Nations Unies

CCPR/C/126/D/2701/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 août 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2701/2015 * , **

Recommandation proposée par le Groupe de travail

Communication présentée par :

X, Y, A, B, C et D (représentés par des conseils, Andrea Saccucci et Massimiliano Massara)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Grèce

Date de la communication :

25 septembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité (article 92 du nouveau règlement), communiquée à l’État partie le 8 décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date d’adoption de la décision :

26 juillet 2019

Objet :

Participation non consentie à l’échange d’obligations d’État

Question(s) de procédure :

Recevabilité − épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Discrimination ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 14, 4 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication, soumise le 25 septembre 2015, sont cinq ressortissants italiens, nés en 1942, 1944, 1947, 1958 et 1966, et un ressortissant allemand, né en 1937. Ils affirment qu’en les contraignant à échanger leurs obligations d’État grecques contre des titres de moindre valeur dans le contexte de la restructuration de la dette nationale, l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 14, 4 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 août 1997. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1En qualité de créanciers privés, les auteurs détenaient des obligations émises par l’État grec et régies par la législation grecque avant le 9 mars 2012, date à laquelle les caractéristiques des obligations ont été modifiées. En tant que porteurs d’obligations, ils auraient dû être en droit de se voir restituer, à l’échéance, la valeur nominale de leurs obligations. Cependant, en avril 2010, la note attribuée à la dette de l’État grec a été abaissée au niveau « d’obligation pourrie », ce qui indique un risque important de défaillance ou d’autres incidents de crédit. Le 2 mai 2010, l’Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI) ont décidé d’accorder un prêt de sauvetage de 110 milliards d’euros à l’État partie, à la condition pour celui-ci d’appliquer de lourdes mesures d’austérité.

2.2En octobre 2011, les dirigeants de la zone euro ont consenti à accorder à l’État partie un deuxième prêt de sauvetage de 109 milliards d’euros (porté par la suite à 130 milliards d’euros). Ce deuxième prêt était subordonné non seulement à la mise en œuvre d’une autre lourde série de mesures d’austérité difficiles, mais aussi à l’acceptation par les créanciers privés d’un plan de restructuration générale de la dette souveraine grecque, plan dit de « participation du secteur privé », dont l’objectif était de réduire le poids de la dette, qui devait selon les prévisions atteindre 198 % du produit intérieur brut en 2012, à 120,5 % avant 2020.

2.3Seuls les investisseurs institutionnels internationaux, qui détenaient la majeure partie de la dette grecque, ont pu participer aux négociations relatives aux conditions du plan de participation du secteur privé. Les auteurs, en tant que créanciers minoritaires, n’ont pas été invités à participer à ces négociations. Pendant les négociations, les créanciers majoritaires ont accepté une offre d’échanger les titres contre de nouvelles obligations dont la valeur nominale était inférieure de 53,5 % (par suite d’une « décote »). Ces nouvelles obligations ont été émises en leur fixant une échéance allant de onze à trente ans, et un rendement moyen inférieur. Cet échange d’obligations devait permettre à l’État grec d’annuler plusieurs milliards de dollars de sa dette.

2.4Le 23 février 2012, le Parlement grec a voté la loi de 2012 sur les porteurs d’obligations grecques, qui établissait un cadre juridique devant permettre la novation des « titres visés » (les obligations en question) selon des procédures particulières détaillées dans cette même loi. La loi prévoyait l’introduction et l’application de clauses d’action collective en vertu desquelles la novation des titres visés que proposait le Gouvernement serait considérée comme approuvée par les porteurs d’obligations : a) si les détenteurs d’au moins 50 % du montant total de l’encours du principal acceptaient la procédure de novation ; b) si au moins les deux tiers des porteurs d’obligations consentaient à la novation. Si l’offre était acceptée, tous les titres visés seraient automatiquement novés par l’émission de nouveaux titres et tout droit ou toute obligation découlant des anciens titres seraient éteints. La loi précisait en outre que ses dispositions, qui visaient à protéger l’intérêt général suprême, étaient d’application obligatoire et immédiate, et primaient tout texte législatif ou réglementaire ou tout accord contraires.

2.5Le 24 février 2012, conformément à la loi sur les porteurs d’obligations, il a été proposé aux auteurs, soit de remettre leurs obligations d’État en vue d’un échange, soit d’accepter la novation proposée de leurs titres obligataires. Les auteurs n’ont pas accédé à cette proposition. Or, aux termes des dispositions prévues par la loi, si la majorité requise des créanciers privés répondait favorablement à la proposition, le reste, minoritaire, des créanciers se verrait aussi appliquer celle-ci de manière non consentie. Le 9 mars 2012, le Gouvernement a annoncé que 85,8 % des détenteurs privés d’obligations régies par le droit grec avaient remis leurs obligations en vue d’un échange ou consenti à la novation. Ayant obtenu la majorité requise, le Gouvernement grec a pu faire jouer les clauses d’action collective de sorte que les obligations d’État grecques des auteurs ont été retirées du marché. Ainsi, les droits des auteurs concernant ces obligations se sont éteints, tandis qu’ils en recevaient de nouvelles dans le cadre d’un échange auquel ils n’avaient pas consenti. Par rapport à leurs anciens titres, les nouveaux comportent une échéance plus longue, et sont d’une valeur nominale très inférieure. À la date de la communication, l’échange d’obligations pourrait avoir représenté une perte économique équivalente à près de 70 % de la valeur de l’investissement de départ des auteurs.

