Nations Unies

CCPR/C/125/D/2489/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 juin 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2489/2014 * , ** , ***

Communication présentée par :

Jamshed Hashemi et Maryam Hashemi (représentés par un conseil, W. G. Fisher)

Au nom de :

Jamshed Hashemi et Maryam Hashemi

État partie :

Pays-Bas

Date de la communication :

19 juillet 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 4 décembre 2014 (non publiée sous forme de document).

Date des constatations :

26 mars 2019

Objet :

Refus d’accorder une allocation pour enfant à charge en l’absence de permis de séjour ; droits de l’enfant ; droits de la famille.

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Discrimination fondée sur une autre situation (prestations de sécurité sociale) ; droits de la famille et des enfants à la sécurité sociale.

Article(s) du Pacte :

23, 24 (par. 1) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1Les auteurs de la communication sont Jamshed Hashemi, né le 13 mai 1977, et Maryam Hashemi, née le 25 octobre 1980, tous deux de nationalité afghane. Ils présentent la communication en leur nom et au nom de leurs deux enfants, R. et Q., nés aux Pays-Bas le 23 mai 2002 et le 19 décembre 2008, respectivement. Les auteurs affirment que le rejet de leur demande d’allocation de base pour enfant à charge par la Caisse de sécurité sociale constitue une violation par l’État partie des articles 23, 24 (par. 1) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour l’État partie le 11 mars 1979. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Exposé des faits

2.1Les auteurs indiquent qu’ils ont fui l’Afghanistan à cause des Taliban et qu’ils sont arrivés aux Pays-Bas le 14 août 2001. Le 15 août 2001, ils ont déposé une première demande d’asile, qui a été rejetée le 24 février 2003. Le 21 mars 2003, ils ont formé un recours contre cette décision devant le tribunal régional de La Haye, qui les a déboutés. Le 8 février 2005, la Division administrative du Conseil d’État a confirmé la décision du tribunal régional.

2.2Les auteurs indiquent que, le 21 décembre 2005, ils ont présenté une demande de permis de séjour au nom de R. en invoquant les problèmes de santé que connaissait celle-ci (voir par. 2.7). N’ayant pas reçu de réponse, ils ont formé un recours le 17 août 2006. Ce recours a été déclaré fondé le 7 septembre 2007 mais cela n’a pas eu de conséquences juridiques, car ils avaient présenté une deuxième demande de permis de séjour au nom de R. le 19 septembre 2006. Cette demande a été rejetée le 23 novembre 2006 et la décision de rejet confirmée le 9 octobre 2008 par la division administrative du Conseil d’État.

2.3Le 13 octobre 2008, les auteurs ont demandé le report de l’exécution de l’arrêté leur enjoignant de quitter le territoire, faisant valoir que Mme Hashemi était enceinte de son deuxième enfant, Q., né le 19 décembre 2008. Le 3 novembre 2008, le Secrétaire à la justice du Service de l’immigration et de la naturalisation a accordé le report demandé, ce qui permettait aux auteurs de demeurer aux Pays-Bas du 11 novembre 2008 jusqu’à la sixième semaine qui suivrait la naissance de l’enfant.

2.4Les auteurs indiquent qu’ils ont déposé une deuxième demande d’asile le 22 janvier 2009. Le Secrétaire à la justice a rejeté cette demande le 29 mai 2009 et ils ont formé un recours contre ce rejet le 17 juillet 2009. Le 17 décembre 2009, le tribunal de district de La Haye a annulé la décision du Secrétaire à la justice et l’a prié de rendre une nouvelle décision. Le 7 janvier 2010, le Secrétaire à la justice a accordé aux auteurs un permis de séjour temporaire au titre de l’asile, avec effet rétroactif, valable du 22 janvier 2009 au 22 janvier 2014, compte tenu du fait qu’ils ne pouvaient pas retourner en Afghanistan. Le 5 juin 2014, les auteurs ont soumis une demande de naturalisation et, le 26 novembre 2014, ils ont obtenu la nationalité néerlandaise.

2.5À leur arrivée aux Pays-Bas le 14 août 2001, les auteurs ont été hébergés dans un centre pour demandeurs d’asile géré par l’Office central chargé de l’accueil des demandeurs d’asile, mais ils ont dû quitter ce centre le 17 mars 2005, suite à la décision du Conseil d’État en date du 8 février 2005 rejetant leur demande d’asile. Le 4 novembre 2005, ils ont emménagé dans un centre d’hébergement d’urgence administré à Haarlem par une association caritative, Voice in the City, qui leur versait 62 euros par semaine. À partir de décembre 2007, ils ont vécu dans un logement mis à leur disposition par Voice in the City, qui prenait en charge leurs factures d’électricité et d’eau et leur allouait une aide hebdomadaire de 80 euros.

2.6À différents moments, les auteurs ont touché des aides d’organismes publics. Du 1er janvier au 4 septembre 2007 et à partir du 11 novembre 2008 (voir par. 6.2), ils ont eu accès aux centres d’accueil et perçu une aide mensuelle d’environ 213,72 euros, accordée à R. par l’Office central chargé de l’accueil des demandeurs d’asile au titre du Règlement relatif aux prestations allouées à certaines catégories d’étrangers. Les auteurs indiquent que ces aides sont versées aux étrangers dont la demande de permis de séjour est pendante et qu’il faut en renouveler chaque mois la demande. Ils indiquent de plus que toutes les demandes qu’ils ont présentées pour toucher d’autres formes d’aide sociale ont été rejetées, et ajoutent qu’ils ont bénéficié du soutien de diverses organisations caritatives. En février 2010, les auteurs ont déménagé dans un « logement ordinaire » de la municipalité de Haarlem.

2.7La fille des auteurs a des problèmes de santé. Dans une lettre datée du 1er février 2008, un représentant d’un centre de jour qui accueillait l’enfant indique que celle‑ci souffre de « troubles post-traumatiques chroniques » dus aux « expériences traumatisantes » qu’elle a vécues et qu’un renvoi en Afghanistan aurait des « conséquences catastrophiques » pour son développement. Le Bureau des Services à l’enfance a aussi établi un rapport sur l’état de santé de R., daté du 1er août 2008, confirmant qu’elle souffre de « troubles post-traumatiques chroniques ». Il diagnostique en outre un « retard de langage » et une « stagnation du développement socioémotionnel », constate qu’elle se détache de ses parents et relève « un comportement régressif dû à la situation traumatisante » de sa famille. Les auteurs précisent qu’au 23 juillet 2007, cinq organisations leur apportaient une aide en lien avec les problèmes de santé de R.

