Nations Unies

CCPR/C/125/D/3041/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

6 juin 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3041/2017 * , ** , ***

Communication présentée par :

B. D. K. (représentée par un conseil, Mylène Barrière)

Au nom de :

L’auteure et ses deux enfants aînés

État partie :

Canada

Date de la communication :

7 novembre 2017

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 novembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

19 mars 2019

Objet :

Expulsion d’une adulte et de deux enfants mineurs vers l’Angola

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; griefs manifestement mal fondés ; réévaluation des faits et éléments de preuve

Questions de fond :

Torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; droits de la famille ; séparation d’enfants d’avec leurs parents ; droits de l’enfant ; arrestation arbitraire ; détention

Articles du Pacte :

6, 7, 9, 17, 23 et 24

Articles du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteure présente la communication en son nom et au nom de ses deux enfants, ressortissants de la République démocratique du Congo, où ils sont nés en 2004 et 2005, respectivement. L’auteure affirme que son expulsion avec ses deux enfants vers l’Angola constituerait une violation des droits qui leur sont garantis aux articles 6 (par. 1), 7, 9, 13, 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 août 1976. L’auteure est représentée par un conseil, Mylène Barrière, de la Mission communautaire de Montréal.

1.2Le 8 novembre 2017, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteure et ses enfants pendant que la communication était à l’examen. Le 4 mars 2018, l’État partie a demandé la levée des mesures provisoires, arguant que l’expulsion de l’auteure vers l’Angola n’entraînerait pas un préjudice irréparable, l’auteure n’ayant pas démontré, ne serait-ce que prima facie, le bien-fondé de ses griefs ni étayé son allégation selon laquelle son expulsion vers l’Angola lui causerait un préjudice irréparable. Le Comité a rejeté cette demande le 17 octobre 2018. L’État partie a différé le renvoi de l’auteure et de ses enfants, qui résident actuellement au Canada.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1La famille de l’auteure et de ses enfants comprend également L. M., mari de l’auteure et père des enfants en cause, deux enfants plus jeunes et la mère de l’auteure.

2.2De 1998 à 2001, L. M. travaillait comme cuisinier pour le chef de l’Agence nationale de renseignements de la République démocratique du Congo. Pour être choisi à ce poste, il avait changé son nom en J. M. pour donner à penser qu’il appartenait à la même ethnie (Ngwaka) que son employeur.

2.3Le 16 janvier 2001, le Président de la République démocratique du Congo, Laurent Désiré Kabila, a été tué et une purge a été déclenchée dans le pays à la recherche des coupables. Le 17 février 2001, le mari de l’auteure a été interrogé par la police sur son lieu de travail avec tous ses collègues, leur employeur figurant parmi les suspects. Lors de cet interrogatoire, il a été accusé par la police d’être complice du meurtre ; il a réussi à s’échapper par la porte de derrière et s’est immédiatement enfui en Angola.

2.4L’auteure est par la suite allée se réfugier chez une amie. Ayant appris que leur maison avait été perquisitionnée par la police, elle est allée chez ses parents, dans un autre quartier de Kinshasa.

2.5Le 10 mars 2001, après que la police, qui était à sa recherche, fut venue deux fois chez ses parents, l’auteure a quitté la République démocratique du Congo pour l’Angola avec sa mère et son frère. Son père et les autres enfants les ont rejoints peu après.

2.6En Angola, le mari de l’auteure a rencontré d’autres personnes originaires de la République démocratique du Congo mais possédant la nationalité angolaise. Pour que l’auteure et les enfants puissent obtenir des documents d’identité angolais, ces personnes ont témoigné qu’ils formaient une seule et même famille. La famille a toutefois fait l’objet de discrimination de la part des voisins parce que ses membres étaient des ressortissants de la République démocratique du Congo et parce que le mari de l’auteure travaillait pour une compagnie pétrolière, ce dont certains étaient jaloux.

2.7En 2008, en raison des difficultés qu’ils rencontraient en Angola du fait de leur nationalité, l’auteure et son mari sont rentrés en République démocratique du Congo. Ils pensaient que, sept ans s’étant écoulés, ils ne risquaient plus d’être persécutés. Or L. M., le mari de l’auteure, a été arrêté et il allait être exécuté quand l’agent chargé de sa détention, un ami d’enfance de son frère, l’a aidé à s’enfuir : il est allé chercher chez l’auteure le passeport angolais de L. M. et a mis celui-ci dans un avion pour l’Angola, où l’auteure l’a rejoint.

2.8Le 9 janvier 2009, ayant appris que la police secrète angolaise cherchait à extrader le mari de l’auteure en République démocratique du Congo, la famille est partie pour les États‑Unis d’Amérique avec des passeports angolais authentiques mais obtenus frauduleusement.

2.9Le 5 mars 2009, l’auteure et les deux enfants au nom desquels elle présente la communication ont essayé d’entrer au Canada depuis les États-Unis sous de faux noms et en prétendant que le mari de l’auteure et père des deux enfants était décédé. Ils ont été renvoyés aux États-Unis en application de l’Entente entre le Canada et les États-Unis d’Amérique sur les tiers pays sûrs.

2.10Le 9 janvier 2010, les membres de la famille ont demandé le statut de réfugié aux États-Unis. Leur demande a été rejetée en juin 2012 et l’appel formé contre cette décision a été rejeté en décembre 2015. Le 29 février 2016, les autorités des États-Unis ont rejeté la demande d’extension du permis de travail (autorisation d’emploi) du mari de l’auteure.

2.11À partir de 2014, les parents et les frères et sœurs de l’auteure restés en Angola ont été poursuivis et harcelés, principalement par téléphone, probablement par la police angolaise aidée par la police de la République démocratique du Congo. En mai 2015, des agents de la police secrète angolaise ont fait irruption chez eux et les ont interrogés au sujet du mari de l’auteure, les menaçant de mort. Le jeune frère de l’auteure a été abattu et sa mère a reçu une balle dans la jambe et a ultérieurement dû être amputée. Pendant que la mère de l’auteure était hospitalisée, la famille a perdu la trace de son père et de ses autres frères et sœurs ; la famille ne sait toujours pas où ils se trouvent. En août 2015, la mère de l’auteure l’a rejointe aux États-Unis.

