Nations Unies

CCPR/C/126/D/2541/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

27 septembre 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2541/2015*,**

Communication présentée par :

María Dolores Martín Pozo (représentée par un conseil, Antonio Ortiz Fernández)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Espagne

Date de la communication :

28 juillet 2014

Références :

Décision adoptée en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 janvier 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

18 juillet 2019

Objet :

Droit à la présomption d’innocence ; droit à une procédure régulière ; droit de saisir une juridiction du second degré

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; examen par une autre instance internationale

Question(s) de fond :

Droit de faire réexaminer une décision de justice ; droit à la présomption d’innocence ; droit à une procédure régulière ; droit d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial

Article(s) du Pacte :

9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2, 3 et 5) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.L’auteure de la communication est María Dolores Martín Pozo, personne majeure de nationalité espagnole. Elle affirme que l’Espagne a violé les droits qu’elle tient des articles 9 (par. 1 à 3), 14 (par. 1, 2, 3 et 5) et 26 du Pacte. Elle est représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 16 avril 2003, un juge a prononcé la séparation de l’auteure et de son mari et accordé la garde de la fille du couple à l’auteure. Le 28 mars 2006, le mari de l’auteure a déposé une requête en divorce auprès du tribunal de première instance no 24 de Madrid et a demandé la garde de l’enfant.

2.2Le 24 janvier 2007, les époux ont comparu devant le juge dans le cadre de la procédure de divorce. En sortant de la salle d’audience, l’auteure, qui ne pouvait pas supporter l’idée de perdre la garde de sa fille, a menacé son ex-mari, lui disant qu’elle voulait le voir mort. Le 31 janvier 2007, le ministère public a rendu un rapport dans lequel il recommandait que la garde de l’enfant soit attribuée au père et que la mère soit privée de tout droit de visite. Le même jour, vers 20 h 30, un véhicule a déboîté devant le véhicule de l’ex-conjoint de l’auteure et a freiné brusquement. L’ex-conjoint de l’auteure a réussi par une manœuvre d’évitement à repasser le véhicule et à poursuivre sa marche, après quoi le conducteur du véhicule l’a heurté par l’arrière. L’ex-conjoint de l’auteure est finalement parvenu à échapper à cette situation.

2.3Le 14 mars 2007, l’ex-mari de l’auteure a été abattu dans le garage de son immeuble.

2.4Pendant l’enquête judiciaire, le téléphone de l’auteure a été mis sur écoute. Le 17 avril 2007, les autorités ont enregistré une conversation entre l’auteure et la Présidente du Tribunal constitutionnel au cours de laquelle les deux femmes, qui se connaissaient, ont échangé des propos sur la procédure engagée contre la première. La juge d’instruction a estimé que cette conversation pouvait constituer une violation de l’article 441 du Code pénal, qui interdit aux juges de conseiller des particuliers. Le 26 mai 2008, elle a présenté des conclusions en ce sens à la deuxième chambre du Tribunal suprême. Le représentant du Pays basque au Conseil général du pouvoir judiciaire s’est ouvertement élevé contre le comportement de l’auteure et de son interlocutrice, qu’il a qualifié de manifestement illicite. Le 2 juin 2008, le Tribunal suprême a clos la procédure engagée comme suite au dépôt des conclusions de la juge d’instruction, estimant que les faits n’étaient pas criminels.

2.5Le 20 mai 2008, l’auteure a été arrêtée et placée en détention provisoire, de même que deux hommes soupçonnés d’être coauteurs directs du meurtre.

2.6Le 23 octobre 2009, la 15e chambre du Tribunal provincial de Madrid a renvoyé le dossier devant la juge d’instruction du tribunal no 5 de Valdemoro, qu’elle a chargée de mettre l’affaire en état d’être jugée par le Tribunal du jury. Le ministère public a formé un recours en révision contre cette décision, mais a été débouté le 30 novembre 2009. Le 29 décembre 2009, il a interjeté appel de la décision du 30 novembre 2009 auprès de la Chambre pénale du Tribunal supérieur de justice de Madrid. Le 11 janvier 2010, le Tribunal provincial de Madrid a déclaré l’action sans mérite. Le 18 janvier 2010, le ministère public a saisi le Tribunal supérieur de justice de Madrid, qui l’a débouté le même jour. Le 22 janvier 2010, il a saisi la Chambre civile et pénale du Tribunal supérieur de justice. Le 12 février 2010, le Tribunal provincial a ordonné l’établissement d’un rapport sur la décision rendue par le Tribunal provincial le 11 janvier 2010. D’après l’auteure, le recours du ministère public n’a plus depuis fait l’objet d’aucune décision.