2.8Les auteurs indiquent qu’ils ont soumis à la Caisse de sécurité sociale trois demandes d’allocation de base pour enfant à charge, une prestation servie à tous les parents de jeunes enfants pour les aider à assumer les dépenses liées à l’éducation de ceux-ci, les 6 novembre 2007, 27 février 2009 et 8 mars 2010, respectivement. Ils précisent que leur communication concerne uniquement le rejet par l’État partie de la première de ces trois demandes, soumise au nom de R. le 6 novembre 2007, qui couvre la période allant du quatrième trimestre de 2006 au premier trimestre de 2008. L’une des conditions à remplir pour pouvoir prétendre à cette allocation est d’être assuré. Le paragraphe 1 de l’article 6 de la loi relative à l’allocation de base pour enfant à charge fixe les critères à remplir pour être considéré comme une personne assurée, et le paragraphe 2 du même article, introduit par la loi d’interconnexion, dispose qu’un étranger qui ne réside pas légalement aux Pays-Bas au sens des paragraphes a) à e) et l) de l’article 8 de la loi sur les étrangers ne peut pas être considéré comme une personne assurée.

2.9Le 22 janvier 2008, la Caisse de sécurité sociale a rejeté la première demande des auteurs au motif qu’ils n’avaient pas de permis de séjour valable. Le 29 janvier 2008, les auteurs ont formé un recours contre cette décision. Le 30 mai 2008, la Caisse de sécurité sociale a rejeté ce recours au motif que les auteurs n’avaient pas de permis de séjour valable. Le 31 mai 2008, les auteurs ont formé un recours contre cette décision, affirmant que le droit à l’allocation de base pour enfant à charge leur était garanti par divers instruments internationaux. Le 25 novembre 2008, le tribunal régional d’Amsterdam les a déboutés, arguant que, lorsqu’il avait à se prononcer sur l’octroi d’une allocation de base pour enfant à charge et que, pour ce faire, il mettait en balance les objectifs de la loi d’interconnexion, d’une part, et les intérêts du demandeur, d’autre part, l’État pouvait raisonnablement décider de n’accorder cette allocation qu’aux étrangers titulaires d’un permis de séjour valable. Les auteurs ont interjeté appel de cette décision devant le Tribunal administratif central.

2.10Le 11 mars 2011, l’appel interjeté par les auteurs le 25 novembre 2008 contre la décision du tribunal régional d’Amsterdam a été examiné par le Tribunal administratif central en même temps que 10 autres appels similaires. Le 15 juillet 2011, le Tribunal a annulé la décision de la Caisse de sécurité sociale et ordonné à celle-ci de rendre une nouvelle décision sur la demande d’allocation de base pour enfant à charge des auteurs. Il a estimé que la distinction entre résidents en situation régulière et résidents en situation irrégulière aux fins de l’octroi de l’allocation de base pour enfant à charge était justifiée lorsque son objectif était légitime et que les moyens utilisés pour l’atteindre étaient raisonnablement proportionnés (voir par. 4.9). En outre, citant la Cour européenne des droits de l’homme, le Tribunal a considéré qu’une distinction fondée principalement sur la nationalité devait être justifiée par des « considérations très fortes ». Il a considéré que le paragraphe 2 de l’article 6 de la loi sur l’allocation de base pour enfant à charge était raisonnable dans son principe mais que son application aux auteurs ne se justifiait pas parce que ceux-ci vivaient depuis longtemps aux Pays-Bas, pendant certaines périodes en situation régulière, et avaient noué avec le pays des liens tels qu’ils pouvaient être considérés comme « faisant partie de la société néerlandaise ». En outre, le Tribunal administratif central a tenu compte du fait que les autorités savaient que les auteurs vivaient depuis longtemps aux Pays-Bas. La Caisse de sécurité sociale s’est pourvue contre cette décision devant la Cour suprême et, le 16 mai 2012, le Procureur général a conseillé à la Cour suprême d’accueillir ce recours.

2.11Le 23 novembre 2012, la Cour suprême a annulé la décision du Tribunal administratif central. Considérant que le rejet de la demande d’allocation de base pour enfant à charge des auteurs était principalement fondé non sur la seule nationalité mais à la fois sur la nationalité et la situation au regard de la législation relative au séjour, elle a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’appliquer le critère de « considérations très fortes ». En outre, renvoyant à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 26 du Pacte, elle a souligné qu’il y avait discrimination lorsque la mesure litigieuse attaquée ne visait pas un objectif légitime ou lorsque les moyens utilisés pour atteindre l’objectif poursuivi n’étaient ni proportionnés ni raisonnables. La Cour a estimé que la distinction établie par la loi d’interconnexion entre la nationalité et la situation au regard de la législation sur le séjour reposait sur un motif objectif et raisonnable. Elle a aussi considéré que, dans des affaires similaires à celle des auteurs, cette distinction avait un objectif légitime. Elle a de plus estimé que l’exclusion des auteurs du bénéfice de l’allocation de base pour enfant à charge était raisonnable et proportionnée à l’objectif poursuivi, les États étant autorisés à établir des distinctions fondées sur la nationalité lorsqu’ils prennent des mesures en matière d’immigration. Elle a ajouté que les États étaient en droit d’adopter des mesures propres à protéger leurs intérêts économiques et qu’ils bénéficiaient d’une large marge d’appréciation dans la réglementation de la sécurité sociale. La Cour a indiqué que des considérations telles que le fait que les auteurs résidaient depuis longtemps aux Pays-Bas et leurs liens avec ce pays n’avaient pas d’incidence sur cette conclusion, faisant observer que le fait que les auteurs résidaient depuis longtemps aux Pays‑Bas sans permis de séjour valable n’était pas une « caractéristique personnelle inhérente ou immuable [mais] procéd[ait] en partie d’un choix ».

2.12Les auteurs indiquent qu’ils ont épuisé tous les recours internes et que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que le rejet par la Caisse de sécurité sociale de leur demande d’allocation de base pour enfant à charge, fondé sur leur statut au regard de la législation sur le séjour, est discriminatoire et constitue une violation par l’État partie des articles 23, 24 (par. 1) et 26 du Pacte.

