Nations Unies

CCPR/C/127/D/2977/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 décembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2977/2017 * , ** , ***

Communication présentée par :

Ramil Kaliyev (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

8 avril 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 5  mai 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

8 novembre 2019

Objet :

L’auteur n’a pas été informé de son droit d’être représenté par un avocat de la défense au cours de la procédure de cassation malgré la gravité des infractions du chef desquelles il était condamné

Question(s) de procédure :

Examen de la même question par une autre instance internationale de règlement ; abus du droit de présenter une communication ; griefs insuffisamment étayés

Question(s) de fond :

Procès équitable −assistance d’un conseil ; procès équitable − droit d’obtenir l’audition de témoins

Article(s) du Pacte :

14 (par. 3  d) et e))

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 a))

1.1L’auteur de la communication est Ramil Kaliyev, de nationalité russe, né en 1963. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 3 d) et e)) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 15 mai 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la demande de l’État partie en date du 6 juillet 2017 tendant à ce qu’il examine la recevabilité de la communication séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 10 avril 2003, l’auteur a été reconnu coupable de hooliganisme et de coups et blessures volontaires graves et condamné à seize ans d’emprisonnement par le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï (région de Tcheliabinsk). Dans sa décision, le tribunal s’est référé aux dépositions des témoins, aux rapports médico-légaux et à de nombreuses preuves matérielles. Après l’audience, l’avocat commis d’office, S., a informé l’auteur qu’il ne pourrait pas le représenter dans le cadre de la procédure de cassation et lui a conseillé de trouver un autre avocat, sans toutefois lui expliquer comment déposer une demande à cet effet devant la juridiction de cassation. L’auteur a donc préparé et déposé son recours en cassation sans l’assistance d’un avocat. Il contestait en particulier l’appréciation des faits et des preuves par le tribunal de première instance, la qualification de ses actes en tant que hooliganisme, la conclusion du tribunal considérant qu’il avait agi sous l’emprise de l’alcool et le rejet par le tribunal de sa demande tendant à obtenir la comparution et l’audition de témoins (un certain V. L., mineur, et trois policiers qui étaient présents sur le lieu du crime et ont réellement assisté aux événements). L’auteur arguait aussi que le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï aurait dû qualifier ses actes d’exercice disproportionné de la légitime défense puisque l’une des victimes, ultérieurement décédée des suites des blessures infligées par l’auteur, l’avait attaqué la première avec un marteau.

2.2Le 21 juillet 2003, le tribunal régional de Tcheliabinsk, siégeant en tant que juridiction de cassation, a confirmé la décision du tribunal municipal de Verkhni Oufaleï, laquelle est devenue exécutoire (voir aussi infra, par. 6.5). L’auteur était présent à l’audience. Le tribunal régional de Tcheliabinsk n’a pas demandé à l’auteur pourquoi il n’était pas représenté par un conseil ni s’il souhaitait qu’un avocat soit commis pour le défendre. Il ne s’est pas non plus enquis de la raison pour laquelle S., l’avocat commis d’office qui avait représenté l’auteur en première instance, avait refusé de le représenter en cassation et de déposer le recours en son nom. L’audience n’a pas duré plus de dix minutes.

2.3À une date non précisée, l’auteur a saisi le présidium du tribunal régional de Tcheliabinsk d’une requête en réexamen de la décision du tribunal au titre de la procédure de contrôle, requête qui a été rejetée le 21 août 2003. L’appel dont l’auteur a ensuite saisi le président du tribunal régional de Tcheliabinsk a été rejeté le 4 septembre 2003.

2.4Le 20 août 2004, en réponse à des conclusions que l’auteur avait déposées, le tribunal municipal de Kopeï (région de Tcheliabinsk) a ramené la peine de l’auteur à quinze ans et six mois d’emprisonnement (voir également infra, par. 6.5).

2.5Au cours des années suivantes, l’auteur a déposé plusieurs requêtes en réexamen de sa condamnation au titre de la procédure de contrôle. Le 23 janvier 2008, la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté la requête en réexamen formée par l’auteur concernant les décisions du tribunal municipal de Verkhni Oufaleï et du tribunal régional de Tcheliabinsk. Puis, le 18 mars 2008, renvoyant aux décisions antérieures en l’espèce, elle a rejeté sans l’examiner la requête en réexamen de l’auteur concernant sa condamnation.

2.6Le 13 mai 2011, en réponse à une nouvelle requête déposée par l’auteur, le tribunal du district de Metallurguitcheski de la ville de Tcheliabinsk a réduit la peine de celui-ci, la ramenant à quinze ans et trois mois d’emprisonnement.

2.7Le 22 août 2013, le Bureau du procureur de la région de Tcheliabinsk a répondu à l’auteur qui avait saisi le Bureau du Procureur général que les droits de la défense n’avaient pas été violés par la juridiction de cassation car : a) l’auteur et son avocat avaient été dûment informés de la date de l’audience de cassation ; b) l’auteur était présent à l’audience ; c) il n’avait pas demandé l’assistance d’un avocat devant la juridiction de cassation ; et d) le ministère d’avocat n’était pas obligatoire en vertu du paragraphe 1 5) de l’article 51 du Code de procédure pénale. Le 15 octobre 2013, le Bureau du Procureur général a repris les mêmes arguments, ajoutant que l’auteur avait demandé au tribunal à être présent à l’audience de cassation mais non à y être représenté et que, selon le code de procédure pénale tel qu’appliqué à l’époque, la participation d’un avocat de la défense à la procédure de cassation n’était pas obligatoire. Renvoyant aux explications données antérieurement par la Cour constitutionnelle, le Bureau du Procureur général a précisé que les tribunaux de droit commun pouvaient appliquer rétroactivement les décisions de la Cour constitutionnelle (en l’occurrence la décision du 8 février 2007 (voir également infra, par. 3.2)) aux jugements qui n’étaient pas encore définitifs ainsi qu’aux jugements définitifs qui n’avaient pas encore été exécutés ou qui avaient été partiellement exécutés. Selon le Bureau du Procureur général, la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk du 21 juillet 2003 devait être considérée comme exécutée.