2.7À l’issue de l’instruction, l’affaire a été renvoyée devant la quatrième chambre du Tribunal provincial de Madrid pour être jugée par le Tribunal du jury. Le ministère public a soulevé une exception préjudicielle afin de contester l’opportunité de la procédure. Le 7 juillet 2010, le Tribunal provincial a accueilli l’exception et ordonné que l’affaire soit jugée dans le cadre de la procédure simplifiée, par des juges professionnels. L’auteure a contesté cette décision auprès du Tribunal supérieur de justice. Le 6 avril 2011, celui-ci l’a déboutée et a confirmé la décision attaquée. Le 27 avril 2011, la quatrième chambre du Tribunal provincial a renvoyé l’affaire à la juge d’instruction du tribunal no 5 de Valdemoro afin qu’elle la mette en état d’être jugée dans le cadre de la procédure simplifiée, devant le Tribunal provincial.

2.8Le 22 décembre 2011, le Tribunal provincial de Madrid a condamné l’auteure aux peines suivantes : dix-sept ans, six mois et un jour de prison pour meurtre aggravé à raison de sa qualité de conjoint de la victime ; trois ans, neuf mois et un jour de prison pour tentative de meurtre ; un an, trois mois et un jour de prison pour menaces de meurtre.

2.9L’auteure s’est pourvue en cassation contre la décision du Tribunal provincial, arguant que son procès avait été excessivement long, que la présomption d’innocence n’avait pas été respectée, qu’il n’y avait pas lieu de retenir la qualité de conjoint comme circonstance aggravante et qu’elle aurait dû être jugée par le Tribunal du jury.

2.10Le 20 septembre 2012, le Tribunal suprême a confirmé le jugement du Tribunal provincial, estimant que la procédure n’avait pas été excessivement longue et que sa durée était justifiée par la complexité de l’affaire et le temps qu’il avait fallu, étant donné les différents crimes commis, pour déterminer si l’affaire relevait de la compétence du Tribunal du jury ou de celle du Tribunal provincial. Le Tribunal suprême a de surcroît conclu que la présomption d’innocence avait été respectée, que l’affaire n’était pas du ressort du Tribunal du jury et que le Tribunal provincial avait eu raison de retenir la qualité de conjoint comme circonstance aggravante.

2.11Le 31 octobre 2012, l’auteure a présenté un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, faisant valoir que la présomption d’innocence n’avait pas été respectée, la seule preuve à sa charge étant le témoignage de l’un des coaccusés, et qu’avoir retenu la qualité de conjoint comme circonstance aggravante était discriminatoire étant donné qu’elle était divorcée de la victime. Le 3 avril 2013, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours, estimant qu’il n’y avait manifestement eu aucune violation d’un droit fondamental ouvrant la voie à l’amparo.

2.12Le 2 septembre 2013, l’auteure a déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Le 12 décembre 2013, la Cour européenne a déclaré cette requête irrecevable car elle ne remplissait pas les conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

Teneur de la plainte

3.1L’auteure estime que l’État partie a porté atteinte à ses droits à la présomption d’innocence et à une procédure régulière, en violation de l’article 14 (par. 1 et 2) du Pacte. En outre, compte tenu du fait qu’elle a été placée en détention provisoire pendant la durée de son procès, elle estime également qu’elle a été victime d’une violation de l’article 9 (par. 1). Selon elle, son droit à la présomption d’innocence n’a pas été respecté car aucun élément de preuve ne justifiait qu’elle soit déclarée coupable. De fait, la seule preuve à sa charge était le témoignage du coaccusé E. S. B., qui ne remplissait pas les conditions de recevabilité puisque E. S. B. a ultérieurement été reconnu comme étant l’auteur direct du meurtre. De surcroît, ce témoignage était vague et général, et les juges l’ont d’ailleurs estimé à ce point contradictoire et peu crédible qu’ils ont acquitté l’autre coaccusé (C. M. G.). E. S. B. était mu par la volonté d’être exonéré de toute responsabilité ou, à défaut, de bénéficier des circonstances atténuantes accordées aux repentis, ce qu’il a obtenu puisque le ministère public a requis contre lui une peine de treize ans et un jour de prison au lieu du maximum de trente-neuf ans prévu par la loi et le Tribunal provincial a estimé qu’il avait « partiellement collaboré » avec la justice. L’auteure soutient que le fait d’avoir retenu le témoignage d’E. S. B. comme preuve à charge contre elle et non contre C. M. G. alors qu’il les incriminait tous les deux participe d’un traitement inégal. Elle avance en outre que, en droit espagnol, le témoignage d’un coaccusé n’a pas en soi de valeur probante car, contrairement aux autres témoins, le coaccusé n’est pas requis de dire la vérité (il ne prête pas serment). D’après la législation et la jurisprudence nationales applicables, pour que ce type de témoignage puisse servir de preuve, plusieurs conditions doivent être réunies. Il faut notamment que le témoin ne soit pas motivé par la volonté d’obtenir une réduction de peine ou d’être acquitté et que ses propos soient corroborés par d’autres éléments. En l’espèce, le Tribunal a estimé que le témoignage d’E. S. B. était corroboré par les menaces que l’auteure avait proférées à l’égard de son ex-mari le 24 janvier 2007 et par l’existence d’un mobile, à savoir le différend qui opposait les deux parents au sujet de la garde de leur fille. L’auteure soutient toutefois que ces éléments ne viennent pas confirmer sa participation aux faits reprochés. Elle fait observer que, ainsi qu’il ressort du jugement, rien ne prouve qu’elle ait payé l’auteur direct du meurtre, ni donc qu’elle ait participé à celui-ci. Enfin, elle soutient que la police a expédié l’enquête, abandonnant inexplicablement des pistes qui conduisaient à une dangereuse bande criminelle qui aurait pu être impliquée dans une première tentative de meurtre. Selon elle, ces éléments constituent une violation du droit à une procédure régulière et du droit à la présomption d’innocence garantis aux articles 9 (par. 1) et 14 (par. 1 et 2) du Pacte.