2.12Le 10 novembre 2015, un mandat d’arrêt a été émis contre l’auteure et son mari par l’Agence nationale de renseignements de la République démocratique du Congo.

2.13Le 4 juin 2016, l’auteure et sa famille ont franchi illégalement la frontière entre les États-Unis et le Canada. Ils ont été arrêtés par la Gendarmerie royale du Canada. Il a été établi que l’auteure et ses deux enfants aînés (au nom desquels elle présente la communication) ne pouvaient pas demander l’asile sur le fondement de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés parce que leur précédente demande (déposée lorsqu’ils avaient essayé d’entrer au Canada le 5 mars 2009) avait été déclarée irrecevable. Leur demande a donc été prise en compte dans le cadre de la procédure d’examen des risques avant renvoi. L. M., ses deux plus jeunes enfants et sa belle-mère ont quant à eux vu leurs demandes d’asile renvoyées à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

2.14Le 23 février 2017, la demande d’examen des risques avant renvoi de l’auteure a été rejetée au motif que son identité n’était pas crédible et que sa famille avait pu vivre plusieurs années en Angola sans aucun problème. Le 11 mai, l’auteure a introduit devant la Cour fédérale une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision négative issue de l’examen des risques avant renvoi. Le 12 mai, l’auteure a demandé le report du renvoi, arguant que la séparation de la famille serait cause de grandes difficultés, de stress et d’anxiété. Le 17 mai, cette demande de report a été rejetée au motif que le rapport psychologique présenté par l’auteure comportait plusieurs contradictions et que la famille s’était déjà séparée volontairement par le passé et serait réunie dès qu’il serait statué sur la demande de protection du mari de l’auteure. L’auteure a saisi la Cour fédérale d’une demande de sursis judiciaire au renvoi mais elle a été déboutée le 26 mai. Le 13 juillet, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision négative issue de l’examen des risques avant renvoi.

2.15Le 23 mai 2017, à la suite d’une évasion massive intervenue ce mois-là au centre de détention de Makala (à Kinshasa), un nouveau mandat d’arrêt a été émis contre L. M., alias J. M., par l’Agence nationale de renseignements.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que son expulsion avec ses enfants vers l’Angola constituerait une violation des articles 6 (par. 1), 7, 9, 13, 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

3.2L’auteure fait valoir que, s’ils sont expulsés vers l’Angola, ses enfants et elle risquent d’être renvoyés en République démocratique du Congo où ils seront persécutés par les forces de sécurité comme elle et son mari l’ont déjà été, ce qui constituerait une violation des articles 6 (par. 1), 7 et 9. Elle étaye cette allégation de risque en rappelant que leurs passeports angolais ont été obtenus frauduleusement et qu’en fait ils ne possèdent pas la nationalité angolaise.

3.3L’auteure affirme que, du fait de l’application de l’Entente entre le Canada et les États‑Unis sur les tiers pays sûrs, elle et ses enfants ont été privés de la possibilité de demander le statut de réfugié au Canada et n’ont pas eu droit à une audience orale. Ils n’ont eu accès qu’à un examen des risques avant renvoi, qui ne présente pas toutes les garanties voulues en matière de procédure. L’auteure affirme que cela constitue une violation de l’article 13 du Pacte.

3.4L’auteure fait valoir qu’elle et ses enfants entretiennent des liens très étroits et qu’expulser une partie de la famille constitue une atteinte aux droits de celle-ci. Elle ajoute que les deux enfants au nom desquels elle présente la communication sont scolarisés au Canada depuis leur entrée dans le pays et sont intégrés dans la société canadienne. Leur renvoi aurait donc pour eux des conséquences majeures et ne correspondrait pas à leur intérêt supérieur. Pour ces raisons, l’auteure affirme que son expulsion avec ses deux enfants aînés constituerait une violation des articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 4 mai 2018, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il affirme que la communication est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés, que les griefs ne sont pas étayés et que la communication constitue pour l’essentiel un recours contre une décision des autorités nationales.

4.2L’État partie relève que l’auteure n’a présenté aucun nouvel élément attestant qu’elle court personnellement un risque. Sa communication se fonde en effet en grande partie sur la contestation des décisions des autorités nationales ayant examiné son cas. Elle constitue en substance un recours contre les décisions de ces autorités concluant que l’auteure ne risquait pas d’être persécutée si elle était renvoyée en Angola. À cet égard, le Canada rappelle la jurisprudence constante du Comité selon laquelle il ne lui appartient pas d’examiner les décisions des autorités internes concernant l’appréciation des faits et des éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les griefs impliquant la réévaluation des faits et des éléments de preuve devraient être déclarés irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. L’État partie considère que l’auteure n’a pas montré que l’appréciation de son cas par les autorités internes a été manifestement arbitraire ou constitue un déni de justice.