2.8Dans un document en date du 19 novembre 2013 intitulé « recours en cassation », l’auteur a demandé à la chambre judiciaire des affaires criminelles de la Cour suprême de réexaminer la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk au motif que ce dernier n’avait pas garanti la participation d’un avocat de la défense devant la juridiction de cassation, contrairement à ce qu’exigeaient le paragraphe 1 de l’article 48 de la Constitution de la Fédération de Russie et le paragraphe 1 5) de l’article 51 du Code de procédure pénale, sachant que la peine encourue était supérieure à quinze ans d’emprisonnement. Le 12 décembre 2013, un juge de la Cour suprême a rejeté ce recours, considérant qu’il s’agissait d’une requête en réexamen au titre de la procédure de contrôle de la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk.

2.9Les requêtes introduites par l’auteur les 30 mai 2014 et 17 mars 2015, devant la Cour suprême de la Fédération de Russie au titre de la procédure de contrôle pour demander le réexamen de sa condamnation en raison de nouvelles circonstances, ont été rejetées sans examen, respectivement le 9 juillet 2014 et le 1er avril 2015, avec renvoi aux décisions rendues antérieurement en l’espèce.

2.10Au niveau international, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme en novembre 2003, contestant l’appréciation des faits et des éléments de preuve effectuée dans son affaire et le rejet de ses demandes tendant à obtenir la comparution et l’audition de témoins. Sa requête a été enregistrée sous le numéro 2216/04. Dans cette requête, l’auteur invoquait une violation du paragraphe 3 d) de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme). Il ne s’est pas plaint de l’absence d’avocat de la défense en cassation, mais il a bien invoqué son ignorance de la procédure et de ses droits. Le 12 avril 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté sa requête, considérant qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme.

2.11Dans une nouvelle communication adressée au Comité le 16 juin 2017, l’auteur affirme que pendant qu’il exécutait sa peine après avoir été illégalement condamné par le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï, il a fait l’objet d’actes de représailles et de persécutions aux mains du personnel pénitentiaire en raison de son engagement actif en faveur des droits civils, systématiquement interprété par l’administration pénitentiaire comme une violation du règlement intérieur. En particulier, l’administration pénitentiaire lui a, en l’espace de dix ans, infligé illégalement 91 punitions, ce qui a fait obstacle à sa libération conditionnelle. L’auteur a communiqué copie de la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk en date du 29 avril 2013 attestant qu’un agent pénitentiaire de la colonie no2 de la région de Tcheliabinsk avait été condamné à quatre ans et six mois d’emprisonnement, notamment pour l’avoir maltraité les 1er et 2 juin 2010 en l’obligeant à rester debout complètement nu pendant trente et une heures dans une cellule de « rangement » qui n’était ni équipée ni aérée, dont le sol était recouvert de 5 cm d’eau chlorée et qui était vaporisée de gaz lacrymogène, pour le contraindre à « obéir inconditionnellement » aux ordres de l’administration pénitentiaire. Le 16 avril 2014, le tribunal central de district de Tcheliabinsk a accordé à l’auteur 25 000 roubles de dommages-intérêts au titre du préjudice moral.

2.12L’auteur a aussi indiqué dans sa nouvelle communication que le 8 décembre 2016, la Cour européenne des droits de l’homme avait rendu un arrêt sur sa requête no 46902/11 dénonçant ses conditions de détention,. Ayant établi une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour européenne a accordé à l’auteur 14 000 euros de dommages au titre du préjudice pécuniaire et moral subi, ainsi que le remboursement des frais de justice.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue que les droits qu’il tient du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte ont été violés parce qu’il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de l’instance de cassation. Il affirme que le Bureau du Procureur général, le Bureau du Procureur de la région de Tcheliabinsk et la Cour suprême ont méconnu la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême, comme exposé ci-après.

3.2L’auteur renvoie à l’arrêt rendu par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Sakhnovski c. Russie, qui examine la position de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême de la Fédération de Russie dans les affaires relevant de l’article 51 du Code de procédure pénale. En particulier, la Cour européenne a relevé que, dans sa décision no 497-O du 18 décembre 2003, la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie avait jugé ce qui suit :

« Il ne ressort nullement de l’article 51, paragraphe 1, du Code de procédure pénale, qui énonce les cas dans lesquels le ministère d’avocat est obligatoire, que ses dispositions ne sont pas applicables en appel ni qu’il est possible de restreindre le droit du condamné à l’assistance d’un avocat dans une telle procédure. ».

La Cour européenne a également noté que la Cour constitutionnelle avait confirmé et étoffé cette jurisprudence dans sept arrêts rendus le 8 février 2007. La Cour constitutionnelle avait en effet jugé que l’assistance d’un défenseur aux fins d’une procédure d’appel devait être pourvue gratuitement dans les mêmes conditions qu’aux stades antérieurs de l’affaire et qu’elle était obligatoire dans les cas prévus par l’article 51. Elle avait par ailleurs souligné l’obligation incombant au juge d’assurer la participation de l’avocat de la défense lors des instances d’appel. Dans sa décision du 18 décembre 2003, la Cour constitutionnelle avait notamment dit que l’article 51 du Code de procédure pénale, qui définissait les situations dans lesquelles le ministère d’avocat était obligatoire, s’appliquait également à l’instance d’appel. Dans un certain nombre d’affaires, le présidium de la Cour suprême avait cassé et renvoyé, aux fins d’un nouvel examen, des arrêts de juridictions de cassation au motif que celles-ci n’avaient pas assuré la présence à l’audience de l’avocat de la défense, dont le ministère était pourtant obligatoire. Cette approche avait également été confirmée par le présidium de la Cour suprême dans son rapport concernant les affaires tranchées au troisième trimestre de 2005 et par la Cour suprême plénière dans l’ordonnance du 23 décembre 2008, telle qu’amendée le 30 juin 2009. Dans ce dernier document, la Cour suprême avait souligné que l’accusé pouvait renoncer à son droit à l’assistance d’un avocat uniquement par écrit, et que le tribunal n’était pas lié par cette renonciation.