2.6Les auteurs ne disposent d’aucun recours utile en Grèce. Invoquant les constatations du Comité dans l’affaire Länsman et consorts c. Finlande  , les auteurs considèrent ne pas être tenus d’épuiser les recours internes si, au regard de la jurisprudence de la plus haute juridiction nationale sur la question litigieuse, il est exclu qu’un recours devant les juridictions internes puisse connaître une issue favorable. À cet égard, les auteurs affirment que le 21 mars 2014, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative grecque, a rejeté une série de requêtes analogues émanant de porteurs d’obligations de nationalité grecque. Le Conseil d’État a estimé que les dispositions de la loi sur les porteurs d’obligations et la décision du Gouvernement de faire jouer les clauses d’action collective n’étaient pas contraires au principe constitutionnel d’égalité, ne portaient pas atteinte au droit de propriété, et n’outrepassaient pas l’interdiction de la discrimination énoncée dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

2.7Par ailleurs, d’après la jurisprudence du Comité, nul n’est tenu de contester la légalité d’une mesure si cette dernière est clairement autorisée par le droit interne. En l’espèce, la procédure d’action collective a été introduite rétroactivement par la loi de 2012 sur les porteurs d’obligations et a été applicable à toutes les obligations publiques régies par le droit grec, ce qui a permis à l’État partie d’imposer la novation proposée des titres visés si elle était approuvée par les deux tiers des porteurs d’obligations, et donc de l’imposer aussi à la minorité de porteurs d’obligations qui n’y avaient pas consenti. En outre, le Parlement grec a affirmé que le recours à la procédure d’action collective était nécessaire pour protéger l’intérêt général suprême et déclaré que les dispositions en cause primaient toute autre disposition contraire. L’introduction, à titre rétroactif, de la procédure d’action collective a été sciemment mise en œuvre comme une mesure dérogatoire, contraire aux droits des porteurs d’obligations. En outre, les auteurs ne disposent d’aucun recours utile en Italie, en raison du principe de l’immunité des États étrangers.

2.8Les auteurs ont porté la même affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déclaré leur requête irrecevable par une décision de juge unique sans énoncer de motifs précis d’irrecevabilité.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’en les contraignant à échanger leurs obligations d’État grecques contre des obligations de moindre valeur au titre de la procédure d’action collective prévue dans la loi de 2012 sur les porteurs d’obligations, l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 14, et des articles 4 et 26 du Pacte.

3.2En violation des droits qu’ils tiennent du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 14 du Pacte, les auteurs ne disposent d’aucun recours au sein du système juridique grec contre le non-respect des droits que leur reconnaît l’article 26, pour les raisons indiquées aux paragraphes 2.6 et 2.7 ci-dessus.

3.3L’État partie a aussi enfreint les droits reconnus aux auteurs par l’article 4 du Pacte en adoptant des mesures extraordinaires autorisant l’échange d’obligations, dérogeant ainsi aux obligations que lui confère le Pacte sans se conformer aux prescriptions édictées dans cet instrument. Une situation de crise économique ou d’instabilité financière grave n’a jamais justifié que l’on déroge à des obligations prévues par les instruments relatifs aux droits de l’homme. Il n’est pas certain que l’on puisse considérer qu’en adoptant des mesures d’échange d’obligations, l’État partie ait agi « dans la stricte mesure où la situation l’exige[ait] », au sens de l’article 4 du Pacte. En outre, l’État partie n’a pas pleinement informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des mesures dérogatoires contestées et des motifs de leur adoption.

3.4En violation de l’article26, l’État partie a appliqué aux auteurs un traitement défavorable par rapport à d’autres porteurs d’obligations d’État grecques, sans justification acceptable ni but légitime. En étant contraints à participer à un accord de restructuration de la dette selon des conditions très défavorables, les auteurs ont subi une forme de discrimination fondée sur la fortune à plusieurs égards. Tout d’abord, les auteurs ont été désavantagés par rapport aux « investisseurs officiels », parmi lesquels la Banque centrale européenne et les banques centrales d’autres pays, dont les avoirs en obligations n’ont fait l’objet d’aucun type de restructuration. En outre, en tant que créanciers privés détenant des obligations d’État grecques régies par le droit grec, les auteurs ont été défavorisés par rapport aux créanciers privés détenant des obligations d’État grecques régies par le droit d’autres pays. En effet, à la différence de ces derniers, les auteurs étaient assujettis à la loi de l’État partie sur les porteurs d’obligations, et à la procédure d’action collective de l’État partie.

3.5En outre, les auteurs ont été désavantagés par rapport à d’autres porteurs d’obligations d’État grecques, qui n’ont pas participé à l’échange d’obligations dans le cadre du plan de participation du secteur privé et ont pu ainsi récupérer intégralement leurs fonds après l’échange, sans perdre quoi que ce soit de la valeur nominale de leur investissement. À titre d’exemple, l’État partie aurait versé plus de 400 millions d’euros en mai 2012 à un fonds spéculatif, détenteur d’une part significative, d’environ 5 %, de la dette de l’État partie, et qui n’a pas été soumis à la restructuration. Qui plus est, d’autres porteurs d’obligations qui ont participé à l’échange ont bénéficié de conditions plus favorables. À titre d’exemple, les porteurs des États-Unis d’Amérique, au lieu de recevoir des titres du Fonds européen de stabilité financière à échéance d’un à deux ans, ont été remboursés en espèces à hauteur de 15 % de leur investissement.

