Nations Unies

CCPR/C/126/D/2582/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 août 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre de Protocole facultatif, concernant la communication no2582/2015*,**

Communication présentée par :

G. I. (représenté par un conseil, Panayote Elias Dimitras, de l’Observatoire grec des Accords d’Helsinki)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Grèce

Date de la communication :

26 janvier 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité (article 92 du nouveau règlement), communiquée à l’État partie le 6 mars 2015 (non publiée sous forme de document)

Date d’adoption de la décision:

25 juillet 2019

Objet :

Expulsion forcée d’un campement informel

Question(s) de procédure :

Abus du droit de plainte ; recevabilité − défaut manifeste de fondement ; recevabilité − statut de victime

Question(s) de fond :

Immixtion arbitraire/illégale ; peine ou traitement cruels, inhumains ou dégradants ; discrimination ; recours utile ; droits familiaux ; droits en matière de logement

Article(s) du Pacte :

7, 17 (par. 1 et 2), et 23 (par. 1), 26 et 27, lus chacun isolément et conjointement avec 2 (par. 1, 2 et 3)

Article(s) du Protocole facultatif :

1 et 2

1.1L’auteur de la communication est G. I., de nationalité albanaise et d’origine rom, né le 6 août 1960. Au moment de la présentation de la communication, l’auteur résidait en Grèce ; il réside actuellement en Albanie. L’auteur affirme qu’en l’expulsant de force du campement de Makrygianni, à Patras (Grèce), en 2006, l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7 et 17 (par. 1 et 2), ainsi que des articles 23 (par. 1), 26 et 27, lus chacun isolément et conjointement avec l’article 2 (par. 1, 2 et 3) du Pacte. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour la Grèce le 5 août 1997. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 6 juillet 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial sur les nouvelles communications et les mesures provisoires, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité et le fond de la communication soient examinés séparément.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En août 2004, l’auteur et d’autres Roms albanais ont été expulsés du campement de Riganokampos, à Patras. Après son expulsion, l’auteur s’est installé à Makrygianni, un autre campement rom de Patras. Les conditions de vie dans ces deux camps étaient similaires. À Makrygianni, l’auteur vivait dans un cabanon, sans eau courante ni électricité et sans système d’évacuation des eaux usées et de collecte des ordures. En 2004, le conseiller du Premier Ministre grec responsable de la qualité de la vie a décrit Makrygianni comme étant « le pire des 75 campements du pays … [et] une insulte à notre humanité ».

2.2En juillet 2006, l’auteur et d’autres Roms albanais ont été expulsés de Makrygianni et sont partis pour Athènes. Ils ont vécu dans le campement rom de Votanikos mais en ont été expulsés en juin 2007. D’autres expulsions les ont conduits à s’éparpiller dans diverses parties de l’agglomération athénienne et de l’Attique. Les autorités locales de Patras se sont vantées de ces expulsions massives, dont les médias locaux ont beaucoup parlé.

2.3Les expulsions ont provoqué la visite en urgence du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, invité par l’actuel conseil de l’auteur, qui représentait l’ensemble des communautés roms des deux campements. Le conseil de l’auteur a accompagné le Commissaire dans les campements de Riganokampos et de Makrygianni et, le 1er décembre 2006, le Commissaire a adressé au Ministre de l’intérieur une lettre sur la situation des Roms en Grèce. Au sujet des conditions régnant à Riganokampos et Makrygianni, le Commissaire indiquait dans la lettre : « J’ai vu des familles roms vivant dans des conditions déplorables. J’ai aussi rencontré une famille dont le logement rudimentaire avait été rasé au bulldozer le matin même. […] Je souhaiterais recevoir un complément d’information sur les mesures prises pour indemniser et reloger les familles roms après l’expulsion ou la “suspension administrative” et sur leur garantie de maintien dans les lieux où elles vivent actuellement. ». Les autorités grecques n’ont pas répondu à cette lettre, non plus qu’à une lettre ultérieure du Commissaire concernant les expulsions forcées de Votanikos, à Athènes, en 2007.

2.4Le 13 décembre 2006, le conseil de l’auteur a déposé une plainte au pénal auprès du parquet du tribunal de première instance de Patras au sujet des expulsions. Une enquête préliminaire a été ouverte. Les 11 janvier, 23 janvier et 23 février 2007, le conseil de l’auteur a déposé des requêtes au nom de 76 Roms, dont l’auteur, qui souhaitaient se porter partie civile dans la procédure pénale. Chacun des plaignants réclamait 33 euros de dommages et intérêts.Le maire de Patras et deux de ses adjoints, parties intimées, se seraient publiquement vantés de leur « opération de nettoyage » destinée à expulser les Roms. Le maire et deux de ses adjoints ont alors été inculpés de violations des articles 13 a) et 263 a) du Code pénal. Plus précisément, ils ont été accusés d’avoir manqué délibérément à leurs obligations professionnelles en tant qu’agents de l’État dans l’intention de procurer un avantage illicite à autrui. L’acte d’accusation indiquait que l’infraction en question s’était produite lorsque les trois accusés avaient constitué des équipes de démolition à Makrygianni le 27 juillet 2006 et à Riganokampos le 15 septembre 2006 et avaient ordonné la démolition des logements de fortune habités par les Roms dans ces campements. Il précisait en outre que les accusés avaient enfreint le décret présidentiel 267 2/21-8/1998, qui dispose que la démolition d’habitations illégales doit s’effectuer sur ordre du bureau d’urbanisme local compétent. L’acte d’accusation indiquait aussi que les accusés avaient voulu nuire aux Roms vivant dans les cahutes et embellir l’endroit au profit des habitants non roms du quartier.