3.3L’auteur affirme d’autre part que le rejet de ses demandes d’audition de témoins, notamment du mineur V. L. et de trois policiers qui étaient présents sur la scène du crime et ont été témoins des événements, constitue une violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte. Ces témoins auraient pu confirmer que la victime Z. et le témoin Y. L. avaient fait de faux témoignages contre lui. L’auteur renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kononenko c. Russie, dans lequel celle-ci a réaffirmé que :

Les autorités devaient faire « tous les efforts raisonnables » pour assurer la comparution des témoins devant le tribunal pour y être directement entendus. En ce qui concerne les dépositions des témoins n’ayant pu être interrogés en présence de l’accusé ou de son conseil, la Cour a souligné que « le paragraphe 1 de l’article 6, lu conjointement avec le paragraphe 3, exigeait des États signataires qu’ils prennent des mesures positives, en particulier pour permettre à l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge. De telles mesures relevaient de la diligence que les États signataires étaient tenus d’exercer pour assurer la jouissance effective des droits garantis à l’article 6 ».

3.4L’auteur affirme en outre que, en violation des garanties d’un procès équitable, le tribunal de première instance n’a pas correctement apprécié les éléments de preuve. Il n’invoque aucune disposition précise du Pacte à l’appui de ce grief.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale en date du 6 juillet 2017, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il fait valoir qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication au regard de l’article 99 c) du règlement intérieur du Comité.

4.2L’État partie rappelle que l’auteur a été condamné par le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï le 10 avril 2003. Le 21 juillet 2003, le tribunal régional de Tcheliabinsk a examiné le recours en cassation de l’auteur. Le 21 août 2003, le même tribunal a rejeté la requête en réexamen au titre de la procédure de contrôle introduite par l’auteur. Le 4 septembre 2003, l’auteur a été informé par le président du tribunal régional de Tcheliabinsk qu’il n’y avait aucune raison de casser la décision du tribunal en date du 21 août 2003. Le 23 janvier 2008, la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté une requête en réexamen introduite par l’auteur au titre de la procédure de contrôle. Le 18 mars 2008, le vice‑président de la Cour suprême a informé l’auteur qu’il n’y avait aucune raison de casser la décision de la Cour suprême en date du 23 janvier 2008.

4.3L’État partie rappelle en outre que l’auteur n’a saisi le Comité pour dénoncer une violation des droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte que le 8 avril 2014, c’est-à-dire plus de dix ans et huit mois après que sa peine fut devenue exécutoire en application de la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk du 21 juillet 2003, et plus de cinq ans après que sa requête en réexamen eut été rejetée par le vice-président de la Cour suprême le 18 mars 2008. L’État partie déclare donc que, en l’absence de toute circonstance justifiant une saisine aussi tardive du Comité, la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif en ce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 29 août 2017, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. S’agissant du temps écoulé avant qu’il saisisse le Comité, l’auteur fait valoir qu’il a déposé de nouveaux recours au Bureau du Procureur général en 2012 et 2013, auprès du président de la Cour suprême en 2013 et 2014, au Cabinet du Président de la Fédération de Russie en 2013 et au Bureau du Médiateur pour les droits de l’homme en 2014. L’auteur fait donc valoir que c’est le 25 février 2014, date à laquelle il a reçu la réponse du Bureau du Médiateur, qui devrait être considérée comme celle à laquelle les recours internes ont été épuisés.

5.2Dans des observations complémentaires en date du 17 janvier 2018, l’auteur fait observer que, bien que le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï ait estimé dans sa décision du 10 avril 2003 qu’il n’avait été que légèrement blessé par le coup de marteau à la tête qui lui avait été assené par l’une des victimes (voir supra, par. 2.1), il ressort de l’examen médical qu’il a passé après avoir purgé la totalité de sa peine, c’est-à-dire quinze ans et trois mois après avoir reçu la blessure en question, que cette blessure aurait dû être qualifiée de grave. L’auteur soutient donc que la décision du tribunal municipal de Verkhni Oufaleï en date du 10 avril 2003 reposait dès le départ sur des conclusions médicales erronées et que les résultats de son dernier examen médical devraient constituer « des circonstances nouvelles » aux fins de l’article 413 du Code de procédure pénale.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale datée du 15 février 2018, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond. Il indique que des poursuites pénales ont été engagées le 4 août 2002 contre l’auteur et une autre personne, et que l’auteur a été placé en garde à vue le même jour. Le 5 août 2002, il a été interrogé en qualité de suspect en présence d’un avocat, S. Au cours de l’interrogatoire, il a expliqué qu’un simple différend l’opposant à Z. avait dégénéré en pugilat. La bagarre avait fini par se terminer mais, résolu à mettre les choses au point, il avait décidé de se rendre chez Z. Lorsqu’il était arrivé au domicile de Z. avec son frère, la bagarre avait repris. À un moment, l’auteur s’est rendu compte qu’il avait reçu un coup de marteau sur la tête, donné par le père de Z. Il s’était alors emparé du marteau et avait frappé le père de Z. plusieurs fois à la tête, ainsi que Z., une seule fois. L’auteur a admis avoir peut-être également frappé et bousculé d’autres membres de la famille de Z. Il accusait cependant les victimes d’être à l’origine de l’altercation parce qu’elles se trouvaient sous l’emprise de l’alcool.

6.2Le 6 août 2002, l’auteur a été incarcéré sur décision du tribunal municipal de Verkhni Oufaleï. Le même jour, il a été interrogé en qualité d’accusé en présence de son avocat, S., mais a refusé de faire des déclarations, invoquant le droit garanti à l’article 51 de la Constitution de la Fédération de Russie. D’après l’examen médico-légal effectué le 6 août 2002, il souffrait de lésions corporelles légères. Le 27 septembre 2002, l’auteur a été interrogé en qualité d’accusé en présence de son avocat, L. (voir aussi infra, par. 6.3), mais a de nouveau refusé de faire des déclarations, invoquant le droit qu’il tenait de l’article 51 de la Constitution. Entre le 30 septembre et le 2 octobre 2002, l’auteur et son avocat, L., se sont prévalus des dispositions de l’article 217 du Code de procédure pénale. L’auteur a notamment déposé des requêtes en vue d’obtenir l’audition d’une femme non identifiée qui aurait été témoin du différend initial l’ayant opposé à Z., ainsi que d’un mineur qui aurait apparemment été la cause première du différend. L’auteur a également demandé à être de nouveau examiné par un médecin afin d’établir le degré de gravité de ses lésions corporelles. Ces requêtes ont été rejetées le 2 octobre 2002 par le procureur adjoint de la ville de Verkhni Oufaleï, qui a considéré que le témoignage des personnes dont l’auteur demandait l’audition était sans rapport avec les infractions dont il était accusé et que le degré de gravité de ses lésions avait déjà été évalué lors de l’examen médico-légal du 6 août 2002.

