Nations Unies

CCPR/C/123/D/2673/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par.4) du Protocole facultatif, concernant la communicationno2673/2015*,**

Communication présentée par :

M. S. P-B (représentée par un conseil, W. G. Fisher)

Au nom de :

M. S. P-B et sa fille S. P.

État partie :

Pays-Bas

Date de la communication :

10 juin 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

25 juillet 2018

Objet :

Refus de verser une indemnité pour enfant à charge en l’absence d’un permis de séjour

Question(s) de procédure :

Statut de victime

Question(s) de fond :

Droit à la vie familiale ; discrimination fondée sur le statut

Article(s) du Pacte :

23, 24 (par. 1) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

1

1.L’auteure de la communication est M. S. P.-B., née le 25 août 1972. Elle présente sa communication en son nom propre et au nom de sa fille mineure, S. P., née le 10 avril 2001. À la date de présentation de la communication, l’auteure et sa fille avaient la nationalité surinamaise, mais elles ont depuis acquis la nationalité néerlandaise. L’auteure allègue une violation par l’État partie des droits qu’elle-même et sa fille tiennent des articles 23, 24 (par. 1) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour les Pays-Bas le 11 mars 1979. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est arrivée aux Pays-Bas avec sa fille le 19 octobre 2005, munie d’un visa de touriste d’une validité de quatre-vingt-dix jours. À leur arrivée aux Pays-Bas, l’auteure et sa fille ont vécu avec le père de l’auteure, qui est résident aux Pays-Bas et qui vivait à l’époque dans cet État partie. Un examen médical pratiqué aux Pays-Bas a révélé que la fille de l’auteure souffrait d’un trouble rare du métabolisme empêchant son cerveau d’assimiler suffisamment de glucose. Depuis lors, elle suit un régime cétogène qui fait en sorte que le tissu cérébral puisse assimiler des corps cétoniques à la place du glucose. La carence en glucose dont souffre la fille de l’auteure a toutefois provoqué une incapacité physique et psychosociale permanente. L’auteure a envisagé de retourner au Suriname mais les aliments nécessaires au régime cétogène de sa fille n’y sont pas disponibles. Elle indique que des conseillers médicaux et des médecins ont déclaré que si elle ne suivait pas ce régime, sa fille se trouverait en situation d’urgence médicale, risquant des lésions cérébrales ou d’autres formes graves de dégénérescence physique ou mentale, voire la mort.

2.2Le 13 juin 2006, l’auteure a demandé pour sa fille un permis de séjour pour raisons médicales, demande suite à laquelle l’état de santé de sa fille et sa situation au regard de la réglementation sur le séjour ont fait l’objet d’un examen. Durant cette période, l’auteure et sa fille ont séjourné régulièrement aux Pays-Bas sous le statut « en instance d’examen ». Le 16 septembre 2009, un permis de séjour d’un an leur a été octroyé. En 2010, elles ont acquis la nationalité néerlandaise.

2.3Alors que sa demande de permis de séjour était en instance d’examen, l’auteure a demandé une « indemnité générale pour enfant à charge » pour sa fille le 11 juin 2006. L’indemnité générale pour enfant à charge est accordée à toutes les familles avec enfants et est versée au parent dans l’intérêt de l’enfant et à son bénéfice. Le 13 juin 2008, l’auteure a présenté une nouvelle demande d’indemnité générale pour enfant à charge. Cette demande a été rejetée par la Banque des assurances sociales le 10 juillet 2008. L’auteure a formé un recours contre cette décision devant le tribunal de district d’Amsterdam, affirmant que le rejet de sa demande d’indemnité pour la période allant du deuxième trimestre de 2007 au troisième trimestre de 2008 était dû à une distinction illégale fondée sur sa situation au regard de la réglementation relative au séjour. Le 9 décembre 2009, le tribunal de district a rejeté le recours de l’auteure, considérant que, comme l’auteure n’était pas titulaire d’un permis de séjour pendant la période considérée, elle n’avait pas droit à l’indemnité générale pour enfant à charge. Le tribunal a décidé que pour les non-nationaux, la détention d’un permis de séjour était une condition à remplir pour bénéficier del’indemnité générale pour enfant à charge. L’appel qu’a formé l’auteure de la décision du tribunal de district a été joint à huit autres affaires comparables par une cour d’appel spécialisée,le Conseil central de recours administratif. Par un arrêt en date du 15 juillet 2011, le Conseil central a infirmé les décisions du tribunal de district et de la Banque des assurances sociales. Ila ordonné à cette dernière de revoir sa décision à la lumière de sa conclusion selon laquelle, en ce qui concerne le droit aux prestations,la loi relative à l’indemnité générale pour enfant à charge établissaitune distinction fondée sur la nationalité et la situation au regard de la réglementation relative au séjour.Le Conseil central a jugé qu’il n’était pas justifié d’exclure une personne du bénéfice de cette indemnité pour des raisons tenant à sa situation au regard de la réglementation relative à l’immigration si : a) cette personne vivait sur le territoire de l’État partie depuis longtemps et les autorités de l’État partie le savaient ; b) cette personne séjournait régulièrement sur le territoire de l’État partie sous le statut « en instance d’examen » ; et c) cette personne avait établi avec les Pays-Bas des liens tels qu’elle pouvait être considérée comme une résidente de ce pays. Le Conseil central a également jugé que lorsque ces conditions étaient remplies, l’exclusion des parents du bénéfice de l’indemnité générale pour enfant à charge durant les périodes de séjour régulier aux Pays-Bas était une mesure disproportionnée. La Banque des assurances socialess’est pourvue contre l’arrêt du Conseil central devant la Cour suprême. Le 23 novembre 2012, la Cour suprême a infirmé l’arrêt du Conseil central et confirmé le jugement du tribunal de district d’Amsterdam en date du 9 décembre 2009.