2.5Le 11 décembre 2012, tous les prévenus ont été acquittés par la première chambre du tribunal correctionnel de Patras composé de trois membres. Dans son jugement, le tribunal a fait observer que le campement de Makrygianni était situé sur un terrain public. Le tribunal a déclaré : « Concernant le logement de fortune que [l’auteur] utilisait de façon occasionnelle, il a été établi que l’auteur n’en était pas légalement le propriétaire et ne l’utilisait pas légalement. De plus, au moment des faits (le 27 juillet 2006), ce logement de fortune avait l’air abandonné puisque [l’auteur] était parti pour plusieurs mois à Zakynthos, à la recherche de travail. Personne ne pouvait savoir qu’il avait l’intention de retourner dans le campement. ».

2.6Le tribunal a en outre indiqué dans son jugement que les prévenus n’avaient pas eu l’intention de nuire aux familles roms ou de procurer un avantage illicite aux habitants non roms du quartier qui s’étaient plaints de la présence des Roms. Ils avaient au contraire agi dans un souci de santé publique, dans l’intérêt de tous les habitants, roms et non roms. Le tribunal a considéré que l’absence de système d’évacuation des eaux usées, d’eau courante et de collecte des ordures présentait de graves dangers pour la santé des Roms et des habitants du voisinage. Le tribunal a également observé que le droit au logement s’applique à tous sans discrimination et considéré que rien ne prouvait que les prévenus avaient cherché à priver les habitants roms de leur droit au logement. Le tribunal a argué que la municipalité de Patras avait déjà accordé des allocations de logement à de nombreux Roms vivant à Makrygianni et à Riganokampos pour leur assurer des conditions de vie décentes. En outre, la municipalité avait procuré aux Roms de la nourriture via la Banque alimentaire et leur avait accordé des subventions. D’après le tribunal, cela montrait que la municipalité s’intéressait aux Roms en tant que groupe social et avait cherché à concilier les intérêts contraires, d’une part des Roms installés illégalement et vivant dans des conditions misérables, et d’autre part des résidents non roms qui pâtissaient des conditions sanitaires inacceptables régnant dans les campements proches de leurs habitations.

2.7L’auteur prétend qu’en dépit de la décision négative du tribunal, la démolition de son habitation était une opération doublement illégale puisque : a) aucune solution de relogement n’a été proposée ; et b) le pouvoir de démolir des habitations appartenait aux services d’urbanisme locaux et non aux prévenus, qui étaient des employés municipaux. La décision du tribunal n’expliquait pas pourquoi aucune solution de relogement n’avait été proposée à l’auteur avant la démolition de son habitation.

2.8D’après l’auteur, l’enquête judiciaire initiale était orientée car le parquet de Patras a refusé d’inculper des fonctionnaires municipaux de haut rang et les autorités haïssent les Roms. Au procès, ce n’est pas le procureur mais les juges qui ont invoqué des raisons de santé publique. Selon le cadre juridique grec, les Roms n’ont pas nécessairement accès à des recours utiles puisque les procureurs et les juges peuvent décider de poursuivre et de condamner des personnes manifestement impliquées dans des expulsions forcées de Roms et qu’aucune disposition juridique ne sanctionne expressément de telles expulsions. Ce système explique que les tribunaux grecs n’ont jamais condamné personne pour avoir expulsé des Roms. L’auteur cite à l’appui de ses arguments différends rapports indiquant que les autorités grecques n’ont pas effectivement rendu justice aux Roms ni fourni à ces derniers de logements adéquats. L’auteur estime que le Comité devrait suivre l’approche qu’il a adoptée dans ses constations dans l’affaire Georgopoulos et autres c. Grèce (CCPR/C/99/D/1799/2008), qui portait sur des faits quasiment identiques.

2.9L’auteur a épuisé les recours internes parce que la décision du tribunal correctionnel de Patras composé de trois membres n’est pas susceptible d’appel. De plus, aucun recours judiciaire n’aurait évité à l’auteur une expulsion ou ne lui aurait permis d’être indemnisé par l’État ou d’obtenir d’urgence un logement de remplacement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’en l’expulsant arbitrairement du campement de Makrygianni le 27 juillet 2006, en démolissant son domicile et en ne lui procurant pas en urgence un logement de remplacement ou une indemnisation, l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 17 (par. 1 et 2), 23 (par. 1), 26 et 27 du Pacte, lus isolément et conjointement avec l’article 2 (par. 1, 2 et 3).

3.2En ce qui concerne l’article 7 du Pacte, l’auteur renvoie à la décision du Comité contre la torture dans l’affaire Dzemajl et a utres c . Y o ugoslavi e (CAT/C/29/D/161/2000), dans laquelle le Comité a considéré que la destruction des habitations appartenant à des Roms constituait un « traitement cruel, inhumain ou dégradant ». L’auteur se réfère également à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme indiquant que la destruction d’habitations peut constituer, dans certaines circonstances, un traitement inhumain et dégradant. L’auteur affirme en outre que, à la suite de l’adoption par le tribunal de première instance de Patras des décisions nos 312/2005 et 323/2005, il avait éprouvé un sentiment de soulagement en pensant que la menace d’expulsion était écartée, mais ses espoirs avaient été anéantis lorsque son habitation avait été détruite. Il s’était alors senti humilié et avili et était anxieux de savoir ce qu’ils allaient devenir, lui et sa famille. Il ne pouvait pas comprendre pourquoi les autorités ne lui avaient pas procuré de logement convenable et avaient cherché à l’expulser en son absence, l’empêchant de prendre les dispositions nécessaires.

3.3En violation de l’article 17 du Pacte, l’expulsion a constitué une immixtion arbitraire et illégale dans la famille et le domicile de l’auteur. Les dispositions administratives prévues en droit interne (qui requièrent la délivrance et la présentation d’un procès-verbal d’expulsion) n’ont pas été respectées et la législation nationale n’a accordé aucune protection à l’auteur contre l’expulsion forcée. De plus, le fait que la législation nationale ne prévoie pas de recours utile en cas de démolition de logements roms informels constitue une violation de l’article 17, lu conjointement avec l’article 2 (par. 1, 2 et 3) du Pacte.