4.3L’État partie affirme ensuite que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses allégations de violation des articles 6 (par. 1), 7 et 9 parce qu’elle n’a aucune crédibilité et qu’elle n’a pas établi des éléments aussi élémentaires que son identité ou sa nationalité de la République démocratique du Congo. Initialement, l’auteure a affirmé dans sa communication qu’elle avait voyagé avec de faux papiers angolais, alors que son passeport était authentique. Ses déclarations concernant sa nationalité sont également contradictoires et les documents qu’elle produit contiennent plusieurs incohérences. Par exemple, le certificat de naissance produit par l’auteure lors de sa première entrée au Canada portait son nom d’épouse. Les autorités canadiennes ont en outre constaté que l’auteure n’avait pas la moindre notion de base concernant la République démocratique du Congo, ne sachant pas, par exemple, ce qu’était un « post-nom », et elles en ont conclu qu’elle n’était pas ressortissante de ce pays. L’auteure a utilisé à plusieurs reprises des documents falsifiés et de fausses identités. Elle a fourni à maintes reprises et délibérément des informations fallacieuses. Elle a prétendu que son mari était décédé, a donné des dates de naissance différentes et a utilisé au moins quatre noms différents (K. D., D. K. M., N. B. M. et B. N. M. K.). L’État partie ajoute que la communication présentée au Comité repose sur de fausses déclarations et qu’elle est accompagnée de pièces − par exemple le rapport psychologique − qui comportent de nombreuses erreurs et inexactitudes. En ce qui concerne les preuves des persécutions qu’aurait subies l’auteure après l’assassinat du Président de la République démocratique du Congo, l’agent d’examen des risques avant renvoi a noté que la plupart des personnes accusées d’avoir participé au complot étaient des militaires, et rien n’indique que quelqu’un comme le mari de l’auteure courrait personnellement un risque. L’État partie reconnaît que, dans certaines situations, les personnes prétendant au statut de réfugié doivent utiliser de fausses identités et de faux documents pour fuir le pays où elles sont persécutées, mais une fois arrivées dans un pays sûr dontelles sollicitent une protection, elles sont censées dire la vérité. La seule pièce d’identité authentique que l’auteure a présentée aux autorités de l’État partie est un passeport angolais valide, et c’est pourquoi elle fait l’objet d’une mesure d’expulsion vers l’Angola et non pas vers la République démocratique du Congo. Ses autres documents d’identité sont, de son propre aveu, faux, soit ont été falsifiés ou sont d’une authenticité douteuse. Dans ces circonstances, l’État partie est justifié à se fonder sur sa seule pièce d’identité authentique − son passeport angolais − et à considérer qu’elle est de nationalité angolaise.

4.4L’auteure n’a fourni aucun élément de preuve qui permettrait de conclure que ses droits seraient violés en Angola. Les extraits de plusieurs rapports sur les droits de l’homme en Angola qu’elle a joints à sa communication sont des informations d’ordre général et n’ont aucun rapport avec sa situation personnelle. La situation générale des droits de l’homme en Angola, quoique problématique à certains égards, n’indique pas qu’une personne comme l’auteure courrait personnellement un risque en cas de renvoi dans ce pays. L’auteure n’a non plus présenté aucun élément attestant que, si elle était expulsée vers l’Angola, elle serait renvoyée en République démocratique du Congo. L’État partie considère donc que les griefs que l’auteure tire des articles 6 (par. 1), 7 et 9 sont irrecevables car non étayés.

4.5L’État partie soutient que les allégations de l’auteure au titre de l’article 13 du Pacte concernant l’application de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs sont irrecevables parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. Les demandeurs d’asile qui retournent au Canada en évitant les postes frontières pour se soustraire à l’application de cet accord après le rejet de leur demande en application de celui-ci voient leur demande déclarée irrecevable au titre de l’article 101 1) c) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Dans un tel cas, ils ne sont pas renvoyés aux États-Unis mais font l’objet d’un examen des risques avant renvoi visant à déterminer s’ils ont besoin d’une protection, la procédure suivie lorsque l’auteure et ses deux enfants aînés sont entrés au Canada en 2016. Lorsqu’elle a demandé le statut de réfugié en 2009 la première fois qu’elle est entrée au Canada, l’auteure aurait pu contester la décision de rejet de sa demande et son renvoi aux États-Unis en déposant une demande d’autorisation de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, accompagnée d’une demande de sursis judiciaire au renvoi. Contrairement à ce qu’elle a affirmé en disant qu’elle ne disposait pas de recours, une personne dans sa situation qui demande le statut de réfugié peut en fait saisir la Cour fédérale. Or l’auteure n’a pas contesté la décision de la renvoyer aux États-Unis.

4.6Les allégations de l’auteure au titre de l’article 13 sont également irrecevables parce qu’elles ne sont pas suffisamment étayées. Le grief de l’auteure à cet égard semble être pour l’essentiel qu’elle n’a pas bénéficié d’une audience orale dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi. Le Canada indique que l’auteure a été entendue plusieurs fois par les autorités d’immigration canadiennes avant qu’elle dépose sa demande d’examen des risques avant renvoi et qu’en ces occasions des questions précises lui ont été posées sur sa nationalité, son identité et l’authenticité de ses papiers. L’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a considéré, en se fondant sur les propres déclarations de l’auteure et sur son passeport angolais authentique, qu’elle était angolaise. Il n’y avait donc pas de raison qu’il lui repose exactement les mêmes questions que les autorités d’immigration. En outre, l’auteure a pu déposer une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision issue de l’examen des risques avant renvoi, ainsi qu’une demande de sursis judiciaire à son renvoi. Elle a été autorisée à rester au Canada durant le traitement de sa demande d’examen des risques avant renvoi. Étant donné qu’il a été établi qu’elle ne courrait aucun risque en Angola, le pays dont elle est ressortissante et où elle doit être renvoyée, et qu’elle fait l’objet d’une mesure de renvoi légale, elle n’est pas « légalement sur le territoire » canadien.

4.7À titre subsidiaire, l’État partie fait valoir que les procédures contestées satisfont aux garanties énoncées à l’article 13. Comme le montrent les procédures internes décrites plus haut, la demande d’asile présentée par l’auteure aux États-Unis a été examinée et rejetée et l’auteure a été déboutée de son appel. Au Canada, elle a eu accès à la procédure d’examen des risques avant renvoi. Elle était représentée par un conseil et a eu toute latitude pour participer à la procédure en formulant des observations écrites détaillées. Elle a eu accès à un contrôle judiciaire de la décision négative issue de l’examen des risques avant renvoi. Elle a pu demander un report de son renvoi et un contrôle judiciaire de la décision rejetant cette demande. Elle a eu accès à un sursis judiciaire au renvoi. Les faits ne font apparaître aucune violation de l’article 13 du Pacte.

4.8L’État partie affirme ensuite que les griefs soulevés au titre des articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte devraient être déclarés irrecevables car insuffisamment étayés. L’auteure prétend que son expulsion avec ses deux enfants aînés, alors que son mari, ses deux plus jeunes enfants et sa mère restent au Canada en attendant qu’il soit statué sur leurs demandes de statut de réfugié, constituerait une violation de leur droit à la vie de famille et du droit à une protection que leur condition de mineurs confère à ses enfants. L’État partie relève que l’auteure, quand elle est entrée au Canada avec ses deux enfants aînés en 2009, a prétendu que son mari était décédé. Sur les actes de naissance de ces enfants qu’elle a présentés aux autorités, une personne nommée A. L. était désignée comme étant le père. Malgré ces incohérences, l’État partie est prêt, aux fins des présentes observations, à accorder à l’auteure le bénéfice du doute et à considérer que l’auteure, son mari et ses enfants constituent une famille.