3.2L’auteure soutient qu’elle a été soumise à un traitement inégal devant la loi et a été victime de discrimination, en violation des articles 14 (par. 1) et 26 du Pacte. Elle souligne que sa peine a été aggravée à raison de la relation conjugale qui avait existé entre elle et la victime alors pourtant qu’ils étaient divorcés et qu’il n’existait plus entre eux aucun lien sentimental. Le Tribunal a estimé que la relation conjugale constituait une circonstance aggravante en ce qu’elle était à l’origine du mobile du crime. L’auteure avance que cette interprétation large de la notion de circonstance aggravante a pour résultat que le justiciable divorcé reste marqué à vie par une relation passée et encourt une peine sensiblement plus lourde que celle qui serait imposée à une autre personne à raison des mêmes faits, ce qui est discriminatoire. Elle souligne de surcroît que la qualité de conjoint est une circonstance aggravante depuis l’entrée en vigueur du Code pénal modifié du 29 septembre 2003 et que les liens sentimentaux entre elle et la victime étaient rompus depuis 2001, en conséquence de quoi le principe de non-rétroactivité de la loi pénale la plus sévère a été bafoué.

3.3Enfin, l’auteure allègue qu’elle n’a pas été jugée par un tribunal compétent, indépendant et impartial, ce qui constitue une violation de l’article 14 (par. 1). Elle estime que la juge d’instruction et le tribunal du ressort, à savoir le Tribunal provincial, ont tous deux manifestement manqué d’impartialité : la juge d’instruction, parce qu’elle a soumis au Tribunal suprême des conclusions motivées reposant sur une conversation téléphonique enregistrée dans le cadre d’une enquête qui n’avait rien à voir avec les faits reprochés ; le Tribunal provincial, parce que le juge J. P. G. G. avait publiquement déclaré que la conversation entre elle et la Présidente du Tribunal constitutionnel constituait une infraction à la loi.

3.4L’auteure rappelle que son procès s’est ouvert en 2008 et s’est poursuivi jusqu’à la fin de 2011 et qu’elle a été maintenue en détention provisoire, sans interruption, à compter de mai 2008. Elle allègue que la lenteur de son procès s’explique non par les nécessités de l’enquête, mais par le temps qu’il a fallu pour régler les questions relatives à la procédure à suivre et à la juridiction compétente pour la juger (Tribunal du jury ou Tribunal provincial). Selon elle, cette lenteur a entraîné un retard excessif, et donc une violation des articles 9 (par. 3) et 14 (par. 3 c)) du Pacte.

3.5L’auteure allègue qu’elle n’a pas été jugée par le tribunal prédéterminé par la loi et a donc été victime d’une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Aux termes de l’article premier de la loi organique portant création du Tribunal du jury, ce tribunal est compétent pour juger les personnes soupçonnées d’homicide. Si plusieurs crimes sont commis, c’est le plus grave qui est pris en compte pour déterminer la compétence du tribunal. L’article 5 de ladite loi dispose en outre que la compétence du tribunal est déterminée en fonction de l’infraction reprochée, indépendamment du degré de participation de l’accusé, et s’étend aux infractions connexes commises dans le but de perpétrer l’infraction principale, d’en faciliter l’exécution ou de procurer l’impunité aux auteurs. L’auteure estime que les menaces de meurtre dont elle a été accusée constituaient une infraction connexe au meurtre qui relevait de la compétence du Tribunal du jury.

3.6Enfin, l’auteure avance que le jugement rendu par le Tribunal provincial le 22 décembre 2011 ne pouvait pas être contesté au moyen d’un recours ordinaire ; qu’il lui était uniquement possible de former un recours en cassation auprès du Tribunal suprême et un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel ; qu’elle s’est prévalue de ces deux possibilités, mais aucune ne lui a permis de faire examiner sa cause par une juridiction du second degré ; et qu’elle a donc été victime d’une violation du droit consacré à l’article 14 (par. 5) du Pacte. L’auteure rappelle que, dans son jugement du 20 septembre 2012, le Tribunal suprême a reconnu qu’il n’avait pas compétence pour réexaminer tous les éléments de preuve fournis en première instance et qu’il n’avait pas tenu compte de plusieurs des arguments présentés par la défense. Elle soutient que le Tribunal suprême a estimé que les éléments de preuve versés au dossier suffisaient à conclure à sa culpabilité sans les avoir examinés et rappelle que, selon la jurisprudence constante du Comité, un examen en cassation n’est pas un examen par une juridiction du second degré. Elle rappelle également que, depuis que la loi organique portant création du Tribunal constitutionnel a été modifiée, en 2007, plus de 95 % des recours en amparo ont été rejetés, dont le sien. Selon elle, cette modification a créé une situation dans laquelle la charge de la preuve est inversée puisque c’est à présent au requérant de prouver que son recours mérite d’être examiné en ce qu’il porte sur une question d’une importance constitutionnelle particulière. Partant, l’auteure estime qu’elle a été privée de la possibilité de faire examiner son jugement par une juridiction supérieure, en violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