6.3Le 4 octobre 2002, l’auteur a été renvoyé devant le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï. Le 22 octobre 2002, le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï a fixé la date de l’audience au 28 octobre 2002 et également ordonné le maintien de l’auteur en détention provisoire. L’auteur a d’abord été représenté devant le tribunal de première instance par un avocat commis d’office, L.. À une date non précisée, l’auteur a informé le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï qu’il ne souhaitait plus être représenté par L., avec lequel il étant en désaccord sur la stratégie de défense. Le 12 mars 2003, le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï a rejeté la demande de dessaisissement de L. au motif que l’auteur n’avait pas encore conclu d’accord de représentation avec un autre avocat. Il a fait droit à cette demande le 3 avril 2003, date à partir de laquelle l’auteur a été représenté, jusqu’à sa condamnation, par un nouvel avocat, S.. L’État partie fait observer que les déclarations faites par S. devant le tribunal de première instance montrent qu’il n’y avait pas de désaccord entre celui-ci et l’auteur quant à la stratégie de défense. Tout au long de la procédure, l’auteur a pu régulièrement consulter son dossier pénal et les procès-verbaux d’audience.

6.4Le 1er novembre 2002, l’auteur a demandé à faire l’objet d’un examen psychiatrique, ce que le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï a accepté. L’examen, effectué le 27 décembre 2002, a établi que l’auteur présentait des symptômes d’un trouble de la personnalité relevant de l’hystérie épileptoïde qui ne l’empêchaient cependant pas de comprendre la dangerosité de ses actes pour autrui ni de contrôler ceux-ci. Les résultats de cet examen ont été présentés à l’audience le 12 mars 2003.

6.5L’État partie rappelle que l’auteur a été condamné le 10 avril 2003 par le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï à 16 ans d’emprisonnement et qu’il s’est pourvu contre cette condamnation en cassation. Il relève que l’auteur n’a pas demandé l’assistance d’un conseil devant la juridiction de cassation. Le 21 juillet 2003, le tribunal régional de Tcheliabinsk a confirmé la décision du tribunal municipal de Verkhni Oufaleï, requalifiant de « récidivisme dangereux » en « récidivisme »les actes commis par l’auteur et réprimés par l’article 213 2) a) du Code pénal. Le 20 août 2004, le tribunal municipal de Kopeï (région de Tcheliabinsk) a modifié la peine de l’auteur compte tenu des amendements apportés au Code pénal par la loi fédérale du 8 décembre 2003.

6.6L’État partie fait observer d’autre part que la demande de réexamen au titre de procédure de contrôle formée par l’auteur et rejetée par le tribunal régional de Tcheliabinsk le 21 août 2003 n’invoquait aucune violation des droits de la défense. Il ajoute que le président du tribunal régional de Tcheliabinsk a expliqué dans sa décision du 4 septembre 2003 les autres voies de recours ouvertes à l’auteur pour contester sa condamnation et sa peine.

6.7En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, l’État partie fait observer, eu égard aux éléments du dossier pénal, que l’auteur a demandé à plusieurs reprises l’audition d’une femme non identifiée qui avait été témoin du différend initial l’opposant à Z. et celle d’un mineur qui aurait apparemment été la cause première de ce différend. Ces demandes ont été rejetées par le tribunal, l’auteur n’ayant pas fourni d’informations permettant d’identifier ces témoins. L’auteur a cependant été informé qu’il avait le droit de renouveler sa demande une fois leur identité établie. Après avoir établi que le mineur en question était V. L., l’auteur a demandé qu’il comparaisse en qualité de témoin pour confirmer que l’animosité et le différend initial entre lui et Z. avaient commencé dans la cour de leur immeuble. Le tribunal a rejeté cette nouvelle demande au motif que la victime, Z., ne niait pas que le différend initial l’opposant à l’auteur avait commencé dans la cour de leur immeuble. De plus, le mineur V. L. n’était pas présent sur la scène du crime et n’avait pas été témoin des événements qui s’étaient produits au domicile de Z. L’État partie ajoute que l’identité de la femme n’a jamais été établie par l’auteur.

6.8L’État partie indique en outre que l’auteur a également demandé l’audition des policiers qui l’avaient arrêté et du professionnel de santé qui était présent sur la scène du crime pour établir l’existence d’incohérences dans les déclarations du témoin Y. L., un voisin de Z. Cette demande a été rejetée le 3 avril 2003 par le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï qui a considéré que, comme elle n’avait pas été présentée au stade de l’enquête préliminaire, ces personnes n’étaient pas présentes à l’audience pour témoigner et qu’en tout état de cause leur témoignage n’aurait guère eu d’importance en l’espèce. Une nouvelle demande de l’auteur aux mêmes fins a elle aussi été rejetée par le tribunal au motif que, contrairement à ce qu’affirmait l’auteur, il n’y avait pas d’incohérences dans les déclarations de Y. L.

6.9L’État partie rappelle que c’est à sa demande que l’auteur a subi un examen psychiatrique médico-légal et qu’il a été déclaré capable. Les affirmations de l’auteur selon lesquelles l’agression soudaine du père de Z. l’avait plongé dans un trouble extrême et qu’il avait par conséquent agi de façon automatique sans pouvoir contrôler ses actes n’ont pas été confirmées par cet examen psychiatrique. Il s’agit donc de simples supputations destinées à obtenir le réexamen de l’appréciation et de la qualification de ses actes. L’auteur a reçu copie des résultats de l’examen psychiatrique le 11 mars 2003. Tout au long des débats, il s’est comporté de manière cohérente et ne s’est pas plaint de troubles mentaux. Il n’était pas suivi par un psychiatre. Comme sa santé mentale n’a jamais été mise en cause, que ce soit au stade de l’enquête préliminaire ou à l’audience, les résultats de l’examen psychiatrique médico-légal n’ont pas été examinés par le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï en tant qu’élément de preuve et n’ont pas motivé la sentence du tribunal de première instance.

6.10L’État partie indique que la juridiction de cassation a examiné la légalité, la validité et l’équité de la condamnation de l’auteur et conclu que le tribunal de première instance avait dûment pris en considération toutes les circonstances factuelles de l’espèce et les informations concernant l’identité de chacune des personnes reconnues coupables.