3.4Parce que l’auteur n’a pas eu accès à des recours (par exemple, la possibilité d’intenter une action préventive pour empêcher l’expulsion, ou des mécanismes juridiques lui permettant de réclamer une indemnisation et d’obtenir un logement d’urgence) et parce que seuls les Roms rencontrent de tels problèmes, l’État partie a violé les droits garantis à l’article 23, lu conjointement avec l’article 2 (par. 1, 2 et 3) du Pacte.

3.5En ce qui concerne les articles 26 et 27, lus chacun isolément et conjointement avec l’article 2 (par. 1, 2 et 3) du Pacte, l’auteur prétend que les Roms sont le seul groupe en Grèce à être fréquemment soumis à des expulsions forcées, en raison de leur situation socioéconomique particulière. À cause de son origine ethnique, l’auteur a fait l’objet d’une discrimination, été expulsé de force et privé de tout recours. Ces pratiques constituent un problème récurrent qui affecte les Roms vivant dans des campements partout en Grèce.

3.6À titre de réparation, l’auteur demande à être indemnisé par l’État partie parce qu’il n’a pas obtenu de logement convenable, qu’il a subi un préjudice moral et matériel du fait des expulsions forcées et qu’il n’a pas eu accès à un recours utile. Il demande également à l’État partie d’examiner de près l’application des dispositions de la législation pénale contre le racisme et la discrimination, de déterminer les raisons pour lesquelles ces dispositions sont rarement appliquées et de prendre les mesures nécessaires pour garantir leur pleine application. L’auteur demande en outre à l’État partie : a) de faciliter le dépôt de plaintes par les personnes qui affirment être victimes de racisme ou de discrimination ; b) de poursuivre et d’intensifier la formation aux droits de l’homme des procureurs et des juges ; c) de sensibiliser les autorités locales à la nécessité de respecter les droits et la culture des Roms ; d) de veiller, avant de procéder à toute expulsion forcée envisagée, à ce que toutes les autres solutions possibles aient été explorées en concertation avec les intéressés en vue d’éviter ou tout au moins de limiter au minimum le recours à la force ; e) de prendre toutes les mesures législatives et administratives voulues pour garantir qu’un autre logement convenable et/ou une indemnisation soient offerts aux personnes concernées ; et f) de garantir que toutes les expulsions sont menées conformément au droit international des droits de l’homme et aux principes du caractère raisonnable et de la proportionnalité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations sur la recevabilité en date du 6 mai 2015, l’État partie soutient que la communication est irrecevable pour quatre raisons. Premièrement, elle ne contient pas suffisamment d’informations sur l’auteur et sa situation. Concrètement, l’auteur affirme qu’il a été expulsé et n’a pas trouvé à se reloger mais ne donne pas de précision sur les expulsions qu’il dénonce et sur ses conditions de logement actuelles. Il n’indique pas non plus quelle est son adresse présente. Tout en disant souffrir de privations économiques et sociales persistantes, il ne fournit pas d’informations sur la situation économique et sociale dans laquelle il se trouve. Enfin, il affirme avoir subi une immixtion dans sa famille mais il ne dit rien de sa famille.

4.2La communication est également irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de plainte. Plusieurs longs délais ont émaillé la procédure, qui sont exclusivement attribuables à l’auteur et/ou à son conseil. Premièrement, l’auteur a soumis la communication près de huit ans et demi après la démolition dénoncée, alors qu’un cas d’expulsion sans qu’un logement de remplacement soit procuré appelle une intervention rapide. Bien que l’enquête pénale sur les événements de Makrygianni ait été achevée en 2012, le conseil de l’auteur a estimé, comme il l’a dit dans l’affaire Georgopoulos et autres c. Grèce, que l’ouverture d’une procédure pénale à l’égard de personnes considérées comme responsables de la démolition d’un logement de fortune n’était pas une option juridique permettant à l’auteur de retourner sur le terrain duquel il avait été expulsé. La procédure pénale n’est donc pas un élément pertinent en l’espèce. Deuxièmement, le conseil de l’auteur a présenté des lettre initiales en vue d’une communication concernant l’expulsion de Riganokampos en juin 2007 et février 2008, mais a attendu janvier 2015 (soit plus de sept ans) pour présenter la présente communication. Il prétend que les circonstances sont identiques dans les deux cas. Quatre ans et demi se sont écoulés depuis que le Comité a adopté ses constatations sur la communication concernant l’expulsion de Riganokampos. Troisièmement, deux années se sont écoulées entre le moment où l’auteur a autorisé son conseil à le représenter dans la procédure devant le Comité (janvier 2013) et le moment où la présente communication a été soumise (janvier 2015). Enfin, la communication a été présentée plus de huit mois après que le conseil a été avisé de dissocier les griefs de l’auteur de la communication Georgopoulos et autres c. Grèce et de les présenter séparément. Son explication selon laquelle ce dernier délai serait attribuable à sa charge de travail et à ses moyens limités n’est pas convaincante puisqu’il lui suffisait de soumettre de nouveau la communication de l’auteur, seulement séparément.