3.7Compte tenu de ce qui précède, l’auteure demande une réparation immédiate et effective pour les violations qu’elle a subies, y compris une indemnisation pour préjudice moral et préjudice financier.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans des notes verbales datées des 19 mars et 20 juillet 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication. Il soutient que celle-ci est irrecevable au regard des articles 2, 3 et 5 (par. 2 a) et b)) du Protocole facultatif car les recours internes n’ont pas été épuisés, la question a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et les griefs sont dénués de fondement.

4.2L’État partie estime que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes étant donné que, si elle a argué de la violation du droit à un recours effectif dans son recours en cassation, elle s’est néanmoins contentée d’exposer des arguments généraux et n’a pas particulièrement cherché à démontrer la violation de l’un quelconque de ses droits fondamentaux. En particulier, en ce qui concerne l’allégation de partialité de deux des juges, l’État partie signale que l’auteure pouvait se prévaloir de la loi organique sur le pouvoir judiciaire pour demander le dessaisissement des membres de la chambre du Tribunal provincial saisie de l’affaire. L’État partie rappelle que les audiences ont duré neuf jours et que l’auteure aurait donc eu amplement le temps de faire cette démarche une fois qu’elle a appris l’identité des juges. En outre, il soutient que l’auteure n’a mentionné la partialité des juges et la violation du droit à l’examen de son affaire par une juridiction du second degré ni dans son recours en cassation, ni dans son recours en amparo, et qu’elle n’a pas engagé d’action en nullité contre le jugement rendu par le Tribunal suprême.

4.3L’État partie rappelle que, le 12 décembre 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la requête de l’auteure au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ayant examiné l’article 35, l’État partie est d’avis que la seule condition susceptible de ne pas avoir été remplie en l’espèce est celle formulée au paragraphe 3 a) et que la requête a été jugée « incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses protocoles, manifestement infondée ou abusive ». L’État partie conclut que la Cour a examiné le fond de la requête. Étant donné que l’objet de celle-ci était identique à celui de la communication dont est saisi le Comité, il estime que la communication est irrecevable au regard des articles 3 et 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif.

4.4L’État partie ajoute que les allégations formulées dans la communication ont été rejetées par le Tribunal constitutionnel au motif que, manifestement, aucun droit fondamental susceptible d’être rétabli par un recours en amparo n’avait été enfreint. Partant, la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires du 7 avril 2015, l’auteure conteste l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable car elle a déjà été examinée par un autre mécanisme international. Elle soutient que la requête qu’elle a présentée devant la Cour européenne des droits de l’homme s’inscrivait dans une perspective différente de la présente communication en ce qu’elle concernait des violations de la Convention européenne des droits de l’homme. De surcroît, l’auteure rappelle que la Cour n’a jamais examiné le fond de la requête et l’a simplement déclarée irrecevable au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention, sans donner davantage d’explications.

5.2En ce qui concerne l’argument selon lequel la communication est irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que le recours en cassation ne mentionnait la violation du droit à un recours effectif qu’en termes généraux, l’auteure soutient que ce recours reposait sur les mêmes arguments que la communication dont le Comité a été saisi. S’agissant de l’épuisement des recours permettant d’attaquer l’impartialité des juges, elle fait observer que l’impartialité de la justice est une question d’ordre public processuel qui peut toujours donner lieu à une action d’office, et que, selon la législation en vigueur, les juges sont tenus de se récuser en cas de conflit d’intérêts. L’auteure soutient en outre qu’elle n’a pas été informée à l’avance de la composition de la chambre chargée de la juger et que c’est de manière tout à fait fortuite, lors du prononcé du jugement du Tribunal provincial, qu’elle s’est rendu compte qu’un juge n’était pas impartial. En ce qui concerne les allégations de violation du droit de voir son affaire examinée par une juridiction du second degré, l’auteure argue que l’action en nullité ne constitue pas un recours utile car elle est exceptionnelle et, de surcroît, rien n’aurait servi d’arguer de l’invalidité de la procédure, que ce soit en cassation ou en amparo, car l’inefficacité de ces recours est justement à l’origine de la violation. L’auteure rappelle que, dans son recours en cassation, elle a expressément tiré grief de la violation du droit à être jugé sans retard excessif et, compte tenu du fait que la qualité de conjoint avait été retenue comme circonstance aggravante, du droit à l’égalité devant la loi et au respect du principe de la légalité.

