Nations Unies

CCPR/C/125/D/2345/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 avril 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2345/2014 * , **

Communication présentée par :

M. M. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

7 février 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 11 février 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

14 mars 2019

Objet :

Expulsion vers l’Afghanistan

Question(s) de procédure :

Griefs insuffisamment étayés

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; non-refoulement ; protection des étrangers contre l’expulsion arbitraire ; droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial ; droit à la liberté de religion ou de conviction ; droit à une égale protection de la loi

Article(s) du Pacte :

6, 7, 13, 14, 18 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication est M. M., de nationalité afghane, né en 1993. Sa demande d’asile au Danemark a été rejetée et, lorsque la communication a été présentée au Comité, il se trouvait en détention en attendant d’être expulsé vers l’Afghanistan. L’auteur affirmait alors que le Danemark, en l’expulsant vers l’Afghanistan, violerait les droits qu’il tient des articles 6, 7, 14, 18 et 26 du Pacte. Dans un courrier ultérieur en date du 30 novembre 2015, il a été précisé au Comité que l’auteur alléguait une violation de l’article 13, et non plus de l’article 14, du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Lorsqu’il lui a soumis la communication le 7 février 2014, l’auteur a prié le Comité de demander à l’État partie, en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, de surseoir à son expulsion vers l’Afghanistan tant que sa communication serait à l’examen. Le 11 février 2014, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas présenter de demande de cette nature à l’État partie. L’auteur a été renvoyé en Afghanistan le 10 février 2014.

Exposé des faits

2.1L’auteur, d’origine ethnique hazara et de confession chiite, vient de Mazar-e-Sharif, en Afghanistan, où il vivait avec ses parents et sa sœur. Sa mère est décédée lorsqu’il avait environ 9 ans puis, lorsqu’il avait une dizaine d’années, son père a été enlevé par les Taliban. L’auteur et sa sœur sont ensuite allés vivre chez leur oncle maternel à Mazar‑e‑Sharif, où il est resté environ deux mois avant de s’enfuir à Kaboul. L’auteur a été scolarisé pendant quelques années et a ensuite travaillé comme tailleur et comme apprenti charpentier à Kaboul. Il ne faisait partie d’aucune association ou organisation politique ou religieuse et n’avait aucune activité politique. À une date non précisée, l’auteur a quitté l’Afghanistan dans l’intention de demander l’asile en Suède parce qu’il voulait avoir « une vie paisible et une éducation ».

2.2L’auteur est entré au Danemark le 5 février 2011 sans documents de voyage valides. Le jour même, il a été arrêté par la police danoise pour séjour irrégulier et a demandé l’asile. Comme premier motif d’asile, l’auteur a fait valoir sa peur des réactions de son oncle maternel et de l’épouse de celui-ci s’il rentrait en Afghanistan parce que, à une date non précisée, six ans au moins avant son arrivée au Danemark, il avait apparemment frappé leur fils et lui avait jeté une pierre à la tête. Le 27 mai 2011, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile présentée par l’auteur au titre de l’article 7 de la loi relative aux étrangers.

2.3En vue de préparer l’exposé de son conseil, le 11 janvier 2012, à l’audience devant la Commission de recours des réfugiés, l’auteur lui a dit qu’il avait été réduit à la condition d’esclave et de « dancing boy » à Kaboul, d’abord − pendant deux à trois mois − par A. S., un frère de son employeur, puis − pour à peu près la même durée − par A. N., qui était proxénète. Dans ce contexte, l’auteur a affirmé avoir été retenu en captivité et contraint de prendre part à des activités sexuelles sur ordre de A. S. puis de A. N., jusqu’à ce qu’il réussisse à s’échapper après avoir frappé A. N. à la gorge avec un couteau. Un autre « dancing boy », qui avait été transféré du domicile de A. S. à celui de A. N. en même temps que l’auteur, a apparemment assisté à une rixe entre celui-ci et A. N.

2.4Le 16 janvier 2012, la Commission de recours des réfugiés a confirmé le refus du Service danois de l’immigration d’accorder l’asile à l’auteur. Elle a considéré comme établisles faits relatés dans les déclarations initiales de l’auteur au Service danois de l’immigration (voir supra, par. 2.2), mais a estimé que ce motif ne pouvait justifier l’octroi de l’asile ou d’une protection sur le fondement de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. Elle n’a pas admis la véracité des déclarations de l’auteur concernant le motif d’asile invoqué au cours de l’audience devant elle, à savoir qu’il avait été un « dancing boy » à Kaboul. La Commission a donc conclu que l’auteur n’avait pas étayé les motifs de sa demande d’asile et n’a pas ajouté foi à ses déclarations. En outre, elle a estimé que l’auteur avait apporté des réponses désinvoltes, évasives et vagues − à des questions même simples et élémentaires − pendant l’audience devant elle. Elle a relevé à cet égard qu’il paraissait peu probable que l’auteur ait été maintenu pendant plusieurs mois dans une sorte de captivité avec un autre garçon sans rien connaître de celui-ci, notamment son appartenance ethnique, tout comme il paraissait peu probable que l’auteur ait été incapable de se libérer de ses séjours involontaires chez A. S. et A. N., respectivement. Par conséquent, la Commission a conclu que cette déclaration semblait avoir été inventée pour l’occasion.

2.5La Commission a donc conclu que l’auteur ne courrait personnellement aucun risque particulier d’être victime de persécution relevant du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, ni aucun risque réel d’encourir la peine de mort ou d’être soumis à la torture ou à une peine ou un traitement inhumain ou dégradant relevant du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers en cas de renvoi en Afghanistan.

2.6Par lettres reçues le 13 et le 27 août 2012, l’auteur a demandé à la Commission de rouvrir la procédure d’asile le concernant. Dans sa lettre reçue le 13 août 2012, il mentionnait le conflit avec son oncle maternel résultant du coup porté au fils de celui-ci. Il a de nouveau donné des détails de son séjour à Kaboul en tant que « dancing boy » avec A. S. et A. N. respectivement et a expliqué, à propos de sa fuite de chez A. N., qu’il n’avait cessé de rechercher un moyen de s’enfuir, mais sans succès. Après avoir poignardé A. N. à la gorge et s’être enfui par la porte ouverte, il avait décidé de quitter l’Afghanistan car A. N., un homme puissant qui possédait des armes, aurait pu facilement le tuer. Dans la lettre reçue par la Commission le 27 août, il réitérait sa demande de réouverture de son dossier en précisant que, s’il n’avait pas dit au cours de son premier entretien qu’il avait été un « dancing boy », c’était pour des raisons culturelles et parce qu’il ressentait de la honte.

2.7Le 31 juillet 2013, l’auteur a présenté une demande au Service danois de l’immigration aux fins de l’obtention d’une aide financière dans le cadre d’un retour volontaire assisté dans son pays d’origine. Le même jour, il a signé une déclaration par laquelle il renonçait à sa demande d’asile, y compris à sa demande de réouverture de la procédure par la Commission. Le 7 août 2013, le Service danois de l’immigration a approuvé la demande d’aide financière dans le cadre d’un retour volontaire assisté.