6.11En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas demandé à bénéficier de l’assistance d’un avocat lors de la procédure de cassation et que c’est la raison pour laquelle le tribunal régional de Tcheliabinsk n’a pas commis d’office un avocat pour le représenter. Cependant, l’auteur ayant demandé à être présent à l’audience de cassation, le tribunal régional de Tcheliabinsk a fait droit à cette demande et l’auteur a pu se défendre lui-même. L’État partie rappelle que, conformément au paragraphe 1 de l’article 51 du Code de procédure pénale (en vigueur depuis le 18 décembre 2001 et valide au moment où la condamnation a été prononcée), le ministère d’avocat était obligatoire en matière pénale lorsque : 1) le suspect ou l’accusé n’avait pas renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat conformément à la procédure prévue à l’article 52 du Code de procédure pénale ; 2) le suspect ou l’accusé était mineur ; 3) le suspect ou l’accusé était incapable d’exercer seul son droit de se défendre en raison d’un handicap physique ou mental ; 4) le suspect ou l’accusé ne comprenait pas la langue de la procédure ; 5) l’accusé était passible d’une peine de plus de quinze ans d’emprisonnement, de la réclusion à perpétuité ou de la peine de mort ; 6) l’affaire devait être jugée par un jury ; et 7) l’accusé avait demandé à être jugé dans le cadre de la procédure spéciale prévue au chapitre 40 du Code de procédure pénale.

6.12Quant au grief de l’auteur selon lequel son avocat, S., n’a pas formé de recours en cassation en son nom, l’État partie fait valoir que le tribunal ne peut obliger un avocat à rédiger et déposer un recours, cette question devant être réglée d’un commun accord par l’avocat et son client.

6.13À la lumière de ce qui précède, l’État partie conclut qu’il n’y a pas eu violation des droits garantis à l’auteur par le Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.Le 20 décembre 2018 et le 15 mars 2019, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond. Il réitère les observations qu’il a formulées les 16 juin 2017, 29 août 2017 et 17 janvier 2018, et fait valoir que l’État partie n’a pas expliqué clairement pourquoi on ne lui avait pas donné la possibilité d’être assisté d’un avocat de la défense dans le cadre de la procédure de cassation, en violation du paragraphe 1 5) de l’article 51 du Code de procédure pénale et de l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il fait observer à cet égard que l’État partie, en adhérant au Protocole facultatif, a fait une déclaration dans laquelle il précise que « le Comité n’examinera aucune communication tant qu’il ne se sera pas avéré que la question faisant l’objet de la communication n’est pas déjà examinée dans le cadre d’une autre procédure d’arbitrage ou de règlement international ». Le Comité fait de plus observer qu’en novembre 2003, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête (no 2216/04), concernant, comme la communication à l’examen, l’appréciation des faits et des éléments de preuve dans la procédure le concernant et le rejet de ses demandes visant la comparution et l’audition de témoins. Le 12 avril 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré la requête irrecevable en ce qu’elle ne satisfaisait pas aux dispositions des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. La même question n’étant pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

8.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a épuisé tous les recours utiles dont il disposait. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont été satisfaites.

8.4Le Comité prend note d’autre part de l’argument de l’État partie selon lequel, parce qu’elle a été présentée tardivement, le Comité devrait considérer la communication irrecevable en ce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité fait observer que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation des communications et que le seul fait d’avoir tardé à lui en présenter une ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter des communications. Cela étant, dans certaines circonstances, le Comité attend une explication raisonnable pour justifier le retard. En outre, aux termes de l’article 99 c) du règlement intérieur du Comité, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

8.6Le Comité relève qu’en l’espèce, l’auteur a été reconnu coupable et condamné à seize ans d’emprisonnement par le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï le 10 avril 2003. Le 21 juillet 2003, le tribunal régional de Tcheliabinsk, statuant en tant que juridiction de cassation, a confirmé la décision du tribunal municipal de Verkhni Oufaleï. Bien que l’auteur n’ait saisi le Comité que le 8 avril 2014, c’est-à-dire plus de dix ans et huit mois après que sa peine fut devenue exécutoire en application de la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk, le Comité considère qu’il s’est employé activement jusqu’en 2015 à faire valoir ses droits, notamment dans le cadre de la procédure de contrôle devant la Cour suprême de la Fédération de Russie en 2008, 2013 et 2014 et auprès du Bureau du Procureur général en 2013. Le Bureau du procureur de la région de Tcheliabinsk, lorsqu’il a examiné le recours formé par l’auteur auprès du Bureau du Procureur général, s’est prononcé sur le fond le 22 août 2013, concluant qu’en vertu de la loi en vigueur à l’époque, le ministère d’avocat n’était pas obligatoire dans les procédures de cassation. Le Comité relève aussi que, du fait de ses recours, l’auteur avait vu sa peine de prison réduite à deux reprises après 2003, une première fois par le tribunal municipal de Kopeï (région de Tcheliabinsk) le 20 août 2004 et une seconde fois par le tribunal de district de Metallurguitcheski (ville de Tcheliabinsk) le 13 mai 2011.

8.7Le Comité relève en outre qu’aux termes du paragraphe 1 5) de l’article 51  du Code de procédure pénale, le ministère d’avocat est obligatoire lorsque les faits reprochés à l’accusé sont graves et qu’il est passible d’une peine de plus de quinze ans d’emprisonnement, de la réclusion à perpétuité ou de la peine de mort, et qu’il n’est pas contesté que lors de l’instance de cassation l’auteur n’a pas renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat en selon la procédure prévue à l’article 52 du Code de procédure pénale (voir supra, par. 6.11). Le Comité prend note à cet égard de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas demandé l’assistance d’un avocat devant la juridiction de cassation et que c’est la raison pour laquelle le tribunal régional de Tcheliabinsk n’a pas commis d’office un avocat pour le défendre (voir supra par. 6.5 et 6.11). Le Comité relève toutefois que l’auteur n’a bénéficié de l’assistance de l’avocat commis d’office que jusqu’à sa condamnation par la juridiction de première instance, après quoi cet avocat a informé l’auteur qu’il ne pourrait le représenter dans le cadre de la procédure de cassation sans toutefois lui expliquer comment déposer une demande pour être représenté par un conseil devant la juridiction de cassation. Le Comité note à cet égard que l’auteur a expressément indiqué qu’il ne connaissait ni la procédure ni ses droits (voir supra, par. 2.10). Le Comité réaffirme sa position selon laquelle, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui constitue un retard excessif, chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui la caractérisent. À la lumière de ces considérations et des circonstances particulières de la présente espèce, le Comité considère que la présentation tardive de la communication ne constitue pas un abus du droit de plainte au regard de l’article 99 c) de son règlement intérieur.