4.9L’État partie dit que c’est à cause de leurs propres décisions et actions que l’auteure et son mari voient leurs demandes de protection au Canada traitées à des moments différents et dans le cadre de procédures différentes. Le fait que la famille puisse être temporairement séparée si les auteurs sont expulsés vers l’Angola ne rend pas en soi leur renvoi illégal, arbitraire, déraisonnable ou disproportionné. Si le mari de l’auteure se voit accorder la protection qu’il demande, il pourra demander la résidence permanente au Canada en incluant dans sa demande l’auteure et les deux enfants aînés. Si sa demande de protection est rejetée, il pourra rejoindre l’auteure en Angola, pays dont ils ont la nationalité et où, de leur propre aveu, l’auteure et lui ont vécu plusieurs années. L’État partie souligne que, à la date fixée pour le renvoi des auteurs, initialement prévu pour mai 2017, la famille aura vécu au Canada pendant moins d’un an. Elle ne réside pas de longue date dans ce pays et n’y a pas de vie de famille bien établie. Les enfants au nom desquels la communication est présentée ne sont pas nés au Canada et ne peuvent pas être considérés comme intégrés dans leur école et la société canadienne au point que l’annulation d’une mesure d’expulsion légale soit justifiée. De plus, les difficultés susceptibles de résulter de la séparation de la famille et l’intérêt supérieur des enfants ont été pris en considération lors de l’examen de la demande de report du renvoi, et le fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada qui a statué sur cette demande a noté que le rapport psychologique produit comme preuve se fondait exclusivement sur les déclarations de l’auteure et de son mari et comportait de nombreuses contradictions. Ce fonctionnaire a noté que la famille s’était déjà séparée volontairement par le passé et que les adultes étaient entrés au Canada illégalement, mettant sciemment leurs enfants dans une situation précaire et stressante. Il a donc conclu qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes de reporter le renvoi. La Cour fédérale a refusé de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire. Sur ce point également, l’État partie considère que l’auteure n’a pas démontré que l’appréciation de son cas par les autorités internes a été manifestement arbitraire ou constitue un déni de justice, et il conclut que les griefs qu’elle tire des articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte devraient être déclarés irrecevables.

4.10L’État partie prie donc le Comité de déclarer la communication irrecevable parce qu’insuffisamment étayée et de déclarer les griefs de l’auteure irrecevables. Au cas où le Comité considérerait l’un quelconque de ces griefs comme recevable, l’État partie estime que, pour les mêmes raisons, les faits ne font apparaître aucune violation du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1L’auteure indique que, depuis la présentation de sa communication, elle a découvert qu’elle était enceinte, la date prévue pour l’accouchement étant le 9 septembre 2018. De plus, la santé mentale de sa fille s’est gravement détériorée à cause de la menace d’expulsion et de séparation familiale. D’après le rapport médical joint par l’auteure, sa fille a des pensées suicidaires récurrentes et risquerait fort de se suicider si elle était expulsée. L’auteure souligne que les soins de santé mentale et possibilités de traitement restent très limités en Angola et en République démocratique du Congo et sont insuffisants et inappropriés au regard des besoins particuliers de sa fille.

5.2L’auteure apporte aussi d’autres éléments sur le risque auquel ses enfants et elle‑même seraient exposés s’ils étaient expulsés et sur son identité. Premièrement, en mai 2017, l’Agence nationale de renseignements a émis un nouveau mandat d’arrêt contre l’auteure et son mari, L. M., une évasion massive à la prison de Makala ayant entraîné la réémission d’anciens mandats d’arrêt. Deuxièmement, l’auteure, son mari et sa mère ont pu obtenir des passeports de la République démocratique du Congo, un certificat de mariage et un livret de famille par l’intermédiaire de l’ambassade de la République démocratique du Congo à Ottawa. L’auteure dit que dans ses observations, l’État partie n’évoque pas le risque auquel seraient exposées les victimes présumées à leur retour et se contente de souligner son manque de crédibilité. Cela ne fait que confirmer le fond de la communication : les éléments essentiels de la demande d’asile de l’auteure n’ont jamais été examinés de manière équitable.

5.3S’agissant de sa crédibilité, l’auteure réfute totalement l’assertion de l’État partie selon laquelle elle aurait, à un certain point, reconnu avoir la nationalité angolaise, et précise qu’elle a seulement dit qu’elle détenait un passeport angolais (obtenu frauduleusement). Elle explique ensuite qu’elle a toujours dit la vérité aux autorités canadiennes au sujet des différentes identités dont ils s’étaient servis et des raisons pour lesquelles ils l’avaient fait : une fausse identité a été utilisée pour obtenir le passeport angolais et l’autre pour des raisons culturelles, quand son mari travaillait pour le chef de l’Agence nationale de renseignements. L’auteure conclut qu’elle a toujours dit la vérité aux autorités de l’État partie et que, si celles‑ci avaient dûment examiné sa demande, tous les doutes qu’elles pouvaient avoir quant à la crédibilité de ses déclarations auraient été levés. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel, n’étant pas considérée comme ressortissante de la République démocratique du Congo, elle ne serait pas persécutée en Angola, l’auteure fait valoir qu’elle a été persécutée non seulement en République démocratique du Congo mais aussi en Angola, où des membres de sa famille ont été poursuivis et interrogés, ce qui a entraîné la mort de son frère, l’amputation de sa mère et la disparition de son père et de ses autres frères et sœurs. C’est ce que l’auteure, son mari et sa mère ont toujours déclaré dans tous leurs échanges avec les autorités de l’État partie.