2.8Dans une lettre reçue par la Commission le 8 août 2013, l’auteur, revenant sur cette renonciation, a de nouveau sollicité la réouverture de la procédure d’asile. Selon lui, la police l’avait forcé à confirmer par sa signature sa volonté de quitter volontairement le Danemark. L’auteur ajoutait que son retour en Afghanistan serait dangereux pour lui et qu’il ne pourrait pas survivre dans ce pays. Il assurait que l’un de ses amis proches, qui avait séjourné dans le même centre pour demandeurs d’asile que lui et était retourné à Kaboul environ deux mois auparavant, avait pris contact avec lui le 6 août 2013 et lui avait dit que sa vie était menacée à cause de l’auteur. Cet ami affirmait avoir été enlevé par trois individus qui l’avaient torturé pendant vingt-quatre heures et avaient obtenu tous les renseignements qu’ils pouvaient à propos de l’auteur, et que les ennemis de l’auteur étaient à la poursuite de celui-ci. Il lui avait aussi dit que ces individus avaient pu le retrouver ainsi que l’auteur via Facebook et que l’auteur avait commis une erreur en utilisant sur Facebook son véritable nom, révélant ainsi où se trouvait son ami.

2.9Le 14 août 2013, le Service danois de l’immigration a été informé par la Commission de recours des réfugiés que l’auteur avait présenté une demande de réouverture de la procédure d’asile le concernant. Dans une lettre du 14 août 2013, il a prié l’auteur de lui présenter ses observations éventuelles à ce sujet et lui a fait savoir qu’il déduisait de cette demande que l’auteur n’entendait plus coopérer à son départ. Le Service danois de l’immigration n’a reçu aucune réponse de l’auteur.

2.10Le 27 septembre 2013, la Division des étrangers de la Police nationale a informé la Commission que l’auteur ne s’était pas présenté le 26 août 2013 pour son retour volontaire assisté en Afghanistan organisé par l’Organisation internationale pour les migrations et que le même jour, il n’était pas rentré au centre pour demandeurs d’asile où il vivait. Le 30 août 2013, le Service danois de l’immigration a annulé son approbation de la demande d’aide financière faite par l’auteur dans le cadre d’un retour volontaire assisté.

2.11Le 1er novembre 2013, la Commission a refusé d’examiner la demande de l’auteur aux fins de réouverture de la procédure d’asile en application du paragraphe 8 de l’article 33 de la loi relative aux étrangers parce que l’auteur ne s’était pas présenté.

2.12Dans une lettre en date du 11 décembre 2013, le Conseil danois pour les réfugiés a demandé à la Commission de rouvrir le dossier de demande d’asile de l’auteur, en évoquant la conversion de l’auteur au christianisme après le rejet de son recours par la Commission. Il expliquait que, lorsqu’il avait reçu l’auteur le 10 décembre 2013, celui-ci avait affirmé avoir constaté que la culture chrétienne au Danemark était très différente de la culture islamique en Afghanistan. Il avait ajouté que son intérêt pour le christianisme s’était développé pendant son séjour en Turquie où son ami avait une bible. Cet ami lui avait parlé du christianisme et avait répondu à ses questions sur ce sujet, et lui avait également dit s’être lui-même converti au christianisme. L’auteur avait commencé à fréquenter l’église six mois après son arrivée au Danemark. En juin 2013, il avait commencé à assister régulièrement aux services religieux de l’église évangélique libre à Kronborgvejens, et il avait été baptisé dans cette église le 13 octobre 2013. Il ajoutait qu’il se rendait désormais tous les dimanches à l’église, qu’il priait seul ou avec des amis et qu’il disait la bible quotidiennement en farsi. Il expliquait qu’il craignait d’être tué à son retour en Afghanistan en raison de sa conversion au christianisme. Selon ses dires, lui-même et son ami avaient été harcelés dans le centre pour demandeurs d’asile en raison de leurs convictions religieuses et avaient été traités d’infidèles par d’autres demandeurs d’asile. Au centre pour demandeurs d’asile, l’auteur avait aussi subi des violences physiques de la part d’un Tchétchène et d’un Afghan.

2.13Un certificat de baptême et une note établie par un pasteur de l’église de Kronborgvejens étaient joints à la lettre du Conseil danois pour les réfugiés demandant la réouverture du dossier de demande d’asile de l’auteur. Le Conseil était d’avis que l’auteur remplissait les conditions requises pour obtenir un permis de séjour au titre du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. À ce propos, il renvoyait à de précédentes décisions de la Commission concernant des Afghans convertis au christianisme et soutenait que, même s’il n’était pas établi que les autorités afghanes aient ou non eu connaissance de la conversion de l’auteur, l’on ne pouvait exclure le risque que ces autorités en soient informées en cas de renvoi de l’auteur en Afghanistan. Selon le Conseil, il serait difficile à l’auteur, après sa conversion, de dissimuler sa nouvelle appartenance religieuse s’il était renvoyé en Afghanistan. En outre, son comportement attirerait d’autant plus l’attention de la population locale qu’il reviendrait d’un pays européen, de sorte que même le plus petit écart par rapport aux normes et principes religieux mettrait l’auteur dans une situation particulièrement vulnérable. Le Conseil ajoutait que, selon de précédentes décisions rendues par la Commission dans des affaires concernant des convertis au christianisme, il ne pouvait être demandé à l’auteur de dissimuler ses convictions religieuses pour éviter tout problème dans son pays d’origine.

2.14Dans sa décision du 6 février 2014, la Commission de recours des réfugiés a déclaré qu’au vu de ces éléments, il n’existait à son avis aucun motif de réouverture du dossier, ni aucun motif de prolongation du délai fixé pour le départ de l’auteur, étant donné qu’elle n’avait été saisie d’aucune nouvelle information ou opinion par rapport aux renseignements présentés au cours de la première audience devant elle.

2.15La Commission a également estimé qu’en cas de renvoi en Afghanistan, l’auteur ne courrait aucun risque de persécution relevant du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers en raison de sa conversion, parce qu’elle ne pouvait considérer comme établi qu’il s’était sincèrement converti. Elle soulignait à cet égard que, pendant la procédure d’asile initiale, l’auteur n’avait pas révélé son intérêt pour le christianisme − lequel, d’après sa demande de réouverture du dossier, était déjà apparu lors de son séjour en Turquie avant son entrée au Danemark − que ce soit à la police, au Service danois de l’immigration, à son conseil ou à la Commission. Pour évaluer les renseignements relatifs à la conversion de l’auteur, la Commission a aussi tenu compte du fait, comme il ressort des attendus de sa décision du 16 janvier 2012, que pendant la procédure d’asile, l’auteur avait tenu des propos embrouillés et incohérents quant aux motifs de sa demande d’asile et avait apporté des réponses désinvoltes, évasives et vagues à des questions même simples et élémentaires. La Commission a aussi relevé que l’auteur n’avait pas non plus signalé son intérêt pour le christianisme dans ses demandes de réouverture de la procédure qu’elle avait reçues le 13 août 2012 et le 8 août 2013.