3.6Enfin, lorsqu’elles ont procédé à l’échange, les autorités de l’État partie ont traité à l’identique des investisseurs dont la situation était foncièrement différente. Les auteurs ont reçu le même traitement que des investisseurs institutionnels privés (banques, fonds, compagnies d’assurance, etc.), en dépit du fait qu’il était facile à ces institutions de conserver les nouvelles obligations offertes en échange par l’État partie jusqu’à l’échéance, sans être forcées de les brader. Les investisseurs institutionnels privés ont tiré de l’accord de restructuration une position qui les a certainement avantagés car, tout en ayant participé à la négociation du plan de participation du secteur privé à l’échange d’obligations, ils ont continué d’acquérir des obligations d’État grecques auprès de petits porteurs à vil prix (environ 20 % de la valeur nominale des obligations). Ainsi, le traitement différencié des auteurs par rapport à d’autres porteurs d’obligations dont la situation était analogue, joint à l’absence de traitement différencié des auteurs par rapport à des porteurs d’obligations dont la situation était fondamentalement différente, est discriminatoire au sens de l’article 26 du Pacte.

3.7L’État partie n’a pas informé suffisamment les auteurs avant de faire jouer les clauses d’action collective. Cette mesure a trahi la confiance des auteurs, n’était pas prévisible, et les a privés de toute possibilité de s’abstenir de participer ou de vendre leurs obligations. Les auteurs doivent donc rester détenteurs des obligations jusqu’à ce qu’elles arrivent à échéance, même s’ils ne resteront peut-être pas assez longtemps en vie pour jouir du produit de leur investissement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations sur la recevabilité de la communication, datées du 8 février 2016, l’État donne des renseignements d’ordre général sur la crise financière mondiale de 2008, les obligations d’État grecques, les facteurs économiques qui ont amené la Grèce à procéder à l’échange d’obligations, les clauses d’action collective et la loi sur les porteurs d’obligations. En dépit de l’aide financière accordée par l’Union européenne et le FMI en mai 2010, la situation financière de la Grèce a continué de se dégrader cette année-là. En juin 2011, les ministres des finances des pays de la zone euro sont convenus de la nécessité de prendre de nouvelles mesures pour éviter la faillite de l’État grec, notamment de mobiliser des fonds supplémentaires auprès de sources publiques et privées, et d’assurer la participation du secteur privé. Le 26 octobre 2011, les chefs d’État de la zone euro se sont mis d’accord sur les modalités de la procédure de participation du secteur privé, procédure que l’État partie était tenu de mettre en œuvre pour pouvoir continuer de bénéficier de l’appui des États membres de la zone euro. L’accord prévoyait une annulation d’environ 50 % de la valeur totale des obligations détenues par les créanciers privés, mesure qui devait être appliquée début 2012. Le 21 février 2012, les ministres des finances des États de la zone euro ont annoncé une augmentation de l’enveloppe financière accordée à la Grèce et ont déclaré être parvenus à un accord avec le secteur privé sur les conditions générales du plan de participation du secteur privé, qui prévoyait une réduction de 53,5 % de la valeur nominale de la dette grecque. L’aide financière était subordonnée à la mise en œuvre de l’échange d’obligations. L’adoption de la loi sur les porteurs d’obligations grecques (no 4050/2012) et des textes y relatifs a autorisé la procédure d’action collective pour la restructuration de la dette publique, ainsi que la mise en œuvre de cette procédure. Ces textes législatifs ont prévu des mesures qui étaient légales, nécessaires et appropriées pour répondre à un impératif d’intérêt public d’une manière équitable et proportionnée.

4.2Les clauses d’action collective sont des conditions définies dans des lois ou des contrats en vue d’organiser les porteurs d’obligations et créanciers en un groupe dont les décisions sont fondées sur des intérêts collectifs plutôt qu’individuels. Les obligations d’État grecques, principal instrument d’emprunt de l’État, sont des titres de créance à long terme émis par l’État partie à échéance de plus d’un an. En vertu du paragraphe2 de l’article8 de la loi no 2198 de 1994, un porteur d’obligations ne peut opposer à l’État partie aucun droit sur une obligation émise par celui-ci, sauf dans le cas où l’État partie manque à son obligation de rembourser ce qui est dû à la Banque de Grèce à l’échéance. Cette exception ne s’applique pas au cas d’espèce. Les clauses d’action collective instituées en vertu de la loi sur les porteurs d’obligations grecques relevaient d’un processus volontaire de novation et d’échange de titres émis ou garantis par l’État. Ces clauses ont été appliquées, conformément à la loi, une fois satisfaites certaines conditions quant aux règles de participation, de quorum et de majorité qualifiée des porteurs d’obligations ayant donné leur consentement. On a cherché ainsi à ce que la dette grecque soit restructurée de manière uniforme et efficace à des niveaux viables, sur la base du principe de l’égalité de traitement des créanciers.

