Nations Unies

CCPR/C/126/D/2315/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 octobre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2315/2013 * , **

Communication présentée par :

Anatoly Bukas (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

24 mai 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 (devenu l’article 92) du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 11  décembre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

5  juillet 2019

Objet :

Refus des tribunaux d’examiner la demande de l’auteur

Question(s) de procédure :

Défaut de coopération de l’État partie

Question(s) de fond :

Droit à un procès équitable ; droit d’êtreélu

Article(s) du Pacte :

14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

Aucun

1.L’auteur de la communication est Anatoly Bukas, de nationalité bélarussienne, né en 1956. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 23 août 2012, la Commission électorale de district de la circonscription électorale de la ville de Borisov (62e circonscription) a rendu une décision par laquelle elle enregistrait la candidature de l’auteur à la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale du Bélarus pour les élections parlementaires à venir. Le 27 août 2012, elle est revenue sur cette décision en se fondant sur le paragraphe 7 de l’article 68 du Code électoral bélarussien, qui dispose que la Commission a le droit d’annuler l’inscription d’un candidat lorsque celui-ci a soumis des informations inexactes sur ses revenus et son patrimoine dans la déclaration préalable à l’enregistrement de sa candidature et que les inexactitudes portent sur des éléments essentiels.

2.2La Commission électorale de district a indiqué dans sa décision qu’en 2011, l’auteur avait omis de déclarer qu’il avait vendu un véhicule qu’il possédait, et d’indiquer le montant de cette transaction. Elle a présenté un certificat, établi par une société privée, selon lequel le véhicule avait été vendu en 2011 pour 10 millions de roubles bélarussiens. L’auteur avait indiqué un revenu annuel de 23 373 859 roubles bélarussiens.

2.3L’auteur a fait appel de l’annulation de sa candidature auprès de la Commission électorale centrale, conformément au paragraphe 16 de l’article 68 du Code électoral. Il a indiqué qu’il avait bien vendu le véhicule en question en 2011, mais pour 3,5 millions de roubles. Il l’avait vendu pour pièces détachées, à la suite d’un grave accident survenu à une date non précisée. Le montant de la vente représentant moins de 20 % des revenus qu’il avait déclarés pour l’année, il estimait que l’écart ne saurait être considéré comme important et constituer un motif de disqualification. En outre, dans sa décision initiale du 23 août 2012, la Commission électorale de district avait déjà examiné les informations données par l’auteur et estimé qu’elles répondaient aux prescriptions relatives aux dépôts de candidature.

2.4Le 30 août 2012, la Commission électorale centrale a rejeté l’appel de l’auteur. Celui-ci a saisi la Cour suprême de la décision de la Commission électorale de district et de celle de la Commission électorale centrale. La Cour suprême a refusé de connaître de l’affaire, arguant que le Code électoral prévoyait une procédure permettant de contester un refus d’enregistrement de candidature mais pas une annulation d’enregistrement, de sorte que l’auteur ne pouvait pas former de recours.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le refus de la Cour suprême de l’autoriser à se pourvoir constitue une violation des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il affirme que la Cour suprême est compétente, en vertu des articles 335 et 341 à 343 du Code de procédure civile et du paragraphe 16 de l’article 68 du Code électoral, pour contrôler les décisions de la Commission électorale centrale. Il indique toutefois que la procédure d’appel prévue par le Code électoral concerne le refus d’enregistrement d’une candidature mais non l’annulation d’une candidature. Ce vide juridique permet aux autorités d’exclure les candidats de l’opposition du processus électoral.

3.2L’auteur dit qu’il est le rédacteur en chef du journal indépendant Borisovskie Novosti, qui critique souvent les autorités, et est convaincu que la décision d’annuler sa candidature a été prise afin de l’empêcher de se présenter à l’élection et de devenir membre de l’Assemblée nationale. Les lois électorales bélarussiennes ont été critiquées par le passé par des organisations internationales telles que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Aucun membre de l’opposition n’a été élu à l’Assemblée nationale au cours des dix dernières années. L’auteur demande au Comité de conclure à une violation par le Bélarus du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Le Comité note que l’État partie n’a pas fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il regrette que l’État partie n’ait apporté aucune information sur la recevabilité ou sur le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif oblige implicitement les États parties à examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et à communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, pour autant qu’elles aient été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner les griefs formulés dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

5.2Le Comité s’est assuré, comme le prévoit le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles dont il disposait. Malgré l’absence d’observations écrites de l’État partie, il estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

5.4Le Comité estime qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il déclare donc la communication recevable et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Le Comité note que, selon l’auteur, en refusant d’examiner la requête par laquelle il contestait la décision de la Commission électorale centrale, la Cour suprême a violé son droit de voir sa cause entendue par un tribunal, garanti par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité rappelle que le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi est garanti par la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte dans les procédures concernant soit une accusation pénale dirigée contre l’intéressé, soit, comme en l’espèce, une contestation relative à des droits et obligations de caractère civil. Il rappelle également que dans les contestations relatives aux droits et obligations de caractère civil, toute décision doit être rendue à un stade au moins de la procédure par un « tribunal » au sens de cette disposition. L’État partie qui ne permet pas à une personne de saisir un tel tribunal dans une affaire donnée déroge à l’article 14 si les restrictions ne sont pas fondées dans le droit interne et ne sont pas nécessaires à la poursuite de buts légitimes tels que la bonne administration de la justice.

6.3En l’espèce, l’État partie n’a pas formulé d’observations écrites permettant de savoir si son refus d’autoriser l’auteur à saisir un tribunal au sens de la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, même s’il était fondé dans le droit interne, était nécessaire à la poursuite d’un but légitime. Au vu des faits décrits par l’auteur, et en l’absence d’observations écrites de l’État partie, le Comité considère que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

7.Agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteur une réparation appropriée pour les violations qu’il a subies. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, selon l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.