5.3L’État partie allègue que la communication est dénuée de fondement parce que le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours de l’auteure. Or, celle-ci soutient justement que la saisine du Tribunal constitutionnel est une procédure extraordinaire qui, de surcroît, n’est pas efficace en ce que ce tribunal connaît uniquement des questions de droit (voir par. 3.6).

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une communication du 20 juillet 2015, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. En ce qui concerne les allégations de violation de la présomption d’innocence, l’État partie affirme que les tribunaux nationaux connaissent et respectent le principe établi dans le Pacte selon lequel nul ne peut être reconnu coupable sur la seule base du témoignage d’un coaccusé. En l’espèce, le Tribunal provincial a tenu compte de deux éléments qui corroboraient le témoignage du coaccusé de l’auteure : premièrement, l’intéressée avait clairement un mobile étant donné qu’elle et la victime se disputaient avec animosité la garde de leur fille ; deuxièmement, le 31 janvier 2007, elle avait proféré de graves menaces contre la victime, ce qui a été confirmé par des personnes présentes au moment des faits. Enfin, le Tribunal a souligné que l’auteure était le seul lien entre le coaccusé auteur direct du meurtre (E. S. B.) et la victime. Par ailleurs, il a examiné la thèse selon laquelle le coaccusé a témoigné à charge dans le but d’atténuer sa propre responsabilité, mais l’a jugée peu plausible, estimant que nul ne reconnaîtrait avoir participé à un crime grave pour éviter d’être tenu responsable d’un crime moins grave. Le Tribunal suprême a lui aussi examiné les allégations selon lesquelles le témoignage du coaccusé n’avait pas de valeur probante, et a conclu que ce témoignage était suffisamment corroboré par l’existence d’un mobile et par les menaces proférées contre la victime, d’autant que l’auteure était le seul lien entre le coaccusé et son ex-mari. Le Tribunal suprême a de surcroît constaté que si C. M. G. avait été acquitté, ce n’était pas parce que le témoignage d’E. S. B. n’avait pas été jugé fiable, mais parce qu’aucun autre élément ne venait corroborer la culpabilité de C. M. G., ce qui n’était pas le cas en ce qui concernait l’auteure. L’État partie conclut qu’il existait suffisamment de preuves contre l’auteure et que ces preuves ont été dûment appréciées par les autorités judiciaires compétentes, dans le respect scrupuleux des articles 9 (par. 1) et 14 (par. 1) du Pacte.

6.2L’État partie conteste l’allégation selon laquelle l’auteure a été victime de discrimination parce que la qualité de conjoint a été retenue comme circonstance aggravante. Selon le Code pénal, constitue une circonstance aggravante l’existence d’une relation conjugale ou sentimentale avec la victime, même si la relation a pris fin au moment des faits. Lorsque l’infraction est directement ou indirectement liée à l’existence de pareille relation, la peine est aggravée, que la relation sentimentale entre l’auteur et la victime existe toujours ou non. En l’espèce, les autorités judiciaires internes ont estimé que, si l’auteure et son ex-mari ne vivaient plus ensemble, ils étaient néanmoins toujours en contact puisqu’ils se disputaient la garde de leur fille, et que cette dispute était justement à l’origine des faits. L’État partie ajoute que la décision de considérer la qualité de conjoint comme une circonstance aggravante a été prise par le législateur de manière tout à fait légitime et ne porte nullement atteinte au Pacte.

6.3L’État partie rappelle que l’impartialité des juges n’a pas été mise en cause devant les autorités internes. Il estime que le grief de partialité est manifestement infondé car rien ne permet de douter de l’impartialité du Tribunal provincial, organe collégial qui s’est prononcé à l’unanimité sans qu’aucun juge ne rende une opinion séparée. En outre, aucun des arguments de l’auteure ne met en doute l’impartialité des juges du Tribunal suprême qui ont confirmé le verdict du Tribunal provincial.

6.4En ce qui concerne le grief de violation des articles 9 (par. 3) et 14 (par. 3 c)) du Pacte, l’État partie soutient que l’auteure ne s’est pas plainte de quelconques retards dans la procédure devant le tribunal de première instance. Les faits se sont produits en mars 2007, l’auteure a été arrêtée le 31 mai 2008, le procès s’est ouvert le 15 novembre 2011 et le jugement a été prononcé le 22 décembre 2011. Il a effectivement fallu un certain temps pour déterminer l’organe compétent, mais l’État partie estime que cette démarche touchait une question importante qui, de par sa nature même, ne pouvait pas être examinée et tranchée rapidement.