3.2Les auteurs soutiennent que, comme l’allocation de base pour enfant à charge est versée aux parents dans l’intérêt de l’enfant, elle représente un moyen pour l’État partie de s’acquitter de l’obligation mise à sa charge par les articles 23 et 24 du Pacte. À ce propos, ils soulignent que, les Pays-Bas ayant formulé une réserve à l’article 26 de la Convention relative aux droits de l’enfant excluant la possibilité qu’un enfant jouisse en propre d’un droit à des prestations de sécurité sociale, l’allocation de base pour enfant à charge est versée aux parents dans l’intérêt de l’enfant. Les auteurs en concluent que le versement de cette allocation devrait être considéré comme une mesure de protection de la famille visant à donner effet au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. Les auteurs renvoient à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Niedzwieckic. Allemagne,dans laquelle la Cour a jugé qu’en versant des allocations pour enfant à charge aux parents, les États démontrent leur respect de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils ajoutent que l’allocation de base pour enfant à charge peut être considérée comme une mesure de protection au sens de l’article 24 du Pacte à laquelle l’enfant a droit de la part de sa famille, de la société et de l’État, du fait de sa condition de mineur.

3.3Les auteurs affirment que, comme le droit à une égale protection de la loi consacré par l’article 26 du Pacte ne concerne pas uniquement la discrimination s’agissant des droits garantis par le Pacte, les dispositions de cet article devraient s’appliquer en l’espèce, compte tenu en particulier de la discrimination dont ils ont fait l’objet en ce qui concerne la jouissance de leur droit à la sécurité sociale, de leur droit à une protection et une assistance en tant que famille et de leur droit à un niveau de vie suffisant, consacrés aux articles 9, 10 (par. 1) et 11 (par. 1), respectivement, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

3.4Les auteurs font valoir que l’État partie aurait dû prendre en considération les particularités de leur situation, notamment les motifs de leur demande d’asile, les problèmes de santé de leur fille, leurs attaches et liens profonds avec les Pays-Bas et le fait qu’ils vivent depuis longtemps dans ce pays, du fait qu’il a fallu des années aux autorités pour examiner leur demande d’asile et décider s’ils devaient « être admis » dans le pays. Ils citent à l’appui de cette affirmation les constatations du Comité en l’affaire Winata et Li c. Australie, dans laquelle le Comité a considéré que si un État partie pouvait appliquer une politique restrictive en matière d’immigration, il ne pouvait pas le faire arbitrairement et sans tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce. Les auteurs en concluent que l’État partie ne peut pas appliquer la loi d’interconnexion de manière rigide pour refuser toutes les prestations sociales à toutes les personnes en situation irrégulière, en particulier celles dont les demandes de permis de séjour sont pendantes. Ils soutiennent que le rejet catégorique de leur demande d’allocation de base pour enfant à charge au motif qu’ils n’avaient pas de permis de séjour valable va à l’encontre du principe établi en l’affaire Winata et Li c. Australie. Ils font de plus valoir qu’ils n’étaient pas en situation « irrégulière » au sens de la loi d’interconnexion : ils se sont présentés aux autorités dès leur arrivée, ils ont déposé une demande d’asile et ils étaient titulaires de permis de séjour pendant la plupart du temps qu’ils ont passé aux Pays-Bas. Ils ajoutent que, compte tenu des objectifs de la loi d’interconnexion, le fait de priver certains individus de la possibilité de bénéficier de prestations sociales n’atteint son but que si les intéressés peuvent quitter le territoire. Or, comme les auteurs ne peuvent pas retourner en Afghanistan, les dispositions pertinentes de cette loi n’auraient pas dû leur être appliquées.

3.5Les auteurs soulignent en outre que le rejet de leur demande d’allocation de base pour enfant à charge les a contraints à survivre « avec moins que le minimum vital », ce qui va à l’encontre des articles 23, 24 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils soutiennent qu’ils ont vécu dans une pauvreté absolue et que même si l’allocation de base pour enfant à charge n’est généralement pas considérée comme une allocation de subsistance, elle en avait le caractère dans leur cas car elle leur était nécessaire pour éviter que leur niveau de vie tombe en-dessous du seuil de pauvreté. Les auteurs rappellent en outre qu’après avoir été priés de quitter le centre d’accueil de l’Office central chargé de l’accueil des demandeurs d’asile en 2005, ils n’ont touché qu’une aide hebdomadaire de 62 euros versée par Voice in the City et qu’à la fin 2007, ils ont emménagé dans un appartement mis à leur disposition par cette association, qui leur versait en outre une aide hebdomadaire de 80 euros. Ils affirment qu’une comparaison entre le montant des aides qu’ils ont touchées pendant ces périodes et le montant des prestations mensuelles de sécurité sociale pour les couples avec enfants établi par l’Institut national pour l’établissement du budget, soit 1 256 euros, suffit à démontrer le degré de dénuement dans lequel ils ont vécu. Les auteurs soulignent par ailleurs que les problèmes de santé de R. ont été causés principalement par la situation de « grande pauvreté », extraordinairement éprouvante, dans laquelle la famille a vécu.

3.6Les auteurs renvoient en outre à une décision rendue en 2012 par la Cour constitutionnelle fédérale allemande dans laquelle cette juridiction a considéré que le fait pour l’État de ne pas prendre réellement en considération les besoins effectifs des demandeurs d’asile lorsqu’il leur allouait des prestations constituait une violation du principe d’humanité inscrit dans la Loi fondamentale allemande. La Cour constitutionnelle a souligné que le paragraphe 1 de l’article premier de la Loi fondamentale garantissait un droit à un minimum vital, ce qui, selon les auteurs, découle des articles 23 et 26 du Pacte. Les auteurs prient le Comité d’interpréter le Pacte comme consacrant un droit similaire à celui inscrit dans la Loi fondamentale allemande. Ils soutiennent que, compte tenu de l’article 26 du Pacte, ce droit devrait obliger l’État partie à assurer un minimum vital aux personnes qui résident légalement dans le pays mais n’ont pas de permis de séjour valable.

3.7Les auteurs affirment qu’en ne prenant pas en considération l’intérêt de leur enfant, l’État partie a violé l’article 24 du Pacte. Ils estiment que l’intérêt de l’enfant à recevoir l’allocation de base doit être examiné séparément de l’intérêt de ses parents. Ils s’inscrivent donc en faux contre l’argument de la Cour suprême de l’État partie selon lequel le statut des auteurs au regard de la législation sur le séjour « procédait en partie d’un choix », faisant valoir que R. n’était manifestement pas en mesure de faire des choix dans ce domaine. Les auteurs contestent en outre les décisions de la Caisse de sécurité sociale ainsi que l’idée qui sous-tend les conclusions des tribunaux, à savoir que les droits de l’enfant, y compris ceux qui sont consacrés par la Convention relative aux droits de l’enfant, sont dénués de pertinence en l’espèce. Ils relèvent en outre des incohérences dans la jurisprudence de la Cour suprême qui, dans un arrêt rendu le 21 septembre 2012, a considéré que l’État était tenu en vertu du droit international de pourvoir aux besoins fondamentaux des enfants dont les parents n’étaient pas en mesure d’assurer la subsistance.