2.16Après avoir évalué l’ensemble des éléments, la Commission a conclu qu’il n’avait pas été démontré que l’auteur courrait un risque de persécution justifiant l’octroi de l’asile au titre du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, encourrait la peine de mort ou risquait d’être soumis à la torture ou à une peine ou un traitement inhumain ou dégradant relevant du paragraphe 2 de l’article 7 de cette loi s’il était renvoyé en Afghanistan.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que son expulsion du Danemark vers l’Afghanistan constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 6, 7, 14, 18 et 26 du Pacte. À ce propos, il fait notamment valoir que, s’il n’a rien dit de sa foi chrétienne au cours de la procédure d’asile initiale, c’est parce qu’il n’était pas chrétien à l’époque, qu’il a produit un certificat de baptême comme preuve de sa conversion au christianisme, que la Commission devrait évaluer la sincérité de sa conversion et que l’argument relatif à son absence de crédibilité pendant la procédure d’asile initiale ne peut pas être appliqué à sa conversion comme motif d’asile.

3.2À l’appui de sa communication, l’auteur se réfère aux Principes directeurs relatifs à l’éligibilité dans le cadre de l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile afghans, publiés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) le 6 août 2013. Selon ces Principes, peuvent avoir besoin d’une protection internationale, notamment : les individus liés ou considérés comme étant favorables au Gouvernement afghan et à la communauté internationale, y compris les forces militaires internationales ; les hommes et les garçons en âge de se battre ; les individus dont le comportement est jugé contraire aux préceptes, normes et valeurs de l’islam tels qu’ils sont interprétés par les Taliban ; et les membres des groupes ethniques (minoritaires). L’auteur explique que, du fait qu’il est parti en Europe, il lui serait certainement reproché, s’il était renvoyé en Afghanistan, d’avoir agi contrairement aux règles de l’islam et d’être favorable au Gouvernement et/ou à la communauté internationale. De plus, l’auteur s’est converti au christianisme. Il fait en outre valoir que, compte tenu de son âge, il risque d’être contraint de combattre soit pour le Gouvernement, soit pour les Taliban, et qu’il risque en outre de subir des violences sexuelles. Il ajoute qu’il ne peut pas demander la protection de sa famille, et qu’il appartient à un groupe ethnique minoritaire, les Hazaras de Mazar-e-Sharif.

3.3L’auteur affirme aussi que, conformément aux Principes directeurs du HCR relatifs à l’éligibilité et contrairement à l’évaluation faite par la Commission dans ses décisions du 16 janvier 2012 et du 6 février 2014, il a besoin d’une protection internationale en tant qu’homme jeune d’origine ethnique hazara venant de Mazar-e-Sharif. Les Principes directeurs du HCR relatifs à l’éligibilité établissent en outre clairement que de nombreux facteurs doivent être pris en considération dans l’évaluation d’une possibilité de fuite ou de réinstallation interne en Afghanistan. À cet égard, l’auteur dit que le fait que la Commission n’a pas pris ces facteurs en considération lorsqu’elle a rendu ses décisions du 16 janvier 2012 et du 6 février 2014 et a confirmé la décision initiale, obligeant l’auteur à quitter le Danemark, constitue une violation des articles 6 et 7 du Pacte.

3.4L’auteur soutient en outre que les droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte ont été violés parce qu’il n’a pas eu la possibilité de saisir un organe juridictionnel d’un recours contre une décision rendue par la Commission sur sa demande d’asile dans le cadre de la procédure administrative (CERD/C/DEN/CO/17, par. 13). Il estime aussi que cette procédure est discriminatoire au regard de l’article 26 du Pacte car la législation de l’État partie permet de contester devant les tribunaux ordinaires les décisions d’un grand nombre de commissions administratives ayant la même composition que la Commission de recours des réfugiés. L’auteur fait en outre valoir que le nouveau motif d’asile qu’il a soulevé et qui est apparu « sur place », à savoir sa conversion au christianisme pendant qu’il se trouvait au Danemark, n’a été examiné et rejeté que par une personne appartenant au secrétariat de la Commission, avec l’approbation du président de celle-ci. Ce n’est donc pas la Commission elle-même qui a décidé de rejeter la demande présentée par le Conseil danois pour les réfugiés aux fins de rouvrir la procédure d’asile concernant l’auteur.

3.5L’auteur affirme aussi que, bien que le Conseil danois pour les réfugiés ait plusieurs fois demandé qu’une décision soit prise rapidement parce que le renvoi de l’auteur était imminent, la Commission n’a rendu sa décision que peu de temps avant son renvoi de force. Il fait référence à des décisions antérieures du Comité à ce sujet.

3.6Dans son courrier ultérieur en date du 30 novembre 2015, le conseil a informé le Comité que l’auteur alléguait une violation de l’article 13, et non plus de l’article 14, du Pacte. Il faisait valoir en particulier que le risque que l’auteur courrait d’être persécuté et de subir un préjudice irréparable à son retour en Afghanistan n’avait pas été évalué conformément aux garanties de procédure prévues par cet article, puisque l’intéressé n’avait pas pu faire appel des décisions de la Commission auprès d’un organe juridictionnel.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 11 août 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2Après avoir rappelé les faits sur lesquels repose la présente communication ainsi que les griefs de l’auteur, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable. Pour le cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie dit qu’aucune des dispositions du Pacte ne serait violée si l’auteur était expulsé vers l’Afghanistan.

4.3L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission, qu’il considère comme un organe indépendant et quasi judiciaire, ainsi que le fondement juridique de ses décisions.

4.4Quant à la recevabilité de la communication, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas montré à première vue, aux fins de la recevabilité, l’existence d’une violation des articles 6 et 7 du Pacte car il n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire que sa vie serait en danger ou qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Afghanistan. La communication est donc manifestement mal fondée et devrait être déclarée irrecevable.

4.5L’État partie rappelle que l’article 14 du Pacte énonce le principe d’une procédure régulière, notamment le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Il ressort de la jurisprudence du Comité que les procédures d’expulsion des étrangers n’impliquent pas de décision sur des « droits et obligations de caractère civil » au sens du paragraphe 1 de l’article 14, mais qu’elles relèvent de l’article 13 du Pacte. Dans ces conditions, l’État partie affirme que la procédure d’asile ne relève pas de l’article 14 du Pacte, et que cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.6Sur le fond, l’État partie dit que l’auteur n’a pas suffisamment établi que son renvoi en Afghanistan constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Il rappelle à cet égard que ses obligations au titre des articles 6 et 7 du Pacte trouvent leur expression au paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, qui dispose qu’un étranger se voit délivrer un permis de séjour, à sa demande, s’il encourt la peine de mort ou risque d’être soumis à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant en cas de renvoi dans son pays d’origine.

