé de constater des violations en déclarant que « l’invocation d’un problème général en matière de respect des droits de l’homme dans un pays donné ne peut à elle seule servir de motif pour refuser l’extradition », que « rien n’indique que la situation des droits de l’homme au Bélarus soit suffisamment grave pour imposer une interdiction complète d’extrader vers ce pays » et que le requérant n’a pas « fait état d’une situation individuelle susceptible de justifier sa crainte de mauvais traitements et d’un procès inéquitable ». L’État partie conclut que l’auteur invoque les conditions de détention au Bélarus de façon générale et sans étayer ses dires et qu’il ne fait état d’aucun risque personnel se rapportant à la teneur de la demande d’extradition dont il fait l’objet. L’État partie soutient donc, conformément à la jurisprudence de la CEDH, que les tribunaux internes n’ont pas été en mesure d’évaluer les conditions générales de détention dans un autre pays, faute d’informations suffisantes de la part de l’auteur.

9.6Selon l’État partie, les allégations de l’auteur au sujet du non-respect du droit à un procès équitable, basées sur le fait que des fonctionnaires bélarussiens auraient déjà essayé d’obtenir de lui des pots-de-vin, sont générales, non étayées et sans lien avec une situation particulière. L’État partie s’est abstenu de commenter les autres conséquences hypothétiques du placement éventuel de l’auteur en détention, eu égard à leur caractère incertain.

9.7Pour conclure, l’État partie déclare qu’en acceptant que, dans des affaires d’extradition, d’éventuelles violations des droits de l’homme soient invoquées d’une manière aussi vague que cela a été fait dans le cas de l’auteur, l’on risquerait d’entraver lourdement le fonctionnement du système d’extradition entre les États. La présente espèce constitue un exemple de la possibilité de retarder l’extradition dans des affaires où les éléments de preuve du risque couru par la personne devant être extradée ne sont pas suffisants. Une telle situation pourrait peser sur l’efficacité des enquêtes pénales, en particulier lorsqu’un suspect se cache dans un pays étranger.

Commentaires supplémentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

10.1Dans ses commentaires en date du 18 juillet 2018, l’auteur soulève deux griefs supplémentaires au titre du paragraphe 3 a) de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, au motif que les juridictions internes de l’État partie n’ont pas évalué ses griefs au fond et ne lui ont donc pas offert un recours utile dans le cadre de la procédure d’extradition dont il fait l’objet.

10.2L’auteur affirme que l’État partie ne devrait pas l’extrader vers le Bélarus parce que ce pays n’applique pas les constatations du Comité et n’a pas donné effet aux observations finales formulées en 2018 par le Comité contre la torture (CAT/C/BLR/CO/5). L’auteur renvoie notamment aux paragraphes 21 et 22 des observations finales du Comité contre la torture, dans lesquelles celui-ci relève l’état déplorable dans lequel se trouvent les lieux de privation de liberté au Bélarus.

10.3L’auteur affirme que les rapports d’ONG qu’il mentionne dans sa lettre initiale décrivent la situation qui règne dans les établissements de détention au Bélarus, notamment au Centre de détention avant jugement no1 de Minsk. Son statut de détenu en attente de jugement au Centre no1 donne en lui-même un caractère personnel à ses allégations. C’est à l’État partie qu’il incombe de prouver qu’une détention compatible avec les articles 7 et 10 du Pacte est possible.

10.4L’auteur précise qu’il ne prétend aucunement qu’il devrait y avoir une interdiction totale d’extradition vers le Bélarus. Toutefois, lorsqu’une personne dont l’extradition est demandée est passible de la peine de mort ou d’une peine de prison à perpétuité, l’État partie conclut avec l’État requérant un arrangement aux termes duquel la peine de mort ne serait pas appliquée et l’intéressé pourrait bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir passé vingt ans en prison. Par analogie, l’État partie devrait conclure un arrangement avec le Bélarus afin que l’auteur ne soit ni arrêté ni emprisonné et que la sanction qu’il encoure se limite à une amende, à une assignation à résidence ou même à une détention à domicile.

10.5En réponse à l’allégation de l’État partie selon laquelle il serait retourné au Bélarus en 2009, l’auteur a précisé qu’il avait cessé de se rendre dans ce pays à partir du moment où il avait eu connaissance de l’ordonnance de mise en détention provisoire datée du 10 juin 2006.

10.6D’après l’auteur, l’affirmation de l’État partie selon laquelle son placement en détention provisoire pourrait être remplacé par une mesure moins sévère relève de pures spéculations et n’est étayée par aucun élément de preuve.

10.7L’auteur réaffirme ses griefs au titre de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 1 de l’article 14, et des articles 17 et 25 b), et il demande au Comité qu’une indemnisation de 10 000 euros au titre du préjudice moral, ainsi qu’une indemnisation au titre des frais de procédure, lui soient accordées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

11.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

11.3Le Comité prend note de l’allégation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et a abusé du droit de présenter des communications en induisant le Comité en erreur sur la question des recours internes. Le Comité note également l’argument de l’auteur, qui soutient que les recours internes dans les procédures d’expulsion ne sont d’aucune utilité, la décision de rejet de sa demande d’asile rendue par la Cour administrative suprême de Lituanie le 17 mai 2017 ayant constitué le dernier recours utile en l’espèce. Le Comité prend également note de l’allégation de l’auteur selon laquelle il n’existe aucune obligation formelle d’épuiser tous les recours internes dans le contexte de l’extradition, l’imminence de l’expulsion exigeant toutefois que l’on utilise des voies de recours internes permettant d’obtenir la suspension du renvoi.