4.3La communication est d’autre part irrecevable parce qu’elle n’est pas étayée et repose sur des faits insuffisants. L’auteur plaide par analogie. Au lieu de présenter les faits de façon claire et détaillée, il assimile simplement la présente communication à l’affaire Georgopoulos et autres c. Grèce et demande au Comité d’aboutir à la même conclusion. L’affaire Georgopoulos impliquait d’autres auteurs dont l’abri de fortune avait été démoli dans un autre quartier de Patras et à d’autres dates. Les auteurs dans cette affaire avaient porté plainte immédiatement après les faits. La présente communication ne décrit pas les circonstances dans lesquelles l’expulsion dénoncée s’est produite. Il existe de plus des contradictions non négligeables entre ce que dit l’auteur dans la communication et ce qu’il a déclaré devant le tribunal correctionnel de Patras. Dans la communication, l’auteur indique qu’après l’expulsion de juillet 2006, il s’est installé dans le campement rom de Votanikos, à Athènes. Or devant le tribunal, il a déclaré qu’après cette expulsion, il s’était installé dans le quartier de Makrygianni jusqu’en 2007, moment où sa nouvelle cahute avait été démolie. Le tribunal a considéré que l’auteur n’était pas légalement propriétaire de son logement de fortune et ne l’utilisait pas légalement puisqu’il n’y habitait que de façon occasionnelle. Il a également constaté que le logement semblait abandonné parce que l’auteur était parti pendant plusieurs mois travailler dans une île voisine. Le tribunal a en outre considéré que personne ne pouvait savoir que l’auteur avait, comme il le prétend, l’intention de retourner dans le campement. L’auteur ne conteste pas les constatations du tribunal et ne présente pas d’autre version des faits.

4.4Enfin, la communication est irrecevable parce que les griefs avancés par l’auteur au nom du peuple rom sortent du cadre autorisé des communications individuelles.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Dans des commentaires datés du 1er juin 2015, l’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication ne contient pas d’informations suffisantes. Ce qu’il est advenu de l’auteur après son expulsion du quartier de Votanikos à Athènes en juin 2007 est hors de propos. Il est courant que des organisations non gouvernementales donnent leur adresse, à des fins de correspondance, à des personnes qu’elles représentent, qui se trouvent dans des situations précaires et déménagent fréquemment. En tout état de cause, l’auteur était enregistré auprès des administrations régionales et centrales pour son permis de séjour. Au moment où la communication a été présentée, l’auteur vivait avec sa famille dans l’agglomération athénienne.

5.2S’agissant de l’abus allégué du droit de présenter une communication, l’auteur soutient que son conseil a déposé en temps voulu des plaintes en son nom et au nom d’autres Roms et que ces plaintes ont débouché sur un procès pénal plusieurs années plus tard. La plainte déposée en décembre 2006 a d’abord été classée en avril 2009 par un décret définitif du procureur de la cour d’appel de Patras. Cependant, en avril 2011, le conseil de l’auteur a déposé une demande de réouverture du dossier au nom de « tous les Roms ». En juin 2011, cette demande a été acceptée et l’auteur s’est de nouveau porté partie civile dans la procédure pénale contre les auteurs présumés de son expulsion. Il n’avait aucune raison de chercher une autre voie de recours avant la conclusion de la procédure par l’adoption d’un jugement définitif en décembre 2012. C’est le moment à partir duquel le délai pour la présentation d’une communication a commencé à courir pour l’auteur. Le conseil répond aussi aux autres affirmations de l’État partie concernant l’abus du droit de plainte.

5.3La communication est étayée et fondée, et repose sur des faits suffisants. Lescirconstances de l’expulsion ont été clairement présentées et ont été acceptées par le tribunal interne, qui n’a jamais dit que les faits n’étaient pas clairs mais a au contraire considéré que l’expulsion ne s’était pas déroulée, pour des raisons de santé publique, suivant les procédures légales normales. En outre, les divergences pouvant apparaître entre le procès-verbal des audiences rédigé en grec et la teneur de la communication en anglais s’expliquent par le fait que le procès-verbal n’est pas une transcription verbatim mais est un simple compte rendu. L’État partie n’a pas fourni de traduction en anglais des minutes du tribunal.

5.4L’auteur reconnaît qu’au moment de l’expulsion, il se trouvait à Zakynthos pour l’été. Mais c’était également le cas des auteurs dans l’affaire Georgopoulos et autres c. Grèce. De plus, ni ces auteurs ni lui-même n’étaient propriétaires des logements dont ils ont été expulsés.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations datées du 20 novembre 2015, l’État partie réitère ses arguments précédents et ajoute les griefs ci-après. Il a été prouvé au cours de la procédure interne que lors de l’expulsion du campement de Makrygianni le 27 juillet 2006, au moins 6 des 10 cabanons démolis appartenaient à des personnes qui les avaient définitivement abandonnés après avoir accepté une allocation leur permettant de louer un autre logement. Il a en outre été établi devant le tribunal de Patras qu’après le départ des bénéficiaires des allocations, le campement donnait une impression générale d’abandon et était partiellement couvert de débris de cabanons démolis ou à moitié démolis qui devaient être déblayés pour des raisons de santé publique. Il a été également indiqué que certains abris de fortune avaient été complétement ou partiellement démantelés par des individus non identifiés en quête probablement de matériaux de construction. Aussi les services de nettoyage de la municipalité de Patras ont-ils considéré avec raison, en démolissant le cabanon dont l’auteur n’était pas légalement le propriétaire, qu’ils ne procédaient pas à la démolition d’une habitation utilisée et à l’expulsion d’un résident. Le cabanon ne semblait être habité par personne, et en particulier pas par l’auteur. L’auteur avait lui-même indiqué une autre adresse pour son permis de séjour et n’a pas saisi la moindre autorité pour protester contre la destruction de ce « domicile ». Il était donc totalement inconnu des autorités municipales. Les seules informations dont on disposait sur lui étaient celles qui avaient été données au cours de la procédure pénale devant le tribunal correctionnel de Patras composé de trois membres, où l’auteur ne s’était d’ailleurs même pas présenté.