2.4En raison du rejet de la demande d’indemnité générale pour enfant à charge, l’auteure et sa fille ont vécu dans la pauvreté. Le 14 août 2006, l’auteure a demandé à la municipalité d’Amsterdam de lui octroyer une prestation complémentaire. Il a été fait droit à cette demande et une indemnité mensuelle de 208,71 euros a été accordée à l’auteure jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande de permis de séjour. En 2007, cette indemnité a été remplacée par une indemnité versée pour sa fille par l’Agence centrale pour l’accueil des demandeurs d’asile en vertu du Règlement relatif aux indemnités versées à certaines catégories d’étrangers, entré en vigueur le 1er janvier 2007. Le montant de cette indemnité mensuelle était de 215,33 euros en 2007 et de 217,77 euros en 2008. Le 1er septembre 2008, l’Agence a cessé de verser cette indemnité au motif que l’auteure et sa fille n’avaient plus le statut « en instance d’examen » au regard de la réglementation relative à l’immigration étant donné que leur demande de permis de séjour n’était plus pendante. L’auteure a formé un recours contre la décision de l’Agence mais ce recours a été rejeté par la Cour régionale de La Haye le 24 février 2009.

2.5L’auteure et sa fille étaient dépendantes du père de l’auteure pour ce qui est de leur alimentation, et de bienfaiteurs tels que l’employeur du père de l’auteure et de l’école en ce qui concerne la thérapie et autres soins dont la fille de l’auteure avait besoin. C’est l’employeur du père de l’auteure qui a financé le matériel spécialisé dont la fille de l’auteure avait besoin, à savoir un déambulateur, une chaise spéciale et un fauteuil roulant. L’école a pris en charge ses frais médicaux, et une association caritative financée par l’État partie son régime alimentaire. La municipalité d’Amsterdam a au départ refusé de prendre en charge le coût d’un siège de douche et d’un monte‑escalier, mais elle a finalement accepté de le faire le 11 août 2008, à l’issue d’un recours. Le 23 avril 2009, la municipalité a octroyé à l’auteure une prestation de sécurité sociale de 144 euros par mois couvrant son loyer et ses dépenses d’énergie pour la période allant du 25 juillet 2008 au 31 mai 2009 et lui a octroyé une prestation complémentaire de 110,81 euros par mois à compter du 25 juillet 2008. Le 30 septembre 2008, la municipalité avait déjà décidé d’accorder cette prestation à l’auteure pour la période allant du 14 juin 2008 au 25 juillet 2008. L’auteure n’a perçu pour elle-même aucune prestation de sécurité sociale et ce que lui versait l’État partie ne constituait pas pour elle et sa fille un revenu minimum de subsistance.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure allègue que l’indemnité générale pour enfant à charge devrait être considérée comme un moyen pour l’État partie de s’acquitter des obligations que les articles 23 et 24 du Pacte lui imposent. Elle affirme qu’en lui refusant cette indemnité sur la base de sa situation au regard de la réglementation relative au séjour, l’État partie a opéré une discrimination à son égard et à l’égard de sa fille et a méconnu l’intérêt supérieur de l’enfant, en violation des articles 23, 24 et 26 du Pacte. Elle affirme que les circonstances particulières de sa situation, indépendantes de sa volonté, auraient dû être prises en considération par les autorités de l’État partie, notamment le fait que sa fille et elle-même ne pouvaient quitter l’État partie en raison de l’état de santé de sa fille, que l’instruction des demandes de permis de séjour a pris plusieurs années et que le refus d’accorder l’indemnité générale pour enfant à charge l’a obligée à vivre avec sa fille dans la pauvreté.