4.7En ce qui concerne l’appréciation de la crédibilité de l’auteur, l’État partie renvoie aux conclusions adoptées par la Commission dans sa décision du 16 janvier 2012 (voir supra, par. 2.4 et 2.5). Il dit que la Commission a rendu sa décision au regard des paragraphes 1 et 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers en se fondant sur une appréciation spécifique et personnalisée des motifs avancés par l’auteur à l’appui de sa demande d’asile, à la lumière des informations relatives à la situation générale en Afghanistan et des circonstances propres au dossier. Il n’y a donc aucune raison de contester l’évaluation de la Commission, qui a considéré que l’auteur n’avait pas étayé les motifs de sa demande d’asile et que le motif qu’il y avait ajouté, à savoir le fait qu’il avait été un « dancing boy » à Kaboul, avait été inventé pour l’occasion.

4.8L’État partie relève à cet égard que ce n’est qu’à l’occasion de la rencontre avec son conseil en vue de l’établissement de l’exposé que celui-ci devait présenter le 11 janvier 2012 que l’auteur, après s’être entretenu avec le personnel du centre d’accueil des demandeurs d’asile, a dit qu’il aurait été retenu captif en tant que « dancing boy » par deux personnes différentes pendant quatre mois. La déclaration correspondante a donc été formulée par l’auteur un an après son arrivée au Danemark et alors qu’il avait eu trois occasions d’établir les motifs de sa demande d’asile, tout d’abord devant la police au moment de son entrée sur le territoire, ensuite pendant l’entretien en vue de l’enregistrement de sa demande d’asile, et enfin au cours de l’interrogatoire conduit par le Service danois de l’immigration. L’auteur avait aussi eu la possibilité de faire valoir ces motifs dans le formulaire de sa demande d’asile. De plus, au cours de l’entretien mené par le Service danois de l’immigration le 11 mai 2011, l’auteur, répondant à une question qui lui était directement posée, a dit qu’il n’avait pas eu d’autres conflits avant son départ que ceux qu’il avait déjà mentionnés.

4.9L’État partie fait de plus observer que l’auteur, qui n’est pas analphabète et qui a été scolarisé pendant quelques années, aurait dû être à même d’apporter des réponses précises et spécifiques aux questions simples et claires qui lui étaient posées, s’il s’était lui-même trouvé dans les situations servant de motifs à sa demande d’asile. En outre, les raisons données par l’auteur pour expliquer que ses allégations aient été produites à un stade aussi tardif de la procédure d’asile sont incohérentes. Selon l’exposé du conseil en date du 11 janvier 2012, l’auteur a fait état du nouveau motif avancé à l’appui de sa demande d’asile après s’être entretenu avec un employé du centre d’accueil des demandeurs d’asile alors que, au cours de son audition par la Commission le 16 janvier 2012, l’auteur a déclaré qu’il en avait parlé à un médecin.

4.10En ce qui concerne la référence aux Principes directeurs du HCR relatifs à l’éligibilité (voir supra, par. 3.2), l’État partie affirme que le fait que l’auteur soit un homme jeune d’origine ethnique hazara ne saurait à lui seul justifier l’octroi de l’asile. Il souligne en outre que, d’après le rapport du Service danois de l’immigration, rien n’indique que les Taliban, qui peuvent compter sur l’engagement de nombreux volontaires, recrutent de force des jeunes gens. Il est de même peu probable que les Taliban cherchent à recruter de force des personnes d’origine hazara, étant donné que ces deux groupes se méfient l’un de l’autre et que les Taliban ne feront donc pas confiance aux Hazaras comme soldats. L’État partie affirme par conséquent que l’auteur n’a pas étayé l’allégation indiquant que les Taliban chercheront à le recruter de force à son retour en Afghanistan. De plus, l’auteur est un jeune célibataire en âge de travailler et en bonne santé. Il a lui-même déclaré au cours de son audition par le Service danois de l’immigration le 11 mai 2011 qu’il n’était pas engagé politiquement et qu’il n’avait jamais eu de problèmes avec les autorités afghanes. L’État partie fait d’ailleurs observer que l’auteur n’a jamais mentionné son appartenance ethnique comme un motif d’asile pendant la procédure d’asile au Danemark.

4.11L’État partie fait en outre observer que, l’auteur ne s’étant apparemment pas singularisé d’une quelconque manière, rien ne justifie une révision de l’appréciation de la Commission, à savoir que l’auteur ne courrait personnellement aucun risque spécifique, en raison de son âge ou de son appartenance ethnique, d’être persécuté ou d’être soumis à la peine de mort ou à la torture ou à une peine ou un traitement inhumain ou dégradant relevant des paragraphes 1 ou 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, de la part des autorités afghanes, des Taliban ou d’autres individus en Afghanistan.

4.12Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que rien ne permet de remettre en cause, encore moins de rejeter, l’appréciation faite par la Commission dans ses décisions du 16 janvier 2012 et du 6 février 2014, à savoir que l’auteur n’a pas prouvé que son renvoi en Afghanistan l’exposerait au risque de subir des persécutions ou des violences justifiant l’octroi de l’asile. Par conséquent, le renvoi de l’auteur ne constituerait pas une violation de l’article 6 ou de l’article 7 du Pacte.

4.13En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur, selon qui la Commission ne s’est pas prononcée sur les possibilités de fuite interne (voir supra, par. 3.3), l’État partie fait observer que cette question n’est pas pertinente car la Commission, dans les deux décisions qu’elle a rendues en l’espèce, a estimé − et elle continue d’estimer − que l’auteur ne courrait personnellement aucun risque particulier, à son retour en Afghanistan, de subir des persécutions ou des violences justifiant l’asile comme le prévoient les paragraphes 1 ou 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers.

4.14Pour ce qui est du risque que sa conversion au christianisme ferait courir à l’auteur à son retour en Afghanistan (voir supra, par. 3.1), l’État partie souligne que, bien que l’on ne puisse exiger de l’auteur qu’il dissimule ou garde secrètes ses convictions religieuses afin d’éviter que celles-ci ne lui causent des problèmes dans son pays d’origine, il reste essentiel, s’agissant de l’octroi ou du refus de l’asile à l’auteur, de déterminer si celui-ci peut à juste titre craindre d’être victime de persécution de la part des autorités ou de certains individus en Afghanistan, en raison de ses convictions religieuses.