6.5En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’auteure n’a pas été jugée par l’organe compétent, l’État partie fait observer que, dans la décision du 20 septembre 2012 concernant le recours en cassation de l’intéressée, le Tribunal suprême a estimé qu’il n’y aurait pas eu lieu d’intenter des actions séparées pour menaces de meurtre et tentative de meurtre, d’une part, et meurtre, d’autre part. Ni les menaces de meurtre ni la tentative de meurtre ne relevaient de la compétence du Tribunal du jury. Le Tribunal suprême a jugé qu’aucune des circonstances dans lesquelles la loi portant création du Tribunal du jury prévoit l’élargissement de la compétence de ce tribunal n’était présente en l’espèce car les infractions commises n’avaient pas pour but de perpétrer ou de faciliter l’infraction principale ou d’assurer l’impunité des auteurs et il n’y avait pas concours idéal d’infractions ni unité d’action. L’État partie ajoute que, selon le Tribunal suprême, l’auteure a reconnu la compétence du Tribunal provincial dès lors que, après le rejet du recours introduit devant le Tribunal supérieur de justice, elle n’a pas introduit de recours en cassation, comme les articles 666 et suivants du Code de procédure pénale lui permettaient pourtant de le faire. L’État partie soutient que le Tribunal suprême a examiné la question de la compétence dans le détail et qu’il appartient au Comité non d’apprécier l’interprétation qui a été faite de la législation interne, mais de vérifier que la décision rendue n’est pas arbitraire et n’a pas porté atteinte au droit à un procès équitable devant un tribunal impartial.

6.6En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie soutient que, aux fins de trancher le recours en cassation, le Tribunal suprême a pleinement apprécié chacun des arguments présentés par l’auteure contre le jugement du Tribunal provincial, y compris ceux concernant la violation du principe de la présomption d’innocence à raison de la prise en compte du témoignage du coaccusé, les retards injustifiés dans la procédure, la considération de la qualité de conjoint comme circonstance aggravante et la compétence du Tribunal provincial. En outre, rien n’indique que le Tribunal suprême ait refusé d’admettre des éléments de preuve à décharge. Partant, l’État partie estime que, en l’espèce, le Tribunal suprême a agi comme un tribunal du second degré.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans une communication du 17 novembre 2015, l’auteure a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne le grief de violation de la présomption d’innocence, elle souligne qu’il faudrait apprécier la fiabilité du témoignage du coaccusé afin de déterminer s’il méritait d’être retenu comme élément de preuve, que le Tribunal provincial a reconnu que rien ne prouvait qu’elle avait payé le coaccusé pour sa participation au meurtre, et que l’identité du contact de l’auteur matériel n’a pas été établie. Elle avance que le ministère public a finalement décidé de ne pas l’accuser d’avoir commandité le meurtre parce que, dans l’éventualité où le coaccusé aurait agi de sa propre initiative, elle ne pourrait plus être accusée d’aucun crime. L’auteure réaffirme que si la déclaration du coaccusé n’était pas suffisamment crédible pour corroborer l’implication de C. M. G., alors elle n’aurait pas dû être prise en considération pour conclure à sa culpabilité. En outre, elle maintient que le jugement du Tribunal provincial montre que les pistes de l’implication de tiers non identifiés n’ont pas été suffisamment creusées.

7.2En ce qui concerne l’allégation selon laquelle elle a été victime de discrimination parce que la qualité de conjoint a été retenue comme circonstance aggravante, l’auteure rappelle que cette circonstance repose sur l’existence d’un lien sentimental entre l’auteur du crime et la victime et ne saurait donc être appliquée une fois ce lien rompu. Elle avance qu’elle a été victime d’une application rétroactive de la loi car elle s’est séparée de son mari avant l’entrée en vigueur du Code pénal modifié.

7.3En ce qui concerne l’impartialité des juges saisis de l’affaire, l’auteure fait observer que l’État partie se contente d’affirmer que le Tribunal provincial est un organe collégial et que le jugement qu’il a rendu a été confirmé par le Tribunal suprême. Or, la partialité d’un tribunal n’est pas corrigée ou purgée par le simple fait que d’autres juges ou tribunaux concluent qu’elle n’a pas existé.

7.4L’auteure réaffirme qu’elle a été jugée avec un retard excessif et que, pour toute explication, l’État partie avance qu’il a fallu un certain temps pour déterminer la procédure à suivre. Elle souligne que le ministère public a soulevé cette question pour faire traîner la procédure, formant un recours alors que des décisions définitives avaient déjà été rendues.

7.5En ce qui concerne la violation du droit à être jugé par un tribunal prédéterminé par la loi, l’auteure réaffirme qu’elle n’a jamais été informée de l’issue de l’appel interjeté par le ministère public le 22 janvier 2010 et que, en tout état de cause, cet appel n’aurait jamais dû être jugé recevable car il concernait une décision définitive. En outre, l’auteure fait observer que l’État partie aborde à peine la question de savoir s’il était légal de la juger dans le cadre d’une procédure simplifiée devant une tribunal composé exclusivement de juges professionnels.