3.2Les autorités n’ont pas non plus tenu compte du fait que l’auteure n’a pas tenté de se soustraire à la réglementation ou aux politiques en matière d’immigration. Elle a pris ouvertement contact avec les autorités lorsqu’elle est arrivée dans le pays et a demandé un permis de séjour sur la base de l’état de santé de sa fille. Pendant la plus grande partie de leur séjour dans l’État partie, la situation de l’auteure et de sa fille au regard de la réglementation relative au séjour était « en instance d’examen », et leur séjour a donc été régulier pendant toute la durée de la procédure d’examen de leur demande de permis de séjour.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication datées du 10 mai 2016, l’État partie a souligné que la communication n’est pas signée par l’auteure mais uniquement par son représentant légal et que le pouvoir de celui‑ci n’est pas daté. L’État partie affirme qu’une telle situation incite à se demander si le représentant légal représentait bien l’auteure au moment du dépôt de la communication. L’État partie demande au Comité d’en tenir compte lors de son examen de la recevabilité de la communication.

4.2L’État partie fournit des informations sur sa législation relative aux prestations de sécurité sociale et indique qu’il existe deux types de régimes d’assurance sociale : les régimes d’assurance liés à l’emploi et les régimes d’assurance nationaux. Les personnes qui occupent ou occupaient un emploi rémunéré sont couvertes par les régimes d’assurance liés à l’emploi. Les régimes d’assurance nationaux s’appliquent aux personnes qui ont le statut de résident aux Pays-Bas et aux personnes qui occupent un emploi rémunéré aux Pays-Bas et sont de ce fait assujetties à l’impôt néerlandais sur les salaires. La loi relative à l’indemnité générale pour enfant à charge institue un régime d’assurance national et dispose qu’ont droit à cette indemnité les personnes assurées qui entretiennent ou éduquent des enfants mineurs. Ce sont donc les parents ou la personne qui prend soin des enfants, et non les enfants, qui sont les bénéficiaires de l’indemnité pour enfant à charge. Cette indemnité est une contribution aux dépenses liées à l’entretien et à l’éducation des enfants, et elle n’est pas censée couvrir l’ensemble de ces dépenses, pas plus qu’elle n’est censée être un dispositifgénéral de complément des revenus.Elle est financée par le budget de l’Étatet versée tous les trimestres. Son montant est calculé à partir d’un montant de base qui est ajusté deux fois par an compte tenu de l’indice général des prix, et il dépend en partie de l’âge de l’enfant le premier jour du trimestre concerné. Le parent ou la personne qui prend soin de l’enfant a droit à l’indemnité pour enfant à charge pour un trimestre donné s’il est assuré au titre de la loi y relative le premier jour de ce trimestre. Un principe fondamental de la loi relative à l’indemnité pour enfant à charge est que quiconque est un résident des Pays‑Bas, ou est employé aux Pays-Bas et à ce titre assujetti à l’impôt sur les salaires, est assuré en vertu de cette loi. Les étrangers qui n’ont pas été admis aux Pays-Bas ne le sont pas.

4.3La loi de 1998 sur les prestations sociales lie le droit à diverses prestations, exemptions, permis et autorisations à la régularité du séjour aux Pays-Bas. Elle visait à mettre fin à une situation injuste et indésirable qui existait dans le pays. Dans les années 1970 et 1980, de nombreux étrangers qui n’avaient pas le droit de séjourner aux Pays-Bas ont néanmoins réussi à prolonger leur séjour de factodans le pays, en partie parce qu’ils ont pu faire valoir un droit à prestations, par exemple à des allocations chômage et à l’assistance sociale. La loi sur les prestations sociales lie les droits des étrangers aux prestations versées par l’État à la situation des intéressés au regard de la réglementation relative au séjour inconditionnel. Un étranger admis uniquement pour un séjour temporaire ne peut y avoir droit.