8.8S’agissant des griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte concernant le rejet de ses demandes tendant à obtenir la comparution et l’audition de témoins, notamment du mineur V. L. et les policiers présents sur la scène du crime qui avaient assisté aux événements ayant abouti à sa condamnation, le Comité rappelle que de manière générale c’est aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, ou que le tribunal a manqué à son obligation d’indépendance et d’impartialité. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, auquel l’auteur n’a pas répondu, selon lequel les requêtes répétées de l’auteur demandant l’audition de V. L. en qualité de témoin ont été rejetées par le tribunal parce que la victime, Z., ne niait pas que le différend initial qui l’opposait à l’auteur avait commencé dans la cour de leur immeuble. De plus, V. L. n’était pas présent sur la scène du crime et n’avait pas assisté aux événements qui s’étaient déroulés au domicile de Z. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les requêtes de l’auteur demandant l’audition des policiers qui l’avaient arrêté et du professionnel de santé qui était présent sur la scène du crime pour établir l’existence d’incohérences dans les déclarations du témoin Y. L. ont été rejetées par le tribunal parce que, contrairement à ce qu’affirmait l’auteur, il n’y avait pas d’incohérences dans ces déclarations. Le Comité relève que l’auteur n’a pas répondu à ces arguments. À la lumière des informations figurant au dossier, le Comité considère qu’en l’espèce, l’auteur n’a pas démontré que l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux internes avait été arbitraire ou avait représenté un déni de justice. Le Comité conclut donc que les griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité considère que le grief que l’auteur tire du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte concernant une violation de son droit à l’assistance d’un avocat dans le cadre de la procédure de cassation a été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Il déclare donc ce grief recevable et va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat de la défense devant la juridiction de cassation. Le Comité estime que le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte s’applique en l’espèce parce que le tribunal régional de Tcheliabinsk a examiné les éléments de fait et de droit relatifs à l’affaire et a procédé à une nouvelle évaluation de la question de la culpabilité ou de l’innocence. Il prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’auteur n’a pas demandé l’assistance d’un avocat et ne s’est pas plaint de l’absence d’avocat de la défense devant la juridiction de cassation, et que c’est pour cette raison que le tribunal régional de Tcheliabinsk n’a pas commis un avocat d’office pour le représenter. Le Comité prend note également de l’observation de l’État partie indiquant que l’auteur a bien demandé à être présent à l’audience de cassation, que le tribunal régional de Tcheliabinsk a fait droit à cette demande et que l’auteur a pu se défendre lui-même (voir supra, par. 6.11).

9.3Le Comité rappelle que le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte énonce trois garanties distinctes au bénéfice de toute personne accusée d’une infraction pénale : a) à être présente au procès ; b) à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir ; et c)  chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer. Le Comité considère en conséquence qu’il incombe à l’État partie de démontrer que l’auteur, qui a été condamné par le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï à seize ans d’emprisonnement et qui n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat après sa condamnation par le tribunal de première instance, a été dûment informé de son droit, en application du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, de bénéficier de l’assistance d’un défenseur devant la juridiction de cassation. Le Comité note que l’État partie reconnaît que le paragraphe 1 5) de l’article 51 du Code de procédure pénale (entré en vigueur le 18 décembre 2001 et valide lorsque l’auteur a été condamné) rend le ministère d’avocat obligatoire lorsque l’accusé est passible d’une peine de plus de quinze ans d’emprisonnement, de la réclusion à perpétuité ou de la peine de mort (voir supra, par. 6.11). Le Comité fait observer qu’il n’est pas contesté que dans le cadre de la procédure de cassation l’auteur n’a pas renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat selon la procédure prévue par l’article 52 du Code de procédure pénale (voir supra, par. 6.11) et que, pour qu’une personne puisse renoncer à exercer un droit, encore faut-il qu’elle sache que ce droit existe. Le Comité note de plus qu’en l’espèce, le tribunal régional de Tcheliabinsk, pour parvenir à sa conclusion, a examiné les éléments figurant au dossier pénal et les arguments présentés par l’auteur dans son recours en cassation. Dans ces circonstances, le tribunal régional de Tcheliabinsk était tenu d’informer l’auteur de son droit de demander l’assistance d’un avocat de la défense aux fins de la procédure de cassation. Le Comité fait également observer que l’avocat S., qui aurait été informé de la date de l’audience de cassation mais a choisi de ne pas y être présent (voir supra, par. 2.7), ne saurait être considéré comme l’avocat choisi par l’auteur. On ne saurait non plus considérer que l’auteur a renoncé à son droit d’être représenté par un avocat de la défense à l’audience de cassation au seul motif qu’il n’a pas expressément demandé l’assistance d’un avocat. Le Comité fait de plus observer que l’auteur a dû rédiger et présenter son recours en cassation sans aucune assistance juridique. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré qu’il avait pris les dispositions nécessaires pour informer l’auteur de son droit d’être représenté par un avocat de la défense devant la juridiction de cassation et que, par conséquent, les faits tels qu’ils lui ont été présentés font apparaître une violation du droit garanti à l’auteur au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du droit garanti à l’auteur au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour assurer à l’auteur une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations similaires ne se produisent pas à l’avenir.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de Yuval Shany

1.Je regrette de ne pouvoir me joindre à la majorité des membres du Comité pour conclure que la communication est recevable et qu’il y a eu violation du Pacte. J’estime que la présentation tardive par l’auteur de sa communication aurait dû être considérée comme un abus du droit de plainte au regard de l’article 99 c) du règlement intérieur du Comité.

2.Le Comité a jugé recevable le grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 3 d)) du Pacte concernant la violation de son droit de se défendre lors de l’instance de cassation, bien que cette instance ait eu lieu en 2003, soit quatorze ans avant la présentation de la communication au Comité, et que la décision de cassation ait été définitivement confirmée à l’issue d’un réexamen au titre de la procédure de contrôle en 2008, soit neuf ans avant la présentation de la communication. Il convient également de noter que la requête dont l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme et dans laquelle il alléguait diverses violations des droits de la défense lors des procédures engagées contre lui a été rejetée en 2005 (il n’a toutefois pas expressément formulé les griefs relatifs à sa représentation légale lors de l’instance de cassation).