4.3Des renseignements sur le déroulement précis du plan de participation du secteur privé ont été publiés sur un site Web officiel, où les demandes de participation à l’opération et tous les autres documents utiles, dont le cadre législatif et les avis pertinents, ont été affichés. En outre, les établissements de crédit et autres dépositaires s’étaient engagés à informer leurs clients de la procédure, conformément aux principes généraux régissant la relation juridique de ces établissements avec leurs clients. Le taux élevé de participation à l’opération montre que les dépositaires mandatés par les investisseurs ont informé ces derniers de l’opération, comme il en était convenu entre eux.

4.4La communication est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif car les auteurs n’ont pas qualité de victimes, faute d’avoir montré qu’ils ont été personnellement et directement lésés par l’échange d’obligations non consenti en mars 2012. En particulier, ils n’ont pas établi qu’ils détenaient effectivement des titres visés par l’opération d’échange. Compte tenu de la nature juridique de ces titres et du fait qu’il s’agit de titres au porteur, dématérialisés et échangeables sur le marché secondaire, l’État partie ne sait pas, et ne peut pas savoir qui détient les titres qu’il émet et quelles transactions sont réalisées par chaque créancier. L’État partie n’est donc pas en mesure de déterminer quel est le détenteur final de chaque titre ; cette information est connue de l’établissement de crédit qui vend les titres, c’est-à-dire le dépositaire mandaté par chaque investisseur. Afin d’établir qu’ils étaient détenteurs de titres visés par l’opération à la date considérée, les auteurs doivent produire des certificats indiquant les caractéristiques exactes de leurs titres, à savoir le numéro international d’identification des valeurs mobilières, la date d’émission, le taux d’intérêt et le nombre de titres, et prouvant qu’ils en sont les détenteurs, par des renseignements tels que la date et le prix d’acquisition, et la teneur de tout ordre concernant leur participation ou leur non-participation à la procédure de vote. Du fait que tous les documents communiqués par les auteurs n’ont pas été traduits dans une des langues officielles de l’ONU, l’État partie n’est pas en mesure de déterminer si les auteurs ont acquis des droits sur les titres ayant fait l’objet de l’échange non consenti.

4.5La communication est également irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les auteurs n’ayant pas épuisé les recours internes. En particulier, les auteurs auraient pu former un recours en annulation des actes administratifs en cause devant le Conseil d’État (la haute juridiction administrative), mais ne l’ont pas fait. Toute personne a accepté la légalité de la procédure d’échange d’obligations dans la mesure où elle n’a pas formé le recours susdit (ou a laissé expirer le délai ménagé pour ce faire). Le Conseil d’État peut conclure au défaut de compétence, au non-respect d’une règle de procédure essentielle, à une infraction à la loi ou à un abus de pouvoir discrétionnaire. Toute requête devant le Conseil d’État est recevable si elle est introduite dans un délai de soixante jours à compter de la notification de l’acte au requérant, ou de sa publication, si la loi le prévoit, ou à défaut, de la date à laquelle le requérant a pris connaissance de l’acte. Ce délai est porté à quatre-vingt-dix jours si le requérant réside à l’étranger. En l’espèce, le délai a commencé à courir à compter du 9 mars 2012, date à laquelle la décision no 2/20964/0023A/9.3.2012 du Vice-Ministre des finances a été publiée au Journal officiel. Les médias, tant nationaux qu’internationaux, ont largement relayé le processus consistant à réduire la dette par l’échange d’obligations, et toutes les parties intéressées ont donc pu être immédiatement informées de la procédure. Dans un recours en annulation formé devant le Conseil d’État, le requérant peut dénoncer une violation de ses droits constitutionnels, ainsi que des droits que lui reconnaissent la Convention européenne des droits de l’homme ou le Pacte. Ainsi, il ne fait aucun doute qu’un recours en annulation constitue un recours utile. De fait, certains résidents étrangers ont formé des recours en annulation des décisions en cause devant le Conseil d’État dans les délais prescrits.

4.6En ne se prévalant pas de ce recours pour exposer les griefs qu’ils tiraient des dispositions du Pacte, les auteurs ont privé le Conseil d’État de la possibilité d’examiner les violations présumées. À l’expiration du délai de recours en annulation, le Conseil d’État n’avait jamais encore tranché la question litigieuse. Sa première décision sur la question est intervenue bien après l’expiration de ce délai. Dès lors, pendant la durée du délai de recours en annulation, les auteurs ont disposé d’un recours utile, et en ne l’utilisant pas, ils ont accepté la légalité de la procédure administrative d’échange d’obligations qu’ils contestent.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Dans des observations datées du 15 avril 2016, les auteurs contestent l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’opération de restructuration de la dette grecque du printemps 2012 a été un processus consenti. En réalité, une minorité de porteurs d’obligations a été contrainte d’adhérer à la décision qui avait été prise par la majorité. De plus, les clauses d’action collective ont seulement pris effet le 23 février 2012, et ont été appliquées rétroactivement en violation d’un contrat antérieur. Les auteurs n’ont jamais consenti à l’application de ces clauses, qui ont changé radicalement les conditions auxquelles ils avaient accepté d’investir dans les obligations.