4.4Les étrangers dont le séjour aux Pays-Bas est régulier parce qu’ils attendent une décision sur leur demande de permis de séjour ne sont pas exclus du bénéfice de toutes prestations sociales ou indemnités. Bien qu’ils ne puissent prétendre à aucun droit au titre du régime général de sécurité sociale, d’autres dispositions leur sont applicables. En vertu de l’ordonnance relative à certaines catégories d’étrangers, des moyens de subsistance, sous la forme d’une prestation pécuniaire et d’un régime d’assurance maladie, sont fournis aux étrangers qui ne sont pas des demandeurs d’asile. Dans le cadre de ces dispositions, une aide financière spécifique a été instituée au bénéfice des mineurs, un groupe particulièrement vulnérable. Ainsi, les prestations les plus fondamentales, par exemple les soins de santé répondant à une nécessité médicale, sont assurées à tout étranger présent aux Pays-Bas. De plus, les personnes âgées de moins de 18 ans ont droit à l’éducation, qu’elles soient ou non titulaires d’un permis de séjour. Une aide juridictionnelle est également fournie indépendamment de la situation au regard de la réglementation relative au séjour.

4.5Le 13 juin 2006, l’auteure a demandé un permis de séjour pour sa fille sur la base de l’état de santé de celle-ci. Ce permis lui a été refusé par le Service de l’immigration et de la naturalisation le 7 novembre 2006. Le 14 novembre 2006, l’auteure a présenté une notification d’opposition et a introduit une demande de mesures provisoires devant le tribunal de district de La Haye. Le 29 mai 2007, le tribunal de district, siégeant à Amsterdam, a fait droit à cette demande, ce qui signifiait que l’auteure ne serait pas expulsée tant qu’une décision n’aurait pas été prise sur sa demande de réexamen. Pendant cette période, l’auteure et sa fille séjournaient régulièrement aux Pays‑Bas en vertu de la loi de 2000 sur les étrangers et avaient ainsi droit à une indemnité financière en vertu de l’ordonnance relative à certaines catégories d’étrangers.Le 15 septembre 2009, un comité des objections du Service de l’immigration et de la naturalisation a entendu l’auteure au sujet de son opposition. Lors de cette audition, il est apparu que le cas de l’auteure faisait intervenir une combinaison de facteurs hautement exceptionnelle. Ce même jour, par décision ministérielle discrétionnaire prise en vertu de la loi de 2000 sur les étrangers, des permis de séjour ont été délivrés à l’auteure et à sa fille en considération des circonstances exceptionnelles de leur situation. Ces permis de séjour étaient valides pour un an et ont ultérieurement été renouvelés pour une année supplémentaire. Le 26 octobre 2010, l’auteure et sa fille ont acquis la nationalité néerlandaise. La « procédure d’option » qu’elles ont utilisée est une procédure simplifiée et abrégée qui permet aux personnes qui ont eu la nationalité néerlandaise, comme l’auteure née au Suriname avant 1975, de la réacquérir. La fille de l’auteure, qui n’avait jamais eu la nationalité néerlandaise, a été incluse dans la demande de l’auteure dans le cadre de la procédure d’option.

4.6Du 1er janvier 2007 au 15 octobre 2009, l’auteure et sa fille ont reçu une indemnité pécuniaire d’un montant total de 7 313,30 euros en application de l’ordonnance relative à certaines catégories d’étrangers. Après la délivrance de leurs permis de séjour, la Banque des assurances sociales a, le 25 novembre 2009, fait droit à la demande d’indemnité pour enfant à charge présentée par l’auteure, avec effet au 1er octobre 2009.

4.7En ce qui concerne l’argument de l’auteure selon lequel le refus de lui verser l’indemnité générale pour enfant à charge quand sa fille et elle n’avaient pas de permis de séjour a constitué une violation des droits qu’elles tenaient des articles 23, 24 et26 du Pacte, l’État partie fait valoir qu’il est courant que de telles distinctions soient faites sur la base de la situation au regard de la réglementation relative au séjour et, en conséquence, sur la base de la nationalité. Toutes les formes de traitement inégal ne sont pas interdites par le Pacte, mais uniquement le traitement inégal constituant une discrimination. En l’espèce, la distinction en cause repose essentiellement sur la situation au regard de la réglementation relative au séjour et elle est suffisamment justifiée. Les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation s’agissant de déterminer si et dans quelle mesure des différences existant dans des situations par ailleurs similaires justifient une différence de traitement, et l’étendue de cette marge d’appréciation varie en fonction des circonstances, du domaine et du contexte. La loi sur les prestations sociales appuie la politique d’immigration des Pays-Bas. Le fait de lier le droit à prestations à la situation au regard de la réglementation relative au séjour vise à empêcher que des étrangers vivant aux Pays-Bas en situation irrégulière, ou dont le séjour est régulier uniquement parce que leur demande de permis de séjour est pendante,ne prolongent leur séjour et n’établissent une présomption de séjour régulier, de telle manière qu’une fois la procédure achevée il ne soit pas possible de les expulser. D’autres régimes individuels confèrent un droit à prestations, indemnités et versements aux étrangers en séjour régulier dans le pays lorsque leur demande de permis de séjour est pendante. Pendant que la demande de permis de séjour de l’auteure était pendante, une ordonnance lui a permis de bénéficier de prestations de première nécessité.