5.4L’auteure dit que leurs passeports angolais, obtenus frauduleusement, viennent à expiration en août 2018 et qu’à partir de cette date ils seraient des migrants sans papiers en Angola. D’après différents rapports, en Angola les demandeurs d’asile et les réfugiés ne bénéficient d’aucune protection de l’État et sont souvent victimes d’actes de harcèlement et d’intimidation de la part de la police. L’auteure rappelle d’autre part qu’elle a déjà subi des discriminations en Angola en tant que ressortissante de la République démocratique du Congo. En outre, les arrestations et détentions arbitraires sont un problème particulièrement préoccupant en Angola pour les migrants congolais, et elles le seraient encore plus pour l’auteure, recherchée en République démocratique du Congo. L’auteure souligne également qu’en Angola le système judiciaire et les forces de sécurité sont largement en proie à la corruption et sont inefficaces et que les exécutions extrajudiciaires y constituent un grave problème de droits de l’homme.

5.5L’auteure rappelle qu’elle craint d’être extradée ou expulsée vers la République démocratique du Congo par les autorités angolaises. Un rapport du Gouvernement angolais indique qu’au moins 170 ressortissants de la République démocratique du Congo ont été rapatriés en avril 2018. Elle souligne l’aggravation de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo, où le nombre des arrestations et détention arbitraires est élevé et où il est fréquent que les membres de la famille des suspects soient arrêtés à la place de ceux-ci, d’où le risque pour elle d’être arrêtée à la place de son mari. Les forces de sécurité y commettraient des actes de torture et des mauvais traitements et les conditions de détention y mettent la vie des détenus en danger et constituent un traitement inhumain et dégradant. L’auteure souligne que le Canada a reconnu la gravité et la fréquence des violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo et a même décrété un moratoire − toujours en vigueur − sur les renvois dans ce pays.

5.6L’auteure affirme qu’elle n’a pas vraiment eu la possibilité d’être entendue, n’ayant été interrogée que par des fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada lors des entrevues au point d’entrée, où les demandeurs d’asile ne bénéficient pas de l’assistance d’un conseil et sont souvent mal informés. Le procès-verbal de ces entrevues n’est pas exhaustif, comme le Conseil canadien pour les réfugiés l’a indiqué dans un rapport. L’auteure fait valoir qu’en application de l’Entente entre le Canada et les États‑Unis sur les tiers pays sûrs, elle n’a pu bénéficier du système quasi judiciaire de détermination du statut de réfugié et n’a eu accès qu’au programme d’examen des risques avant renvoi, qui n’offre pas de garanties de procédure équivalentes à celles qu’offre la procédure de détermination du statut de réfugié. Le programme d’examen des risques avant renvoi est une procédure purement administrative : les demandes sont examinées par des agents de l’immigration (fonctionnaires du bureau Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada) et non par des personnes indépendantes. En règle générale, l’examen des risques avant renvoi est une procédure écrite et des audiences n’ont lieu qu’exceptionnellement, à la discrétion de l’agent traitant la demande. Conformément à l’article 169 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, les audiences orales visent en particulier à éclaircir les déclarations du demandeur lorsqu’il y a des doutes quant à la crédibilité de celui-ci ou à la valeur probante des éléments présentés. Il n’a été fait droit à aucune des nombreuses demandes d’audience orale de l’auteure et celle-ci n’a jamais été entendue dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi. En outre, l’agent qui a traité sa demande n’a pas examiné ses déclarations concernant les risques personnels auxquels elle serait exposée si elle était expulsée. La Cour fédérale, dans sa décision du 26 mai 2017, reconnaît qu’une audience orale aurait dû avoir lieu et que l’auteure est ressortissante de la République démocratique du Congo, mais conclut contre toute logique qu’elle ne serait pas exposée à un préjudice irréparable en Angola parce qu’elle a pu y vivre pendant de nombreuses années. De plus, l’auteure a été arrêtée le 6 novembre 2017 et a été informée le lendemain qu’elle serait expulsée le 8 novembre avec ses enfants. La rapidité d’exécution de ce renvoi ne lui a pas permis de contester l’expulsion et de faire examiner son cas. Le caractère injuste de la procédure d’examen des risques avant renvoi et l’exécution de la décision de renvoi visant l’auteure constituent une violation de l’article 13 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7.

5.7En ce qui concerne les articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1), l’État partie fait observer que si la famille était séparée, ce serait uniquement en raison de décisions prises par les parents eux -mêmes, l’auteure ayant essayé d’entrer au Canada avec ses enfants et déposé une demande de statut de réfugié dans ce pays en affirmant que son mari était décédé. Or l’auteure explique qu’elle a agi selon ce qu’elle croyait être l’intérêt supérieur de ses enfants. Le projet initial de la famille était de demander l’asile au Canada (en raison des liens linguistiques et culturels qu’ils pensaient avoir avec ce pays, plus étroits qu’avec les États‑Unis) mais le mari de l’auteure a estimé qu’il était trop dangereux de franchir la frontière illégalement. L’auteure a alors décidé de passer la frontière à pied avec ses enfants et, afin d’utiliser le nom sous lequel l’Agence nationale de renseignements connaissait son mari et suivant en cela un mauvais conseil reçu aux États-Unis, elle a obtenu des documents d’identité sous ce nom de famille. Dans sa demande de sursis administratif au renvoi, l’auteure a indiqué que son expulsion et celle de ses deux enfants aînés leur causeraient un préjudice irréparable en séparant la famille. Le fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada a néanmoins rejeté cette demande, considérant que le rapport psychologique n’était pas fiable parce qu’il comportait de nombreuses contradictions. L’auteure explique que ces contradictions sont dues à des méprises de ce fonctionnaire. En outre, celui-ci a considéré que le rapport de la psychologue était principalement fondé sur les déclarations de l’auteure, ce qui n’est pas exact, car la psychologue a énuméré les éléments dont elle s’était servie pour son examen. En cas d’expulsion, la séparation de la famille pourrait durer plusieurs années puisque le traitement de la demande d’asile du mari de l’auteure et de sa demande ultérieure de résidence permanente pourrait durer jusqu’à trente-deux mois. Par conséquent, l’expulsion de l’auteure et de ses enfants aînés constituerait une violation des droits qui leur sont garantis aux articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