3.8Renvoyant au rapport établi par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur la visite qu’il a effectuée aux Pays-Bas du 20 au 22 mai 2014, les auteurs soulignent que, lorsqu’il doit se prononcer sur l’octroi d’un permis de séjour aux enfants d’une famille d’immigrés en situation irrégulière, l’État partie devrait tenir compte au premier chef de l’intérêt supérieur de l’enfant. En outre, il devrait considérer que le fait qu’un enfant vit depuis longtemps dans le pays est un motif de lui accorder un permis de séjour. Bien que le rapport du Commissaire aux droits de l’homme traite de l’octroi de permis de séjour, les auteurs estiment que les principes dégagés à ce sujet valent également pour l’octroi de l’allocation de base pour enfant à charge. Ils renvoient à une décision adoptée en 2014 par le Comité européen des droits sociaux dans laquelle cet organe a conclu que les Pays-Bas avaient violé les obligations internationales qui leur incombent de faire en sorte que leurs résidents, y compris ceux qui n’ont pas de permis de séjour valable, aient de quoi se nourrir, se vêtir et se loger. De cette décision, les auteurs déduisent qu’ils ont droit à un revenu minimum de subsistance en vertu du droit de l’Union européenne et du droit international.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 10 juillet 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2L’État partie décrit les dispositions juridiques et les politiques pertinentes, dont la loi sur l’allocation de base pour enfant à charge, la loi sur les étrangers et la loi d’interconnexion. S’agissant de la loi sur l’allocation de base pour enfant à charge, l’État partie indique que cette prestation a été mise en place pour aider les parents qui élèvent des enfants et qu’en conséquence, il s’agit d’une prestation servie aux parents, non aux enfants. Il souligne que cette allocation n’est pas censée faire office de « complément de revenu ». Il précise en outre que si l’un des principes fondamentaux de la loi sur l’allocation de base pour enfant à charge est que toute personne vivant aux Pays-Bas est assurée, les étrangers qui n’ont pas été « admis » dans le pays ne sont pas assurés. Cette exception découle du principe selon lequel le droit aux prestations sociales dépend de la situation au regard de la législation sur le séjour, qui est énoncé dans la loi d’interconnexion, le but étant de mettre fin à une situation dans laquelle de nombreux étrangers en situation irrégulière parvenaient à prolonger leur séjour de facto aux Pays-Bas, notamment en faisant valoir un droit à des prestations sociales. Ce texte consacre un principe fondamental, à savoir qu’un étranger qui n’est pas titulaire d’un « permis de séjour inconditionnel » ne peut prétendre à ces prestations. En conséquence, un étranger qui n’a obtenu qu’une autorisation de séjour temporaire dans l’État partie n’a pas droit à des prestations sociales.

4.3L’État partie indique que le régime instauré par la loi d’interconnexion n’est pas rigide et qu’il ne prive pas tous les étrangers qui n’ont pas été admis dans le pays du droit à des prestations quelle que soit leur situation, et que la loi prévoit des exceptions au principe selon lequel le droit à des prestations dépend du statut au regard de la législation sur le séjour. Premièrement, elle prévoit des exceptions générales dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’aide juridictionnelle. Toute personne de moins de 18 ans a accès à l’éducation quel que soit son statut au regard de la législation relative au séjour, toute personne dont la vie est en danger ou qui représente un danger pour autrui et toute femme enceinte ou parturiente a accès à des soins de santé, et toute personne a droit à l’aide juridictionnelle. Deuxièmement, la loi prévoit des exceptions pour certaines catégories d’étrangers : a) les victimes de la traite et les étrangers concernés par une demande de regroupement familial, qui ont droit à l’aide sociale ; b) les étrangers en attente d’une décision sur leur demande de permis de séjour, qui peuvent obtenir certaines prestations au titre de dispositions spéciales prévues notamment par l’ordonnance sur les demandeurs d’asile et autres catégories d’étrangers ou l’ordonnance sur certaines catégories d’étrangers, même s’ils n’ont droit à aucune aide sociale dans le cadre du régime général de sécurité sociale. La première de ces ordonnances prévoit la création de centres d’accueil et l’octroi d’allocations hebdomadaires et d’autres aides, et la seconde prévoit d’assurer aux étrangers qui ne sont pas des demandeurs d’asile les moyens de subsistance nécessaires, notamment une aide financière et une prise en charge des frais médicaux. En outre, l’État partie indique que les demandeurs d’asile qui résident légalement aux Pays-Bas et attendent qu’il soit statué sur leur demande d’asile se voient offrir diverses prestations, dont des possibilités d’hébergement ; une aide hebdomadaire visant à couvrir les achats de nourriture et de vêtements et d’autres dépenses personnelles ; des billets pour les déplacements en transports publics liés à la procédure d’asile ; une aide permettant de financer des activités de loisir ; et la prise en charge des frais médicaux, des frais liés à l’assurance de responsabilité civile et des dépenses exceptionnelles.

4.4L’État partie rappelle les traits saillants de la communication des auteurs. Il souligne que, pendant l’examen de leur première demande d’asile (voir par. 2.5), les auteurs ont eu accès à un hébergement, des activités éducatives, une allocation hebdomadaire, un régime d’assurance maladie et une assurance de responsabilité civile. Il mentionne leurs demandes de permis de séjour et d’allocation de base pour enfant à charge.

4.5L’État partie affirme que les auteurs n’ont pas établi que le rejet de leur demande d’allocation de base pour enfant à charge a constitué une violation des articles 23, 24 (par. 1) et 26 du Pacte. Pour ce qui est de leur grief au titre de l’article 23, l’État partie estime que cette disposition ne crée aucune obligation positive de fournir une aide financière aux familles, par exemple une allocation pour enfant à charge, et qu’en conséquence la question de l’immixtion de l’État dans la vie de famille des auteurs ou de son inaction ne se pose pas. L’État partie répète qu’une allocation pour enfant à charge n’est pas un complément général de revenu et qu’elle n’est pas versée aux familles avec enfants pour leur assurer un revenu minimum de subsistance. En outre, il souligne que, si l’article 23 donne naissance à des obligations positives, ces obligations concernent les mesures visant à préserver l’unité de la famille et à favoriser le regroupement familial. Il considère par conséquent que l’analogie que les auteurs font avec l’affaire Winata et Li c. Australie est dénuée de fondement et conteste leur affirmation selon laquelle une obligation positive de fournir une aide financière aux familles pourrait découler des constatations adoptées par le Comité dans cette affaire.