3.Aux termes de l’article 99 c), il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

4.Pour expliquer la présentation tardive de sa communication, l’auteur fait valoir qu’il a présenté des recours additionnels au Bureau du Procureur général en 2012 et 2013, au président de la Cour suprême de la Fédération de Russie en 2013 et 2014, au Cabinet du Président de la Fédération de Russie en 2013 et au Bureau du Médiateur pour les droits de l’homme en 2014 (voir supra par. 5.1). Tous ces recours sont toutefois des recours extraordinaires formés longtemps après que le jugement prononcé contre l’auteur fut devenu définitif.

5.Bien que le droit russe ne fixe aucun délai pour l’exercice, par les condamnés, de leur faculté de demander le réexamen de leur condamnation ou de leur peine (dans le cadre d’une procédure comparable à celle existant dans d’autres pays qui permet de demander à être rejugé), permettre aux auteurs de se soustraire aux délais fixés à l’article 99 c) en multipliant à leur gré les recours extraordinaires devant les juridictions internes serait contraire à l’objet et au but de cette disposition. Avaliser une telle stratégie judiciaire risque de créer une incertitude considérable quant au délai de présentation des communications au Comité, amener celui-ci à connaître d’événements et d’incidents ayant eu lieu de nombreuses années auparavant et dont il n’existe plus guère de preuves, et de désavantager sérieusement les États parties défendeurs essayant d’établir un compte-rendu factuel de ce qui s’est effectivement passé. Un auteur devrait donc également être tenu, lorsqu’un laps de temps important s’est écoulé entre le moment où les décisions des tribunaux internes sont devenues définitives et celui où il a présenté sa communication, en expliquer les raisons, même s’il a dans l’intervalle exercé des recours extraordinaires au niveau interne.

6.La Cour européenne des droits de l’homme a adopté une approche comparable lorsqu’elle applique sa règle des six mois aux requêtes émanant de ressortissants de la Fédération de Russie. Selon la Cour européenne, la date décisive à prendre en compte pour calculer le début du délai de six mois est la date de la dernière décision issue d’un recours s’inscrivant dans « la chaîne des recours internes ordinaires ».

7.La majorité des membres du Comité était consciente de la nécessité pour l’auteur de justifier le caractère tardif de la présentation de sa communication. Le Comité a relevé que l’auteur était demeuré actif jusqu’en 2015 (voir par. 8.6), qu’il ne connaissait ni la procédure ni ses droits (voir par. 8.7) et que la juridiction de cassation n’avait pas garanti son droit d’être représenté par un avocat (ibid.). Cette dernière considération implique probablement que l’État partie n’a pas informé l’auteur en temps voulu de son droit et qu’il est donc dans une certaine mesure responsable du caractère tardif de la présentation de la communication.

8.J’estime toutes ces justifications − qui n’émanent pas expressément de l’auteur mais ont été déduites de ses griefs par la majorité des membres du Comité − peu convaincantes. Si l’auteur est demeuré actif et a exercé un grand nombre de recours devant des juridictions nationales et internationales, ces activités judiciaires intenses ne devraient pas, pour les raisons exposées ci-dessus, modifier le délai dont il dispose pour formuler ses griefs au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte. L’argument selon lequel il ne connaissait pas la procédure (c’est‑à‑dire n’était pas un juriste) ni ses droits, notamment le droit d’être représenté par un conseil, a un caractère trop général et ne semble guère compatible avec l’ampleur exceptionnelle de l’activité judiciaire de l’auteur et le fait incontesté que l’avocat qui l’a représenté en première instance lui avait conseillé d’obtenir l’assistance d’un avocat aux fins de l’instance de cassation. Dans ces conditions, c’est à l’auteur qu’il incombe de montrer qu’il ne savait pas et ne pouvait raisonnablement pas savoir qu’il avait droit à l’assistance d’un conseil devant la juridiction de cassation en temps réel, lors de la première série de procédures en réexamen ou peu après.

9.En fait, l’auteur n’a pas clairement allégué devant le Comité qu’il ne savait pas qu’il avait le droit à l’assistance d’un conseil mais a argué que l’assistance d’un conseil était obligatoire (voir par. 3.2) et qu’il n’avait pas été informé de la manière d’obtenir une telle assistance (voir par. 2.1). Or le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte ne dispose pas que l’assistance d’un défenseur est obligatoire mais que la personne mise en cause a le droit de se défendre « elle-même ou [d’]avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». Le fait que l’auteur ne savait pas qu’en droit interne le ministère d’avocat était obligatoire est donc juridiquement dénué de pertinence parce qu’incompatible avec les droits énoncés dans le Pacte. L’auteur n’a pas non plus expliqué pourquoi il n’a pu obtenir de l’avocat qui l’avait représenté en première instance ou de toute autre source d’information officielle ou privée des informations sur la manière d’avoir l’assistance d’un conseil. Ce grief ne semble pas être plausible puisque l’auteur avait déjà obtenu l’assistance d’un avocat commis d’office en première instance. L’auteur n’a pas non plus expliqué ce qui l’a empêché de formuler son grief concernant l’assistance d’un conseil pendant les nombreuses années qui se sont écoulées depuis que les actions judiciaires engagées contre lui ont pris fin.

10.J’estime donc que dans les circonstances particulières de l’espèce, l’auteur n’a pas justifié le caractère tardif de la présentation de sa communication, et que celle-ci aurait dû être jugée irrecevable comme constituant un abus du droit de présenter des communications.

Annexe II

Opinion commune (dissidente) de Ahmed Amin Fathalla, José Manuel Santos Pais et Hélène Tigroudja

1.Nous regrettons de ne pouvoir nous joindre à la majorité des membres du Comité pour conclure que la communication est recevable et qu’il y a eu violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

2.Le 10 avril 2003, l’auteur a été reconnu coupable de hooliganisme et de coups et blessures volontaires graves et condamné à seize ans d’emprisonnement par le tribunal municipal de Verkhni Oufaleï (région de Tcheliabinsk). Il était lors de son procès représenté par un avocat commis d’office (voir supra par. 6.1 à 6.3) qui, à l’issue de l’audience, l’a informé qu’il ne pourrait pas le représenter en cassation et lui a conseillé de trouver un autre avocat (voir par. 2.1). L’auteur a fait appel de sa condamnation mais n’a pas demandé l’assistance d’un conseil devant la juridiction de cassation (voir par. 6.5).