4.8Une obligation inconditionnelle de traiter les étrangers dont la situation au regard de la réglementation relative au séjour est indéfinie de la même manière que les nationaux ou les personnes qui ont été admises dans le pays priverait l’État de la capacité de mener une politique d’immigration propre à protéger le bien-être économique du pays. La politique d’immigration relève essentiellement de la compétence des États. Obliger les États à reconnaître les mêmes droits aux personnes en séjour irrégulier sur leur territoire, en prolongeant ainsi la situation irrégulière et en empêchant l’État de rechercher un juste équilibre entre l’intérêt général et les intérêts des personnes en cause, irait à l’encontre de ce principe. Les États ont, en droit international, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers. L’État partie renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Nacic et autres c.S uède, dans laquelle la Cour a jugé que les mesures visant à assurer l’efficacité des contrôles de l’immigration avaient pour but de préserver le bien-être économique du pays et qu’elles avaient donc un objectif légitime au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Il affirme, s’agissant de mettre en balance l’intérêt général et l’intérêt individuel, que limiter le droit à des prestations sociales intégrales à ceux qui sont en séjour régulier aux Pays-Bas est objectif et raisonnable. Ceci est vrai même si les personnes concernées sont présentes dans le pays depuis longtemps et que l’État le savait. Le fait de séjourner aux Pays-Bas pendant une longue période sans permis de séjour valide n’est pas un attribut inhérent à la personne et immuable, mais implique un choix. Le souci de l’intérêt général exclut qu’une personne sans permis de séjour valide puisse réclamer des prestations et ait ainsi la possibilité de prolonger ce qui est en principe un séjour irrégulier.

4.9S’agissant des griefs que l’auteure tire de l’article 23 du Pacte, l’État partie affirme que cette disposition n’énonce aucune obligation de verser une indemnité pour enfant à charge. Quant à l’argument de l’auteure selon lequel elle auraitvécu dans la pauvretéparce qu’elle n’avait pas reçu cette indemnité, l’État partie objecte que l’indemnité générale pour enfant à charge n’est pas un complément de revenu et n’est pas versée aux familles avec enfants dans le but de leur assurer un revenu minimum de subsistance.

4.10En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire de l’article 24 du Pacte, l’État partie affirme que dans le cadre de cette disposition, ce sont les parents qui sont au premier chef responsables, y compris financièrement, de leurs enfants, et que cette disposition ne saurait être lue comme obligeant l’État à verser une indemnité pour enfant à charge. À cet égard, l’État partie indique que l’indemnité générale pour enfant à charge ne constitue pas un droit conféré à l’enfant. Dans le cadre du système néerlandais de sécurité sociale, les enfants ne bénéficient qu’indirectement de la sécurité sociale, car c’est aux parents et aux personnes qui prennent soin des enfants que sont accordées les prestations.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 27 juin 2016, l’auteure a communiqué ses commentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’indemnité générale pour enfant à charge n’est pas un complément de revenu,elle affirme que dans le cadre de ce dispositif, la nécessité d’un revenu minimum de subsistance est présumée et que cette indemnité a donc bien pour fonction d’assurer aux familles un tel revenu.

5.2En outre, l’auteure soutient que le montant mensuel de 218 euros qui lui a été versé en application de l’ordonnance relative à certaines catégories d’étrangers était bien inférieur au revenu minimum de subsistance nécessaire pour vivre aux Pays-Bas. Elle réaffirme ce qu’elle a avancé dans sa communication du 10 juin 2013 et soutient que dans son cas et celui de sa fille, les circonstances étaient exceptionnelles et justifiaient donc qu’il soit fait droit à sa demande d’indemnité générale pour enfant à charge.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure indiquant qu’elle a épuisé tous les recours internes utiles dont elle disposait. En l’absence de toute objection de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont satisfaites.