5.8L’auteure fait observer qu’elle et ses enfants ont été placés en détention en prévision de leur expulsion puis remis en liberté lorsque le Comité a pris des mesures provisoires demandant à l’État partie de suspendre l’expulsion tant que la communication était à l’examen. Elle affirme que pareille détention d’enfants mineurs, même de courte durée, est disproportionnée et arbitraire et constitue une violation des droits qui leur sont garantis aux articles 17 (par. 1), 23 (par. 1), 24 (par. 1) et 9 (par. 1) du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les auteurs doivent exercer tous les recours internes pour satisfaire à la prescription du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où ces recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à l’auteur. Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle le placement de ses enfants mineurs en détention avec elle, en prévision de leur expulsion, était une mesure disproportionnée et arbitraire qui a violé les droits que ces enfantstenaient des articles17 (par. 1), 23 (par. 1), 24(par. 1) et 9 (par.1) du Pacte. Le Comité fait observer que l’auteure n’a pas soulevé ce grief dans sa communication initiale au Comité mais l’a seulement formulé dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, et que l’État partie n’a pas eu la possibilité de commenter ces allégations. Le Comité relève en outre que l’auteure n’a tenté d’exercer aucun recours interne pour contester le placement de ses enfants en détention et n’a pas fait valoir qu’il n’y avait pas de recours utiles disponibles. Il considère donc que ces griefs sont irrecevables au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs de l’auteure au titre de l’article 13 devraient être déclarés irrecevables puisque, quand elle est entrée sur le territoire canadien pour la première fois, l’auteure aurait pu contester le rejet de sa demande d’asile et son renvoi aux États-Unis en introduisant une demande d’autorisation de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale, accompagnée d’une requête en sursis judiciaire. Le Comité relève que l’auteure formule des griefs au sujet non seulement de l’application de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs mais aussi des garanties procédurales dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi et du fait qu’elle n’a pas bénéficié d’une audience orale. Le Comité relève que le recours que propose l’État partie permet seulement de contester l’application de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs mais ne couvre pas tous les aspects des griefs que l’auteure tire de l’article 13. Il note que l’État partie n’a opposé le non-épuisement des recours internes à aucun des autres griefs de l’auteure. Il considère par conséquent que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à l’examen des autres griefs formulés dans la communication.

6.5Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle si elle était renvoyée en Angola, les droits qu’elle tient de l’article 9 du Pacte seraient violés car elle y serait persécutée et extradée vers la République démocratique du Congo, où elle serait détenue dans des conditions qui mettraient sa vie en danger. Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteure n’a pas suffisamment étayé les griefs qu’elle tire de l’article 9. Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte fait obligation aux États parties de respecter et garantir à toutes les personnes se trouvant sur leur territoire et à toutes les personnes relevant de leur compétence les droits énoncés dans le Pacte. Cette obligation entraîne notamment celle de ne pas extrader, déplacer ou expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable,tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite. À cet égard, le Comité constate que l’auteure n’a pas, s’agissant du grief qu’elle tire de l’article 9, fourni suffisamment d’informations pour permettre au Comité de conclure que la privation de liberté dont elle affirme qu’elle ferait l’objet constituerait un préjudice irréparable tel que celui qui est envisagé aux articles6 et 7. En conséquence, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations selon lesquelles son expulsion vers l’Angola par l’État partie constituerait une violation de l’article9 et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article2 du Protocole facultatif.

6.6En ce qui concerne le grief soulevé par l’auteure au titre de l’article 13, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteure ne sont pas suffisamment étayées car celle-ci a été interrogée plusieurs fois avant de déposer sa demande d’examen des risques avant renvoi. Le Comité observe que cette demande d’examen des risques avant renvoi a été examinée et que l’agent compétent a conclu, sans recourir à une audience orale, que le renvoi de l’auteure ne l’exposerait à aucun risque. Le Comité note aussi que cette décision a été examinée par la Cour fédérale, qui a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de l’auteure le 1er août 2017. Cela étant, le Comité estime que l’auteure n’a pas suffisamment établi, aux fins de la recevabilité, qu’en l’espèce les procédures susmentionnées ont constitué un déni de justice, en violation de l’article 13 du Pacte. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les autres griefs de l’auteure sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif parce qu’ils ne sont pas suffisamment étayés. En ce qui concerne les allégations de l’auteure au titre des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, le Comité observe que l’auteure a expliqué qu’elle avait peur de retourner en Angola parce qu’elle craignait d’y être persécutée et d’être extradée vers la République démocratique du Congo, où son mari et elle seraient persécutés par les forces de sécurité comme ils l’ont été par le passé. En ce qui concerne les articles 17 (par. 1), 23 et 24 (par. 1) du Pacte, le Comité relève que l’auteure allègue que l’expulsion d’une partie de la famille constitue une immixtion dans la vie de celle-ci, car tous ses membres sont unis par des liens très forts. Il considère que, aux fins de la recevabilité, l’auteure a suffisamment étayé ces allégations. Le Comité déclare donc la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 6 (par. 1), 7, 17 (par. 1), 23 et 24 (par. 1), et il va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteure affirmant que son expulsion vers l’Angola l’exposerait au risque d’être persécutée et extradée en République démocratique du Congo, où elle pourrait être soumise à des mauvais traitements, et que l’État partie n’a pas raisonnablement évalué le risque inhérent à son renvoi.

7.3Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004), sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans lequel il indique que les États ont 1’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer par d’autres moyens une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel que cette personne subisse un préjudice irréparable, tel que les traitements visés aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité précise en outre que ce risque doit être personnel et qu’il faut dûment démontrer qu’il y a des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Ainsi, tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteure. Le Comité rappelle que d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée pour déterminer si un tel risque existe, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement erronée, ou a représenté un déni de justice.