3.Le 21 juillet 2003, le tribunal régional de Tcheliabinsk, siégeant en tant que juridiction de cassation, a confirmé la décision du tribunal municipal de Verkhni Oufaleï et cette dernière est devenue exécutoire. L’auteur avait demandé à être présent à l’audience et a donc pu se défendre lui-même (voir par. 2.2, 4.2, 6.5 et 6.11) comme le prévoit le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

4.L’auteur a saisi le présidium du tribunal régional de Tcheliabinsk d’une requête en réexamen de la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk au titre de la procédure de contrôle, requête qui a été rejetée le 21 août 2003. Le recours dont l’auteur a ensuite saisi le Président du tribunal régional de Tcheliabinsk a été rejeté le 4 septembre 2003 (voir par. 2.3 et 4.2). Dans les années qui ont suivi, l’auteur a introduit plusieurs demandes de réexamen de sa condamnation au titre de la procédure de contrôle. Le 23 janvier 2008, la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté la requête en réexamen de l’auteur. Puis, le 18 mars 2008, renvoyant aux décisions antérieures, elle a rejeté sans l’examiner une nouvelle requête de l’auteur (voir par. 2.5 et 4.2).

5.Ce n’est qu’en 2013, c’est-à-dire dix ans après que sa condamnation fut devenue définitive, que l’auteur s’est pour la première fois plaint de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un avocat devant la juridiction de cassation (voir par. 2.7, note de bas de page 8).

6.En novembre 2013, l’auteur a demandé à la Cour suprême de réexaminer la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk au motif que celui-ci n’avait pas garanti la participation d’un avocat de la défense à l’instance de cassation. En décembre 2013, la Cour suprême a rejeté ce recours, considérant qu’il s’agissait d’une requête en réexamen de la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk au titre de la procédure de contrôle (voir par. 2.8). Les requêtes en réexamen introduites ultérieurement par l’auteur devant la Cour suprême de Fédération de Russie, datées de mai 2014 et mars 2015, ont été rejetées sans examen en juillet 2014 et en avril 2015, respectivement, avec renvoi aux décisions rendues ultérieurement en l’espèce (voir par. 2.9 et 5.1).

7.Dès le mois d’août 2013, le Bureau du Procureur de la région de Tcheliabinsk a répondu que les droits de la défense de l’auteur n’avaient pas été violés par la juridiction de cassation au motif que : a) l’auteur et son avocat avaient été dûment informés de la date de l’audience de cassation ; b) l’auteur était présent à l’audience ; c) il n’avait pas demandé l’assistance d’un avocat devant la juridiction de cassation ; et d) le ministère d’avocat n’était pas obligatoire en vertu du paragraphe 1 5) de l’article 51 du Code de procédure pénale. En octobre 2013, le Bureau du Procureur général a repris les mêmes arguments, ajoutant que l’auteur avait demandé au tribunal à être présent à l’audience de cassation mais non à y être représenté et que, selon le Code de procédure pénale tel qu’appliqué à l’époque, la participation d’un avocat de la défense à la procédure de cassation n’était pas obligatoire (voir par. 2.7).

8.En novembre 2003, l’auteur a introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme mais ne s’est pas plaint de l’absence d’avocat de la défense à l’audience de cassation. Le 12 avril 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté cette requête parce qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions de recevabilité (voir par. 2.10).

9.Ainsi, lorsque l’auteur a présenté sa communication au Comité, le 8 avril 2014, plus de dix ans et huit mois s’étaient écoulés depuis que sa condamnation était devenue définitive en application de la décision du tribunal régional de Tcheliabinsk de juillet 2003, et plus de cinq ans s’étaient écoulés depuis que sa requête en réexamen au titre de la procédure de contrôle avait été rejetée par la Cour suprême de Fédération de Russie le 18 mars 2008 (voir par. 4.3). De plus, huit ans s’étaient écoulés depuis que la Cour européenne des droits de l’homme avait rejeté sa requête (voir par. 8.2).

10.Nous souscrivons donc à l’opinion dissidente de M. Shany, qui considère que la présentation tardive de la communication à l’examen aurait dû être considérée, à la lumière de l’article 99 c) du règlement intérieur du Comité, comme un abus par l’auteur de son droit de plainte. En fait, l’auteur a présenté sa communication plus de cinq ans après l’épuisement des recours internes et plus de trois ans après la fin d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

11.La majorité des membres du Comité a considéré à cet égard que l’auteur était demeuré actif jusqu’en 2015 (voir par. 8.6). Nous contestons toutefois que cette activité revête une quelconque pertinence juridique, étant donné que la plupart des requêtes en réexamen que l’auteur a présentées jusqu’en 2013 n’avaient rien à voir avec les griefs qu’il formule devant le Comité. De fait, sa condamnation a été revêtue de l’autorité de la chose jugée (res judicata) en 2003 et les actions en justice quelles qu’elles soient qu’il a engagées ne pouvaient modifier cette décision une fois qu’elle était devenue définitive.

12.La majorité a également considéré qu’il était incontesté que l’auteur n’avait pas renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat devant la juridiction de cassation, invoquant en outre le fait qu’il ne connaissait pas la procédure ni ses droits (voir par. 8.7). Or nous contestons ces conclusions, puisque l’auteur était représenté en première instance et que son avocat l’avait informé en temps voulu qu’il ne pourrait pas le représenter devant la juridiction de cassation en lui conseillant de trouver un autre avocat (voir par. 2.1). Quant à la prétendue ignorance de l’auteur de la procédure et de ses droits, elle ne l’a pas empêché de se défendre lui‑même devant la juridiction de cassation et de multiplier les recours devant des organes tant internes qu’internationaux.

13.Nous concluons donc que l’auteur n’a pas justifié de manière convaincante la présentation tardive de sa communication, et que celle-ci aurait dû être déclarée irrecevable parce que constitutive d’un abus du droit de présenter une communication comme, de fait, l’a été à juste titre une autre communication concernant également la Fédération de Russie sur laquelle le Comité s’est prononcé à la session en cours.