6.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la procuration du conseil de l’auteure n’est pas datée et qu’il existe donc des doutes sur le point de savoir si le conseil représentait bien l’auteure aux fins de la présente communication. Le Comité note toutefois que cette procuration, signée par l’auteure, autorise ce conseil à présenter au Comité une communication individuelle au nom de celle-ci et à la représenter devant le Comité. Le Comité considère donc qu’il n’est pas empêché par l’article premier du Protocole facultatif d’examiner la communication.

6.5En l’absence d’autres contestations de la recevabilité de la communication, le Comité déclare les griefs que l’auteur tire des articles 23, 24 et 26 du Pacte recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel, en rejetant sa demande d’indemnité générale pour enfant à charge en raison de sa situation en instance au regard de la réglementation relative au séjour, l’État partie a opéré une discrimination à son égard et à l’égard de sa fille en violation des droits qu’elles tenaient des articles 23, 24 et 26 du Pacte. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel la limitation du droit à des prestations sociales intégrales aux personnes qui sont en séjour régulier aux Pays-Bas répond à un but légitime et est objective et raisonnable.

7.3Le Comité, renvoyant à sa jurisprudence, rappelle que le Pacte n’oblige pas les États parties à adopter une législation de sécurité sociale mais que, s’ils le font, cette législation et son application doivent être conformes à l’article 26 du Pacte.

7.4Le Comité renvoie à son observation générale no 18 (1989) sur la non‑discrimination, dans laquelle il a déclaré que le terme « discrimination », tel qu’il est utilisé dans le Pacte, devait être compris comme s’entendant de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et ayant pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutefois, une différence de traitement fondée sur les motifs énumérés à l’article 26 du Pacte ne constitue pas systématiquement une discrimination, pour autant qu’elle repose sur des critères raisonnables et objectifs, dans la poursuite d’un but légitime au regard du Pacte. Il s’agit donc pour le Comité de savoir si le traitement différent réservé à l’auteure et à sa fille en matière d’accès aux prestations sociales satisfait aux critères du caractère raisonnable, de l’objectivité et de la légitimité de l’objectif recherché.

7.5Dans la présente affaire, le Comité note que l’État partie a fait une distinction s’agissant du droit à l’indemnité générale pour enfant à charge sur la base de la situation de l’auteure et de sa fille au regard de la réglementation relative au séjour des étrangers. La règle était appliquée également à tous ceux qui demandaient l’indemnité générale pour enfant à charge sans être titulaires d’un permis de séjour dans l’État partie. Le Comité relève également que, le 13 juin 2006, l’auteure a demandé pour sa fille un permis de séjour pour raisons médicales et que le tribunal de district de La Haye a fait droit à sa demande de mesures provisoires le 29 mai 2007, en autorisant ainsi l’auteure et sa fille à séjourner régulièrement aux Pays‑Bas tant que leur demande de permis de séjour était en instance d’examen. En outre, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui n’est pas contesté par l’auteure, selon lequel l’auteure et sa fille pouvaient bénéficier depuis le 1er janvier 2007 d’autres dispositions que celles du régime d’assurance sociale pour les étrangers non-résidents, en vertu de l’ordonnance relative à certaines catégories d’étrangers qui prévoit une aide financière spécifique pour les mineurs. L’auteure et sa fille ont donc eu droit à des prestations pécuniaires, à un régime d’assurance maladie, à un accès à l’éducation pour la fille de l’auteure et à une aide juridictionnelle. Le Comité fait observer que l’auteure n’a pas démontré en quoi, concrètement, l’aide financière de substitution à laquelle elles avaient eu droit avait été moins favorable pour la santé de sa fille que ne l’aurait été l’indemnité générale pour enfant à charge. Au vu de ce qui précède, le Comité estime que l’auteure n’a pas démontré en quoi le traitement différent qui leur avait été réservé ne satisfaisait pas aux critères du caractère raisonnable, de l’objectivité et de la légitimité de l’objectif recherché. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des droits que l’auteure et sa fille tiennent de l’article 26 du Pacte.

7.6Compte tenu de ces conclusions, le Comité considère en outre que l’auteure n’a pas établi qu’en rejetant sa demande d’indemnité générale pour enfant à charge, l’État partie avait violé les droits qu’elle et sa fille tiennent des articles 23 et 24 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation par l’État partie des droits que l’auteure et sa fille tiennent des articles 23, 24 et 26 du Pacte.