Nations Unies

CCPR/C/128/D/2391/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

9 juin 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2391/2014 * , **

Communication présentée par :

Leonid Zdrestov (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

21 mars 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 mai 2014 (non publiée sous forme de document)

Date d es constatations :

13 mars 2020

Objet :

Refus d’autoriser la tenue d’une réunion pacifique ; liberté d’expression

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

19 (par. 2 et 3)

Article(s) du Protocole facultatif :

1er, 2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Leonid Zdrestov, de nationalité bélarussienne, né en 1953. Il se déclare victime d’une violation par le Bélarus des droits qu’il tient des paragraphes 2 et 3 de l’article 19 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 15 juillet 2013, l’auteur a demandé à l’administration du district Oktiabrsky de Vitebsk l’autorisation de tenir un piquet d’une personne dans le parc « Armée soviétique » les 17 et 18 août 2013 pour informer les habitants de la région de Vitebsk de la violation systématique de ses droits par plusieurs services de l’État.

2.2Le 5 août 2013, l’administration a refusé d’autoriser la tenue du piquet au motif que l’auteur ne remplissait pas les conditions énoncées au paragraphe 3 de la décision no 881 sur les manifestations prise le 10 juillet 2009 par le Comité exécutif de la ville de Vitebsk ni celles fixées dans la loi sur les manifestations publiques car il n’avait pas annexé à sa demande d’autorisation les contrats souscrits auprès des prestataires qui seraient chargés respectivement d’assurer le service d’ordre et la disponibilité de soins médicaux pendant le piquet ainsi que le nettoyage du site une fois la manifestation terminée.

2.3Le 10 août 2013, l’auteur a formé un recours contre la décision de l’administration devant le tribunal du district Oktiabrsky de Vitebsk. Le 6 septembre 2013, le tribunal a rejeté ce recours. Il a indiqué que la tenue d’un piquet par une personne entrait dans le champ d’application de l’article 2 de la loi sur les manifestations publiques et que, en conséquence, l’auteur était tenu de se conformer aux dispositions de cette loi. Le 18 septembre 2013, l’auteur a saisi la cour régionale de Vitebsk d’un recours en cassation de la décision du tribunal, recours qui a été rejeté le 4 décembre 2013.

2.4Le 15 octobre 2013, l’auteur a présenté une demande de réexamen aux fins de contrôle au Président de la cour régionale de Vitebsk. Sa demande a été rejetée le 21 novembre 2013. Le 16 décembre 2013, l’auteur a saisi la Cour suprême d’une demande de réexamen aux fins de contrôle. Le 13 février 2014, cette demande a été rejetée par un vice-président de la Cour suprême.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que le Bélarus a violé les droits qu’il tient de l’article 19 (par. 2 et 3) du Pacte. Il fait valoir que c’est à tort que l’État partie estimé que la législation relative aux manifestations publiques s’appliquait au piquet d’une personne qu’il comptait tenir, qui n’était pas une manifestation de masse. L’auteur affirme en outre que son droit à la liberté d’expression a été violé car il s’est vu imposer des restrictions qui n’étaient pas nécessaires au regard de l’article 19 (par. 3) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.Dans une note verbale datée du 15 avril 2015, l’État partie fait part de ses observations et soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif. Selon l’État partie, l’enregistrement de la communication au mépris des dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif constitue une violation par le Comité de l’article 5 dudit Protocole. Étant d’avis que l’auteur et le Comité n’ont pas respecté les règles procédurales établies dans le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant, l’État partie décide de cesser toute correspondance concernant la e communication.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Le 19 mai 2015, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Il soutient qu’il a épuisé tous les recours internes étant donné qu’il a saisi à deux reprises les tribunaux d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, procédure qui de surcroît n’est pas considérée comme un recours utile par le Comité.

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité note que l’État partie affirme que rien dans les textes applicables ne justifie l’examen de la communication de l’auteur car celle-ci a été enregistrée au mépris des dispositions du Protocole facultatif et qu’il a décidé de cesser toute correspondance concernant cette communication.

6.2Le Comité fait observer que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (Protocole facultatif, préambule et art. 1er). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux intéressés (art. 5, par. 1 et 4). Le fait qu’un État partie adopte une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. En ne reconnaissant pas la compétence du Comité pour ce qui est de décider de l’opportunité d’enregistrer une communication et en cessant de coopérer avec lui au sujet d’une communication, l’État partie manque aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Il constate cependant que l’intéressé a présenté deux demandes de contrôle, les 15 octobre et 16 décembre 2013, et que l’État partie n’a pas précisé quels recours internes susceptibles d’être utiles étaient à sa disposition. Il considère donc que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication. En conséquence, il déclare recevables les griefs de l’auteur et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité note que l’auteur soutient que sa liberté d’expression a été arbitrairement restreinte en ce qu’il s’est vu refuser l’autorisation de tenir un piquet et d’exprimer publiquement son opinion concernant la violation de ses droits par différentes autorités. Le Comité estime que la question de droit dont il est saisi consiste à déterminer si l’interdiction de tenir un piquet qui a été imposée à l’auteur par les autorités exécutives de l’État partie constitue une violation de l’article 19 du Pacte. Il ressort des éléments d’information soumis au Comité que les tribunaux ont estimé que l’auteur demandait l’autorisation d’organiser une manifestation publique et que la demande a été rejetée au motif que l’auteur n’avait pas pris les mesures de sécurité qui s’imposaient ni prévu les services médicaux et les services de nettoyage nécessaires. De l’avis du Comité, indépendamment de leur fondement en droit interne, les actions des autorités constituent une restriction des droits de l’auteur, en particulier le droit de répandre des informations et des idées de toute espèce consacré à l’article 19 du Pacte.

8.3Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, selon laquelle ces libertés sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Le Comité rappelle que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise certaines restrictions pour autant qu’elles soient prévues par la loi et nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif précis qui les inspire.

8.4Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de démontrer que les restrictions imposées aux droits énoncés à l’article 19 sont nécessaires et proportionnées. Il fait observer que demander à l’organisateur d’un piquet d’une personne de conclure des contrats de prestation de services avec différents organismes publics ne semble pas répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité définis à l’article 19 du Pacte. De surcroît, il constate que ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont donné d’explications concernant ces restrictions. Il considère que, dans les circonstances de l’espèce, les interdictions imposées à l’auteur, bien que fondées sur la législation interne, n’étaient pas justifiées au regard des conditions énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte. Le Comité note qu’il a déjà examiné plusieurs communications concernant les lois et pratiques de l’État partie qui sont mises en question par l’auteur. En l’espèce, il conclut, comme il l’a fait précédemment, que l’État partie a violé les droits garantis à l’auteur par l’article 19 (par. 2) du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte et de l’article premier du Protocole facultatif.

10.Conformément à l’article 2 (par. 3) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à l’auteur. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de faire le nécessaire pour accorder à l’auteur une indemnisation adéquate et le remboursement des frais de justice dont il s’est acquitté et de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent. À cet égard, le Comité réaffirme que l’État partie devrait revoir son cadre normatif de façon à le rendre conforme à l’obligation mise à sa charge par l’article 2 (par. 2) du Pacte et réviser en particulier la décision no 881 du Comité exécutif de la ville de Vitebsk et la loi sur les manifestations publiques appliquées en l’espèce en vue de garantir la pleine jouissance sur son territoire des droits consacrés par l’article 19 du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.