7.6L’auteure estime que, contrairement à ce que l’État partie allègue, le Tribunal suprême n’a pas fait office de tribunal du second degré étant donné que, comme il l’a indiqué dans son arrêt, il n’est pas habilité à réexaminer les éléments de preuve produits en première instance. Soutenir que le Tribunal suprême a agi comme un tribunal du second degré, c’est dire qu’il a outrepassé sa compétence.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité constate que l’auteure a présenté une requête fondée sur les mêmes faits à la Cour européenne des droits de l’homme et rappelle que, lorsque l’Espagne a ratifié le Protocole facultatif, elle a émis une réserve par laquelle elle a exclu la compétence du Comité concernant toute question en cours d’examen ou déjà examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité constate que, par une lettre du 12 décembre 2013, l’auteure a été informée que la Cour, statuant à juge unique, avait décidé de rejeter sa requête, ayant estimé, à la lumière de l’ensemble des éléments dont elle disposait et dans la mesure où elle était compétente pour statuer sur les griefs formulés, que celle-ci ne remplissait pas les conditions de recevabilité définies aux articles 34 et 35 [de la Convention européenne des droits de l’homme].

8.4Le Comité renvoie à sa jurisprudence relative au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, selon laquelle, lorsque la Cour européenne déclare une requête irrecevable pour des motifs qui ont trait non seulement à la procédure, mais aussi, dans une certaine mesure, au fond de l’affaire, la question est considérée comme ayant déjà été examinée au sens des réserves audit article. Toutefois, il rappelle que, même lorsqu’une requête est déclarée irrecevable au motif qu’elle ne fait apparaître aucune violation, une décision succinctement motivée ne permet pas de supposer que la Cour a examiné des éléments de fond. En l’espèce, le Comité note que la Cour a simplement dit que la requête ne remplissait pas les conditions de recevabilité, sans fournir davantage de précisions. En conséquence, il ne peut affirmer avec certitude que la question soumise par l’auteure a déjà été examinée au fond, fût-ce superficiellement, et il conclut que le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la communication.

8.5Le Comité prend note de l’allégation de l’État partie selon laquelle l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes pour attaquer l’impartialité de deux des juges car elle n’a pas demandé le dessaisissement des intéressés ni soulevé la question en cassation ou en amparo. À ce sujet, l’auteure soutient que l’impartialité des juges est appréciable d’office et que c’est de manière fortuite, lors du prononcé du jugement du Tribunal provincial, qu’elle s’est rendu compte de la partialité du magistrat concerné. Toutefois, le Comité note que rien n’indique que l’auteure ait soulevé cet argument dans les recours en cassation et en amparo dont elle a saisi le Tribunal suprême et le Tribunal constitutionnel, respectivement, après le prononcé du jugement. Partant, le Comité estime que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes disponibles en ce qui concerne le grief de violation du droit à un procès équitable qu’elle tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et considère cette partie de la communication irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne les allégations de violation de son droit à voir sa déclaration de culpabilité et sa condamnation examinées par une juridiction du second degré. À cet égard, l’État partie fait observer que l’auteure n’a fait valoir ce droit ni dans son recours en cassation ni dans son recours en amparo. Le Comité rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que seuls doivent être épuisés les recours ayant une chance raisonnable d’aboutir. Or, le Tribunal constitutionnel a à maintes reprises rejeté des recours en amparo lorsqu’ils ont été formés en faisant valoir une violation du droit à la révision d’un jugement, de sorte qu’un recours de ce type n’avait aucune chance d’aboutir en ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité estime que les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 5 de l’article 14.

8.7Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs de l’auteure ne sont pas suffisamment étayés aux fins de l’application de l’article 3 du Protocole facultatif, raison pour laquelle le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours en amparo. Toutefois, l’État partie ne précise pas quels griefs l’auteure n’a pas étayés dans sa communication. Le Comité note que l’auteure argue que l’application de la circonstance aggravante que constitue la qualité de conjoint était discriminatoire, mais qu’elle n’étaye pas suffisamment ce grief aux fins de la recevabilité car elle n’explique pas en quoi cette application était injustifiée en l’espèce. En conséquence, le Comité estime que l’auteure n’a pas suffisamment étayé le grief de discrimination qu’elle tire des articles 14 (par. 1) et 26 du Pacte et que ce grief est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Le Comité estime que les griefs que l’auteure tire des articles 9 (par. 1 et 3) et 14 (par. 1, 2, 3 c) et 5) du Pacte ont été suffisamment étayés et satisfont les critères de recevabilité et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité note que l’auteure dit avoir été victime d’une violation des droits qu’elle tient des articles 9 (par. 1) et 14 (par. 1, 2 et 3 c)) parce qu’elle a été déclarée coupable sur la base du témoignage d’un coaccusé (par. 2.11 et 3.1) et les autorités judiciaires ont décidé qu’elle serait jugée dans le cadre d’une procédure simplifiée devant un tribunal composé uniquement de juges professionnels (par. 2.7 et 3.5). Il note également que, selon l’État partie, le Tribunal provincial a tenu compte de deux éléments de preuve qui corroboraient le témoignage du coaccusé (par. 6.1) et aucune des circonstances dans lesquelles la loi organique portant création du Tribunal du jury prévoit l’élargissement de la compétence de cette instance n’était présente en l’espèce (par. 6.5). L’État partie fait valoir que le Tribunal provincial et le Tribunal suprême ont dûment examiné les éléments de preuve à charge, dans le strict respect du Pacte, ainsi que la question de savoir quelle instance était compétente pour juger l’auteure (par. 6.1), et qu’il appartient au Comité non d’examiner l’interprétation qui a été faite de la législation interne, mais de vérifier que la décision rendue n’est pas arbitraire et ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable devant un tribunal impartial (par. 6.5). Or, le Comité note que les griefs de l’auteure se rapportent principalement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve et à l’application de la législation nationale par les tribunaux de l’État partie.