6.2Compte tenu de ces circonstances, les autorités ne pouvaient pas envisager d’offrir un autre logement à l’auteur ou l’aider d’une autre manière. Sur ce point, le conseil de l’auteur n’explique pas pourquoi ni l’auteur ni lui-même n’ont contacté les autorités compétentes. L’État partie conteste l’argument de l’auteur selon lequel il serait vain, pour des étrangers comme lui qui résident légalement sur le territoire, de solliciter l’assistance des autorités municipales.

6.3La communication ne contient aucune information étayée sur les conditions de logement de l’auteur après les événements contestés de 2006. Ce type d’information est utile pour déterminer si l’auteur s’est retrouvé sans abri après l’expulsion dénoncée. Ceci est d’autant plus important que l’auteur n’a jamais personnellement déposé la moindre requête auprès des autorités compétentes concernant sa situation en matière de logement. Il est abusif de se poser, comme le fait l’auteur, en victime d’une série d’expulsions découlant d’une politique d’expulsions forcées que l’État mènerait contre les Roms. Ces allégations ne sont pas corroborées. La demande de renouvellement du permis de séjour de l’auteur, lequel venait à expiration le 7 août 2008, a été rejetée le 5 mars 2014 parce que l’auteur n’avait pas fourni les documents requis. L’auteur a par conséquent été prié de quitter volontairement le pays.

6.4La démolition d’un abri de fortune, raisonnablement considéré comme abandonné par l’auteur, lequel était absent du campement depuis plusieurs mois, ne constitue pas un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. En ce qui concerne les articles 26 et 27 du Pacte, l’auteur n’a fourni aucun élément prouvant une discrimination pour quelque motif que ce soit. Les expulsions dénoncées n’avaient rien à voir avec l’origine ethnique de l’auteur. En ce qui concerne l’article 2 du Pacte, l’auteur n’a en aucune manière exercé de recours internes devant une autorité judiciaire ou non judiciaire, excepté sa demande de se porter partie civile dans la procédure pénale contre les fonctionnaires municipaux, pour préjudice moral uniquement. L’auteur n’a intenté aucune action en réparation de préjudices matériels. Au cours de la procédure interne, le conseil de l’auteur a déclaré que les dommages matériels subis s’élevaient à une centaine d’euros. Le montant réclamé réellement par l’auteur au titre du préjudice moral n’excédait pas 40 euros.

6.5La déclaration de l’auteur indiquant qu’il vivait avec sa famille dans l’agglomération d’Athènes lorsque la communication a été présentée est vague. Il semble dissimuler des informations pertinentes concernant son adresse. Dans une communication similaire présentée par le même conseil, celui-ci avait indiqué le lieu où résidaient alors les différents auteurs.

6.6Les explications de l’auteur concernant la présentation tardive de la communication ne sont pas convaincantes. Ceci est particulièrement vrai du délai de sept ans qui s’est écoulé après la soumission de la communication sur l’affaire Georgopoulos, pratiquement identique. L’auteur dit qu’il n’aurait eu aucune raison de saisir le Comité si les fonctionnaires municipaux qu’il accusait avaient été reconnus coupables dans le cadre de la procédure interne. Il semble donc que l’objet de sa communication soit en fait de contester non pas l’expulsion mais la décision d’acquitter ceux qui l’ont décidée. Il n’est pas raisonnable que l’auteur ait attendu la conclusion de la procédure pénale pour soumettre la présente communication, qui concerne une affaire urgente d’expulsion forcée sans solution de relogement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie quant au fond

7.1Dans des commentaires datés du 22 février 2016, l’auteur réitère ses arguments et soutient que son affaire est pratiquement identique à l’affaire Georgopoulos. Les deux ont donné lieu à un procès pénal. Le tribunal a conclu que des expulsions s’étaient produites, accompagnées de la démolition des logements des deux familles, et que ces expulsions avaient été effectuées par des autorités municipales non autorisées et au mépris des lois applicables. Or le tribunal a acquitté les défendeurs, invoquant un problème de santé publique prétendument majeur qui aurait dédouané les autorités municipales de leurs actes. Cela témoigne d’un racisme anti-rom extrême. Un risque de santé publique devrait être réglé par des travaux d’infrastructure et d’autres travaux visant à améliorer les conditions de vie, et non par la démolition arbitraire de logements roms. Dans une décision datée du 11 décembre 2009, le Comité européen des droits sociaux a considéré que les expulsions forcées de Roms à Patras, Votanikos et Chania avaient violé l’article 16 de la Charte sociale européenne, puisque dans nombre de cas elles avaient été menées sans concertation préalable ni délai de préavis raisonnable et n’avaient pas été assorties de solutions de relogement. Le Comité européen des droits sociaux a également considéré que les recours judiciaires n’étaient pas suffisamment accessibles et que, compte tenu de la situation particulière des familles roms menacées d’expulsion, une assistance spéciale devait leur être fournie, y compris des conseils ciblés sur l’offre d’aide judiciaire et les voies de recours.

7.2Les Roms résidant à Riganokampos et Makrygianni habitaient légalement ces quartiers et n’étaient pas, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, des résidents illégaux. De fait, le tribunal de première instance de Patras a décidé, par ses décisions nos 312/2005 et 323/2005, que les Roms vivant dans ces quartiers étaient autorisés à y rester parce que les autorités étatiques compétentes, et en particulier la municipalité de Patras, n’avaient pas désigné de lieu où les Roms de Patras pourraient vivre dans des conditions humaines.

7.3Dans une interview parue dans un journal le 2 février 2007, le procureur adjoint de la Cour suprême de la Grèce de l’époque a indiqué que la situation des Roms vivant à Makrygianni avait été réglée, déclarant : « Patras ne peut pas devenir une ville tsigane. ». Les autorités grecques ont assuré qu’elles allaient enquêter sur ces déclarations racistes mais elles ne l’ont jamais fait.