5.2Les auteurs ont établi leur qualité de victimes, car ils ont été de fait personnellement et directement lésés par l’échange d’obligations non consenti. Les documents concernant l’un des auteurs ont été traduits en anglais et auraient dû être examinés par l’État partie. Bien que tous les documents n’aient pas été traduits en anglais, un relevé de compte bancaire pouvait être compris par l’État partie en faisant preuve de la diligence voulue. En tout état de cause, les auteurs ont demandé des documents supplémentaires auprès de leurs établissements de crédit. Ils produisent des documents traduits en anglais où figurent des renseignements détaillés sur les titres en question (date d’émission, nombre de titres, date et prix d’achat, etc.), qui montrent que les auteurs en étaient les détenteurs pendant la période considérée.

5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les auteurs notent que le Conseil d’État a déjà rejeté les recours en annulation introduits par nombre de personnes qui se trouvaient dans une situation analogue. Ce n’est donc pas un recours utile, car il n’offre pas de perspectives raisonnables d’obtenir réparation. En outre, selon la jurisprudence du Comité, il n’y a pas lieu d’épuiser les recours internes « s’il est exclu, au regard de la jurisprudence de la plus haute juridiction nationale sur la question litigieuse, qu’un recours devant les juridictions internes puisse connaître une issue favorable ». L’État partie ne conteste pas que la jurisprudence du Conseil d’État ne peut être contredite, et que toute requête de cet ordre serait vouée à l’échec. En outre, le Comité a estimé que lorsque la violation découle de l’application directe de la loi, « il serait futile de penser qu’un auteur engagerait des poursuites judiciaires à seule fin de confirmer le fait incontesté que la législation en question … s’applique[nt] effectivement à son cas ». Comme il ressort de la jurisprudence constante du Comité, nul n’est tenu de contester la légalité d’une mesure si cette dernière est clairement autorisée par le droit interne. En l’occurrence, l’application des clauses d’action collective a été clairement autorisée par la loi sur les porteurs d’obligations. Enfin, les auteurs ne pouvaient pas contester les violations de l’État partie devant les tribunaux grecs, car ils n’ont reçu aucune information sur l’échange d’obligations et ses conséquences. Ainsi, ils n’ont même pas bénéficié du délai de quinze jours accordé aux investisseurs nationaux pour répondre à la proposition de participation à l’échange d’obligations.

Observations de l’État partie quant au fond

6.1Dans ses observations quant au fond, datées du 8 juin 2016, l’État partie apporte des précisions sur le plan de participation du secteur privé, les trois phases de la restructuration de la dette, et l’échange d’obligations. Dans son arrêt no 1116/2014, le Conseil d’État a confirmé la légalité de l’échange d’obligations après examen en formation plénière des recours en annulation introduits par des porteurs d’obligations d’État grecques. Le Conseil d’État a estimé que l’échange d’obligations, qui a été prescrit par la loi et s’imposait pour des raisons d’intérêt général, n’était pas contestable en ce qu’il aurait été contraire au principe d’égalité et aux droits de propriété consacrés par la Constitution grecque et par la Convention européenne des droits de l’homme. Le non-respect du Pacte n’a pas été soulevé.

6.2La communication est mal fondée. Le grief tiré par les auteurs de l’article 26 du Pacte est sans fondement. La loi sur les détenteurs d’obligations a été motivée par l’intérêt général et été appliquée dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, c’est-à-dire la perspective d’un effondrement de l’économie nationale en raison d’un défaut de paiement. Il était manifeste que l’État partie serait dans l’incapacité de faire face, non seulement à ses obligations d’emprunt, mais aussi à ses besoins opérationnels élémentaires (en matière de traitements, de pensions, de soins de santé, de défense nationale, d’éducation, etc.). Faute de mesures immédiates et draconiennes pour réduire les obligations d’emprunt à court et à long terme de l’État partie, l’économie aurait été conduite à la faillite. Cela aurait exercé un effet de domino sur les autres pays de la zone euro.

6.3De par la nature et le fonctionnement des obligations, qui consistent en des titres dématérialisés et anonymes, qui sont négociés à tout moment sur le marché secondaire mondial, l’État partie ne connaît pas, et ne peut connaître l’identité des détenteurs des titres qu’il émet, ni les transactions effectuées par chacun. Les clauses d’action collective ont pour objet de permettre au débiteur en difficulté de s’entendre avec ses créanciers au sujet d’un plan de restructuration de la dette qui permette de gérer la dette restructurée et d’en assurer le service de façon viable. Des différends se produisent souvent entre créanciers quant aux modalités de restructuration de la dette. Quand certains refusent de participer aux plans de restructuration de la dette, ils reportent en substance sur les autres créanciers le coût et la charge de la consolidation de la dette et, mus par leur seul intérêt, rejettent la proposition du débiteur de préserver leurs créances initiales dans toute la mesure du possible. Dans le cas d’obligations négociées sur le marché qui présentent une forte dispersion parmi le public, le risque existe de provoquer l’annulation du plan de restructuration si l’unanimité des créanciers est considérée comme un préalable à tout accord de restructuration, ou si on limite l’accord aux seules parties qui l’ont accepté.