9.3Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’appréciation des faits et des éléments de preuve relève en principe de la compétence des tribunaux nationaux, à moins qu’elle ne soit manifestement arbitraire ou constitutive d’un déni de justice. Il constate que le Tribunal provincial a dûment apprécié chaque élément de preuve présenté à charge ou à décharge. Ses conclusions ont à leur tour été attentivement examinées par le Tribunal suprême, qui a estimé qu’elles étaient motivées et suffisantes. Concrètement, en ce qui concerne la validité du témoignage du coaccusé E. S. B., le Comité constate que le Tribunal provincial a déclaré que les propos de ce témoin devaient être confirmés par d’autres sources et a tenu compte de deux éléments de preuve qui venaient les corroborer et qui ont été réexaminés par le Tribunal suprême (par. 6.1). En outre, le Tribunal provincial et le Tribunal suprême ont tous deux examiné les arguments des parties concernant la procédure à suivre pour juger l’auteure et ses coaccusés et ont rendu à ce sujet des décisions précisément motivées (par. 6.5). Le Comité estime que les informations fournies par les parties tout au long de la procédure ne lui permettent pas de conclure que les juridictions nationales ont apprécié les éléments de preuve ou interprété la législation nationale de manière arbitraire et que, ayant vérifié que les décisions prises étaient précisément motivées et cohérentes, il ne lui appartient pas d’intervenir plus avant. Le Comité ne saurait donc conclure que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14 (par. 1 et 2) du Pacte. Étant donné que l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9 est étroitement liée à l’allégation selon laquelle l’auteure a été reconnue coupable à l’issue d’un procès ne présentant pas les garanties prévues par les paragraphes 1 et 2 de l’article 14, le Comité, ayant constaté qu’il n’y a pas eu de violation de cet article, conclut que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 9.

9.4Le Comité note que l’auteure soutient que son procès a été indûment retardé car il s’est ouvert en 2008 et a duré jusqu’à la fin de 2011 et elle a été maintenue en détention provisoire à compter de mai 2008 (par. 2.5 et 3.4). L’auteure soutient également que la question de la procédure à suivre a été soulevée par le ministère public pour faire traîner la procédure (par. 2.6, 2.7, 3.4 et 7.4). L’État partie fait observer que l’auteure ne s’est plainte d’aucun retard pendant la procédure et que, de surcroît, une partie du temps a été consacrée à trancher la question de savoir quel tribunal était compétent, question importante qui, de par sa nature même, mérite un examen de longue haleine (par. 6.4). Le Comité constate qu’il s’est écoulé un peu plus de trois ans et demi entre l’arrestation de l’auteure et le prononcé du jugement (par. 2.5 à 2.8). Le recours en cassation de l’auteure a été tranché et le jugement du Tribunal provincial confirmé près d’un an après le verdict, en septembre 2012 (par. 2.10). Si la détermination de la procédure à suivre et l’introduction de recours ont retardé l’issue du procès, le Comité note néanmoins que la décision la plus longtemps attendue a été prise dans un délai de dix mois − le 6 avril 2011, le Tribunal supérieur de justice a statué sur le recours formé par l’auteure contre la décision rendue par le Tribunal provincial le 7 juillet 2010. Le Comité conclut que les appels interjetés par l’une et l’autre partie ont été tranchés dans un délai raisonnable et que la durée de la procédure, dans son ensemble, ne semble pas disproportionnée par rapport à la gravité des crimes reprochés. Partant, il estime que les faits dont il est saisi ne constituent pas une violation des articles 9 (par. 3) et 14 (par. 3 c) du Pacte.

9.5L’auteure allègue qu’elle a été victime d’une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte car le Tribunal suprême n’a pas entièrement réexaminé le verdict rendu par le Tribunal provincial (par. 3.6 et 7.6). Le Comité note toutefois que, d’après l’arrêt du 20 septembre 2012, le Tribunal suprême a procédé à un examen approfondi de l’appréciation que le Tribunal provincial avait faite des éléments de preuve, en particulier ceux concernant la validité du témoignage du coaccusé E. S. B. et l’existence d’éléments venant le corroborer, et a estimé que la déclaration de culpabilité et la condamnation étaient justifiées (par. 6.6). En conséquence, le Comité conclut que l’auteure n’a pas été privée du droit garanti au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte de faire examiner sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure.

10.Compte tenu de ce qui précède, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des dispositions du Pacte.