4.15L’État partie soutient à cet égard que la Commission, lorsqu’elle a refusé le 6 février 2014 de rouvrir le dossier de l’auteur, a tenu compte du fait que celui-ci n’avait à aucun moment durant la procédure d’asile initiale fait part de son intérêt pour le christianisme (voir supra, par. 2.15). Il ressort en outre de la demande de réouverture du dossier que l’auteur avait commencé à fréquenter l’église au Danemark six mois après son arrivée dans le pays et plus de six mois avant l’audience devant la Commission le 16 janvier 2012, durant laquelle l’auteur s’est exprimé avec l’aide d’un conseil et d’un interprète. De plus, il semble ressortir de la note établie par le pasteur de l’église de Kronborgvejens que l’auteur assistait régulièrement aux services religieux depuis 2013.

4.16L’État partie soutient qu’il résulte de l’article 40 de la loi relative aux étrangers que les demandeurs d’asile doivent étayer les motifs qu’ils avancent à l’appui de leur demande. Il s’ensuit que chaque demandeur d’asile a l’obligation de fournir des renseignements sur toutes les questions pertinentes au regard de la législation relative à l’asile, comme un intérêt pour le christianisme conduisant à fréquenter une église. On peut supposer que chacun sait, parmi les avocats danois spécialisés dans les questions d’immigration et les demandeurs d’asile en particulier, que la conversion de l’islam au christianisme est un motif valable et pertinent pour solliciter l’asile. De plus, l’auteur a été interrogé à propos de son appartenance religieuse en plusieurs occasions au cours de l’examen de sa demande d’asile au Danemark et a déclaré à chaque fois qu’il était musulman. On lui a aussi dit plusieurs fois qu’il était important qu’il donne tous les renseignements susceptibles d’éclairer la décision à prendre sur sa demande d’asile.

4.17L’État partie fait observer à ce sujet que l’auteur a estimé opportun de révéler qu’il avait été un « dancing boy » à Kaboul, en tant que deuxième motif d’asile, au cours de son audition par la Commission le 16janvier 2012, ce qui tend à prouver qu’il savait bien qu’il était important de communiquer toutes les informations utiles au regard de la législation sur l’asile. L’auteur avait donc l’occasion de parler de son intérêt pour le christianisme et de son éloignement de l’islam au cours de son audition par la Commission, mais il a choisi de ne pas le faire.Ce n’est qu’au milieu du mois de décembre 2013 − alors que son renvoi était imminent − que l’auteur a révélé à la Commission qu’il s’était converti au christianisme. L’État partie souligne donc qu’il n’a pas été expliqué pourquoi l’auteur n’avait choisi de révéler sa foi chrétienne que près de deux ans après la décision rendue par la Commission dans le cadre de la demande d’asile initiale.

4.18L’État partie estime que les explications fournies par l’auteur dans la lettre initiale qu’il a adressée au Comité le 7 février 2014, à savoir que, s’il n’avait rien dit de sa foi chrétienne au cours de l’examen initial de sa demande d’asile, c’était parce qu’à cette époque il n’était pas chrétien, sont d’autant moins crédibles que l’auteur lui-même a affirmé, selon les éléments du dossier, qu’il s’était déjà intéressé au christianisme alors qu’il était en Turquie et qu’il avait commencé à fréquenter l’église un an avant l’audience devant la Commission le 16 janvier 2012. En outre, dans les lettres par lesquelles il sollicitait la réouverture de son dossier d’asile, reçues par la Commission les 13 et 27 août 2012 et le 8 août 2013, l’auteur n’a pas révélé son appartenance à la religion chrétienne alors que, selon ses dires ultérieurs, il fréquentait déjà l’église régulièrement à l’époque où il a adressé la dernière lettre.

4.19Compte tenu de ce qui précède, l’État partie ne voit aucune raison de revenir sur l’appréciation de la Commission, qui a estimé que la conversion de l’auteur au christianisme n’était pas sincère. Il soutient par conséquent qu’aucun motif ne permet de conclure que le renvoi de l’auteur en Afghanistan emporterait une violation de l’article 18 du Pacte.

4.20Quant aux griefs que l’auteur tire des articles 14 et 26 du Pacte (voir supra, par. 3.4), l’État partie affirme qu’il résulte de l’article 48 du règlement intérieur de la Commission de recours des réfugiés que c’est le président de la formation chargée d’examiner l’affaire, un juge, qui se prononce sur la question de la réouverture du dossier d’asile lorsque, compte tenu des éléments exposés dans la demande de réouverture, rien ne permet de supposer que la Commission modifiera sa décision. La décision pertinente a donc été approuvée par le président de la formation de la Commission qui avait examiné initialement le dossier et non par l’agent qui y a apposé sa signature pour la forme.

4.21L’État partie souligne à ce propos que l’auteur n’a pas été traité différemment de tout autre demandeur d’asile en raison de sa race, de sa couleur de peau, de son sexe, de sa langue, de sa religion, de ses opinions politiques ou autres, de son origine nationale ou sociale, de sa fortune, de sa naissance ou de toute autre situation. En l’absence de précisions quant aux éléments sur lesquels repose cette partie de la communication, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas montré à première vue, aux fins de la recevabilité, l’existence d’une violation de l’article 26 du Pacte, car il n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il avait été victime de discrimination. Cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 30 novembre 2015, le conseil de l’auteur a informé le Comité que son mandat restait valable malgré le renvoi de l’auteur en Afghanistan, et qu’il continuerait donc de représenter l’auteur devant le Comité. Il a aussi fait savoir que l’auteur alléguait une violation, non plus de l’article 14, mais de l’article 13 du Pacte car sa demande d’asile n’avait été examinée que par une instance administrative et il n’avait pas pu faire appel devant les tribunaux du rejet par la Commission de sa demande de réouverture de la procédure d’asile.

5.2Le conseil de l’auteur n’a pas d’observations à formuler à propos de l’appréciation portée par le Service danois de l’immigration et la Commission de recours des réfugiés sur le motif initial de demande d’asile.

5.3Le conseil de l’auteur rappelle que le nouveau motif d’asile apparu « sur place », à savoir la conversion au christianisme de l’auteur au Danemark, a seulement été examiné et rejeté par une personne du service juridique de la Commission, le président de celle-ci ayant donné son aval. Ce n’est donc pas la Commission elle-même qui a pris la décision de rejeter la demande de réouverture du dossier d’asile de l’auteur présentée par le Conseil danois pour les réfugiés, au motif que la sincérité de la conversion de l’auteur n’était pas avérée. L’auteur aurait dû se voir offrir une nouvelle audience devant le Service danois de l’immigration pour exposer son nouveau motif d’asile, puis pouvoir saisir en seconde instance la Commission afin qu’elle tranche la question. Le fait que l’auteur n’a pas pu, dans le cadre d’une nouvelle audience devant la Commission, prouver la sincérité de sa conversion au christianisme emporte une violation distincte de l’article 13 du Pacte.