6.4L’application des clauses d’action collective n’a pas été contrainte mais consentie. Plus précisément, au lieu de récrire directement les conditions des obligations existantes, l’État partie a adopté une loi l’autorisant à obtenir le consentement des porteurs d’obligations pour modifier les obligations existantes. De nouvelles conditions n’ont pas été imposées aux porteurs d’obligations, pas plus qu’ils n’ont été contraints à un échange d’obligations. C’est bien plutôt une procédure collective qui est intervenue, par laquelle, moyennant un quorum déterminé et une majorité qualifiée, les obligations existantes pourraient être novées par l’émission de nouveaux titres. La novation et l’échange ont été consentis, et n’ont nécessité l’application rétroactive d’aucune loi, car ils n’étaient possibles que si les porteurs en décidaient ainsi. Dès lors que la procédure a été consentie, il n’y a donc pas eu violation de l’article 26 du Pacte.

6.5En outre, depuis le moment où la procédure d’échange a été annoncée jusqu’à son achèvement, aucun recours n’a été formé où que ce soit dans le monde pour tenter d’obtenir que le plan de participation du secteur privé soit suspendu. Cela montre que la procédure était la solution nécessaire et inévitable et la seule possible pour restructurer immédiatement la dette et empêcher la perte totale des fonds des investisseurs.

6.6Concernant le grief des auteurs selon lequel le caractère impersonnel de l’échange d’obligations a constitué un traitement discriminatoire, toute différenciation fondée sur un critère non objectif entre les investisseurs aurait violé le principe de l’égalité de traitement. Cela aurait aussi compromis la tentative de restructuration de la dette, car il était impossible d’anticiper les résultats des votes auxquels il devait être procédé pour tous les titres, dont une partie était constituée des titres visés par la loi sur les porteurs d’obligations. S’agissant du grief des auteurs selon lequel ils ont été défavorisés par rapport à d’autres investisseurs, la loi sur les porteurs d’obligations énonce des conséquences juridiques qui sont reliées seulement aux titres visés, quels qu’en soient les détenteurs (les « investisseurs »). Il existe donc dans la loi un critère objectif et non discriminatoire. Tous les investisseurs, quels que soient leur identité, leurs données personnelles ou leur statut, ont les mêmes droits sur les titres. Quiconque pouvait prétendre au bénéfice de la loi sur les porteurs d’obligations a été traité sur un pied d’égalité et a eu la possibilité de participer à l’échange d’obligations.

6.7L’État partie donne des précisions supplémentaires sur la procédure d’échange et conteste l’affirmation des auteurs selon laquelle des investisseurs institutionnels privés ont négocié la décote et les autres conditions du plan de participation du secteur privé. Il y a eu un débat informel entre le Gouvernement et le Comité des investisseurs privés créanciers (composé de 32 membres et d’un comité directeur composé de 13 créanciers majeurs), mais aucun engagement contraignant n’en est ressorti pour aucun des investisseurs. La décision des auteurs de conserver leurs titres a constitué un choix de placement. En tant que membres du groupe organisé des créanciers, ils ont eu la possibilité de faire connaître leur volonté devant l’instance officielle compétente. Pour ce qui est des allégations des auteurs selon lesquelles certains investisseurs, dont les banques centrales, ont bénéficié de conditions plus favorables, l’État partie cite une décision de 2015 du Tribunal de l’Union européenne selon laquelle les banques centrales de l’eurosystème, dont les décisions de placement sont prises exclusivement en fonction de l’intérêt général, ont une situation différente de celle des investisseurs privés, qui ont acheté des titres de créance grecs uniquement en fonction de leur intérêt propre, quelle qu’ait été la raison précise de leurs décisions de placement.

6.8L’État partie conteste les affirmations des auteurs concernant la perte économique qu’ils ont subie, et fait observer que le prix moyen des nouvelles obligations a presque triplé. Les auteurs auraient subi une perte totale si le plan de participation du secteur privé n’avait pas été mené à bien.

6.9Le grief tiré du paragraphe3 de l’article2, lu conjointement avec l’article14 du Pacte, est sans fondement. Le paragraphe3 de l’article2 n’impose pas aux États parties l’obligation d’accorder une forme particulière de recours. Le recours utile dont les auteurs pouvaient se prévaloir était le recours en annulation devant le Conseil d’État. Or, les auteurs n’ont pas utilisé ce recours, comme indiqué précédemment. L’État partie décrit en détail la procédure applicable au recours en annulation et maintient que celui-ci constitue un recours utile.

6.10De même, le grief tiré de l’article 4 du Pacte est mal fondé. L’État partie n’a dérogé à aucune de ses obligations au regard du Pacte, pour les raisons décrites précédemment. L’échange d’obligations a été une procédure consentie dont les motifs étaient objectifs et raisonnables et qui s’est imposée pour des raisons d’intérêt général.

6.11Dans d’autres observations, datées du 7 octobre 2016, l’État partie cite l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, en date du 21 juillet 2016, sur des affaires concernant l’échange d’obligations d’État grecques (Mamatas et autres c. Grèce  , requêtes nos 63066/14, 64297/14 et 66106/14). Dans cet arrêt, la Cour a estimé qu’en instituant le plan de participation du secteur privé, l’État partie n’avait pas violé l’article premier du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme (droit de toute personne au respect de ses biens), ni l’article 14 de la Convention (non-discrimination), lu conjointement avec l’article premier du Protocole no 1.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie quant au fond

7.1Dans des observations datées du 26 septembre 2016, les auteurs réaffirment qu’ils ont la qualité de victime et ont épuisé les recours internes aux fins de la recevabilité. Le respect de l’obligation d’épuiser les recours internes devrait être évalué lorsque le Comité examine la communication, et non au moment où la communication est soumise. Le Comité devrait tenir compte du fait que la crise de la dette grecque a touché 15 000 ménages en Grèce ainsi que des ressortissants étrangers, et qu’on ne pouvait raisonnablement astreindre chacun d’eux à contester l’échange d’obligations litigieux.