4.6Pour ce qui est du grief que les auteurs tirent de l’article 24 du Pacte, l’État partie fait observer que, d’après l’observation générale no 17 du Comité, le paragraphe 1 de l’article 24 vise à protéger les enfants contre les atteintes à leur bien-être physique ou psychologique et qu’il en découle une obligation de fournir une protection plus importante aux enfants qu’aux adultes. Dans cette observation générale, le Comité souligne que c’est aux parents qu’il incombe au premier chef de protéger leurs enfants et que l’État est tenu d’intervenir lorsqu’ils ne le font pas. L’État partie réaffirme que l’allocation de base pour enfant à charge n’a pas pour but d’assurer aux familles un revenu minimum de subsistance et que des prestations de base sont prévues pour toutes les personnes en situation irrégulière aux Pays-Bas. Il ajoute que l’obligation découlant de l’article 24 du Pacte ne va pas jusqu’à sous-entendre une obligation de verser une allocation pour enfant à charge, même si l’on tient compte des besoins et de l’intérêt de l’enfant. L’État partie conteste l’affirmation des auteurs selon laquelle les affaires qu’ils citent permettraient de dire que les conséquences indirectes de décisions prises par les pouvoirs publics à l’égard des parents d’un enfant confèrent à celui-ci des droits particuliers au titre de l’article 24 du Pacte. L’État partie répète qu’une allocation pour enfant à charge est une contribution aux dépenses encourues par les parents, à laquelle l’enfant n’a pas droit. Il souligne qu’il a formulé une réserve à l’article 26 de la Convention relative aux droits de l’enfant parce qu’il considère que cette disposition n’implique pas que l’enfant jouit d’un droit indépendant à la sécurité sociale, y compris aux assurances sociales, dont les allocations pour enfant à charge.

4.7En ce qui concerne le grief que les auteurs tirent de l’article 26 du Pacte, l’État partie fait observer qu’il n’est pas rare que les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme établissent des distinctions fondées sur le statut au regard de la législation sur le séjour. Il souligne que la Convention européenne des droits de l’homme établit une telle distinction, et que la portée et la teneur de l’article 26 du Pacte sont analogues aux dispositions pertinentes de ladite Convention. L’État partie ajoute que ces instruments interdisent non pas toutes les inégalités de traitement mais uniquement celles qui sont discriminatoires. Il fait observer que, d’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, seules des « considérations très fortes » peuvent justifier une distinction exclusivement fondée sur la nationalité. L’État partie souligne qu’en l’espèce, la distinction en cause repose essentiellement sur la situation des auteurs au regard de la législation relative au séjour et qu’elle est justifiée par des motifs suffisants. Il avance un certain nombre d’arguments à l’appui de cette affirmation. En premier lieu, l’État partie rappelle que la loi d’interconnexion assujettit l’octroi de prestations sociales au statut au regard de la législation sur le séjour afin d’empêcher les étrangers en situation irrégulière et ceux qui résident légalement dans le pays uniquement parce qu’ils sont en attente d’une décision sur une demande de permis de séjour d’apparaître comme en situation régulière ou de consolider leur situation juridique au point que, quand la procédure arrive à son terme, il n’est plus possible de les expulser. Deuxièmement, l’État partie fait observer que les étrangers en situation régulière au regard de la loi sur les étrangers ont droit à certaines aides, prestations et allocations et que les auteurs ont bénéficié de celles-ci. Troisièmement, il indique qu’en ce qui concerne la sécurité sociale, le législateur national jouit généralement d’un pouvoir discrétionnaire s’agissant de déterminer s’il existe un motif objectif et raisonnable d’établir une distinction.

4.8L’État partie soutient qu’une obligation inconditionnelle de traiter les étrangers en situation irrégulière de la même manière que les nationaux ou les personnes qui ont été admises dans le pays le priverait de la possibilité de mener une politique d’immigration protégeant le bien-être économique du pays. Rappelant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il fait observer qu’en droit international, les États jouissent du droit de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers et de les expulser. L’État partie souligne en outre qu’aucun des traités des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme ne garantit un droit à une allocation pour enfant à charge. Il ajoute que la décision de ne pas accorder aux auteurs l’allocation de base pour enfant à charge était raisonnable et proportionnée à son objectif légitime et qu’en conséquence, elle est justifiée par des motifs suffisants, et que le fait que les auteurs vivaient depuis longtemps aux Pays-Bas et que les autorités le savaient n’a pas d’incidence sur cette conclusion. En outre, l’État partie conteste le bien-fondé de l’argument de l’auteur selon lequel la Cour suprême n’a pas appliqué le bon critère en ne cherchant pas à savoir si la différence de traitement était justifiée par « des considérations très fortes » et soutient que les intérêts des auteurs ont été suffisamment mis en balance avec l’intérêt public. Il rappelle que le fait qu’un étranger ait vécu longtemps aux Pays-Bas sans obtenir de permis de séjour valable n’est pas une caractéristique personnelle inhérente ou immuable mais procède en partie d’un choix. En conséquence, l’État partie fait valoir que la justification requise ne devrait pas être aussi forte que dans le cas d’une distinction fondée sur la nationalité. À ce propos, il conteste l’analogie que les auteurs font entre leur affaire et les constatations du Comité concernant la communication Derksenc. Pays-Bas puisque leur communication ne porte que sur une distinction fondée sur la situation au regard de la législation sur le séjour.

4.9L’État partie estime en outre que le renvoi des auteurs à la décision du Comité européen des droits sociaux en l’affaire Conférence des Églises européennes c. Pays-Bas est dénué de pertinence en l’espèce car cette affaire est sans rapport avec l’octroi de prestations de sécurité sociale.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Le 18 novembre 2015, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils affirment qu’en rejetant leur demande d’allocation de base pour enfant à charge sur le seul fondement de leur statut au regard de la législation sur le séjour, l’État partie n’a pas tenu compte du fait qu’au moment où ils ont présenté cette demande, R. était une enfant de 4 ans vulnérable qui avait des besoins spéciaux et qu’elle vivait dans une situation de pauvreté et de misère extrêmes, ce que n’a pas contesté l’État partie. Ils ajoutent que la situation de R. aurait justifié une application plus souple de la loi d’interconnexion ainsi que des politiques publiques, et ils soulignent que, dans ses observations, l’État partie n’a pas tenu compte de ces circonstances, en particulier de l’intérêt de l’enfant.