7.4L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’aurait pas fourni d’informations suffisantes concernant son expulsion. Le tribunal interne a conclu que l’abri de fortune de l’auteur avait été démantelé le 27 juillet 2006. L’offre d’une allocation de logement évoquée par l’État partie est fallacieuse parce que le programme d’allocations‑logement ne concernait que les Roms inscrits sur le registre municipal des habitants de Patras. Il ne s’appliquait pas aux Roms grecs qui résidaient à Patras mais étaient inscrits auprès d’autres municipalités, ni aux Roms albanais résidant à Patras. L’État partie prétend d’autre part que les autorités ne pouvaient pas savoir que les habitants du campement reviendraient. Le président de l’Association culturelle de Makrygianni, Spyros Marinis, avait cependant déclaré, au cours de la procédure pénale : « Chaque année en mai le quartier était déserté. Les Roms s’en allaient chercher du travail saisonnier ailleurs et revenaient à l’automne. Durant l’été, ils étaient peu nombreux à demeurer là. ». Les autorités n’ignoraient donc pas que l’auteur avait l’intention de retourner dans le campement. Le tribunal a considéré que l’auteur n’habitait le cabanon que « de façon occasionnelle » alors qu’en fait il l’habitait « de façon saisonnière ». L’affirmation de l’État partie selon laquelle le campement donnait une impression générale d’abandon est inexacte et trompeuse. Dans une déclaration faite sous serment au cours du procès, le responsable de la collecte des ordures de la municipalité de Patras a déclaré ce qui suit : « Des Roms étaient présents pendant l’opération. Nous n’avons touché à aucun de leurs cabanons. ». En outre, les 3, 4 et 5 août 2006, tous les Roms de Makrygianni ont reçu deux convocations les appelant à comparaître devant le Procureur du tribunal de première instance le 7 août 2006, en réponse à deux demandes de mesures provisoires déposées par l’agence publique propriétaire du terrain et la municipalité de Patras. Dans sa demande en date du 1er août 2006, la municipalité de Patras a déclaré que les Roms du campement avaient « refusé de partir ». Il est donc clair que la municipalité savait, au moment de l’expulsion de juillet 2006, que le campement de Makrygianni n’était pas abandonné.

7.5L’auteur donne des renseignements complémentaires sur les expulsions de 2004 et 2006. L’auteur s’est installé à Riganokampos en 2000. En 2004, d’après une lettre datée du 3 septembre 2004 adressée par la municipalité de Patras à la région de Grèce‑occidentale, 35 familles de Roms albanais, dont l’auteur, ont été expulsées par la municipalité de Patras et leurs cabanons ont été démantelés. Quand l’auteur est revenu sur place, il a été informé de l’expulsion par d’autres Roms qui étaient présents à ce moment-là. L’expulsion a eu lieu pendant les Jeux olympiques d’Athènes de 2004.

7.6Fin mars 2006, des responsables avaient annoncé publiquement que des expulsions auraient lieu à Makrygianni et Riganokampos et des procédures judiciaires avaient été intentées l’année précédente contre « certains ou l’ensemble » des Roms vivant dans ces deux campements. Ainsi, le 30 mars 2006, le conseil de l’auteur et deux autres organisations non gouvernementales ont écrit une lettre aux autorités municipales et régionales concernées pour demander des informations sur le relogement des familles roms qui vivaient à Makrygianni etRiganokampos. Ils n’ont jamais reçu de réponse. Le 20 juin 2006, le conseil de l’auteur a saisi le Médiateur. Ce dernier a alors écrit aux autorités grecques, le 28 juin 2006, leur rappelant leur obligation de répondre à la lettre du 30 mars 2006.

7.7Les expulsions de 2006 à Makrygianni et Riganokampos ont eu lieu alors que Patras était capitale culturelle de l’Europe. Le 27 juillet 2006, à 6 heures du matin, la police a perquisitionné plusieurs cabanons à Makrygianni en présence d’un procureur. D’après les Roms grecs qui étaient présents au moment de l’opération, le procureur leur a dit d’évacuer les cabanons dans les trente minutes. Les Roms ont refusé de s’en aller tant que les autorités ne leur auraient pas dit où ils seraient relogés. Le procureur est parti, furieux. Les habitations des Roms présents n’ont pas été démolies grâce aux protestations. Le rapport de police sur cette opération indique qu’à 8 h 40 du matin, plusieurs Roms du quartier ont agressé le conducteur du bulldozer mais ont pris la fuite avant que la police puisse les arrêter. Ensuite, plusieurs heures durant, les cabanons des Roms albanais absents ont été démolis. L’auteur fournit des photographies qui montrent selon lui les cabanons démolis appartenant aux Roms albanais ainsi que deux cabanons appartenant à des Roms grecs qui ont interrompu la démolition de leurs habitations.

7.8Le 2 mai 2007, des représentants de la Direction de la santé de Patras se sont rendus dans le campement de Makrygianni puis ont publié un rapport indiquant que les Roms devaient être relogés parce que leurs conditions de vie étaient inacceptables. Mais les autorités n’ont pris aucune mesure pour donner suite à ce rapport. De gros travaux de construction entrepris dans le campement sont venus compliquer encore les conditions de vie et, le 16 septembre 2007, des bulldozers ont démoli les habitations dans le cadre d’un projet de travaux publics. Les nombreux Roms qui vivaient là ont plié bagage et ont quitté les lieux entre le 9 et le 14 septembre 2007. Le campement de Makrygianni a donc été démantelé et la plupart de ses résidents ont été expulsés sans être relogés ni indemnisés.