5.4Selon le conseil de l’auteur, l’impossibilité pour l’auteur de faire appel du rejet de son nouveau motif d’asile apparu « sur place » constitue aussi une discrimination interdite en vertu de l’article 26 du Pacte. Le conseil fait valoir en particulier que dans l’ensemble du système administratif danois, seuls les nouveaux motifs d’asile apparus « sur place » sont examinés par la Commission en première et dernière instance et qu’un recours contre les décisions négatives rendues par celle-ci n’est possible que devant les organes conventionnels de l’Organisation des Nations Unies ou la Cour européenne des droits de l’homme.

5.5Le conseil de l’auteur affirme que la situation en matière de sécurité en Afghanistan est extrêmement dangereuse. Il rappelle à cet égard les Principes directeurs du HCR relatifs à l’éligibilité mentionnés par l’auteur (voir supra, par. 3.2 et 3.3). Il renvoie en outre à un entretien accordé par le Ministre afghan chargé des réfugiés et des rapatriements, publié le 21 février 2015. À cette occasion, le Ministre a demandé à la Norvège et à tous les autres pays européens de mettre fin aux expulsions vers l’Afghanistan, en particulier celles de femmes et d’enfants, en soulignant que son pays n’était pas en mesure de prendre en charge les personnes expulsées. Il a expliqué que, dans les mémorandums d’entente signés par l’Afghanistan avec certains pays européens en 2011, il était clairement stipulé que « les réfugiés en provenance de provinces dangereuses ne seraient pas expulsés ». Il y était de même convenu que les femmes et les enfants ne seraient pas renvoyés en Afghanistan. Selon le Ministre, la plupart des personnes actuellement expulsées venaient de provinces « extrêmement dangereuses » où elles ne pouvaient pas retourner. Le Ministre a fait observer que les 7 millions d’Afghans qui vivaient en exil ne pourraient pas être tous réinstallés à Kaboul, ville considérée comme sûre par les pays qui procédaient aux expulsions.

5.6Le conseil de l’auteur fait valoir à ce sujet que des « non-croyants » sont persécutés, même à Kaboul ; il cite le cas d’une jeune femme accusée de blasphème et lynchée par la foule sans que la police locale intervienne ou tente de la protéger. De plus, l’auteur qui vient de la région dangereuse de Mazar-e-Sharif ne peut plus espérer se réinstaller à Kaboul en raison du grand nombre de rapatriés afghans qui décident d’y résider. Par conséquent, la vie de l’auteur est constamment menacée en raison de sa conversion au christianisme, et la décision des autorités danoises de l’asile de ne pas rouvrir son dossier donne lieu à une violation des articles 6 et 7 du Pacte.

5.7Le conseil de l’auteur indique également qu’au début du mois de mars 2015, les autorités afghanes ont officiellement demandé aux autorités danoises de mettre fin aux expulsions et de renégocier le mémorandum d’accord tripartite conclu entre l’Afghanistan, le Danemark et le HCR le 18 octobre 2004. Les autorités danoises ont cependant continué d’expulser des demandeurs d’asile déboutés vers l’Afghanistan.

5.8Pour ce qui est des observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication, le conseil fait valoir que les griefs tirés de la violation des articles 6, 7, 13, 18 et 26 du Pacte devraient être déclarés recevables parce que l’auteur n’a pas bénéficié d’un procès équitable en ce qui concerne sa conversion au christianisme et sa peur d’être persécuté en raison de ce nouveau motif d’octroi de l’asile apparu « sur place ». Il y a violation des articles 13 et 26 du Pacte parce que l’auteur n’a pu faire appel de la décision de la Commission du 6 février 2014 devant aucune autre instance au Danemark. Quant aux observations de l’État partie sur le fond, la décision de la Commission du 6 février 2014 a elle-même emporté une violation des droits que tient l’auteur des articles 6 et 7 du Pacte, c’est-à-dire l’interdiction du refoulement, et une violation du droit que lui garantit l’article 18 du Pacte de manifester sa religion, ce qui ne lui est pas possible en Afghanistan.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 28 février 2016, l’État partie a soumis au Comité des observations complémentaires dans lesquelles il soulignait que les commentaires du conseil de l’auteur en date du 30 novembre 2015 n’apportaient aucun élément essentiellement nouveau ou spécifique sur la situation de l’auteur. Il renvoie donc de manière générale à ses observations du 11 août 2014.

6.2L’État partie fait en outre observer que l’auteur a également allégué, dans sa lettre initiale au Comité, une violation par le Danemark de l’article 14 du Pacte. Sur ce point, l’État partie a indiqué dans ses observations du 11 août 2014 que la procédure d’asile ne relevait pas du champ d’application de cet article. Il note que le conseil de l’auteur a ensuite fait valoir une violation de l’article 13 du Pacte, du fait que le rejet par la Commission de la demande de réouverture du dossier d’asile de l’auteur n’était pas susceptible d’appel devant un tribunal. En réponse à ce grief, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, dont il ressort que l’article 13 du Pacte offre une partie de la protection garantie par le paragraphe 1 de l’article 14, mais pas le droit de recours ni le droit d’être entendu par un tribunal. En l’absence de précisions quant aux éléments sur lesquels repose cette partie de la communication, l’État partie considère que l’auteur n’a pas établi à première vue la recevabilité des griefs qu’il tire de l’article 13 du Pacte, comme l’exige l’article 96 b) du règlement intérieur du Comité. Cette partie de la communication est donc manifestement mal fondée et devrait être déclarée irrecevable.

6.3En ce qui concerne la réouverture de la procédure d’asile, l’État partie fait observer de manière générale que, lorsque la Commission s’est prononcée sur le cas d’un requérant d’asile, l’intéressé peut lui demander de rouvrir la procédure. Le pouvoir de décision à cet égard appartient au président − lequel est toujours un juge − de la formation qui a rendu la première décision en l’espèce lorsque, compte tenu des éléments exposés dans la demande de réouverture du dossier, rien ne permet de supposer que la Commission modifiera sa décision ou qu’il convient de considérer que les conditions d’octroi de l’asile sont manifestement remplies. Le président peut aussi décider de rouvrir le dossier et de le renvoyer au Service danois de l’immigration en vertu des pouvoirs dont il dispose en sa qualité de président. Il peut également décider qu’il appartient à la formation de la Commission qui a déjà tranché l’affaire de décider de la réouverture du dossier au cours d’une réunion ou à l’issue de délibérations écrites, ou que le dossier sera rouvert et réexaminé dans le cadre d’une nouvelle audience devant cette formation et en présence de toutes les parties concernées, ou encore que le dossier sera rouvert et réexaminé par une nouvelle formation. Si la réouverture du dossier apparaît justifiée, le délai fixé pour le départ du demandeur d’asile sera suspendu durant la procédure de réexamen. La Commission désignera en outre un conseil pour représenter le requérant.