5.2En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel les étrangers qui n’ont pas de permis de séjour ont accès à l’éducation s’ils sont mineurs, à des soins de santé si leur vie est en danger et à l’aide juridictionnelle, les auteurs affirment que l’État partie n’a pas expliqué en quoi la mise à disposition de ces services donnait effet à l’obligation lui incombant de protéger l’intérêt de l’enfant. Ils répètent en outre que les problèmes de santé de R. ont été causés par la situation de la famille, qui vit avec un revenu nettement inférieur au « minimum vital » et que l’objectif de leur demande d’allocation de base pour enfant à charge était d’arriver à ce minimum. En réponse à l’affirmation de l’État partie selon lequel le statut migratoire de R. procédait en partie d’un choix, les auteurs soulignent que R. n’a fait aucun choix dans la détermination de son statut migratoire et qu’elle est née aux Pays‑Bas.

5.3Les auteurs font valoir que la Commission européenne reconnaît l’importance de l’obligation incombant à l’État de protéger l’intérêt de l’enfant. Ils considèrent donc que le raisonnement de l’État partie n’est pas défendable car négliger l’intérêt particulier de l’enfant va à l’encontre des obligations qui lui incombent en vertu du droit international.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 12 janvier et le 24 mars 2016, l’État partie a soumis des observations complémentaires. Il relève que les commentaires des auteurs semblent être formulés du point de vue de R., qui n’est pas parmi les auteurs de la communication. L’État partie se dit conscient de l’importance des intérêts de R. en l’espèce, mais il estime que ces intérêts ne peuvent pas être considérés comme le seul ou principal point de référence au regard du Pacte. Par ailleurs, il souligne que les auteurs étaient tenus de quitter les Pays-Bas suite au rejet de leur demande d’asile.

6.2En ce qui concerne l’affirmation des auteurs selon laquelle R. a été contrainte de vivre et de grandir dans la misère, l’État partie indique que les auteurs ont reçu l’aide nécessaire pendant la période concernée, soit du 1er octobre 2006 au 31 mars 2008. Il rappelle qu’entre janvier et septembre 2007, ils ont perçu une allocation mensuelle au titre du Règlement relatif aux prestations allouées à certaines catégories d’étrangers (voir supra, par. 2.6) en attendant qu’il soit statué sur leur demande de permis de séjour. Il souligne en outre que R. a bénéficié d’une prise en charge spécialisée, qu’elle allait dans une crèche médicalisée quatre jours par semaine et que les auteurs vivaient dans une maison louée par une fondation − Voice in the City − qui était subventionnée par la municipalité de Haarlem.

6.3L’État partie rappelle que, pendant la période concernée, R. et sa famille étaient en attente d’une décision sur leur demande de permis de séjour. Il soutient qu’on ne peut pas considérer qu’ils vivaient alors dans le dénuement et affirme que le rejet d’une demande d’allocation pour enfant à charge ne saurait faire tomber une famille dans la misère.

6.4L’État partie convient avec les auteurs que la communication porte sur l’allocation de base pour enfant à charge. Il répète toutefois que cette allocation n’a pas été conçue comme un complément de revenu et qu’elle n’est pas versée aux familles avec enfants dans le but de leur assurer un revenu minimum de subsistance. Il répète également que l’objectif de cette allocation est de contribuer aux dépenses liées à l’entretien et l’éducation des enfants et que le besoin n’est pas un critère d’octroi.

6.5En ce qui concerne les observations des auteurs concernant l’association Voice in the City (voir par. 7.1), l’État partie indique que, s’il a précisé que cette association était subventionnée, c’était simplement pour signaler que les auteurs avaient été hébergés et que leurs frais de logement et de subsistance avaient été pris en charge pendant la période allant du 1er octobre 2006 au 31 mars 2008.

Commentaires des auteurs sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 15 février 2016, les auteurs ont présenté des commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Ils se félicitent que l’État partie ait reconnu qu’ils avaient besoin d’un revenu minimum de subsistance. Ils maintiennent toutefois que les familles, en particulier celles qui ont des enfants vulnérables comme R., ne peuvent être laissées dans la misère comme eux-mêmes l’ont été. Ils rappellent que cette situation a été créée par l’État partie et que Voice in the City est intervenue en louant un « taudis voué à la démolition » afin que leur famille ait un logement. Les auteurs soutiennent que l’État partie présente fallacieusement Voice in the City comme bénéficiant d’un financement public et précise que cette association caritative n’a pas été chargée par la municipalité de Haarlem de soutenir la famille mais qu’elle est financée principalement par des églises locales et des dons de particuliers.

7.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel ils ont reçu suffisamment d’argent pour couvrir les besoins fondamentaux de leur famille parce qu’ils ont perçu des allocations au titre du Règlement relatif aux prestations allouées à certaines catégories d’étrangers du 1er janvier au 4 septembre 2007, les auteurs indiquent que l’État partie ne tient pas compte de certaines périodes, comme celle comprise entre leur arrivée dans le pays en 2005 et le 1er janvier 2007 et celle postérieure au 4 septembre 2007. Ils contestent en outre le bien-fondé de l’argument de l’État partie selon lequel leur famille était « dans une situation habituelle pour des demandeurs d’asile » pendant cette période car ils n’ont pratiquement rien perçu entre la date à laquelle ils ont été « mis à la rue » − le 17 mars 2005 − et la date à laquelle ils ont reçu leur permis de séjour − le 22 janvier 2009. Ils ajoutent qu’ils avaient droit à une allocation mensuelle d’environ 215 euros pour R., ce qui n’est qu’une « part infime » du revenu minimum d’une famille aux Pays-Bas.

7.3Les auteurs rappellent que leur communication ne porte que sur les allocations pour enfant à charge. Ils soulignent que ces prestations sont importantes en ce qu’elles permettent de disposer du revenu minimum de subsistance dont la famille a été privée. Ils estiment que l’allocation trimestrielle de 186 euros les aurait considérablement aidés à se rapprocher de ce minimum.

7.4Les auteurs réaffirment en outre que les allocations pour enfants à charge ne peuvent être demandées que par l’un des parents, qu’elles sont versées à celui-ci et qu’il peut seul exercer des recours les concernant. Par conséquent, bien que R. ne soit pas l’auteure de la communication, sa situation et ses droits fondamentaux ont toujours été au centre de la procédure judiciaire. Les auteurs affirment qu’en tant que parents, ils sont tenus par la loi de pourvoir aux besoins de leur fille ; toutefois, c’est la famille en tant qu’elle forme un tout qui a été touchée par l’absence de revenu minimum. Les auteurs soulignent que le fait que R. n’ait pu demander elle-même des prestations n’est pas pertinent.