7.9En ce qui concerne l’article 7 du Pacte, l’État partie savait que l’auteur se trouvait à Patras car l’un des défendeurs a déclaré au procès qu’en vertu d’un ordre de la police l’auteur aurait dû se présenter au cinquième commissariat de police de Patras entre septembre 2005 et fin octobre 2006. L’État partie prétend que l’auteur n’a pas donné d’informations sur ses conditions de vie après son expulsion ; or l’auteur a dit qu’il avait simplement déménagé d’un campement misérable à un autre camp misérable, d’où il avait également été expulsé.

7.10S’agissant de l’article 17 du Pacte, l’auteur a engagé une action administrative et judiciaire. Le conseil de l’auteur (agissant au nom de tous les Roms expulsés, dont l’auteur) a pris contact à plusieurs reprises avec les autorités grecques, notamment le Médiateur, avant et après l’expulsion de juillet 2006.

7.11En ce qui concerne l’article 23 du Pacte, l’auteur vivait dans son cabanon avec sa femme et ses enfants. Les ordres d’expulsion délivrés par les pouvoirs publics grecs ne désignent pas nommément chacun des membres de la famille mais n’en citent qu’un seul. L’auteur n’a donc pas donné le nom des membres de sa famille lorsqu’il a contesté l’expulsion.

7.12En ce qui concerne les articles 26 et 27 du Pacte, l’État partie n’a fourni aucune information sur les habitations des non-Roms qui ont été démolies, comme celle de l’auteur, alors qu’ils étaient partis effectuer des travaux saisonniers, sans que des solutions de relogement leur soient proposées.

7.13L’auteur réside actuellement dans son village d’origine, à Shijak, en Albanie. Il soupçonne que l’État partie a insisté pour obtenir son adresse actuelle afin de l’expulser de Grèce après l’expiration de son permis de séjour.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il n’était pas empêché par cette disposition d’examiner la communication.

8.3En l’absence d’objections de la part de l’État partie concernant l’épuisement des recours internes par l’auteur, le Comité considère que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la communication.

8.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication constitue un abus du droit de plainte à cause du temps écoulé entre les différents stades de la procédure. Le Comité rappelle que, conformément à l’article 99 c) de son règlement intérieur, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. En l’espèce, le Comité note que le 11 décembre 2012, la première chambre du tribunal correctionnel de Patras composé de trois membres a acquitté le maire de Patras et ses adjoints des chefs d’accusation concernant l’expulsion de l’auteur de Makrygianni le 27 juillet 2006. Il constate que, pour l’État partie, cette date n’est pas pertinente car la procédure pénale n’aurait pas pu déboucher sur une décision qui aurait permis à l’auteur de retourner sur le terrain qu’il réclamait à Makrygianni. Or le Comité observe que, pour épuiser les recours internes, l’auteur ne doit pas nécessairement avoir demandé à être rétabli dans la situation dans laquelle il se trouvait avant la commission de la violation alléguée. Il doit avoir soulevé, par tous les moyens de recours internes utiles disponibles, le fond des griefs faisant l’objet de la communication soumise au Comité. Le Comité note également que l’État partie n’a pas prétendu que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes, ou les avait épuisés à une autre date. Le Comité considère donc que la communication de l’auteur, présentée le 26 janvier 2015, a été soumise dans un délai de cinq ans après l’épuisement des recours internes le 11 décembre 2012, et ne constitue pas un abus du droit de plainte.

8.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable pour défaut de fondement et que les griefs soulevés par l’auteur au nom du peuple rom sont irrecevables ratione materiae. Le Comité prend note du grief que l’auteur tire de l’article 27 du Pacte, à savoir qu’il est fréquent que l’État partie expulse de force des Roms vivant dans des campements à cause de leur situation socioéconomique particulière et de leur origine ethnique. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle pour qu’une personne puisse affirmer qu’elle est victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif, elle doit montrer qu’un acte ou une omission de l’État partie a déjà eu un effet néfaste sur l’exercice d’un tel droit ou qu’un tel effet est imminent, par exemple en se fondant sur un texte législatif en vigueur et/ou sur une décision ou une pratique judiciaire ou administrative. Le Comité rappelle dans le même temps son observation générale no 23 (1994) sur les droits des minorités, qui reconnaît que « bien que les droits consacrés à l’article 27 soient des droits individuels, leur respect dépend néanmoins de la mesure dans laquelle le groupe minoritaire maintient sa culture, sa langue ou sa religion ». En l’espèce, le Comité observe que l’auteur ne précise pas pourquoi il considère que l’État partie a violé ses droits individuels, considérés dans une dimension collective, de jouir de sa propre culture, de pratiquer sa religion ou d’utiliser sa langue en commun avec les autres membres d’un groupe minoritaire. Il considère par conséquent que le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 27 du Pacte n’est pas suffisamment étayé et est donc irrecevable au regard des articles 1 et 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note des affirmations de l’auteur disant que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 17 (par. 1 et 2) du Pacte en l’expulsant arbitrairement de son logement à Makrygianni. Le Comité prend note des profondes inquiétudes qu’inspirait à l’auteur la situation générale des Roms dans les campements de Riganokampos et Makrygianni. De plus, bien que préoccupé par les allégations de l’auteur disant avoir été successivement expulsé de plusieurs campements à Patras et à Athènes, le Comité peut examiner uniquement les droits de l’auteur concernant l’expulsion de Makrygianni en 2006, contre laquelle l’auteur a formé un recours interne et qui constitue l’objet de la présente communication. Par conséquent, la première question qui se pose au Comité ne porte pas sur les conditions générales de logement des Roms ou de l’auteur dans les campements grecs mais concerne le point particulier de savoir si l’auteur a étayé l’affirmation selon laquelle le cabanon à Makrygianni était ou non son domicile le 27 juillet 2006, aux fins de l’article 17 du Pacte.