7.4Le Comité prend note des déclarations de l’auteure faisant état des mandats d’arrêt émis à son encontre en République démocratique du Congo et des persécutions qu’elle et sa famille ont subies en Angola. Le Comité observe toutefois que la demande d’examen des risques avant renvoi de l’auteure et les arguments qu’elle a formulés à cette occasion ont été soigneusement examinés par les autorités de l’État partie dans le cadre de l’examen de cette demande et de la demande d’autorisation de contrôle judiciaire qu’elle a déposée ultérieurement. Le Comité note que, d’après les pièces produites par les parties, l’Agence des services frontaliers du Canada a entendu l’auteure à différentes occasions et a fait examiner par des experts les documents d’identité qu’elle avait présentés pour en vérifier l’authenticité. Toutes les autorités ont relevé des contradictions et des invraisemblances dans les déclarations de l’auteure. Le Comité prend note en particulier de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas établi ni expliqué de manière convaincante pourquoi elle et son mari seraient persécutés en République démocratique du Congo alors que leur profil ne correspond pas à celui des personnes l’ayant été suite à l’assassinat de l’ex-Président de la République démocratique du Congo (voir par. 4.3) et du fait que l’État partie se demande si l’auteure et ses enfants sont effectivement des ressortissants de la République démocratique du Congo. Le Comité note de plus que l’auteure n’a pas démontré de manière convaincante que, comme elle le prétend, elle était persécutée en République démocratique du Congo, que son frère avait été tué en Angola à cause de cela et que sa mère avait dû être amputée d’une jambe pour les mêmes raisons. Après analyse du dossier, la Cour fédérale, dans sa décision du 26 mai 2017, a conclu que l’auteure ne serait pas exposée à un risque de préjudice irréparable si elle était expulsée vers l’Angola, pays où elle avait vécu pendant des années.

7.5Le Comité note que l’auteure, tout en contestant l’appréciation et les conclusions des autorités canadiennes concernant le risque de préjudice auquel elle serait exposée en Angola et le risque d’une extradition vers la République démocratique du Congo, n’a présenté aucun élément permettant d’étayer suffisamment ses allégations au titre des articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité estime que les informations dont il dispose montrent que l’État partie a pris en considération tous les éléments soumis par l’auteure lorsqu’il a évalué le risque auquel celle-ci serait exposée, et que l’auteure n’a relevé aucune irrégularité dans le processus décisionnel. Le Comité considère également que l’auteure, tout en contestant les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, n’a pas montré que celles-ci étaient arbitraires ou manifestement erronées ou qu’elles ont constitué un déni de justice. Par conséquent, le Comité considère que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par l’auteure ne démontrent pas qu’elle serait exposée à un risque réel et personnel d’être soumise à des traitements contraires aux articles 6 et 7 du Pacte. Compte tenu de ces considérations, le Comité ne peut pas conclure que les informations dont il est saisi montrent que les droits que l’auteure tient des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte seraient violés si elle était renvoyée en Angola.

7.6En ce qui concerne le grief de violation des articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte, le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles son expulsion avec ses deux enfants aînés constitue une immixtion dans leur vie de famille puisque tous les membres de la famille sont unis par des liens très forts et que leur séparation serait contraire à l’intérêt supérieur de ses enfants. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel c’est l’auteure elle-même qui a pris la décision d’entrer au Canada sans son mari, ce qui a fait que leurs demandes sont examinées dans le cadre de procédures différentes et que l’auteure doit être expulsée avant qu’il ait été statué sur les demandes des autres membres de sa famille. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, s’il peut effectivement arriver que le refus de l’État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire représente une immixtion dans la vie de la famille de cette personne, le simple fait que certains membres d’une famille aient le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne signifie pas nécessairement que l’expulsion d’autres membres de la même famille constitue une immixtion du même ordre.

7.7En l’espèce, le Comité considère que la mesure d’expulsion visant l’auteure et ses deux enfants aînés mais pas ses autres enfants mineurs ni son mari et père des enfants constitue une immixtion dans la vie de famille au sens de l’article 17 du Pacte. Le Comité doit déterminer si cette immixtion dans la vie de famille de l’auteure et de ses enfants est arbitraire ou illégale au sens du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, et donc si l’État a accordé une protection suffisante à la famille et aux enfants de l’auteure conformément aux articles 23 (par. 1) et 24 (par. 1).

7.8Le Comité rappelle que la notion d’arbitraire intègre le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. Il rappelle aussi que dans les cas où une partie d’une famille doit quitter le territoire de l’État partie alors que l’autre a le droit de rester, les critères pour établir si l’immixtion dans la vie de famille des intéressés peut ou ne peut pas être justifiée objectivement doivent être considérés d’une part eu égard à l’importance des motifs avancés par l’État partie pour expulser l’intéressé et d’autre part eu égard aux difficultés que la famille et ses membres rencontreraient du fait de l’expulsion.

8.En l’espèce, le Comité observe que le renvoi de l’auteure répondait à un objectif légitime, à savoir l’application de la loi sur l’immigration de l’État partie ; l’État partie a expliqué que la décision de renvoyer l’auteure découlait du rejet de sa demande d’examen des risques avant renvoi. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel il a soigneusement étudié, en examinant la demande de report du renvoi déposée par l’auteure, les allégations de celle-ci concernant les difficultés qui pourraient résulter de la séparation de sa famille, et que le fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada a souligné que cette séparation ne serait que temporaire, en attendant qu’il soit statué sur la demande de protection du mari de l’auteure. L’État partie fait valoir qu’après cela, les membres de la famille pourront se retrouver soit au Canada soit en Angola, où l’auteure a vécu plusieurs années. Dans les circonstances particulières de l’espèce, le Comité considère que la situation familiale personnelle de l’auteure a été soigneusement évaluée par les autorités compétentes et que celles-ci ont conclu que les difficultés que la famille et ses membres rencontreraient étaient proportionnées au but légitime poursuivi. Le Comité considère donc que l’immixtion dans la vie de famille de l’auteure qui s’est produite n’est pas arbitraire au sens de l’article 17 du Pacte. De même, le Comité conclut que les difficultés que pourrait entraîner l’exécution de la mesure d’expulsion sont proportionnées à l’objectif légitime poursuivi, à savoir appliquer la loi de l’État partie sur l’immigration, et n’est pas arbitraire au sens de l’article 17 du Pacte. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’expulsion de l’auteure vers l’Angola constituerait, si elle était mise en œuvre, une violation des droits que l’auteure tient des articles 6 (par. 1), 7, 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte, ou de ceux de ces enfants.