6.4Le Comité exécutif est assisté par le secrétariat de la Commission pour la rédaction des décisions, qui deviennent définitives après avoir été approuvées par le président de la Commission. La décision est ensuite signée par un agent du secrétariat et notifiée au demandeur d’asile. Par conséquent, tant formellement que dans la pratique, les décisions concernant les demandes de réouverture sont prises par le président de la formation compétente. Le fait qu’une décision soit signée par un agent du secrétariat n’y change rien. La législation relative à l’examen d’une demande de réouverture d’un dossier d’asile est donc claire et ne laisse planer aucun doute quant à la compétence de la Commission. Dès lors, rien ne permet d’affirmer que les décisions de rejet de demandes de réouverture de la procédure sont prises par le secrétariat de la Commission. L’auteur n’a donc pas démontré à première vue la recevabilité des griefs qu’il tire de l’article 26 du Pacte car il n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il avait été victime de discrimination. Cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable.

6.5Pour ce qui est de la prétendue conversion de l’auteur au christianisme, l’État partie rappelle que, dans sa décision du 6 février 2014, la Commission n’a pas pu considérer comme avéré que l’auteur s’était sincèrement converti de l’islam au christianisme. Quant à l’appréciation des preuves faite par la Commission sur cette question et sur les autres motifs d’asile avancés par l’auteur, l’État partie renvoie à l’intégralité de ses observations du 11 août 2014.

6.6L’État partie appelle aussi l’attention du Comité sur le fait qu’au Danemark, la question de l’importance d’une conversion, notamment de l’islam au christianisme, pour l’issue d’une procédure d’asile a donné lieu à un débat au sein du grand public et plus particulièrement parmi les demandeurs d’asile. Il est donc de notoriété publique parmi les demandeurs d’asile et les autres intervenants dans ce domaine que les renseignements relatifs à une telle conversion sont considérés comme des motifs de demande d’asile qui peuvent, en fonction des circonstances, valoir à l’intéressé un droit de séjour si la conversion est sincère et s’il est établi que le demandeur d’asile pratiquera sa nouvelle foi en cas de retour dans son pays d’origine et courra donc un tel risque d’y être persécuté que l’octroi de l’asile est justifié.

6.7L’attention du Comité est également appelée sur un rapport du Centre norvégien d’information sur les pays d’origine (Landinfo) consacré à lasituation deschrétiens et desconvertis en Afghanistan, qui a été publié le 4 septembre 2013 (en norvégien).Vers la fin de ce rapport, plusieurs sources indiquent que, même dans les cas où il est découvert dans le pays d’origine qu’une personne a prétexté sa conversion pour justifier sa demande d’asile dans un autre pays, l’intéressé ne sera pas pour autant vulnérable à son retour car les Afghans témoignent d’une grande compréhension envers leurs compatriotes qui tentent par tous les moyens d’obtenir un droit de séjour en Europe. L’État partie ajoute qu’il est dit au paragraphe36 des Principes directeurs du HCR sur la protection internationale : demandes d’asile fondées sur la religion au sens de l’article1A 2) de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés que des activités prétendument « intéressées » ne créent pas de crainte fondée de persécution pour un motif tiré de la Convention dans le pays d’origine du demandeur si lecaractère opportuniste de ces activités est évident pour tous, y compris pour les autorités du pays, et que le retour de l’intéressé n’aurait pas des conséquences négatives graves.

6.8Se référant à ses observations en date du 11 août 2014, l’État partie réaffirme que, s’il était renvoyé en Afghanistan, l’auteur ne courrait aucun risque de subir des actes contraires à l’article 7 du Pacte du fait qu’il n’a pas de famille et à cause de son âge et de son appartenance ethnique. L’État partie rappelle que l’auteur, d’origine ethnique hazara, vient de Mazar‑e‑Sharif dans la province de Balkh où les Hazaras représentent 10 % de la population. De plus, à Bamiyan, la principale ville de la partie méridionale de la province de Balkh, les Hazaras sont le groupe ethnique dominant. Par conséquent, l’État partie estime que la situation générale en Afghanistan, y compris à Kaboul, n’est pas en soi d’une nature telle que, pour cette seule raison, l’auteur satisfait aux conditions à remplir pour obtenir l’asile.

6.9L’État partie fait observer que l’auteur a été renvoyé en Afghanistan le 10 février 2014 et que les autorités afghanes ont accepté qu’il rentre (voir supra, par. 5.5).

6.10En conclusion, l’État partie soutient que la Commission de recours des réfugiés a rendu ses décisions après un examen approfondi de la situation particulière de l’auteur et des informations générales dont elle disposait. Il estime que la communication montre simplement que l’auteur conteste l’appréciation faite par la Commission de sa situation et des informations générales. Dans sa communication, l’auteur n’a mis en évidence aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions, ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas tenu dûment compte. Il tente d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour faire réexaminer les faits qu’il allègue à l’appui de sa demande d’asile. Cependant, le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission de recours des réfugiés, qui est mieux placée pour évaluer les circonstances factuelles dans le cas de l’auteur. Il n’y a aucune raison de remettre en cause, encore moins de rejeter, l’appréciation faite par la Commission, selon qui l’auteur n’a pas établi qu’il y a des motifs sérieux de croire que sa vie serait menacée ou qu’il risquerait d’être soumis à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant s’il était renvoyé en Afghanistan. Dans ces conditions, le renvoi de l’auteur en Afghanistan ne donnerait pas lieu à une violation des articles 6, 7 et 18 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur, qui indique avoir épuisé tous les recours internes à sa disposition. En l’absence d’objection de l’État partie à cet égard, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