8.7Le Comité rappelle que le terme « domicile » employé à l’article 17 du Pacte doit s’entendre du lieu où une personne réside ou exerce sa profession habituelle. Un « domicile » ne se limite donc pas aux locaux qui sont légalement occupés ou qui ont été légalement établis conformément à la législation nationale, ni aux résidences traditionnelles ou aux domiciles fixes. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle la question de savoir si un lieu où une personne réside ou exerce sa profession habituelle constitue un « domicile » donnant lieu à la protection de l’article 17 dépend des circonstances factuelles, à savoir de l’existence d’une occupation continue et incontestée du lieu particulier en question. La personne n’a pas besoin de prouver qu’elle est présente physiquement tous les jours mais elle doit montrer des signes crédibles d’occupation du domicile. Si elle est délibérément absente au moment de l’immixtion dénoncée, elle doit montrer que ses liens avec le domicile n’ont pas été coupés. En outre, en l’absence de toute prétention à un droit sur le domicile, les liens de la personne avec ce dernier doivent découler de signes indiquant une occupation incontestée ou un exercice de la profession habituelle pendant un certain temps.

8.8S’agissant de savoir si le cabanon de l’auteur à Makrygianni constituait son « domicile » aux fins de l’article 17, le Comité prend note des déclarations de l’auteur disant qu’il s’était installé à Makrygianni deux ans avant la démolition du cabanon, qu’il utilisait celui-ci de façon saisonnière et que, l’été de la démolition, il résidait dans l’île de Zakynthos. Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il est courant qu’un certain nombre de Roms quittent le campement durant l’été et les autorités de l’État partie savaient qu’il y retournerait. Le Comité note cependant que l’auteur n’avait pas informé les autorités qu’il vivait dans le campement de Makrygianni et avait indiqué une autre adresse pour son permis de séjour. L’auteur n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas informé les autorités municipales qu’il vivait là, avant ou après la démolition. Le Comité relève aussi que l’auteur n’a pas donné d’éléments pour contester la conclusion du tribunal de Patras composé de trois membres selon laquelle le cabanon, sur lequel il n’avait pas de droit, semblait abandonné au moment de la démolition. L’auteur n’a pas dit avoir laissé des biens personnels ou d’autres signes d’occupation dans le cabanon pour indiquer que celui-ci était revendiqué comme une résidence au moment des faits. Tout en prenant note de l’information donnée par l’auteur selon laquelle l’un des adjoints au maire a déclaré au procès que l’auteur aurait dû se présenter à la police de Patras en 2005 et 2006, le Comité considère que l’auteur n’a pas fourni de renseignements suffisants indiquant que les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il résidait dans le campement de Makrygianni. Le Comité prend note également de l’argument non contesté de l’État partie selon lequel l’action civile intentée par l’auteur dans le cadre de la procédure pénale avait pour objet la réparation d’un préjudice moral et non matériel. Le Comité observe que l’auteur ne s’est pas plaint d’avoir subi un préjudice matériel et n’a pas prétendu avoir développé des liens communautaires étroits avec Makrygianni. L’auteur invoque les constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Georgopoulos et autres c. Grèce ; or, en cette affaire, les auteurs étaient nés dans le campement dont ils ont été expulsés et y avaient toujours vécu, sauf pour effectuer des travaux saisonniers ailleurs, et ils avaient immédiatement contacté les autorités municipales pour former un recours administratif après avoir appris leur expulsion.

8.9Le Comité note que l’auteur prétend que les autorités ont consenti à l’occupation du campement en adoptant la décision no 323 en 2005, mais il observe que, selon le tribunal correctionnel de Patras composé de trois membres, cette décision correspondait à une mesure temporaire destinée à permettre aux autorités de fournir un logement de remplacement aux résidents de Makrygianni et que les autorités municipales ont ensuite accordé des allocations de logement aux résidents qui étaient enregistrés auprès de la municipalité. Le Comité note que le tribunal a établi que de nombreuses personnes avaient par la suite quitté définitivement le campement pour obtenir d’autres logements. Le Comité prend note, d’autre part, de la déclaration de l’auteur selon laquelle des responsables publics avaient annoncé fin mars 2006 que des expulsions auraient lieu à Makrygianni ; et des procédures judiciaires avaient été ouvertes peu avant cela contre « certains ou l’ensemble » des Roms vivant dans les deux campements. Le Comité relève également que l’auteur n’a pas dit que le campement était desservi par des services publics de base indiquant que les autorités avaient de fait consenti à son existence. Le Comité prend note d’ailleurs de la conclusion du tribunal qui a considéré qu’au moment de la démolition, l’absence de système d’évacuation des eaux usées, de collecte des ordures, d’eau courante, etc., à Makrygianni présentait de graves dangers pour la santé des habitants, aussi bien des Roms que des autres. Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur disant que le tribunal a prétexté d’un danger pour la santé publique pour expulser les Roms, mais il relève que l’auteur n’a pas fourni d’informations contestant ce souci de santé publique et a indiqué que l’année qui a suivi la démolition, la direction sanitaire de Patras avait publié un rapport qualifiant d’inacceptables les conditions de vie à Makrygianni.

8.10À la lumière de toutes ces circonstances, le Comité considère que les informations fournies par l’auteur sont insuffisantes pour étayer ses griefs selon lesquels, au moment de la démolition de son cabanon, celui-ci constituait son domicile au sens de l’article17 du Pacte. En outre, au vu des mêmes circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas fourni d’informations suffisantes pour indiquer que les autorités l’avaient soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, connaissaient ou auraient dû connaître l’existence de sa vie familiale à Makrygianni ou l’avaient traité de manière discriminatoire. Par conséquent, leComité considère que les griefs que l’auteur tire des articles7, 17 (par. 1 et 2), 23 et 26 sont irrecevables pour défaut de fondement, au regard de l’article2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 1 et 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.