7.5Réagissant aux observations de l’État partie sur leurs griefs au titre des articles 23 et 24 du Pacte, les auteurs soutiennent qu’il n’est pas possible d’examiner ces griefs sans tenir compte des besoins de R. Ils font valoir que les actes de l’État partie ont violé les droits dont R. jouit en tant qu’enfant. Ils affirment que les obligations incombant à l’État partie en vertu du Pacte ne sont pas affectées par leur obligation de quitter les Pays-Bas et que, dans le cadre de l’application de sa politique d’immigration, l’État partie ne saurait méconnaître les obligations en matière de droits de l’homme mises à sa charge par les articles 23 et 24 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer s’il est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle ils ont épuisé tous les recours internes utiles qui leur étaient ouverts. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

8.4Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé les griefs qu’ils tirent des articles 23, 24 (par. 1) et 26 du Pacte aux fins de la recevabilité. Il déclare donc la communication recevable et va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle l’allocation de base pour enfant à charge peut être considérée comme une mesure de protection au sens de l’article 24 du Pacte à laquelle l’enfant a droit de la part de sa famille, de la société et de l’État du fait de sa condition de mineur, et qu’en rejetant leur demande d’allocation de base pour enfant à charge l’État partie n’a pas pris au bénéfice de R. les mesures de protection qu’exigeait sa condition de mineure, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle, lorsqu’il détermine s’il y a lieu d’accorder une allocation pour enfant à charge, l’État partie devrait tenir compte au premier chef de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans la présente affaire, le Comité n’est pas appelé à déterminer d’un point de vue général quelles sont les obligations des États parties au Pacte en matière de prestations familiales, ni à décider dans quelle mesure il est justifié de limiter le droit à de telles prestations en fonction de la situation au regard de la législation sur le séjour. La seule question sur laquelle il doit se prononcer est celle de savoir si, dans les circonstances particulières de l’espèce, le rejet de la demande d’allocation pour enfant à charge présentée par les auteurs a violé les droits que R. tient du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

9.3Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 24, tout enfant a droit à des mesures spéciales de protection du fait de sa condition de mineur. Il rappelle en outre que le principe selon lequel dans toute décision touchant un enfant, l’intérêt supérieur de celui-ci doit être une considération primordiale fait partie intégrante du droit de tout enfant aux mesures de protection prescrites par le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.Les États parties au Pacte ont l’obligation positive de protéger les enfants contre toute atteinte physique ou psychologique, ce qui peut impliquer de garantir un revenu minimum de subsistance, pour satisfaire aux prescriptions du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

9.4Le Comité note que, le 15 août 2001, les auteurs ont présenté une première demande d’asile qui a été rejetée le 24 février 2003, et que la décision de rejet est devenue définitive le 8 février 2005 sur décision du Conseil d’État. Le Comité relève que les auteurs ont vécu dans un centre d’hébergement géré par l’Office central chargé de l’accueil des demandeurs d’asile depuis leur arrivée en 2001 jusqu’au 17 mars 2005, date à laquelle ils ont été priés de quitter ce centre suite au rejet de leur demande d’asile. Le Comité relève aussi que, pendant cette période, les auteurs avaient droit à une aide hebdomadaire destinée à couvrir les dépenses liées à l’achat de denrées alimentaires et de vêtements et à d’autres dépenses personnelles, dont les activités récréatives et les frais médicaux, conformément à l’ordonnance sur les demandeurs d’asile et autres catégories d’étrangers. Le Comité relève que les auteurs ont présenté deux demandes de permis de séjour, le 21 décembre 2005 et le 19 septembre 2006 respectivement, et que le 13 octobre 2008 ils ont demandé le report de l’exécution de la mesure d’expulsion au motif que Mme Hashemi était enceinte de leur deuxième enfant. Le Comité prend note du report accordé par le Secrétaire d’État à la justice le 2 novembre 2008, qui a autorisé les auteurs à rester dans le pays du 11 novembre 2008 à la fin de janvier 2009 et leur a accordé un titre de séjour couvrant cette période.

9.5Le Comité estime que le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte impose à l’État partie une obligation positive de veiller à la protection du bien-être physique et psychologique des enfants, notamment par une garantie de subsistance dans les cas où les parents n’ont pas d’autre revenu ou ne bénéficient pas d’une autre aide. Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie, qui n’est pas contestée par les auteurs, selon laquelle entre janvier et septembre 2007, les auteurs ont reçu une allocation mensuelle au titre du Règlement relatif aux prestations allouées à certaines catégories d’étrangers et R. a bénéficié d’une prise en charge médicale quatre jours par semaine. Le Comité relève que les auteurs ont bénéficié à nouveau de cette allocation mensuelle à partir du 11 novembre 2008, et que R. avait accès à des soins médicaux si sa vie était en danger et accès à l’enseignement, sans considération de son statut au regard de la législation sur le séjour.

9.6Le Comité prend également note de l’allégation des auteurs selon laquelle l’État partie aurait dû tenir compte de leur situation particulière, notamment de celle de R. en tant qu’enfant vulnérable ayant des besoins spéciaux et de leur pauvreté et dénuement extrêmes, qu’ils considèrent comme la cause principale des problèmes de santé de R. Cependant, dans les circonstances particulières de l’espèce, le Comité considère que les auteurs n’ont pas établi l’existence d’un lien entre les problèmes de santé de R. et le fait qu’ils se sont vu refuser l’allocation de base pour enfant à charge, car ils n’ont pas démontré que l’aide financière dont ils ont bénéficié par ailleurs avait été substantiellement moins avantageuse pour la santé de R. que celle qu’aurait constitué l’allocation de base pour enfant à charge.

9.7Eu égard à l’ensemble de ces circonstances, le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des droits que la fille des auteurs tient du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

9.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner plus avant les griefs que les auteurs tirent, en ce qui concerne le même objet, des articles 23 et 26 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation par l’État partie des droits que les auteurs et leur fille tiennent des paragraphes 23, 24 ou 26 du Pacte.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente)de José Santos Pais, membre du Comité

1.Je regrette de ne pouvoir faire mienne la conclusion du Comité selon laquelle l’État partie n’a pas violé les droits que les auteurs tiennent du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

2.Les auteurs sont Jamshed Hashemi et Maryam Hashemi, de nationalité afghane, et ils ont présenté leur communication en leur nom propre et au nom de leurs deux enfants nés aux Pays-Bas, R., née en 2002, et Q., né en 2008.