Annexe

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.Je regrette de ne pouvoir souscrire à la conclusion du Comité selon laquelle l’expulsion de l’auteure vers l’Angola, si elle était mise en œuvre, ne violerait pas ses droits ni ceux de ses enfants au regard des articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

2.L’auteure et ses deux enfants aînés font partie d’une famille plus large qui comprend également le mari de l’auteure et père de ses enfants, L. M., deux enfants plus jeunes et la mère de l’auteure (par. 2.1), qui a reçu une balle dans la jambe alors qu’elle était en Angola et a ultérieurement été amputée (par. 2.11, 5.3) et qui a rejoint sa fille aux États-Unis d’Amérique.

3.L’auteure et ses deux enfants aînés, après qu’ils eurent franchi la frontière canadienne en 2016, se sont vu refuser l’asile sur le fondement de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Leurs demandes ont été considérées comme des demandes d’examen des risques avant renvoi (par. 2.13) et ultérieurement rejetées. L’auteure a demandé un report de leur renvoi, qui a été refusé au motif que la famille s’était séparée volontairement par le passé et serait réunie dès qu’il serait statué sur la demande de protection du mari de l’auteure (par. 2.14).

4.Dans l’intervalle, la demande d’asile de L. M., de ses deux enfants les plus jeunes et de sa belle-mère a été renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Cette procédure est toujours pendante.

5.L’auteure fait valoir que les membres de sa famille sont unis par des liens très forts, que l’expulsion d’une partie de la famille porterait atteinte aux droits de celle-ci, et que les deux enfants au nom desquels elle a présenté la communication sont scolarisés au Canada depuis leur arrivée dans le pays (en 2016, donc depuis trois ans) et sont intégrés dans la société canadienne. Leur renvoi aurait donc pour eux des conséquences majeures et ne correspondrait pas à leur intérêt supérieur (par. 3.4).

6.L’État partie reconnaît que l’auteure, son mari et tous leurs enfants constituent une famille (par. 4.8). L’État partie considère également que c’est à cause de leurs propres décisions et actions que l’auteure et son mari voient leurs demandes de protection au Canada traitées à des moments différents et dans le cadre de procédures différentes (par. 4.9). L’État partie reconnaît toutefois que ces procédures différentes concernent la même famille et que leur résultat aura des conséquences importantes pour tous les membres de celle-ci. En fait, bien que les enfants ne soient pas responsables des décisions prises par leurs parents en ce qui concerne les procédures, ils sont maintenant particulièrement vulnérables, car la mesure d’expulsion risque d’entraîner une dislocation de la famille elle‑même.

7.L’État partie considère que, si la famille sera peut-être temporairement séparée si l’auteure et ses enfants sont expulsés vers l’Angola, leur renvoi n’en est pas pour autant illicite, arbitraire, déraisonnable ou disproportionné. S’il est fait droit à la demande de protection du mari de l’auteure, celui-ci pourra demander la résidence permanente au Canada et inclure dans sa demande l’auteure et ses deux enfants aînés (par. 4.9). Comment peut-on toutefois être sûr que la séparation n’est que temporaire ? Le traitement de la demande du mari de l’auteure peut durer jusqu’à trente-deux mois (par. 5.7). D’autre part, si la séparation n’est que temporaire, pourquoi ne pas reporter l’exécution de la décision de renvoi en attendant qu’il soit statué sur la demande de protection du mari ?

8.L’État partie déclare également que les difficultés susceptibles de résulter de la séparation de la famille et l’intérêt supérieur des enfants ont été pris en considération lors de l’examen de la demande de report du renvoi (par. 4.9), mais il n’explique pas comment il est parvenu à cette conclusion. L’intérêt supérieur de quels enfants a été pris en considération : celui des enfants aînés, qui doivent être renvoyés en Angola avec leur mère, ou celui des plus jeunes, qui restent au Canada avec leur père et leur grand-mère maternelle ? De plus, l’enfant auquel l’auteure doit donner naissance en septembre 2018 (par. 5.1) n’est aucunement mentionné. Cet enfant, qui ne sera alors qu’un nouveau-né, doit-il lui aussi être renvoyé en Angola ? Quant à la situation clinique de la fille de l’auteure, dont la santé mentale se serait gravement détériorée du fait de la menace d’expulsion et de séparation de la famille et qui a des pensées de suicide récurrentes, il ne semble pas qu’elle ait été également prise en considération par l’État partie.

9.Je conviens avec le Comité (par. 7.7) que la mesure d’expulsion visant l’auteure et ses deux enfants aînés et pas ses autres enfants mineurs ni son mari constitue une immixtion dans la vie de famille au sens de l’article 17 du Pacte. Toutefois, à la différence du Comité, je considère que cette immixtion, quoique légale, est arbitraire au sens où la notion d’arbitraire intègre le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité (par. 7.8).

10.En l’espèce, je ne pense pas que l’immixtion dans la vie de famille soit appropriée, raisonnable, nécessaire ou objectivement justifiée compte tenu, d’une part, de l’importance des raisons qu’a l’État partie pour renvoyer la personne concernée et, de l’autre, des difficultés que connaîtront la famille et ses membres du fait de ce renvoi. Je suis encore moins convaincu que celui-ci soit proportionné à l’objectif légitime poursuivi. En fait, puisque l’État partie lui-même reconnaît qu’en fonction de l’issue de la procédure en cours en ce qui concerne le mari de l’auteure, celui-ci pourrait demander la résidence permanente au Canada au nom de l’auteure et de ses enfants aînés, pourquoi ne pas attendre cette issue ? L’unité de la famille serait ainsi garantie dans l’intervalle et l’intérêt supérieur de tous les enfants dûment respecté.

11.C’est pourquoi je considère que la mesure d’expulsion, si elle est mise en œuvre alors que la procédure d’examen de la demande du mari de l’auteure est encore pendante, n’est pas proportionnée et est donc arbitraire, et viole les droits que l’auteure et ses enfants aînés tiennent des articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.