7.2Les auteurs réaffirment qu’ils n’ont jamais accepté les clauses d’action collective. Les titres qu’ils ont achetés étaient des obligations de droit grec qui excluaient l’application de clauses d’action collective. Les auteurs n’ont jamais été associés à la négociation des conditions de l’accord d’échange auquel ces clauses unilatérales se sont appliquées.

7.3En ce qui concerne l’article 26 du Pacte, l’État partie a agi de manière discriminatoire envers les auteurs par rapport à d’autres types d’investisseurs au début du processus de restructuration de la dette, quand il a choisi le mécanisme utilisé pour réaliser ce processus. Les États ont le choix d’un certain nombre de moyens de restructuration (parmi lesquels l’annulation de la dette, la renégociation bilatérale de la dette, la restructuration de la dette, et les offres d’échange aux détenteurs privés de titres). En l’espèce, l’État partie a fait le choix de restructurer la dette obligataire. C’était là le plus sûr moyen d’imposer unilatéralement une offre d’échange inéquitable. En outre, l’État partie a appliqué indûment un traitement discriminatoire aux auteurs par rapport à des « détenteurs d’obligations quasi souveraines » privilégiés (dont la Banque centrale européenne, les banques centrales nationales de la zone euro, et la Banque européenne d’investissement), qui étaient protégés du processus de restructuration de la dette. Immédiatement avant l’offre d’échange, les titres des détenteurs d’obligations quasi souveraines ont été échangés contre de nouvelles obligations de même valeur et d’échéance identique. Ces obligations ont ensuite été exemptées du plan de participation du secteur privé. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il était en fait possible d’exempter certains porteurs d’obligations de l’offre d’échange. De fait, le 15 mai 2012, l’État partie a versé 436 millions d’euros pour des titres qui n’avaient pas été renégociés et étaient arrivés à échéance. Tandis que la plupart des titres qui ont échappé à l’échange d’obligations appartenaient un fonds vautour établi aux îles Caïmanes, les petits investisseurs privés ont dû subir les lourdes conséquences des mesures d’austérité.

7.4En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 14 du Pacte, les auteurs contestent l’observation de l’État partie selon laquelle le recours en annulation devant le Conseil d’État constituait un recours utile pour contester l’application rétroactive des clauses de recours collectif. D’après le droit interne, les requérants étrangers doivent former le recours en annulation dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la publication du dernier acte qui a clos la procédure administrative litigieuse. Or, les auteurs n’ont pas été informés en temps utile des événements pertinents, qui se sont déroulés en l’espace de deux semaines seulement. En particulier, ils n’ont été aucunement informés de la proposition d’échange du 24 février 2012. Ce n’est qu’après que l’échange d’obligations ait eu lieu que, par hasard, les auteurs ont découvert que ceux de leurs titres qui étaient concernés avaient déjà été novés sans leur consentement. À ce moment, ils ont constaté une perte de 53 % du montant nominal de leurs titres, et estimé qu’il était trop tard pour contester la mesure en Grèce. En outre, il n’était jamais arrivé auparavant que l’on fasse jouer des clauses d’action collective à titre rétroactif et obligatoire, et les auteurs n’auraient pas pu prévoir cette éventualité. On ne peut donc pas leur reprocher de ne pas avoir exercé la diligence voulue en se prévalant rapidement des voies de recours internes, car ils ne se trouvaient pas dans une situation équitable pour ce qui est de l’accès aux tribunaux nationaux. Il n’est pas raisonnable de considérer que la procédure interne ordinaire était accessible et utile pour contester des mesures exceptionnelles qui ont été imposées unilatéralement sans préavis suffisant. Le Comité a considéré dans sa jurisprudence que lorsque la violation découle de l’application directe de la loi, il serait futile de penser qu’un auteur engagerait des poursuites judiciaires à seule fin de confirmer le fait incontesté que la législation en question s’applique effectivement à son cas. En réponse à l’observation de l’État partie concernant le fait que les auteurs n’ont pas porté plainte à l’étranger pour obtenir la suspension du plan de participation du secteur privé, les auteurs font valoir que le principe de l’immunité des États étrangers aurait empêché que l’État partie soit jugé par des juridictions étrangères.

7.5Si les auteurs reconnaissent que l’application de l’article 4 du Pacte n’est pas en cause dans la présente communication, ils estiment que l’État partie aurait dû demander à déroger aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, auxquelles il a manqué.