3.Les auteurs, fuyant les Taliban, sont arrivés aux Pays-Bas en 2001. Ils ont présenté en 2001 une première demande d’asile qui a été rejetée en 2003. Ils ont fait appel de la décision de rejet devant le Tribunal régional de La Haye, qui les a déboutés. En 2005, le Conseil d’État a confirmé la décision du Tribunal régional (voir par. 2.1).

4.Suite à cette décision, les auteurs ont dû, en mars 2005, quitté le centre pour demandeurs d’asile dans lequel ils vivaient. En novembre 2005, comme ils n’avaient aucun revenu, ils ont emménagé dans un centre d’hébergement d’urgence administré à Haarlem par une association caritative, Voice in the City, qui leur versait 62 euros par semaine.

5.En décembre 2005, les auteurs ont présenté au nom de leur fille, en raison des problèmes de santé que connaissait celle-ci, une demande de permis de séjour qui a été rejetée, rejet qui a été finalement confirmé en 2008 par le Conseil d’État (voir par. 2.2). R. souffrait de « troubles post-traumatiques chroniques » dus aux « expériences traumatisantes » qu’elle avait vécues, d’un « retard de langage » et d’une « stagnation du développement socioémotionnel », elle se détachait de ses parents et présentait « un comportement régressif dû à la situation traumatisante » de sa famille. À partir de juillet 2007, plusieurs organisations ont apporté une aide en lien avec les problèmes de santé de R. (voir par. 2.7).

6.Entre janvier et septembre 2007, les auteurs ont eu accès aux centres d’accueil et touché une aide mensuelle d’environ 213,72 euros, accordée à R. par l’Office central chargé de l’accueil des demandeurs d’asile en vertu du Règlement relatif aux prestations allouées à certaines catégories d’étrangers (voir par. 2.6). À partir de décembre 2007, les auteurs ont vécu dans un logement mis à leur disposition par Voice in the City, qui prenait en charge leurs factures d’électricité et d’eau et leur allouait une aide hebdomadaire de 80 euros (voir par. 2.5).

7.La communication concerne le rejet par l’État partie de la demande d’allocation de base pour enfant à charge, une prestation servie à tous les parents de jeunes enfants pour les aider à assumer les dépenses liées à l’éducation de ceux-ci, présentée en novembre 2007 par les auteurs au nom de R. à la Caisse de sécurité sociale et qui portait sur la période allant du quatrième trimestre de 2006 au premier trimestre de 2008. Pour pouvoir prétendre à cette allocation, il faut être assuré, et un étranger qui ne réside pas légalement aux Pays-Bas ne peut être considéré comme une personne assurée (voir par. 2.8). En conséquence, la Caisse de sécurité sociale a rejeté la demande des auteurs parce qu’ils n’avaient pas de permis de séjour valable (voir par. 2.9). Les auteurs ont fait appel de cette décision, mais le Conseil d’État l’a confirmée (voir par. 2.10 et 2.11).

8.La première question est celle de savoir, eu égard au rejet de la demande d’allocation pour enfant à charge présentée par les auteurs, si ceux-ci et leurs enfants ont été contraints de survivre « avec moins que le minimum vital » et de vivre dans une pauvreté absolue. Même si l’allocation de base pour enfant à charge n’est généralement pas considérée comme une allocation de subsistance, elle en avait le caractère dans le cas des auteurs car elle leur était nécessaire pour éviter que leur niveau de vie ne tombe en dessous du seuil de pauvreté et pour leur assurer un revenu minimum de subsistance dans l’intérêt de leurs enfants. Durant la période considérée, les auteurs ont perçu une prestation mensuelle d’environ 213,72 euros, accordée à R. (pendant neuf mois seulement) par l’Office central chargé de l’accueil des demandeurs d’asile et une aide hebdomadaire de 62 euros de Voice in the City, une association caritative financée principalement par des églises locales et des dons de particuliers, l’État partie ne contribuant à son budget qu’à hauteur de 9 à 13 % (voir par. 7.1). Par la suite, la famille a reçu une aide hebdomadaire de 80 euros, également de Voice in the City (voir par. 3.5). Cette situation financière ne permettait guère de maintenir les enfants, et encore moins l’ensemble de la famille, au-dessus du seuil minimum de subsistance. Dans un tel dénuement, l’allocation trimestrielle de 186 euros aurait pu considérablement aider les auteurs à se rapprocher de ce seuil (voir par. 7.3).

9.Une autre question est celle de savoir si l’état de santé de R. a été aggravé par la situation de « grande pauvreté », extraordinairement éprouvante, dans laquelle vivait la famille (voir par. 3.5). À cet égard, la situation juridique et financière dramatique de celle-ci a eu un impact important sur l’état de santé de l’enfant (voir par. 5.1 et 5.2), bien que cette dernière n’ait pas été totalement privée de soins de santé (voir par. 6.2).

10.En refusant aux auteurs le bénéfice de l’allocation de base pour enfant à charge, qui est censée être une prestation au bénéfice des enfants et contribuer aux dépenses liées à leur entretien et leur éducation (par. 6.4), l’État partie n’a pas tenu dûment compte de la nécessité de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, tout État partie devrait être tenu de pourvoir aux besoins minimums des enfants lorsque les parents ne sont pas en mesure de le faire (par. 3.7) pour aider ceux-ci à assurer à leurs enfants le minimum vital. Cela est d’autant plus vrai dans le cas des auteurs, qui vivaient aux Pays‑Bas depuis 2001 et ne pouvaient retourner en Afghanistan.

11.Contrairement au Comité, j’aurais donc conclu que, en rejetant la demande d’allocation de base pour enfant à charge présentée par les auteurs, l’État partie a violé les droits que R. tient du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, aux termes duquel tout enfant a droit aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur. De fait, l’État partie n’a pas en l’espèce respecté le principe voulant que, dans toute décision touchant un enfant, l’intérêt supérieur de celui-ci soit une considération primordiale. Comme le Comité le souligne à juste titre (voir par. 9.3 et 9.5), les États parties au Pacte ont une obligation positive de veiller à la protection du bien-être physique et psychologique des enfants, notamment par une garantie de subsistance dans les cas où les parents n’ont pas d’autre revenu ou ne bénéficient pas d’une autre aide. Je considère qu’en l’espèce l’État partie ne s’est pas acquitté de cette obligation positive.