7.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie, selon qui le grief que l’auteur tire de l’article 6 du Pacte devrait être déclaré irrecevable pour défaut de fondement, le Comité constate que les informations qui lui ont été soumises ne constituent pas des motifs suffisants de penser que le renvoi de l’auteur en Afghanistan l’exposerait à un risque réel de violation de son droit à la vie. L’auteur formule à cet égard des allégations de caractère général quant au risque qu’il courrait d’être tué en raison de sa conversion au christianisme, sans toutefois les étayer par aucun argument. Dans ces conditions, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief qu’il tire de l’article 6 du Pacte et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité prend note du grief que tire l’auteur de l’article 13 du Pacte parce qu’il n’a pas pu faire appel des décisions négatives de la Commission devant un organe judiciaire. À ce sujet, le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que cet article offre aux demandeurs d’asile une partie de la protection garantie par l’article 14 mais pas le droit de recours devant des organes judiciaires. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief particulier au titre de l’article 13 du Pacte et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité prend également note du grief que tire l’auteur des articles 13 et 26 du Pacte parce que la décision du 6 février 2014 de ne pas rouvrir la procédure d’asile a été prise par le secrétariat de la Commission avec l’approbation du président de la Commission et non pas par la Commission elle-même. Il prend en outre note des arguments de l’État partie qui affirme que la procédure d’asile engagée par l’auteur, y compris sa demande de réouverture du dossier, a été menée conformément à la loi danoise et que l’auteur n’a pas été traité différemment de tout autre demandeur d’asile. Il relève que l’auteur a eu la possibilité de soumettre et de contester des moyens de preuve concernant son renvoi en Afghanistan et que sa demande d’asile a été examinée par le Service danois de l’immigration puis réexaminée par la Commission et par le Président de celle-ci, lequel a notamment examiné le nouveau motif d’asile que l’auteur a soulevé et qui est apparu « sur place » ainsi que les nouveaux éléments soumis par l’auteur. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief concernant la procédure devant la Commission qu’il tire des articles 13 et 26 du Pacte, et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7Enfin, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, selon qui les griefs que l’auteur tire des articles 7 et 18 du Pacte doivent être déclarés irrecevables car ils sont insuffisamment étayés. Il considère cependant que l’auteur a bien expliqué, aux fins de la recevabilité, les raisons pour lesquelles il craint que son expulsion vers l’Afghanistan entraîne un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte du fait de sa conversion de l’islam au christianisme ; il juge donc recevable le grief que l’auteur tire de l’article 7. Dans ce contexte, le Comité note que les autres motifs d’asile présentés par l’auteur aux autorités de l’État partie à différents stades de la procédure d’asile, à savoir sa crainte de la réaction de son oncle maternel et de l’épouse de celui-ci à son retour en Afghanistan, ainsi que sa crainte des représailles d’un proxénète qu’il aurait frappé à la gorge avec un couteau, ne font pas partie de la présente communication au Comité (voir supra, par. 5.2). Quant au grief de violation de l’article 18, le Comité estime qu’il ne peut pas être dissocié des allégations de l’auteur relatives à l’article 7 s’agissant du risque de préjudice qu’il court en Afghanistan du fait de sa conversion de l’islam au christianisme, qui appellent un examen au fond.

7.8En conséquence, le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 7 et 18 du Pacte en raison de la conversion de l’auteur de l’islam au christianisme, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité note que l’auteur affirme que son renvoi en Afghanistan entraînerait un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte du fait de sa conversion de l’islam au christianisme.

8.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il mentionne l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte (par. 12). Le Comité a également indiqué que ce risque devait être personnel et qu’il fallait qu’il existe des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Tous les faits et circonstances pertinents doivent donc être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

8.4Le Comité rappelle que c’est généralement aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été clairement arbitraire, manifestement erronée ou a constitué un déni de justice.

8.5Le Comité note qu’il n’est pas contesté dans la présente communication que l’auteur a été baptisé le 13 octobre 2013 et a assisté régulièrement à des services religieux au Danemark entre juin 2013 et son renvoi en Afghanistan en février 2014. Il note aussi que la Commission de recours des réfugiés a conclu qu’à son avis, il n’était pas avéré que l’auteur s’était sincèrement converti au christianisme, malgré l’existence d’un certificat de baptême et d’une note établie par un pasteur de l’église de Kronborgvejens. La Commission a relevé en particulier que, au cours de la procédure d’asile initiale, l’auteur n’avait pas révélé son intérêt pour le christianisme − intérêt qui, d’après sa demande de réouverture du dossier, était déjà apparu pendant son séjour en Turquie avant son entrée au Danemark − que ce soit à la police, au Service danois de l’immigration, à son conseil ou à la Commission. Pour évaluer les renseignements relatifs à la conversion de l’auteur, la Commission a aussi tenu compte du fait, comme il ressort des attendus de sa décision du 16 janvier 2012, que pendant la procédure d’asile, l’auteur avait tenu des propos embrouillés et incohérents quant aux motifs de sa demande d’asile et avait apporté des réponses désinvoltes, évasives et vagues à des questions même simples et élémentaires. La Commission a aussi relevé que l’auteur n’avait pas non plus signalé son intérêt pour le christianisme dans ses demandes de réouverture de son dossier d’asile reçues par la Commission le 13 août 2012 et le 8 août 2013.

8.6À ce sujet, le Comité considère que, lorsqu’un demandeur d’asile affirme s’être converti à une autre religion après le rejet de sa demande d’asile initiale, il est raisonnable que l’État partie procède à un examen approfondi des circonstances de la conversion. Le critère pour le Comité reste cependant celui de savoir si, indépendamment de la sincérité de la conversion, il y a des motifs sérieux de croire qu’une telle conversion peut avoir des conséquences négatives graves dans le pays d’origine, de nature à créer un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé par les articles 6 et 7 du Pacte. En conséquence, même lorsqu’elles concluent que la conversion dont il est fait état n’est pas sincère, les autorités devraient évaluer si, dans les circonstances de l’affaire, le comportement du demandeur d’asile et les activités auxquelles il s’est livré en lien avec sa conversion ou pour la justifier, notamment en fréquentant une église, en étant baptisé ou en faisant du prosélytisme, pourraient avoir des conséquences négatives graves dans le pays d’origine, de nature à l’exposer à un risque de préjudice irréparable.

8.7En l’espèce, le Comité note que l’État partie renvoie au rapport de Landinfo sur la situation deschrétiens et desconvertis en Afghanistan (voir supra, par.6.7) à l’appui de son argument indiquant que, même si l’on apprend dans son pays d’origine qu’il a prétexté sa conversion pour justifier sa demande d’asile dans un autre pays, l’auteur ne sera pas pour autant vulnérable à son retour car les Afghans témoignent d’une grande compréhension à l’égard de leurs compatriotes qui tentent par tous les moyens d’obtenir un droit de séjour en Europe.De plus, selon les Principes directeurs du HCR sur la protection internationale (voir supra, par. 6.7), des activités « intéressées » ne créent pas de crainte fondée de persécution pour un motif tiré de la Convention dans le pays d’origine du demandeur si lecaractère opportuniste de ces activités est évident pour tous, y compris pour les autorités du pays, et le retour de l’intéressé n’aurait pas des conséquences négatives graves.

8.8Le Comité note aussi que l’auteur conteste de manière générale l’évaluation et les conclusions des autorités danoises quant au risque de préjudice auquel il serait exposé en Afghanistan, mais qu’il n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de ses allégations au titre des articles 7 et 18 du Pacte. Le Comité considère également que les informations dont il est saisi montrent que l’État partie a pris en considération tous les éléments dont il disposait pour évaluer le risque de préjudice irréparable couru par l’auteur à son retour en Afghanistan et que l’auteur n’a mis en évidence aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions. Le Comité souligne aussi que, bien qu’il conteste les conclusions de fait des autorités de l’État partie et leur décision de ne pas rouvrir son dossier, l’auteur n’a pas montré que la décision de la Commission du 6 février 2014 était arbitraire ou manifestement erronée, ni qu’elle constituait un déni de justice.

8.9Sans sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation générale des droits de l’homme en Afghanistan , le Comité estime que les faits et éléments de preuve présentés par l’auteur ne constituent pas des motifs suffisants de croire que son renvoi en Afghanistan était contraire aux articles 7 et 18 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan n’a pas donné lieu à une violation des droits garantis aux articles 7 et 18 du Pacte.