7.6Dans d’autres observations, datées du 4 novembre 2016, les auteurs contestent la pertinence de l’arrêt susmentionné de la Cour européenne des droits de l’homme (Mamatas et autres c. Grèce). La décision n’est pas opérante car : a) elle n’est pas définitive, puisqu’une demande de renvoi devant la Grande Chambre est en cours d’examen ; b) le litige porte sur les droits de propriété, aspect totalement absent dans la présente communication ; et c) la discrimination ne fait pas l’objet d’un droit autonome au regard de la Convention européenne des droits de l’homme mais est simplement rattachée aux droits et libertés prévus dans celle-ci ; elle y a donc une portée plus étroite qu’à l’article26 du Pacte. Dans l’arrêt en question, la Cour a refusé ouvertement d’examiner les différents cas de discrimination invoqués par les auteurs, et a fait valoir que les droits des requérants devaient être envisagés dans le contexte plus large du processus de restructuration de la dette publique de la Grèce. Cette contextualisation a conduit la Cour à garantir aux autorités grecques la plus vaste marge d’appréciation possible, au détriment des requérants. La Cour a estimé que les mesures prises par l’État partie étaient justifiées pour garantir le succès du plan de participation du secteur privé, et a prétendu que la situation ne soulevait aucune question de discrimination. En fait, l’État partie n’a même pas eu à appliquer un traitement discriminatoire aux investisseurs individuels qui n’ont pas consenti à l’échange d’obligations afin de garantir le succès du plan de participation du secteur privé. Même sans l’application des clauses d’action collective et l’imposition non consentie de l’échange d’obligations, le plan de participation du secteur privé aurait atteint son objectif de restructurer la dette de l’État partie. Le Gouvernement grec a déclaré publiquement qu’il aurait accepté de ne pas imposer l’échange d’obligations unilatéralement aux porteurs non consentants si 90 % de la valeur nominale totale de l’ensemble des obligations sélectionnées pour participer au plan avaient été échangés de plein gré. Dans ce contexte, il apparaît clairement que la décision d’appliquer les clauses d’action collective était arbitraire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que, d’après l’État partie, la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, les auteurs n’ayant pas saisi le Conseil d’État pour contester la légalité de la loi sur les porteurs d’obligations et de l’application des clauses d’action collective. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel le Conseil d’État peut, dans le cadre d’un tel recours, déterminer s’il y a eu violation des droits que le requérant tient du Pacte ou d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme. Il note en outre que, selon ce qu’affirme l’État partie, le Conseil d’État peut aussi déterminer, dans le cadre de la même procédure, si l’acte administratif en cause est contraire à des règles de procédure essentielles ou à la loi, ou s’il constitue un abus de pouvoir discrétionnaire.

8.4.Le Comité note que les auteurs affirment qu’ils ne disposaient, dans l’État partie, d’aucun recours utile qui leur aurait offert des perspectives raisonnables d’obtenir gain de cause et aurait abouti à la constatation d’une violation des droits qui leur sont garantis par le Pacte. Il prend aussi note de l’argument des auteurs selon lequel le Conseil d’État avait estimé, dans la décision rendue le 21 mars 2014 concernant des requêtes introduites par d’autres porteurs d’obligations, que les dispositions de la loi sur les porteurs d’obligations et la décision du Gouvernement grec de faire jouer les clauses d’action collective n’étaient pas contraires au principe constitutionnel d’égalité, ne portaient pas atteinte au droit de propriété et n’outrepassaient pas l’interdiction de la discrimination énoncée dans la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel ils n’ont pas été informés en temps utile au sujet de l’échange d’obligations. Il relève en outre que, selon les auteurs, l’application des clauses d’action collective était clairement autorisée par la loi sur les porteurs d’obligations, et qu’il aurait donc été vain d’en contester la légalité devant le Conseil d’État.

8.5Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que, bien qu’il ne soit pas obligatoire d’épuiser les recours internes si ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, les auteurs des communications doivent faire preuve de la diligence voulue pour exercer les voies de recours qui leur sont ouvertes et que de simples doutes ou supputations quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas un auteur de l’épuiser. Il rappelle également que, selon sa jurisprudence, les auteurs ne sont pas tenus d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif lorsqu’au regard de la jurisprudence de la plus haute juridiction nationale sur la question litigieuse, il est exclu qu’un recours devant les juridictions internes puisse connaître une issue favorable. Il fait observer qu’en l’espèce, les auteurs auraient pu former un recours en annulation devant le Conseil d’État, arguant d’une violation des droits que leur reconnaît le Pacte. Il note que la proposition de l’État partie et les conditions de participation au plan de participation du secteur privé avaient été rendues publiques dans un communiqué de presse publié par le Ministère des finances le 24 février 2012, et que des renseignements concernant l’opération avaient été publiés sur un site Web spécialement prévu à cet effet, tandis que les établissements de crédit s’étaient engagés à informer leurs clients de l’opération. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les médias, tant nationaux qu’internationaux, avaient largement relayé les informations concernant l’opération et l’échange d’obligations. Le Comité fait en outre observer qu’à l’expiration du délai de recours en annulation, le Conseil d’État n’avait jamais encore tranché la question litigieuse. De fait, le premier arrêt du Conseil d’État sur la question, comme le reconnaissent les auteurs, a été prononcé bien après ledit délai, le 21 mars 2014, soit deux ans après son expiration. Dans ces conditions, il estime qu’en ne formant pas de recours en annulation devant le Conseil d’État, les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes qui leur étaient ouverts. Il considère donc que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.6Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’examinera pas séparément les motifs de recevabilité énoncés à l’article premier du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.