11.4Concernant l’argument de l’auteur relatif à l’absence d’obligation d’épuiser les recours internes en matière d’extradition, le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort que, bien qu’il ne soit pas obligatoire d’épuiser les recours internes si ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, les auteurs de communications doivent faire preuve de la diligence voulue pour exercer les voies de recours qui leur sont ouvertes et que de simples doutes ou supputations quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas l’auteur d’une communication de l’épuiser.

11.5Dans le même temps, le Comité note que l’auteur a exercé les recours internes dans la procédure d’extradition dont il fait l’objet et que ces recours ont eu un effet suspensif, ce qui les a rendus utiles au regard de l’élément principal de la demande de mesures provisoires de l’auteur, à savoir la suspension de son extradition. Le Comité note que l’auteur a été informé le 30 mai 2017 de la tenue d’une audience du tribunal administratif du district de Vilnius le 14 juin 2017 dans la procédure d’extradition le concernant. Le 7 juin 2017, il a présenté au Comité une demande de mesures provisoires sans mentionner la procédure d’expulsion en cours. Cela a incité le Comité à adresser prématurément sa demande de mesures provisoires à l’État partie. Le report de l’audience du tribunal administratif du district de Vilnius au 30 août 2017 qui s’en est ensuivi a également eu pour effet de prolonger la procédure interne d’extradition. Dès lors, le fait que l’auteur, représenté par un conseil, ait dissimulé intentionnellement au Comité des informations essentielles au sujet des recours internes disponibles est considéré par celui-ci comme un abus du droit de présenter une communication dans son aspect touchant à la demande de mesures provisoires.

11.6LeComiténote,enoutre,quelefaitquel’auteurn’aitpasinforméleComitédelaprocédured’extraditionencoursdontilfaisaitl’objetaentraînélasuspensiondel’examendesacommunicationjusqu’àl’épuisementdesrecoursinternesetlalevéedelademandedemesuresprovisoires.Àcejour,lesrecoursinternesontétéépuisésetlesconditionsénoncéesauparagraphe2b)del’article5duProtocolefacultatifsontdoncremplies.

11.7LeComitéprendnotedugriefdel’auteurquiaffirmequelesdroitsqu’iltientdel’article7etduparagraphe1del’article10duPacteseraientvioléss’ilétaitextradéversleBélarus,étantdonnélesconditionsdedétentionrégnantauCentrededétentionavantjugementno1.LeComiténoteégalementl’argumentdel’Étatpartiequifaitvaloirquelesallégationsdel’auteurconcernantlesconditionsdedétentionauBélarusontuncaractèregénéraletquel’auteurn’afaitétatd’aucunrisquepersonnelàl’appuidesesgriefs.

11.8LeComiténotequel’auteurinvoqueàlafoisl’article7etleparagraphe1del’article10duPacteens’appuyantsurlesconditionsdedétentionauBélarus.LeComitéfaitobserverque, bienquecesdispositionssecomplètent,leurobjetetleurportéenesontpasidentiques.Tandisqueleparagraphe1del’article10traiteexpressémentdelasituationdespersonnesprivéesdelibertéetenglobe,s’agissantdecespersonnes,lesélémentsgénérauxénoncésàl’article7,celui-ciportesurlesformesgravesdemauvaistraitementsdanslesquellesunindividu,ycomprisunepersonneprivéedeliberté,estlacibled’attaquesspécifiques. En l’espèce, l’auteur n’a étayé suffisamment aucun risque personnel de mauvais traitements qui seraient contraires à l’article 7 du Pacte. Le Comité considère donc que les griefs de l’auteur au titre de l’article 7 du Pacte ne sont pas étayés et qu’ils sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

11.9Le Comité note, en outre, que les griefs formulés par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 10 portent sur les conditions générales de détention, qui sont analogues à celles de tous les autres détenus, sans apporter aucune preuve ou explication quant à un risque spécifique de préjudice irréparable tel que celui envisagé à l’article 7 du Pacte. Le Comité estime donc que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés et ne sont pas recevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

11.10Le Comité prend note des griefs supplémentaires soulevés par l’auteur au titre du paragraphe 3 a) de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, selon lesquels les tribunaux lituaniens n’ont pas dûment examiné ses griefs concernant le risque de violation de ses droits en cas d’extradition vers le Bélarus et ne lui ont donc pas offert un recours utile dans le cadre de la procédure d’extradition dont il fait l’objet. Le Comité rappelle que même quand la décision appartient à un tribunal, l’examen d’une demande d’extradition ne constitue pas une décision sur une accusation de caractère pénal, ni n’entre dans le champ de la détermination des « droits et obligations de caractère civil » au sens de l’article 14 du Pacte. S’il est vrai que le paragraphe 1 de l’article 14 ne prévoit pas de droit d’accès aux tribunaux ou cours de justice pour les personnes faisant l’objet d’une procédure d’extradition, néanmoins, dès lors que le droit interne charge un organe judiciaire d’exercer une fonction juridictionnelle, la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 garantit en termes généraux le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice, si bien que les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité qui sont énoncés dans cette disposition doivent être respectés.

11.11En l’espèce, le Comité note que l’auteur n’a pas allégué du non-respect des principes d’impartialité, d’équité ou d’égalité par les juridictions nationales, mais que ses griefs découlent du simple désaccord avec l’issue de la procédure. Le Comité estime donc que les griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 a) de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés et les déclare de ce fait irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

11.12Le Comité prend note des griefs de l’auteur au titre de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 14 (relatif au non-respect du droit à un procès équitable au Bélarus) et de l’article 25 b) du Pacte. Il estime que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés et ne sont pas recevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

12.À la lumière des considérations qui précédent, le Comité conclut que la présente communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

13.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.